DEUXIÈME PARTIE - LA FINANCE ET L'ÉVASION FISCALE
INTRODUCTION

L'optimisation de la charge fiscale des entreprises veut que les centres de coûts soient localisés dans les pays à taux d'imposition comparativement élevé, les centres de profits là où ils sont relativement faibles.

La mise en oeuvre de cet arbitrage peut être plus ou moins facile en raison des contraintes qui peuvent s'exercer sur lui : mobilité des facteurs, effets des variables non fiscales, de nature réglementaire (par exemple le contrôle des flux de capitaux ou des changes) ou économiques (les autres coûts).

Toutefois, les ressources financières échappent, et de plus en plus, au poids de ces contraintes.

Les règles limitant les flux financiers ont été largement désactivées. Par ailleurs, leur mobilité est, techniquement, quasiment parfaite puisqu'en particulier les richesses financières peuvent être gérées à distance par une main d'oeuvre qui, pour être souvent plus mobile que d'autres, n'a pas à occuper systématiquement une position de proximité avec son outil de travail. Enfin, en dépit de l'existence de risques internationaux spécifiques, comme ceux résultant du manque d'un système monétaire international géré, la perception que des techniques de réduction du risque immunisent contre celui-ci s'est largement répandue.

Il faut à cet égard souligner l'événement majeur qu'a représenté l'intégration régionale, en particulier en Europe, pour la constitution d'espaces financiers intégrés. La création de l'euro n'a pas suffi à offrir toutes garanties à ce propos puisqu'aussi bien sa pérennité, au moins dans le schéma actuel de la zone euro, est régulièrement remise en cause. Néanmoins, en éliminant le risque de change entre les pays de la zone euro elle a favorisé la circulation financière entre les espaces unis monétairement mais restés fiscalement hétéroclites.

En cela, l'euro a créé un contexte monétaire susceptible de renforcer l'arbitrage fiscal tout particulièrement dans le champ des opérations et positions financières.

La « gestion » de l'impôt par les entreprises consiste selon les réponses adressées au questionnaire de votre rapporteur à s'assurer de leur conformité fiscale.

Peu de réponses, mais il en existe quelques-unes, font l'état d'un objectif de réduction de la charge fiscale.

Celui-ci est pourtant présenté par la doctrine, majoritairement issue des cabinets fiscalistes, comme une contrainte incontournable et légitime, la maximisation du rendement du capital après impôts répondant à l'intérêt des actionnaires et se trouvant être une nécessité dans un monde économique présenté comme concurrentiel.

Par ailleurs, sauf à supposer que les entreprises interrogées offrent des singularités sur ce point, il est peu probable qu'elles se différencient vraiment de leurs homologues qui montrent tant d'exemples de pratiques d'optimisation de leur situation fiscale.

On pourrait croire à consulter les réponses au questionnaire de votre rapporteur que les débats sur la fiscalité du secteur de l'économie numérique ou encore les ordres du jour des travaux de l'OCDE, du G8 et du G20 témoignent de la poursuite de chimères.

Il est possible que les réponses transmises à soient biaisées par l'identité présumable des « répondants », probablement composés des départements fiscaux des entreprises.

On peut comprendre que, pour ceux-ci, la conformité fiscale soit un critère important.

Au demeurant, c'est une proposition de ce rapport que d'ancrer cette perception en s'assurant que la responsabilité fiscale des entreprises soit pleinement considérée comme les obligeant.

Des témoignages recueillis par votre rapporteur montrent d'ailleurs que des conflits peuvent exister entre les départements fiscaux et les autres organes de direction qui pour sembler se désintéresser globalement de la gestion fiscale semblent sporadiquement manifester expressément des exigences de réduction de la charge fiscale auxquelles les départements fiscaux peuvent devoir apporter des satisfactions dans des conditions qu'on peut qualifier d'acrobatiques.

En bref, il est peu douteux que la gestion de la fiscalité soit une préoccupation constante des entreprises, qui, pour comporter un volet de conformité, n'en inclut pas moins un objectif d'optimisation géré sur la base d'une approche des risques.

A cet égard, le risque de non-conformité n'est pas la seule dimension d'un équilibre qui intègre aussi le risque de sous-performance fiscale.

Votre rapporteur peut comprendre les impératifs de la communication d'entreprise. Il n'en reste pas moins sensible à ce qui peut apparaître comme à un défaut de sincérité qui traduit un affaiblissement de la considération pour le débat public.

Celui-ci gagnerait, à ce que les questions fiscales soient abordées avec moins de pudeur et sur des bases plus objectives.

Il importe en ce domaine de dissiper toute forme de populisme et de fonder la discussion sur des bases réalistes.

L'optimisation fiscale suscite deux attitudes opposées qui reposent toutes deux sur des sollicitations « passionnelles » :

- d'un côté, la dénonciation de « l'enfer fiscal » et la justification correspondante de l'astuce fiscale ;

- de l'autre, l'assimilation de toute situation fiscale plus favorable au contribuable que celle qu'il connaîtrait sous les auspices de la loi fiscale nationale la plus rigoureuse à une fraude.

L'une et l'autre de ces attitudes doivent être condamnées tant en soi que pour leurs effets de diversion.

Le débat fiscal doit revenir à ses fondamentaux : la détermination d'un ordre fiscal juste.

Cet appel ne peut évidemment ignorer le contexte contemporain d'une multiplication des occasions offertes aux contribuables de bousculer cet équilibre dans le cadre d'une mondialisation où, délibérément ou non, les Etats occasionnent à leurs homologues des dommages fiscaux.

Les risques associés à ce contexte dépassent de beaucoup le champ fiscal lui-même ; ils sont majeurs d'un point de vue économique dès lors que la concurrence fiscale engendre des déséquilibres macroéconomiques insoutenables à terme en déconnectant les revenus de leur origine ; ils sont considérables d'un point de vue social puisque la concurrence fiscale affaiblit les plus faibles ; ils sont destructeurs d'un point de vue politique en ce qu'elle brise les liens entre Etats et au sein de chacun d'eux.

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