PREMIÈRE PARTIE - UN MONDE OPAQUE ET À RISQUES

CHAPITRE PREMIER
L'OFFSHORE ET LES FAILLES

Le système financier international porte les marques d'une évasion systémique des capitaux

Ces marques sont diversifiées :

- le « trou noir » des statistiques financières internationales en constitue une catégorie probante, mais quelque peu abstraite, même si une fois déclinée géographiquement, elle aboutit à des constats qui parlent d'eux-mêmes.

- la répartition des masses financières entre les centres financiers internationaux est encore plus éloquente : les centres offshore qu'on pourrait appeler « paradis financiers » apparaissent très « structurants » pour les circuits financiers internationaux, même si en leur sein des reclassements semblent en cours.

- par ailleurs, une nouvelle dimension se développe à grande vitesse sous l'impulsion des nouvelles technologies, avec de nouvelles formes de vecteurs dématérialisés des richesses qui en accélèrent la circulation et en démultiplient la mobilité.

- enfin, la thématique du blanchiment, considéré au sens large, impose ses constats en même temps qu'elle se diversifie pour englober des transgressions de plus en plus variées dans leur nature.

I. LE POIDS DE L'OFFSHORE

Le Crédit Suisse estime à 223 trillions de dollars de patrimoine mondial des ménages dans son étude « Global Wealth Databook » de 2012.

Une partie seulement de ce patrimoine - d'autant plus élevée que le pays est développé - est constituée d'actifs financiers.

Les estimations sur ce point sont soumises à des incertitudes mais un montant de 73 trillions de dollars est couramment cité.

Les estimations portant sur les actifs financiers détenus dans les centres offshores sont quant à elles dispersés ainsi que la commission d'enquête sur l'évasion fiscale internationale l'avait indiqué. ( cf . infra pour le rappel des estimations).

Cette dispersion s'est au demeurant accentuée depuis les travaux de la commission, le poids relatif de la finance offshore s'étant apparemment alourdi.

La dispersion des estimations du poids du offshore vient bien sûr de la nécessité de supputer des données qui n'apparaissent pas dans les recensements statistiques.

Mais, elle est également le reflet d'un défaut de consensus sur le périmètre de l'offshore dont la définition n'est pas harmonisée.

Des organismes étatiques tendent à consacrer cette notion, mais à partir d'une approche souvent trop neutre ou hésitante qui témoigne de l'absence d'un accord général sur la notion. Ce constat est évidemment encore accentué quand on confronte les approches des organes officiels à celles des organisations non-gouvernementales.

Il faut surmonter ces difficultés.

Malgré ce contexte qui reste défavorable à une opération appelant l'offshore par son nom, les données officielles donnent déjà des indications sans ambiguïtés sur son importance systémique.

Par ailleurs, l'offshore n'est pas l'apanage des paradis exotiques ; il est là où sont les failles dont profitent certains circuits financiers pour se soustraire aux règles d'intérêt public.

Leut transgression répond à des objectifs divers, comme le montrent les liens entre la finance innovante et certains territoires de faible intensité légale.

On n'aborde pas icen profondeur les risques que présente cette situation pour la stabilité financière. Pour la conformité, ces risques sont ceux qu'il faut attribuer à l'opacité.

A. L'OFFSHORE, UNE RÉALITÉ QU'IL FAUT APPELER PAR SON NOM

L'élan vers la suppression des paradis fiscaux, qui sont aussi des paradis réglementaires, semble quelque peu retombé dans sa forme initiale. Surtout, il est resté sans tous les prolongements souhaitables. Les auditions de votre commission témoignent d'une sensibilité très inégale d'acteurs importants de la finance française face à la réalité de l'offshore. Les États malheureusement ne montrent pas toujours l'exemple, soit dans les concerts internationaux, soit dans les limites de leurs décisions souveraines.

Il est important de ne pas baisser la garde et qu'une référence aussi commune que possible advienne. La communauté internationale doit s'attacher à faire prévaloir un ordre économique juste et ordonné ce qui est une condition indispensable pour que les États séparément puissent s'appuyer sur une coordination coopérative pour agir de leur côté. Condition indispensable mais pas suffisante cependant ce qui invite à ajouter un volet opérationnel aux systèmes multilatéraux de surveillance des paradis fiscaux.

Il faut en effet obvier à deux effets pervers majeurs du flou actuel sur ce point : l'affaiblissement de la mobilisation contre un phénomène potentiellement très déstabilisant  du fait de sa banalisation ; la concurrence réglementaire par défaut de coordination qui désamorce nombre de dispositifs prévus pour reprendre la maîtrise des flux financiers.

À cet égard, la communauté internationale qui s'était mobilisée pour exercer une pression tendant à une normalisation coordonnée d'un certain nombre de territoires ne doit pas s'enliser dans des processus qui in fine aboutissent à leur banalisation et auxquels il faut donner toute leur force.

1. Le Forum mondial : un processus utile malgré quelques biais...

Le Forum mondial de l'OCDE a reçu un nouvel élan après le sommet du G 20 de Londres en 2009. Ses travaux, pour appeler quelques réserves, restent utiles.

Le bilan du Forum fiscal

A l'occasion de la réunion du G20 de Saint-Pétersbourg du mois de septembre, le secrétaire général de l'OCDE a publié une contribution portant sur trois aspects de la lutte contre l'évasion fiscale : l'avancement du programme d'évaluation par les pairs dans le cadre du forum fiscal de l'OCDE ; les différentes dimensions du plan d'action de l'OCDE pour lutter contre l'érosion des bases taxables à travers les transferts illégitimes de profits ; l'échange automatique d'informations entre les administrations fiscales.

Le bilan du forum mondial de l'OCDE, premier temps de la communication, mentionne l'adoption de 113 rapports de revue par les pairs concernant 98 juridictions.

L'exercice d'évaluation de Phase 1 dédié à l'appareil juridique des pays est presque achevé et l'évaluation de Phase 2 qui concerne l'application effective des normes d'échanges d'informations a été réalisée pour 41 juridictions. 650 recommandations ont été adressées aux Etats, ce qui témoigne d'un état médiocre des possibilités initiales de coopération internationale. Pour l'OCDE, toutefois, plus de 400 auraient été suivies d'effets. Cependant, le processus présenté par lui comme représentant la pierre de touche de l'édifice, l'attribution d'une note par pays couvrant globalement sa conformité aux normes de transparence et d'échanges n'est pas encore disponible. Cette notation devrait intervenir à partir de novembre 2013 pour une cinquantaine de pays.

Le forum réunit désormais 119 juridictions, un grand nombre de pays d'Afrique et du Moyen-Orient ne prenant pas part au processus, en plus de quelques Nations d'Amérique latine et du Sud. Le nombre des accords d'échanges d'information atteint 800 et à la suite de la révision de la convention-cadre de l'OCDE en 2011, le nombre des signataires de celle-ci a doublé. Ces évolutions sont mentionnées comme témoignant de progrès dans la transparence fiscale internationale. Il en va de même en filigrane des résultats des évaluations : ainsi, sur la près d'une centaine de juridictions ayant fait l'objet d'un rapport de Phase 1, seules 11 d'entre elles n'avaient pas été admises à passer à la phase suivante, leur législation présentant de trop grandes insuffisances. Ces juridictions étaient le Botswana, Brunei, le Costa Rica, le Guatemala, le Liban, l'Uruguay, le Libéria, Panama, Trinité et Tobago, les Emirats arabes unis et le Vanuatu. Par ailleurs, le forum avait subtilement prononcé un passage sous conditions pour deux Etats : la Suisse et le Liechtenstein. Trois États ayant amélioré leur cadre légal ont depuis été admis à passer à l'examen de Phase 2 : le Liechtenstein, le Costa Rica et l'Uruguay. En revanche quatre nouveaux examinés ont été bloqués en Phase 1 : les îles Marshall, la Dominique, Nauru et Niué.

Les recommandations d'amélioration se répartissent comme suit :

La moitié des recommandations portent sur l'identification des propriétaires des avoirs et sur les règles de comptabilité. Le très faible nombre des recommandations relatives aux banques (8 sur un total de 666) ressort comme une donnée pour le moins étonnante. Certes, certaines failles concernant les banques se trouvent en réalité placées sous d'autres chapeaux, comme celui relatif à l'identification des ayants droits économiques ou l'accès aux informations. Il n'empêche que peut sembler quelque peu déconcertant le brevet de respectabilité donné à des juridictions qui sont à l'évidence très inégalement dotées des outils nécessaires à un jeu normal de l'échange d'informations fiscales. Il est vrai que dans ce domaine au-delà des normes, c'est leur application qui compte si bien que l'épreuve de vérité est probablement moins celle de la Phase 1 de l'exercice de revue par les pairs qu'elle ne réside dans la Phase 2.

Parmi les progrès relevés par le forum l'abolition des actions au porteur, le renforcement des obligations imposées aux banques pour répondre aux nécessités de l'échange d'information (sans autre précision) sont mentionnées.

Le rapport de l'OCDE se félicite de l'amélioration de la ponctualité des réponses. Cependant, ce satisfecit n'est guère étayé tandis que le rapport abordant l'évaluation par les pairs (la phase 2 du programme), qui concerne l'application effective des conventions, indique que les 41 rapports réalisés sous ce chapitre ont comporté 91 recommandations d'amélioration. Ces recommandations se répartissent comme suit :

La moitié d'entre elles concernent précisément la célérité de la réponse tandis que l'identification de l'ayant droit économique a fait l'objet de 12 recommandations.

Globalement, le satisfecit de l'OCDE ressort comme peu susceptible de recueillir une complète adhésion alors que le processus du forum fiscal, pour nécessaire, présente une portée finalement problématique.

Il peut apparaître raisonnablement surprenant que l'examen du cadre légal de près de 100 États n'ait donné lieu qu'à 666 recommandations. Certes, pris comme tel, ce nombre est élevé, mais rapporté à celui des juridictions évaluées, il aboutit à un nombre moyen de recommandations par Etat de 6,8.

A l'évidence, ce nombre qui paraît extrêmement faible, ne peut être réellement apprécié qu'en se référant au contenu des recommandations. Selon leur portée, les résultats de l'évaluation par les pairs de Phase I peuvent être appréciés différemment. Par ailleurs, la dispersion du nombre des recommandations adressées à chaque État peut conférer un certain réalisme à l'exercice.

Pourtant, au vu des critères envisagés (une dizaine) et connaissance prise de certaines recommandations concrètes, le sentiment demeure que les ressources consacrées à l'exercice ne débouchent pas sur des recommandations suffisamment exhaustives et dotées d'une portée opérationnelle évidente.

A cet égard, le signalement que 400 des recommandations ont été suivies d'effets apparaît plus comme un procédé de communication que comme une donnée réellement significative.

Au demeurant, toute approche quantitative ressort comme inévitablement réductrice. La capacité de coopération fiscale d'un pays s'étaye certes sur la réunion de conditions objectivables. A cet égard, l'audition de M. François d'Aubert a été l'occasion de mentionner certaines exigences très élémentaires qu'il faut réunir. Pour autant, la réunion de ces conditions, ou de la plupart d'entre elles, à supposer même que les standards de l'OCDE soient suffisants, ce qui n'est pas le cas, ne suffit pas. L'organisation elle-même semble en convenir en rappelant dans le même document qu'une approche holistique est nécessaire.

Bref, il ne faut pas se laisser « illusionner » par les quantifications proposées.

Au demeurant, l'OCDE n'y attache elle-même qu'une importance relative puisqu'aussi bien, le nombre des Etats bloqués en Phase I n'a pas évolué significativement malgré les « progrès » annoncés (seuls trois Etats ayant été « débloqués ») tandis que le constat des défaillances du cadre légal et réglementaire n'empêche pas systématiquement de passer à l'examen de Phase II dont l'existence en elle-même s'inspire d'un constat répété : celui de la distance considérable entre l'armature légale et la pratique coopérative des Etats.

A cet égard, on peut mettre en rapport le nombre des recommandations (91) formulées dans le cadre des rapports de Phase II qui ont porté sur 41 juridictions.

Un point de vue naïf pourrait amener à conclure que le ratio moyen de recommandations par Etat (2) témoigne que les États examinés en phase II sont, après avoir satisfait les exigences de l'examen en Phase I, mieux à même d'offrir une pratique satisfaisante de la coopération.

En réalité, il n'en est rien. Il faut d'abord admettre que les catégories de rattachement des recommandations formulées sur l'application concrète de la coopération ne sont qu'apparemment informatives. Dès lors que le critère de ponctualité des échanges d'informations, qui peut englober les cas où aucune réponse n'est matériellement transmise aux demandes, regroupe 43 recommandations (soit davantage que le nombre des pays examinés ce qui laisse un peu perplexe), la significativité des autres statistiques ressort comme particulièrement modeste.

De fait, à l'inverse de la conclusion mise en avant par l'OCDE, c'est bien au maintien d'un faible niveau de coopération effective qu'il faut conclure, au vu même des données présentées .

Ce constat apparaît comme concordant bien davantage avec les témoignages reçus par votre commission d'enquête.

Au demeurant, l'OCDE s'est désormais tout à fait ralliée à la nécessité de promouvoir l'échange automatique d'informations, précisément au nom des faiblesses de l'échange sur demande.

En réalité, au-delà des observations du Forum, c'est toute la crédibilité du processus qui doit être envisagée.

2. ...mais qui doit recevoir tous ses prolongements

Votre rapporteur a la conviction qu'il est bien préférable qu'une organisation multilatérale s'occupe des sujets traités par le Forum mondialplutôt que de les laisser en déshérence. Il est par ailleurs justifié que même avec le changement d'orientation de l'OCDE vers un primat donné à l'échange automatique d'informations, et nonobstant l'existence d'autres enceintes internationales chargées de superviser la conformité des États, mais sous d'autres angles,(le GAFI, le Conseil de Stabilité Financière), le Forum poursuive ses travaux.

Cependant, à ses yeux, outre que le processus ne devrait pas être instrumentalisé pour servir de socle de communication sur la question fondamentale de la coopération entre États aux fins d'assurer un respect mutuel de leurs souverainetés fiscales, son formalisme apparaît comme une limite de l'exercice.

Force est d'abord de constater que la culture de la mise sous surveillance des paradis fiscaux n'a pas diffusé suffisamment dans la communauté financière.

Lors des auditions de la commission d'enquête, cette résistance culturelle est apparue fréquemment. Aux yeux de certains, il n'est pas même question d'envisager que des centres offshore très développés puissent être critiqués. Leur importance financière suffit à leur conférer une légitimité sans faille. Réflexe naturel pour des décideurs qui recourent quotidiennement à leurs avantages comparatifs. On donne plus bas un exemple des excès auxquels cet habitus conduit avec le plaidoyer pour les Iles Caïmans transmis par un établissement de la place. Certains banquiers se sont exprimés pour déplorer avoir dû fermer des entités dans des pays de vieille implantation alors même qu'ils avaient participé à l'engagement pris par la profession de se retirer des États placés sur la liste grise de l'OCDE et n'ayant pas conclu de conventions fiscales avec la France.

Globalement, la culture de l'opportunisme paraît l'emporter. « Tant que l'orchestre joue, il faut danser... »

Ce réflexe rappelle celui, évoqué lors de l'audition de M Dominique Strauss Khan, des banquiers réunis e pleine crise financière et appelant de leurs voeux l'adoption de règles sans lesquelles leurs comportements devraient demeurer déviants. Démonstration concrète des échecs de l'autorégulation.

Les États devraient donc s'efforcer de donner eux-mêmes davantage de prolongements à l'action du Forum fiscal.

Or, ils suivent eux-mêmes des comportements qui en réduisent la portée.

L'ambivalence de l'UE peut ici être mentionnée. On sait qu'elle exclut que ses Etats membres puissent être jugés non coopératifs. Or, plusieurs pays européens posent d'évidents problèmes sous cet angle.

Il est tout à fait exact que le Luxembourg ne saurait être juridiquement qualifié de paradis fiscal par un pays de l'UE, et moins encore traité avec les conséquences qui peuvent s'attacher à cette qualification, les traités interdisant formellement de telles options.

Il n'en est pas moins vrai que le Luxembourg s'est longtemps refusé à s'obliger à tout échange sérieux d'informations dans le champ fiscal. Par ailleurs, l'OCDE qui dans le cadre du Forum est conduite à ménager le pays ne le considère pas moins comme très exposé.

Dans le plus récent « rapport pays » consacré au Luxembourg, l'OCDE relève que celui-ci a activement négocié un grand nombre d'accords bilatéraux d'échange de renseignements à des fins fiscales depuis qu'il a adhéré à la norme internationale en mars 2009 et qu'une nouvelle loi a été adoptée en 2010 sur le secret bancaire afin de permettre ces échanges.

Il n'en reste pas moins, estime t'elle, que le Luxembourg offre toujours un cadre propice à l'utilisation du système financier à des fins d'évasion de capitaux. L'OCDE mentionne la pérennité du régime des actions au porteur qui permet à tout un chacun de créer des structures sociales anonymisées pour y loger ses actifs. Par ailleurs, l'instauration d'une retenue à la source de 35 % n'est en rien équivalente à un engagement sérieux dans l'échange de renseignements alors même que des dispositifs fiscaux ad hoc peuvent en désamorcer l'effet. Le volume des crédits d'impôt récupérables à ce titre mais non récupérés témoigne des limites du mécanisme.

Dans ces conditions, il faut regretter que la « politique de la liste » qui avait prévalu semble se vider de sa substance.

Cette évolution témoignerait au niveau international selon les observateurs auditionnés par votre commission d'un désaccord profond à son sujet, quand un temps, elle avait paru faire consensus.

Elle n'est certainement pas dotée de toute l'efficacité qui lui fut prêtée, mais, en son absence, les décisions nationales dessinent une série de cadres légaux et réglementaires témoignant d'une tactique du moins-disant réglementaire qui favorise la prolifération des paradis fiscaux.

La liste récemment publiée par la France pour recenser les juridictions non coopératives à ses yeux en porte le témoignage. Alors même qu'une partie primordiale de la communication gouvernementale sur des problèmes rencontrés pour élucider la situation d'un ministre ayant récemment démissionné, a consisté à mettre en évidence les réticences de la Suisse à jouer le jeu de l'échange d'informations, ce pays s'en trouve exclu. Cette option n'offre qu'un exemple parmi d'autres d'une doctrine qui, en même temps qu'elle banalise les pratiques fiscales ou financières (les listes GAFI ou du Conseil de stabilité financière ne sont pas plus exhaustives, cette dernière ne comptant plus qu'un Etat sur les 60 examinés), désarme les règlementations.

Certaines perspectives vont dans un sens encore plus préoccupant. À défaut d'exercer leur pouvoir normatif, les États tendent à le remettre aux acteurs privés sous une supervision vague de régulateurs hésitants comme c'est le cas avec la quatrième directive anti-blanchiment qui une fois de plus délègue aux acteurs privés le soin de déterminer des standards importants pour la lutte contre la criminalité financière.

Pourtant, l'ambition de parvenir à une définition universelle des paradis fiscaux et réglementaires n'a rien d'inaccessible sur le plan cognitif. Les critères de définition de l'offshore sont connus.

Un consensus théorique existe sur les critères permettant d'identifier les centres offshores.

Ce consensus contraste avec les classements mis en pratique par les enceintes internationales ou par les États pour recenser les paradis fiscaux qui se révèlent hétéroclites.

L'approche théorique s'accorde sur quelques critères résumés dans l'encadré ci-après :

Définition et caractéristiques d'un centre financier offshore

En termes opératoires, les centres financiers dits offshore ou « extraterritoriaux », États, territoires rattachés ou simples juridictions d'exception, peuvent être définis comme des places dont le secteur financier, en large partie, contrôlées par des non-résidents :


• conduit l'essentiel de ses activités avec des non-résidents (à l'actif comme au passif du bilan), les activités tournées essentiellement ou exclusivement vers l'international bénéficiant d'une réglementation d'exception inaccessible aux acteurs financiers dits onshore ;


• présente des encours de créances et engagements extérieurs sans proportion avec les besoins d'intermédiation financière de l'économie intérieure ;


• effectue ou enregistre des opérations initiées le plus souvent ailleurs.

À des degrés divers et selon des combinaisons variables, les centres financiers extraterritoriaux partagent enfin concrètement un certain nombre de caractéristiques :

- un secret bancaire très large ;

- une réglementation jugée insuffisante des activités bancaires et financières et des moyens alloués à la supervision bancaire pas toujours proportionnés au nombre d'établissements enregistrés. Dans de nombreux cas, une présence physique des institutions financières enregistrées n'est pas même requise (...) ;

- des règles de droit commercial autorisant la constitution aisée de sociétés écrans ou de structures de gestion patrimoniale (Trusts, International Business Companies, Anstalten...) garantissant, notamment, l'anonymat du bénéficiaire d'une opération financière avec l'étranger, mais aussi des règles d'enregistrement des sociétés très flexibles permettant la création très rapide de véhicules financiers ad hoc ;

- une fiscalité très faible voire nulle sur les revenus tirés des activités industrielles ou commerciales et sur les revenus d'investissement : en particulier, absence de retenue à la source sur les intérêts versés à des non-résidents.

Ces derniers éléments mettent en lumière le lien étroit entre centres financiers extraterritoriaux et « paradis » fiscaux, même si l'on ne peut en toute rigueur parler d'équivalence entre ces deux qualifications.

Source : Extraits tirés de « Les centres financiers extraterritoriaux : caractérisation et enjeux du suivi statistique », par Jean-Stéphane Mésonnier, Bulletin de la Banque de France, n°82, octobre 2000

Les critères sélectionnés sont répartis entre :

- des critères financiers : un surdéveloppement de la finance et une proportion considérable des opérations internationales ;

- des critères juridiques : un encadrement normatif faible et asymétrique entre résidents et non-résidents ;

- un critère géopolitique : une domination de fait du pays par l'étranger ;

- un critère fiscal : une fiscalité faible voire nulle.

La déréliction de la pratique du blaming and shaming qu'incarnait l'inscription sur des listes doit donc être regrettée.

Il faut renverser cette tendance et accompagner ce redressement par un renforcement des engagements des pays parties au processus du Forum, de traduire dans leurs législations nationales les résultats des examens auxquels il procède.

En attendant, l'offshore est entièrement intégré au système financier international en dépit des risques qu'il présente sur tous les plans, financier et fiscal.

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