CONCLUSION GÉNÉRALE

La nouvelle stratégie américaine a mis longtemps à se dévoiler tant elle contraste avec celle mise en oeuvre sous le premier mandat du Président G.W. Bush. Elle est réaliste et s'apparente dans sa philosophie et dans ses orientations à celle développée au sortir des conflits majeurs (Deuxième Guerre mondiale, Corée, Vietnam) auxquels les États-Unis ont participé, depuis 75 ans.

Elle s'en distingue cependant par certains aspects.

D'une part, l'importance que prend dans la stratégie américaine, comme un puissant courant sous-jacent, la préservation de la liberté d'accès aux espaces communs ( Global Commons ) dont le périmètre va des espaces maritimes et aériens, à l'espace extra-atmosphérique, le cyberespace et même au domaine de droit. Ces espaces sont cruciaux pour assurer la liberté de circulation des personnes, des biens, et des données, et par voie de conséquence la prospérité et la stabilité du monde.

Il s'agit dans ces espaces de définir des règles qui structurent les relations entre usagers, sans qu'un acteur étatique ou non-étatique ne puisse agir pour entraver cette liberté ou poser des règles nouvelles sans l'accord des autres acteurs, de se donner les moyens de participer à l'élaboration de ces règles et de les faire respecter.

Cela suppose de disposer des moyens de surveillance, de contrôle et d'influence nécessaires. Des stratégies militaires anti AD/A2, à la négociation d'accords multilatéraux de libre-échange qui comprennent de larges volets d'harmonisation des règles, il s'agit bien de la défense de ce principe.

Au service de ce grand dessein, la stratégie américaine met en oeuvre différents outils, dont certains sont assez neufs dans leur emploi : la recherche d'alliances et de partenariats les plus larges, l'utilisation du droit international comme moyen de régulation avec comme corollaire l'acceptation par les États-Unis d'en appliquer les principes.

Cette stratégie impliquant d'autres États et organisations internationales, moins unilatérale et plus coopérative, est nécessaire pour partager cette vision et créer une communauté suffisamment large pour empêcher toute tentation d'organiser un système concurrent.

D'autre part, parce que sa mise en oeuvre est complexe. Elle ne dépend pas des seuls États-Unis, mais de sa compréhension par leurs partenaires273 ( * ) comme par leurs adversaires. Également, parce que l'influence devient le mode d'action privilégié au détriment de la force , réservée aux menaces directes et à l'ultime ressort, les adversaires peuvent donc essayer de tester les limites de cette retenue, les alliés s'en inquiéter et adopter des comportements de défiance.

La transition est une période potentiellement déroutante et donc dangereuse car les règles du jeu ne sont pas éprouvées. Les États-Unis peuvent se trouver également et ponctuellement dans une situation d'arbitrage difficile, une intervention militaire précipitée pouvant contredire tout l'édifice stratégique fondé sur une vision de long terme de la place des États-Unis dans un monde multipolaire. Leur retenue peut alors apparaître comme une carence de leur leadership.

Pour autant, les États-Unis ne sont pas devenus un « tigre de papier ». Ils peuvent assumer ce risque de retenue ou de « pause » car ils restent la puissance dominante. Leur centralité n'est pas, pour l'heure contestée. Ils conservent une capacité d'influence considérable et une capacité suffisante de coercition. Ils ont aussi, ils l'ont montré dans la passé, une édifiante capacité de remontée en puissance.

La France, l'Union européenne et l'OTAN sont invités à prendre une place plus importante et une part plus grande des responsabilités et des charges. Il n'est pas certain que tous le souhaitent, mais c'est néanmoins une nécessité pour assurer l'équilibre au sein de la relation transatlantique. C'est aussi une opportunité pour conforter l'Europe, et par voie de conséquence l'Alliance, en lui donnant davantage de moyens pour définir une stratégie, conduire une politique étrangère et une politique de sécurité et de défense plus consistantes et avoir aujourd'hui, et surtout demain, voix au chapitre dans le concert des Nations.


* 273 Walter Russell Mead (« The Carter Syndrome » Foreign Policy, janvier-février 2010) souligne l'effet collatéral de cette stratégie de délégation volontaire et de retenue : une « politique jeffersonienne de retenue et de retrait requiert la coopération de nombreux pays qu'il s'agisse de leurs alliés traditionnels, de leurs partenaires stratégiques ou des pays avec lesquels les États-Unis cherchent à normaliser leurs relations. L'Administration américaine parie sur leur coopération. Mais cette coopération fait souvent défaut ».

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