D. LES NOMBREUX INTÉRÊTS FRANÇAIS COMME EUROPÉENS FONT DE CETTE ZONE UNE PRIORITÉ
1. Une menace longtemps sous-estimée, désormais bien identifiée
a) Les Livres blancs de 2008 comme de 2013 n'ont pas suffisamment mis l'accent sur la menace sahélienne
Rédigé dans le contexte de l'intervention en Afghanistan, et marqué, sur le plan des idées, par la doctrine de l'administration Bush, le Livre blanc de 2008 ne comportait que les prémisses d'une analyse spécifique à la bande sahélo-saharienne. Cette dernière s'y trouve noyée dans le vaste « arc de crise », de l'Atlantique à l'océan Indien , de la Mauritanie au Pakistan, et ne fait pas l'objet d'un traitement différencié. Le Livre blanc considérait indistinctement que « d ans cette partie du monde, au voisinage de l'Europe, au coeur d'intérêts stratégiques pour la sécurité mondiale, des évolutions essentielles modifient les données de la sécurité de la France et de l'Europe. La poussée de l'islam radical, les antagonismes entre sunnites et chiites, la question kurde et la fragilité des régimes politiques constituent un mélange explosif. L'implantation et la mise en réseau de groupes terroristes sont devenues une donnée permanente . ».
Sur le plan de la présence militaire, le Livre blanc de 2008 disposait que la réorganisation des implantations anciennes en Afrique, autour, à terme, de deux pôles à dominante logistique, de coopération et d'instruction, un pour chaque façade, atlantique et orientale, du continent, « préservera une capacité de prévention dans la zone sahélienne. »
Dans le Livre blanc de 2013 , les zones potentielles d'intervention des armées françaises restent les mêmes, mais elles sont hiérarchisées un peu plus clairement, en partant du territoire national, de l'Europe et de ses approches. Le Livre blanc tire les conséquences de la transformation des pays arabes pour l'Europe et pour la Méditerranée. Il souligne les enjeux de l'Afrique subsaharienne, du golfe arabo-persique, de l'océan Indien. Il intègre la nécessité de protéger nos flux maritimes, notre accès à l'espace et au cyberespace.
Le Sahel dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 (extraits) Le Sahel, de la Mauritanie à la Corne de l'Afrique, ainsi qu'une partie de l'Afrique subsaharienne sont également des zones d'intérêt prioritaire pour la France , en raison d'une histoire commune, de la présence de ressortissants français, des enjeux qu'elles portent et des menaces auxquelles elles sont confrontées. (...) Pour la France, il ne fait (...) pas de doute que ces approches constituent des zones d'intérêt prioritaire pour l'ensemble de l'Union européenne, et qu'une vision commune des risques et des menaces est souhaitable et urgente. Cette priorité collective européenne devrait être d'autant plus affichée que nos alliés américain et canadien attendent de nous que nous prenions une part essentielle des responsabilités dans des zones à l'égard desquelles ils s'estiment moins directement concernés. |
Le Sahel figure expressément dans les « zones prioritaires pour la défense et la sécurité » dans lesquelles la France « entend disposer des capacités militaires lui permettant de s'engager » (plus précisément, appartiennent à cette catégorie : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, une partie de l'Afrique -du Sahel à l'Afrique équatoriale-, le Golfe Arabo-Persique et l'océan Indien.)
Pour autant, rajoutée sans doute in extremis compte tenu de l'intervention au Mali, l'inflexion sahélienne affichée par le nouveau Livre blanc -dont la publication fut d'ailleurs décalée notamment à cet effet- n'est certes pas exclusive, dans un contexte où la montée des menaces et la diminution des moyens auraient pu conduire à des choix plus affirmés.
Depuis Nouadhibou en Mauritanie, jusqu'à Koufra en Libye, en passant par Sebha, par Dakar et jusqu'au Tibesti tchadien en passant par N'Djamena, c'est pourtant toute une région qui s'embrase, aux portes de l'Europe. Il nous semble que cet enjeu aurait pu être mieux pris en compte dans le Livre blanc de 2013.
b) La France puis l'Union européenne ont mis en place des « Stratégies Sahel » qui demandent à être confortées
Comme nous l'avons déjà indiqué dans le premier rapport « Mali : Comment gagner la paix ? », la France puis l'Union européenne à sa suite ont mis en place des stratégies intégrées pour le Sahel (respectivement en 2008 et en 2011) qui ont toutes les deux pour caractéristique d'inclure un large périmètre d'États dans leur réflexion (plus large d'ailleurs dans le document français que dans l'approche européenne) et d'ambitionner de mener une approche transversale alliant développement, sécurité et gouvernance.
Ces réflexions sont en cours, sous l'égide du SGDSN et des services du Premier ministre dans le premier cas, et du Service européen d'action extérieure, sous l'égide du Représentant spécial de l'Union européenne, dans le second.
Recommandation : Les « stratégies Sahel » de la France et de l'Union européenne, utiles instruments transversaux de réflexion et de programmation, mériteraient d'être relancées et recentrées sur de nouveaux territoires , tels que le Niger ou la Libye, par exemple. |
c) Une prise de conscience tardive, concrétisée par une inflexion de la pratique en matière de versement de rançons d'otages
Depuis le 11 janvier 2013, certains n'ont pas hésité à affirmer, qu'ils avaient « vu venir » l'intervention au Mali. Il apparait clairement que, si la France était certes prête à intervenir (c'est d'ailleurs grâce au professionnalisme de nos militaires, dont la planification des opérations pour parer à toute éventualité est l'une des tâches), que si la France avait certes su habilement mobiliser la communauté internationale 106 ( * ) , les événements ont aussi eu leur part de surprise stratégique : et en particulier la folle audace des terroristes dans leur offensive concertée vers le sud du Mali.
En effet, force est de reconnaître que la prise de conscience autour de la montée du danger au Sahel a été tardive . La question a longtemps été exclusivement abordée sous l'angle des otages, et non pas comme un problème de sécurité global directement posé à nos intérêts.
À cet égard, il faut saluer l'intense séquence diplomatique , à l'initiative du Président François Hollande, ouverte par l'« Événement de haut niveau sur le Sahel », en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, le 26 septembre dernier, qui a permis de faire naître une prise de conscience partagée et de façonner un consensus international sur un sujet qui ne figurait pas jusqu'alors en tête de l'agenda international.
Indéniablement, la France a su mobiliser tant la communauté internationale que les États africains, et nos partenaires européens. Cela montre la crédibilité dont elle dispose encore aujourd'hui notamment pour ce qui concerne l'Afrique.
Même si les événements ont précipité un scénario alternatif à celui que la France avait initialement préconisé (intervention conduite par les forces africaines) et qui a donné lieu à la résolution 2085 -auquel, il faut le dire, tous nos alliés n'avaient d'ailleurs pas immédiatement adhéré 107 ( * ) - le travail de persuasion diplomatique avait été accompli.
Ce consensus, qui a réuni, il faut le noter, l'ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité, y compris la Russie et la Chine , s'est manifesté par l'adoption de quatre résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Le soutien unanime des 27 États membres de l'Union européenne à l'intervention française a été solennellement affirmé par plusieurs conclusions du Conseil européen. Les organisations régionales africaines, qu'il s'agisse de la CEDEAO ou de l'Union Africaine, ont également apporté leur soutien à l'intervention au Mali. Enfin, l'Algérie, il faut le noter, en dépit de réticences bien compréhensibles à voir se dérouler un conflit armé impliquant une puissance étrangère sur son flanc sud, fait montre d'un esprit constructif de coopération.
Le Sahel a alors cessé de n'être considéré que sous le seul angle des otages.
Vos rapporteurs, qui ont, par le passé, l'un et l'autre déjà été confrontés à la délicate problématique de la gestion d'otages, ont délibérément choisi de ne pas aborder, dans ce rapport, une question qui exige la plus grande discrétion : celle des otages.
La vie de nos otages est naturellement au premier plan des préoccupations des responsables politiques, des militaires, des diplomates et de nos services, qui ne ménagent aucun effort pour les retrouver. Tous les entretiens menés avec les responsables français l'ont clairement montré.
Force est de constater, à la suite des responsables de l'exécutif français, que les rançons ont été le principal fonds de commerce des terroristes, en particulier AQMI et MUJAO, « manne » qui les a nourris et que l'odieux « commerce » des otages leur a procuré, aussi, peut-être, un temps, un certain gage d'impunité sur le plan militaire 108 ( * ) .
On ne peut que se désoler que les Français soient désormais la nationalité favorite des preneurs d'otages et que notre pays détienne le triste palmarès du premier État concerné par les prises d'otages. Depuis 1997, 94 Français ont été pris en otages en Afrique, contre 48 otages pour les autres nationalités 109 ( * ) . D'ailleurs aujourd'hui AQMI a fait de la France sa première cible.
L'affirmation, par le Président de la République, de la mise en oeuvre de la doctrine suivant laquelle la France ne verserait pas de rançon pour la libération des otages met évidemment les familles des otages français dans une situation très difficile, qu'on ne peut que comprendre.
Les estimations (non confirmées officiellement, voire démenties) avancées par diverses sources se situent en effet dans des ordres de grandeur qui défient l'entendement :
- d'après certaines sources 110 ( * ) , le ministre des Affaires étrangères Laurent FABIUS aurait fait état, lors d'une conférence devant des étudiants à l'automne 2012, de sommes réclamées par les ravisseurs correspondant au montant de l'aide annuelle versée par l'Agence française de développement au Mali (la somme de 90 millions d'euros était un temps évoquée) ;
- dans un entretien à I-télé , Mme Huddleston, ancienne ambassadrice américaine, a fait état d'une rançon « d'environ 17 millions de dollars » pour la libération d'otages au Niger ;
- cet ordre de grandeur est corroboré par d'autres écrits 111 ( * ) suivants lesquels les rançons versées se seraient élevées à " 13 millions d'euros " pour libérer des Français, " 3 millions d'euros " pour l'Autriche, " 9 millions d'euros " pour l'Espagne, " 3 à 5 millions " pour le Canada.
Il n'appartient pas à vos rapporteurs de confirmer, infirmer ou commenter ces chiffres. Contentons-nous de relever que de telles sommes, si elles ont réellement été versées à des terroristes, n'ont pu naturellement que conforter encore leur pouvoir de nuisance. Nous ne pouvions continuer ainsi.
D'autant que les communautés françaises sont particulièrement nombreuses en Afrique de l'Ouest et au Sahel.
2. Des communautés françaises nombreuses et exposées
Au Sahel, en Afrique de l'Ouest et du Nord, les communautés françaises sont particulièrement nombreuses. Les Français y sont bien souvent la première communauté occidentale présente.
Graphique n° 11 : Nombre de Français immatriculés au registre des Français de l'étranger en 2012
Source : Rapport du directeur des Français de l'étranger (2012)
Nos communautés françaises, nombreuses et exposées, sont naturellement notre première préoccupation.
On imagine sans peine ce que pourrait être la répercussion de la montée du terrorisme dans un pays comme le Sénégal -pays qui participe par ailleurs à la MISMA-, par exemple (sans parler, naturellement, de l'Afrique du Nord).
Outre les cibles diplomatiques (ambassade et consulat), les établissements publics (2 Instituts culturels, 2 Alliances françaises, bureaux de l'AFD et de l'IRD), nous avons au Sénégal 13 établissements scolaires accueillant 3 700 élèves, plus de 26 entreprises françaises implantées, sans parler des ONG, et un total de 19 000 ressortissants.
Du fait de cette forte présence, l'exposition à une attaque terroriste est importante.
Outre le fait que la plupart des 200 000 Français qui vivent en Afrique sont en Afrique de l'Ouest et au Maghreb, il faut tenir compte du fait que la montée du terrorisme a un fort impact en termes de tourisme . Le tourisme a aujourd'hui totalement disparu au Nord Mali ou au Niger, par exemple, impactant négativement les pays concernées.
De plus, mettre en place des actions de coopération civile dans des zones dangereuses pose de nouveaux défis de sécurité pour les acteurs du développement.
Nous avons, dans notre premier rapport, déjà eu l'occasion de parler de la question des zones « rouges », interdites, dans les fiches « Conseils aux voyageurs » du ministère des affaires étrangères, qui posent la question de la présence en leur sein des acteurs du développement mais aussi du maintien des activités touristiques dans certains endroits où ce maintien pourrait s'avérer vital pour l'économie, mais où la montée des menaces doit être prise en compte.
Nous recommandions d'étudier la pertinence de la création d'un nouveau niveau d'alerte, intermédiaire, entre « jaune » (vigilance normale) et « orange » (déconseillé) dans les fiches « Conseils aux voyageurs », pour mieux concilier impératifs de sécurité et nécessité du développement dans les régions concernées par la montée des menaces terroristes. Cette recommandation a été mise en oeuvre, par la création d'un quatrième niveau de zonage (vigilance renforcée).
3. Des implantations diplomatiques et des sites d'intérêt majeur à protéger
a) Les signaux d'alerte sont à prendre au sérieux
L'audace des groupes terroristes est sans limites. Disposant à la fois de modes de vie rustiques et des technologies les plus pointues, ils maîtrisent les codes de la communication et n'hésiteront pas à monter des actions spectaculaires pour frapper l'opinion.
À cet égard, nos ambassades et implantations à l'étranger sont particulièrement faciles à cibler et garantissent un fort impact médiatique.
L'attentat de Tigentourine, celui d'Agadez et d'Arlit montrent leur audace, leur ambition, leur capacité d'organisation logistique pour frapper dans la profondeur, mais également leur sens de la communication pour toucher au coeur des intérêts occidentaux.
Mais c'est, bien sûr, l'attaque (déjouée) de février 2011 contre notre ambassade à Nouakchott et, en 2013, l'attentat contre notre ambassade en Libye et la tentative d'attentat (déjouée) contre notre ambassade au Caire 112 ( * ) qui retiennent plus particulièrement notre attention.
Faut-il rappeler que dans un message publié le 7 mai dernier sur Youtube et sur le compte twitter d'AQMI, l'un des chefs de l'organisation terroriste, Abou Obeida Youssef Al-Annabi, y appelait à attaquer les intérêts français « partout dans le monde » ?
Dénonçant « la croisade menée par la France contre les musulmans » et « l'occupation par la France d'une terre de l'islam » en référence au Mali, le chef du Conseil des notables d'Aqmi appelle les musulmans à « la mobilisation » et au « jihad ». Il exhortait « les musulmans dans le monde entier » à « attaquer les intérêts français partout, car depuis le premier jour de l'agression, ils sont devenus des cibles légitimes ».
Compte tenu des répercussions possibles sur notre réseau d'enseignement à l'étranger, nous considérons qu'une vigilance toute particulière est aussi nécessaire pour la sécurité des écoles françaises à l'étranger.
b) Les moyens insuffisants de la sécurité diplomatique...
La « mise à niveau » des dispositifs de sécurité diplomatique a commencé en 2007 . Cette mise à niveau se traduit à la fois par des investissements conséquents en travaux et en matériels et par une utilisation plus « rationnelle » des effectifs dévolus à la sécurité des postes.
Dans le projet de loi de finances pour 2013, la sécurité bénéficiait, au sein du programme 105 de la mission budgétaire « Action extérieure de l'État », d'une priorité puisque les crédits étaient portés à 16 millions d'euros (+ 6 millions d'euros), soit un réajustement à la hausse correspondant, en fait, au niveau réellement constaté des dépenses les années précédentes.
Dans le domaine de la sécurité passive , il s'agit de la mise aux normes des postes en les auditant, en faisant procéder aux travaux nécessaires et en mettant en place les procédures de fonctionnement adaptées aux nouveaux matériels installés. Parallèlement à cette tâche de long terme, le ministère des Affaires étrangères tente de répondre aux urgences créées par l'évolution rapide de la menace et notamment du terrorisme. C'est le cas par exemple de nos postes confrontés aux activités d'Al Qaïda, que ce soit dans la zone afghano-pakistanaise, au Yémen ou encore dans le Sahel (Mauritanie, Niger, Mali).
TRAVAUX DE SÉCURISATION RÉALISÉS EN 2011 ET 2012 ET PRÉVUS EN LOI DE FINANCES INITIALE POUR 2013- (EN MILLIONS D'EUROS)
2011 |
2012 |
Projet de loi de finances pour 2013 |
||||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|||
AFGHANISTAN |
1,22 |
1,22 |
LIBAN |
0,96 |
0,56 |
BURKINA FASO |
0,8 |
0,8 |
ALLEMAGNE |
0,6 |
0,6 |
MAROC |
1,3 |
1,3 |
SENEGAL |
0,7 |
0,7 |
CAMEROUN |
0,76 |
0,76 |
IRAK |
0,19 |
0,19 |
LIBAN |
1,10 |
1,10 |
CHINE |
0,48 |
0,48 |
MALI |
0,32 |
0,32 |
AFGHANISTAN |
1,2 |
1,2 |
ETHIOPIE |
0,55 |
0,55 |
CONGO |
0,23 |
0,34 |
MAURITANIE |
1,00 |
1,00 |
GEORGIE |
0,95 |
0,95 |
BENIN |
0,26 |
0,26 |
MALI |
0,6 |
0,6 |
GRECE |
0,33 |
0,38 |
PAKISTAN |
2,23 |
2,51 |
BIRMANIE |
0,34 |
0,34 |
INDE |
0,67 |
0,67 |
BAHREIN |
0,63 |
0,63 |
TCHAD |
0,4 |
0,4 |
IRAN |
1,23 |
1,23 |
TCHAD |
0,51 |
0,51 |
ESTONIE |
0,3 |
0,3 |
LIBAN |
0,78 |
0,78 |
ALBANIE |
0,6 |
0,6 |
CONGO |
0,6 |
0,6 |
MAROC |
1,85 |
1,85 |
TUNISIE |
0,23 |
0,23 |
ARMENIE |
0,3 |
0,3 |
PAKISTAN |
2,34 |
1,93 |
AFGHANISTAN |
0,7 |
0,7 |
ANGOLA |
0,3 |
0,3 |
YEMEN |
0,57 |
0,83 |
TOTAL |
13,2 |
13,2 |
THAILANDE |
0,4 |
0,4 |
TOTAL |
16,7 |
16,7 |
INDONESIE |
0,4 |
0,4 |
|||
IRAN |
0,6 |
0,6 |
||||||
PAKISTAN |
0,7 |
0,7 |
||||||
OUGANDA |
0,5 |
0,5 |
||||||
BULGARIE |
0,3 |
0,3 |
||||||
NIGER |
0,3 |
0,3 |
||||||
TOTAL |
16 |
16 |
Source : service de la sécurité diplomatique, octobre 2012 ; AE : autorisations d'engagement, CP : crédits de paiement
Sur l'exercice 2011, le service de sécurité diplomatique a ainsi consacré 16 millions d'euros à la modernisation de la sécurité du réseau. Une cinquantaine de postes a pu être auditée (dont certains à plusieurs reprises dans le cadre du suivi des travaux comme en Afghanistan, Pakistan, Maroc, Cameroun...).
Signe de la très rapide montée des menaces, le dispositif de sécurité de certains postes qui venaient d'être mis à niveau a dû, dans certains cas, être revu à la hausse (protection supérieure contre les explosifs) compte tenu du changement de nature de la menace (capacité d'action croissante des groupes terroristes), comme à Nouakchott ou à Bamako.
En effet, à peine les travaux terminés, une nouvelle campagne de sécurisation a dû être conduite en raison de l'élévation rapide de la menace : en février 2011, la tentative d'attentat à Nouakchott a mis en oeuvre un véhicule avec 1,7 tonne d'explosifs.
Une quarantaine d'ambassades a bénéficié de crédits supérieurs à 50 000 euros, dont, comme cela figure dans le tableau ci-dessus, 12 à plus de 500 000 euros, pour une remise à niveau lourde de leur système de sécurité passive ( Afghanistan , Iran , Liban , Maroc , Pakistan , Éthiopie , Géorgie , Inde , Yémen ,....).
En 2012 , un budget de 13 millions d'euros était prévu pour les travaux de sécurité dans le réseau. Ainsi, une quarantaine de postes a été inspectée, soit dans le cadre du suivi des travaux, soit lors d'opérations nouvelles. 25 ambassades ont déjà fait l'objet cette année de mises à disposition de ressources d'un montant supérieur à 100 000 euros.
En 2013 , étaient prévus en loi de finances initiale des travaux dans les ambassades de Beyrouth, Islamabad, Téhéran, Kaboul...
Par ailleurs, en parallèle à la programmation annuelle, plusieurs ambassades faisaient déjà l'objet d'un plan pluriannuel de renforcement lourd contre la menace terroriste pour des montants de travaux supérieurs à 200 000 euros ( Kaboul , Islamabad , Fès , Tanger , Sanaa , Beyrouth... ).
Le Quai d'Orsay poursuit parallèlement une réforme des gardes de sécurité diplomatique via la mise en place de Chefs de Sécurité Opérationnels (CSO).
La réforme des gardes de sécurité diplomatique : les CSO Ces CSO ont des fonctions différentes de celles des traditionnels gardes de sécurité diplomatique, de conception de la sécurité du poste, de conseil auprès des autorités et de coordination avec l'équipe de vigiles. La mise en place des CSO s'accompagne également de programmations plus ou moins conséquentes en travaux de sécurité ou acquisition de matériel afin de mettre à niveau la sécurité passive des postes concernés. Il peut également s'avérer nécessaire de recruter des vigiles (recrutés locaux ou sociétés prestataires) pour renforcer la sécurité active. Leur mise en place permet un redéploiement des emplois gagnés par ce biais vers les zones crisogènes : la mise en place de 29 postes de CSO (dont 4 créations de postes) a ainsi permis le gain de 30 équivalents temps plein (ETP). Ces ETP gagnés ont été redéployés pour répondre aux nécessités immédiates ou à venir, notamment dans des postes particulièrement sensibles ( Afghanistan , Yémen , Mauritanie ,...) ou dans des postes où l'effectif de gardes de sécurité est insuffisant. |
En effet, 15 ambassades sur 158, 82 consulats sur 96 et 13 représentations permanentes sur 17 sont aujourd'hui 113 ( * ) dépourvus de gardes de sécurité.
Cette action de renforcement des sites s'est accompagnée de l'envoi, souvent dans l'urgence, de policiers ou gendarmes missionnaires , en renfort des effectifs permanents pour faire face aux situations de crise, assurer la garde des bâtiments ou la protection des autorités.
c) ...demandent à être renforcés et consolidés
À la suite de l'attentat contre l'ambassade de France à Tripoli , en avril, le ministère des Affaires étrangères a préparé un plan d'urgence pour la mise à niveau de la sécurité des implantations les plus exposées, qui devrait être prochainement finalisé.
Ce plan d'urgence , d'un montant de 4,6 millions d'euros , qui a vocation à être mis en oeuvre dès 2013, est ciblé sur quelques implantations particulièrement exposées comme Kaboul, Tripoli, Karachi, Alger, Djeddah, Bangui, Islamabad, Le Caire ou les postes du Sahel .
Un projet de relocalisation de l'ambassade à Tripoli (chancellerie, résidence...) est à l'étude, au sein d'un campus sécurisé permettant d'assurer la protection des agents (y compris s'agissant de leur logement), et autour d'un format redimensionné.
Le dégel de la réserve de précaution et des redéploiements de crédits devrait permettre de couvrir ces dépenses qui visent à parer au plus pressé.
Parallèlement, a été élaboré un plan plus global de sécurisation des postes, concernant principalement la zone africaine et moyen-orientale, pour un montant total de 20 M€ par an .
Ce plan d'action doit permettre de mettre à niveau la sécurité passive des postes, d'acquérir des équipements de protection mobiles, d'accroître le budget de gardiennage et de maintenance, d'acheter des véhicules blindés, d'organiser des missions de renforts et d'allouer plus de ressources humaines à la sécurité.
D'après les informations recueillies par vos rapporteurs, ces dépenses seront largement financées par des redéploiements de crédits, à partir du programme budgétaire 105 (« Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'État ») et du compte d'affectation spéciale n°723 (« Gestion du patrimoine immobilier de l'État » ), qui recueille le produit des ventes de cessions immobilières du quai d'Orsay.
Ces moyens, très contraints, sont déjà insuffisants pour assurer l'entretien du réseau immobilier.
Ils reposent en outre sur la cession du patrimoine du ministère des Affaires étrangères, qui conditionne notre capacité à sécuriser le réseau diplomatique.
Les cessions immobilières sont en effet devenues le moyen de gager les dépenses d'investissements immobiliers (entretien lourd) du réseau diplomatique, en France et à l'étranger. Les produits de cessions immobilières alimentent le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », dont le « taux de retour » au ministère des affaires étrangères sur les produits de cessions est, à titre dérogatoire, de 100% pour les produits de cessions des immeubles domaniaux situés à l'étranger (et ce jusqu'au 31 décembre 2014).
Ce mécanisme de financement comporte des effets pervers : particulièrement chaotique, non seulement il porte en lui-même son propre épuisement , mais il rend de plus toute programmation dans la durée sinon impossible, du moins difficile.
Or, en l'absence d'une dotation budgétaire suffisante (à peine 2,5 millions d'euros étaient prévus dans le projet de loi de finances pour 2013), les crédits consacrés à l'entretien lourd par le ministère des Affaires étrangères proviennent du compte d'affectation spéciale 723. Ce mode de financement, très aléatoire tant dans les montants que dans les échéanciers, qui ne permet pas d'envisager la mise en place d'une programmation pluriannuelle, a déjà été dénoncé par votre commission 114 ( * ) .
Ainsi, si le produit des cessions a représenté pour le ministère 29 millions d'euros en moyenne annuelle sur les cinq exercices 2006-2010, c'est de façon très fluctuante et presque imprévisible, suivant les aléas des différents marchés immobiliers.
Le marché immobilier réserve de bonnes (Hong Kong, Bangkok) comme de mauvaises (Athènes, Dublin) surprises, exposant le ministère des Affaires étrangères aux aléas d'une conjoncture particulièrement versatile.
La politique de cessions devient en outre de plus en plus difficile à conduire, car les bâtiments les plus faciles à vendre ont été cédés, notamment les plus petits : 80 bâtiments d'une valeur de moins de 500 000 euros ont déjà été vendus.
C'est sur ces crédits, qui peinent déjà à couvrir l'entretien lourd du réseau, et qui sont déjà de plus en plus cannibalisés par les dépenses d'entretien courant, que va reposer notre capacité financière à sécuriser le réseau diplomatique...
Nous devons aussi renforcer une culture de la sûreté , autour des principes d'adaptation, de vigilance et de discrétion, pour développer, chez les agents du ministère des affaires étrangères comme chez les candidats à l'expatriation, des réflexes qui font partie intégrante de la prévention et de la gestion des risques de malveillance (comme ont déjà commencé à le faire la plupart des entreprises intervenant dans les pays à risque).
Un séminaire avec les entreprises concernées a eu lieu au début de l'année au centre de crise du Ministère des Affaires étrangères : ce genre d'initiative doit être encouragé.
Recommandations : 1) Le plan de sécurisation de nos implantations diplomatiques doit être mis en oeuvre sans tarder et devrait, en bonne logique, ne pas être conditionné aux aléas des cessions du patrimoine immobilier du Quai d'Orsay ni reposer, pour son financement, sur des produits de cession, au risque de phagocyter encore davantage les crédits d'entretien lourd ; 2) Le Ministère des Affaires étrangères doit renforcer ses actions de sensibilisation, à l'attention de ses personnels mais aussi des entreprises et des candidats à l'expatriation dans les zones à risque, pour développer une « culture de la sureté ». |
4. Des répercussions possibles sur notre sécurité intérieure
Nous entrevoyons deux risques réels pour notre sécurité intérieure : le retour sur le territoire national des combattants qui se seraient engagés au Sahel ou ailleurs aux côtés des terroristes, d'une part, et le passage à l'acte, sur le sol national, de sympathisants de la cause du « djihad global », qu'ils soient convertis ou non.
Le premier risque est celui des combattants de nationalité française qui reviendraient après avoir lutté, au Mali ou ailleurs, aux côtés des terroristes et importeraient leurs méthodes sur le territoire national .
C'est en quelque sorte la duplication du phénomène qui s'est produit avec le retour au pays des « Afghans » dans les précédentes décennies.
Comme cela avait été dit dans notre précédent rapport, très peu de Français sont partis au Mali agir directement aux côtés des groupes terroristes . L'ordre de grandeur serait celui de la dizaine .
En revanche bien plus nombreux sont ceux qui ont rejoint la Syrie , en reviennent ou s'apprêteraient à y partir : de l'ordre de la centaine (ils sont estimés généralement entre 100 et 150 115 ( * ) ).
Ainsi, le chef d'état-major des armées, l'Amiral Guillaud, déclarait-il le 22 mai 2013 116 ( * ) : « Ainsi, alors qu'ils n'étaient qu'une poignée au Mali, dont l'un a été tué et deux ont été faits prisonniers, on estime que le nombre des djihadistes français « concernés » par le conflit syrien est de l'ordre de la centaine . On estime au total à plusieurs centaines le nombre de djihadistes européens opérant en Syrie. ».
Tous pays européens confondus, l'ordre de grandeur est de « plusieurs centaines ».
Les communautés concernées seraient la communauté tunisienne, et dans une moindre mesure, les communautés malienne, algérienne, sénégalaise ou ivoirienne. Il existe pour ces communautés un risque indirect lié à la déstabilisation de leurs pays d'origine.
Ainsi, on compterait 117 ( * ) aujourd'hui en milliers le nombre de Tunisiens présents en Syrie sur les lieux de combats . Que se passera-t-il pour la Tunisie (mais aussi pour la France, compte tenu de l'importance de la communauté tunisienne en France et française en Tunisie, et des liens très étroits entre nos deux pays) quand ils reviendront au pays, auréolés de la « gloire » des martyrs, entrainés et aguerris, comme jadis l'ont fait ceux qu'on appelait les « Afghans » dans plusieurs états du Maghreb ou du Mashrek ?
On connait le potentiel de déstabilisation d'un nombre même faible de ces combattants.
Le deuxième risque est celui du passage à l'acte terroriste sur le territoire national de personnes endoctrinées par d'autres ou tout simplement par des sites internet.
C'est une répercussion possible de l'exposition de notre pays, très visible dans la lutte contre le terrorisme, et désormais cible privilégiée.
Outre les questions, en cours de traitement, de la meilleure coordination à trouver entre nos différents services de renseignement, et celle de leur renforcement, notamment s'agissant de la DCRI, est aussi posée la question de la difficulté intrinsèque non seulement à détecter mais aussi à exploiter les « signaux faibles », suivant les mots du ministre de l'Intérieur, qui précèdent le passage à l'acte .
Après l'affaire Mohamed Merah, l'attentat récent commis contre un militaire à la Défense, quelques jours seulement après celui de Londres contre un soldat britannique, ne laisse pas d'inquiéter.
En effet, la banalisation des trajectoires du type : petite délinquance, radicalisation progressive, puis passage -imprévisible- à l'acte, sous l'effet d'une rencontre , à la faveur d'une conversion , ou tout simplement via un endoctrinement par Internet, est susceptible de faire de véritables ravages. Ne nécessitant pas de moyens logistiques ni de connaissances particulières, elle est hélas à la portée du plus grand nombre.
La presse a indiqué à cette occasion que quelque 500 notes auraient été transmises à la DCRI entre janvier et mai 2013. Ce chiffre, qui reste naturellement à confirmer, est particulièrement élevé et montre le défi auquel les services de sécurité doivent faire face.
L'ouverture prochaine d 'Al Jazzera en français pourrait ne pas être un élément positif dans ce tableau assez sombre. Ce risque préexistait naturellement, mais, ne soyons pas naïfs, la situation au Sahel et l'intervention au Mali ne peuvent certainement que le nourrir et l'amplifier.
Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a d'ailleurs indiqué 118 ( * ) qu'il y avait " plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de Merah potentiellement " en France.
Ce phénomène n'est naturellement pas cantonné à la France.
Ainsi, le mardi 11 juin 2013, 119 ( * ) la publication du rapport annuel des services de renseignement intérieur allemands a mis en avant une croissance du mouvement salafiste dans le pays. La mouvance islamiste radicale en Allemagne regroupait 42 550 personnes en 2012, selon ces services, et le nombre des salafistes en son sein serait passé de 3 800 à 4 500 en un an. « Tous les salafistes ne sont pas des djihadistes, mais force est de constater que les personnes parties d'Allemagne vers la Syrie ou l'Égypte, faire le Djihad, ont toutes un rapport avec les salafistes. On peut dire que le salafisme est un passage obligé vers le djihadisme ou pour les personnes prêtes à mener des attaques terroristes », aurait estimé à l'occasion de la présentation de son rapport M. MAASSEN, responsable des services de renseignement intérieurs.
Recommandation : Les services de sécurité doivent suivre très attentivement deux phénomènes : 1) l'appel d'air vers la Syrie, qui concernerait de l'ordre de 100 à 150 Français , et les conséquences de leur futur retour au pays ; 2) la banalisation, sur notre territoire, des trajectoires du type : radicalisation progressive, puis passage -imprévisible- à l'acte, sous l'effet d'une rencontre , à la faveur d'une conversion , ou tout simplement via un endoctrinement par Internet. |
* 106 Voir à cet égard le premier rapport : « Mali : Comment gagner la paix ? »
* 107 On se souviendra notamment de la position américaine à l'époque.
* 108 Certains affirment qu'en mars 2012, une occasion de frapper AQMI a été abandonnée pour ne pas mettre en danger la vie des otages cf. notamment « Notre guerre secrète au Mali », I Lasserre et T Oberlé, 2013, p. 23
* 109 Source : entretien avec des responsables militaires
* 110 « Notre guerre secrète au Mali », 2013, Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé
* 111 « AQMI, l'industrie de l'enlèvement », 2012, Serge Daniel
* 112 Source : suivant une dépêche AFP du 15 mai 2013, citant l'agence officielle MENA, une cellule terroriste planifiait une attaque contre l'ambassade de France au Caire
* 113 Source : service de la sécurité diplomatique, octobre 2012
* 114 Voir notamment l'avis budgétaire de Mme Aichi et M Gournac sur les crésits du programme 105 dans le projet de loi de finances pour 2013, Sénat 2012-2013
* 115 D'après différentes déclarations officielles, notamment ministérielles
* 116 Source : audition à l'Assemblée nationale
* 117 Source : entretiens conduits par vos rapporteurs notamment à Alger
* 118 Source : AFP
* 119 Source : AFP