M. Olivier Pulvar, Sociologue, Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication
Dans un espace national culturellement hétérogène, les enjeux liés aux choix de mémoire favorisent des appropriations de l'histoire produisant des énonciations identitaires minoritaires. Une production de sens accessible à une collectivité et l'adhésion publique au message présenté comme unanime, peut se heurter à des lectures différentes de l'histoire nationale ; elle se révèle autant un moyen de produire du consensus qu'un facteur de conflits.
C'est en ce sens que la médiatisation du fait remémoré intervient dans la lecture du passé comme du présent, qu'elle participe du faire histoire, qu'elle témoigne de l'événement. Le média qui montre le témoignage tend à s'instaurer source de la vérité historique. Si on s'en tient à l'idée d'une toute puissance de vraisemblance (de vérité ?), il y a bien un risque de perte de lisibilité de la représentation historienne quand l'histoire se « fictionnalise ».
Généralement, le contrôle d'une mémoire historique nationale est un enjeu à la fois politique, social, culturel entre les groupes qui cohabitent dans un même espace. D'où les conflits de mémoires. Par exemple, pour assurer son identité collective, la France doit assumer pleinement son passé, zones d'ombre comprises. Autrement, le système de représentation dominant se heurte à des quêtes identitaires spécifiques dans lesquelles la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes fait place à une revendication des peuples à disposer de leur histoire. C'est à ce niveau qu'il faut placer la forte demande sociale d'images et de sons partant des territoires pour se voir et s'entendre ou, faute de mieux, regarder et écouter un Autre ressemblant mais différent, un Ailleurs proche et lointain à la fois.
En définitive, « [le] lien numérisé n'est rien, s'il ne prend racine dans un lieu propice ». Autrement dit, écrire une histoire commune avec les outre-mer à partir des archives audiovisuelles suppose le partage d'une mémoire édifiée à partir de mémoires individuelles dispersées. Cette démarche technologique revisite la vielle question des formes de communication qui permettent à l'information, construite en commun, de circuler au bénéfice de l'ensemble de la collectivité considérée. Derrière l'entreprise colossale de numérisation et de valorisation du fonds audiovisuel outre-mer s'ouvre déjà un autre chantier d'envergure : l'accès libre et la transmission illimitée à ces ressources pour tous.