AUDITION DE M. GÉRARD RAMEIX, PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

(MARDI 11 JUIN 2013)

M. François Pillet , président - Nous allons maintenant auditionner Monsieur Gérard Rameix, le Président de l'Autorité des marchés financiers. Devant une commission d'enquête, vous vous devez de prêter serment. Prêtez-vous serment de toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».

M. Gérard Rameix . - Je le jure.

M. François Pillet . - Je vous remercie. Je vais vous laisser le temps d'une présentation liminaire, avant de passer la parole à notre rapporteur, Eric Bocquet et aux membres de la Commission.

M. Gérard Rameix . - Je rappellerai brièvement les missions de l'Autorité des marchés financiers définies par la loi :

veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et les actifs offerts au public ou admis aux négociations sur un marché ;

veiller à l'information des investisseurs ;

veiller au bon fonctionnement des marchés ;

concourir à la régulation des marchés aux échelons européen et international ;

prendre en compte les objectifs de stabilité financière.

L'AMF compte 450 collaborateurs, principalement des cadres, répartis entre les services chargés de l'information financière et comptable, de la gestion d'actifs, de la surveillance, du contrôle et de l'enquête, des équipes qui interviennent a posteriori et sont dotées de pouvoirs d'investigation. Ces contrôles débouchent sur des lettres de suite voire sur des procédures de sanction en cas de manquement. Les enquêtes sont ouvertes par le secrétaire général de l'Autorité. Je préside la formation du Collège qui décide de notifier les griefs aux personnes présumées avoir manqué à leurs obligations, la Commission des sanctions décidant ensuite de l'attribution ou non de sanctions. Ces actions tendent à progresser. En 2012, 58 sanctions ont été prononcées pour un montant de 18 millions d'euros d'amende. 6 interdictions d'exercer ont été infligées. 7 compositions administratives ont été réalisées pour des manquements qui ont fait l'objet d'une transaction, suivant une procédure nouvelle introduite par la loi en 2010, plus rapide et très transparente.

Les missions visant les instruments et marchés financiers ne nous octroient pas un rôle direct dans la lutte contre l'évasion des ressources financières et l'évasion fiscale. En revanche, travaillant sur la matière financière sous un angle particulier, nous pouvons repérer des faits qui relèvent de ces problématiques. Si tel est le cas, les textes prévoient que nous les signalions au parquet et/ou à Tracfin. Chaque année, nous envoyons une vingtaine de dossiers au parquet et depuis 2009, nous avons transmis 12 dossiers à Tracfin (6 dossiers d'enquête et 6 dossiers de contrôle). Au plan international, nos enquêtes reposent pour une grande majorité d'entre elles sur une coopération internationale. Cette coopération s'effectue, le plus souvent, dans le cadre d'un MOU (memorandum of understanding) négocié bilatéralement avec chacun de nos homologues sur un modèle arrêté par l'Organisation internationale des commissions de valeurs (IOSCO). Ce dispositif fonctionne relativement bien, malgré quelques lenteurs ou restrictions dans certains secteurs ou pays.

Le parquet est informé soit dans le cas prévu par la loi, lorsque nous notifions des griefs pour des manquements qui peuvent être qualifiés en parallèle par le code pénal puisqu'entrant dans le champ de l'un des trois délits boursiers (manipulation de cours, diffusion de fausses informations ou utilisation d'informations privilégiées). Nous pouvons également informer le parquet sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale ou de l'article L. 621-20-1 du code monétaire et financier quand nous détectons des faits que nous ne pouvons poursuivre directement, comme un abus de bien social ou une présomption d'un délit fiscal. Cette coopération avec le parquet s'avère fréquente et perdure depuis plusieurs années. Historiquement, nous sommes les héritiers de la Commission des opérations de bourse (COB) qui possédait à l'origine un pouvoir d'enquête. Toutes ses enquêtes étaient systématiquement transmises au parquet. Ce n'est qu'à la fin des années 80 que Pierre Bérégovoy, alors ministre de l'économie et des finances, a proposé au Parlement de conférer un pouvoir de sanction à la COB. Une même infraction peut d'ailleurs faire l'objet d'une sanction pénale et d'une sanction de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers.

Nous possédons par ailleurs une compétence spécifique en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Il ne s'agit plus d'enquêtes générales qui pourraient nous conduire à détecter des délits ou infractions relevant d'incriminations pénales. Nous devons, pour les personnes que nous régulons, c'est-à-dire essentiellement les sociétés de gestion de portefeuilles et les conseillers en investissements financiers, vérifier qu'elles se conforment à l'ensemble des règles professionnelles, au premier rang desquelles, depuis la loi de 2009, la mise en place d'un dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Nous procédons de plus en plus fréquemment à ces vérifications suivant deux approches différentes. Nous pouvons conduire des investigations ciblées pour vérifier le dispositif du prestataire. A l'occasion d'un contrôle plus général mené sur une société de gestion de portefeuilles, les équipes peuvent également opérer une revue des procédures de lutte contre le blanchiment. Voilà peu, nous avons notifié des griefs à la commission des sanctions après avoir constaté l'absence de procédure de lutte contre le blanchiment chez un conseiller en investissements financiers. L'affaire est en cours d'instruction devant la commission des sanctions. Cette mission tend à se développer, les obligations devenant de plus en plus précises en la matière.

Une coopération internationale s'opère entre les régulateurs de marché au niveau européen et international. L'autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et l'OICV (IOSCO) au niveau international rassemblent les régulateurs de marché qui, selon les principes de l'OICV et comme l'AMF, constituent des régulateurs indépendants et spécialisés. Les accords de coopération sont signés entre ces régulateurs dans les limites de leurs compétences. Ces accords prévoient que les informations sont communiquées pour le bon exercice du métier de régulateur de marché. Nous sommes habilités par la loi à nouer ces échanges. Nous émettons des demandes nombreuses et recevons des demandes de nos homologues étrangers. Nous avons ainsi formulé 382 demandes d'assistance et reçu 159 requêtes de nos homologues étrangers l'an dernier. Ces échanges ont concerné 35 pays, signe d'une coopération active.

M. François Pillet . - Je vous remercie pour ce propos introductif. Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Eric Bocquet . - Nous souhaiterions que vous communiquiez les réponses à nos 36 questions par écrit. J'en extrairai certaines pour alimenter nos échanges. Au préalable, je m'étonne du faible nombre de dossiers (6) transmis à Tracfin. Toutes les requêtes que vous adressez à vos homologues étrangers reçoivent-elles une réponse ? Ces réponses vous paraissent-elles satisfaisantes et éclairantes ?

Concernant la gouvernance de l'AMF et la composition du collège, certains membres sont nommés par le Ministre. Parmi eux figurent d'anciens directeurs financiers de grandes entreprises. L'indépendance de l'Autorité des marchés financiers est-elle malgré tout garantie ?

Quelles mesures ont été prises au niveau national et international pour s'assurer que les marchés financiers ne servent pas à une évasion fiscale abusive ou au blanchiment ? Avez-vous réalisé des études pour identifier les effets des flux financiers qui transitent par des circuits financiers mal régulés ? Les marchés financiers des zones offshores vous apparaissent-ils comme des menaces réelles pour la stabilité financière mondiale ? Quels progrès réglementaires vous semblent nécessaires pour assurer une plus grande transparence des marchés et de leurs acteurs ? Quelles réflexions vous inspirent la localisation d'une proportion considérable de hedge funds et d'autres fonds tels les SICAV luxembourgeoises ou les captives de réassurance dans les zones offshore ? Enfin, l'AMF considère-t-elle que certaines opérations de financement des entreprises ou rachats d'actions résultent de préoccupations exclusives d'optimisation fiscale ? Le financement intragroupe constitue-t-il un objet d'interrogation fréquent ?

M. Gérard Rameix . - Dans l'ensemble, nous obtenons une réponse à nos requêtes. Certaines questions relèvent de simples vérifications et visent, par exemple, à connaître l'origine d'un ordre. Le régulateur russe considère ainsi qu'il ne doit nous répondre que si nous présentons des éléments prouvant une infraction en droit russe. La Russie n'a pas signé le MOU de l'IOSCO. Nous avons durant longtemps connu des problèmes avec Israël mais, désormais, le régulateur israélien nous répond. Nos relations se sont également améliorées avec la Suisse. Tout dépend du pays et de la question posée.

M. Eric Bocquet . - Certains pays se montrent-ils plus réticents ?

M. Gérard Rameix . - La principauté d'Andorre ne répondait pas jusqu'à présent. Elle change actuellement ses règles. Nous avions noué une coopération avec Monaco et j'avais insisté pour que la Principauté adopte des règles internes prévoyant de transmettre les informations lorsqu'une banque monégasque était à l'origine d'un ordre. Il n'existe pas de réponse générale et absolue mais le dispositif fonctionne globalement bien et la coopération enregistre des progrès notables.

Sur la gouvernance de l'AMF, je crois tout à fait à ce système de régulation, qui repose sur des services nombreux et compétents, placés sous l'autorité du Secrétaire général. Seul le Président représente un membre permanent du Collège, également composé de membres de provenances diverses. Un tiers d'entre eux proviennent de la fonction publique, nommés par le premier président de la Cour des comptes, le premier président de la Cour de Cassation et le vice-président du Conseil d'Etat. A cela s'ajoutent des personnalités nommées par les présidents de chaque assemblée parlementaire, qui choisissent le profil qu'ils souhaitent en toute indépendance. Enfin, le Ministre désigne une série de personnalités, sur proposition des organisations de place représentant les gérants, les banquiers, les émetteurs, etc. Je crois beaucoup à la collégialité, à ce travail en groupe qui s'appuie sur des services établissant des notes très précises. Il peut exister des conflits d'intérêts mais si le Collège doit examiner une affaire dont l'un de ses membres a pu avoir connaissance dans le cadre de ses fonctions, celui-ci se retire. Cette composition nous permet en outre de disposer de membres compétents, connaissant bien les problématiques que nous traitons.

M. Eric Bocquet . - Comment le retrait éventuel des membres est-il garanti ?

M. Gérard Rameix . - Nous avons défini un dispositif que je détaillerai par écrit. Chacun doit déclarer ses intérêts et pour chaque dossier, les services identifient les personnes qui doivent se retirer. Nombre de nos décisions peuvent faire l'objet de contentieux. Si un avocat sait qu'une personne potentiellement impliquée a participé à l'élaboration de notre décision, celle-ci pourrait être annulée. Nous faisons donc preuve d'une grande vigilance sur le sujet.

M. Eric Bocquet . - Les risques de conflits d'intérêt se révèlent-ils fréquents ?

M. Gérard Rameix . - Il s'en produit à chaque réunion du Collège ou presque. Les membres du Collège ont longuement exercé dans le domaine financier. Ils ont forcément eu à connaître des dossiers que nous traitons. C'est l'un des reproches qu'a formulés le FMI à notre encontre. Son rapport, public, se montre plutôt favorable au dispositif de régulation français mais le FMI développe plutôt une approche américaine, favorisant un modèle plus politique avec des membres nommés à temps plein qui n'exercent pas d'autres fonctions durant leur mandat et une organisation qui ne comprend pas de commissaire du Gouvernement. En France, un représentant du Ministère de l'économie siège sans voix délibérative. Le FMI considère cette présence comme une atteinte à l'indépendance de l'Autorité. Nous estimons au contraire qu'elle permet au Ministre de l'économie de rester informé de notre travail. Sur le plan politique, notre organisation apparaît bien plus neutre. En outre, avec une quinzaine de membres juristes, directeurs financiers, banquiers ou gérants, avec des points de vue différents, nous bénéficions de compétences très élargies et cette pluralité nous offre une certaine forme d'indépendance.

M. Eric Bocquet . - Les membres rédigent-ils des déclarations sur l'honneur de conformité fiscale ?

M. Gérard Rameix . - Je ne crois pas pour l'instant.

M. Eric Bocquet . - Lors de notre première commission d'enquête, nous avions recueilli un témoignage allant dans ce sens. Nous vous transmettrons cette information.

M. Gérard Rameix . - Les textes actuels ne prévoient pas un tel dispositif. En revanche, chaque membre du Collège déclare son portefeuille de titres et ainsi que ses intérêts, ses fonctions et ses mandats dans les conditions fixées par les dispositions de l'article L. 621-4 du code monétaire et financier et du règlement général de l'AMF (articles 111-1 et s.) mais il ne fournit pas d'informations sur sa situation fiscale.

Un marché financier constitue un lieu d'échanges et n'est pas, en lui-même, un facteur d'évasion fiscale. On y échange des titres, on y place des produits financiers. Les opérations sont retracées selon les règles du pays dans lequel elles ont lieu. Il existe toutefois de nombreuses situations où, analysés sous un autre angle, ces mouvements peuvent engendrer des incidences fiscales. Nous relevons peu de cas de ce type car tel n'est pas notre angle d'approche. La principale mesure pour lutter contre les risques d'évasion fiscale ou de blanchiment à travers la sphère financière consiste à impliquer les professionnels qui tiennent les comptes bancaires ou gèrent les fonds, en leur imposant des procédures de connaissance du client et d'analyse des risques.

Lorsque nos équipes de surveillance analysent les transactions au quotidien, elles n'identifient pas forcément des faits fiscaux. Deux types d'opérations peuvent toutefois attirer leur attention. Les premiers concernent les transactions qui sont réalisées par des personnes dans le but de ne plus être propriétaires du titre au moment où le dividende se détache. Pour déterminer le caractère fiscalement condamnable de ces opérations, il convient ensuite de mener une approche purement fiscale. Le second type d'opérations tient dans l'utilisation de marchés très étroits où des écarts de cours peuvent se produire très facilement. Nous avons ainsi eu l'occasion de repérer des personnes qui faisaient passer de l'argent d'un compte sur un autre, en faisant gagner l'un et perdre l'autre. Une telle opération peut être assimilée à du blanchiment. Si nous détectons de tels cas, nous les dénonçons aux autorités compétentes.

Votre question sur les effets des flux mal régulés se révèle extrêmement vaste et porte plus largement sur la problématique des excès des marchés, des emballements, de la diffusion de produis capables de perdre de la valeur. Nous pourrions regretter qu'une régulation plus stricte ne parvienne pas à éviter toutes ces opérations. Des efforts nombreux sont consentis aujourd'hui pour tenter de discipliner davantage les acteurs bancaires et faire en sorte que les produits dérivés de gré à gré passent désormais par des chambres de compensation pour réduire le risque systémique qui leur est attaché. Cette réforme présente une grande importance. Elle commence à être mise en oeuvre aux Etats-Unis et au sein de l'Union européenne.

A cela s'ajoutent les mesures visant à améliorer le contrôle interne des positions. Il existe de nombreux exemples où, malgré les contrôles, des établissements pourtant réputés découvrent des positions gravement perdantes. Les régulateurs tentent d'analyser ces échecs de la régulation. Le dernier cas le plus connu concerne JP Morgan. L'une de ses unités, chargée de gérer et couvrir les positions pour protéger l'établissement contre des risques de taux de change, tenait en fait des positions spéculatives massives qu'elle avait cherché à masquer. Lorsque les premiers faits ont été révélés, la Direction a minimisé la situation. Or en débouclant ces positions, la banque a finalement perdu 6 milliards de dollars. Nous consentons de nombreux efforts, dans la lignée des G20 qui se sont réunis depuis 2008, pour essayer, dans les différents pays, de limiter les risques, même s'il n'est pas du tout évident que nous parvenions à les réduire à néant. Ce problème dépasse très largement la question de l'évasion fiscale et du blanchiment et touche aux failles du système.

La question du rôle des zones offshore dans l'instabilité mondiale peut recevoir plusieurs réponses différentes. Sur le terrain purement fiscal, l'une des raisons d'être de ces places offshore résulte de leur fiscalité avantageuse. Le mouvement relativement ancien de lutte contre les paradis fiscaux semble aujourd'hui s'accélérer, notamment par l'effet d'un changement de position des Etats-Unis, qui possèdent les moyens ad hoc pour durcir la lutte. Nous devrions obtenir à terme plus de transparence sur ce sujet mais ces zones ne constituent pas le seul facteur de déséquilibre.

Les zones offshore se révèlent attractives aussi pour des raisons juridiques. Elles offrent souvent, en effet, un droit plus souple et permettent d'échapper aux contraintes des régulateurs en termes, par exemple, de limitation de l'effet de levier. Dans les crises les plus récentes, ce ne sont toutefois pas les zones offshores qui se sont trouvé à l'origine des emballements les plus forts. La crise des subprimes, par exemple, dont les conséquences économiques ne sont pas toutes épuisées aujourd'hui, ne présente aucun lien avec les zones offshores. Les produits ont été conçus aux Etats-Unis, dans un secteur parfaitement régulé et ont été vendus à d'autres instances elles-mêmes parfaitement régulées. Les zones offshore présentent un risque d'inégalité et d'obscurité et peuvent même présenter, à certain moment un risque systémique. Pour autant, elles ne constituent pas le seul facteur d'instabilité financière.

Quant à la transparence des marchés, je doute que le terme revête pour tous la même acception. Pour le régulateur de marché, la transparence signifie que l'information disponible sur les titres échangés s'avère correcte. A cela s'ajoute la transparence du fonctionnement du marché lui-même. La France possède une tradition de marchés centralisés, gérés par les ordres, remontant au XIXème siècle. Nous recherchons donc toujours la transparence sur les ordres de vente et d'achat, avec une formation des prix sans tricherie. De ce point de vue, nous nous inquiétons de voir que l'évolution des dernières années sur les marchés européens n'est pas allée dans le sens de cette transparence. Au contraire, une grande partie des transactions ne passe plus par ce système, du fait notamment de la directive européenne sur les marchés dinstruments en financiers (MIF), en cours de révision.

M. Eric Bocquet . - Par transparence, je fais référence notamment à l'identité des acteurs.

M. Gérard Rameix . - Avec l'internationalisation des marchés, l'identification des intervenants n'est plus immédiate. L'ordre est passé sur un marché ou une plate-forme par un professionnel mais le donneur d'ordre n'est pas renseigné dans les systèmes. L'initiative actuelle du LEI - Legal Entity Identifier - permettrait d'attribuer un numéro international à tous les intervenants sur tous les marchés et, de ce fait, de favoriser le repérage des acteurs à l'origine des transactions. Ce changement nous apparaît souhaitable.

Les régulateurs cherchent par ailleurs à lutter contre l'atomisation des marchés par l'intégration des données dans un seul lieu qui permette de reconstituer un marché unique sur informatique. Dans une enquête, une personne X qui apprend une information Y sur un titre Z va chercher à se dissimuler au maximum pour acheter le titre, en brouillant les pistes et en utilisant par exemple un compte offshore.

M. Eric Bocquet . - Je pensais également à l'origine des fonds. Parmi les six dossiers transmis à Tracfin, existe-t-il des cas relevant d'un manque de transparence dans l'identité de l'intervenant ou l'origine des fonds ?

M. Gérard Rameix . - Je ne les connais pas personnellement mais je suppose que tel est le cas. Le dossier du CIF, par exemple, a été envoyé en commission des sanctions parce que l'établissement n'avait mis en place aucune procédure et que nous avons repéré des clients pour lesquels l'origine des fonds pouvait susciter quelques doutes. Nous vous transmettrons les détails de ces enquêtes et contrôles par écrit.

Nous avons repéré 70 milliards d'euros gérés par des gérants français dans des zones offshore. Ceci représente une part infime des OPCVM (1 200 milliards d'euros). Les îles Caïman sont plus particulièrement plébiscitées, en particulier par les clients américains. Les sociétés de gestion françaises s'engagent dans ces zones surtout parce que les clients le demandent. Leur présence peut aussi répondre à des préoccupations fiscales ou à des habitudes prises dans certains pays. Ainsi, les îles Caïman constituent une destination habituelle pour les épargnants américains. Nous avons pour rôle de vérifier que la société de gestion en France s'avère correctement organisée pour gérer les risques afférents. Nous ne pouvons pas, en revanche, nous pencher sur les actions entreprises aux îles Caïman, sauf à utiliser les procédures de coopération.

D'une manière plus générale, les hedge funds constituent à l'origine des fonds d'arbitrage ou de couverture. Par extension, le terme recouvre aujourd'hui tous les fonds qui utilisent des techniques de gestion plus spéculatives, qui reposent sur des techniques quantitatives ou des arbitrages. Ces fonds utilisent souvent des produits à effet de levier, ce qui peut receler des risques. C'est ainsi que LTCM, voilà quelques années, a dû être consolidé par une intervention de la FED de New York tant les risques sur les marchés de taux étaient devenus importants. La régulation bancaire constitue la meilleure manière d'appréhender et limiter ces risques car ces fonds travaillent tous avec des banques, qui assurent leur financement.

M. Eric Bocquet . - La loi bancaire en cours de discussion répond-elle selon vous à cette préoccupation ?

M. Gérard Rameix . - Elle devrait effectivement limiter le risque que les banques prennent sur ces fonds, en interdisant les financements non couverts. Pour autant, la loi n'interdit pas aux banques de travailler avec ces fonds. D'ailleurs, il est de notoriété publique que les banques françaises ont milité pour leur maintien, faisant valoir qu'une interdiction viendrait limiter considérablement leur activité.

M. Benoît de Juvigny, Secrétaire général de l'AMF . - La directive AIFM qui entrera en vigueur en juillet 2013 comporte des règles de sécurité sur l'usage obligatoire des dépositaires, une obligation qui s'appliquera désormais aux sociétés de gestion françaises ou européennes qui souhaitent gérer des hedges funds ou fonds d'investissements alternatifs situés en France, en Europe ou dans d'autres pays du monde. Ces règles vont contribuer au renforcement de la sécurité puisque très souvent les fonds de droit étranger utilisent des banques dépositaires dans les pays européens. Les 70 milliards d'euros évoqués par le Président de l'AMF recouvrent tous les fonds d'OPCVM non français, en particulier les fonds luxembourgeois qui utilisent des statuts assez attractifs, y compris sur le plan fiscal, mais parfaitement légaux pour nous.

M. Gérard Rameix . - Les rachats d'actions consistent à réduire les fonds propres et bénéficier ainsi d'un effet de levier plus important. Ils peuvent s'avérer fiscalement avantageux dans certains cas. Au lieu de verser un dividende, l'entreprise va verser des intérêts sur son emprunt et diminuer ainsi son impôt. La comparaison entre la fiscalité des revenus et des plus-values peut également jouer même si un rapprochement de ces deux fiscalités tend à réduire la pertinence de ce mécanisme. Les rachats dépendent des pays mais aussi des moments. Si les sociétés souhaitent réduire les leviers, elles effectuent peu de rachats. Nous ne jugeons pas l'opportunité économique de ces opérations mais veillons à leur régularité.

Nous n'examinons pas les financements intragroupes car ils ne relèvent pas de nos compétences. La norme IFRS 12, en exigeant des sociétés qu'elles expliquent l'écart entre le taux théorique et le taux effectif d'impôt, induira plus de transparence. Je n'ai pas connaissance de poursuites de l'AMF en raison d'un non-respect de cette norme.

M. Eric Bocquet . - Quels enseignements tirez-vous de votre participation à la supervision des agences de notation, sur les conflits d'intérêts éventuels et sur leur considération pour les règles fiscales et de lutte contre le blanchiment ?

M. Gérard Rameix . - Nous ne régulons plus aujourd'hui les agences de notation, cette mission ayant été transférée voilà deux ans à l'ESMA. Celle-ci vérifie que leurs procédures de gestion des conflits d'intérêts et de séparation entre les actions commerciales et les notations s'avèrent correctes. Lorsque nous examinions ces agences, nous avions repéré la progression anormale de leur chiffre d'affaires au profit de la notation de nouveaux produits structurés, des produits dont certains sont devenus des subprimes. Il existait là un conflit d'intérêts évident. Si nous avions eu pleinement conscience du phénomène, je pense que nous aurions pu éviter certains dérapages. Il s'agit là sans doute du plus gros échec des notateurs, lié à des erreurs techniques et à des tentations financières. Les régulateurs et le management des agences de notation n'ont pas perçu le changement complet d'approche, les agences ne notant plus le risque que l'entité ne rembourse pas mais la solidité d'un produit financier. Ces conflits d'intérêts et ces erreurs techniques ont engendré des conséquences gravissimes.

M. François Pillet . - Nous vous remercions pour l'éclairage que vous nous avez apporté. Nous attendons avec grand intérêt les réponses écrites aux questions que nous n'avons pu aborder au cours de cette audition.

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