3. 100 000 Français : des communautés concentrées en Afrique de l'Ouest
Lors d'un déjeuner organisé pendant un déplacement, un Français installé en Afrique depuis des décennies nous a demandé : « Vu de Paris, la France en Afrique, c'est quoi ? ».
Si l`on essaie d'être le plus factuel possible, on serait tenté de dire dans un premier temps : c'est d'abord plus de 100 000 Français au Sud du Sahara, des milliers d'entreprises dont le fleuron de l'industrie française comme AREVA, TOTAL, BOLLORÉ, VINCI, BOUYGUES mais aussi des ressources stratégiques uniques telles que l'uranium du Niger, qui couvre 30% de nos besoins civils et 100% de nos besoins militaires, ou encore un pétrole qui assure 30% de nos approvisionnements et une zone franc qui comporte pour la France autant d'avantages que d'obligations.
Si notre relation aux pays africains se résumait à sa dimension économique, on pourrait être tenté de résumer « l'Afrique utile » à cela.
Nous verrons que ce n'est pas le cas. Si on parle d'une politique africaine et non d'une politique asiatique ou américaine, c'est précisément en raison des caractères indissociables des enjeux diplomatiques, militaires, culturels, économiques et migratoires. Il n'existe pas de continent où nous ayons une palette aussi large d'interactions et où les enjeux soient aussi indissociables.
Cela étant dit, commençons par la protection de nos ressortissants, elle reste notamment un des motifs du déploiement militaire français
On dénombre près de 200 000 expatriés sur l'ensemble du continent africain, soit 15% des Français établis hors de France ; 98 000 d'entre eux vivent en Afrique du Nord, plus de 100 000 au sud du Sahara.
Répartition des Français établis en Afrique
inscrits 2012 |
Variation 1984/2012 |
|
Afrique du Nord |
98 090 |
+ 39% |
Afrique francophone |
117 378 |
- 20% |
Afrique non francophone |
18 796 |
+ 49% |
Total Afrique |
234 264 |
+ 2% |
Plus de 86% des Français installés en Afrique subsaharienne vivent dans des pays francophones, soit quelque 117 378 en 2012, principalement au Sénégal, à Madagascar ou en Côte d'Ivoire.
Les Français d'Afrique francophone représentent 86% des Français d'Afrique subsaharienne
C'est là la marque de notre héritage historique : la proximité linguistique et la tradition d'expatriation dans ces anciennes colonies expliquent encore aujourd'hui notre présence sur le continent, même si notre nombre est en diminution.
Pour les Français expatriés, l'Afrique reste encore l'Afrique francophone, l'Afrique du pré carré, l'Afrique des colonies.
L'installation dans les pays anglophones est limitée à 18 000 inscrits, soit 13% des inscrits d'Afrique subsaharienne et 8% du total sur l'ensemble du continent, mais elle ne cesse d'augmenter depuis les années 1980, notamment en Afrique du sud.
Cet intérêt pour l'Afrique australe reflète l'attractivité économique de cette sous-région, des pays comme le Nigeria étant de grands producteurs d'hydrocarbures.
Qui sont ces Français d'Afrique ?
Ils ont des profils extrêmement diversifiés allant du retraité de Cap Skirring au travailleur humanitaire, en passant par les cadres expatriés des grands groupes français, les agents français des ambassades et de leurs démembrements.
Au fil des décennies qui ont suivi les indépendances, les communautés françaises se sont profondément transformées. À la période faste des « années coopérants » a succédé, à partir de la fin des années 1980, celle du reflux.
Le nombre des Français d'Afrique a désormais rejoint le niveau de 1985.
Les cadres expatriés du privé comme les agents publics forment encore les bataillons les plus visibles de la France d'Afrique qui vivent confortablement. Comme le dit joliment un article de «Jeune Afrique 34 ( * ) »: « Ils ont leur figure de proue -l'ambassadeur-, leur rituel -le 14 Juillet dans les jardins de la chancellerie-, ils remplissent les avions d'Air France en période de départs en vacances, n'intéressent les médias que lorsque l'armée les évacue, et les politiciens quand une élection présidentielle pointe à l'horizon ».
Ces Français expatriés en Afrique côtoient des Français dont la situation est moins confortable et plus précaire. Beaucoup de contrats d'expatriation ont fait place à des contrats dits locaux nettement moins avantageux. Certains concitoyens arrivent en Afrique sans emploi et parfois sans billet retour, d'autres, en délicatesse avec la République, cherchent ici l'occasion de refaire leur vie. « On voit arriver de tout », nous a dit le Consul général à Abidjan, « des aventuriers, des retraités attirés par la possibilité d'un pouvoir d'achat plus confortable, des couples mixtes qui se font et se défont, des hommes âgés attirés par les perspectives plus ou moins fondées d'une nouvelle vie sentimentale... l'aventure laisse parfois place à la misère et à la désillusion ».
Certains, présents depuis des décennies, se sont pleinement intégrés à la vie africaine au point de ne plus vouloir revenir en France. Ces Français « boucanés » que l'on croise dans les maquis n'ont plus de famille, plus de maison, plus de lien avec la France, ce qui rend leur rapatriement en cas de crise particulièrement douloureux, à cette différence près que plus de la moitié d'entre eux sont désormais des binationaux.
Des profils extrêmement diversifiés
Comme nous avons pu le constater en Côte d'Ivoire où les résidents français d'Abidjan ou de Bouaké sont désormais en majorité des doubles nationaux, l'évolution majeure de ces dernières décennies est l'augmentation de la proportion de binationaux qui sont désormais, dans l'ensemble des pays d'Afrique subsaharienne, majoritaire.
Certains, naturalisés français à l'occasion d'un long séjour dans l'Hexagone, ont finalement choisi de revenir, en famille en Afrique. D'autres, à partir d'un mariage mixte, ont pu satisfaire aux formalités de naturalisation simplifiées mises en place en 1973. Il n'est guère que l'Afrique non francophone où les doubles nationaux français ne sont pas majoritaires, par déficit, sans doute, d'un passé commun avec la « métropole ».
Pour la première fois, les Français d'Afrique ne sont plus majoritairement des expatriés, mais des citoyens du pays où ils vivent, des métis franco-africains. Ce métissage en Afrique comme en France est un des éléments structurants qui font que pour les générations à venir, pour les descendants de ces franco-africains, le lien avec l'Afrique perdurer. Comme nous l'a dit le père d'une descendance franco-camerounaise : « l'Afrique ne nous quittera plus ».
Comme le souligne l'article précité de Jeune Afrique « À condition que la France officielle sache la saisir, c'est une vraie chance pour refonder sa relation avec le continent. ».
Chacune à leur façon, ces différentes communautés participent à ce lien particulier de la France avec l'Afrique.
L'ensemble de ces concitoyens est aujourd'hui exposé aux troubles politiques et sociaux qui secouent le continent.
La protection et le rapatriement des ressortissants français et européens : une contrainte forte de la politique africaine
Une des préoccupations majeures de la politique africaine est de protéger ces ressortissants et d'assurer le cas échéant leur rapatriement en cas de crise si l'État qui les abrite n'est plus en mesure d'assurer leur sécurité.
On se souvient notamment de l'évacuation des Français de Côte d'Ivoire au printemps 2011 : la crise postélectorale avait engendré un climat d'insécurité pour les ressortissants français, victimes de pillages et d'agressions. Les autorités diplomatiques françaises ont donc décidé l'évacuation des expatriés, mise en oeuvre avec la coopération du personnel de l'opération Licorne.
L'efficacité de notre système de rapatriement a permis à cette occasion l'évacuation de 8 000 personnes. La France a joué le rôle de pays-pilote pour l'évacuation des étrangers de Côte d'Ivoire et a garanti, à ce titre, la protection des ressortissants européens et libanais. Elle a également procédé au sauvetage de l'ambassadeur du Japon, assiégé dans sa résidence à Abidjan.
Ce savoir-faire ainsi que notre présence militaire dans ces pays font de la France le pays-pilote pour l'ensemble des ressortissants des pays-membres de l'Union Européenne au Cameroun, en République centrafricaine, au Tchad, aux Comores, à Djibouti, en Guinée-Bissau (conjointement avec le Sénégal), à Madagascar, au Maroc (conjointement avec l'Espagne), au Sénégal et au Togo.
La sécurité de nos ressortissants ainsi que celle de nos partenaires européens est donc l'un des éléments structurants de notre diplomatie africaine et l'une des justifications des implantations militaires françaises qui permettent notamment de sécuriser, voire de prendre le contrôle, le cas échéant, d'un aéroport pour assurer l'évacuation vers la métropole.
Cet objectif de protection est d'autant plus important dans le contexte actuel de recrudescence du terrorisme en Afrique occidentale.
La France en Afrique : une des cibles privilégiées des attaques terroristes et des tentatives d'enlèvement
Notre pays détient un triste palmarès en matière de prises d'otages : depuis 1997, 94 Français ont été pris en otage en Afrique, contre 48 pour les autres nationalités. Le développement de ce mode d'action s'explique par l'intérêt financier évident que représente la demande de rançon pour ces réseaux.
Depuis les années 2000, des dizaines de millions d'euros ont été versés pour la libération de ressortissants occidentaux en Afrique. Le procédé a enrichi considérablement les organisations terroristes et par effet de ricochet a contribué à accroître leurs moyens.
C'est pourquoi l'État français a décidé de ne plus verser ces rançons. Ce choix politique inévitable rend la situation des otages plus que délicate au moment où la France devient l'une des cibles privilégiées des attaques terroristes en Afrique comme les djihadistes l'ont montré, suite à l'intervention française au Mali, quand AQMI a appelé en mai 2013 à attaquer les intérêts français « partout dans le monde » en réponse à l'opération Serval.
La multiplication des tentatives d'attentat contre nos ambassades, comme ce fut le cas à Nouakchott en février 2011, illustre par ailleurs l'exposition accrue de notre pays à de telles attaques.
Les Français d'Afrique subsaharienne ne constituent que 8% des Français de l'étranger, mais ces 8% sont sans doute les Français les plus exposés aux risques d'enlèvement comme en témoignent les cartes du Quai d'Orsay des zones « rouges », fortement déconseillées, dans les fiches « Conseils aux voyageurs » du ministère des affaires étrangères.
La France en Afrique de l'Ouest est aujourd'hui particulièrement exposée.
Cette recrudescence des risques pose la question du maintien de la présence de ces Français, notamment des coopérants. Elle pose aussi le problème du maintien des activités touristiques à destination des français dans certains endroits : ces activités sont vitales pour l'économie, mais la montée des menaces doit être prise en compte. Enfin, elle pose la question de la permanence d'une expertise scientifique dans ces régions, si le séjour y reste durablement déconseillé.
Afin de protéger au mieux nos ressortissants et notre présence en Afrique, le Quai d'Orsay a mis en place un dispositif de sécurité accru dans les zones à risques et a adapté nos dispositifs à l'évolution rapide de ce type de menaces.
Un triste palmarès : les Français : le plus grand nombre d'otages occidentaux
La formation et le recrutement des gardes de sécurité des ambassades françaises en Afrique est de ce fait en pleine restructuration. Des programmes de formation des ressortissants aux réflexes de sûreté se développent. Les entreprises implantées dans les zones africaines particulièrement exposées à ce type d'attaque ont également pris des mesures en lien avec le centre de crise du Ministère des affaires étrangères.
La montée du terrorisme sur le continent concerne particulièrement l'Afrique de l'Ouest, où se trouve la majorité de nos expatriés à l'échelle régionale, mais également l'Afrique de l'est comme l'illustre la récente prise d'otage à Naïrobi.
La multiplication des attentats et des prises d'otages rend cependant difficile la protection de plus de 100 000 ressortissants qui sont libres de leurs mouvements.
Les relations entre la France et l'Afrique sont aujourd'hui en partie conditionnées par cet impératif sécuritaire qui rend illusoire tout désengagement de la France dans cette zone.
* 34 « Les nouveaux Français d'Afrique » Par François Soudan et Jacques Bertoin