B. UN DIVORCE ENTRE LES ATTENTES ET LA RÉALITÉ DE LA JUSTICE AUX AFFAIRES FAMILIALES

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs n'ont pu que constater combien le jugement porté sur le fonctionnement de la justice aux affaires familiales était parfois sévère, en dépit, pourtant, des succès qu'elle rencontrait.

Ce jugement témoigne des attentes élevées placées dans la justice familiale. Parce qu'elle touche à l'intimité et à la vie privée des justiciables, parfois opposés dans un litige douloureux, on attendrait de cette justice qu'elle apaise le conflit, qu'elle suscite un accord entre les parties, qu'elle se retranche autant que nécessaire pour laisser toute sa place à cet accord, ou encore qu'elle trouve infailliblement la solution à laquelle les époux ou les parents ne sont pas parvenus et qui concilie équitablement leurs justes revendications.

Ces attentes, toutefois, semblent déçues, à la mesure de leur élévation, par les conditions pratiques dans lesquelles cette justice peut être rendue.

En premier lieu, domine le sentiment, parmi les personnes entendues, que, compte tenu de la limitation des moyens disponibles, la gestion efficace de la masse des contentieux se paie au prix d'une dégradation de la qualité de la réponse judiciaire apportée (1. et 2.).

L'évolution du périmètre de compétence et du fonctionnement de la « jaferie » ne paraît pas non plus avoir produit les effets attendus (3.).

Enfin la justice aux affaires familiales ne semblent pas toujours en mesure de faire prévaloir l'intérêt de l'enfant, pris au piège du conflit entre ses parents (4.).

1. Pour le justiciable : une organisation judiciaire qui manque de lisibilité et une justice à la fois trop lente ou trop expéditive

Du point de vue des justiciables, dont nombre de personnes entendues se sont fait l'écho -en particulier les représentants de l'union nationale des associations familiales (UNAF)-, trois reproches sont adressés à la justice aux affaires familiales : elle serait, selon les cas, trop lente ou trop expéditive, et manquerait parfois de clarté.

Soulignant la contradiction apparente entre les deux premiers reproches, Mme Anne Bérard, présidente de la chambre de la famille du tribunal de grande instance de Paris, a relevé que la justice familiale était ainsi soumise à des injonctions paradoxales de la part des justiciables qui souhaitent à la fois qu'elle prenne le temps de les entendre et recueillir leurs demandes ou leurs précisions, et qu'elle statue rapidement sur leur requête.

Ce paradoxe se résout toutefois si l'on observe que le temps supplémentaire dont les justiciables souhaiterait disposer est celui de l'audience, tandis que les délais qu'ils voudraient voir raccourcis sont ceux de la convocation devant le juge et du prononcé de la décision.

• Des délais excessifs ?

Si, comme on l'a vu précédemment, les délais moyens observés pour les divorces (11,3 mois) sont proches des délais moyens observés en matière civile (9,3 mois), l'examen plus précis de la durée des procédures devant le juge aux affaires familiales met en évidence leur très grande disparité suivants les procédures.

Ainsi, les délais variaient, en 2010, de 2,7 mois, en moyenne, pour les divorces par consentement mutuel, à 19,3 mois pour les autres types de divorces 16 ( * ) .

À l'exception de ces derniers types de contentieux, de celui de la séparation de corps (15,7 mois) et des requêtes relatives aux régimes matrimoniaux (9,8 mois), tous les autres contentieux familiaux connaissaient des délais moyens inférieurs à la durée moyenne des contentieux civils, hors activité commerciale (9,3 mois).

Le contentieux de l'autorité parentale (5,7 mois) comme celui des obligations alimentaires (5,5 mois) ou de l'après-divorce (6,5 mois) sont, avec le divorce par consentement mutuel, parmi les contentieux civils les plus rapidement traités par le juge 17 ( * ) . À titre de comparaison, une procédure en responsabilité civile dure en moyenne 12,9 mois, une affaire de successions 14,5 mois, un litige relatif à des biens, 8,5 mois, une action contractuelle 14 mois et une action en filiation, qui relève du TGI, 12,3 mois.

Pour autant, les justiciables ne semblent pas toujours tenir compte de cette célérité relative dans le traitement de certains contentieux familiaux, dans le jugement qu'ils portent sur l'institution 18 ( * ) . Plusieurs raisons peuvent l'expliquer.

En premier lieu, le contentieux familial est un contentieux de l'intime. Le litige ravive souvent un conflit plus ancien, s'il n'en est l'aboutissement. Les parties attendent du juge une décision qui leur permettra de poursuivre chacun leur histoire personnelle ou de résoudre une situation difficile où se mêlent liens de droit et liens affectifs. Leur impatience est légitime. Me Jean-Marie Ohnet, représentant du conseil supérieur du notariat, a souligné à cet égard l'incompréhension des justiciables devant le temps que réclament certaines procédures.

Aussi court que soit le délai de traitement de la requête, la perception de la lenteur ou de la célérité de la juridiction est par ailleurs susceptible de varier suivant le type de procédure. La réforme du divorce intervenue en 2004 a cherché à limiter autant que possible les étapes procédurales, pour raccourcir les délais, mais, même l'unique audience organisée dans le cas d'un divorce pour consentement mutuel peut sembler une formalité inutile à certains époux, d'accord sur tout. Mme Emmanuelle Wachenheim, chef du pôle « défense des enfants » auprès du Défenseur des droits, a pour sa part souligné la durée excessive des procédures relatives à la demande d'un droit de visite par un tiers, susceptible de s'étendre jusqu'à deux ans.

De la même manière, comme l'ont observé les représentant de l'UNAF, lorsque de la décision du juge dépend l'octroi d'une prestation, comme en matière d'allocation familiale de soutien, ou celle de subsides pour l'entretien des enfants, comme en matière d'obligation alimentaire, l'urgence de la situation impose une réponse judiciaire suffisamment rapide. Comme la représentante du Défenseur des droits l'a noté, le temps joue en défaveur du parent lésé.

Enfin, au sein d'une même procédure, dont les parties sont conscients qu'elle sera longue, les délais d'intervention de certains actes peuvent donner le sentiment que la justice est trop lente. Ainsi, comme l'ont souligné les représentants de la conférence des premiers présidents de cour d'appel, trop de temps s'écoule parfois entre le dépôt de la requête en divorce et la convocation des parties pour la première audience. De la même manière, le règlement des conséquences pécuniaires du divorce se prolonge parfois bien au-delà du prononcé du divorce avant que le juge en soit une nouvelle fois saisi.

Même si, en dehors du cas des procédures de divorce contentieux, les délais observés en matière familiale sont satisfaisants, l'appréciation défavorable portée par les justiciables témoigne de la sensibilité de ce contentieux spécifique. Celle-ci justifie de poursuivre les efforts pour raccourcir encore le délai de certaines des procédures les plus urgentes.

• Des audiences trop expéditives, des magistrats pas assez à l'écoute des justiciables

L'audience devant le juge concentre les critiques des justiciables quant à la précipitation de la justice aux affaires familiales. Plusieurs fois au cours des auditions, l'image a été évoquée « d'une justice d'abattage », qui tranche dans le vif de litiges intimes, sans prendre le temps d'entendre l'histoire du couple.

Rappelant que le temps moyen des audiences en matière de divorce était de onze minutes, les représentantes du syndicat des greffiers de France, ont ainsi fait valoir que cette brièveté était à l'origine d'une grande frustration des justiciables, qui avaient le sentiment d'avoir été entendu par le juge sans qu'il ait pris le temps de les écouter.

À cet égard, le premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, a estimé que ce peu de temps que le magistrat peut consacrer à leur affaire nuit à l'image du juge aux affaires familiales auprès des justiciables.

Une étude récente du ministère de la justice confirme ces impressions . En effet, alors qu'en moyenne, tous contentieux confondus, les justiciables sont très majoritairement satisfaits des personnels rencontrés au tribunal, les niveaux de satisfaction exprimés sont inférieurs pour ce qui concerne la justice aux affaires familiales : « les personnes ayant eu affaire à la justice dans le cadre d'un divorce sont plus souvent peu satisfaites : un quart d'entre elles estiment que le juge n'a pas fait preuve d'humanité ni d'écoute, et une sur cinq considère que le juge n'a été ni équitable ni compétent » 19 ( * ) . Le taux général de satisfaction de la décision rendue est certes élevé en valeur absolue en matière de divorce (72 %), mais, dans un contexte d'appréciations plutôt très positives de la justice, il est en retrait par rapport au taux moyen observé en matière civil, hors divorce (82 %). Cette différence sensible, bien que relative, rend sans doute compte des jugements contrastés parfois portés sur la justice aux affaires familiales.

• Une justice pas toujours lisible pour le justiciable

S'exprimant au nom de l'UNAF, Mme Guillemette Leneveu, a indiqué -ce qu'a confirmé le représentant du conseil supérieur du notariat, Me Jean-Marie Ohnet- que les justiciables se plaignaient parfois de la complexité de l'organisation judiciaire familiale, qui manque de clarté pour le novice, en dépit des progrès réalisés.

Ainsi le juge aux affaires familiales concentre en principe le contentieux de la famille, mais plusieurs contentieux lui échappent. Il en est ainsi des majeurs protégés, qui relèvent du tribunal d'instance, des questions de filiation ou de successions, dont connaît le tribunal de grande instance, où il arrive fréquemment que siège les juges aux affaires familiales, ainsi que de la protection de mineurs en danger qui appartient au juge des enfants.

2. Pour les magistrats et les professionnels de la justice : un manque de temps et de moyens

Les reproches formulés par les justiciables trouvent un écho dans ceux que les professionnels de la justice adressent eux-mêmes à l'institution de la justice familiale.

• Un manque de temps

Plusieurs des magistrats de la famille entendus par votre rapporteur, ont dénoncé, à l'instar de M. Marc Juston, président du TGI de Tarascon et juge aux affaires familiales, la préférence donnée au traitement quantitatif des contentieux sur son traitement qualitatif. Cette préférence traduit notamment le fait que les indicateurs de performance budgétaire, qui déterminent les arbitrages des chefs de juridiction sont avant tout des indicateurs quantitatifs, qui portent sur la durée des procédures et l'évacuation du stock d'affaires.

Mme Anne Bérard, présidente de la chambre de la famille du TGI de Paris, a, pour sa part, soulevé la contradiction entre l'appréhension du contentieux familial comme un contentieux de l'humain, qui appelle un examen attentif et son appréhension comme un contentieux de masse qui impose au juge de privilégier la gestion efficace des flux d'affaires qui lui sont attribués.

Face au nombre des requêtes, et compte tenu des moyens disponibles, le temps consacré à une affaire est la seule variable d'ajustement possible pour le magistrat.

Ceci n'est pas sans conséquence.

En effet, comme l'a relevé le premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, ce qui signe l'échec de la juridiction familiale est le nombre important de saisines successives ou d'instances modificatives à l'occasion d'un même contentieux. Les parties elles-mêmes ont leur part dans cette multiplication des recours.

Mais celle-ci procède aussi d'une première solution judiciaire parfois inadaptée ou inaboutie, qui, pour reprendre l'expression de M. Marc Juston, a réglé un litige, mais n'a rien résolu du conflit entre les deux époux ou les deux parents. Ce dernier continue alors d'alimenter les requêtes de l'un contre l'autre.

Ce temps dont le magistrat est privé lui serait utile -sans que cela soit une garantie de succès- pour tenter de concilier les parties ou de forger une décision plus adaptée à la situation, qui satisfasse chacun.

Une étude universitaire récente souligne au contraire combien, soumis à un contentieux de masse, le magistrat est tenu de renoncer à ces solutions du « sur-mesure », au profit d'un « prêt-à-porter » judiciaire qui prend insuffisamment en compte la spécificité de chaque litige dont il est saisi : « p our cerner " l'intérêt de l'enfant " ou mesurer les " sacrifices " consentis par un conjoint en faveur de l'autre, il faudrait du temps. Or, du temps, c'est précisément ce dont les professionnels des affaires familiales manquent cruellement : les JAF traitent plus de 800 affaires chacun par an et, d'après nos mesures, ne peuvent consacrer qu'une petite vingtaine de minutes d'audiences à chaque dossier en moyenne. Pour gérer cette masse, peu de solutions s'offrent à eux » 20 ( * ) . Les auteurs insistent à cet égard sur le fait que, faute de temps ou d'informations plus précises, les juges s'en remettent à ce que leur présentent les parties, sans chercher plus loin, ou en reviennent à des solutions routinières.

Si tous les tribunaux sont soumis à la même contrainte de flux contentieux massifs, les pratiques judiciaires varient cependant d'un tribunal à l'autre, voire d'un magistrat à l'autre

• Un manque de moyens

Les auditions de vos rapporteurs ont confirmé que la justice aux affaires familiales n'échappait pas aux difficultés que connaissent toutes les juridictions de première instance.

C'est en particulier vrai pour le manque de personnel de greffe, alors même que le rôle des greffiers est déterminant pour l'accueil et l'information des parties, ainsi que la rédaction de la décision.

Les représentants de la conférence des présidents de tribunaux de grande instance ont à cet égard souligné que le contentieux familial était en concurrence, pour l'obtention des moyens nécessaires à son traitement, avec le contentieux pénal, lui aussi très consommateur d'effectifs de magistrats ou de greffiers, et qu'il ne pouvait être tenu à flot qu'à la condition que le chef de juridiction en fasse une priorité.

Plusieurs intervenants, comme le professeur Loïc Cadiet, la représentante du Défenseur des droits ou ceux de la fédération nationale de la médiation et des espaces familiaux, ont souligné que le manque de moyens concernait aussi les mesures d'instruction ou de suivi que le JAF peut décider.

Ainsi, la baisse de la tarification des enquêtes sociales a conduit à un désinvestissement des travailleurs sociaux, en particulier dans les situations où les deux parents habitent loin l'un de l'autre, ce qui augmente d'autant les frais ou les contraintes pesant sur l'enquêteur social 21 ( * ) . L'information dont le juge peut disposer s'en trouve diminuée.

L'impact de ce désinvestissement est toutefois plus réduit pour le contentieux soumis au JAF que pour celui de l'assistance éducative dont connaît le juge des enfants. En effet, le premier y recourt moins que le second. Les juges aux affaires familiales n'ordonnent des enquêtes sociales que dans 2,4 % des divorces avec enfants, contre près du tiers des affaires soumises au juge des enfants 22 ( * ) .

La réduction du financement des espaces de rencontre médiatisée, qui permettent d'organiser, dans certaines situations difficiles, la rencontre entre un parent et son enfant, restreint aussi la palette d'outils que le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants peuvent mettre en oeuvre pour apaiser une situation conflictuelle ou la conduire sur la voie de sa résolution.

3. Une spécialisation familiale inaboutie, une fonction peu prisée

En principe, la concentration de la compétence familiale au sein d'une juridiction identifiée devait permettre à un même magistrat d'apprécier l'ensemble d'un litige familial, en étant compétent pour se prononcer sur chacun des événements contentieux qu'il était susceptible de recouvrir, de la requête de divorce, au partage des biens, en passant par les décisions relatives à l'autorité parentale.

Cet objectif n'est cependant pas atteint, comme l'ont observé les représentantes de l'union syndicale des magistrats (USM), Mmes Virginie Valton et Véronique Léger, la masse des contentieux conduisant à affecter les JAF par type de contentieux, afin de leur permettre de les traiter plus rapidement. Le premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, note ainsi, dans la contribution qu'il a remise à vos rapporteurs, que « s'éloignant de l'appréhension globale des situations familiales voulue par le législateur, la pratique s'emploie souvent à " détricoter " le regroupement des attributions opéré, ici en spécialisant certains juges aux affaires familiales sur les questions patrimoniales, là en confiant celles-ci aux magistrats de la formation collégiale civile du tribunal désignés " JAF " pour l'occasion ».

Cette pratique croise parfois celle, dénoncée par M. Marc Juston, président du TGI de Tarascon, qui consiste pour les chefs de juridiction à répartir la charge d'un même emploi de JAF entre plusieurs magistrats, chacun n'y consacrant qu'1/5 e ou 1/6 e de son temps.

La spécialisation attendue des juges aux affaires familiales se dissout donc parfois soit en une hyperspécialisation sur une branche du contentieux familial (indivision ou patrimoine conjugal, divorce, autorité parentale...), soit en un rattachement temporaire ou limité à cette juridiction.

Souffrant d'une image dévalorisée auprès des magistrats, la jaferie peine elle-même à garantir sa spécialisation.

En effet, plusieurs des intervenants ont regretté que la fonction de juge aux affaires familiales soit plus choisie par défaut que par vocation, les plus jeunes magistrats de la juridiction y étant affectés par le président du TGI, pour combler les manques dans l'effectif.

Si les services du ministère de la justice n'ont pu fournir à vos rapporteurs une évaluation précise de la mobilité de l'effectif de la jaferie 23 ( * ) , les représentants de la conférence des présidents de TGI ont estimé que celle-ci était très élevée. La présidente de la chambre de la famille du TGI de Paris, Mme Anne Bérard, a pour sa part évoqué un taux de rotation d'un tiers par an, et constaté que l'élargissement du périmètre de compétence de la jaferie n'était pas parvenu à endiguer ce phénomène.

Sans doute y a-t-il plusieurs raisons à cette importante rotation : le manque de vocation s'explique par le fait que le contentieux familial est moins juridique que d'autres contentieux civils, plus prisés ; les départs rapides témoignent aussi, comme l'a observé Mme Anne Bérard, de l'épuisement physique et psychologique des JAF, soumis à la fois à des contraintes de productivité très forte et à un contentieux très intime et émotionnel.

Cette très forte mobilité contrarie la constitution d'une culture commune des JAF, comme l'approfondissement de l'expérience des magistrats.

Vos rapporteurs observent d'ailleurs, que, de manière surprenante eu égard à leur nombre, il n'existe pas d'association professionnelle des juges aux affaires familiales 24 ( * ) , alors que de telles associations existent pour la plupart des fonctions juridictionnelle bien identifiée (juge des enfants, juge d'instance, juge d'application des peines, juge d'instruction...). Certes, ces dernières sont des fonctions dites « spécialisées », dans lesquelles les intéressés sont nommés par décret, mais la spécificité de la matière familiale suffirait à justifier la création d'une telle association, pour échanger sur les intérêts communs entre ceux qui la pratiquent 25 ( * ) .

4. Une justice qui peine à faire prévaloir l'intérêt de l'enfant sur celui des parents

Les témoignages recueillis par vos rapporteurs les conduisent à s'interroger : la justice aux affaires familiales est-elle toujours à la hauteur de l'intérêt de l'enfant ?

En principe, elle le devrait : la convention internationale des droits de l'enfant impose la prise en compte de son intérêt supérieur, dans toute décision qui le concerne 26 ( * ) et elle lui reconnaît le droit d'entretenir des relations personnelles avec chacun de ces parents.

Ces principes trouvent leur traduction dans plusieurs articles du code civil : le juge aux affaires familiales est ainsi tenu de veiller spécialement à la sauvegarde de l'intérêt des enfants mineurs, pour toute décision rendue en matière d'autorité parentale (art. 373-2-6 du code civil). Il doit l'entendre, à sa demande, pour toute procédure qui le concerne (art. 388-1 du même code). Il doit veiller à son droit de maintenir des liens avec chacun de ses parents (art. 373-3-2-6 précité et 371-4).

Pour autant, plusieurs des personnes entendues par votre rapporteur, notamment M. Marc Juston, président du TGI de Tarascon ou la représentante du Défenseur des droits, Mme Emmanuel Wachenheim, ont estimé que l'intérêt de l'enfant était parfois négligé, le juge n'étant pas en mesure de consacrer au litige le temps nécessaire pour éviter que cet intérêt soit malmené.

Vos rapporteurs notent que trop souvent encore, pris dans leur conflit, les parents négligent eux-mêmes de s'attacher avant à tout à ce qui sera le meilleur pour leurs enfants et qu'il est nécessaire, lorsque cela se produit, que l'institution judiciaire protège ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes. À cet égard M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation a indiqué que le juge n'avait pas les moyens de s'assurer que le mineur avait été dûment informé de sa possibilité de faire valoir ses droits.

L'audition de l'enfant joue à cet égard un rôle ambivalent. Elle est souvent l'unique moyen pour le juge de s'adresser au mineur et de connaître son avis, voire, comme M. Jean-Marc Houé, juge aux affaires familiales au TGI de Clermont-Ferrand l'a souligné, de s'adresser à lui pour lui expliquer qu'il n'est pas partie au litige de ses parents, qu'il ne lui revient pas de décider lui-même, mais qu'une décision doit être rendue au mieux de ses intérêts.

Toutefois, cette audition est une pièce de la procédure, soumise au débat contradictoire et elle est susceptible d'être instrumentalisée par chacune des parties à son profit. Certes, elle a lieu sous la maîtrise du juge, qui doit veiller à ce que ne soient pas évoqués d'éléments non pertinents, qui pourraient être tournés au profit de l'un ou l'autre des parents.

Le professeur Loïc Cadiet s'est, pour sa part, interrogé : l'audition de l'enfant est utilisée à beaucoup d'autres fins que celles pour lesquelles elle est en principe conçue : disposer d'un témoignage sur les parents, se prévaloir de la demande de l'enfant... Sert-elle vraiment son intérêt dans ce cadre ? Ne conviendrait-il pas d'en encadrer plus l'usage, pour éviter de tels détournements ?

Le Défenseur des droits a, à cet égard, publié plusieurs recommandations importantes dans son rapport public annuel sur la parole de l'enfant en justice (cf. encadré ci-après)

Les propositions du Défenseur des droits
pour l'audition de l'enfant en justice (extraits)

- Reconnaître une présomption de discernement à tout enfant qui demande à être entendu par le juge dans une procédure qui le concerne. Le magistrat entendant l'enfant qui le demande pourra alors apprécier son discernement et sa maturité ;

- Informer l'enfant de tous les droits et utiliser tous les moyens pour ce faire : courrier du greffe adressé à l'enfant, fascicules d'information, consultations gratuites d'avocats destinées à ce public, sites internet ;

- Encourager et valoriser la présence d'un avocat formé aux droits de l'enfant aussi bien devant le juge aux affaires familiales qu'en matière d'assistance éducative ;

- Renforcer l'information de l'enfant et de l'adolescent quant à ce droit d'assistance afin qu'ils soient à même de comprendre la procédure judiciaire en cours et la place qui est la leur ;

- Faire connaître à l'enfant avec pédagogie ce que devient la parole qu'il a exprimée devant la justice. Le magistrat, l'avocat de l'enfant, le délégué du procureur ou les services éducatifs auraient à expliquer oralement à l'enfant les décisions judicaires des procédures qui le concernent dans des termes clairs, adaptés à sa compréhension ;

- Inciter les juges aux affaires familiales, sous l'impulsion de la chambre de la famille, à harmoniser leurs pratiques afin d'éviter des inégalités de traitement entre les enfants, d'assurer le respect du principe du contradictoire, de protéger l'enfant contre l'instrumentalisation de ses propos ;

- Élaborer une charte de la délégation d'audition concourant à créer des références et des pratiques professionnelles communes ;

- Organiser des formations continues interdisciplinaires et adaptées pour tous les professionnels en contact avec l'enfant dans le cadre judiciaire afin de les sensibiliser aux spécificités de l'approche de l'enfant, de créer entre eux une culture et des pratiques professionnelles partagées.

- Rendre obligatoire pour tout magistrat prenant de nouvelles fonctions de juge aux affaires familiales des formations spécifiques à l'approche familiale et à l'audition de l'enfant.

- Instaurer un module de formation initiale commun à toutes les écoles des barreaux, obligatoire pour tous les futurs avocats.

- Rendre obligatoire une formation continue de tout avocat désirant exercer en ce domaine et valider ces modules au titre de la formation continue.

- Développer les conventions entre les barreaux et les tribunaux afin de garantir sur l'ensemble du territoire la présence d'avocats spécialisés.

Source : Défenseur des droits, L'enfant et sa parole en justice - Rapport 2013 consacré aux droits de l'enfant .


* 16 Selon les chiffres du dernier annuaire statistique de la justice publié en 2012.

* 17 Seuls les précèdent le contentieux relatif aux droits de la personnalité (1,7 mois) et les procédures de filiation adoptive (4,5 mois).

* 18 Une enquête récente a d'ailleurs montré qu'ils n'étaient que 54 % à estimer avoir été bien informés des délais de la procédure en matière de divorce, contre 66 % pour le contentieux civil hors divorce (Laurette Cretin, « L'opinion des Français sur la justice », Infostat Justice, n° 125, janvier 2014).

* 19 Laurette Cretin, « L'opinion des Français sur la justice », Infostat Justice, n° 125, janvier 2014.

* 20 Le Collectif Onze, Au tribunal des couples. Enquête sur des affaires familiales , éd. Odile Jacob, novembre 2013, p. 255.

* 21 M. Laurent Gebler, vice-président au tribunal pour enfant de Bordeaux, note ainsi, que « lorsque les deux parents résident à proximité, le juge trouve facilement un enquêteur social qui accepte de se rendre chez les deux parents. Plus la distance entre les domiciles augmentent, moins c'est le cas. Il est donc particulièrement difficile de trouver un enquêteur social qui se déplace entre plusieurs départements d'un même ressort de cour d'appel ». Il note toutefois que « le décret n° 2013-770 du 26 août 2013 relatif aux frais de justice a pour objectif d'assurer une meilleure indemnisation de ces déplacements en prenant en compte les trajets réellement effectués » (Laurent Gebler, « Le coût des enquêtes sociales, des expertises et l'impact sur leur qualité », AJDF , septembre 2013, n° 9, p. 472).

* 22 Ibid. (les chiffres sont ceux de 2011). Le même constat peut être dressé, s'agissant des mesures d'expertise, qui concernent moins d'un dossier sur mille en matière d'affaires familiales.

* 23 En effet, la fonction de JAF n'étant pas une fonction spécialisée dans laquelle le magistrat est nommé par décret, l'affectation d'un juge du TGI à la jaferie dépend de l'ordonnance de roulement rédigée par le président du TGI. Or, le ministère de la justice ne dispose pas de statistiques agrégées sur les affectations à temps complet ou à temps partiel décidée dans ce cadre par les chefs de juridiction.

* 24 L'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) ne compte en effet que des juges des enfants.

* 25 Les juges aux affaires familiales se trouvent ainsi dans la même situation que les juges de la liberté et de la détention.

* 26 Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Le caractère primordial de l'intérêt supérieur de l'enfant est une norme d'application directe devant les juridictions française (Civ 1 ère , 14 juin 2005 , Bull. civ. I , n° 245).

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