D. UNE MOINDRE PRÉSENCE EN AMÉRIQUE LATINE : DE L'INTERVENTIONNISME INTENSE À L'INFLUENCE
« The era of the Monroe Doctrine is over »
John Kerry, 18 novembre 2013 124 ( * )
L'Amérique latine, qui depuis le XIX e siècle et la « doctrine Monroe », et plus encore durant la guerre froide, était considérée comme l'arrière-cour des États-Unis et le champ de son influence pour le meilleur et pour le pire, ne semble plus être une priorité de la politique étrangère des États-Unis. Cette relative indifférence a favorisé l'émergence de deux puissances régionales, le Brésil et le Venezuela, toutes deux prêtes à assumer un rôle de leadership au sein de l'échiquier régional et a permis à des puissances extérieures (Russie, Chine, Iran) d'être plus présentes.
1. Un investissement modeste qui tient compte des interactions fortes avec la politique intérieure américaine
Le Président Obama a souhaité la mise en place d'un nouveau partenariat fondé sur le respect mutuel. La détente des relations américano-cubaines, la lutte contre le narcotrafic, la diminution de l'insécurité, le renforcement des échanges commerciaux et la signature d'un partenariat énergétique représentent les grandes lignes de force de sa politique étrangère.
Cette position a été explicitée par le secrétaire d'État John Kerry dans un discours prononcé le 18 novembre 2013 devant l'Organisation des États Américains (OEA) qui affirme le principe de la non-intervention des États-Unis dans les affaires intérieures des pays d'Amérique Latine - « The era of the Monroe Doctrine is over » - et développe essentiellement des thèmes concernant la démocratie et les droits de l'homme, la prospérité et les échanges économiques, les questions environnementales (climat). Elle s'explique par :
- la position commerciale stratégique de l'Amérique latine comme importateur des produits « étatsuniens ». Le Partenariat Trans-Pacifique, en cours de négociation (voir supra p. 71), pourrait directement impacter la balance commerciale du Chili, du Pérou, de la Colombie et du Mexique. L'Amérique latine est un marché prometteur. De nouvelles relations commerciales permettraient le renouveau du dialogue diplomatique dans les forums internationaux ;
- l'acceptation par le Président Obama de s'inscrire dans une logique de coopération avec l'Amérique latine pour régler des problèmes aussi cruciaux que la sécurité énergétique, les impacts de la pollution, la délinquance et le narcotrafic 125 ( * ) ;
- la consolidation d'un discours commun aux deux régions en faveur des droits de l'Homme ;
- et le développement de la coopération et des échanges universitaires avec la promesse du Président Obama d'élever à 100 000 le nombre d'étudiants latino-américains aux États-Unis, et conjointement, le nombre d'universitaires nord-américains en Amérique Latine à l'horizon 2020.
On notera également une certaine détente vis-à-vis de Cuba : facilités octroyées aux immigrés cubains pour voyager vers l'île et acceptation que La Havane réintègre l'Assemblée générale de l'Organisation des États américains moyennant l'approbation de sa charte démocratique.
Enfin la politique en direction de l'Amérique latine est marquée par son lien étroit avec la politique intérieure des États-Unis : la présence massive de « Latinos » aux États-Unis, leur poids électoral - cette population a massivement voté en faveur du candidat Obama (71 % contre 27 % pour le candidat républicain) et leurs préoccupations qui concernent la politique d'immigration, mais aussi l'éducation bilingue, l'envoi d'argent, l'homologation des permis de conduire, la lutte contre le trafic de drogue, d'armes ou d'êtres humains.
Dans son discours d'investiture, le Président élu a demandé le soutien de la population, afin de légaliser l'existence de quelque 11 millions de sans-papiers vivant et travaillant sur le territoire dont la vaste majorité est originaire d'Amérique latine 126 ( * ) . La régularisation d'un secteur très actif et influent politiquement aurait pour effet de diminuer le travail illégal, d'améliorer les conditions de vie des hispaniques, et surtout d'augmenter le flux annuel des « Remesas » (envoi d'argent aux familles des pays d'origine), qui se chiffre en milliards de dollars. La réforme aurait des conséquences immédiates sur les économies du Mexique, de la Colombie, de l'Amérique Centrale et des Caraïbes. Le Président s'est engagé à ne pas approuver de projet de loi qui n'inclurait pas une démarche menant à la régularisation des papiers de ces immigrants. Le Parti républicain réclame de son côté plus de sécurité à la frontière, M. Obama a rappelé que la loi sur l'immigration serait le fruit d'un compromis. Les divisions au Congrès n'ont pas permis d'aboutir sur ce dossier jusqu'à maintenant. |
2. Une politique critiquée pour son manque d'ambition
Le Président Obama n'est pas parvenu à transformer ses déclarations en actes concrets. L'administration démocrate n'a proposé aucun plan régional d'envergure. Ilan Berman ( American Foreign Policy Council ) qualifie la dette politique de « minimaliste ». Certains comme Otto Reich estiment que le Président a adressé des signaux confus aux pays de la région. D'autres estiment simplement que le déclin de l'influence résulte de l'émergence économique de puissances régionales plus présentes sur la scène diplomatique. Dès lors, elle essuie régulièrement les critiques du Congrès qui dénonce l'absence d'une vision claire et cohérente et le déclin de l'influence américaine dans la région.
3. Une politique qui ouvrirait la porte à une influence grandissante d'acteurs extra-hémisphériques
La proclamation par M. John Kerry de la fin de l'ère Monroe est considérée par certains comme un dangereux signal signifiant aux puissances rivales que les États-Unis n'avaient pas l'intention de contester leur influence grandissante.
La Russie profiterait ainsi du retrait américain pour renforcer sa présence militaire dans la région pourtant éloignée de ses intérêts stratégiques en annonçant son intention d'ouvrir de nouvelles bases militaires à Cuba, au Venezuela et au Nicaragua.
L'Iran renforcerait sa présence diplomatique confortée par les liens établis entre M. Ahmadinejab et Hugo Chavez avec comme objectif la recherche d'un soutien des États latino-américains sur le dossier nucléaire et l'exploitation des ressources naturelles.
La Chine aurait conforté de façon importante son implantation économique.
Pour autant, les perspectives d'un réengagement restent incertaines et contradictoires. Certains comme Michael Schifter ( Inter-American Dialogue) l'envisagent à travers une activité plus soutenue au sein des organisations régionales et à travers l'établissement d'une coopération bilatérale avec des acteurs-clés comme le Brésil ou le Mexique, d'autres, s'appuyant sur des signes d'évolution du régime cubain, espèrent un premier pas vers la normalisation des relations, d'autres enfin prônent une politique de fermeté à l'égard des régimes hostiles à base de sanctions ciblées et de suppression de l'assistance économique et la promotion volontariste de la charte démocratique interaméricaine.
* 124 John Kerry Secretary of State « Remarks on U.S. Policy in the Western Hemisphere»
Organization of American States Washington, DC November 18, 2013 http://www.state.gov/secretary/remarks/2013/11/217680.htm
* 125 Au cours du dernier sommet des Amériques de Carthagène (2012), les présidents du Mexique, de la Colombie, du Guatemala, de l'Uruguay ont demandé à Washington d'établir les bases d'une discussion sérieuse sur le thème de la légalisation de certaines drogues tout en développant des programmes de prévention, d'éducation, de réhabilitation. Et de substitution à la culture de la feuille de coca.
* 126 6 millions proviennent du Mexique.