DEUXIEME TABLE RONDE :
LES
ENJEUX ÉTHIQUES DE LA COMMUNICATION SCIENTIFIQUE
A. Quel rôle des médias dans la diffusion des rÉsultats expÉrimentaux ?
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST . - Des journalistes et des présidents d'associations de journalistes ont accepté de venir s'exprimer sur le sujet, tout comme Cédric Villani, médaillé Fields 2010, qui nous apportera un point de vue extérieur sur ce sujet complexe.
Monsieur Alberganti, vous êtes familier de tels débats et connaissez plusieurs des personnes présentes aujourd'hui pour les avoir invitées dans votre émission Science Publique sur France Culture. Auparavant, la science s'inscrivait dans un temps long et les scientifiques ne communiquaient pas immédiatement sur leurs résultats. Aujourd'hui, science et communication sont imbriquées. Des règles sont-elles nécessaires ?
M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. - Merci. Les règles dont vous parlez ne sont pas des règles qui sont spécifiques au traitement de la science par le journalisme. Ce sont les règles du journalisme en général : la vérification des sources, le croisement des informations et la multiplicité des avis quand un sujet fait débat. Or la publication de l'étude de Monsieur Séralini par une revue non scientifique a été effectuée avant qu'il y ait débat et avant même que les scientifiques du secteur aient pu en prendre connaissance, éventuellement réagir et apporter un autre regard . Ce n'est pas du tout ainsi qu'en général, nous essayons de fonctionner. Quand il y a des embargos, ces derniers concernent l'ensemble des journalistes et les études sont disponibles pour l'ensemble des journalistes quelque temps avant leur publication effective dans une revue, ce qui laisse le temps aux journalistes d'aller interroger des personnes qui sont compétentes sur le sujet pour essayer d'évaluer avec nos faibles moyens une nouvelle scientifique, une expérience ou un résultat. Cela arrive très souvent et nous ne sommes d'ailleurs pas toujours en mesure de faire cette évaluation. Quand on a annoncé que les neutrinos étaient plus rapides que la lumière, il était difficile aux journalistes d'aller le vérifier. Au demeurant, personne ne pouvait le faire puisqu'il s'agit d'une expérience qui est unique. Cela dit, il est souvent possible d'obtenir l'avis de certains experts, parfois plusieurs, qui sont contradictoires.
Toutefois, la durée médiatique qui a caractérisé l'étude de Monsieur Séralini n'a pas permis de bénéficier du recul nécessaire. Je suis opposé à la stratégie qu'a adoptée le Nouvel Observateur .
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Nous les avons invités, mais ils ont décliné notre invitation.
M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. - Il est dommage qu'ils ne soient pas venus, car nous aurions aimé qu'ils expliquent les raisons pour lesquelles ils ont choisi de publier dans ces conditions.
À l'évidence, le professeur Séralini et son équipe du CRIGEN ont planifié une forme d'opération médiatique qui s'est poursuivie par un livre puis par un documentaire au cinéma et à la télévision . Nous voyons assez mal les liens entre une science sereine, débattue entre les pairs avant d'être présentée dans les médias. Cet après-midi, nous assistons à une discussion d'experts. Nous, en tant que journalistes, avons envie de demander aux scientifiques de se mettre d'accord, avant d'envisager un discours pour le grand public. Aujourd'hui, ce discours n'est pas prêt, il est encore à l'état de totale ébauche. Beaucoup de points manquent et beaucoup de discussions entre vous ne sont pas réglées. Je ne vois pas comment nous, journalistes, pourrions faire le tri. Nous l'avons bien vu vendredi dernier pendant l'émission Science publique où nous avions invité deux personnes de chaque camp et où le dialogue n'a pas été possible.
Ce cas de figure nous met dans une situation difficile. Nous pourrions, de manière malsaine, pencher en faveur d'un camp et contre un autre ou, au contraire, rester en dehors du débat. De toute façon, nous avons les plus grandes difficultés à expliquer au grand public les termes d'un débat qui n'est pas encore arrivé à maturité . Le malaise transparaît dans le communiqué très inquiétant publié par six académies qui plaident pour une espèce de prise de contrôle de la science de l'intérieur des médias par des commissaires dont on ne sait ni quelle serait l'origine ni quelle serait leur fonction exacte. Ce genre de propos arrive souvent quand c'est un peu la pagaille et que l'on ne sait plus comment retrouver un certain ordre.
J'espère que les instances scientifiques joueront leur rôle et que les scientifiques eux-mêmes éviteront dans la mesure du possible de céder à des tentatives de médiatisation ultrarapides afin de retrouver un minimum de sérénité et une matière que nous tenterons de transmettre au grand public dans les meilleures conditions.
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci. Je donne la parole à M. Deheuvels.
M. Paul Deheuvels, membre de l'Académie des sciences, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - La science est toujours riche en controverses. La plupart du temps, les savants ne sont pas d'accord entre eux, et on aurait tort de vouloir à toute force exiger de leur part des avis unanimes. Il a, par exemple, fallu cinquante ans de discussions pour admettre que théorie de la dérive des continents, introduite par Albert Wegener en 1915, était davantage qu'une hypothèse. Il arrive qu'un scientifique ait raison contre une majorité d'autres savants, et la vérité ne se décide assurément pas par le vote d'une majorité de circonstance. Par conséquent, j'estime que, dans la plupart des discussions, vouloir exiger des instituts comme de l'Académie ou des agences spécialisées, des avis uniques, est contraire à l'esprit de la science . Très souvent, de tels avis seraient plus intelligents s'ils étaient exprimés sous la forme de la présentation équilibrée de controverses argumentées, montrant les hypothèses avancées par les uns et par les autres, sans trop préjuger de leurs crédibilités respectives, tant qu'un doute demeure.
M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. - Le débat scientifique constitue la matière première de mon émission. Toutefois, le sujet d'aujourd'hui dépasse la simple controverse scientifique. Il est beaucoup plus compliqué, parce qu'il a des implications économiques, voire politiques. Quand on met face à face les protagonistes de cette controverse, le débat ne peut pas avoir lieu parce qu'il n'est pas purement scientifique. Il y a des soupçons de non-transparence et de non-indépendance qui sont aussi des procès personnels, qui sont de vieux problèmes entre des personnes. Là, on sort de la science, on est dans autre chose. Cet aspect pollue la controverse purement scientifique. Quand il y a une controverse purement scientifique, chacun peut être d'un avis différent, mais on n'en arrive pas aux extrêmes que l'on constate dans cette affaire .
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Afin d'éviter cette pollution du débat par les questions économiques et politiques, il suffirait, Monsieur Alberganti, que chaque journaliste effectue une enquête sur la personne qu'il interroge afin de savoir d'où elle s'exprime. Le fait d'établir la transparence sur les appartenances de chacun pourrait apaiser le débat.
M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. - Monsieur Séralini fait référence à l'émission de vendredi dernier, au cours de laquelle il a voulu m'indiquer la façon de présenter les autres invités. Or je présente les invités en fonction des autorisations et informations qu'ils me donnent sur leur fonction actuelle et sur leurs fonctions passées qu'ils voudraient voir mentionner. Cette présentation n'est pas un procès en soi du passé de l'invité ou de son passif. Il s'agit de la présentation qu'il souhaite voir indiquées à l'antenne. Pour autant, cela ne vous a pas empêché d'évoquer les points que vous souhaitiez préciser sur le passé de tel ou tel intervenant qui, selon vous, avait appartenu ou appartient toujours à des instances qui modifieraient son indépendance.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je comprends, mais...
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Nous laissons maintenant la parole à Cédric Villani. Nous aurons l'occasion de poursuivre le débat après l'intervention de Monsieur Huet et de M. Valéry Laramée de Tannenberg.
M. Cédric Villani, médaillé Fields (2010), professeur à l'Université de Lyon, Directeur de l'Institut Henri Poincaré. - Je remercie l'OPECST d'organiser comme d'habitude un débat pertinent et aussi apaisé que possible.
Pour clarifier mon intervention, je précise que je n'interviens bien sûr pas en tant qu'expert sur l'étude elle-même, qui est hors de mon champ de spécialité; le débat de spécialistes a été abordé lors de la précédente table ronde. Sur les aspects mathématiques, le professeur Deheuvels ici présent, le professeur Lavielle, ici présent aussi - le professeur Lavielle qui a travaillé à l'élaboration de l'avis du HCB - sont bien plus aguerris que moi, et d'ailleurs d'opinions contradictoires.
Mon intervention sera donc celle d'un scientifique extérieur au débat, très intéressé par la question de la communication de la science - une communication que j'ai eu l'occasion de pratiquer depuis des années à l'écrit et à l'oral, par des interventions ou conférences-débats publiques, devant un total de plusieurs dizaines de milliers de jeunes et de citoyens. Dans les questions des audiences, on retrouve souvent des problèmes d'éthique scientifique, dont certains qui sont au coeur du débat d'aujourd'hui, et les rapports entre science et citoyen.
M. Séralini l'a bien dit, quand on intervient dans un débat sur des questions vitales pour la société, il est important de déclarer ses conflits d'intérêt, voire ses convictions personnelles ou politiques si elles peuvent influencer consciemment ou inconsciemment sur le jugement . Un exemple que j'évoque souvent pour les jeunes lycéens est le cas de la controverse historique entre Lord Kelvin et Charles Darwin sur l'âge de la Terre. Kelvin avait beau être le meilleur physicien de son époque, il a été induit en erreur en partie par ses convictions religieuses qui l'empêchaient d'accepter la théorie de l'évolution de Darwin.
Donc je vais faire exactement comme cela a été recommandé, je vais commencer par déclarer mes convictions personnelles relatives à l'emploi des OGM : en tant que citoyen je pense que les gouvernements des pays développés font preuve d'un laxisme inacceptable concernant l'usage des OGM. Si je ne suis pas choqué par le principe du développement de nouvelles espèces vivantes, pratiqué depuis des millénaires par des techniques autres que la bio-ingénierie, en revanche je trouve monstrueuse l'idée des brevets sur les espèces vivantes; je trouve aberrant, du point de vue environnemental, le principe même des espèces génétiquement modifiées pour être résistantes aux pesticides; et je pense que le modèle économique et social induit à travers le monde par les plantes génétiquement modifiées est souvent inacceptable pour les agriculteurs. Ce sont mes convictions personnelles et politiques.
Avec une telle prédisposition, je ne cacherai pas que j'étais plutôt agréablement surpris quand j'ai entendu parler des résultats de l'équipe Séralini. Je me suis senti d'autant plus déçu, pour ne pas dire trahi, quand j'ai pris conscience, après lecture et discussions avec des experts, à quel point cette annonce occasionnait ce qui me semble être - je le dis sans animosité - des brèches graves de déontologie scientifique, avec trois conséquences inacceptables : un effilochage des liens de confiance entre les scientifiques et la société; la fragilisation du lien de confiance entre les scientifiques eux-mêmes; et accessoirement le risque, par effet boomerang, de desservir la cause pour laquelle les auteurs de l'étude luttent. Pour être juste je dois ajouter que dans le reste de la communauté scientifique, plutôt opposé à l'étude, nous avons assisté aussi bien à certains comportements irréprochables qu'à certains comportements qui vus de l'extérieur sont absolument incompréhensibles de la part de scientifiques. Michel Alberganti en a déjà parlé : on est sortis de la science.
Je vais prendre quelques minutes pour développer ces points, et d'abord insister sur une question parmi les plus importantes et les plus subtiles qu'un scientifique doit expliquer aux citoyens : le rôle du doute et de la confiance. Le doute ne veut pas forcément dire l'incompétence, comme on sait bien : au contraire c'est une qualité fondamentale du scientifique et du citoyen, et par le passé on a vu de grandes catastrophes sociétales causées par l'application aveugle d'outils technologiques ou scientifiques puissants, et cela dans tous les domaines. La science avance par débats et confrontations d'idées ; M. Deheuvels l'a rappelé aussi, on ne peut jamais être sûr, au sens strict, de notre attitude. Au reste, les controverses, surprises, coups de théâtre, ruptures de consensus font précisément toute la grandeur de l'histoire des sciences, avec des exemples célèbres; Monsieur Deheuvels vous avez cité Wegener et la dérive des continents, on pourrait aussi mentionner Semmelweis découvrant l'hygiène et se battant contre l'incrédulité de ses collègues, ou Planck, qui ne croyait pas vraiment lui-même à son hypothèse des quanta. On pourrait multiplier les exemples et c'est extrêmement intéressant ! À l'inverse, il est arrivé régulièrement que des scientifiques couronnés, parfois les meilleurs de leur temps et de leur spécialité, défendent des arguments qui se sont révélés radicalement faux. On pense à Lord Kelvin que je citais tout à l'heure; on pense à Marcelin Berthelot qui s'obstinait à nier l'existence des atomes.
Mais quand tout va bien, finalement un consensus finit par émerger, et la science avance là où les humains ont erré. À quel moment la science passe du doute à la conviction, et pourquoi, c'est dur à quantifier : ce n'est pas le fait d'un individu, si expert soit-il, ce n'est pas forcément l'opinion dominante qui compte, mais à un moment un consensus se dégage et suffisamment d'éléments différents viennent corroborer une théorie pour emporter l'adhésion, avec une très forte majorité disons, et un jour il faut sentir quand vient le moment de prendre position et de mettre le doute de côté. Comme le disait Henri Poincaré, « Douter de tout, ou tout croire, sont deux attitudes également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir ».
Il faut donc tenter d'aller vers le consensus et ne pas se contenter de la controverse. Pour aller vers le consensus nous avons deux outils, (1) le partage sincère des informations, (2) le débat argumenté, dans lequel on répond point par point aux objections de l'autre camp. Dans le cas présent, nous n'avons vu ni l'un ni l'autre . Données brutes déposées chez huissier; excusez-moi, c'est la première fois que j'entends parler d'une telle pratique. On me dit qu'il y a de mauvaises pratiques de l'autre côté : je ne pense pas que l'on puisse utiliser les mauvaises pratiques des adversaires pour justifier ses propres mauvaises pratiques. Je pense que c'est aux pouvoirs publics d'intervenir pour garantir la transparence. J'ai même trouvé d'une ironie mordante que le HCB soit amené à rappeler au Professeur Séralini la charte éthique proposée par Elsevier : Elsevier est un éditeur qui est considéré dans certains cercles comme un modèle d'immoralité; et pour beaucoup de mes collègues, se dire qu'un scientifique ne souhaite pas respecter la charte proposée par Elsevier semblera extravagant.
Quant au débat argumenté, il est bien sûr nécessaire : on sait bien que la publication d'un article en revue à comité de lecture n'est pas une garantie d'exactitude - il y a eu tant de contre-exemples - mais c'est important, cette publication garantit un certain standard, la validation par quelques pairs, qui permet de lancer la discussion et l'examen critique. D'ailleurs, comme certains l'ont bien noté, dans le même volume de la revue FCT (une revue que tout le monde doit connaître maintenant !), dans le même volume de FCT où est parue l'étude Séralini, est parue une autre étude, aboutissant à des conclusions essentiellement contraires, ce qui évidemment pose question et montre bien qu'il faut un débat.
Pour ce qui est du débat, le HCB, officiellement saisi par le gouvernement, a examiné l'étude Séralini, et émis un certain nombre de critiques. Vous les avez entendues. Au niveau statistique, par exemple, trois points ont été mis en avant : le premier est le manque de puissance du test dû au trop faible effectif des échantillons, qui met toute l'étude à la merci d'une déviation statistique sur l'échantillon témoin. Ce qui est intéressant, c'est que l'argument est suffisamment simple pour être expliqué à un grand public, et cela a été fait : en caricaturant, avec deux échantillons témoins de seulement 10 rats, il suffit que par accident quelques-uns de ces rats vivent en bonne santé plus longtemps que prévu, et toute l'étude risque d'être faussée. Il y avait une deuxième contestation sur le calcul des espérances de vie, et une sur la multiplication a priori des tests, augmentant les chances de considérer comme significative une variation qui sera due a une fluctuation sur l'ensemble des résultats.
Est-ce que ces trois objections du HCB sont valables ou pas, je parle ici seulement des objections statistiques, ce n'est pas mon rôle aujourd'hui de le dire, je vais juste dire qu'elles ont été présentées publiquement et posément, dans un document rendu public par le HCB. D'ailleurs sur les espaces de discussion électroniques publics entre mathématiciens, on a pu voir qu'elles ont convaincu nombre de mathématiciens qui étaient a priori très critiques sur l'avis du HCB; c'est un exemple où le débat argumenté a permis d'avancer. S'il y a une réponse il est important de la publier et de continuer ce débat argumenté. Tout à l'heure le professeur Deheuvels a entamé une réponse, je l'encourage vivement à continuer cette discussion publiquement, en répondant point par point. Il est vrai qu'il y a parfois controverse, mais on est alors tenu d'y répondre publiquement et de manière argumentée.
On a avancé que l'étude Séralini permettait de mettre en évidence la non-significativité des études précédentes, dont le HCB a bien dit effectivement que le manque de puissance était aussi choquant. Mais si le professeur Séralini a voulu discréditer le domaine de publication, en pointant des dérives ou un laisser-aller dans les habitudes, il aurait fallu être beaucoup plus clair dans l'annonce. Dans un autre contexte, moins tendu, on se souvient de la manoeuvre utilisée par Bricmont-Sokal pour décrédibiliser une certaine littérature philosophique en publiant dans une revue prestigieuse un article déraisonnable, tout de suite présenté à la presse comme un canular.
Dans le cas actuel, il n'en a rien été : l'étude Séralini a été présentée tout de suite comme très solide, y compris aux médias. Et c'est certainement là qu'est le problème principal : jusqu'ici j'ai parlé de débats entre scientifiques, mais l'implication forte des médias a déstabilisé le débat .
Je suis d'autant plus consterné de cette dérive, à titre personnel, qu'il s'agissait d'un débat très intéressant pour le public, en ce qu'il illustre la pluridisciplinarité de l'expertise, et le rôle des sciences mathématiques, en relation avec d'autres sciences, dans des débats cruciaux pour notre société . Aujourd'hui nous parlons d'OGM, mais en d'autres jours cela pourra être la finance mondiale, les campagnes de vaccination, le réchauffement climatique, la politique démographique, toutes sortes de questions dans lesquelles des modèles mathématiques jouent un rôle important, en interaction avec d'autres sciences. Même sur un sujet très actuel comme l'adoption par les couples homosexuels, une partie du débat se fait, à tort ou à raison, par discussion sur des statistiques, dont la significativité éventuelle est aussi un problème mathématique. Sur toutes ces questions, il est nécessaire d'établir une expertise conjointe de spécialistes de différents bords. Ce dialogue entre sciences est fascinant et important pour toute la société; mais ce message a été absent de la communication grand public. Ce que l'on a vu finalement ce fut les gros titres des journaux avec un message en une « Les OGM sont des poisons » .
À la décharge de l'équipe Séralini, ce n'était pas la première fois qu'on voyait de telles choses : il y a 3 ans c'était, en première page d'un grand quotidien, une annonce tout aussi péremptoire, « Le maïs OGM est sans danger pour l'homme » - avec une base qui vue de l'extérieur, si j'en crois mes amis statisticiens, n'est pas plus solide. Il est bon d'impliquer le public dans les grandes aventures actuelles de la science, il est important de le tenir au courant, de l'informer; mais quand il s'agit d'affaires controversées médiatiques et sans consensus, cela demande un grand doigté, sinon les risques de dérapage incontrôlé sont très grands .
À titre d'exemple, rappelons-nous qu'il y a exactement un an, une autre controverse s'invitait dans les premières pages des journaux grand public : c'était les neutrinos ultrarapides du CERN, censés se déplacer plus vite que la lumière. Dans le communiqué, le responsable indiquait « ces mesures semblent indiquer que les neutrinos voyagent plus vite que la lumière ». On est loin du « clearly demonstrate » que l'on trouve dans l'article présenté par le Professeur Séralini. Et puis, dans son communiqué, l'équipe du CERN ajoutait à juste titre « Lorsqu'une collaboration fait une observation aussi inattendue, sans pouvoir l'interpréter, l'éthique de la Science demande que les résultats soient rendus publics auprès d'une plus large communauté, afin que ceux-ci soient examinés et pour encourager des expériences indépendantes. [...] C'est la raison pour laquelle nous envoyons aujourd'hui aux médias un communiqué formulé avec prudence ». Notre collègue physicien Alain Aspect disait alors « c'est l'occasion de montrer au grand public comment fonctionne la science ». Malgré toutes ces précautions, l'occasion a été ratée; l'implication médiatique a déstabilisé le système. Pour une partie des médias, le doute a été changé en certitude sensationnaliste, sur le thème « Einstein s'est trompé », et le mouvement a débordé les scientifiques ; quand finalement il est devenu clair que les résultats du CERN résultaient d'une erreur d'expérimentation, cela a été quasiment passé sous silence. Certains des chercheurs impliqués ont vécu l'affaire comme une humiliation : l'annonce a été accompagnée de débordements sensationnels, mais la réaction salutaire de la communauté n'a pas été vraiment remarquée. Cette expérience nous rappelle combien il est dangereux de communiquer prématurément au grand public.
Il y a une différence majeure entre la question des neutrinos rapides et celle du potentiel cancérigène des OGM : si la question des neutrinos est en premier lieu une question théorique, celle des OGM est une affaire de santé publique, avec en outre des enjeux financiers considérables. On peut argumenter que cela justifie des pratiques différentes, mais j'aimerais argumenter au contraire que cela nécessite encore plus de prudence dans la mise sur la place publique et l'affûtage des arguments, sous peine de rendre les débats encore plus passionnels.
Or l'affûtage des arguments scientifiques, la discussion sur le fond, nous n'en avons rien vu, en revanche nous avons vu des couvertures sensationnelles, des photos - excusez-moi, j'ai été choqué aussi - des photos de tumeurs parlant directement aux émotions, et l'impression que les scientifiques sont incapables de discuter entre eux puisqu'ils en viennent à communiquer par presse interposée. Nous avons vu deux pétitions, signées par des scientifiques a priori respectables, l'une sur le site du CNRS, l'autre dans Le Monde; honnêtement je ne comprends pas comment on peut faire les choses de cette manière. Sur le site du CNRS on trouve une attaque contre les convictions intimes de ceux du camp opposé, au lieu d'une simple discussion sur les arguments scientifiques. Dans la pétition qui est parue dans Le Monde, on ne fait aucun cas de l'avis du HCB - pas d'argumentaire, pas de réponse. Nous avons vu des batailles de chiffres - ma pétition a recueilli tant de signatures, la mienne en a eu tant -, et à ma grande horreur, dans chacune des listes je retrouve des amis que j'estime beaucoup. Je ne trouve pas d'excuse, franchement, aux membres des deux bords dans ce débat : on n'a pas le droit d'utiliser de mauvaises pratiques pour combattre de mauvaises pratiques.
Je finis avec ma casquette de citoyen : je vois une autre conséquence, qui à titre personnel me pose souci, c'est que le caractère spectaculaire de l'étude et de l'annonce a focalisé le débat sur le pouvoir cancérigène des OGM, au détriment de tous les autres éléments, sociaux, économiques et éthiques, qui méritent d'être abordés très sérieusement dans le débat sur les OGM. Je vous remercie.
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci. Je vais donner la parole maintenant à deux représentants d'associations de journalistes. J'aurais souhaité que le Nouvel Observateur soit également présent puisqu'il avait publié l'article. Nous les avons invités, mais nous n'avons malheureusement pas eu de réponse.
M. Sylvestre Huet, chroniqueur scientifique à Libération, président de l'Association des journalistes scientifiques et de la Presse d'information. - Mon intervention se situera dans le droit fil de celle de Cédric Villani, dont je partage la totalité de l'expression. Je tiens à rappeler quelques phrases de la déclaration de l'association que je préside rendue publique le 15 octobre dernier : « L'embargo est une pratique que nous approuvons, mais sur un article publié dans une revue scientifique, il consiste à interdire de le citer avant sa publication. Cela ne vise en aucun cas à assurer à cette revue une position commerciale ou une exclusivité d'information au sens du scoop tant recherché par la presse généraliste. L'objectif unique est la qualité de l'information, tant des scientifiques que du public. L'embargo permet aux journalistes spécialisés en sciences et accrédités auprès des revues de disposer en avance des articles afin de les soumettre au regard critique de scientifiques qui peuvent être laudateurs comme négatifs. Cette démarche repose sur un traitement équitable - tous les journalistes accrédités disposent de l'information et non un groupe choisi - ainsi que sur la vigilance et la modestie des journalistes scientifiques, bien placés pour savoir les limites de leurs connaissances et la complexité des informations scientifiques, en particulier le fait qu'une étude publiée ne sera pas nécessairement confirmée par la suite. À l'inverse, nous récusons et condamnons la clause de confidentialité imposée par l'équipe de Gilles-Eric Séralini. Celle-ci consistait à fournir à quelques journalistes sélectionnés l'article sous embargo, en leur réclamant en contrepartie de ne pas recueillir l'avis d'autres scientifiques sur cette étude. Ce qui visait clairement à obtenir une présentation biaisée de cette étude, dénuée de tout regard critique ou simplement compétent. C'est pourquoi cette clause fut repoussée par certains journalistes scientifiques sollicités, puis dénoncée en France, par l'Union Européenne des Associations de Journalistes Scientifiques et ailleurs, comme contraire aux bonnes pratiques résultant de concertations entre le monde scientifique et celui des journalistes spécialisés en science. »
Un, l'expérience le prouve, lorsque la science est bonne, il n'y a pas de scoop, c'est-à-dire pas d'information exclusive accordée à un journal ou à un journaliste par les chercheurs ou par les revues scientifiques. L'information est distribuée équitablement, les embargos sont respectés et la confidentialité telle qu'elle est exigée par le professeur Séralini est refusée . Cette bonne pratique, convenue et codifiée entre journalistes spécialisés en sciences et le monde de la recherche, promeut la qualité de l'information, décourage le sensationnalisme et la déformation des faits.
Deux, ce fut le cas pour les découvertes importantes annoncées ces vingt dernières années. Le séquençage du génome humain comme la découverte de planètes autour d'autres étoiles que notre soleil, la découverte du boson de Higgs, les avancées en science du climat, ont tous été communiqués à des centaines de journalistes spécialisés en sciences, accrédités auprès des meilleures revues scientifiques, avant leur publication officielle. Tous ont respecté l'embargo et tous ceux qui l'ont pu ou voulu ont utilisé ce délai pour améliorer leurs articles notamment en interrogeant d'autres scientifiques que les auteurs sur le sens ou les limites des faits d'expérience, des observations et des interprétations théoriques.
Trois, lorsque la science est bonne mais qu'elle se trompe, elle ne rompt pas avec les bonnes pratiques. Elle l'a par exemple prouvé dans le cas des neutrinos plus rapides que la lumière du CERN. Les journalistes qui l'ont souhaité ont pu, dès les premiers articles publiés, contrebalancer l'annonce faite par des critiques émises par d'autres physiciens et rappeler à leurs lecteurs ou auditeurs qu'une telle mesure ne serait considérée comme fiable qu'après sa reproduction par un dispositif expérimental différent.
Quatre, lorsque la science est bonne, le fait qu'elle touche à des sujets porteurs d'enjeux sociaux forts et donc de polémiques n'exempte pas du respect des bonnes pratiques. Lorsque des spécialistes de l'INRA publiaient le 30 mars dernier dans la revue Science une expérience dévoilant les effets néfastes de certains insecticides agricoles sur les abeilles, même à très faible dose, ils respectent ces règles et bonnes pratiques sans chercher à organiser un coup médiatique avec l'aide de quelques journalistes pour, par exemple, contrebalancer le lobbying des industriels de l'agrochimie.
Cinq, la rupture avec ces règles et bonnes pratiques par l'équipe du professeur Séralini fut particulièrement brutale. Le fait de choisir des journalistes sur d'autres bases que celle de leur compétence sur le sujet et de leur imposer de signer un document les menaçant d'une sanction financière s'ils soumettent l'article à l'analyse d'autres scientifiques ne peut que relever d'une volonté de manipuler l'opinion publique . Aucun des arguments avancés pour justifier une telle action ne peut être accepté. Il faut souligner que, si certains journalistes ont accepté ce deal mortifère pour la qualité de l'information, d'autres l'ont refusé ou dénoncé au nom même de cette qualité. Il était prématuré, le jour de la publication de ces articles, de transformer la formule « lorsque la science est bonne, il n'y a pas de scoop », en son inverse « lorsqu'il y a scoop, c'est que la science est mauvaise ». Toutefois, il est assez éclairant de mettre en regard ce que cette rupture avec les bonnes pratiques a permis au professeur Séralini d'obtenir, à savoir une couverture médiatique poussée et totalement laudatrice. Les rétropédalages qui ont suivi par la suite dans certains organes de presse nous ont rappelé le malheureux adage selon lequel une désinformation suivie d'un démenti assure deux articles à celui qui en est à l'origine.
Sept, après les analyses de l'ANSES et du HCB, il semble clair que l'étude du professeur Séralini pose une question redoutable. Est-elle seulement médiocre dans sa conception et dans sa présentation ? Ou avons-nous affaire à une des publications décrites par l'historienne Naomi Oreskes dans Marchands de doute ? Sur le risque sanitaire du tabac, comme sur l'évolution du climat, des scientifiques ont délibérément distordu la présentation de faits pour duper l'opinion publique, a-t-elle démontré. La France n'est pas exempte de telles dérives, comme l'ont montré des publications de 2005 et de 2007 de Vincent Courtillot de l'Institut de physique du globe de Paris parues dans la revue Earth and Planitary Science Letters , publications réfutées par le professeur au Collège de France, Edouard Barr, qui a montré qu'elles étaient fondées sur une erreur monumentale de calcul.
Il est troublant de constater que le principal soutien mis en avant par Monsieur Séralini lors de son audition précédente fut le statisticien Paul Deheuvels, de l'Académie des sciences. Au nom de Club de l'Horloge, ce dernier a remis en décembre 2010 le prix Lyssenko au climatologue Jean Jouzel pour dénoncer une soit-disante imposture de la communauté scientifique en climatologie. Cette insulte faite à Jean Jouzel, associé à un truand de la science et à un dictateur, s'étend à l'ensemble des climatologues. À cette occasion, Monsieur Deheuvels a montré que la vérité scientifique n'était rien devant sa conviction idéologique. Il a également montré qu'il avait une ignorance des informations de base en climatologie.
M. Paul Deheuvels, membre de l'Académie des sciences, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - Je proteste devant de tels propos. Je dois interrompre le discours de ce monsieur...
M. Sylvestre Huet, chroniqueur scientifique à Libération , président de l'Association des journalistes scientifiques et de la Presse d'information. - Vous me répondrez lorsque j'aurai terminé.
Huit, certains affirment que le retentissement médiatique et politique de cette affaire sert le débat démocratique dans la mesure où, même si cette étude n'est pas probante au plan des méthodes scientifiques et non conclusive, elle permet de poser des questions sur le fonctionnement du système d'expertise publique des risques sanitaires des produits agrochimiques et issus du génie génétique. Les bonnes questions sont-elles pour autant posées ? Les risques sanitaires, économiques, sociaux, agronomiques et environnementaux des herbicides au glyphosate et des plantes génétiquement modifiées pour les tolérer sont-ils bien représentés par des images de rats affligés de tumeurs géantes dont le lien avec des deux éléments n'est pas démontré ? Ces images vont-elles générer un débat public de qualité, des décisions démocratiques utiles pour la prévention de ces risques, fondées sur des analyses scientifiques et une détermination explicite des choix de société ? En l'occurrence, avec quelle agriculture voulons-nous vivre ? Ne faut-il pas l'orienter vers le non usage des herbicides comme le suggère l'INRA ? Il est bien sûr permis de l'espérer. Il est probablement plus lucide de considérer qu'il y aurait là une sorte de miracle social et politique car rien n'autorise à penser que le niveau d'information du public et des responsables politiques se soit amélioré grâce à cet épisode . En témoigne le brouillage complet des positions puisque la simple exigence de clarté quant aux informations scientifiques a été assimilée par les partisans du professeur Séralini à un soutien aux plantes génétiquement modifiées ou à l'agrochimie voire aux protocoles réglementaires actuels ou au secret industriel, ce qui très souvent n'était absolument pas le cas.
Neuvième et dernier point, la qualité de l'information du public et probablement de nombreux responsables politiques a pâti de la méthode médiatique utilisée par le professeur Séralini. Le simple respect des bonnes pratiques dans les relations entre monde scientifique et journalistes aurait sans doute permis une meilleure information sur ce sujet complexe . Promouvons donc ces bonnes pratiques, aussi bien auprès des scientifiques que des journalistes, et en particulier auprès des directions des organes de presse qui souhaitent souvent s'en affranchir. C'est ce que l'Association des journalistes scientifiques a voulu faire par sa déclaration du 15 octobre dernier. Je vous remercie de votre attention.
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci. Monsieur Huet vous ayant cité nommément, je vous donne la parole.
M. Paul Deheuvels, membre de l'Académie des sciences, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie. - Je ne répondrai pas aux injures de Monsieur Huet qui mélange des questions qui n'ont aucun rapport entre elles. J'ai participé activement au débat sur le climat à l'Académie des sciences, et je me souviens très bien que beaucoup de scientifiques n'étaient alors pas d'accord entre eux. Mérite-t-on d'être ostracisé au seul motif que l'on ne se rallie pas à la position dominante ? Je me permettrai de vous rappeler, Monsieur Huet, que récemment l'Institut météorologique britannique sur lequel se basent, essentiellement, les analyses du GIEC a publié des chiffres qui démontrent qu'il n'y a pas eu de réchauffement climatique mesurable depuis, au moins, 1999. Je ne sais pas si vous avez publié un démenti au sujet des thèses inverses sur le sujet que vous avez amplement développées dans Le Monde, et présentées comme des vérités d'évangile. Je veux dire par là qu'il est normal que, dans un domaine comme l'étude du climat, qui est une science nouvelle, il y ait des personnes qui ne soient pas du même avis, et que les théories varient en fonction des découvertes. Ce qui n'est pas normal est qu'on cherche à imposer par l'intimidation médiatique des théories comme définitives, alors que celles-ci ne sont pas encore suffisamment établies. Un minimum de prudence s'impose. Chaque opinion est respectable . Respectez la mienne, s'il vous plaît. Je respecte la vôtre, bien que je ne l'approuve pas.
Je suis venu ici pour discuter des problèmes statistiques liés à l'étude du professeur Séralini, et je maintiens que celle-ci, sur le plan technique, est parfaitement valable, et qu'elle met bien en évidence des différences statistiquement significatives. J'ai même pu déceler, moi-même, de telles différences avec des données partielles qui m'ont été fournies. Je comprends toutefois que d'autres pensent le contraire, et j'estime que la controverse qui en découle ne sera résolue que lorsque toutes les données seront rendues publiques . Sur ce, le fait de me faire un procès d'intention, Monsieur Huet, et de prétendre que je sacrifie la vérité à l'idéologie, est une attitude imprécatoire que je considère comme méprisable, et qui relève exactement du lyssenkisme le plus pur. J'ai des titres et des publications qui montrent que j'ai fait quelque chose dans le monde scientifique. D'autres préfèreront gloser sur les travaux des autres, sans toujours avoir la compétence suffisante pour bien les comprendre. Par contre, je veux bien admettre qu'il y ait beaucoup de savants qui racontent des bêtises. Peut-être même est-ce mon cas, mais je crois, modestement et sincèrement, en ce que j'affirme. Qui êtes-vous donc, Monsieur Huet, pour prétendre discerner entre la bonne et la mauvaise science ? L'exemple de la controverse entre Claude Allègre et Haroun Tazieff sur les dangers possibles d'une éruption de la Soufrière démontre amplement que même le meilleur scientifique de sa discipline peut se tromper, et cela arrive d'ailleurs bien plus souvent qu'on croit dans les sciences expérimentales. Il importe d'exposer ses arguments avec honnêteté, et je l'ai fait. Par ailleurs, je maintiens que beaucoup d'attaques que j'ai vues porter sur les travaux du professeur Séralini reposent sur des bases, à l'évidence, non scientifiques. C'est ce point et ce point seul qui m'a obligé à intervenir dans ce débat. Je m'oppose à de telles critiques, car mon opinion raisonnée, qui n'a rien à voir avec une idéologie quelconque, me pousse à soutenir la partie technique de ces travaux . Le fait que je pense le contraire de ce que vous pensez est, pour vous, Monsieur Huet, un argument suffisant pour que vous permettiez de m'insulter.
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Monsieur Séralini, vous pouvez prendre la parole, mais soyez bref car il nous reste encore une table ronde.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je comprends, mais si chaque table ronde consiste à me mettre en cause sans que je puisse répondre, je n'ai qu'à sortir. Monsieur Huet, ce que vous dites là est extrêmement grave. Je n'ai pas été responsable de la médiatisation associée à mon étude mais ai écrit un livre expliquant tous les problèmes qu'il y avait eu en ce domaine . Je voudrais en même temps répondre à Monsieur Villani. Nous nous situons dans un sujet qui implique plusieurs millions d'euros, que je suis parvenu à recueillir auprès d'associations privées. Ces personnes désirent que la publication ait lieu. Vous avez vu les pressions. Vous pouvez faire confiance à une agence plutôt qu'à un éditeur scientifique. Vous avez vu, Monsieur Villani, que les agences se sont trompées aussi au cours du temps, pour l'amiante, le sang contaminé, la vache folle... Il y a des précédents où l'on ne peut pas simplement conclure à la vérité par un débat scientifique immédiat. Il faut réitérer l'expérience .
Nous avons toujours été disposés à fournir les données brutes. Toutefois, les seuls comparatifs disponibles sont tenus secrets par les agences et les industriels. L'évaluation contradictoire est ainsi rendue impossible. Je suis fier d'avoir publié cette étude, parce qu'elle a été évaluée par les pairs, qui n'ont relevé que le faible nombre de rats par lot . Il aurait fallu avoir plus de rats, j'en conviens, mais mis à part cela, tout est cohérent et les études statistiques que nous avons effectuées sur les données biochimiques sont très puissantes : elles ont porté sur 106 500 paramètres et elles nous permettent de corréler ce qui s'est passé objectivement au niveau des pathologies et de la mortalité.
Certains peuvent ne pas être d'accord avec cette interprétation. Derrière, il y a un débat historique sur la toxicologie, c'est-à-dire que tous les effets de perturbateurs endocriniens ne sont pas vus si l'on pense que l'on va voir tous les effets à long terme à partir des effets court terme à 28 jours chez le rat.
Ensuite, Monsieur Huet, je suis tenu, vis-à-vis des associations m'ayant alloué leurs crédits, de procéder à la publication de mon étude. Je savais que des pressions visant à son retrait s'exerceraient dans la mesure où l'étude porte sur un enjeu économique important du système agricole français et mondial. Monsieur Huet, vous pouvez vérifier quel est le plus long test qui ait jamais été réalisé avec le Roundup donné à des rats ou des souris pour être mis sur le marché. Si c'est une semaine, un mois, quelques semaines, demandez-les puisque, paraît-il, tout peut être public. Vous verrez si ce que je dis est vrai. À ce moment-là, vous pourrez comparer avec le comparable. Si tout le système des pesticides repose, comme je le pense, sur seulement quelques semaines d'évaluation avec le produit dans sa globalité, on met en péril un système d'évaluation simple, transparent, correct sur le plan sanitaire.
Sans publication, je devais rembourser les crédits, ce qui explique pourquoi nous avons demandé aux journalistes de signer une clause de confidentialité, en échange de l'accès aux données . Le débat peut avoir lieu. Aujourd'hui, on ne peut pas demander à la première équipe universitaire qui a dépensé autant d'argent... Car il n'existe pas d'équipe de biologie qui dépense autant d'argent sur une expérience sur des produits commercialisés. Il ne s'agit pas d'un nouveau concept. Je n'ai pas dit que la Terre était plate ou était ronde, je n'ai pas parlé de la vitesse d'une particule au-dessus ou en dessous de la lumière. Le problème est la contre-expertise d'un produit commercialisé qui met en jeu l'agronomie, l'agriculture mondiale. Il faut faire de la recherche dans ce domaine. Vous avez vu les tests qui ont été présentés par l'ANSES. Ils sont au nombre de deux, l'un porte sur 50 rats, mais seulement trois ou quatre rats sont analysés et l'autre porte sur des souris à 8 mois ou un peu plus mais qui conclut à des effets notamment sur les foies et qui est menée par ma co-auteur.
D'un côté, un besoin énorme d'évaluation existe et, de l'autre, les agences et les sociétés de toxicologie ne demandent pas une telle évaluation. Notre système met en péril la chose, mais il faut quand même faire de la recherche dessus, je le pense, pour la santé publique. Nous protégeons donc l'étude afin qu'elle soit connue par le plus grand nombre avant qu'elle ne soit détruite par des personnes et réseaux qui feront pression sur la revue pour qu'elle la retire.
Je veux bien que vous décidiez qui a raison et qui a tort au niveau scientifique maintenant selon les pratiques que vous croyez voir, mais il y a un vrai problème, Monsieur Huet, aujourd'hui, et on ne peut pas simplement se fier à cela. J'ai écrit un livre, mais il n'a pas été traduit. Il y a des films, mais ils ne circulaient pas au niveau international. Cela n'a pas empêché l'ensemble des pays du monde de parler de cette étude. Ils n'ont pas du tout vu le problème franco-français de l'embargo. 160 pays du monde en ont parlé. La Russie, l'Inde et le Mexique s'interrogent ou mettent en place des moratoires sur ces produits. Cela n'a pas été lié à l'embargo ni à la médiatisation en France . Il y a de toute façon un vrai problème. Si j'ai écrit un livre, c'est justement pour expliquer le contexte que je vous ai indiqué et pour dénoncer par leur nom les personnes avec qui j'avais été souvent en procès ou en opposition qui ont mal évalué ces produits selon moi. Je n'ai pas écrit ce livre pour gagner de l'argent. De toute façon, les livres de sciences ne rapportent quasiment rien.
Voilà pourquoi, dans un contexte aussi sensible, cela s'est passé ainsi, avec certainement des erreurs de médiatisation. Je n'ai pas choisi de faire un embargo avec une personne plutôt qu'avec une autre, mais j'ai respecté l'étude jusqu'à ce qu'elle paraisse.
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Merci beaucoup. Je voudrais maintenant donner la parole à M. Valéry Laramée de Tannenberg.
M. Valéry Laramée de Tannenberg, président de l'Association des journalistes de l'environnement. - Merci Monsieur le Président. Je ne vous parlerai pas de science mais du métier de journaliste. La profession que nous exerçons, Sylvestre et moi, consiste à donner au public le plus large possible une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste . Dans ce sens, nous respectons quelques bonnes pratiques rappelées dans notre Charte d'éthique professionnelle, un document datant de 1918. Cette dernière indique que « le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité. En aucun cas, il ne peut se confondre avec la communication ».
Dans le cas présent, le dossier du Nouvel Observateur est intitulé « Les OGM sont des poisons », ce qui n'est pas démontré dans l'article puisque celui-ci fait référence à une étude qui ne concerne qu'un seul OGM . L'article d'ouverture est le compte-rendu de l'étude publiée dans Food and Chemical Toxicology . Suivent une interview de l'auteur de l'étude, Gilles-Eric Séralini, les bonnes feuilles de son livre et des photos. Le dossier se conclut par une interview de Corinne Lepage qui sort opportunément un livre sur l'étude et sur le problème des OGM. Curieusement, il n'est pas fait trop mention du documentaire qui suit.
Vous l'avez remarqué, le dossier ne présente aucune étude contradictoire, analyse ou prise de recul. Dans notre jargon, nous appelons cela un dossier de presse, soit un dossier remis par une institution ou entreprise de manière à « faciliter » le travail des journalistes, voire à orienter la rédaction d'articles. En aucun cas, je n'aurais accepté un tel article. Selon moi, cet article est, non pas un mensonge, mais un dossier de presse et je regrette qu'un hebdomadaire aussi sérieux que le Nouvel Observateur n'ait pris le conseil de Sciences et Avenir , appartenant pourtant au même groupe. Certains de nos confrères ne respectent pas nos bonnes pratiques, ce que nous ne pouvons que déplorer. J'ajoute pour terminer que je fais miennes les déclarations de Monsieur Huet. Merci Monsieur le Président.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Pourquoi ne pas mettre en cause tous les articles...
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Je vous en prie. On doit s'écouter si l'on veut faire progresser le débat.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je serai très bref. Pourquoi ne pas mettre en cause tous les articles qui ont discrédité mon travail sans pourtant s'interroger les uns les autres ? Chacun a le droit de s'exprimer. Je ne comprends pas. Le débat n'a pas lieu seulement dans un article, mais dans la multiplicité des personnes qui ont discrédité mon travail.
M. Valéry Laramée de Tannenberg, président de l'Association des journalistes de l'environnement. - Je me suis uniquement attaché à décrire l'article du Nouvel Observateur , qui est un dossier qui a mis en valeur votre travail.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Le Figaro a fait le contraire le même jour ou le lendemain.
M. Valéry Laramée de Tannenberg, président de l'Association des journalistes de l'environnement. - Cet article du Nouvel Observateur ne respecte pas les bonnes pratiques de mon travail. Je ne suis pas juge pour juger de la qualité de votre travail. En revanche, j'ai la prétention de savoir comment nous devons travailler. Si nous n'appliquons pas les bonnes pratiques qui sont décrites par plusieurs chartes de déontologie françaises, européennes et mondiales, nous ne faisons pas bien notre travail.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je comprends cela, mais de nombreux articles critiques n'ont pas fait leur travail en montrant des avis balancés.
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - Le travail n'est pas discrédité quand il y a des critiques scientifiques. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous pourrions être les huissiers. Pour que des scientifiques et notamment des statisticiens puissent s'exprimer sur la fiabilité des tests, ils doivent disposer des données brutes. C'est ce que j'ai demandé tout à l'heure, en proposant que l'Office joue un rôle d'huissier pour ces données brutes .
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - J'ai déjà dit oui, mais je désire qu'en même temps soit évalué... Mon travail n'a, en France, permis ni l'autorisation, ni l'interdiction d'un produit. Les tests ayant permis l'autorisation des mêmes produits ne vous intéressent-ils pas ? Pourquoi ne les demandez-vous pas ?
M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l'OPECST. - J'en ai parlé, j'ai commencé par cela.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - S'ils sont rendus disponibles sur un site public, je rendrai les miens disponibles.
Vous ne vous posez pas la question de la transparence des données relatives au Roundup et aux OGM . Pourtant, mes données contredisent ces données et vous me mettez au pilori. Une telle approche selon le principe « deux poids, deux mesures » est inacceptable. En science, quand on veut comparer, on compare. Ce n'est pas que je ne veux pas que mes données soient publiques, mais il s'agit de mon seul point de pression pour que soit rendu public ce qui a permis au NK 603 d'être un maïs autorisé en Europe et pour voir si les 50 effets statistiquement significatifs qui ont été observés dès 3 mois correspondent à ce que j'ai vu. Dès lors, on comprendra les différences d'interprétation des agences. Je ne veux pas seulement des interprétations, je veux que l'on compare les données brutes. Messieurs les journalistes, même si vous êtes en désaccord avec ce qui s'est passé, demandez les données brutes du Roundup et du NK 603, publiez-les sur vos sites Internet et vous aiderez à sortir de cette controverse. Je pense qu'il y a des problèmes graves dans ces données. Je peux me tromper, comme tout le monde sur cette terre, mais il faut que l'on arrête de parler d'une étude et que l'on parle des études qui ont permis les autorisations sur ce marché de cet OGM en particulier et des OGM en général et du Roundup en particulier.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. -Nous allons faire une pause jusqu'à 17 heures 50.
La séance est suspendue pour une pause.
Nous allons maintenant tirer les conclusions de cette controverse afin d'identifier les conditions permettant une recherche et une expertise transparentes et de trouver une voie pour améliorer le dialogue entre science et société. Il a été question dans nos échanges d'une faillite de l'expertise alors que de bonnes conditions d'expertise sont indispensables pour améliorer le dialogue entre science et société.
Par ailleurs, j'ai indiqué que toute la presse avait mentionné le nom du laboratoire de Saint-Malo, à savoir C. Ris Pharma, alors que seul Mediapart a relayé cette information.
M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen. - Je l'avais bien noté. D'ailleurs, je ne confirme et n'infirme pas.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Ce qui est à confirmer, c'est que seuls Mediapart et Ouest France l'ont repris. Je donne maintenant la parole à Monsieur Jean-François Dhainaut, Président du HCB.