VI. DÉBAT
M. Stephan Beaucher, consultant, coalition Océan 2012
Ma première question s'adresse au collège scientifique. M. Bernhard Friess nous a présenté l'évolution du pourcentage de stocks d'après le RMD sur une période de dix ans. Toutefois, nous avons, en Europe, un déficit de données scientifiques , avec des stocks pauvres en données (« data poor »). Sur ceux-ci, pensez-vous que nous parviendrions au taux de 61 % de stocks au RMD, évoqué par M. Bernhard Friess ?
Ma seconde question est plus politique. Elle s'adresse à M. Bernhard Friess. Mme Claire Nouvian mentionnait que la pêche profonde était traitée dans un règlement particulier. C'est le cas aussi de la pêche en Méditerranée, dont le règlement est en totale contradiction avec la nouvelle PCP. Depuis quelques jours, on entend dire depuis Bruxelles que ce règlement Méditerranée ne serait pas réécrit. Qu'en est-il ?
M. Bernhard Friess, directeur pour l'Atlantique, les régions ultrapériphériques et l'Arctique, direction générale des affaires maritimes et de la pêche, Commission européenne
Deux évolutions sont observées : une augmentation des stocks pêchés en fonction du RMD et une augmentation des stocks pour lesquels nous possédons des données. Beaucoup d'incertitudes demeurent, notamment dans le domaine de la pêche profonde, mais la tendance est positive. Le taux de stocks sur lesquels il existe suffisamment de données pour pouvoir les situer par rapport à l'objectif du RMD, s'élève à un peu plus de 80 % en 2013.
Le Parlement européen et le Conseil viennent d'augmenter le montant des fonds alloués à la collecte de données. L'Union européenne paiera à l'avenir une partie plus grande de ces coûts par rapport aux États membres. J'espère que nous pourrons, à l'avenir, donner des bases encore plus solides aux scientifiques pour l'élaboration de leurs avis.
Le règlement Méditerranée demeure en vigueur. Il n'y a aucune intention de le réécrire . Le défi est d'adapter la gestion des stocks de mer Méditerranée aux objectifs de la réforme de la PCP. Des difficultés particulières de mise en oeuvre de l'interdiction des rejets existent car la gestion de la pêche est différente en Méditerranée, sans les TAC et les quotas. La méthode, pour y parvenir, doit être la même que pour la réforme de la PCP, à savoir la concertation avec les États membres et les parties prenantes, de façon pragmatique. C'est un défi de mise en oeuvre. Il s'agit de trouver des solutions qui puissent être mises en place sur le terrain.
M. Didier Gascuel, professeur, Agrocampus Ouest
Les données font défaut pour la moitié des stocks en Europe. Les stocks les plus importants ont été mis sous quotas et sont les mieux connus. Je ne pense pas que le panorama changerait radicalement si tous les stocks étaient intégrés. Néanmoins, il n'est pas admissible de ne pas disposer de données pour la moitié des stocks. C'est un bonne chose que des moyens soient mis en oeuvre pour y remédier.
Un travail important a été effectué par les groupes de travail scientifiques du CIEM pour mettre en place des avis scientifiques lorsque les données sont partielles. Ces avis sont susceptibles de se traduire par des recommandations de TAC et de quotas. Des règles du jeu ont été établies et validées pour permettre la fourniture d'un avis scientifique.
Certes, le pourcentage de stocks à un niveau de pression de pêche au RMD et le pourcentage de stocks évalués augmentent dans la zone Atlantique. Toutefois, il faut distinguer les objectifs en termes de captures et la reconstitution des biomasses. Une obligation de moyens est mise en oeuvre mais il faudra suivre des indicateurs de résultat.
L'amélioration de la situation concerne la zone Atlantique. Nous n'avons pas les mêmes indicateurs concernant la Méditerranée. Le pourcentage de stocks considérés comme surexploités y reste extrêmement élevé. L'absence de politique de TAC et de quotas en mer Méditerranée, à l'exception du thon rouge, n'y est pas pour rien. Ce n'est pas facile. Il n'existe pas d'espace partagé entre les pays de la Méditerranée, qui permette la mise en place d'une telle politique. La situation de ces stocks est très mauvaise.
Les quotas constituent un élément extrêmement important de la PCP. Ils le seront encore davantage puisque l'abondance des stocks devrait augmenter. Il faudra apprendre à ne pas pêcher beaucoup plus alors que davantage de poissons seront présents dans la mer. C'est un changement culturel qui nécessitera une volonté forte, y compris sur le plan politique, pour pouvoir dire : « Nous acceptons de ne pas pêcher tout ce que nous sommes capables de pêcher, parce que sinon nous retournerions dans l'ornière ».
Ce système des TAC et des quotas a montré son efficacité. Toutefois, je considère que ce système est extrêmement bureaucratique et totalement opaque au niveau européen. Je joue le jeu. On m'a confié cette responsabilité d'essayer de savoir si les quotas de pêche sont conformes à l'avis scientifique : répondre à cette question qui paraît simple est, en réalité, extrêmement compliqué parce que les évaluations se font pour des unités de stocks qui ne sont pas les mêmes que celles qui sont retenues finalement pour la fixation des TAC et des quotas et parce que les procédures sont très complexes. Ce système doit être rendu plus transparent, plus lisible afin de faire réellement l'objet d'un avis partagé par tous les acteurs du système.
Il est vrai que l'avis scientifique est scrupuleusement suivi par la Commission. Malheureusement, cet avis n'est pas toujours suivi par le Conseil des ministres européens . Des écarts existent. Ils se réduisent. Par exemple, pour la baudroie, cette année, l'avis scientifique était à 37 000 tonnes ; le TAC est de 40 000 tonnes. Pour la langoustine du Golfe de Gascogne, l'avis scientifique était à 3 200 tonnes ; le TAC est de 3 900 tonnes. Pour la sole du Golfe de Gascogne, l'avis scientifique était à 3 490 tonnes ; le TAC est de 3 800 tonnes. Ces écarts ne sont pas forcément choquants : il peut y avoir des raisons politiques, économiques, sociales de ne pas appliquer immédiatement l'avis scientifique. Toutefois, on ne peut pas nier qu'ils existent et que le système n'est pas transparent. Cela crée des difficultés dans le dialogue entre les professionnels, les scientifiques et l'administration.
Mme Cécile Bigot, directrice des pêches maritimes et de l'aquaculture au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Les différences de chiffres évoquées par M. Didier Gascuel, s'agissant de certains stocks, sont réelles. Pour la sole du Golfe de Gascogne, par exemple, cette situation résulte de la mise en oeuvre d'une des dispositions de la réforme de la PCP, qui prévoit un taux d'exploitation permettant l'atteinte du RMD en 2015, chaque fois que c'est possible et, au plus tard, en 2020. Les avis scientifiques ont été rendus sur la base d'une atteinte du RMD en 2015. Pour le stock du Golfe de Gascogne, la baisse du quota que cela aurait entraîné a été jugée par tous trop forte au regard des conséquences socio-économiques pour le secteur. Tous les acteurs ont considéré qu'il fallait pouvoir mettre en oeuvre la disposition prévue dans la réforme, c'est à dire se donner la possibilité d'atteindre le RMD après 2015, sans jamais dépasser 2020. D'après l'avis du CIEM, le TAC, fixé à 3 800 tonnes, permet d'atteindre le RMD entre ces deux dates.
Mme Claire Nouvian, directrice, Bloom Association
Puisque M. Bernhard Friess a salué l'existence d'un débat, fût-il controversé, en France, j'en profite pour évoquer l'augmentation des quotas relatifs aux espèces profondes .
Nous avons évoqué les stocks data poor , pour lesquels les données scientifiques sont insuffisantes. Dans le cas des espèces profondes, d'après l'évaluation du CIEM, sur 54 espèces, 21 espèces sont considérées épuisées ou en cours d'effondrement et 26 espèces ne font l'objet d'aucune donnée scientifique. Trois espèces, pêchées en France, sont considérées comme étant en assez bon état. Ces espèces ont été classées comme faisant l'objet de bonnes données scientifiques. Or, pour les espèces profondes, il n'existe pas de campagnes indépendantes d'évaluation des stocks. Les pêcheurs font part de leurs captures aux chercheurs. Les données de pêche ne peuvent pas donner une vision aussi fidèle de ce qui se passe dans les populations qu'une évaluation indépendante.
Le fait que ces espèces profondes ciblées par les navires français aient été classées comme faisant l'objet de bonnes données scientifiques a permis de ne pas appliquer le plafond de sécurité qui aurait dû permettre d'éviter une augmentation drastique des quotas d'espèces profondes. De fait, parmi les captures, il y a des espèces menacées d'extinction comme les requins profonds. Lorsque le quota français d'espèces profondes augmente de 70 %, les captures accessoires augmentent forcément.
M. Bernhard Friess, directeur pour l'Atlantique, les régions ultrapériphériques et l'Arctique, direction générale des affaires maritimes et de la pêche, Commission européenne
Pour la fixation des TAC et quotas en décembre 2013, nous avons décidé de poursuivre d'ores et déjà les objectifs de la réforme, c'est-à-dire l'atteinte du RMD en 2015. Nous y sommes largement parvenus pour les stocks pour lesquels le RMD est connu. Il y a eu quelques dérapages, quelques stocks pour lesquels nous n'y sommes pas parvenus. On peut les compter sur les doigts d'une main. Mme Cécile Bigot a expliqué la situation d'un stock emblématique pour la France. Vous connaissez la sensibilité politique à ce propos. Vous connaissez les règles du jeu : la décision politique est prise par le Conseil des ministres. Toutefois, pour la grande majorité des stocks, écologiquement et économiquement importants, l'objectif est bien le RMD en 2015. Cela signifie que cet élément clef de la réforme est presque déjà mis en place. Un travail de conviction et un travail scientifique restent à faire mais la situation est plutôt encourageante.
Mme Mathilde Facon, étudiante, AgroParisTech
Nous sommes des étudiants en troisième année à AgroParisTech, école d'Ingénieurs du Vivant. Nous sommes spécialisés dans l'ingénierie de l'environnement, des déchets et de l'aménagement. Nous aurions une question sur la réforme de la politique commune de la pêche.
M. Bernhard Friess et Mme Cécile Bigot ont évoqué les entreprises et les industries : cela comprend-il les industries agroalimentaires , qui ont des impératifs de qualité et peuvent avoir un impact sur les fournisseurs ? Sont-elles présentes dans le dialogue ?
La gestion spatio-temporelle, évoquée en première partie, est-elle prise en compte dans la réforme, par exemple dans des programmes scientifiques ?
Mme Cécile Bigot, directrice des pêches maritimes et de l'aquaculture au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Les industries agroalimentaires figurent au nombre de l'ensemble des parties prenantes en tant qu'appartenant à la filière. Elles sont concernées par ce qui est relatif à l'information du consommateur, à la traçabilité des produits et à la valorisation de certains produits. Les soutiens financiers pour les investissements dans les entreprises d'aval sont toutefois limités. Ils concernent les investissements permettant de réduire l'impact sur l'environnement et de traiter les rejets (mais les produits actuellement rejetés ne pourront pas être transformés pour l'alimentation humaine).
La gestion spatio-temporelle fait partie des outils de gestion des pêcheries et donc de l'arsenal qui peut être mobilisé. Sur l'élimination des rejets, nous avons beaucoup parlé de sélectivité des engins mais d'autres évolutions doivent être expérimentées. Des projets sont en cours avec l'IFREMER pour expérimenter d'autres modes de gestion de certaines pêcheries avec des mesures d'évitement, par exemple. Il s'agit d'éviter de capturer des espèces non désirées dans des zones ou à des moments où l'on sait que l'on risque de les trouver.