PROPOS INTRODUCTIFS DE LAURENCE ROSSIGNOL

L'histoire de ce colloque est à la fois récente, en lien avec les résultats du Front national au premier tour de l'élection présidentielle de 2012 dans l'Oise, et plus ancienne, du fait de l'enracinement de ce vote dans nombre de communes de ce département. Or, les habitants de l'Oise ne sont pas particulièrement différents de ceux des autres départements, mais néanmoins révélateurs de l'évolution de la sociologie politique française.

Une tribune rédigée sur le site Rue89 1 ( * ) , au lendemain du 22 avril, a fait valoir que si l'on n'ignore rien de la sociologie des banlieues, du taux de chômage qu'elles connaissent, de l'absence de services publics, de la désertification médicale qu'on y observe, de son tissu associatif, des problèmes de sécurité, de l'insuffisance des forces de police, on connait bien peu de choses des autres territoires, que l'on ne sait d'ailleurs même pas comment qualifier. On les appelle territoires ruraux, mais ils ne le sont plus vraiment car nombre de gens qui y vivent sont déconnectés de toute activité agricole. On les appelle territoires périurbains, mais ils sont périurbains autour de centres urbains qui ne sont pas très grands. Dans l'Oise, par exemple, on n'est pas dans la banlieue parisienne même si on est proche de l'Ile-de-France. Il y a à la fois un effet d'attraction vers l'Ile-de-France et un rejet de cette région par des populations qui ne veulent ou ne peuvent plus y vivre. Or, il faut s'intéresser à ces territoires qui sont un angle mort de la sociologie française, il faut chercher à mieux les comprendre, à voir ce que leurs habitants ont de spécifique et de révélateur.

Les comprendre est une nécessité pour pouvoir adapter discours et politiques. La transition écologique de notre économie, par exemple, ne pourra se faire contre les gens, mais avec un élan et une adhésion démocratiques. Or, la mention de l'écologie heurte profondément les modes de vie des habitants de ces territoires. Par exemple, combien de rapports, colloques, discours dénoncent l'artificialisation des sols, le mitage des territoires, l'habitat horizontal, le pavillonnaire, etc. Mais ce pavillonnaire est le lieu de vie de nombreuses personnes. C'est aussi souvent leur patrimoine - un toit pour la vieillesse et un patrimoine à transmettre aux enfants. Par des discours inadaptés, ces personnes se sentent donc mises à l'écart et elles le rendent bien aux politiques ! De la même façon tout ce que l'on dit sur le CO2 ou la mobilité et les transports s'oppose au fait que, dans ces territoires, pouvoir disposer de plusieurs voitures est une absolue nécessité pour aller travailler ou poursuivre des études car il y a évidemment une limite au maillage de l'ensemble du territoire avec des transports collectifs !

Il faut donc arriver à faire la jonction avec ces populations, dont le mode de vie ne correspond plus aux standards que nous proposons pour demain et qui se sentent de plus en plus exclues. S'y ajoute un aspect qui me parait important : l'ennui, notamment des jeunes. Il y a dans le rurbain ou le rural une frustration liée à une promesse non tenue. Au-delà de la pression du foncier, il y a souvent le souhait de revenir à un habitat et un environnement à taille humaine - le village, la nostalgie d'une France rurale et solidaire du voisinage, le désir de retour aux activités personnelles autour de sa maison et son jardin. Mais, les maisons individuelles deviennnent vite une « punition », après les semaines de travail et de transports longs ; la solidarité humaine du voisinage n'est pas si évidente lorsque les gens travaillent à l'extérieur et sont peu impliqués dans la vie locale ; les centres d'attraction, notamment pour les jeunes qui s'ennuient, restent les centres urbains ; les personnes qui vieillissent dans des pavillons vieillissants ne trouvent plus les solidarités et les services publics qu'ils pouvaient attendre. La question des services publics est d'ailleurs essentielle, il nous faut inventer de nouvelles formes de services publics et trouver celles qui seront adaptées aux besoins nouveaux du XXIème siècle.

Lorsque j'ai évoqué ces sujets, Stéphane Beaud m'a signalé que plusieurs équipes de chercheurs et de sociologues s'intéressent activement à ces questions. Nous avons décidé d'organiser ce colloque pour les entendre car, même si l'actualité chasse les sujets les uns après les autres, la question des territoires ruraux et périurbains demeure. Si nous ne sommes pas en mesure de les penser, les observer, les analyser, nous nous exposons à de graves déconvenues démocratiques et collectives.

Ce colloque vise donc à mieux percevoir les transformations de ces territoires mais aussi leurs représentations. Car le regard porté sur ces territoires par ceux qui n'y vivent pas ou n'y sont pas élus fait souvent apparaitre incompréhension, méconnaissance, voire absence de curiosité méprisante. A l'issue de ce colloque, il reviendra, notamment aux parlementaires, de tirer les enseignements des diverses contributions et débats et de transformer la réflexion en actions collectives et politiques.


* 1 « Mes électeurs ne sont pas des fachos, du moins pas encore » par Laurence Rossignol

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