EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 octobre 2012, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a entendu une communication de M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, sur la Philharmonie de Paris .
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial . - Le 10 septembre dernier, dans un entretien au journal « Le Monde », la ministre de la culture et de la communication a annoncé l'arrêt, la suspension ou le report de plusieurs projets culturels, pour un peu plus d'un milliard d'euros.
Le projet de Philharmonie de Paris, sujet de ma mission de contrôle, a lui été épargné : le ministère a jugé le chantier trop avancé pour l'interrompre, tout en précisant que le nouveau Gouvernement partageait la finalité du projet, à savoir la construction d'une salle de concert symphonique au niveau des standards internationaux, tant en termes de jauge que d'acoustique.
Premièrement, je me suis interrogé sur les raisons qui justifiaient la Philharmonie de Paris.
Paris présente une offre symphonique riche et diversifiée : la capitale dispose de onze équipements et de nombreux orchestres (l'Orchestre de Paris, l'Orchestre national de France, l'Orchestre philharmonique de Radio France,...).
Cependant, pour certains, Paris n'est pas en mesure de rivaliser avec Londres ou Berlin. Le rang « honnête », mais perfectible, tenu par la capitale française, tiendrait en particulier à l'absence de grand auditorium dédié au répertoire symphonique.
Cette « carence », qui fait l'objet d'un relatif consensus aujourd'hui, a été identifiée de longue date : Berlioz déplorait déjà l'absence de salle de concert digne de ce nom... Après plusieurs tentatives avortées (dans les années 1970, en 1984, en 1986-1988), il aura fallu attendre le milieu des années 2000, et le gouvernement de Villepin, pour qu'un arbitrage ferme intervienne sur la construction d'un grand auditorium.
Selon les défenseurs du projet de Philharmonie, cette « exception française » serait en effet préjudiciable tant au public (qui serait privé de conditions optimales d'écoute et d'actions de démocratisation culturelle) qu'aux artistes (qui verraient leur développement entravé, faute de conditions de travail satisfaisantes).
Je nuancerais toutefois ce jugement : le niveau des orchestres français, à supposer qu'il soit « moyen », dépend de paramètres multiples, qui ne se réduisent pas à l'existence ou non d'une grande salle de concert.
Ces constats ont, en tous les cas, conduit à décider l'édification d'un grand auditorium symphonique au sein du Parc de la Villette. Le choix de cette implantation :
- répondait à des considérations de coût (une emprise appartenant à l'Etat était disponible entre le bâtiment de la Cité de la musique et le boulevard Sérurier) ;
- reposait sur la possibilité de dégager des synergies avec les équipements existants, au premier rang desquels la Cité de la musique ;
- obéissait, enfin, à des justifications relevant de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire : la Philharmonie serait un moyen d'achever le parc de la Villette, de redynamiser le 19 ème arrondissement de Paris, ou encore de « tirer un trait d'union » entre Paris et sa banlieue, dans le cadre d'une démarche structurante pour le Grand Paris.
Cependant, la Villette présente un certain nombre de faiblesses liées à sa desserte (accessibilité du site, problèmes de circulation et de stationnement) ou à son image, qu'il conviendra de surmonter. En particulier, une question se pose : le public de l'ouest parisien se déplacera-t-il dans le 19ème arrondissement ?
Mais plus encore que son lieu d'implantation, c'est le dimensionnement très ambitieux du projet qui ne laisse pas d'étonner.
La salle de la Philharmonie de Paris, dont la réalisation architecturale a été confiée à Jean Nouvel, accueillera 2 400 spectateurs en configuration symphonique, 2 330 spectateurs en configuration « jazz et musiques du monde », et jusqu'à 3 650 spectateurs en configuration « public debout ». Cette salle sera en effet modulable, afin de pouvoir s'adapter à d'autres répertoires que le répertoire symphonique.
La surface au sol de la salle sera de 2 200 mètres carrés et la hauteur sous plafond de 22 mètres.
Plutôt qu'une configuration dite « en boîte à chaussures », où le public fait face à l'orchestre et au choeur, la salle de la Philharmonie de Paris sera, comme celle de la Philharmonie de Berlin, enveloppante (de type « vignoble »).
La qualité de son acoustique semble également avoir été au coeur des préoccupations des responsables du projet, qui n'ont guère « lésiné » sur les moyens et l'expertise mobilisés.
Mais, surtout, plus qu'une salle de concert, la Philharmonie offrira plusieurs espaces annexes : des espaces de travail, un pôle pédagogique, une salle de conférences, des galeries d'exposition, des espaces d'accueil du public (dont une grotte...) et des espaces administratifs et logistiques.
Fallait-il voir si grand ? Plus qu'une extension ou un « complément » à la Cité de la musique, la Philharmonie de Paris semble avoir été conçue comme un pôle autonome dont certains équipements annexes risquent de dupliquer des infrastructures déjà présentes sur le site. J'ajoute, s'agissant des salles de répétition, que l'Orchestre de Paris, qui sera l'orchestre résident de la Philharmonie, semble vouloir répéter directement dans la salle de concert et ne pas forcément vouloir utiliser les salles de répétition...
Deuxièmement, je me suis intéressé à la conduite du projet.
La Cour des comptes, dans un rapport thématique de 2007, puis dans le cadre de son rapport public annuel de février 2012, a critiqué la conduite des grands chantiers culturels. Malheureusement, à cet égard, le projet de la Philharmonie de Paris ne fait pas exception et a subi de nombreuses « vicissitudes », tant du point de vue du pilotage, que de celui des délais et des coûts.
S'agissant du pilotage, j'insiste, à titre liminaire, sur un élément qui a eu de nombreuses répercussions sur la conduite du projet : le choix atypique d'un portage associatif. Le portage du projet a en effet été confié à une association de type « loi de 1901 » constituée en novembre 2006, présidée par Laurent Bayle, l'actuel directeur général de la Cité de la Musique et président de la salle Pleyel. L'association de préfiguration, baptisée « Philharmonie de Paris », est chargée d'assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction puis l'exploitation de la Philharmonie. Ce choix a résulté du caractère cofinancé du projet, à parts égales, par l'Etat et la Ville de Paris, ce qui est inhabituel.
Les incertitudes juridiques initialement soulevées par ce portage ont été dissipées. Toutefois, celui-ci semble avoir affecté l'implication des tutelles dans le suivi du projet. Ainsi, dans son rapport de décembre 2009 sur la Philharmonie, la mission conjointe Inspection générale des finances (IGF) - Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), notait : « la forme associative de la structure de portage du projet a favorisé une défaillance de suivi des tutelles, dont la capacité de contre-expertise des actions et propositions de l'association de préfiguration en matière juridique, économique et financière n'a pas été suffisamment mobilisée ». En réaction à ces observations, les tutelles ont mis en place, à compter de 2010, un dispositif de pilotage articulé autour de trois comités : un comité technique, un comité de suivi administratif et un comité stratégique.
La « défaillance » des tutelles s'était notamment manifestée à travers les hésitations et fluctuations des arbitrages concernant le recours ou non à un partenariat public-privé (PPP) et la procédure d'appel d'offres à retenir.
De fait, l'hypothèse initialement avancée d'un PPP a été abandonnée début 2008 au profit d'un marché unique de construction, maintenance et entretien. L'association de préfiguration souhaitait conserver le contrôle de la maîtrise d'ouvrage du projet, ce qui n'aurait pu être le cas avec un PPP.
Cette décision ne signait pas pour autant la fin des vicissitudes du projet... En effet, la procédure d'appel d'offres qui a suivi s'est avérée quelque peu « chaotique » :
- début 2009, l'association de préfiguration lance une procédure d'appel d'offres restreint ;
- deux offres sont reçues, celle du groupement Bouygues et celle du groupement SICRA ;
- l'analyse de ces offres conclut néanmoins à leur non-conformité, en raison des surcoûts très significatifs qu'elles présentaient par rapport aux évaluations initiales de l'association ;
- il est donc décidé de relancer la consultation sous la forme d'un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence, procédure sur laquelle la mission d'inspection précitée a d'ailleurs porté un jugement nuancé ;
- l'offre remise par SICRA ne respectant pas les modalités de présentation des offres, il est décidé de ne faire participer à la négociation que le seul groupement Bouygues ;
- la nouvelle offre de Bouygues ayant encore été jugée trop élevée, la maîtrise d'ouvrage conduit alors plusieurs mois de négociations ;
- au final, les discussions permettent de ramener le coût des travaux à 215,9 millions d'euros, soit environ 90 millions d'euros de moins que l'offre initiale. Le marché a été signé le 25 janvier 2011.
Toutes ces « péripéties » juridiques - même si elles ne sont pas les seules responsables - ont évidemment eu un impact sur le calendrier initial qui prévoyait une ouverture de la Philharmonie en septembre 2012. Aujourd'hui, le retard accumulé est estimé à 24 mois, reportant l'ouverture de l'équipement au dernier trimestre 2014.
Dans cette chronologie du projet, je reviens brièvement sur l'année 2010 qui a constitué un moment charnière. En effet, tout porte à croire que fin 2009 - début 2010, le projet de Philharmonie a été sérieusement « sur la sellette ». Alors que la maîtrise d'ouvrage poursuivait ses négociations, les ministres chargés du budget et de la culture ont mandaté l'IGF et l'IGAC pour expertiser la conduite du projet. Le rapport très critique (dont j'ai déjà cité quelques conclusions) qui a été rendu en décembre 2009, envisageait - entre autres solutions - l'arrêt pur et simple du chantier. D'après les informations que j'ai recueillies au cours de mes auditions, il est tout à fait vraisemblable que l'année 2010 ait donné lieu à un « bras de fer » entre « Bercy » et la « rue de Valois », tranché en faveur du projet par le Président Sarkozy.
Outre le dérapage du calendrier, le chantier n'a pas non plus échappé à une « dérive » de ses coûts : initialement estimé à environ 170 millions d'euros par l'association de préfiguration en 2006, le coût initial du projet a été réévalué à 336,5 millions d'euros en 2011. L'essentiel de ce décalage s'explique par la différence de périmètre retenu. A titre d'illustration, le coût initial n'incluait pas un certain nombre de dépenses pourtant significatives liées au premier équipement, à l'actualisation des prix ou aux travaux d'interfaces site (paysages, aménagement, terrassement).
Ce montant risque d'être, à nouveau, dépassé. Le ministère de la culture m'a en effet signalé des surcoûts de l'ordre de 50 millions d'euros (portant ainsi le montant global du projet à 386,5 millions d'euros) en raison notamment de la hausse du prix des matières premières et des contraintes supplémentaires de mise aux normes de sécurité. Afin de tempérer ce « dérapage », la maîtrise d'ouvrage est en négociations avec Bouygues et l'architecte pour trouver des pistes d'économies éventuelles.
En ce qui concerne les modalités de financement du projet, trois financeurs se partagent « l'addition » : l'Etat et la Ville de Paris, à parts égales, et, dans une moindre mesure, la Région Île-de-France.
La participation de cette dernière est au coeur du débat car elle fait l'objet d'interprétations différentes :
- pour le conseil régional, sa contribution se limite à un montant forfaitaire de 20 millions d'euros qui représentait, au moment de son engagement, 10 % du coût du chantier, alors évalué à 200 millions d'euros ;
- pour l'Etat et la Ville de Paris, la région doit, au contraire, participer à hauteur de 10 % du coût final du projet, et donc assumer une partie des surcoûts.
Ce point pourtant crucial n'est pas encore tranché, d'après ce que m'a indiqué le cabinet de Mme Filippetti.
Troisièmement, dans le cadre d'une mise en perspective, j'étudierai maintenant les enjeux posés par la Philharmonie de Paris « en rythme de croisière ».
Après l'ouverture du nouvel auditorium, le dossier de la Philharmonie ne sera pas clos pour autant... Certaines questions doivent en effet, dès maintenant, être posées : notamment, la reconfiguration de l'offre musicale à Paris, la gouvernance et l'équilibre économique de la Philharmonie en rythme de croisière.
La Philharmonie de Paris constitue, tout d'abord, un pari culturel relativement risqué. A public constant, deux tendances sont en effet envisageables :
- soit, la Philharmonie « cannibalisera » le public des autres salles parisiennes, ce qui pose la question d'une remise à plat et d'un pilotage global de l'offre musicale classique à Paris ;
- soit, au contraire, elle ne trouvera pas son public : au delà du phénomène de curiosité consécutif à son ouverture, elle pourrait ne pas attirer durablement, notamment en l'absence de pleine substitution du public des communes périphériques au public de l'ouest parisien.
En tout état de cause, ces questions méritent d'être posées car les études disponibles mettent en évidence un attrait relativement faible des Français pour le concert classique, doublé d'un vieillissement du public.
On peut, également, s'interroger sur la multiplication des investissements symphoniques depuis 2005-2006 : nouvel auditorium de Radio-France, chantier de la Philharmonie, rachat et rénovation de la salle Pleyel. A cet égard, la reconversion de la salle Pleyel est une question cruciale qui n'est pas encore réglée non plus. Pour ne pas concurrencer la Philharmonie, les tutelles envisagent de transformer radicalement la programmation de la salle Pleyel. Cette dernière serait désormais dédiée à la variété et aux musiques du monde, et non plus à la musique symphonique, évolution que je n'approuve pas.
M. Philippe Marini, président . - Dans le cadre de la deuxième loi de finances rectificative pour 2009, nous avions voté les crédits nécessaires au rachat de la salle Pleyel, sous une pression certaine du ministère de la culture. Des observations avaient été formulées à cette occasion. On nous avait justifié cet investissement par des perspectives d'exploitation qui ne seront apparemment pas au rendez-vous...
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial . - Je reprends mon propos. Une autre question en suspens concerne le futur statut juridique de la Philharmonie. Là encore, plusieurs hypothèses ont été évoquées, puis écartées : le maintien de l'association « Philharmonie de Paris », la création d'un établissement public de coopération culturelle (EPCC), la mise en place d'un groupement d'intérêt public « culture », la création d'une société par action simplifiée. On se dirigerait finalement vers un établissement public sui generis, seule forme juridique à même de respecter, dans la gouvernance du nouvel établissement, la place de chacun des partenaires à hauteur de ses apports financiers.
Enfin, il reste un enjeu budgétaire important : l'équilibre financier de la salle en régime de croisière. La mission IGF-IGAC s'était également intéressée à cette question.
Sur la base des éléments qui lui avaient été transmis, celle-ci avait estimé le déficit prévisionnel de la Philharmonie à 51 % et donc le besoin de financement public à 17,4 millions d'euros par an, selon la clé de répartition suivante : 7,8 millions d'euros à la charge de l'Etat (45 %), 7,8 millions d'euros à la charge de la Ville de Paris (45 %) et 1,7 million d'euros à la charge de la Région Île-de-France (10 %). Or, plus encore que pour l'investissement initial, la participation de la Région au coût de fonctionnement est incertaine.
En tout état de cause, le niveau de déficit et de subventionnement requis de la part des collectivités publiques serait non négligeable, d'autant plus que ces calculs reposent sur des hypothèses très volontaristes, fournies par l'association de préfiguration.
S'agissant de ces hypothèses, la mission d'inspection avait notamment critiqué des ressources propres fortement majorées par des estimations de fréquentation et de politique tarifaire largement sur-estimées.
Les représentants de la Philharmonie m'ont indiqué compter sur des gisements d'économies qui résulteraient de mutualisations avec la Cité de la Musique. Je reste prudent sur l'ampleur des synergies attendues.
Pour conclure, j'attire l'attention sur les craintes de certains de mes interlocuteurs pour lesquels la multiplication des grands chantiers fait peser une hypothèque budgétaire sur le financement des politiques culturelles. Selon eux, ces investissements, et les demandes de personnel et de fonctionnement qu'ils induiront à long terme, risquent de produire un effet d'éviction sur les autres moyens du ministère de la culture. Cette crainte se comprend d'autant plus que la réalisation de cette salle de prestige intervient dans un contexte budgétaire peu favorable...
A cet égard, le contexte de l'ouverture de la Philharmonie est très différent de celui de l'Opéra Bastille. Il est vrai que le pari de l'Opéra Bastille a été gagné, contre toutes les prédictions de ses détracteurs. Mais, alors que l'Opéra Bastille a été dès son ouverture doté d'importants crédits publics dans un contexte général de relative croissance des dépenses culturelles, l'ouverture de la Philharmonie intervient en période budgétaire extrêmement contrainte. Le pari apparaît d'autant plus risqué. De plus, je ne sens pas une volonté politique aussi forte que celle manifestée alors par le président Mitterrand.
M. Philippe Marini, président . - Je me réjouis de cette communication stimulante et utile. Quel contraste entre la situation des finances publiques, le discours sur la réduction des marges de manoeuvre, et les comportements dépensiers auxquels on assiste dans le domaine culturel ! Ce rapport tombe à point nommé, et vous ne pourrez être soupçonné de parti pris, puisque l'on s'inscrit dans une stricte continuité - continuité dans la dépense, ce qui est toujours plus facile...
M. Vincent Delahaye . - J'avais déjà été interpellé par ce sujet l'an dernier. Le ministre de la culture de l'époque, Frédéric Mitterrand, nous avait alors expliqué que la dérive des coûts était liée au fait que certains équipements et aménagements n'avaient pas été pris en compte au départ. Cette réponse m'avait surpris, car lorsque les collectivités territoriales se lancent dans des chantiers, elles anticipent toutes les dépenses... Le coût du projet s'ajoute à la dépense nécessaire au rachat de la salle Pleyel, soit 61 millions d'euros, opération qui s'est avérée profitable pour le vendeur...
Nous voilà confrontés ici à une dérive conséquente. Certes, le chantier est démarré et bien avancé. Mais ne pourrait-on reporter certains équipements annexes (pas forcément indispensables), afin de geler une partie du projet et de préserver des sommes non négligeables ? On achèverait l'équipement une fois revenus à des temps budgétaires plus cléments, si cela arrive... Je pense réellement que l'on devrait étudier la possibilité d'ouvrir partiellement la Philharmonie.
Deuxièmement, je m'interroge sur le fonctionnement du futur équipement. On nous parle d'un établissement public sui generis. L'Etat en sera-t-il partie prenante ? Quel est le budget prévisionnel de fonctionnement ? A Massy, nous disposons d'un opéra pour lequel nous n'avons jamais reçu la moindre subvention de l'Etat. Nous parvenons pourtant à attirer le public et à le remplir. Je souhaiterais donc savoir à quelle hauteur l'Etat s'engagera dans le financement du fonctionnement de la Philharmonie.
M. Yvon Collin . - A l'écoute de ce feuilleton, les bras m'en tombent. Nous sommes, pour la plupart, des élus locaux et, à ce titre, nous avons tous été confrontés à des appels d'offre ou des montages de dossiers. J'ai l'impression que, pour la construction de ce projet pharaonique, on a fait preuve d'amateurisme depuis le début. La première question qu'il aurait fallu se poser, avant de s'engager dans une telle opération, aurait été de savoir s'il existait le public pour un tel équipement.
Sur le reste, je me joins aux commentaires de Vincent Delahaye. Il faut faire en sorte de limiter au maximum les dérives en se rapprochant le plus possible des estimations initiales. Quand on voit avec quelle rigueur les chambres régionales des comptes surveillent la façon dont les élus locaux passent leurs marchés, l'inconséquence de l'Etat dans ce dossier est plus qu'inquiétante.
M. Aymeri de Montesquiou . - Vincent Delahaye aurait pu citer le cas de la « Sagrada Familia », à Barcelone, dont la construction dure depuis une centaine d'années.
Je souhaiterais savoir si le lancement du projet de la Philharmonie a été précédé par une étude de marché approfondie, ou bien si les pouvoirs publics se sont contentés de justifier cette nouvelle salle à partir des seules comparaisons internationales.
De surcroît, comme l'a souligné Yann Gaillard, l'accessibilité du site n'est pas évidente. Le public de l'ouest parisien se déplacera-t-il dans le 19 ème arrondissement ? A-t-on, par ailleurs, imaginé pouvoir compter sur un public international ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial . - Aucune étude de marché d'ampleur n'a été réalisée avant le lancement du projet. Une étude est en cours sur le niveau de fréquentation que l'on peut attendre pour la future salle, à partir du public actuel de l'Orchestre de Paris à la salle Pleyel.
La forte volonté du président de l'association de préfiguration, Laurent Bayle, semble avoir joué un rôle déterminant dans le portage du projet. Pour le reste, je ne suis pas étonné des remarques de mes collègues, qui reprennent les observations contenues dans mon rapport. Une chose est sûre : le recours à un architecte international de renom ne facilite pas les négociations pour réduire les coûts du projet.
Au cours d'un petit déjeuner de travail sur le budget 2013 organisé hier matin par la ministre de la culture, cette dernière a confirmé sa volonté de poursuivre le projet de la Philharmonie et d'éviter tout nouveau retard dans le chantier. Sur le fonctionnement, nous sommes relativement dans le flou.
M. Jean Germain . - Ce sujet est très complexe. La genèse politique du dossier est aussi incompréhensible que le recours à une association de préfiguration. Il se trouve que je connais bien le sujet, pour avoir lu un excellent mémoire de sciences politiques d'un étudiant de Rennes sur la Philharmonie de Paris, publié très récemment, et dont je vous recommande la lecture.
Je rappellerai brièvement la chronologie du projet. L'annonce en a été faite par le Gouvernement Villepin qui souhaitait s'associer avec la Ville de Paris, laquelle a répondu favorablement. Le Président Chirac avait également donné son accord. En 2006-2007, le concours d'architecture a été lancé, remporté par Jean Nouvel. A suivi une période d'incertitude. En effet, le premier ministre d'alors, François Fillon, était partisan de l'arrêt du chantier, tandis que le maire de Paris avait des doutes. C'est le Président Sarkozy qui a relancé le projet, déclarant qu'il ferait tout pour qu'il puisse voir le jour. Le chantier n'a démarré qu'en mars 2011, avec la technique connue du « pied dans la porte », rendant difficile l'abandon du projet. A défaut de l'arrêter, il existe peut-être des possibilités de le recalibrer à la baisse. La région participe à hauteur de 20 millions d'euros, de façon peu enthousiaste. La question du fonctionnement ne peut évidemment être ignorée, sans oublier le sort de la Salle Pleyel qui ne peut être traité sans prendre en compte le coût de son rachat en 2009.
Enfin, s'agissant du public, je ne partage pas le pessimisme de Yann Gaillard. En province, le public existe pour aller à l'opéra - c'est le cas à Tours -, et c'est même un public assez jeune. La capacité de renouveler les spectateurs dépend de la programmation, des prix, des abonnements, de la publicité que l'on peut effectuer dans les établissements scolaires. A cet égard, Berlin est exemplaire : on voit qu'il peut y avoir de très grands concerts avec un public jeune.
M. Edmond Hervé . - Je ne me prononcerai pas sur l'opportunité du projet. Paris a un rôle à jouer. Celles et ceux qui sont familiers des grands investissements culturels verront le rapport de notre rapporteur spécial comme tout à fait ordinaire et classique. Ne vous faites pas d'illusions, mes chers collègues, compte tenu des évaluations de coût qui viennent de nous être transmis, la puissance de certains fera que l'on ira au bout et que l'enveloppe finale sera proche, voire au-dessus, de 386 millions d'euros. Adoptons, par ailleurs, une démarche objective : un chantier qui dure plusieurs années coûte cher, c'est mécanique, notamment du fait des changements technologiques. L'intervention de grands architectes ne facilite pas les choses, toute négociation s'avérant notoirement difficile.
Mme Fabienne Keller . - Je ne suis pas choquée par le choix de la Villette pour implanter la Philharmonie de Paris. C'est un quartier de Paris qui dispose d'un beau regroupement culturel, entre la Cité de musique, la Cité des sciences et le Zénith notamment. Il constitue même un exemple de transformation urbaine intéressante.
Quels seront les orchestres résidents, et quel sera leur budget de fonctionnement ? Quelle sera l'articulation entre les lieux et les orchestres ? Comment s'opèrera le partage des équipements ?
Je m'inquiète aussi du nombre de spectateurs qui profiteront de ce nouvel auditorium. A cet égard, nous sommes aujourd'hui concentrés sur Paris, dont le rayonnement culturel constitue certes un enjeu important. Cependant, il ne faut pas oublier pour autant la province, qui mène de réels efforts d'accès à la culture pour tous. En Alsace, l'opéra du Rhin est financé par trois villes. Le même spectacle est joué dans trois lieux différents. Cela permet une logique de mutualisation.
Enfin, je suis impressionnée par le dérapage financier. Il doit y avoir une explication technique. Le coût initial devait omettre les aménagements de voierie, les dessertes... Même si c'est un architecte de renommée internationale qui le construit, il y a un réel sujet de maîtrise du coût : a-t-on affiché un prix minoré pour rendre possible le lancement du chantier, tout en sachant pertinemment que le coût serait dépassé ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial . - Je confirme à Fabienne Keller que le coût initial n'affichait pas certaines dépenses. Cela explique la plus grande part du décalage avec l'estimation initiale. Sur le reste, tous les points développés par mes collègues sont longuement développés dans mon rapport, qui confirme les analyses critiques précédentes réalisées par l'IGF-IGAC et la Cour des comptes notamment.
M. Philippe Marini, président . - Nous allons bien sûr nous prononcer sur la publication du rapport de notre collègue, mais nous pouvons aussi formuler un certain nombre d'observations sur lesquelles nous demanderons à la ministre de la culture et de la communication de répondre, à l'occasion de l'examen des crédits de la mission « Culture » en séance publique.
La situation présentée ce matin est exemplaire ou contre-exemplaire d'une certaine manière : d'un côté, il y a la situation des finances publiques très contrainte et, d'autre part, les perspectives de réalisation d'un grand équipement culturel qui, quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été programmé, va être mis en service au cours d'une période où la gestion des finances publiques sera resserrée - je fais attention à ne pas utiliser le terme de rigueur. Je m'interroge sur la cohérence de l'action publique telle qu'elle apparaîtra à nos concitoyens le jour où l'on ouvrira ce merveilleux équipement et où, par ailleurs, on aura dû faire des efforts, réduire la voilure, diminuer les dépenses, voire encore accroître davantage la fiscalité. Cette coïncidence pose problème, même si ceux qui sont au pouvoir aujourd'hui ne sont pas tout à fait ceux qui ont décidé le projet.
En second lieu, il convient de rappeler que, sans une alliance de l'Etat et de la Ville de Paris, ce programme n'aurait pu voir le jour. C'est donc un sujet de responsabilités partagées. Nous pourrions dès-lors être complètement libres dans nos appréciations ; la responsabilité est globale.
Enfin, je voudrais souligner un point important, valable dans tous les chantiers notamment culturels, à savoir la responsabilité du maître d'oeuvre, le résultat des concours et la manière d'en encadrer les conséquences. Ne sommes nous pas, avec ce type d'architecture, en situation, en quelque sorte, de conflits d'intérêts ? Est-on capable de contre-expertiser la crédibilité des évaluations fournies ? C'est un sujet que l'on retrouve souvent lors de réalisations complexes ; rappelez-vous Aéroport de Paris, par exemple.
Je vous demanderais de bien vouloir me dire, tout d'abord, si vous approuvez, mes chers collègues, la publication du rapport de Yann Gaillard.
La commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
M. Philippe Marini, président . - Nous pouvons désormais arrêter un certains nombre d'éléments sur lesquels nous souhaitons interroger le Gouvernement :
- l'effet d'éviction que ce programme risque, compte tenu de son enveloppe et de l'incertitude qui pèse sur celle-ci, de provoquer sur les autres moyens du ministère de la culture et de la communication, dans le contexte général de contrainte des finances publiques ;
- les dernières évaluations de dépenses de fonctionnement de la future Philharmonie et leurs modalités de financement ;
- le calendrier de déroulement du chantier : malgré le contexte budgétaire actuel, l'ouverture de la Philharmonie dans son ensemble (auditorium et espaces annexes) aura-t-elle bien lieu au dernier trimestre 2014 ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial . - Je suis d'accord pour demander à la ministre de la culture, lors de l'examen en séance publique de la mission « Culture », des précisions sur ces points. Les interrogations pointées dans mon rapport s'inscrivent dans la continuité des travaux de la Cour des comptes et des inspections générales des finances et des affaires culturelles.
Mme Fabienne Keller . - Nous pourrions également interroger le Gouvernement sur la parité Ville de Paris/Etat, notamment en ce qui concerne le financement des surcoûts : comment seront-ils pris en charge ? En province, la participation de l'Etat dans ce type d'équipement est marginale.
La question du budget de fonctionnement de la Philharmonie renvoie aussi à celle de l'équilibre financier des institutions culturelles - en l'occurrence les orchestres - résidentes. Celles-ci bénéficient également d'importantes subventions de l'Etat.
M. Philippe Marini, président . - La question de la clé de financement est importante, y compris dans le budget de fonctionnement du futur auditorium.
Mon approche, à ce stade, demeure un questionnement : quelles seront les conséquences de cet investissement et des coûts induits, par la suite, en fonctionnement, sur le budget dédié à la culture ? Les prévisions actuelles sont-elles fiables et suffisamment précises ?
M. Jean-Paul Emorine . - J'ai présidé la commission spéciale sur le « Grand Paris ». La finalité de ce projet, partagée par l'Etat et la Ville de Paris, était de conforter Paris au rang de capitale internationale. La Philharmonie de Paris s'inscrit dans cette logique. On ne peut pas totalement comparer ce type d'équipement avec ce qui se fait en province.
M. Vincent Delahaye . - Il faudrait également avoir des précisions sur la maîtrise d'ouvrage. Qui est le chef de file ? Je m'interroge aussi sur les nombreux espaces annexes prévus : une galerie d'exposition, une salle des conférences.... Un réexamen sérieux des ces équipements est nécessaire.
M. Edmond Hervé . - Je ne suis pas d'accord. Si l'on reconsidère les éléments constitutifs du projet ou si on les rééchelonne dans le temps, cela va coûter très cher ; des contrats ont été passés. Par ailleurs, si un grand équipement n'a pas d'homogénéité, il ne fonctionne pas.
J'insiste sur un point : il est absolument nécessaire qu'il y ait un maître d'ouvrage clairement identifié. Ce n'est pas le maître d'oeuvre qui a la plume, mais le maître d'ouvrage. Négocier avec les grands architectes est une démarche difficile.
M. Philippe Marini, président . - Il n'y a pas de mauvais architectes, mais des mauvais clients...
M. Edmond Hervé . - Même si la situation des finances publiques est très contrainte, nous devons être fiers de notre pays. Le rayonnement de Paris, c'est le rayonnement du reste de la France. Il se répercute nécessairement sur nos villes, nos départements et nos régions.
M. Philippe Marini, président . - L'ensemble de ces observations, mes chers collègues, seront synthétisées dans une lettre que j'enverrai à la ministre de la culture et de la communication.