II. UN LEADERSHIP ASSUMÉ PAR UN INTERVENTIONNISME LIMITÉ
Face aux crises, la prudence à toute épreuve affichée par le Président Obama a conduit à définir un nouveau type d'engagement reposant sur une utilisation ordonnée et articulée des moyens diplomatiques et militaires. Cette « doctrine Obama » tranche avec la doctrine républicaine « peace through strength » mise en oeuvre par le Président George W. Bush lors de son premier mandat . Cette doctrine se déploie dans la gestion des différentes crises et apparaît plus clairement à la lecture du discours prononcé à West Point, le 28 mai dernier.
A. INFLUENCE ET COERCITION : L'UTILISATION DE « TOUS » LES OUTILS DE LA PUISSANCE
Dans la préface du « New Strategic Guidance for the Department of Defense » de janvier 2012, le Président Obama indique de façon claire qu'il entend utiliser tous les outils d'influence et non les seuls outils de coercition : « Relever ces défis ne peut-être le travail de nos seuls militaires, c'est pourquoi nous avons renforcé tous les outils de la puissance américaine, y compris la diplomatie et l'aide au développement, le renseignement et la sécurité intérieure. »
Cette exigence est reprise dans le discours de West Point, dont il est significatif qu'il ait été prononcé devant les jeunes diplômés de l'Académie militaire. « Une intervention militaire américaine ne peut pas être la seule - ni même la principale - composante de notre leadership en toutes circonstances. Détenir le meilleur marteau ne signifie pas que chaque problème est un clou. Et parce que les coûts de toute action militaire sont si élevés, vous devez exiger de tout dirigeant civil - et en particulier de votre commandant-en-chef - qu'il indique clairement la manière dont ce pouvoir extraordinaire sera utilisé ». Et en conclusion, s'adressant directement aux jeunes officiers : « dans le cours de votre service, vous travaillerez en équipe avec des diplomates et des experts en développement. Vous apprendrez à connaître des alliés et à entraîner des partenaires. Et vous incarnerez ce que signifie pour l'Amérique de conduire le monde » .
1. L'outil militaire s'impose face aux agressions et menaces directes
Le Président rappelle que « Les États-Unis feront usage de la force militaire, unilatéralement lorsque cela s'impose, quand nos intérêts cruciaux l'exigent ».
Il précise :
- « lorsque notre peuple est menacé,
- lorsque nos moyens d'existence sont en jeu,
- lorsque la sécurité de nos alliés est en danger. ».
On retrouve peu ou prou les deux premières priorités exposées dans la préface du « New Strategic Guidance for the Department of Defense » de janvier 2012, la sécurité de la Nation, de ses alliés et de ses partenaires, d'une part, et la prospérité qui découle d'un système économique international ouvert et libre, d'autre part. On peut penser à la liberté de circulation dans les espaces communs et à la sécurité des approvisionnements.
« Dans ces circonstances, nous nous poserons toujours les mêmes questions difficiles pour savoir si nos actions sont bien proportionnées, efficaces et justes ». Même dans ces circonstances, le Président insère une clause de proportionnalité des moyens mis en oeuvre, d'efficacité et d'adaptation. Le commandant en chef doit veiller à un usage responsable des moyens militaires. On retrouve l'inspiration d'Eisenhower (voir supra p. 40) et l'idée d'une responsabilité morale et devant le peuple en cas d'emploi de la force.
Pour autant, les États-Unis, comme toute puissance souveraine, gardent une complète autonomie de décision lorsque leurs intérêts cruciaux sont en jeu. « L'opinion internationale compte, mais l'Amérique ne doit jamais demander la permission de protéger notre peuple, notre patrie ou notre mode de vie . ».
2. Un outil ultime après épuisement des autres modalités en cas de menaces indirectes
La distinction est faite entre ce qui exige l'emploi de la force de façon unilatérale quasi automatique et ce qui nécessite appréciation, prudence et graduation 38 ( * ) .
« Lorsque des problèmes à l'échelle mondiale ne constituent pas une menace directe pour les États-Unis (...) la barre pour une intervention militaire doit alors être placée plus haut. Dans de telles circonstances, nous ne devons pas agir seuls . Nous devons plutôt mobiliser nos alliés et partenaires pour entreprendre une action collective. Nous devons élargir la gamme de nos outils pour y inclure la diplomatie et le développement ; les sanctions et l'isolement ; les appels au droit international ; et, si elle se révèle juste, nécessaire et efficace, l'action militaire multilatérale . »
La voie diplomatique doit être épuisée avant d'envisager une action de force. Cette tendance explique le recentrage américain en Syrie d'abord sur le démantèlement de l'arsenal chimique et la transition politique, puis désormais sur les enjeux sécuritaires (terrorisme) après l'impasse de Genève II. À l'égard du programme nucléaire militaire de l'Iran, l'administration a profité des gestes d'ouverture iraniens pour relancer les discussions entre les EU3+3 39 ( * ) et l'Iran, qui ont abouti à l'accord intérimaire, en éloignant l'option d'une frappe américaine. Face à la montée de tensions en mers de Chine, Washington tente de désamorcer toute escalade qui l'impliquerait par le jeu des alliances, et appelle à la résolution pacifique des différends. En Ukraine, l'administration s'emploie à diffuser un message de fermeté (sanctions, mesures de réassurance) en maintenant ouverte la porte au dialogue, bien que la perspective d'une désescalade semble de plus en plus compromise.
La stratégie du Président s'éloigne donc de la tradition républicaine mise en oeuvre sous la présidence de George W. Bush, privilégiant l'usage de la force.
* 38 La distinction entre les menaces imminentes qui requièrent une réponse unilatérale et celles pour lesquelles une réponse multilatérale est préférable avait été énoncée dans le livre publié en 2006 par le sénateur Barack Obama « L'audace d'espérer : une nouvelle conception de la politique américaine » , Presses de la Cité, (avril 2007).
* 39 EU3+3 ou 5+1, groupe des pays qui conduisent les négociations sur le programme nucléaire iranien : 3 Européens (Allemagne, France, Grande-Bretagne) + la Chine, les États-Unis et la Russie, ou les 5 membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies et l'Allemagne.