I. II. COMMENT RENFORCER NOS FORCES SPÉCIALES ?
A. LE RENFORCEMENT DES EFFECTIFS SERA DIFFICILE À RÉALISER
1. Le plan envisagé ...
a) Les axes de renforcement
101. Le premier axe de renforcement sera l'augmentation des moyens de commandement afin d'améliorer la capacité à anticiper, planifier et conduire les opérations spéciales. Cette augmentation restera raisonnée et limitée afin de préserver la souplesse et la réactivité de l'outil. Néanmoins, dans un monde globalisé avec des menaces transnationales, évolutives et des intérêts français disséminés, la capacité d'anticipation et de planification sont l'assurance de la réactivité requise par les autorités politiques. Elles sont le gage de l'effet de surprise tactique qui doit combler le déficit du rapport de forces. Par ailleurs, la globalisation des menaces implique le renforcement des relations avec nos alliés et partenaires.
102. Le deuxième axe de renforcement consistera à améliorer et fiabiliser les capacités déjà détenues afin de mieux répondre aux contrats opérationnels. Cela suppose un suivi particulier des moyens humains et matériels pour garantir l'effet recherché au moment voulu. Cela suppose également une recherche constante de la performance dans la gestion du personnel spécialisé, les études prospectives sur les équipements et sur la maintenance.
103. Le troisième axe de renforcement portera sur l'enrichissement, capacité à s'adapter, à partir d'une ressource comptée, aux menaces nouvelles et de tenir dans la durée. Il s'agit d'élargir les ressources dans des secteurs bien identifiés pour disposer de savoir-faire pouvant s'adapter rapidement aux modes d'action des forces spéciales. Cet élargissement doit être en partie obtenu par une rationalisation d'emploi des moyens existants.
b) Les contributions des différentes armées
104. La contribution de l'armée de terre devrait être particulièrement significative, puisqu'il s'agirait d'un effort évalué, au maximum, entre 400 et 500 personnels supplémentaires. Il s'agirait tout d'abord d'un renforcement des unités qui sont dans le coeur de métier de la BFST, à concurrence d'environ 175 personnels. Puis d'une extension des capacités d'aérocombat, avec l'affectation d'environ 170 personnels supplémentaires, et surtout d'hélicoptères de manoeuvre Caracal et Cougar, deux hélicoptères de combat Tigre, ainsi que l'unité de maintenance dédiée. Enfin, la BFST devrait recevoir un groupement d'appui aux opérations spéciales à hauteur de 150 personnels. Il ne devrait pas s'agir d'une unité en tant que telle, mais d'opérateurs dans différentes spécialités, « marqués à l'oreille » et capables d'être appelés de façon inconditionnelle par les forces spéciales, en tant que de besoin.
105. La contribution de l'armée de l'air devrait s'organiser autour de quatre principes :
- La mutualisation : la désignation de certaines unités conventionnelles pour s'entraîner et opérer avec les forces spéciales et constituer une sorte de deuxième cercle de « référents » ; La référence permet d'établir un lien privilégié. Elle ne doit pas se traduire par une exclusion des autres unités conventionnelles pour le travail avec les forces spéciales. Le but étant de renforcer la complémentarité dans tout ce qui caractérise les FS (réactivité, frappe discrète, dans la profondeur, limitée et soudaine, etc.) ;
- L'intégration de ces unités au juste niveau dans les opérations spéciales, selon les effets à produire ;
- L 'interopérabilité des procédures et des matériels entre forces conventionnelles et forces spéciales ;
- La cohérence . De ce point de vue, la question qui préoccupe est le lieu de regroupement de l'escadron d'hélicoptères 1/67 Pyrénées actuellement stationné à Cazaux, avec le 4 ème RHFS de Pau.
106. La contribution de la marine (qui avait déjà fait l'effort de créer le commando Kieffer en 2008) devrait se limiter au renforcement du vivier des commandos marine et à la modernisation des équipements qu'ils utilisent, en particulier le moyen rapide ECUME (embarcation rapide et projetable) et les propulseurs sous-marins de troisième génération (PSM 3G), ainsi que les dry dock shelters (DDS) permettant la mise en oeuvre de moyens spéciaux à partir de sous-marins Barracuda. Notons que la marine profite de la réforme actuelle du soutien (séparation soutien commun et soutiens spécifiques) et intègre la Basefusco aux forces spéciales.
c) Les conditions du succès
107. Afin que ce renforcement réussisse, il convient tout d'abord d'obtenir la pleine adhésion des armées , ce qui ne peut être considéré comme acquis dans un contexte de déflation des effectifs et de contrainte budgétaire plus marquée que jamais.
108. Cela suppose aussi un investissement fort dans les états-majors d'armée. De ce point de vue, un investissement humain plus significatif de l'armée de l'air afin de concevoir d'emblée les opérations spéciales en trois dimensions est souhaitable. Il semblerait que l'état-major de l'armée de l'air se dote de deux officiers chargés spécifiquement du suivi des forces spéciales, l'un au sein du bureau emploi et l'autre pour les équipements.
109. Cela suppose également qu'une dynamique de mutualisation soit enclenchée afin de créer des partenariats et non des doublons sur des « niches capacitaires », telles que la guerre électronique, la cynophilie, le NRBC, l'appui au déploiement, le génie etc...
110. Il faut également accroître l'interopérabilité sur les procédures et les équipements.
111. Enfin, il faudra fortifier les unités de forces spéciales proprement dites, qui sont au coeur du métier. De ce point de vue, il faudra non seulement combler les écarts entre les effectifs théoriques et les effectifs réels mais accroître la quantité sans sacrifier à la qualité .
2. sera difficile à réaliser...
a) L'accroissement de + 1000 sera difficile à réaliser
112. Pour la quasi-totalité des chefs militaires auditionnés, le renforcement des effectifs ne sera pas de l'ordre d'un millier, mais dans le meilleur des cas de sept cents opérateurs sur la durée totale de la programmation. Le chiffre de COS + 1 000, contenu dans la programmation, reflète donc davantage une ambition qu'un objectif programmé et financé. Les chiffres ci-dessous donnent des ordres de grandeur de ce que pourrait être le plan de renforcement. Ils n'ont pas fait l'objet d'un arbitrage définitif.
113. Ce décalage interpelle. D'une part car il remet en cause la portée du Livre blanc et de la Loi de programmation militaire. D'autre part, car il affaiblit la valeur de la parole politique. On peut comprendre la volonté des chefs militaires de ne pas sacrifier la quantité à la qualité, et les difficultés dans lesquelles ils se trouvent de choisir quelles unités conventionnelles supprimer pour renforcer les forces spéciales. Mais une fois la feuille de route tracée, il serait choquant de ne pas la suivre, sauf à remettre en cause la valeur de l'exercice. Comment s'y prendre pour le combler ? La solution pragmatique qui vient immédiatement à l'esprit serait de transférer une partie des forces du service action de la DGSE vers le COS. Est-ce envisageable ?
3. à moins que l'Etat ne s'interroge sur le format des forces clandestines ...
114. La direction des opérations de la DGSE compte environ un millier d'opérateurs, dont plus de sept cents pour le seul « service action » (SA) sur un total de l'ordre de cinq mille agents. Ces forces disposent de leur propre unité aérienne, le groupe aérien mixte 56 (GAM 56), ainsi que de leurs propres centres d'entraînement pour les forces terrestres et de leur propre groupe de nageurs de combat, le commando Quélern. Quasiment tous les membres du service action sont des militaires de carrière.
115. Les investigations sur la DGSE étant de la compétence des membres de la délégation parlementaire pour le renseignement, vos rapporteurs n'ont pas souhaité approfondir leurs recherches sur le nombre et la nature des missions affectées par les forces clandestines. L'auraient-ils voulu qu'ils ne l'auraient pas pu. Mais il ne fait aucun doute pour personne que certaines opérations clandestines sont en réalité des « opérations spéciales » et gagneraient à être effectuées par des forces spéciales.
116. Certes les arguments plaidant en faveur du maintien du statu quo ne manquent pas de poids et méritent d'être pris en compte . En particulier, le fait que la clandestinité ne s'improvise pas mais se construit sur de longues années, voire sur une vie entière. Par ailleurs, il est sans doute préférable que les forces clandestines puissent bénéficier de leurs propres équipements. Le COS et le SA ont leurs propres moyens et c'est une bonne chose, à condition toutefois qu'ils ne conduisent pas le même type d'opérations.
117. Néanmoins, dans un contexte de disette budgétaire, l'Etat ne peut se payer le luxe de dupliquer ses moyens et a le devoir de se poser ces questions, d'autant que les arguments en faveur d'une évolution ont également un certain poids :
118. Premièrement, le recrutement et la formation des forces spéciales et des forces clandestines sont similaires, de même que les équipements et les entraînements ; au demeurant, certains équipements destinés à l'action clandestine signent l'identité de notre pays ; certaines missions sont identiques : quelles différences entre un sous-marin qui transporte des nageurs de combat de la DGSE et un sous-marin qui transporte des commandos Hubert ? Seul le caractère revendicable ou non de l'opération trace une claire ligne de partage. Mais pour qu'il n'y ait pas de lien, encore faut-il que les opérateurs clandestins ne puissent en aucune façon être rattachés à l'Etat commanditaire.
119. Deuxièmement, le fait de confier à des militaires des opérations clandestines suppose qu'ils n'échouent jamais. En effet, lors d'une opération ratée, le fait que les personnes compromises soient d'anciens militaires français signe de façon irréfragable l'identité du commanditaire. L'inverse n'est pas vrai : l'utilisation de forces spéciales à des fins d'action dans un pays étranger ne compromet pas les actions de la DGSE dans des missions d'action militaire qui ne sont pas leur vocation et qui, en cas d'échec, nuirait à leurs activités de renseignement et d'action clandestine.
120. Enfin et surtout, l'irruption du biometrics , c'est-à-dire la prise des empreintes biométriques, l'iris de l'oeil, les doigts de la main, demain les gênes, vont changer complètement l'idée même de clandestinité. Ce changement de paradigme se fera d'autant plus vite que la vitesse de circulation de l'information, la traçabilité des données et la vidéosurveillance augmentent et que le biometrics , déjà systématique dans les pays anglo-saxons, se généralise à l'échelle mondiale. L'exploitation de ces références dans des metabases de données interconnectées au moyen de moteurs de recherche ultra puissants ( big data ) fait que tous ceux qui auront été enregistrés une fois ne pourront plus changer d'identité.
121. Dans ces conditions, vos rapporteurs plaident pour que le pouvoir exécutif, dans l'intérêt même de l'Etat et celui de ses agents, mène, si possible du même pas, que la réforme des forces spéciales, une réflexion sur les forces clandestines et tranche une bonne fois pour toutes la question récurrente et lancinante des moyens à réserver à celles-ci.
122. Il ne s'agit en aucune façon de remettre en cause la nécessité pour notre pays de disposer de forces capables de mener des opérations clandestines. Tout au contraire, il s'agit de repenser à froid l'action clandestine compte tenu de l'évolution des technologies et de prendre en compte une éventuelle « civilianisation » des effectifs. La question de la protection juridique des agents doit également être traitée afin d'éviter, comme ce fut le cas en Italie, la mise en examen de hauts responsables pour participation à des opérations illégales.
123. L'action spéciale de demain combinera à la fois des opérations clandestines et des opérations spéciales. Ce fut le cas par exemple de Neptune's spear où l'opération de vive force menée par les Seals est une opération spéciale, mais fut précédée par des opérations clandestines. Il faut donc être capable d'articuler les deux types d'actions de façon fluide et harmonieuse, comme cela semble s'être réalisé de façon progressive dans la TF SABRE.
4. et utilise davantage et mieux les forces conventionnelles
124. Comme leur nom l'indique, les forces « spéciales » doivent être réservées à des opérations « spéciales », c'est-à-dire stratégiques et non pas à des opérations commando, aussi importantes soient elles, mais à vocation tactique.
125. Un recours plus fréquent aux forces conventionnelles dans des missions difficiles et militairement gratifiantes permettrait non seulement de préserver le potentiel de nos forces spéciales mais aussi de conjurer les jalousies et les arrière-pensées qui nuisent à la cohésion de nos armées.
126. L'utilisation accrue des forces conventionnelles est une question relevant du commandement des armées et doit être réglée à ce niveau.
127. Par ailleurs, il est indispensable de s'assurer que la manoeuvre des forces spéciales soit toujours pensée en y intégrant les moyens aériens, comme cela s'est fait au Mali. En effet, la manoeuvre des opérations spéciales est bien plus efficace si, au lieu d'appeler les forces aériennes en renfort en tant que de besoin, elle est conçue dès l'origine de manière imbriquée. Le fait par exemple d'avoir des chasseurs en l'air à proximité des zones d'opération, même s'ils n'interviennent pas in fine, donne une sécurité bien plus grande que s'il faut les appeler à la rescousse dans le cas où les forces spéciales à terre seraient submergées. La clef du succès est que les opérateurs travaillent ensemble et pour cela que les décideurs le veuillent.