B. OUTRE SON COÛT, DES FREINS MULTIPLES À LA TARIFICATION INCITATIVE

1. Une difficulté « théorique » : la diminution de la base

L'introduction d'une tarification incitative correspond à un changement de perspective : il ne s'agit plus uniquement de financer le service public, mais également de modifier le comportement du producteur de déchets pour l'inciter d'une part à réduire la quantité de déchets produits, d'autre part à trier davantage ses ordures ménagères.

Comme toute fiscalité comportementale, il convient alors de prendre en compte, dans la construction du système, les effets d'une réduction de l'assiette taxable et donc du produit attendu. En effet, si le mécanisme incitatif est efficace, il doit en résulter une diminution de la production de déchets et donc une baisse de l'assiette taxable - et par conséquent des recettes pour les collectivités territoriales.

Or, il importe qu'une telle réduction ne conduise pas une collectivité à rencontrer des difficultés de financement de la collecte et du traitement des ordures ménagères. C'est pour éviter tout déséquilibre financier que l'article 1522 bis du CGI a prévu que le produit de la part variable de la TEOM incitative ne peut représenter plus de 45 % du produit total de TEOM escompté.

De plus, les collectivités ont certes la possibilité d'augmenter le taux pour compenser la diminution de la base. Il est alors important, lors de la mise en place de la tarification incitative, d'insister auprès des redevables sur sa portée environnementale, à travers la réduction de la production de déchets, plutôt que sur la diminution de la facture qu'elle pourrait permettre, afin de ne pas créer des attentes qui pourraient être déçues.

En effet, la tarification incitative et le principe « pollueur-payeur » doivent être envisagés comme un « malus » en raison des coûts fixes auxquels font face les collectivités s'agissant de la collecte et du traitement des déchets.

2. La crainte d'effets pervers

Souvent présentée comme un moyen de réduire la facture du contribuable ou de l'usager - et, par conséquent, de réduire à la fois les dépenses mais aussi les recettes des collectivités territoriales - la tarification incitative peut engendrer des effets pervers : une tarification incitative qui permettrait une baisse effective des dépenses et donc des recettes fiscales perçues par les communes et leurs groupements pourrait entrainer une baisse de certaines dotations.

La REOM ainsi que la TEOM et la redevance spéciale font partie du panier de ressources pris en compte pour mesurer le coefficient d'intégration fiscale (CIF) d'un EPCI, qui correspond à la part de fiscalité que l'EPCI prélève par rapport à la totalité de la fiscalité prélevée sur son territoire. Par conséquent, un EPCI ayant mis en place une tarification incitative efficace, aboutissant à une baisse du produit fiscal perçu par l'ensemble intercommunal entraîne mécaniquement une diminution du CIF et donc de la dotation d'intercommunalité.

Or, en 2012, les EPCI ont perçu 5,4 milliards d'euros de TEOM et de REOM, soit 25 % des ressources des EPCI prises en compte dans le coefficient d'intégration fiscale.

Ainsi, selon la réponse du ministère du budget à une question orale 18 ( * ) , dans la communauté de communes du Lunévillois, dont la TEOM représente près de 30 % des produits pris en compte au numérateur de son CIF, une baisse de 5 % de TEOM « se traduirait par une diminution du CIF de 0,86 % et, in fine , par une diminution de DGF théorique de 1,73 % ».

Par ailleurs, s'agissant des dotations de péréquation - dotation de solidarité rurale (DSR), dotation de solidarité urbaine (DSU) et première part de la dotation nationale de péréquation (DNP), mais aussi du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), la TEOM et la REOM interviennent par le biais de l'effort fiscal. L'effort fiscal, qui mesure la pression fiscale pesant sur les ménages - et, à ce titre, ne prend pas en compte la redevance spéciale - diminue si le produit de la TEOM ou de la REOM diminue.

Or, en 2012, les communes ont perçu 6,7 milliards d'euros au titre de la TEOM et de la REOM, ce qui représente 15 % du produit fiscal pris en compte dans l'effort fiscal des communes.

Selon la direction générale des collectivités locales (DGCL), « les critères d'effort fiscal, de potentiel fiscal ou de coefficient d'intégration fiscale ont été conçus à partir de ressources stables et régulières. La non prise en compte de ces données dans le calcul des dotations ne semble pas souhaitable en l'état actuel de l'architecture des concours financiers et nécessiterait de redéfinir des notions essentielles à la mesure de la richesse ».

3. Des résultats mitigés ?

Au cours de son audition, l'association AMORCE a indiqué à vos rapporteurs spéciaux que la tarification incitative paraissait relativement efficace dans l'acte de tri mais pas dans la diminution de la production de déchets.

La tarification incitative ne se traduit donc pas nécessairement par une diminution de la facture pour les ménages et peut même conduire à son augmentation. Ainsi, selon une enquête menée par l'association de consommateurs et d'usagers CLCV (Consommation Logement et Cadre de Vie) dans des communes où la tarification incitative a été mise en place, plus de 25 % des personnes interrogées et ayant comparé les factures avant et après mise en place de la tarification incitative, ont observé une hausse de leur facture.

À l'inverse, selon l'association AMORCE, la meilleure incitation réside dans les « ambassadeurs du tri », qui sensibilisent les habitants aux gestes de tri et à la diminution de la quantité de déchets produits.

Enfin, il est trop tôt pour appréhender les effets de la TEOM incitative, créée il y a peine plus d'un an.


* 18 Question n° 1687 de Jacques Lamblin, publiée au Journal officiel le 24 janvier 2012 (page 731), réponse du ministère du budget publiée au JO le 1 er février 2012.

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