INTRODUCTION

« Tout ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi ».

M.K. Ghandi

En demandant la création de cette mission commune d'information, le groupe écologiste invite le Sénat à mener une réflexion approfondie sur l'action de la France en matière de recherche pour le développement, dans une optique de rééquilibrage des rapports Nord/Sud : les acteurs du Sud sont-ils réellement bénéficiaires de la recherche pour le développement ? La recherche pour le développement les autonomise-t-elle réellement ?

Si la France a d'abord développé des activités de recherche dans les pays du Sud, c'est en raison de leur spécificité territoriale et géographique : le Sud - que votre mission entend comme couvrant non seulement les pays pauvres prioritaires, identifiés par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 31 juillet 2013 1 ( * ) , mais l'ensemble des pays en développement, des Pays les Moins Avancés (PMA) aux pays émergents (Brésil, Inde ou Afrique du Sud, mais non pas la Chine) 2 ( * ) - a longtemps constitué pour les chercheurs du Nord un terrain privilégié d'exploration, voire d'expérimentation, sans qu'il soit toujours prêté attention aux besoins de ces pays pour leur développement.

La déclaration de Paris en 2005 a constitué un tournant dans les relations Nord/Sud, suscitant l'apparition d'un nouveau paradigme : comme la coopération en général, la recherche, en particulier, ne peut plus être considérée comme le simple lieu d'un transfert du Nord vers le Sud, mais comme un véritable levier de développement réciproque - celui des pays du Sud, mais aussi celui des pays du Nord : en effet, face aux grands défis mondiaux en matière de santé, de sécurité alimentaire, d'énergie ou de changement climatique, la recherche est le meilleur investissement pour le développement durable au Nord comme au Sud. Elle participe aussi de la montée en puissance de l'exigence de responsabilité sociale et environnementale (RSE) qui est une dimension transversale de l'action du Gouvernement et que le CICID du 31 juillet dernier commande d'intégrer pleinement dans notre politique de développement.

Cette recherche pour le développement (RpD) passe par un nouveau mode de partenariat, dans la lignée du huitième objectif du Millénaire pour le développement (OMD) 3 ( * ) , et par de nouvelles méthodes, qui forment « la doctrine » largement mise en avant par les organismes dédiés à cette recherche :

- la recherche pour le développement doit être authentiquement partenariale, c'est-à-dire définie et effectuée ensemble, dans la reconnaissance des positions réciproques de chacun des opérateurs ; la réciprocité implique une définition claire et préalable des objectifs et des responsabilités de chacun, ainsi que le souci de bénéfices mutuels ;

- elle doit répondre à des questions concrètes posées par les sociétés du Sud, et ses réponses doivent être opérationnelles et directement utiles à leurs destinataires ;

- elle doit être pluridisciplinaire, parce que le développement résulte de nombreux facteurs interdépendants - qui relèvent chacun de plusieurs disciplines scientifiques et qui interagissent ;

- elle doit comporter un volet de formation et de renforcement des capacités ( capacity building) chaque fois que c'est nécessaire, avec comme perspective l'autonomie du Sud ;

- enfin, elle doit être évaluée de façon partenariale, pour que chacun des partenaires participe au « retour d'expérience » et à la décision sur les suites.

Quel a été l'impact du « tournant stratégique » initié il y a bientôt dix ans par la déclaration de Paris? Comment se déroule cette recherche pour le développement que l'Institut de recherche pour le développement (IRD) 4 ( * ) qualifie de « recherche au Sud, avec le Sud  et pour le Sud » ? Cette « recherche en partenariat » est-elle avant tout un outil d'aide au développement des pays du Sud, ou bien un outil d'influence pour la France, un instrument au service de sa puissance « douce » ( soft power) ? Comment rendre plus équitable la relation entre la France et les pays du Sud et la fonder sur des complémentarités plutôt que sur des inégalités ?

C'est pour répondre à ces questions que votre mission commune d'information a entrepris d'analyser cette action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement.

A l'initiative du Président de la République, les pouvoirs publics français ont entrepris en 2012 de faire profondément évoluer à la fois la politique de la recherche et la politique du développement : les Assises de la recherche et de l'enseignement supérieur, engagées par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, se sont tenues à l'automne 2012 et ont été suivies par l'adoption de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche le 22 juillet 2013 ; parallèlement, à l'initiative du ministre chargé du développement, M. Pascal Canfin, se sont tenues cet hiver les Assises du développement et de la solidarité internationale, qui devraient donner lieu au prochain dépôt d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour le développement. La recherche pour le développement se situe à l'intersection de ces deux dynamiques : évoquée lors des Assises de la recherche, elle a fait l'objet d'une table ronde du cinquième chantier des Assises du développement. Le moment est donc particulièrement bienvenu pour interroger son identité, sa justification et son impact effectif sur le développement du Sud, que l'on pourrait plutôt désigner comme les Suds, tant la situation des pays considérés est hétérogène.

Ces interrogations s'inscrivent dans le cadre d'une exigence croissante d'efficacité de l'aide, consacrée fin 2011 à Busan (Corée du Sud) lors du forum organisé par l'OCDE. La France consent en effet un effort particulièrement important de présence dans la recherche pour le développement, mais cette recherche est-elle réellement mise au service du développement ? Même si mesurer l'impact sur le développement reste éminemment délicat, votre mission s'est de fait attelée à explorer cette question.

Une trentaine d'auditions a permis à votre mission d'entendre les plus grands acteurs de la recherche pour le développement - organismes de recherche, universités, collectivités territoriales, ONG, associations...-, de se pencher sur leur pilotage, leur financement et leur évaluation, et de situer leur action dans le cadre plus large de notre action publique d'aide au développement, appréhendée à travers l'Agence française de développement et l'OCDE 5 ( * ) . Pour compléter cette approche institutionnelle, votre rapporteure a procédé à une douzaine d'auditions , notamment de chercheurs du Nord comme du Sud, pour tenter de saisir la réalité concrète de la mise en oeuvre des partenariats de recherche. Il était convenu que ces auditions menées par la seule rapporteure ne fassent pas l'objet d'un compte-rendu public, afin de permettre une parole libre des personnes rencontrées.

Trois déplacements à l'étranger sont venus enrichir l'analyse de votre mission sur l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement: le premier, à Bruxelles, lui a permis d'appréhender la dimension européenne du sujet ; les deux suivants, en Inde et au Tchad, ont permis d'explorer deux cas extrêmes et instructifs de partenariat de recherche avec la France, ces deux pays se situant chacun très différemment sur l'échelle de la puissance en ce domaine.

A la lumière de ce travail de plusieurs mois, il apparaît à votre mission que la recherche pour le développement est un atout pour la France, laquelle se distingue par ses organismes de recherche dédiés à cette matière -l'IRD et le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad) - et par leur présence hors de France dans la durée ; mais aussi que cet atout n'est pas toujours mis en oeuvre de manière satisfaisante par notre pays ni pleinement exploité, du fait de sa dispersion et de son positionnement inconfortable entre recherche et développement. Une deuxième partie du rapport est consacrée à l'exploration concrète des partenariats de recherche que mène la France au Sud, au travers des cas indien et tchadien. Se fondant sur ces analyses et sur ces constats de terrain, votre mission propose dans une troisième partie des voies d'amélioration pour que la recherche que mène la France en partenariat avec le Sud joue sur leurs complémentarités réciproques et devienne un véritable moteur du développement social, environnemental et économique du Sud.

En effet, votre mission est convaincue que la recherche partenariale avec le Sud, malgré les difficultés qu'elle rencontre, du fait de l'instabilité politique, du manque de personnes formées au Sud ou des difficultés matérielles, peut bénéficier aux partenaires Nord aussi bien qu'aux partenaires Sud, malgré l'asymétrie qui existe entre eux en matière de développement ou d'attributs de puissance.


* 1 Liste des pays pauvres prioritaires dans lesquels la France concentrera dorénavant la moitié des subventions de l'Etat : Bénin - Burkina Faso - Burundi - Djibouti - Comores - Ghana - Guinée - Madagascar - Mali - Mauritanie - Niger - République centrafricaine - République démocratique du Congo - Tchad - Togo - Sénégal.

* 2 L'outre-mer français est donc exclu du champ de ce rapport, consacré à l'action extérieure de la France.

* 3 « Mettre en place un partenariat mondial pour le développement ».

* 4 Dans son contrat d'objectifs 2011-2015.

* 5 Les comptes-rendus de ces auditions sont accessibles en ligne, sur la page : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/mci-action-exterieure.html

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