CONCLUSION
M. Jean Tkaczuk, président de la commission « recherche et enseignement supérieur » du conseil régional de Midi-Pyrénées
Il me semble que la réforme va poser des problèmes. Si Midi-Pyrénées fusionne avec Languedoc-Roussillon, il va falloir largement discuter des procédures.
J'ai bien compris que les moyens sont limités. Je répète qu'il est extrêmement difficile de faire des propositions innovantes dans ces conditions. De ce point de vue, la question de l'interdisciplinarité me semble un élément extrêmement critique, qu'il faut pouvoir faire avancer.
La question de l'évaluation des pratiques me semble importante. Un endroit propre à la restitution serait nécessaire. Il n'en existe pas en Midi-Pyrénées, qui ne pratique pas non plus d'appels d'offre pluriannuels, contrairement à ce qui se passe ailleurs. Il faut progresser sur ce plan.
Enfin, ce qui relève de l'éducation nationale ne dépend pas directement des politiques liées aux collectivités territoriales - mais je partage ce point de vue, ainsi que je l'ai exprimé tout à l'heure.
M. François Bouvier, président d'honneur de l'Association française des petits débrouillards
La fusion des régions ne pose aucun problème aux associations, déjà largement nationales et interrégionales. En revanche, les financements étant différents d'une région à l'autre, ceci peut poser problème.
Le sujet important est celui du redéploiement. Il s'agit de trouver des moyens nouveaux ou de redéployer les moyens existants. Cela soulève la question de grands centres comme Universcience, qui pèsent très lourd.
Le crédit d'impôt recherche (CIR) peut être certainement mieux géré, mais nous voudrions que l'on dégage plus de moyens pour l'action des associations sur le terrain, celle-ci ayant un effet de surface. C'est un point sur lequel je souhaite insister.
Vous avez évoqué le problème de l'éducation nationale ; elle constitue une forteresse en la matière et les associations sont tenues à l'écart. Faut-il pour autant qu'elles se substituent aux manques de l'éducation nationale ? C'est un autre problème. Nous voudrions être davantage impliqués dans la formation initiale des maîtres.
Plus généralement, cela pose la question du partenariat avec la science, la culture et la société. Je pense que les associations le souhaitent. C'est ce que nous cherchons à réaliser sur le terrain. Nous y travaillons, mais les obstacles sont nombreux, en particulier dans les grandes universités.
Enfin, vous avez mentionné le climat : je rappelle que l'Association française des petits débrouillards (AFPD) est à la tête d'un réseau de réflexion sur le climat, dont Ghislaine Hierso pourrait vous parler, à travers les conférences Jacques Weber.
M. Hervé Prévost, référent du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (CNAJEP)
Nous contribuerons plus tard aux questions générales sur la réforme territoriale.
La COP 21 me permet de souligner l'importance du lien entre les questions scientifiques et techniques, d'une part, et l'éducation à l'environnement et au développement durable, d'autre part. Ce domaine est extrêmement mobilisé, avec un maillage très intéressant entre ces deux dimensions.
Des animateurs et des éducateurs pourraient être formés dans les ÉSPÉ. L'intervention des associations dans le cursus des formations, comme on a pu le faire au temps des écoles normales ou des premiers instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), est complètement passée aux oubliettes. Je pense que c'est cependant là qu'il faut intervenir.
Par ailleurs, je ne regrette pas que les projets liés à la pratique scientifique et aux observations soient mis en place dans le cadre périscolaire, au contraire. Je pense que la réforme offre une vraie complémentarité à l'enseignement général, avec moins d'enfants et plus de temps consacré à la pratique.
Enfin, la question des moyens m'a quelque peu piqué au vif : nous avons bien conscience qu'il en existe de moins en moins. Cependant, jouer les alarmistes n'est pas une position facile, ni confortable. On nous conseille d'être imaginatifs, créatifs, et de développer des actions avec moins d'argent : nous le faisons depuis des dizaines d'années. Certains projets sont réalisés grâce aux militants et au bénévolat, avec des « bouts de ficelle ». Pour pouvoir continuer à coordonner et assurer le développement de ces actions et former les personnes, on a besoin de moyens. Les technologies de l'information sont un outil fantastique pour le partage de la culture scientifique et sa démocratisation, mais on ne peut agir sans moyen supplémentaires. J'entends bien ce que vous dites, mais nous continuerons à en demander. Dans le cas contraire, ce n'est pas la peine d'affirmer que ce champ est une priorité !
M. Didier Moreau, directeur de l'Espace Mendès-France
Je tiens à remercier Marie-Christine Blandin, avec qui nous nous croisons depuis une quinzaine d'années, parfois même à l'étranger.
Cette conversation est très franco-française. En Amérique du Nord francophone, les personnes se sont mises en ordre de marche depuis déjà longtemps. Je travaille avec les Québécois et les habitants de la Louisiane sur le développement du français par les sciences et des sciences par le français. En France, j'ai l'impression que l'on fait du sur-place. Des réunions comme celle-ci, on en a eu un certain nombre depuis quelques années, avec de belles interventions. À chaque fois que de nouveaux élus arrivent, comme en 2012, ils nous disent systématiquement : « Vous êtes si nombreux ! ».
Il faut se référer au réseau de la culture scientifique issu de cette belle perspective culturelle et scientifique « science et culture », de Jack Lang et Hubert Curien, et que nous modifions nos façons de faire. Il y a là un peu d'inculture et d'immaturité. Nous sommes très bons sur nos terrains, face à nos publics mais, sur le plan national, nous sommes comme les tribus gauloises face à l'armée romaine : nous n'arrivons pas à nous entendre !
Je l'ai dit aux inspecteurs de l'éducation nationale qui ont réalisé l'audit 2007-2008, qui a permis de labelliser ou de retirer le label à certaines associations. Le canal historique des acteurs de la culture doit d'abord balayer devant sa porte, et permettre aux nouveaux arrivants de trouver leur place.
Le coeur du problème réside dans l'éducation. Le directeur de l'ÉSPÉ de Poitou-Charentes, président de l'Espace Mendès-France, a fait figurer parmi les trois points structurants des quatre prochaines années les termes de « culture scientifique ». À la rentrée de septembre prochain, j'aurai une centaine d'étudiants à disposition pour des postes d'animation et de coordination de projets. Ils seront en situation pendant un an, un jour par semaine. Ce que nous faisons dans une petite région démographique, pourquoi ne pas l'étendre ? Il s'agit d'une volonté politique, qui s'exerce dans le cadre d'une convention-cadre très fournie que l'on a avec le rectorat.
Il faut réinventer des partenariats entre les institutions et la partie qui relève d'une pratique, où les expériences existent. Il faut les déployer nationalement.
Enfin, il faut en finir avec la vision franco-française et s'ouvrir à d'autres regards.
M. Bernard Alaux, directeur de Cap Sciences
Les idéologies et les corporatismes tuent souvent le factuel. Je trouve que l'on manque d'observatoires permettant de définir notre réalité, notre poids, nos métiers. Je l'avais demandé à une certaine époque, mais cela n'existe toujours pas.
Sur 100 euros attribués à la culture, seuls 2 euros vont à la culture scientifique et technique. Cela s'est peut-être un peu amélioré, mais guère suffisamment !
On procède avec des « bouts de ficelle ». Notre force vient de l'interactivité humaine. Quand des régions financent des post-doctorants, nous leur demandons en retour d'aller raconter leur histoire dans leur collège ou leur lycée d'origine. Il se produit alors un phénomène d'identification. Les élèves tutoient ces post-doctorants, qui leur parlent bien mieux de leur métier que ne pourrait le faire l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP). Cela ne coûte rien, si ce n'est des frais de déplacement ! C'est la même chose avec les ÉSPÉ. On instille en outre la culture scientifique très tôt chez de futurs décideurs, car ce sont les étudiants qui vont constituer la société de demain.
L'Aquitaine s'est battue pour introduire un pourcentage de CSTI dans tous les projets de recherche. Chaque projet du comité consultatif régional pour la recherche et le développement technologique (CCRDT) doit comporter la mention de la valorisation de ces recherches auprès du citoyen. C'est important pour en souligner le sens.
À Nantes, on a réussi à obtenir 200 m 2 dans une école rénovée dans le cadre des politiques publiques, et 100 m 2 dans une autre. On essaye d'y repositionner l'école comme l'épicentre d'une dynamique de quartier et de territoire. Cela redonne de la fierté aux habitants, aux enseignants, et crée des centres de ressources. Certains lycées aquitains dédient désormais 200 m 2 à la culture, dont les trois quarts sont consacrés à la culture scientifique. Nous cherchons à élargir l'opération à d'autres établissements.
Nous ne pouvons faire de la formation, mais nous intervenons dans le domaine de la culture. Nous donnons du plaisir et du sens, et c'est là un rôle intéressant.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
Merci.
Je laisse à M. Leleux le mot de la fin. Nous avons échangé autour de votre rapport.
M. Jean-Pierre Leleux, sénateur des Alpes-Maritimes, co-rapporteur du rapport Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)
Tout ce qui s'est dit démontre que l'ensemble des acteurs de ce domaine sont aussi des militants, engagés dans le partage de la culture scientifique. J'ai retrouvé ici une synthèse des multiples auditions que nous avons réalisées.
Nous ressentons tous les difficultés et sommes dans l'attente de l'optimisation de la gouvernance et de crédits. Je voudrais souligner le merveilleux mouvement brownien des acteurs de la culture scientifique. J'ai cité Universcience comme pôle de référence, mais je ne méconnais pas pour autant l'importance du Muséum national d'histoire naturelle.
Les CCSTI sont des relais extrêmement importants dans les territoires ; sans vouloir vexer personne, il s'agit une nébuleuse particulièrement active, faisant appel à la fois à des professionnels et à des bénévoles du monde associatif de l'éducation populaire, qui jouent un rôle, selon moi, très important. Je suis heureux d'avoir pu entendre une grande partie de ces acteurs issus des collectivités et des universités régionales faire le point sur ces sujets. C'est un merveilleux réseau, typiquement français, qu'il ne faut surtout pas altérer.
Vous avez raison, madame la présidente : il sera difficile d'accroître les crédits publics, que ce soit pour l'État ou pour les collectivités locales. C'est une question de répartition. Il faut progressivement prendre en compte la capillarité des actions de développement et de partage des CSTI.
Un point m'interpelle cependant quelque peu. En France, on rejette volontiers l'argent privé ; toutefois, le mécénat se développe fortement dans les structures artistiques. Il y a là un filon à développer. Je sais que vous le faites déjà, mais cela demeure très faible par rapport à certains pays. Aux États-Unis, notamment, de très grands musées sont totalement financés par de l'argent privé, sans qu'il existe pour autant de contreparties douteuses entre donateurs et bénéficiaires. Une telle approche mériterait peut-être d'être explorée.
En conclusion, je voudrais vous remercier pour les témoignages que vous avez pu apporter sur ce rapport, qui ont été, pour Maud Olivier et moi-même, une source de travail, mais aussi de joie. Ceci nous a permis d'approcher des problématiques que nous n'avions peut-être pas pu aborder par le passé.
Pour éviter que ces 81 recommandations ne s'endorment dans un tiroir, nous allons saisir officiellement tous les partenaires potentiellement concernés, de manière à avoir une réponse et que les choses ne restent pas lettre morte.
Peut-être cela permettra-t-il de faire avancer ces sujets, facteurs de cohésion sociale. L'un de vous a évoqué la qualité et la crédibilité d'un certain nombre d'informations qui, au travers des réseaux numériques, peuvent avoir des effets néfastes : raison de plus pour accentuer l'éducation populaire, afin d'aiguiser suffisamment l'esprit critique et combattre les contrevérités !
Merci, madame la présidente, d'avoir organisé cette table ronde.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
Je pense que les différentes contributions pourront être enrichies. Ce sera là un support intéressant à diffuser, afin d'irriguer les lieux où se prennent les décisions.