B. LA VOLONTÉ DE PRENDRE DU RECUL PAR RAPPORT AUX CONFLITS DU MOYEN-ORIENT

Le retrait des troupes d'Irak (en 2011), la fin de l'intervention militaire en Afghanistan en 2014, la volonté de rééquilibrage en direction de l'Asie-Pacifique, la révolution énergétique qui réduit leur dépendance vis-à-vis du pétrole du Golfe persique, la lassitude de l'opinion publique après une décennie de guerres au sol désormais rétives à tout nouvel engagement ainsi que les contraintes budgétaires, ont accrédité l'idée d'une relativisation de l'importance stratégique du Moyen-Orient pour les États-Unis.

Cette idée doit être réfutée. Les États-Unis demeurent le principal acteur dans une région où leurs intérêts restent importants :

- lutter contre le terrorisme et la prolifération nucléaire,

- assurer la libre circulation du commerce et la sécurité de l'accès aux ressources énergétiques - condition de la stabilité de l'ordre économique mondial,

- préserver la sécurité de la région et d'Israël,

et où ils maintiennent une présence militaire . Par ailleurs, l'instabilité croissante du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, la complexité des forces qui s'y affrontent, rendent l'implication américaine indispensable.

Tenant compte de ces nouveaux contextes, le Président Obama a opté pour une approche pragmatique privilégiant une stratégie au cas par cas et axée davantage sur le soutien aux réformes politiques et les investissements économiques que sur la dimension militaire. L'objectif initial était aussi de restaurer dans le monde arabe l'image dégradée de l'Amérique, de « tourner la page d'un cycle de méfiance et de discorde » 90 ( * ) et d'ouvrir un dialogue avec l'Iran 91 ( * ) .

Plusieurs dossiers prioritaires impliquent plus particulièrement les États-Unis : le programme nucléaire iranien, le processus de paix israélo-palestinien, la crise syrienne et désormais la crise irakienne.

1. Le principal acteur dans une région où leurs intérêts stratégiques restent importants
a) Des intérêts importants

Le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord continueront d'occuper à l'avenir une place importante dans la politique étrangère américaine en raison des intérêts centraux des États-Unis dans la région. Ceux-ci continueront à guider la politique étrangère américaine ainsi que le Président Obama l'a rappelé d ans son discours du 19 mai 2011 :

- la lutte contre le terrorisme , l'extrémisme violent et les risques de déstabilisation. La grande volatilité des situations et la prolifération de zones sanctuaires pour Al-Qaïda ou ses affiliés plus ou moins autonomisés (Syrie, Irak, Libye, Égypte) constituent un facteur propice au développement du terrorisme (Irak, Libye, Yémen), qui peut frapper à tout moment les intérêts américains dans la région, voire sur le territoire national ;

- la lutte contre la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive . Un risque élevé de prolifération dans la région résulterait de l'acquisition d'une capacité nucléaire par l'Iran. L'Arabie saoudite pourrait alors être tentée d'acquérir sa propre capacité de dissuasion nucléaire 92 ( * ) . Face à ce risque, l'administration américaine a lancé en 2006 pour rassurer ses alliés du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) un « dialogue de sécurité », dont l'une des pierres angulaires est le renforcement des capacités de défense antimissile 93 ( * ) des pays du Golfe ; c'est aussi tout l'enjeu des négociations sur le programme nucléaire iranien (voir infra p. 83) ;

- la libre circulation du commerce . Compte tenu de l'importance de la région pour l'approvisionnement de l'économie mondiale en hydrocarbures, toute interruption de la navigation dans le Golfe persique, en Mer Rouge ou dans le canal de Suez, aurait des conséquences catastrophiques pour les États-Unis même s'ils sont en passe de retrouver en 2020 leur statut de premier producteur d'hydrocarbures et d'acquérir une quasi-autosuffisance. Ce changement du rapport de force énergétique offre à Washington une plus grande marge de manoeuvre vis-à-vis de certains alliés, dont l'Arabie saoudite mais cela ne modifiera pas leur posture militaire (rôle des V e et VI e flottes) et leur volonté très ferme d'assurer la liberté de navigation.

- la sécurité de la région , par le soutien des engagements avec les États partenaires et alliés, notamment la sécurité du Golfe, en collaboration avec le Conseil de Coopération des États du Golfe lorsque cela sera nécessaire, afin de prévenir le développement par l'Iran de l'arme nucléaire et contrer ses politiques de déstabilisation ;

- et plus spécifiquement la sécurité d'Israël qui reste l'allié privilégié tout en oeuvrant pour la paix israélo-palestinienne (voir infra p. 84), avec un effort pour renouer les liens avec la Turquie fortement altérés avec l'opération « Plomb durci » à Gaza et ses suites.

b) La stabilité politique confrontée aux revendications démocratiques

Les Printemps arabes ont placé Washington face à un dilemme : soutenir les aspirations démocratiques des peuples arabes, sans connaître leurs conséquences politiques et géostratégiques à long terme, tout en veillant à la stabilité des pays de la région. L'inflexion de la politique américaine réside dans l'acceptation par les autorités américaines du fait que les transitions politiques puissent évoluer dans un sens défavorable aux intérêts américains et remettre en question des alliances stratégiques de long terme 94 ( * ) .

Les Printemps arabes ont contraint les États-Unis à adapter leur politique aux nouvelles réalités régionales et à tenir compte de nouveaux paramètres tels que la prédominance de l'opinion publique dans les démocraties arabes émergentes, l'arrivée au pouvoir par les urnes de gouvernements islamistes 95 ( * ) , la difficulté du gouvernement américain à influer sur les événements ou le climat d'insécurité croissant auquel les nouveaux régimes sont confrontés.

Alors que les Printemps arabes constituaient une occasion unique de réaligner les intérêts et les valeurs américaines, le Président Obama a opté pour une approche pragmatique privilégiant une stratégie de cas par cas :

- concentration des moyens bilatéraux sur les alliés stratégiques (Égypte, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar) ;

- politique d'accompagnement des transitions au plan politique et financier (Tunisie, Égypte) dans les pays où il s'agit de faciliter le changement de régime ;

- politique d'incitation à des réformes politiques auprès des gouvernements dans lesquels l'objectif est d'encourager une évolution du comportement des régimes en place (Arabie Saoudite, Bahreïn, Qatar, Émirats arabes Unis, Maroc, Jordanie), par crainte d'un renversement de régime qui déstabiliserait encore plus la région et les intérêts stratégiques des États-Unis et de leurs alliés.

Le cas de l'Égypte est le plus problématique pour les États-Unis qui, après avoir apporté une aide aux dirigeants « Frères Musulmans » issus des urnes à la suite du départ d'Hosni Moubarak en février 2011, ont condamné « la destitution du Président égyptien et la suspension de la constitution » orchestré par l'armée soutenue par une large partie de la population en juillet 2013 et dénoncé la répression qui s'en est suivie. Il a été décidé de suspendre, en octobre 2013 l'aide financière accordée à l'Égypte, (1,5 milliards de dollars pour 4/5 au titre de l'assistance militaire) 96 ( * ) et 241 millions de dollars pour l'aide économique).

Aujourd'hui, les États-Unis se trouvent face à un dilemme : le maréchal Al Sissi a été élu à une large majorité à la fin du mois de mai 2014 et il bénéficie du soutien des principaux alliés des États-Unis dans la région (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis...) ainsi que d'une neutralité bienveillante d'Israël 97 ( * ) , l'Égypte était un allié important 98 ( * ) des États-Unis dans la région depuis 30 ans et une pièce maitresse dans l'apaisement des relations entre Israël et le monde arabe. La visite du secrétaire d'État John Kerry au Caire le 22 juin 2014 marque un dégel des relations : une partie des mesures prises en octobre ont été suspendues.

c) Une stratégie multidimensionnelle

Les États-Unis entendent désormais jouer leur rôle différemment. L'administration Obama a lancé une stratégie multidimensionnelle axée davantage sur le soutien aux réformes politiques et sur les investissements économiques (même si ce soutien reste modeste dans certains pays) que sur la dimension militaire. Les États-Unis privilégient le « capacity building ». Le redressement économique est désormais perçu comme essentiel pour assurer une transition démocratique stable et remédier à l'une des causes des Printemps arabes, à savoir la stagnation économique, la prédation par des élites politiques corrompues, le chômage de masse et le manque de perspectives pour les jeunes générations.

La stratégie américaine passe par le développement des liens économiques et commerciaux ce qui permet d'accompagner les transitions dans un sens positif, tout en veillant à ne rien imposer . Les États-Unis sont le 1 er investisseur étranger en Arabie Saoudite, en Égypte - jusqu'en 2009, et en Algérie. Les Émirats Arabes Unis (EAU) sont le 1 er marché d'exportation américain au Moyen-Orient (22,5 milliards de dollars en 2012). Des initiatives dans le domaine de l'entreprenariat à destination des pays d'Afrique du Nord (Algérie, Libye, Maroc, Tunisie) ont également été lancées en 2010 pour renforcer le lien entre entrepreneurs et chefs d'entreprise américains et nord-africains.

Le soutien à la société civile en tant que vecteur du changement vise à élargir le cercle des interlocuteurs américains dans la région et à encourager les évolutions démocratiques en s'adressant notamment à la « jeune génération ».

En Iran, Washington s'appuie notamment sur Internet et les réseaux sociaux pour insuffler le changement de l'intérieur.

La coopération universitaire et scientifique participe également à cette politique d'accompagnement des transitions démocratiques (les États-Unis sont par exemple fortement présents dans le système qatari).

d) La présence militaire demeure néanmoins importante

Dans le « New Strategic Guidance for the Department of Defense » de janvier 2012, il est indiqué que « Pour soutenir ces objectifs, les États-Unis continueront à mettre une priorité sur la présence militaire américaine et alliée dans les pays ou en soutien aux pays partenaires dans et autour de cette région. »

Les États-Unis y sont la première puissance militaire et devraient le rester. Lors d'une Conférence sur la sécurité régionale à Manama début décembre 2013, le Secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, a rassuré les alliés des États-Unis sur le maintien de l'engagement américain dans la région, confirmé également par la Navy qui a évoqué le renforcement de sa présence à Bahreïn (V e flotte). Le Pentagone avait déjà annoncé qu'il maintiendrait son dispositif de 35 000 hommes dans la région (bases au Qatar, aux EAU ou à Oman) et ne prévoyait aucun changement à la posture de forces américaines au Moyen-Orient.

Ce sont les modalités d'intervention qui changeront. Les États-Unis n'interviendront plus militairement que dans trois cas bien balisés :

- une entrave à la liberté de circulation maritime, notamment au niveau du canal de Suez ou des détroits d'Ormuz et de Bab-el-Mandeb ;

- une atteinte grave à la sécurité des citoyens américains ;

- ou une menace vitale contre la sécurité d'Israël.

Le recours à la force restera donc possible en cas de nécessité.

Par ailleurs, les pays de la région représentent d'importants marchés d'armement pour l'industrie américaine de défense 99 ( * ) .

Enfin, la crise libyenne a conduit Washington à inaugurer une nouvelle stratégie selon laquelle les États-Unis ne prendront plus ouvertement la direction des opérations lorsque leurs intérêts vitaux ne sont pas directement affectés (« leading from behind »). Pour l'administration Obama, il s'agissait aussi de ne pas apparaître ouvertement comme le cobelligérant d'une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

2. Quatre dossiers prioritaires exigent un fort engagement des États-Unis
a) Le programme nucléaire iranien

Dès sa prise de fonction en 2009, le Président Obama a souhaité rétablir un dialogue diplomatique avec l'Iran, motivé par la perception selon laquelle les résultats de la stratégie d'isolement et du régime de sanctions mis en place à l'encontre de l'Iran restaient insuffisants et trop lents. Cette politique de la « main tendue » à l'Iran, rejetée sans ménagement par Téhéran, s'est heurtée à une grave rupture de confiance avec la découverte d'un nouveau site clandestin d'enrichissement de l'uranium à Fordo.

Sur le plan bilatéral, l'élection de Rohani en juin 2013 a permis d'amorcer une phase de « détente » dans les relations américano-iraniennes marquées par plus de trois décennies de crise depuis la Révolution islamique et son événement fondateur, la prise d'otages à l'ambassade américaine. Cette évolution a été rendue possible par une configuration historique avec la présence à Washington comme à Téhéran de dirigeants soucieux de mettre un terme à la rhétorique de la confrontation ainsi que par la disposition iranienne, contrainte par le poids économique des sanctions internationales, à reprendre sérieusement les négociations nucléaires.

Cette « détente » a accéléré le calendrier des discussions sur le programme nucléaire et a sans doute constitué l'élément déclencheur sans lequel la conclusion de l' accord intérimaire de Genève du 24 novembre 2013, qui permet d'éloigner l'option d'une frappe américaine en Iran 100 ( * ) , n'aurait pas été possible. Cependant, les véritables intentions de l'Iran doivent néanmoins encore être testées. Le Président Obama a rappelé que le plan d'action conjoint adopté à Genève, n'était qu'une première étape , le plus difficile restant à venir. Le département d'État se garde de tout excès d'optimisme (rappel du caractère minime et réversible de l'allègement des sanctions, de sa détermination à empêcher l'Iran de développer une arme nucléaire et de la priorité accordée à la sécurité de ses partenaires régionaux).

La négociation d'un accord de long terme sur le dossier nucléaire iranien entre les EU3 +3 et l'Iran a été lancée à Vienne le 18 février 2014. Le Plan d'Action conjoint de Genève donne jusqu'au 20 juillet pour négocier l'accord de long terme. Cette période peut être prolongée de six mois avec l'accord de toutes les parties mais il existe à ce stade une volonté politique forte, en particulier aux États-Unis et en Iran, de conclure la négociation avant le 20 juillet .

La mise en oeuvre satisfaisante, selon l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique (AIEA), des engagements pris par l'Iran au titre du Plan d'action, entrée en vigueur le 20 janvier (suspension de l'enrichissement de l'uranium à 20 %, « neutralisation » du stock iranien d'uranium enrichi à 20 %, « gel » du reste des activités sensibles et une transparence renforcée sur l'ensemble du programme nucléaire) a conduit à la suspension de manière partielle, temporaire et réversible certaines sanctions envers le pays, notamment le déblocage progressif d'une partie des avoirs iraniens gelés .

Les EU3+3 considèrent néanmoins que seules des limitations importantes au programme nucléaire iranien seront à même de ramener la confiance dans les intentions exclusivement pacifiques de l'Iran.

Les oppositions et les réserves vis-à-vis de ce processus sont importantes :

- en interne, la Congrès reste déterminé à maintenir une importante pression sur l'administration pour l'application de sanctions motivées non seulement par la poursuite du programme nucléaire, mais aussi par le soutien au terrorisme international et les violations des droits de l'Homme. L'administration a redoublé d'efforts pour éviter que le Congrès n'impose de nouvelles sanctions à l'Iran. Le Président Obama s'est engagé personnellement afin de rappeler qu'il opposerait son veto à de telles mesures, susceptibles de provoquer une crispation des autorités iraniennes et une instrumentalisation de la part des radicaux iraniens qui restent hostiles à tout processus d'ouverture diplomatique ;

- par ailleurs, la détente entre Washington et Téhéran inquiète les partenaires des États-Unis au Moyen-Orient, Israël et Arabie Saoudite en tête, qui craignent un changement des rapports de force dans la région .

Même en cas d'accord de long terme sur le dossier nucléaire iranien, la relation des États-Unis avec la République islamique restera extrêmement compliquée. Par ailleurs, le régime iranien n'est pas en faveur d'un rapprochement trop important avec les États-Unis, susceptible d'aviver les aspirations démocratiques de la population, avide de contacts avec l'Occident, et de déstabiliser les fondements du régime.

b) Le processus de paix israélo-palestinien

Depuis 1948, la sécurité d'Israël est au coeur de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Le Président Obama considère le règlement du conflit israélo-palestinien comme central pour la stabilité de la région. Partant du constat que le blocage des négociations depuis 2010 risquait de rendre la création d'un État palestinien impossible, les États-Unis, après plusieurs mois d'efforts déployés par le Secrétaire d'État américain, M. John Kerry, ont imposé la reprise des négociations israélo-palestiniennes le 29 juillet 2013 à Washington. Les positions des parties (questions de sécurité et de Jérusalem, exigence israélienne d'une reconnaissance palestinienne du caractère juif de l'État d'Israël, poursuite de la colonisation) sont néanmoins restées trop éloignées , pour parvenir à la mise en place d'un « accord-cadre en vue d'un règlement définitif, qui tracerait les grandes lignes d'une résolution du conflit et permettrait de viser une sortie par le haut grâce à une percée, tout en étendant la période de négociation au-delà des neufs mois prévus. La constitution en Palestine d'un gouvernement d'union, soutenu par le Fatah et le Hamas dans la perspective de l'organisation de nouvelles élections, fait débat au Congrès - le Hamas est, en effet, considéré comme un mouvement terroriste -, alors que le département d'État et le Président considèrent que le Hamas ne participant pas au gouvernement, les contacts peuvent être maintenus.

Devant l'absence de résultats obtenus et la situation dramatique actuelle , on peut s'interroger sur la volonté réelle et les intentions des États-Unis d'aboutir dans ce processus, pourtant affiché comme un objectif central dans la stratégie américaine. Plus que le processus de paix israélo-palestinien, la préoccupation principale semble aujourd'hui pour les États-Unis, la conflictualité entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, entre les chiites et les sunnites. Circonscrire le problème à défaut de le résoudre semble être la stratégie retenue. Cela revient de fait à maintenir le statu quo et c'est coupable . Les événements actuels qui se répètent sont la conséquence de cette politique dommageable.

c) La crise syrienne

Les atermoiements de Washington dans sa politique syrienne sont symptomatiques de la crainte des États-Unis d'être entraînés dans un conflit qui ne mettrait pas directement en jeu leurs intérêts.

Dès le départ, le Président Obama a affiché une extrême prudence sur ce dossier, refusant notamment de fournir une aide militaire létale aux rebelles syriens, compte tenu du risque de dissémination des armes livrées qui pourraient tomber entre les mains de groupes terroristes. Si l'attaque chimique du 21 août 2013 perpétrée par le régime syrien a poussé le Président Obama à sortir de sa réserve et à décider de frappes ciblées contre le régime, la ligne rouge fixée par le Président le 20 août 2012 ayant été franchie, le risque de voir les États-Unis se retrouver en première ligne après le vote négatif de la Chambre des Communes en Grande-Bretagne l'a convaincu de revenir à sa posture initiale de prudence , faute de soutien régional et européen suffisant, à l'exception de la France, (mais aussi intérieur, le Congrès ne lui aurait vraisemblablement pas accordé l'approbation demandée). La proposition russe a opportunément permis de sortir de ce dilemme en reportant l'attention sur l'élimination des armes chimiques et de donner clairement la priorité à la voie diplomatique (organisation de la Conférence de paix de Genève II).

Un réexamen de la politique américaine en Syrie est en cours. La réticence à une implication directe dans la crise demeure, confortée par la progression de la menace terroriste (avec une attention accrue portée à la problématique des combattants étrangers), le caractère précaire des lignes de partage au sein de l'opposition armée et les divisions de l'opposition politique qui alimentent les inquiétudes de Washington sur l'après-Assad. Après l' échec de Genève II, les États-Unis vont probablement accentuer leur coopération sur ce dossier avec l'Arabie saoudite et ses autres partenaires du Golfe. Les priorités américaines sont désormais le renforcement du soutien à l'opposition et le renforcement de la coordination des aides.

Sur le plan de l'aide militaire , les États-Unis réfléchissent aux options possibles pour un accroissement du soutien. Bien qu'ayant suspendu leur soutien non létal au Front Nord, ils ont, via un vote du Congrès, approuvé le principe de l'envoi d'armes légères et antichars aux rebelles « modérés ». L'ampleur du soutien militaire américain reste difficile à déterminer. L'organisation de formations a été envisagée. 500 millions de dollars sont inscrits dans le projet de budget pour 2015 au titre des opérations extérieures (OCO) afin d'aider les forces armées de l'opposition modérée. Par ailleurs, face aux risques de déstabilisation pesant sur les pays voisins accueillant des réfugiés syriens, et notamment la Jordanie, les Américains déploient des efforts importants sur le terrain de l' aide humanitaire , qui s'élève au total à 1,7 milliards de dollars.

Au Congrès , la gestion du dossier syrien par l'administration Obama fait l'objet de vives critiques. Les élus souhaitent une réponse plus ferme des États-Unis et une meilleure communication de la Maison Blanche sur sa stratégie. Cependant, au-delà de la volonté bipartisane d'agir, il n'existe aucun consensus sur les moyens ou la stratégie à employer.

d) La crise irakienne

Le départ des forces américaines d'Irak, en raison de l'opposition du gouvernement Maliki et de l'impossibilité de négocier un accord d'immunité, n'a pas été échelonné, ce qui aurait permis une transition et de maintenir une capacité d'intervention dissuasive, en même temps qu'un moyen de pression sur le gouvernement pour s'assurer du fonctionnement démocratique et inclusif de la gouvernance.

La situation s'est progressivement dégradée entre le gouvernement chiite de M. Maliki et une grande majorité de la communauté sunnite, dont l'expression a été l'organisation de manifestations nombreuses en décembre 2013 ainsi qu'un regain de violence avec une offensive spectaculaire de l'EIIL, groupe djihadiste opérant également en Syrie, prenant de nombreux postes frontières, puis la ville de Mossoul au Nord et de Tikrit avant de menacer Bagdad. Cette offensive qui s'est appuyée sur le désespoir de la communauté sunnite a semble-t-il permis de fédérer également les anciens officiers de l'armée de Saddam Hussein et certaines tribus. Le gouvernement Maliki a appelé les États-Unis à l'aide. Après avoir envoyé 275 marines pour sécuriser l'ambassade, le Président Obama, qui a rejeté d'emblée l'envoi de troupes combattantes au sol et s'est montré réservé jusqu'à maintenant sur des frappes aériennes en raison des risques de dommages collatéraux, a répondu en envoyant 300 membres des forces spéciales pour conseiller l'armée irakienne et l'aider à reprendre l'offensive.

Cette offensive place le Président dans une situation délicate :

- à l`intérieur, ayant fait de la réalisation effective du retrait d'Irak un point fort de son premier mandat, au moment où les États-Unis engagent un retrait de forces d'Afghanistan. Il a été fortement critiqué par certains membres du Congrès, dont le président de la Chambre John Boehner pour son inaction, comme par les « unilatéralistes » (Dick Cheney) qui l'ont accusé de ne pas avoir terminé le travail engagé sous le mandat de son prédécesseur. Néanmoins, le Président peut se prévaloir du soutien des démocrates, et des « libertariens » 101 ( * ) et surtout de l'opinion publique américaine ;

- mais aussi à l'extérieur, se trouvant dans la situation paradoxale de soutenir un gouvernement chiite, qui reçoit une aide du gouvernement iranien. Cette situation risque au surplus de tendre les relations avec les alliés historiques des États-Unis, notamment l'Arabie Saoudite qui assume le leadership du camp sunnite, lesquels sont déjà inquiets de l'issue de la négociation sur le programme nucléaire iranien.

Compte tenu de cette instabilité croissante, les États-Unis resteront longtemps engagés dans cette région.


* 90 Discours du Caire en 2009

* 91 Dès le début de son mandat, le président Obama a tenu à prendre ses distances avec son prédécesseur qui avait classé l'Iran dans l'axe du Mal et prôné un changement coercitif de régime à Téhéran.

* 92 Des responsables saoudiens ont ouvertement évoqué cette possibilité. D'autres options, qui pourraient être considérées par les Saoudiens, incluent la recherche d'une garantie de sécurité de la part d'une puissance nucléaire (États-Unis) ou de l'établissement d'une zone dénucléarisée au Moyen-Orient.

* 93 Lors d'un déplacement au Qatar et en Arabie saoudite en février 2010, l'ancienne Secrétaire d'État avait évoqué l'idée d'une éventuelle extension du « parapluie américain » pour protéger les alliés du Golfe persique de la menace iranienne et à Ryad, le 31 mars 2012, lors de la première réunion du Forum stratégique États-Unis/CCG, elle avait défendu l'idée d'une coopération militaire multilatérale avec les six pays du CCG et d'un bouclier antimissile pour protéger le territoire des six monarchies contre des attaques éventuelles de l'Iran.

* 94 Dans son discours du 19 mai 2011, le Président Obama a déclaré : « Tous les pays ne suivront pas nécessairement notre forme particulière de démocratie représentative, et il y aura des moments où nos intérêts de court terme ne s'aligneront pas parfaitement avec notre conception à long terme de la région » .

* 95 Arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte et du parti islamiste Ennahdha en Tunisie.

* 96 Les Américains ont annoncé le retrait de la livraison d'un certain nombre de systèmes militaires d'envergure, en même temps qu'une assistance financière envers le gouvernement égyptien, jusqu'à ce que celui-ci montre que des « progrès crédibles » ont été effectué pour la mise en place d'élections justes et libres. Cependant, les États-Unis vont poursuivre les subventions concernant la santé et l'éducation en même temps verser de l'argent pour aider l'Égypte à sécuriser ses frontières, contrer le terrorisme et garantir la sécurité dans la région du Sinaï. Les États-Unis avaient déjà suspendu la livraison de quatre avions de chasse de type F-16 à l'origine destiné à l'Égypte et a annulé la biennale d'exercices militaires égypto-américaine.

* 97 Israël s'inquiétait des liens politiques entre les Frères Musulmans et le Hamas à Gaza.

* 98 Deux pays seulement peuvent commander de l'armement aux États-Unis sans passer par l'approbation du Congrès : Israël et l'Égypte.

* 99 L'Arabie Saoudite est le principal client de l'industrie de défense américaine. Le 29 décembre 2011, le Royaume a signé avec les États-Unis un important contrat de vente de 84 chasseurs-bombardiers F-15 (dans une version disposant des équipements et armement les plus avancés) et de modernisation de 70 F-15 S acquis précédemment pour un montant de 29,4 milliards de dollars. Les contrats d'équipements militaires américains pourraient s'élever à 60 milliards de dollars au cours des quinze à vingt prochaines années. Le Qatar est aussi un client important (En novembre 2012, le Qatar a commandé des systèmes de défense anti-missiles pour un montant de près de 6,5 milliards de dollars ) .

* 100 Les États-Unis redoutent d'être impliqués contre leur gré dans une intervention aérienne israélienne contre l'Iran.

* 101 Article du sénateur républicain Rand Paul dans le Wall Street Journal du 19 juin 2014.

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