III. UNE STRATÉGIE DE DÉFENSE ACTUALISÉE
Pour protéger les intérêts des États-Unis et satisfaire les objectifs de la « National Security Strategy de 2010 » dans cet environnement, les forces armées auront besoin de calibrer leurs capacités et d'engager une sélection d'investissements additionnels pour remplir les missions suivantes : 1. lutter contre le terrorisme et les actions de guerres irrégulières ; 2. dissuader et défaire les agressions de tout adversaire . Les forces armées des États-Unis seront en mesure de défendre simultanément leur territoire national ; de mener des opérations prolongées et réparties de lutte contre le terrorisme et dans de nombreuses régions, dissuader les agressions et rassurer les alliés au moyen d'une présence et d'un engagement avancés. Si la dissuasion échoue à un quelconque moment donné, les forces américaines seront en mesure de mettre en échec un adversaire régional dans une campagne en plusieurs phases de grande envergure, et de repousser les visées d'un second agresseur dans une autre région, ou encore de lui imposer des coûts insupportables ; 3. projeter des forces dans des zones où notre accès et notre liberté de mouvement sont contestés ( anti-access/area denial ) 172 ( * ) . Dans ces régions, des adversaires sophistiqués (Chine, Iran...) utiliseront des capacités asymétriques, incluant la guerre électronique et la cyberguerre, les missiles balistiques et de croisière, les défenses aériennes avancées, les mines et autres méthodes. En conséquence, les forces armées investiront autant que nécessaire pour assurer leur capacité à opérer effectivement dans ces environnements. Cela inclura la mise en place du concept de « joint operational access 173 ( * ) »), le soutien à nos capacités sous-marines, le développement de bombardiers furtifs, l'amélioration de la défense anti-missiles 174 ( * ) et de poursuivre les efforts pour accroître la résilience et l'efficacité des capacités critiques spatiales ; 4. Lutter contre la prolifération et l'usage des armes de destructions massives ; 5. Agir efficacement dans le cyberespace et dans l'espace ; 6. Maintenir une dissuasion nucléaire efficace et sûre 175 ( * ) ; 7. Défendre le territoire national et apporter un soutien aux autorités civiles ; 8 Apporter une présence stabilisatrice dans le monde incluant des déploiements par rotation et des exercices bilatéraux ou multilatéraux, pour renforcer la dissuasion, aider à construire les capacités et les compétences des forces américaines, alliées et partenaires, renforcer la cohésion des alliances et accroître l'influence américaine. Dans une situation de contrainte budgétaire, les choix concernant la fréquence et la localisation de ces opérations seront importants ; 9. Conduire des opérations de stabilisation et de contre-insurrection . Après les guerres d'Irak et d'Afghanistan, les États-Unis vont mettre l'accent sur les moyens non-militaires et sur la coopération militaire pour répondre à l'instabilité et réduire la demande d'intervention des forces américaines. Celles-ci seront néanmoins prêtes à conduire des opérations limitées si nécessaires et autant que possible en coalition. Cependant, les forces armées ne seront plus organisées pour conduire des opérations de grande ampleur et de grande durée ; 10. Conduire des opérations humanitaires, de secours en cas de catastrophes 176 ( * ) . |
Les documents de stratégie confirment :
- l'abandon du paradigme des deux guerres majeures simultanées ce qui se traduira par une réduction de format et une baisse des effectifs de l' Army et des Marines . Néanmoins, en tout état de cause, pour protéger leurs intérêts, les États-Unis resteront capables de conduire seuls un conflit majeur où que ce soit dans le monde et d'en maintenir un autre à un niveau gérable jusqu'à pouvoir basculer vers ce second théâtre avec l'essentiel des moyens. Comme l'indique le GBA Bruno Caitucoli, « ces hypothèses d'engagement sont dimensionnantes et aboutissent à un outil de défense sans équivalent, certainement capable de conduire, en dépit de la War fatigue , des opérations d'envergure 177 ( * ) ».
- l'abandon de la contre-insurrection et du « nation building » en faveur d'une stratégie anti-terroriste à l'israélienne marquée par l'usage des forces spéciales, des drones, et du renseignement. Contre les acteurs non-étatiques autre que les terroristes en réseaux, le Pentagone privilégie l'assistance et la formation des armées locales, le soutien, la fourniture d'armement avec une efficacité qui reste à évaluer ;
- le maintien en revanche d'une double capacité pour faire face aussi bien aux guerres régulières et interétatiques avec un accent sur la Navy et l'Air force , un approfondissement doctrinal (voir infra p. 128) du Joint Operational Access Concept , de l'Air Sea Battle et des stratégies pour lutter contre le déni d'accès et l'interdiction de zone (A2/AD) qu'aux guerres « irrégulières » contre des acteurs non-étatiques terroristes, avec un investissement massif dans les technologies à haute valeur ajoutée et la recherche et développement afin de maintenir l'ascendant technologique. Le Pentagone continue ainsi d'investir dans les domaines qui assurent son avantage qualitatif : systèmes de commandement, systèmes d'ISR, précision de longue portée, domination aérienne, furtivité, lutte sous-marine, spatial, cyber, robotique... ;
- l'insistance sur les alliés et plus largement les partenaires (en particulier en Asie et au Moyen-Orient) pour faire face à des problèmes de sécurité régionale, insistance qui constitue un changement d'approche majeure du Pentagone et de l'image d'une Amérique capable d'agir seule et partout affirmée dans la QDR 2010 et qui rappelle la « doctrine Nixon 178 ( * ) ».
* 172 Généralement traduit par « déni d'accès et interdiction de zone »
* 173 Voir infra p. 128
* 174 Si le premier rôle de la défense anti-missile est la défense du territoire contre les missiles balistiques intercontinentaux rustiques que pourraient développés certains États (Corée du Nord, Iran, notamment), elle est aussi conçue pour lutter contre les stratégies régionales de déni d'accès susceptible de gêner l'action militaire américaine. Elle est donc, un outil visant à garantir la liberté d'action. Pour permettre aux États-Unis de déployer leurs forces quelles que soient la nature et l'ampleur de la menace balistique régionale, la DAMB est devenue depuis la publication du Ballistic Missile Defense Review Report en février 2010, un des piliers des alliances et partenariats développés dans leurs principales régions d'intérêt : Europe-Méditerranée, Moyen-Orient et Asie. Dans chacune, les États-Unis invitent leurs alliés à s'équiper de système de défense anti-missile tout en leur offrant une première capacité de protection de leurs populations, assurant ainsi de fait la protection des forces militaires américaines déployées dans la zone (ou qui pourraient l'être et permettant à la supériorité conventionnelle des États-Unis d'exprimer tout son potentiel.
* 175 La force de dissuasion nucléaire, dont les trois composantes sont maintenues à niveau, constitue la protection ultime contre une attaque nucléaire visant les États-Unis, et par une dissuasion de grande envergure, elle permet aussi de rassurer les alliés éloignés quant à leur sécurité en cas d'agression régionale.
* 176 Agir en cas de catastrophe naturelle de grande ampleur (tsunami au Japon, tremblement de terre à Haïti, inondations aux Philippines...) par la projection de forces.
* 177 GBA Bruno Caitucoli « La défense américaine se réinvente dans l'incertitude budgétaire » Revue Défense nationale n o 760, mai 2013.
* 178 La doctrine de Guam (ou doctrine Nixon) prévoit que les Américains soutiendront financièrement et matériellement les pays victimes d'une agression, mais ils ne s'engageront pas directement (pas d'intervention de l'armée américaine ). Cette doctrine est à mettre en relation avec les quatre principes de la politique américaine de cette époque, décrite par Kissinger dans ses Mémoires :
• le réalisme (realpolitik) : admettre que l'URSS existe et dialoguer avec elle
• la retenue : éviter de prendre l'avantage
• « la carotte et le bâton » : sanctionner les abus
• le linkage (bandage) : tout geste doit être accompagné d'une contrepartie en un autre domaine