Rapport d'information n° 42 (2012-2013) de Mme Nicole BONNEFOY , fait au nom de la Mission commune d'information sur les pesticides, déposé le 10 octobre 2012
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PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA MISSION
COMMUNE D'INFORMATION
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Audition de M. Gérard Pelhate,
président, du Pr Patrick Choutet, médecin national, du
Dr Yves Cosset, médecin-chef de l'échelon national de
médecine du travail et de M. Christophe Simon, chargé des
relations parlementaires, de la Mutualité sociale agricole (MSA) (6 mars
2012)
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Audition de M. Émeric Oudin, PDG de la
société Axe environnement et de M. Thierry Metreau,
responsable réglementations et prescription (6 mars 2012)
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Audition de Mme Emmanuelle Soubeyran, chef de
projet interministériel du plan Ecophyto 2018, de M. Éric
Tison, sous-directeur du travail et de la protection sociale au
secrétariat général du ministère de l'agriculture,
de M. Joël Francart, sous-directeur adjoint de la qualité et
de la protection des végétaux à la direction
générale de l'alimentation, et de Mme Juliette Auricoste,
chef de bureau adjoint à la direction générale de
l'alimentation (6 mars 2012)
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Audition de M. Frank Garnier,
président, et de M. Jean-Charles Bocquet, directeur
général, de l'Union des industries de la protection des plantes
(UIPP) (6 mars 2012)
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Audition de M. Guy Paillotin, secrétaire
perpétuel de l'Académie d'agriculture (22 mars 2012)
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Audition de M. Jacques My, directeur
général et M. Philippe Doyen, administrateur de l'Union des
entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics (UPJ) (22
mars 2012)
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Audition de M. Marc Mortureux, directeur
général, de Mme Pascale Robineau, directrice des produits
réglementés, de M. Dominique Gombert, directeur de
l'évaluation des risques, et de Mme Alima Marie, directrice de
l'information, de la communication et du dialogue avec la société
de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de
l'environnement et du travail (ANSES) (22 mars 2012)
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Audition du Pr Pierre Jouannet, membre de
l'académie de médecine (22 mars 2012)
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Audition de M. Franck Wiacek, directeur à
l'Institut du végétal (Arvalis) (22 mars 2012)
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Audition de M. Pierre Lebailly, chercheur à
l'Université de Caen-Basse-Normandie, responsable du programme
Agriculture et cancer (Agrican) (22 mars 2012)
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Table ronde de sénateurs de l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
(OPECST) (27 mars 2012)
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Audition de M. André Cicolella, chercheur
à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques
(INERIS), spécialiste de l'évaluation des risques sanitaires (3
avril 2012)
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Audition de M. Joël Guillemain,
pharmaco-toxicologue, membre de l'Académie nationale de pharmacie (3
avril 2012)
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Entretien avec des agriculteurs membres du G.I.E.
« La Ferme de Chassagne », exploitation d'agriculture
biologique à Villefagnan (3 avril 2012)
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Entretien avec des élus et des personnels
territoriaux sensibilisés à la réduction de l'usage des
pesticides par les collectivités territoriales, à Saint-Groux (3
avril 2012)
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Entretien avec l'association Phyto-Victimes (3
avril 2012)
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Table ronde sur le régime
d'évaluation, d'autorisation et de dérogations applicable aux
épandages par aéronefs de produits
phytopharmaceutiques -
Auditions de M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire,
de M. Robert Tessier, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux,
de Mme Emmanuelle Soubeyran, responsable du service de la prévention des risques sanitaires de la production primaire,
de M. Frédéric Vey, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux,
et, pour l'ANSES, de M. Thierry Mercier, directeur adjoint et de Mme Pascale Robineau, directrice des produits réglementés (10 avril 2012)
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Audition de M. Vincent Polvèche, directeur
du groupement d'intérêt public « GIP
Pulvés » (10 avril 2012)
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Audition de M. Jérémy Macklin,
directeur général adjoint du groupe coopératif In Vivo,
membre de l'organisation professionnelle Coop de France, et de
Mme Irène de Bretteville, responsable des relations parlementaires
de l'organisation professionnelle Coop de France (10 avril 2012)
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Audition de Mme Annie Thébaud-Mony,
directeur de recherche honoraire à l'Institut national de la
santé et de la recherche médicale (INSERM), présidente de
l'association Henri Pézerat, santé, travail, environnement
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Audition de M. André Picot,
toxicochimiste, directeur de recherche honoraire au Centre national de la
recherche scientifique (CNRS), expert français honoraires auprès
de l'Union européenne pour les produits chimiques en milieu de travail
(commission SCOEL à Luxembourg) (17 avril 2012)
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Audition de M. Alain Chollot, chef du
laboratoire de l'évaluation du risque chimique à l'Institut
national de recherche et de sécurité pour la prévention
des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) (17 avril
2012)
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Audition de M. Marcel Jeanson et de M.
Jean-Philippe Jeanson, agriculteurs (17 avril 2012)
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Audition de M. Dominique Martin, directeur des
risques professionnels à la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des
Travailleurs Salariés (CNAMTS) (24 avril 2012)
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Audition de M. Didier Marteau, président de
la chambre d'agriculture de l'Aube, co-président de la commission
environnement de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture
(APCA) (24 avril 2012)
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Audition de M. Pascal Ferey, vice-président
de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles
(F.N.S.E.A.), président de la commission environnement de la F.N.S.E.A.,
de M. Cédric Poeydomenge, directeur-adjoint de l'Association
Générale des Producteurs de Maïs (AGPM), responsable du
service économique et syndical, et de Mme Sophie Metais,
chargée de mission environnement réglementation, facteurs de
production à l'AGPM (24 avril 2012)
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Audition de M. Jean-Paul Cabanettes,
inspecteur général des ponts, des eaux et des forêts, et
M. Jacques Février, inspecteur général de la
santé publique, au Conseil général de l'alimentation, de
l'agriculture et des espaces ruraux (15 mai 2012)
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Audition de M. Jean Sabench, responsable de
la commission pesticides à la Confédération paysanne, et
de Mme Suzy Guichard, de la Confédération paysanne (15 mai
2012)
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Audition de M. Jean-François Lyphout,
président de l'Association pour la promotion des préparations
naturelles peu préoccupantes (ASPRO-pnpp), de M. Hervé
Coves, chargé de mission responsable des stations expérimentales
(ASPRO-pnpp), et de M. Guy Kastler, administrateur (ASPRO-pnpp) (15 mai
2012)
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Audition de M. François Werner, directeur
du Fonds de Garantie des actes de Terrorisme et autres Infractions (FGTI) et de
Mme Nathalie Faussat, responsable au Fonds de Garantie des actes de
Terrorisme et autres Infractions (FGTI) (15 mai 2012)
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Audition de Mme Dominique Florian,
présidente de l'Institut de Recherche en Agriculture Biologique pour
l'Europe (IRABE) (22 mai 2012)
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Audition de Mme Ellen Imbernon, directrice du
département santé-travail, de M. Johan Spinosi, chargé de
l'évaluation des expositions, et de Mme Béatrice
Geoffroy-Perez, coordinatrice du programme Coset, de l'Institut de Veille
Sanitaire (InVS) (29 mai 2012)
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Audition de M. Christian Huygues, directeur
scientifique adjoint de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA)
(29 mai 2012)
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Audition de Mme Béatrice Dingli, directrice
générale et de M. Guy Vernerey, chef de projet du fonds
d'assurance formation VIVEA (29 mai 2012)
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Audition de M. Gilles-Éric Seralini,
professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen
(29 mai 2012)
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Audition de M. Philippe Guichard et
M. Patrice Marchand de l'Institut Technique de l'Agriculture Biologique
(ITAB) (5 juin 2012)
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Audition de M. François Veillerette,
porte-parole de l'association Générations futures, et
Mme Nadine Lauverjat, chargée de mission (5 juin 2012)
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Audition de M. Jean-Denis Combrexelle,
directeur général du travail au ministère du travail, et
de Mme Patricia Le Frious, chargée de mission sur les
équipements de protection individuelle (5 juin 2012)
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Audition du Dr Nadine Houedé, oncologue
à l'Institut Bergonié (Centre régional de lutte contre le
cancer de Bordeaux et du Sud-Ouest) (12 juin 2012)
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Audition de M. Jean-Marie Pelt, professeur
émérite des universités en biologie
végétale, président de l'Institut Européen
d'Ecologie (IEE) (12 juin 2012)
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Audition, pour l'Institut National de la
Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM),
du Dr Isabelle Baldi, maître de conférences et praticien hospitalier au Laboratoire Santé-Travail-Environnement (LSTE) de l'Université Bordeaux II,
de Mme Sylvaine Cordier, directeur de recherche, responsable de l'équipe de recherches épidémiologiques sur l'environnement et la reproduction de l'Université de Rennes I,
de M. Xavier Coumoul, maître de conférences, UMRS 747 pharmacologie, toxicologie et signalisation cellulaire de l'Université Paris-Descartes,
du Dr Victor Demaria-Pesce, directeur de recherche, directeur des relations institutionnelles,
de Mme Marie-Christine Lecomte, directeur de recherche, responsable du Centre d'expertise collective de l'INSERM à la Faculté de médecine Xavier-Bichat,
et du Pr Geneviève Van Maele-Fabry, de l'Université catholique de Louvain (20 juin 2012)
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Audition de M. Bernard Géry,
porte-parole du collectif Sauvons les fruits et légumes de France et de
M. Vincent Schieber, président de Carottes de France (20 juin
2012)
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Audition, pour l'association France Nature
Environnement (FNE), de Mme Claudine Joly, experte pesticides et de
Mme Marie-Catherine Schulz, coordinatrice du réseau agriculture (20
juin 2012)
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Audition de Mme Marie-Monique Robin, journaliste,
auteur du livre et réalisatrice du film « Notre poison
quotidien » (26 juin 2012)
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Audition de M. Christophe Hillairet,
président de la Chambre interdépartementale d'agriculture
d'Île-de-France (26 juin 2012)
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Pesticides, santé et prévention des
risques professionnels - Table ronde (3 juillet 2012)
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Audition de M. Patrick Lorie, président de
la Fédération Nationale des Métiers de la Jardinerie
(FNMJ) et de M. Christian de Luzy, délégué FNMJ des
établissements Truffaut, responsable du groupe « distribution des
produits phytopharmaceutiques » (10 juillet 2012)
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Audition de M. Philippe Joguet, directeur
développement durable, responsabilité sociétale des
entreprises (RSE) et questions financières de la
Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution
(FCD), de Mme Giulia Basclet, conseillère environnement de la FCD
et de Mme Sandrine Lanfrit, responsable qualité exploitation non
alimentaire de Carrefour France (10 juillet 2012)
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Audition de M. Philippe de Saint-Victor, directeur
du pôle développement et prospective de SNCF-infra et de
M. François Lauzeral, expert technique
« géométrie de la voie et maîtrise de la
végétation » (10 juillet 2012)
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Audition de M. Jean-Marc Bournigal,
président de l'Institut national de Recherche en Sciences et
Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA), et de M. Pierrick
Givone, directeur général délégué recherche
innovation (10 juillet 2012)
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Table ronde juridique (17 juillet 2012)
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Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des
affaires sociales et de la santé (17 juillet 2012)
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Audition de M. Michel Griffon, conseiller
scientifique de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), président de
l'Association internationale pour une agriculture écologiquement
intensive, et de M. André Guillouzo responsable du programme
« Contaminants et environnements » à l'ANR (17
juillet 2012)
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Audition de M. François Toussaint et
de M. Jean-Luc Ferté, membres de la Coordination Rurale (17 juillet
2012)
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Audition de M. Pierre Pernot (Airparif) (18
juillet 2012)
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Audition de M. Sébastien Picardat,
Fédération du négoce agricole (FNA) (18 juillet
2012)
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Audition de Mme Nathalie Gouérec,
coordonnatrice du Centre d'étude pour une agriculture durable plus
autonome (Cédapa) et de M. Frédéric Darley (18
juillet 2012)
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Audition de M. Jean-Luc Bindel (FNAF-CGT) et
M. Roger Perret (IRESA) (18 juillet 2012)
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Effets des pesticides sur la santé des
utilisateurs, de leur famille et des riverains : regards croisés -
Table ronde (24 juillet 2012)
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Audition de M. Stéphane Le Foll, Ministre
de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (24 juillet
2012)
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Audition de M. Sylvain Maestracci et de Mme Karen
Bucher, Secrétariat Général des Affaires
Européennes (SGAE) (11 septembre 2012)
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Audition de M. Daniel Roques, président de
l'Association des Utilisateurs et Distributeurs de l'Agro-Chimie
Européenne (AUDACE) et de M. Stéphane Delautre-Drouillon,
secrétaire général (11 septembre 2012)
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Audition de M. Dominique Bricard, directeur
général de Nutréa, de M. Michel Le Friant,
responsable des métiers du grain (Caliance), et de M. Joël
Pennaneac'h, coordinateur du pôle sécurité (Triskalia) (11
septembre)
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Audition du Dr Vincent Peynet de Kudzu Science (11
septembre 2012)
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Audition de M. Gérard Pelhate,
président, du Pr Patrick Choutet, médecin national, du
Dr Yves Cosset, médecin-chef de l'échelon national de
médecine du travail et de M. Christophe Simon, chargé des
relations parlementaires, de la Mutualité sociale agricole (MSA) (6 mars
2012)
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ANNEXE I - BIBLIOGRAPHIE
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ANNEXE II
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ANNEXE III - CONFÉRENCE DE PRESSE DU 23
OCTOBRE 2012
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ANNEXE IV - ECHOS DE PRESSE A LA SUITE DE LA
PUBLICATION DU TOME I DU RAPPORT DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION
N° 42
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 octobre 2012 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l' environnement (1),
Par Mme Nicole BONNEFOY,
Sénateur.
Tome II : Auditions
(1) Cette mission commune d'information est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; MM. Gilbert Barbier, Pierre Bordier, Joël Labbé, Gérard Le Cam, Mme Michelle Meunier et M. Henri Tandonnet, vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Gérard Bailly, Yannick Botrel, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Laurence Cohen, M. Alain Fauconnier, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. François Grosdidier, Alain Houpert, Jean-François Husson, Claude Jeannerot, Mme Élisabeth Lamure, MM. Serge Larcher, Daniel Laurent, Pierre Martin, Gérard Miquel, Mmes Laurence Rossignol et Esther Sittler. |
PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION
http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video12728.html
N.B : les soulignements et les caractères en gras sont le fait du rapporteur ; les premiers marquent le début d'un développement relatif à un thème particulier tandis que les seconds mettent en valeur un propos particulièrement remarqué.
Audition de M. Gérard Pelhate, président, du Pr Patrick Choutet, médecin national, du Dr Yves Cosset, médecin-chef de l'échelon national de médecine du travail et de M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires, de la Mutualité sociale agricole (MSA) (6 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre mission va entendre M. Gérard Pelhate, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, que je remercie très sincèrement d'avoir accepté notre invitation. Il sera le premier à nous parler des pesticides et, surtout, puisque c'est l'angle que nous avons choisi, de leurs conséquences sur la santé et l'environnement et de la manière de s'en protéger.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A mon tour de vous remercier de votre présence. Avec vous, nous ouvrons un cycle d'auditions qui se terminera fin juin avant la publication de notre rapport à l'automne.
Nos travaux, Mme la présidente l'a rappelé, sont orientés vers les pesticides dans le monde professionnel, des salariés qui les fabriquent jusqu'aux agriculteurs qui les manipulent, mais sans oublier les riverains qui les inhalent et les utilisateurs occasionnels que sont les jardiniers du dimanche.
« La France est championne d'Europe d'utilisation de pesticides et troisième consommateur mondial après l'Inde et les États-Unis d'Amérique. Selon une étude de juin 2007, les agriculteurs exposés aux pesticides auraient deux fois plus de chance de développer une tumeur cérébrale. Au centre d'immunologie de Marseille Luminy, Bertrand Nadel et Sandrine Roulland ont découvert que les agriculteurs exposés aux phytosanitaires développent cent à mille fois plus de cellules anormales, qui peuvent se transformer en cancer du sang. Les expositions professionnelles peuvent également être impliquées dans plusieurs hémopathies malignes, d'après les recherches de l'équipe de Jacqueline Clavel.
Pourtant, entre 2002 et 2010, seuls 38 agriculteurs ont été reconnus professionnellement malades à cause des produits phytosanitaires. D'autres sont parvenus à faire reconnaître leur pathologie mais sans établir de lien direct avec les pesticides. Ils figurent parmi les 1 363 cas « maladies professionnelles de nature allergique » reconnues sur la même période par la Mutualité sociale agricole. Pourquoi si peu de malades des pesticides sont-ils reconnus par l'organisme de protection sociale des salariés et exploitants agricoles ? Il y a, d'une part, la rigidité de la procédure et, de l'autre, l'omerta des agriculteurs dans un milieu où lier santé et pesticides est un péché. »
Cet extrait d'une enquête de Mediapart constitue une bonne introduction au sujet qui nous occupe aujourd'hui et conduit à poser de multiples questions. Quid de l'évolution du tableau des maladies professionnelles ? Quels sont les résultats du réseau de vigilance Phyt'attitude lancé par la MSA en 1991 pour inciter les agriculteurs à signaler les intoxications liées aux produits phytosanitaires ? Les premiers résultats de l'enquête Agrican - pour agriculture et cancer -, lancée en 2005 et appelée à se poursuivre jusqu'en 2020, ont surpris. La santé des salariés et des exploitants agricoles serait meilleure que celle du reste de la population française. Mais les chiffres donnés sont ceux de la mortalité, et non de la morbidité. En outre, seuls 52% des agriculteurs de la cohorte ont été en contact avec des produits phytosanitaires, un choix qui pose question...
M. Gérard Pelhate, président de la MSA . - Merci pour cette invitation. Je répondrai à vos questions en tant que président de la MSA, mais aussi président de la caisse d'Ille-et-Vilaine et producteur de lait et, donc, utilisateur de ces produits. Le Pr Patrick Choutet, médecin national de la MSA, et le Dr Yves Cosset, médecin chef de l'échelon national de santé au travail, m'accompagnent pour vous apporter des compléments techniques.
En introduction, rappelons que la MSA, contrairement au régime général, constitue le guichet unique de la protection sociale des agriculteurs, des prestations obligatoires aux complémentaires, de la santé au travail à la prévention des risques professionnels.
Pour nous, l'exposition aux pesticides est donc un risque professionnel parmi d'autres, tels les troubles musculosquelettiques, les risques psychosociaux, les zoonoses et tous les risques spécifiquement liés à l'agriculture. La MSA est active sur le dossier des produits phytosanitaires depuis des années. Je m'en tiendrai à quelques dates : 1991 pour le réseau Phyt'attitude et 2002 pour la réforme de la couverture obligatoire des accidents du travail et des maladies professionnelles pour les non salariés agricoles et la mise en place d'un fonds de prévention des risques professionnels. La MSA contribue également à la connaissance de ces risques en participant à des projets de recherche et à des études main dans la main avec les grands instituts de recherche comme l'InVS ou l'ANSES.
Pour être précis, nous ne sommes pas les seuls acteurs de la prévention dans ce domaine. Il faut également citer le ministère de l'agriculture et les agences, qui sont responsables de la mise sur le marché des substances actives et de la veille sanitaire, les fabricants de produits phytosanitaires, les professionnels de l'agriculture ainsi que de ceux qui les conseillent dans le choix des produits et du matériel. La MSA, elle, est responsable du suivi des populations utilisatrices.
Quelle est notre définition du terme pesticide ? Celle qu'a retenue la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap) lors de la création du tableau sur la maladie de Parkinson et pesticides - car, techniquement, le tableau est créé, il manque seulement la validation.
Pr Patrick Choutet, médecin national . - Les chiffres que vous avez donnés en introduction gagneraient à être affinés. Le discours de la MSA, pour simplifier, est le suivant : les produits phytosanitaires sont toxiques ; si on ne peut pas éviter leur utilisation, il faut y recourir dans des conditions optimales de sécurité : bonne connaissance du produit et de sa composition, revêtement d'équipements de protection individuelle et respect absolu des règles d'hygiène.
M. Gérard Pelhate . - Un message scientifique auquel la MSA a donné une validation publique...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quand ?
M. Gérard Pelhate . - ...il y a deux ans.
Pr Patrick Choutet . - A la différence des autres acteurs, nous avons toujours tenu un discours de prévention global.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Depuis deux ans seulement !
M. Gérard Pelhate . - Sur le terrain, la MSA agit depuis bien plus longtemps. La preuve : la mise en place du réseau Phyt'attitude.
Pr. Patrick Choutet . - Nous, nous nous insistons depuis toujours sur les quatre volets de la prévention : une bonne connaissance du produit , un bon matériel , des équipements de protection et une formation avant toute utilisation. C'est une nécessité pour réduire les risques.
Autre point abordé dans votre introduction, l'outil de réparation n'est pas à confondre avec l'outil épidémiologique. Appréhender la toxicité des pesticides à partir des maladies professionnelles, qui sont enserrées dans un carcan réglementaire, ne suffit pas. Pour une vision plus complète du phénomène, il faut également tenir compte des accidents du travail, des données de toxicovigilance et des études épidémiologiques. Si la toxicité aiguë est facile à établir, la toxicité chronique, qui se manifeste des années après sous la forme de cancers ou de maladies neurologiques, l'est plus difficilement.
Dr Yves Cosset, médecin-chef de l'échelon national de médecine du travail . - La France est connue pour afficher le plus grand tonnage d'utilisation de produits phytosanitaires. Cela dit, si on rapporte celui-ci à l'hectare, nous tombons au huitième rang européen, au bas mot.
Pr Patrick Choutet . - De plus, les pesticides sont un des facteurs de la toxicité chimique parmi d'autres avec les gaz ou encore les carburants.
Dr Yves Cosset . - Les effets des pesticides sur la santé sont liés à la voie d'exposition : celle-ci est, bien sûr, respiratoire et oculaire mais, on l'oublie trop souvent, cutanée - première surface d'échange entre les produits et le corps humain. L'ingestion de produits par accident est une autre possibilité. Leur impact est également fonction de la fréquence de l'exposition et de la quantité des produits. Enfin, ne négligeons pas les adjuvants et solvants qui entrent également dans la composition des produits phytosanitaires et peuvent occasionner des pathologies à effets directs ou indirects.
Pr Patrick Choutet . - Quels sont les chiffres ? Pour 80 000 accidents du travail déclarés par an, un chiffre qui diminue, on recense en moyenne 160 accidents du travail par an survenus avec des produits de traitement de 2003 à 2010 . Aucun décès n'a été à déplorer durant la période. L'indicateur est donc intéressant.
Dr Yves Cosset . - J'ajoute que l'on compte 23 accidents du travail graves liés à l'utilisation de produits de traitement de 2003 à 2010 .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Toute l'information remonte-t-elle aux caisses ?
Pr Patrick Choutet . - Par définition, nous ne pouvons nous appuyer que sur les déclarations.
M. Gérard Pelhate . - Nous considérons la période 2003-2010 parce que la réforme de l'ATEXA date de 2002.
Mme Jacqueline Alquier . - Disposez-vous de données par secteur ?
Dr Yves Cosset . - Oui, nous vous transmettrons les chiffres par secteur, par région et même par type de produits - insecticides, fongicides, herbicides.
Pr Patrick Choutet . - Les maladies professionnelles liées aux produits phytosanitaires sont, elles aussi, peu nombreuses par rapport au nombre total des maladies reconnues : 47 pour 44 000 depuis 2003 . Sur la totalité de la période, six décès , dont trois chez les salariés agricoles dont la cause est l'utilisation de l' arsenic et trois chez les non salariés.
Mme Jacqueline Alquier . - Savez-vous s'il s'agit d'asthme, d'eczéma ou encore de cancer ?
Pr Patrick Choutet . - Tout à fait, les pathologies les plus importantes sont les affections cutanées et respiratoires de type allergique.
Dr Yves Cosset . - J'attire votre attention sur un point : les tableaux des maladies professionnelles n°s 44 (lésions eczématiformes de mécanisme allergique) et 48 (affections dues aux solvants organiques liquides) concernent les maladies liées à tous les produits phytosanitaires, non aux seuls pesticides.
Pour être complet, ajoutons que la MSA peut prendre en charge une maladie professionnelle non reconnue dans ces tableaux si le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) est saisi d'une demande et statue en ce sens. De 2008 à 2010, concernant l'exposition aux pesticides, les CCRMP ont accepté 17 demandes sur les 87 déposées au titre de l'alinéa 4 l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale. Voici le détail : trois maladies de Parkinson, une hémopathie et un glioblastome en 2008, deux pour une maladie de Parkinson et deux pour des hémopathies en 2009 et trois maladies de Parkinson, trois hémopathies, un cancer broncho-pulmonaire et une pneumopathie interstitielle en 2010. Les comités ont également instruit huit demandes déposées au titre de l'alinéa 3 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale ; ils en ont accepté une en 2010.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le tabou sur les effets des pesticides commence à être levé chez les agriculteurs, ce qui est une bonne chose, vu l'omerta qui sévissait auparavant. Néanmoins, en tant qu'élue de la Charente, j'ai à l'esprit le parcours du combattant d'un agriculteur, M. Paul François . Pour obtenir la reconnaissance de sa maladie professionnelle, il a dû en passer par les tribunaux !
M. Gérard Pelhate . - En l'occurrence, la responsabilité est partagée ! Le problème est le cadre réglementaire.
Dr Yves Cosset . - La MSA a reconnu l'accident du travail dont a été victime M. Paul François. Sa situation dramatique est liée à une rechute. Il est devenu invalide suite à l'inhalation de monochlorobenzène , un solvant faisant partie de la formulation de l'herbicide Lasso commercialisé par Monsanto. Toute la difficulté venait de ce que l' alachlore ne figure pas sur un tableau de maladie professionnelle. Dans ce cas, il est possible de saisir les CRRMP, puis les tribunaux de la sécurité sociale, voire les tribunaux de grande instance. Comment ces tableaux sont-ils révisés ? Par décret. Celui sur la maladie de Parkinson le sera sous peu et des travaux sont en cours sur d'autres pathologies.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment décide-t-on de l' évolution des tableaux des maladies professionnelles ?
Dr Yves Cosset . - En fonction des avancées de la science . Vous avez tous en tête l'exposition à l'amiante et ses effets différés, avec des mésothéliomes se déclarant parfois une quarantaine d'années après l'exposition. D'où, pour chaque tableau, la nécessité de préciser ses dates de création et de mise à jour. Prenons le tableau des hépatites : la Cosmap l'a modifié très régulièrement, il existe désormais une hépatite G.
Mme Nicole Bonnefoy , r apporteur. - Qui en prend l'initiative ?
Dr Yves Cosset . - La Cosmap, pilotée par le ministère de l'agriculture. Elle est composée de représentants des employeurs, des exploitants agricoles et des salariés agricoles. Chacun d'entre eux peut inviter la commission à travailler sur un sujet. Cela s'est passé ainsi pour la maladie de Parkinson. Il existe également une commission au sein du régime général, qui travaille actuellement sur les TMS et les risques psychosociaux.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des scientifiques siègent-ils au sein de la Cosmap ?
Dr Yves Cosset, chargé des relations parlementaires . - Ils participent au groupe de travail que la commission met en place. De même que la MSA qui transmet ses données accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). S'il y a consensus social , le tableau est créé ou l'une de ses colonnes modifiée : maladie, délai d'exposition, métiers concernés.
M. Jean-Noël Cardoux . - Autrement dit, le système administratif français est trop rigide. Lorsque l'individu n'entre pas dans une case, son cas ne peut pas être résolu. Or, chacun réagit à sa manière, et certains plus que d'autres, à l'exposition chimique, aux pollens ou encore aux ondes électromagnétiques des antennes-relais. Pour tenir compte de la biologie des individus, il faudrait laisser une marge de manoeuvre.
Pr Patrick Choutet . - Pour la maladie de Parkinson, nous avons réussi à mettre au point un indicateur personnel de supplément de risque : celui de la métabolisation des produits. Ensuite, vous le savez mieux que moi, une alerte, pour porter des fruits, passe par une mobilisation collective.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La MSA lance-t-elle des alertes ?
Pr Patrick Choutet . - Toutes nos constatations sont publiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il semble que les agriculteurs n'hésitent plus à parler aujourd'hui. Avez-vous noté une accélération du nombre de pathologies déclarées ou mises sous surveillance ?
Dr Yves Cosset . - Le nombre de déclarations n'a pas augmenté ; en revanche, le nombre de travaux sur les pesticides progresse. Actuellement, un groupe de travail se penche sur les hémopathies.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles sont les filières les plus exposées aux pesticides ?
Dr Yves Cosset . - Nous vous transmettrons les données. Dans l'arboriculture, il faut compter 40 à 50 traitements par an ; dans la viticulture également.
S'agissant des alertes et de la MSA, je rappelle que nous avons, de notre propre chef, lancé une étude sur l'arsenic , très utilisé dans la viticulture, et obtenu son retrait en 2001. Cela nous a d'ailleurs valu des retours de bâton des caisses locales - on nous a reproché des moindres rendements car il n'y avait pas de produits de substitution -, preuve que notre souci est d'abord la protection des personnes. Par parenthèse, l'Espagne autorise encore l' arsenic , l'harmonisation européenne est nécessaire.
L'étude Agrican est menée durant vingt ans sur 180 000 ressortissants agricoles, âgées de 36 à 96 ans. Elle porte sur la population agricole dans sa totalité - des ouvriers paysagistes, aux éleveurs et aux agriculteurs en passant par les personnes qui travaillent dans les banques et assurances du secteur -, non sur les seuls utilisateurs de pesticides . Les premiers résultats concernaient seulement les décès par cancer , dont la cause la plus fréquente en France, je le rappelle, est le tabac. Et il se trouve que la population agricole fume moins que la population générale : moitié moins pour les femmes, un tiers pour les hommes. Dans la cohorte, une personne sur deux seulement est un utilisateur de produits phytosanitaires ; ce chiffre est important quand les personnes sont volontaires. Surtout, les résultats obtenus sont proches de ceux de la cohorte américaine AHS - Agricultural Health Study - qui ne comprend, elle, que des personnes en contact avec des pesticides. Cette année, nous aurons les chiffres de survenance de nouveaux cas de cancer, ce que nous appelons l'incidence. Après toutes ces explications, je bats ma coulpe : notre communication sur les premiers résultats d'Agrican n'était peut-être pas tout à fait au point.
Ensuite, la médecine n'est pas une science exacte. Une multitude de facteurs peut expliquer un cancer : l'utilisation de pesticides, mais aussi les carburants.
Pr Patrick Choutet . - Effectivement, nous devons également tenir compte des zoonoses et des nanotechnologies, de l'ensemble des risques biologiques.
M. Gérard Pelhate . - Grâce à la MSA, l' arsenic a été retiré ainsi qu'une cinquantaine de molécules lors du Grenelle II. La MSA, depuis deux ans, a délivré un message politique très clair : notre mission est d'abord d'assurer la protection de nos assurés.
Mme Michelle Meunier . - Qu'en est-il des désordres hormonaux et des modifications génétiques liées aux pesticides ? Quel est votre degré de surveillance de ces phénomènes ?
Pr Yves Cosset . - Des études sont en cours en partenariat avec l'ANSES et l'InVS.
Mme Jacqueline Alquier . - Quelle est l'articulation entre les registres de cancers et l'étude Agrican ?
Pr Yves Cosset . - L'étude Agrican porte sur douze départements français où les données peuvent être croisées avec les registres de cancers.
M. Gérard Pelhate . - La MSA a été surprise de constater que si peu de départements tenaient un registre des cancers. Nous aurions aimé choisir les terrains où mener les études, cela n'a pas été possible.
M. Joël Labbé . - Peut-on rattraper cette situation ?
Pr Yves Cosset . - Malheureusement, non ; la cohorte a été fermée en 2005.
Mme Sophie Primas , présidente . - Voulez-vous ajouter un dernier mot ?
M. Gérard Pelhate . - Nous vous transmettrons toutes les données nécessaires et restons à votre disposition. Pour nous, l'essentiel est de faire comprendre que les produits phytosanitaires, parce qu'ils sont dangereux, doivent être utilisés en cas de nécessité et à bon escient dans les meilleures conditions de protection possible. C'en est fini le temps où certains utilisateurs faisaient des mélanges ; nous en sommes au temps de la phytovigilance et de l'attention portée au principe actif mais aussi au conditionnement, au matériel et aux produits solvants. La mise sur le marché doit intégrer tous les éléments qui entrent dans la composition des pesticides. D'ailleurs, les chefs d'exploitation agricole ont tellement conscience des dangers de ces produits qu'ils en délèguent de moins en moins l'utilisation à leurs salariés. Nous avons encore du chemin à parcourir pour la formation. Au reste, dans mon canton, les sessions organisées par la MSA sur les produits phytosanitaires rencontrent de plus en plus de succès.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Oui, les agriculteurs doivent se former pour mieux se protéger. Reste que les produits phytosanitaires passent dans le sol et dans l'air. Dans ces conditions, comment la nature peut-elle s'en prémunir ? A travers elle, c'est toute la biodiversité et, donc, l'homme qui est mis en danger.
Audition de M. Émeric Oudin, PDG de la société Axe environnement et de M. Thierry Metreau, responsable réglementations et prescription (6 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Emeric Oudin, PDG de la société Axe environnement, qui a demandé à être entendu dès qu'il a eu vent de la constitution de notre mission. Il est accompagné de M. Thierry Metreau, responsable réglementations et prescriptions.
M. Emeric Oudin . - C'est pour notre petite entreprise un grand plaisir d'être auditionné au Sénat, d'y faire connaître notre vision sur la protection contre les produits phytosanitaires. Fils d'agriculteur dans l'Aube, je connais bien le secteur d'autant plus que j'ai travaillé durant des années pour des fabricants de pesticides, Phyteurop et Nufarm. J'ai repris la majorité des actions de l'entreprise Axe environnement, créée en 2002, spécialisée dans la fourniture d'équipements de protection individuelle (EPI). En quatre à cinq ans, l'entreprise, qui comptait quatre à cinq salariés pour un chiffre d'affaires de 1,5 million d'euros, regroupe maintenant une quinzaine de personnes pour un chiffre d'affaires de 3,5 millions. Notre objectif est d'atteindre 5 millions, ce qui reste modeste mais témoigne de notre développement.
Nous avons une vision du marché assez pragmatique, terre à terre, proche du terrain et des utilisateurs de produits phytosanitaires, c'est-à-dire les agriculteurs et, ce qui a constitué pour nous une surprise, les collectivités territoriales.
M. Joël Labbé . - De moins en moins utilisatrices...
M. Emeric Oudin . - ...sur le papier mais pas sur le terrain !
M. Joël Labbé . - Sur le terrain aussi !
M. Emeric Oudin . - Des progrès sont à accomplir dans l'application de tel ou tel herbicide pour éliminer les mauvaises herbes qui poussent sur les trottoirs ou dans les cimetières. Bien souvent, les agents des collectivités territoriales se protègent mal, contrairement aux agriculteurs.
Pour tous, nous commercialisons des masques A2P3 ; A2 étant la norme pour l'air et P3 pour la poussière. Le produit est recommandé par la MSA contre les vapeurs de pesticides. Pour les produits phytosanitaires sous forme de poudre, la protection P3 suffit.
La peau, qui représente la première surface d'échange entre le corps humain et les produits phytosanitaires , doit être bien protégée. On a souvent tendance à l'oublier car la première perception que nous ayons des produits phytosanitaires est leur odeur. Pour éviter le contact, nous proposons des gants en nitrile, le coton ne suffit pas, et des combinaisons de catégorie III type 5/6 pour la poussière, 4/5/6 pour les produits liquides - les coutures doivent êtres étanches - et de type 3/4/5/6 pour les horticulteurs qui travaillent en serre. Il faut également parer au risque de projection, lorsque les agriculteurs préparent des bouillies de produits phytosanitaires. D'où nos lunettes et visières de protection différentes de celles utilisées contre la poussière de céréales.
Nous nous appuyons sur le réseau de distribution agricole, soit les coopératives agricoles, qui vendent nos produits en les accompagnant de conseils techniques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Que d'intermédiaires pour délivrer le message de la prévention !
M. Thierry Metreau . - La multiplicité des documents ne facilite pas la tâche de l'agriculteur, qui est un être très pragmatique. Or, tous les produits phytosanitaires sont accompagnés d'une fiche technique qui ne comporte aucune information sur la protection .
Mme Jacqueline Alquier . - Observe-t-on des progrès dans la formation scolaire ? Dans la formation continue ?
M. Emeric Oudin . - Les choses évoluent. Les jeunes qui sortent de l'école sont plus sensibilisés à l'importance de la protection que nous l'étions il y a dix ans.
Avec le Certiphyto, il faudra dorénavant un permis d'acheter des produits phytosanitaires. La question de la protection sera largement abordée au cours des deux jours de formation préalables à sa délivrance.
Malheureusement, les équipements de protection que nous vendons aux agriculteurs restent trop souvent dans leur emballage, ou ne sont pas renouvelés . Une paire de gants, qui ne coûte pourtant que deux euros, devrait être changée quand sa couleur passe du vert au bleu, mais les agriculteurs ne les remplacent pas - quand ils les portent !
La clé du succès, c'est le rôle de conseil joué par les distributeurs de produits phytosanitaires. Les distributeurs, coopératives ou négoces agricoles doivent s'enquérir auprès des agriculteurs s'ils possèdent les équipements correspondant aux produits qu'ils achètent. Notre métier est de former les distributeurs, pour qu'ils informent à leur tour les agriculteurs.
Une autre clé du succès, c'est le contrôle : les agriculteurs lèvent les bras au ciel quand on prononce ce mot, mais tant qu'il n'y aura pas de contrôle, et de sanction, il n'y aura pas de prise de conscience. Il faudrait déjà commencer par obliger le distributeur à demander la facture de l'équipement de protection lors de la vente de produits phytosanitaires.
Mme Laurence Rossignol . - Qui effectuerait ce contrôle ?
M. Emeric Oudin . - La MSA, par exemple. Mieux vaut sans doute parler de constat ou de diagnostic que de contrôle. Mais il faut qu'un professionnel indique à l'agriculteur la protection à porter lorsqu'il utilise un produit phytosanitaire.
Mme Laurence Rossignol . - Pouvez-vous vous en charger ?
M. Emeric Oudin . - Je ne peux être à la fois juge et partie.
Mme Jacqueline Alquier . - Vous vendez des protections contre des produits intrinsèquement nocifs. N'est-ce pas gênant ?
Mme Sophie Primas , présidente . - C'est son métier...
M. Emeric Oudin . - Nous partons du principe que ces produits sont nécessaires. Après, on peut remettre en cause l'utilisation même des pesticides...
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce n'est pas l'objet de la mission.
Quels sont les freins à l'utilisation de protections ? J'entends les agriculteurs se plaindre de lunettes qui se rayent, ou se remplissent de buée...
M. Emeric Oudin . - En effet. Le principal frein n'est pas le prix mais le confort. Les gants en nitrile font transpirer ; quand il fait chaud, porter une combinaison est insupportable. Nous travaillons avec les fabricants pour améliorer le confort, mais il n'est pas simple d'allier confort et protection chimique . Des solutions sont à l'étude.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Le plan Phyt'attitude de la MSA demande aux agriculteurs de se protéger. Mais il est insupportable de rester toute une journée dans la cabine d'un tracteur, harnaché comme un cosmonaute ! Du coup, les agriculteurs ne se protègent pas, ou mal, contre des produits chimiques polluants et dangereux.
M. Emeric Oudin . - Mieux vaut n'être pas protégé du tout qu'être mal protégé en ne prenant pas les précautions nécessaires. Nous faisons appel au bon sens. Certains produits peuvent être dangereux pour l'environnement s'ils sont appliqués massivement. Pour notre part, nous visons essentiellement les phases de préparation des traitements , qui sont les plus dangereuses. Ensuite, lors de l'application, on se trouve à dix mètres du produit diffusé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - N'oublions pas le risque lié à la volatilité, a fortiori quand il y a des habitations à proximité.
M. Emeric Oudin . - L'application de produits phytosanitaires est interdite s'il y a trop de vent.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Cela reste un problème.
M. Emeric Oudin . - En zone périurbaine, oui. Reste que le plus dangereux est de manipuler le produit pur, pas d'être dans une cabine hermétique qui filtre les molécules.
M. Joël Labbé . - Nous entamons nos auditions avec pour objectif de rencontrer tout le monde. Votre logique est avant tout commerciale, ce qui se comprend. S'agissant des collectivités locales, elles ont fait de grands progrès, et n'auront bientôt plus besoin de se fournir chez vous ! Quelle image donne-t-on du paysan, métier noble s'il en est, en l'accoutrant d'une combinaison intégrale !
M. Emeric Oudin . - C'est une des limites que nous rencontrons, en effet.
M. Joël Labbé . - Je souhaite que l'on ait de moins en moins besoin de vos produits ! Vous avez parlé tout à l'heure de « mauvaises herbes » mais cela n'existe pas en matière de biodiversité !
M. Emeric Oudin . - J'aurais dû parler d'adventices, d'herbes concurrentes aux productions.
Nous sommes des commerçants, certes, mais nous vous faisons part des préoccupations des agriculteurs. Les équipements de protection que j'ai donnés à mon père, il y a deux ans, sont encore dans leur emballage ! La contamination phytosanitaire ne se voit que quand il est trop tard. C'est pourquoi nous essayons de sensibiliser les agriculteurs, y compris en passant par leurs femmes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Êtes-vous en contact avec les producteurs de produits phytosanitaires ? Vous démarchent-ils ?
M. Emeric Oudin . - Des firmes comme celles rassemblées dans l'Union de l'industrie de la protection des plantes (UIPP) sont bien sûr préoccupées par la question de la protection, et mènent des actions de communication sur ce point en direction des agriculteurs. Nous travaillons en étroite relation avec elles, et leur fournissons, par exemple, des équipements de protection pour accompagner les ventes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Connaissez-vous la composition des produits phytosanitaires ?
M. Emeric Oudin . - Bien sûr. M. Thierry Métreau a longtemps été responsable du service environnement d'un distributeur en Champagne. Pour ma part, en tant que vendeur de produits phytosanitaires, je connaissais les matières actives, les solvants, mais nous étions peu sensibilisés à la protection individuelle. C'est pourquoi j'insiste sur le rôle clé des distributeurs, des coopératives, qui doivent apporter à l'agriculteur le même conseil qu'un pharmacien !
Mme Jacqueline Alquier . - Vous avez évoqué vos perspectives de développement. Redoutez-vous une réglementation plus restrictive ?
M. Emeric Oudin . - Notre objectif est avant tout de pérenniser notre entreprise et de continuer à créer des emplois. Nous souhaitons nous développer à l'export, et prendre des parts de marché en France. Le marché est vaste, et il y a des marges de progression. Le coût moyen d'un équipement de protection individuel complet est de 150 €, or les agriculteurs ne dépensent aujourd'hui que 50 € en moyenne pour se protéger . Deuxième marge de progrès : que les agriculteurs utilisent effectivement les équipements. Nous partons du principe qu'il sera difficile de se passer intégralement de pesticides.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Sentez-vous les mentalités évoluer ?
Mme Laurence Rossignol . - Sans doute, sinon ils n'auraient pas demandé à être auditionné !
M. Emeric Oudin . - Bien sûr, il y a une évolution, mais les comportements sont différents selon les régions, les secteurs . Les jeunes viticulteurs champenois, par exemple, se soucient peu de protection individuelle. Pour que les comportements évoluent, pour assurer une meilleure protection, il faut professionnaliser le marché.
M. Henri Tandonnet . - Les fabricants ont-ils modifié la présentation et l'emballage des produits pour renforcer la protection des utilisateurs ?
M. Emeric Oudin . - L'Union de l'industrie de la protection des plantes (UIPP) sera mieux placée que moi pour vous répondre.
Mme Sophie Primas , présidente . - Existe-t-il des partenariats avec des fabricants de produits phytosanitaires , des solutions globales où les équipements de protection seraient livrés en même temps que les produits ?
M. Thierry Métreau . - Il y a sept ou huit ans, la société Du Pont a lancé une nouvelle molécule, les sulfonylurées , en commercialisant un « pack-protection ». Ce fut un fiasco. Du Pont ne l'a tenté qu'une fois, les autres, jamais.
M. Emeric Oudin . - Nos partenariats avec les distributeurs passent par exemple par l'installation de présentoirs, de façon à ce que les agriculteurs aient sous les yeux les protections individuelles proposées.
L'étiquetage des produits a évolué dans le bon sens. En matière d'emballage, certaines formulations sont proposées dans des sachets hydrosolubles, afin que l'utilisateur ne soit pas en contact direct avec le produit.
Mme Laurence Rossignol . - Vous avez demandé à être auditionné, sans doute avez-vous des suggestions à faire. À votre avis, quelles mesures le législateur pourrait-il préconiser ? À quel degré de dangerosité des produits vous interrogez-vous sur leur usage ?
M. Emeric Oudin . - Vous légiférez pour améliorer la protection des agriculteurs. Il faut être conscient qu'il y a beaucoup d'acteurs autour du pesticide, que chacun a son rôle, qui n'est pas toujours optimisé. Nous avons un discours commercial, certes, mais nous n'avons pas besoin d'une nouvelle réglementation pour vivre. Si vous voulez réduire les cas de maladie de Parkinson ou de cancers liés aux produits phytosanitaires, il faudra intégrer l'ensemble des acteurs de la mise sur le marché . Nous attirons votre attention sur le rôle des distributeurs.
Mme Laurence Rossignol . - Vous incitez les agriculteurs à se protéger : c'est donc que vous êtes convaincu de la dangerosité des produits qu'ils utilisent. À quel moment vous interrogez-vous sur la limite de la protection contre la dangerosité, sur la pérennisation de l'usage du produit ? Vous êtes un maillon de la chaîne. Quelle est votre réflexion sur la protection de l'environnement, la biodiversité, l'impact des produits phytosanitaires sur les autres salariés de l'agroalimentaire, sur les sols, sur le consommateur final ? Les protections que vous commercialisez ne protègent que les agriculteurs !
Mme Sophie Primas , présidente . - Je rappelle que l'objet de notre mission est plus limité...
M. Emeric Oudin . - Je comprends que le débat s'oriente autour de la raison d'être des pesticides. C'est une question de société.
Mme Laurence Rossignol . - Comment contrôle-t-on leur dangerosité ?
M. Emeric Oudin . - L'UIPP et les autres intervenants vous répondront mieux que je ne pourrais le faire. Il faut dix ans pour homologuer un produit phytosanitaire, et un produit très toxique ne peut être mis sur le marché. Ce n'est pas nous qui décidons si un produit est dangereux ou non. Ce sont les services du ministère de l'agriculture qui décrètent qu'un produit est potentiellement toxique, il faut donc se protéger. Un produit peut être dangereux quand il est concentré, mais n'être appliqué que très dilué. Ses effets, positifs et négatifs, ont été testés avant sa mise sur le marché. La loi est ainsi faite. Notre rôle est d'apporter des solutions aux contraintes.
Mme Jacqueline Alquier . - Quid de la fiabilité des produits que vous commercialisez ? Avez-vous des relations avec la filière textile en amont, avec les centres de recherche ? Je suis élue d'un bassin d'emploi qui se reconvertit dans le textile santé . Avez-vous des relais à ce niveau ?
M. Emeric Oudin . - Nous travaillons avec des fabricants que nous sélectionnons, avec pour préoccupation première l'innovation : il s'agit de grands groupes comme 3M pour la protection respiratoire, Ansell pour les gants, Du Pont de Nemours , pour les combinaisons qui fabriquent des produits éprouvés, de qualité supérieure. Nous recherchons le meilleur compromis entre confort et protection. Derrière, il faut que le conseil parvienne jusqu'à l'agriculteur, lui fasse comprendre pourquoi la combinaison, le masque qu'on lui propose est adapté.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le plan Ecophyto 2018 prévoit une baisse de 50 % de l'utilisation des produits phytosanitaires...
M. Emeric Oudin . - Quand cela est possible.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - C'est l'objectif. Sentez-vous les agriculteurs motivés ? Observez-vous une volonté de réduire l'utilisation de pesticides, de développer les méthodes alternatives ? Les mentalités évoluent-elles ?
M. Emeric Oudin . - Les choses bougent. L'agriculture bio se développe. Si demain la recherche trouve des solutions alternatives aux produits phytosanitaires, pour le même prix et la même efficacité, les agriculteurs abandonneront avec joie les pesticides, qu'ils n'utilisent pas par plaisir, mais pour produire plus et mieux. Certaines algues peuvent être intéressantes pour la stimulation des plantes. Encore faut-il apporter ces solutions.
Merci de votre écoute, et de vos questions. Nous voulions vous apporter une vision concrète, proche du terrain, pour nourrir votre réflexion.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je récapitule : vous préconisez une meilleure utilisation des équipements de protection par les agriculteurs, un rôle renforcé des distributeurs, quitte à recourir à un peu de coercition ...
M. Emeric Oudin . - Oui. C'est ainsi que l'on améliorera la protection des agriculteurs. Nous ne cherchons pas à vendre pour vendre : nous voulons faire notre métier jusqu'au bout, ce qui suppose que les protections vendues soient effectivement utilisées !
Mme Sophie Primas , présidente . - Les agriculteurs attendent plus de confort.
M. Henri Tandonnet . - J'ai entendu dire que les équipements n'étaient pas adaptés...
M. Emeric Oudin . - Les solutions plus confortables, intégrant par exemple une ventilation assistée, ont un prix, que les agriculteurs ne sont pas toujours prêts à payer ! Nous travaillons à des projets de développement, notamment à un produit à cartouches particulières, qui devrait donner satisfaction, si les normes sont assouplies.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Avec quel type d'agriculteurs travaillez-vous ?
M. Emeric Oudin . - Surtout avec les viticulteurs. Nous travaillons aussi dans le domaine du retraitement des eaux, dans les grandes cultures du nord de la Loire.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour votre intervention, et pour votre franchise.
Audition de Mme Emmanuelle Soubeyran, chef de projet interministériel du plan Ecophyto 2018, de M. Éric Tison, sous-directeur du travail et de la protection sociale au secrétariat général du ministère de l'agriculture, de M. Joël Francart, sous-directeur adjoint de la qualité et de la protection des végétaux à la direction générale de l'alimentation, et de Mme Juliette Auricoste, chef de bureau adjoint à la direction générale de l'alimentation (6 mars 2012)
Mme Emmanuelle Soubeyran, responsable du service de la prévention des risques sanitaires de la production primaire à la Direction générale de l'alimentation. - Je suis chef de service à la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture et chef de projet du plan Ecophyto 2018 . Ce sont également mes services qui délivrent les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires.
Le bilan annuel de la mise en oeuvre du plan Ecophyto 2018 résume les faits marquants de 2011 et l'état d'avancement du plan, région par région et action par action. Ces documents sont disponibles sur le site Internet du ministère.
À l'issue du Grenelle de l'environnement, le Président de la République a demandé à M. Michel Barnier, alors ministre de l'agriculture, d'élaborer avec les parties prenantes un plan permettant de réduire de 50 % l'utilisation des pesticides avant 2018, si possible . Ce plan, dont la rédaction a été confiée à la direction générale de l'alimentation, a été rédigé avec le ministère de l'environnement en s'appuyant sur un comité d'experts présidé par M. Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture. Dans l'esprit du Grenelle, l'ensemble des parties prenantes ont été associées : agriculteurs, fabricants de produits phytosanitaires, distributeurs, associations de protection de l'environnement, établissements scientifiques, administrations, élus, etc. Le plan a été présenté en conseil des ministres en octobre 2008. La loi de finances lui a affecté une partie de la redevance pour pollution diffuse, payée par ceux qui achètent des pesticides. L'année 2009 a été consacrée au démarrage du plan et à la mise en place de son financement.
Avec ce plan, la France a pris de l'avance, mais il s'agit aussi d' une obligation communautaire . Sous présidence française a été finalisée la négociation du paquet « Pesticides », qui comprend la directive 2009/128 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Celle-ci exige que chaque État établisse un plan de réduction des risques liés à l'utilisation des pesticides , en fixant certains moyens, en matière notamment de certification des personnes, mais pas d'objectifs chiffrés.
Le plan Ecophyto 2018 comprend 105 actions, réparties autour de neuf axes. Le premier : l'évaluation des progrès en matière de diminution de l'usage de pesticides, mesuré par des indicateurs de volume et d'usage comme le nombre de doses unités (NODU), ainsi que d'indicateurs d'impact. Deuxième axe : le recensement et la généralisation des systèmes connus pour réduire l'utilisation de pesticides, avec notamment des fermes-pilotes de démonstration. Troisième axe : la recherche. Selon l'étude « Ecophyto R&D » , commanditée à l'INRA par le ministère de l'agriculture et le ministère de l'environnement, l'utilisation de produits phytosanitaires peut être réduite de 20 % à 30 % sans incidence sur les revenus des agriculteurs , mais au-delà, il faut un apport de la recherche. Quatrième axe : la formation des acteurs. Cinquième axe : la connaissance de la situation phytosanitaire pour que les traitements soient ciblés. Sixième axe : les problématiques spécifiques aux DOM. Septième axe : les zones non agricoles. En effet, 5 % à 10 % des pesticides sont utilisées par les jardiniers amateurs, les collectivités locales ou de grandes entreprises comme Réseau ferré de France (RFF) ou les sociétés d'autoroute . Huitième axe : la communication et l'évaluation. Neuvième axe : la santé.
Ce plan, élaboré avec les parties prenantes, est mis en oeuvre avec celles-ci. Le comité national d'orientation et de suivi, piloté par le ministère de l'agriculture, s'appuie sur un comité d'experts présidé par M. Jean Boiffin, de l'INRA, et des groupes de travail. Chaque axe a son propre pilote. Le préfet de région est en charge du pilotage au niveau régional : c'est sur le terrain que se fera cette révolution culturelle.
J'en viens aux principales actions. Tout d'abord, la publication d'un bulletin de santé du végétal , tous les mardis, dans chaque région, déconnecté des préconisations, qui dresse un bilan par filière. Sur le terrain, trois mille observateurs surveillent environ dix mille parcelles. Nous avons lancé un appel à candidatures pour évaluation par un organisme tiers.
Les premières fermes-pilotes ont été sélectionnées début 2011, après une première expérimentation en 2010. Nous venons de sélectionner, début 2012, 850 fermes supplémentaires. Ces fermes, organisées par groupes de dix, ne reçoivent pas d'aides particulières. Les agriculteurs, qui s'engagent volontairement, sont plus ou moins avancés dans la réduction des pesticides...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Ces fermes peuvent donc mettre en place des méthodes alternatives ?
Mme Emmanuelle Soubeyran. - C'est l'objectif.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - L'objectif, c'est zéro pesticide.
Mme Emmanuelle Soubeyran. - À coté de l'agriculture bio, qui utilise d'ailleurs quelques pesticides autorisés, l'idée est d'emmener l'ensemble de la ferme France vers la réduction, mais nous n'atteindrons pas l'objectif de zéro pesticide. Les niveaux d'avancement sont variables selon les fermes, qui ont à la fois un rôle de démonstration et de mise en oeuvre de nouvelles méthodes. Il peut s'agir de méthodes agronomiques, de produits de biocontrôle, comme la confusion sexuelle avec des phéromones en vigne, l'enherbement entre les rangs, etc.
Nous avons voulu démontrer aux agriculteurs qu'ils peuvent réduire leur utilisation de pesticides tout en préservant leur revenu . Les données phytosanitaires, agronomiques et économiques sont relevées, dans un souci d'objectivité.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La consommation de pesticides est-elle en baisse ?
Mme Emmanuelle Soubeyran. - La baisse de l'indicateur de quantité de substances actives peut être artificielle : si le recours aux pesticides diminue, c'est que les substances actives sont moins pondéreuses...
En revanche, l'indicateur NODU, qui mesure les quantités vendues, et non utilisées, a augmenté de 2 % sur la période 2008-2010, qui constitue notre base. Pour les substances les plus toxiques, la baisse est de 87 %... mais s'explique essentiellement par des interdictions au niveau communautaire : en quinze ans, avec le durcissement des règles d'évaluation des produits phytosanitaires, le nombre de substances autorisées est passé de 900 à 250. En outre, le Grenelle a décidé le retrait de substances actives en 2008 puis en 2010. Le NODU peut être segmenté selon les catégories de toxicité et d'utilisations. Nous allons nous intéresser plus particulièrement aux herbicides, qui représentent 50% du NODU et dont l'utilisation est en hausse : ce sujet est inscrit à l'ordre du jour du prochain comité d'experts.
Outre les fermes-pilotes, une cinquantaine de fermes de lycées agricoles se sont engagées dans la démarche.
Autre point important du plan : l'obligation de certification de toute personne en lien avec des produits phytosanitaires , ainsi que l'agrément des activités d'application, de conseil et de distribution. Nous avons publié, en octobre 2011, un décret d'application de la loi Grenelle II, qui a transposé la directive, définissant les conditions de délivrance du certificat qui sera exigé, à compter de 2014, de toute personne souhaitant acheter des pesticides. Nous avons expérimenté la certification de 140 000 agriculteurs, qui ont suivi une formation de deux jours. Il faudra former 800 000 personnes en tout. La formation porte notamment sur les dangers et risques associés aux pesticides et les précautions à prendre pour leur utilisation. Vivéa, qui l'a évaluée, souligne que les agriculteurs qui ont suivi la formation se soucient avant tout de protéger leur santé. La formation a été l'occasion de leur faire découvrir des méthodes alternatives et de leur donner envie d'aller plus loin.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Au cours de ces deux jours de formation, des informations sont-elles aussi délivrées sur les méthodes alternatives ?
Mme Emmanuelle Soubeyran. - Oui. Je vous communiquerai les documents détaillant le contenu de la formation.
Mme Jacqueline Alquier . - Qui est responsable de la formation ?
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Elle est conduite par des structures agréées par les DRAAF.
Mme Jacqueline Alquier . - Sont-elles accompagnées financièrement ?
Mme Emmanuelle Soubeyran - La formation était gratuite dans la phase expérimentale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Va-t-elle devenir payante ?
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Un cofinancement communautaire est accordé pour certains types de formation. La question est en débat. La redevance sert en partie à financer la formation. Les agriculteurs demandent une meilleure prise en charge ; pour le ministère, les agriculteurs doivent toutefois financer une partie de la formation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quid des chambres d'agriculture?
Mme Emmanuelle Soubeyran. - Les centres des chambres, des centres de formation professionnelle et de promotion agricole ainsi que des lycées agricoles, sont agréés.
Depuis le Grenelle II, la réglementation française prévoit en outre la certification obligatoire du conseil : le conseil dispensé par les coopératives ou les indépendants, jusque-là informel, sera soumis à agrément et à certification par un organisme tiers, sur la base d'un référentiel. Le conseil doit être écrit, et préconiser si possible des méthodes alternatives.
Mme Sophie Primas , présidente . - Selon quelle fréquence le certificat doit-il être renouvelé ?
Mme Emmanuelle Soubeyran. - Tous les dix ans pour les agriculteurs ou les collectivités locales, tous les cinq ans pour les entreprises soumises à agrément.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quid des lycées agricoles ?
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Ils dispensent aussi une formation.
Les agriculteurs étaient initialement peu favorables à l'idée d'une formation continue, mais la base s'est laissé convaincre.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Signe d'une évolution de la société... Les agriculteurs sont de plus en plus conscients de la dangerosité des produits, et comprennent qu'il faut se protéger. Les choses évoluent.
Mme Emmanuelle Soubeyran. - Il faut désormais que le NODU évolue !
Vous disposez des chiffres concernant le financement du plan. La loi de finances pour 2012 a fixé à 41 millions d'euros le montant affecté au plan Ecophyto 2018.
Plusieurs sous-groupes ont donc été constitués. L'un est consacré aux matériaux de pulvérisation . Un autre travaille sur les zones de préparation, car l'intoxication a souvent lieu au moment de la préparation des mélanges ou du nettoyage des cuves . Quant aux équipements de protection individuelle (EPI) , je l'ai dit, il faut revoir leur normalisation pour les adapter aux produits .
Il est aussi apparu nécessaire de réorganiser la toxicovigilance , car si l'InVS est chargé de la coordination, les différents acteurs ont des préoccupations différentes. Un plan en huit actions a été adopté en novembre : c'est l'axe 9. Des financements et des mesures d'applications sont prévus pour 2012.
Nous voulons aussi améliorer la réparation du préjudice causé par les maladies professionnelles . Pour qu'une maladie soit imputable à l'exposition à une substance, il faut normalement que cela soit prévu par l'un des tableaux de maladies professionnelles ; cependant, la commission régionale de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) peut passer outre. Depuis deux ans, nous avons entrepris de mettre à jour les tableaux. Des études montrent par exemple que les agriculteurs sont plus nombreux que la moyenne à souffrir de la maladie de Parkinson. Ils semblent aussi particulièrement exposés aux mélanomes de la peau, les femmes plus que les hommes, ce qui peut être dû au soleil ou aux pesticides.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les viticulteurs sont exposés au cancer de la vessie.
M. Eric Tison, sous-directeur du travail et de la protection sociale au secrétariat général du ministère de l'agriculture. - En effet. Mais, d'une manière générale, les agriculteurs sont en meilleure santé que le reste de la population : c'est ce que montrent les premiers résultats de l'étude Agrican, portant sur 180 000 agriculteurs dans douze départements. S'agissant des cancers rares, les différences sont minimes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais la moitié des agriculteurs recensés dans cette étude ne sont pas exposés aux produits phytosanitaires. Ses résultats ont surpris, et les entreprises de produits phytosanitaires les exploitent. Il n'en demeure pas moins que les agriculteurs sont plus exposés que les autres à certaines maladies, comme la maladie de Parkinson.
M. Eric Tison . - Le panel est représentatif des populations agricoles.
M. Gilbert Barbier . - Des études ont permis de faire reconnaître comme maladie professionnelle le cancer de la prostate chez les utilisateurs de chlordécone aux Antilles, me semble-t-il.
M. Eric Tison . - Je ne suis pas compétent sur ce point : il n'y a pas aux Antilles de salariés agricoles au sens du droit du travail et de la sécurité sociale. Les salariés sont rattachés aux caisses générales de sécurité sociale, placées sous la responsabilité des ministères du travail et de la santé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi les études ne portent-elles pas sur ceux qui utilisent les produits ?
M. Eric Tison . - Les conclusions d'une étude de l'INSERM sur l'utilisation des produits phytosanitaires doivent être rendues à la fin de ce semestre.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous les attendons avec impatience !
M. Eric Tison . - Nous avons conscience des problèmes de toxicovigilance. En 2008 ont été retirés du marché des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), mais il est probable que certains agriculteurs ont été intoxiqués dans le passé. Grâce au projet Matphyto, nous espérons obtenir une vue rétrospective sur l'exposition aux pesticides dans les cinquante dernière années.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cela servira-t-il à l'indemnisation des victimes ?
M. Eric Tison . - Peut-être cela permettra-t-il d'établir des liens d'imputabilité, donc de reconnaître de nouvelles maladies professionnelles. Mais créer un nouveau tableau n'est pas chose aisée : il faut réunir les employeurs, les salariés et non-salariés, les experts, les assureurs, et les mettre d'accord. Compte tenu des preuves scientifiques, le ministère a toutefois décidé de reconnaître la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle malgré l'opposition des organisations professionnelles.
M. Gilbert Barbier . - Qu'en est-il de l'influence des pesticides sur la reproduction?
M. Eric Tison . - Certains produits CMR de catégorie 2 ont été retirés du marché.
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Le nouveau « paquet pesticides » fixe des critères d'exclusion. Le cas des perturbateurs endocriniens est mentionné dans le règlement, mais la liste des produits considérés comme perturbateurs est encore en discussion. La Commission européenne ne s'occupe pas seulement des pesticides, mais aussi des biocides, et l'on attend une harmonisation des critères.
Pour qu'un produit soit mis sur le marché, il faut d'abord que la substance active soit autorisée par les instances européennes, après évaluation par l'agence européenne en lien avec les agences nationales. Le produit est ensuite inscrit ou non sur la liste des produits autorisés. L'évaluation est recommencée tous les dix ans, et les critères du nouveau « paquet » sont plus stricts que ceux de l'ancienne directive. Il revient aux Etats membres d'autoriser ou non une préparation : en France, c'est le ministère de l'agriculture qui s'en charge, après évaluation par l'ANSES de l'efficacité et de l'innocuité de la préparation pour l'environnement, les applicateurs et les consommateurs.
M. Gilbert Barbier . - Il n'en reste pas moins que l'évaluation repose sur un dossier fourni par l'entreprise.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce qui pose quand même problème...
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Le dossier est fourni par l'entreprise, mais il doit comprendre des essais et analyses répondant aux critères des bonnes pratiques d'expérimentation et de laboratoire, et réalisés par des structures agréées. Il n'en va pas différemment pour les médicaments.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Lorsqu'on observe les récents scandales liés aux médicaments, on peut se poser des questions...
Mme Jacqueline Alquier . - Vous intéressez-vous à l'utilisation de pesticides dans les jardins familiaux ?
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Un axe du plan Ecophyto est consacré aux zones non agricoles (ZNA) ; il est piloté par le ministère de l'environnement. Nous menons surtout des opérations de communication dans les jardineries, et nous avons créé le site www.jardiner-autrement.fr afin d'éveiller le public aux méthodes alternatives. Un arrêté a interdit l'utilisation par des non-professionnels de produits professionnels, plus concentrés que ceux qui sont vendus en jardinerie. En revanche, il n'existe pas de plan de surveillance. Je n'ai en tête qu'une exception, qui concerne la chlordécone : à la Martinique et en Guadeloupe, on a procédé à des analyses de terre chez des gens qui produisent dans leur jardin.
M. Gérard Bailly . - Chez les agriculteurs, les mentalités ont changé, à l'incitation des chambres d'agriculture. Mais l'INRA est-il déterminé à atteindre dès 2018 les objectifs fixés par le Grenelle? Travaillez-vous de concert ?
Mme Emmanuelle Soubeyran . - L'INRA participe à la plupart de nos groupes de travail, et joue un rôle moteur dans la recherche. Il est impliqué dans le réseau de fermes et chargé d'analyser les résultats.
Atteindrons-nous nos objectifs en 2018 ? Peut-être pas dans toutes les filières, mais nous avançons. Quoi qu'il en soit, le ministère n'a aucunement l'intention de revoir ses ambitions à la baisse : ce serait un mauvais signal à l'intention des agriculteurs. Une évaluation est prévue à mi-parcours, en 2014. Tout dépendra aussi des résultats obtenus dans les sites expérimentaux, où l'on va encore plus loin que dans les fermes dans la recherche de méthodes alternatives de protection des cultures.
M. Henri Tandonnet . - Lorsqu'une substance est autorisée, un système d'évaluation et de contrôle est-il immédiatement mis en place, ou faut-il attendre dix ans ?
Mme Emmanuelle Soubeyran. - Parfois, l'autorisation est subordonnée à l'apport par l'entreprise de nouveaux éléments. Différentes structures sont chargées de la surveillance : la DGCCRF pour les aliments, diverses instances pour l'eau, la MSA, un réseau chargé de repérer les cas d'intoxication aiguë, etc. L'ANSES analyse les données recueillies et, le cas échéant, alerte le ministère. Nous travaillons en ce moment à formaliser la remontée d'informations.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci de vos réponses. Nous aurons sans doute l'occasion de vous solliciter de nouveau avant la remise de notre rapport fin septembre.
Audition de M. Frank Garnier, président, et de M. Jean-Charles Bocquet, directeur général, de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) (6 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Cette mission d'information sur les pesticides s'est fixé pour tâche d'évaluer les risques qu'ils présentent pour ceux qui les fabriquent, les stockent, les distribuent et les épandent ainsi que d'examiner le système de prévention et les modalités de reconnaissance des maladies professionnelles. Une autre phase de nos travaux devrait concerner l'impact des pesticides sur l'environnement et l'alimentation. Un questionnaire très complet vous a été adressé.
M. Franck Garnier, président de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) . - Nous vous fournirons dès aujourd'hui des éléments de réponse, que nous complèterons en fonction des questions que vous allez poser. Je vous propose de présenter d'abord la composition et les activités de l'UIPP. Dans notre profession, la production et les installations sont régies par une réglementation très stricte. Nous menons aussi des campagnes de sensibilisation. Nous avons à coeur de commercialiser des produits respectueux de la santé et de l'environnement.
M. Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'UIPP . - L'UIPP regroupe vingt entreprises qui fabriquent 95 % des produits commercialisés en France. Nos adhérents consacrent à la recherche-développement environ 10 % de leur chiffre d'affaires, pour produire soit des produits chimiques, soit des produits naturels, soit des molécules copiées dans la nature et synthétisées. Avant de mettre un produit sur le marché, il faut en moyenne dix ans d'études et 300 à 400 tests, destinés à évaluer ses effets sur la santé des opérateurs et des consommateurs - ces tests représentent 50 % du coût d'investissement moyen de 200 millions d'euros -, ses effets sur l'environnement - ce qui absorbe 40 % de l'investissement - et, au plan agronomique, son efficacité, sa sélectivité vis-à-vis des cultures, etc. - pour 10 % de l'investissement. Tous les produits sont évidemment soumis à une autorisation de mise sur le marché (AMM).
N'importe quelle plante cultivée, sélectionnée par l'agriculteur contre la concurrence des mauvaises herbes, insectes et maladies, doit en être protégée. Il s'agit à la fois d'améliorer les rendements et la qualité sanitaire des produits.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La qualité sanitaire laisse parfois à désirer...
M. Jean-Charles Bocquet . - Un produit dangereux ne reçoit pas d'AMM.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vu la disparition des insectes pollinisateurs, on peut en douter...
M. Jean-Charles Bocquet . - Des études sont aussi menées sur l'impact des produits sur les abeilles, en laboratoire, en tunnel et en plein champ.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais vos adhérents ne sont-ils pas juges et parties, puisqu'ils réalisent eux-mêmes ces tests ? Pourquoi ne pas confier l'évaluation à un organisme indépendant ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Des instituts techniques indépendants procèdent à des tests de confirmation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi se limitent-ils à confirmer vos propres résultats ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Nous n'aurions aucune objection à ce que les pouvoirs publics financent eux-mêmes les recherches sur nos produits !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il ne s'agit pas de les financer.
M. Franck Garnier . - La recherche coûte de plus en plus cher : 200 millions d'euros en moyenne par produit, M. Bocquet l'a dit. Une molécule n'est pas développée à l'échelon national, mais de plus en plus à l'échelon mondial. Pour la mettre au point, il faut environ dix ans, comme pour les produits médicaux et vétérinaires. Les études toxicologiques et écotoxicologiques sont menées au moins au niveau européen. S'il fallait confier ces études à un organisme indépendant, il faudrait soit en créer un dans chaque pays, ce qui coûterait extrêmement cher, soit créer un organisme mondial.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais vous reconnaissez sans doute le problème illustré par le récent scandale dans le domaine du médicament.
M. Jean-Charles Bocquet . - Ce sont les pratiques d'un industriel du médicament qui ont été mises en cause. Les adhérents de l'UIPP, pour leur part, réalisent des tests conformes aux bonnes pratiques de laboratoire et d'expérimentation, selon des protocoles définis par les experts de l'OCDE, et il y a des audits .
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'ils réalisent eux-mêmes...Ces tests prêtent à suspicion.
M. Jean-Charles Bocquet . - Leurs résultats peuvent être facilement vérifiés, en répétant les tests selon les mêmes protocoles.
M. Franck Garnier . - Les audits sont d'ailleurs fréquents.
M. Jean-Charles Bocquet . - L'activité de l'UIPP comporte un volet réglementaire, puisque la profession est soumise au niveau européen comme au niveau national à des normes très contraignantes. Nous cherchons aussi à diffuser les bonnes pratiques chez nos adhérents, les distributeurs et les agriculteurs. Enfin, nous menons des actions d'information et de communication : nous étions la semaine dernière au salon de l'agriculture.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Là encore, n'est-il pas gênant que la même entité soit chargée de ces différentes missions ?
M. Jean-Charles Bocquet . - L'UIPP est une organisation professionnelle qui représente et défend les intérêts de ses adhérents, et qui est l'interlocuteur naturel des pouvoirs publics, des ONG et des médias sur tous les sujets pré-concurrentiels.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous avez parlé de diffusion des bonnes pratiques. Pourriez-vous être plus précis ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Dans le domaine de la santé, nous avons créé il y a douze ou treize ans le site Internet Quick-SDS qui regroupe les fiches de sécurité de tous les produits de nos adhérents ; les utilisateurs, s'ils laissent leur adresse électronique, sont avertis de toute modification.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et pour ceux qui n'ont pas Internet ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Conformément à la réglementation, un fichier papier est aussi distribué lors de la vente. Pour réduire la consommation de papier, nous cherchons à systématiser la transformation d'information par voie push .
Nous avons aussi créé un fichier informatique nommé Phytodata qui rassemble les données relatives aux conditions de stockage, de manipulation, de transport et d'emploi des produits. Les agriculteurs, nombreux aujourd'hui à avoir accès à Internet, disposent ainsi d'une information fiable, diffusée sous la responsabilité de nos adhérents.
L'AMM précise pour chaque produit les cultures auxquelles il est destiné, les doses et le nombre de traitement autorisés, mais aussi ses conditions d'emploi.
Nous avons créé dès 2005, avant même que le plan Ecophyto ne rende obligatoire ce genre de formation, une école des bonnes pratiques phytosanitaires qui a formé 15 000 agriculteurs au stockage et à l'utilisation des produits, au rinçage des cuves, au traitement des emballages vides - depuis 2001, la société Adivalor qui regroupe les agriculteurs, les distributeurs, les chambres d'agriculture et les adhérents de l'UIPP finance la récupération et la valorisation des emballages.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment recrutez-vous les agriculteurs formés ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Ce sont des distributeurs volontaires qui proposent cette formation aux acheteurs. Car les distributeurs ont aussi un rôle de conseil ; dans le cadre du Grenelle de l'environnement et du plan Ecophyto, la tendance est à la professionnalisation de la vente et du conseil. La formation a lieu chez un agriculteur référent, qui respecte parfaitement la réglementation ; elle comporte une session théorique et des travaux pratiques : visite du local de stockage, maniement du pulvérisateur, inspection des bandes enherbées...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Allez-vous jusqu'à inciter les agriculteurs à réduire leur consommation de pesticides ? Ces derniers constituent pourtant votre gagne-pain...
M. Jean-Charles Bocquet . - La consommation diminue déjà : elle a baissé de près de 40 % entre 2000 et 2010.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En volume peut-être, mais pas en nombre de doses unités (NODU).
M. Jean-Charles Bocquet . - Depuis soixante ans, les doses moyennes ont été divisées par vingt-cinq, la sécurité multipliée par six : cela montre bien qu'un produit utilisé à faible dose n'est pas nécessairement plus toxique.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne le sont-ils pas de plus en plus ?
M. Jean-Charles Bocquet . - C'est faux : ils sont au contraire toujours plus respectueux de la santé et de l'environnement . La réglementation est de plus en plus stricte.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais les responsables de la MSA, tout à l'heure, nous ont parlé de la « dangerosité » des produits phytosanitaires et de la nécessité de s'en protéger.
M. Jean-Charles Bocquet . - Un produit industriel, chimique ou naturel, présente toujours des risques, qui sont précisément identifiés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais ils ne le sont pas toujours, et c'est bien là le problème.
M. Jean-Charles Bocquet . - Les produits phytosanitaires sont réglementés depuis les années 1940 !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment donc expliquez-vous les maladies ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Quelles maladies ? Il existe seulement un tableau des affections provoquées par l' arsenite de soude , retiré du marché depuis 2001, et quelques soupçons concernant la maladie de Parkinson. Mais on parle des pesticides en général. De quels produits, de quelles familles de produits s'agit-il ? Ces préoccupations sont légitimes, et nous proposons que des épidémiologistes, la MSA, le Bureau de la santé et de la sécurité au travail collaborent pour définir une méthodologie indiscutable et fournir des réponses. Aujourd'hui, les études scientifiques disponibles montrent que les agriculteurs vivent plus longtemps que le reste de la population, qu'ils sont en général moins exposés au cancer, mais que certains cancers se rencontrent plus fréquemment parmi eux. Il faut donc vérifier s'il existe un lien entre ces pathologies et leur activité ; les poussières auxquelles sont exposés les éleveurs pourraient être en cause. Attendons les résultats de l'enquête Agrican, financée par la MSA et d'une ampleur inédite : plus de 180 000 questionnaires ont été envoyés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je reviens aux formations que vous offrez. Si j'ai bien compris, la formation est dispensée par un agriculteur « labellisé ».
M. Jean-Charles Bocquet . - Nous comptons douze formateurs, qui ont formé 15 000 agriculteurs, soit 15 % de ceux qui l'ont été jusqu'ici dans le cadre du plan Ecophyto. Nous ne sommes pas habilités à délivrer de certification, mais la formation correspond à celle qui est dispensée pour l'obtention de Certiphyto, et sa qualité est reconnue tant par la direction générale de l'enseignement et de la recherche que par celle de l'alimentation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais êtes-vous habilités à délivrer ce genre de formation, et par qui ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Les distributeurs qui sont eux-mêmes habilités à délivrer Certiphyto ne disposent pas tous d'un centre de formation, et peuvent recourir à un sous-traitant : c'est un peu paradoxal, je vous l'accorde...
M. Franck Garnier . - Je répète que c'est de notre propre initiative que nous proposons ces formations.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais est-il juste que tout un chacun puisse proposer sa propre formation ?
M. Franck Garnier . - Nous reconnaissons que nos produits ne sont pas anodins, et qu'ils doivent être utilisés conformément aux recommandations : c'est pourquoi nous cherchons à former et à informer. Dans le même esprit, nos adhérents ont conçu depuis longtemps des outils d'aide à la décision , fondés sur la modélisation du développement des parasites ; les agriculteurs peuvent ainsi déterminer s'il faut traiter, à quel moment et à quelle dose.
Mme Sophie Primas , présidente . - Mais cela nécessite des investissements considérables. Les agriculteurs concernés sont-ils nombreux ?
M. Franck Garnier . - Nous ne disposons pas de statistiques, mais il est certain que l'usage de ces outils progresse, et qu'ils sont aujourd'hui proposés pour presque tous les produits.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ceux qui les utilisent réduisent-ils leur consommation de pesticides ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Cela dépend des années. En 2008, à cause d'un printemps très humide, vignes et pommes de terre ont été attaqués par le mildiou et il a fallu les traiter ; ceux qui ne l'ont pas fait, faute d'outils d'aide à la décision, ont perdu leur récolte... Toujours est-il que ces outils permettent d'optimiser l'utilisation des produits.
Au cours des formations, nous nous sommes aussi aperçus que les agriculteurs ne portaient pas toujours de gants. Or la main représente 5 % à 9 % de la surface du corps, mais 60 % à 80 % des contaminations potentielles. Nous avons donc lancé une campagne de sensibilisation au port de gants et de lunettes et à la prévention des risques , incitant les agriculteurs à organiser leur chantier de travail pour identifier la phase la plus risquée et se protéger adéquatement. Cette campagne, menée sur des supports de presse professionnels et avec les organisations agricoles, les chambres d'agriculture, les distributeurs et Adivalor, a reçu le trophée de la meilleure campagne dans le domaine de la santé et de l'environnement au dernier salon de l'agriculture.
Nous cherchons aussi à diffuser les bonnes pratiques en ce qui concerne la protection de l'environnement . Une campagne est en cours dans les bassins versants : à la Fontaine du Theil en Ille-et-Vilaine, nous sommes parvenus grâce à la formation des agriculteurs à réduire de 20 à 2 % le taux des échantillons d'eau prélevés contenant des traces de produits phytosanitaires. La formation est l'un des objectifs du plan Ecophyto.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien d'agriculteurs sont-ils reçus dans une ferme pour chaque formation, et pour combien de temps ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Entre 15 et 20, pour deux jours.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces fermes, combien sont-elles ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Une vingtaine.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Y en a-t-il sur tout le territoire ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Les progrès sont plus rapides au-dessus d'une ligne Le Havre-Lyon.
M. Henri Tandonnet . - Mais l'agriculture du midi est plus diversifiée.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A côté de ces fermes-pilotes, faites-vous aussi la promotion de méthodes de culture alternatives ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Je ne parlerais pas de fermes-pilotes. Les agriculteurs gardent leur autonomie.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais les distributeurs qui animent ces formations vendent vos produits.
M. Jean-Charles Bocquet . - Ils ont adopté, comme nous, une démarche responsable. Le Grenelle a appris à tous les acteurs à collaborer. Auparavant, nos relations avec certaines ONG se résumaient à l'échange de communiqués de presse. Désormais, nous travaillons avec l'association France nature environnement (FNE), car ce qui nous rassemble importe plus que ce qui nous sépare.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Où en sont les ventes annuelles déclarées ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Je l'ai dit, leur volume a diminué de 40 % entre 2000 et 2012 ; le chiffre d'affaires est aussi en baisse. Le marché français est mature : il s'établit entre 1,8 et 2 milliards d'euros par an en fonction du climat, des maladies et des surfaces cultivées.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous représentez des industriels, qui font vivre des milliers de personnes, mais dont l'intérêt n'est pas de réduire la consommation de produits phytosanitaires. Quels sont donc vos motifs pour lancer ces campagnes de sensibilisation ou proposer ces formations ?
M. Franck Garnier . - L'industrie de la protection des plantes est très dépendante des pratiques agricoles. Dans les années 1950, le mot d'ordre était de produire, et nous avons sans doute accompagné le mouvement vers une agriculture intensive. Depuis, l'agriculture s'est diversifiée, et notre intérêt est de nous adapter à de nouveaux modes de production. Si nous ne changeons pas, si nous n'offrons pas de solutions adaptées à certaines cultures peu répandues, voire aux usages orphelins, si nous ne répondons pas aux enjeux économiques, sociétaux et environnementaux du développement durable, nous sommes condamnés à moyen terme.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vos adhérents, dites-vous, consacrent 10 % de leur chiffre d'affaires à la recherche. Pourquoi ne pas promouvoir de nouvelles pratiques ? Selon vous, quel avenir les méthodes de culture alternatives ont-elles ?
M. Franck Garnier . - Une part importante des dépenses de recherche est consacrée à la sécurité des molécules. Mais, en lien avec le plan Ecophyto, nous réfléchissons aussi à des méthodes complémentaires de culture - complémentaires plutôt qu'alternatives, car on aura toujours besoin de chimie : agents de biocontrôle, stimulation des défenses de la plante grâce à des extraits de substances naturelles ou à la reconstitution par synthèse de molécules naturelles, avec des doses beaucoup plus faibles que dans les méthodes traditionnelles. Nous étudions aussi l'interaction entre l'écosystème du sol, la plante et le climat. Des recherches sont menées en particulier par le centre de Lyon sur les technologies-signal. Cela ne nous empêche pas de travailler sur des molécules qui, à poids égal, sont beaucoup moins toxiques que celles actuellement utilisées. Mais nous travaillons sur le vivant. Trouver le moyen de se débarrasser de champignons, de parasites ou de ravageurs sans nuire à la santé humaine, aux insectes utiles ni à l'environnement demande beaucoup de recherches.
M. Jean-Charles Bocquet . - J'ajoute que notre organisation est de dimension mondiale - une seule des entreprises adhérentes est à capitaux français - et que notre objectif est de nourrir neuf milliards d'hommes en 2050, alors que les sept milliards actuels ne mangent pas tous à leur faim. Il faut donc produire plus et mieux : d'où par exemple les études de génétique des semences. En France, nous sommes bien nourris, et c'est pourquoi nous avons d'autres exigences d'ordre sociétal.
Un mot sur l'axe 9 du plan Ecophyto, que nous soutenons entièrement : l'UIPP et ses adhérents ont déjà entrepris la plupart des actions programmées.
M. Gérard Bailly . - Les agriculteurs savent que l'opinion publique a évolué, et qu'il faut réduire la quantité de pesticides utilisés, ne serait-ce qu'en raison de leur coût. Mais j'imagine qu'ils ne sont pas nombreux à consulter Internet avant chaque épandage, et que certains ne lisent même pas les notices d'un bout à l'autre : qui d'entre nous le fait pour ses médicaments ? Ne faudrait-il pas insister sur les informations les plus importantes ?
La baisse des ventes de pesticides concerne-t-elle tous les types de cultures, les céréales, la vigne comme les oléagineux ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Sur tous les bidons sont apposées des étiquettes détaillant les risques et énonçant les consignes de prudence. Au cours de nos formations, nous incitons les agriculteurs à les lire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais les informations sont imprimées en très petits caractères... Beaucoup d'agriculteurs s'en plaignent.
M. Jean-Charles Bocquet . - Nous ne faisons que suivre la réglementation. Nous proposons régulièrement de la faire évoluer pour plus de lisibilité. L'homologation des produits porte aussi sur l'étiquette, jointe au dossier soumis à l'ANSES.
M. Franck Garnier . - J'ajoute que nous n'avons pas le droit de simplifier les étiquettes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous de la condamnation de Monsanto dans l'affaire Paul François ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Nous n'avons pas tous les éléments pour nous prononcer sur ce cas. Nous avons laissé les associations de victimes manifester auprès de notre stand au salon de l'agriculture, et nous dialoguons avec M. François : tout le monde s'accorde à dire qu'il y a quinze ou vingt ans, on ne prenait pas les mêmes précautions qu'aujourd'hui. Il faut gérer les conséquences des erreurs du passé. Dans le cas de M. François, l'accident aurait peut-être pu être évité.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais est-il normal qu'un produit interdit dans d'autres pays en raison de sa dangerosité ait longtemps continué à être commercialisé en France ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Chaque État membre de l'Union européenne reste libre d'autoriser ou non un produit.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - M. Paul François a dénoncé le « lobbying » des industriels et de l'UIPP .
M. Jean-Charles Bocquet . - L'UIPP se livre bien au lobbying pour diffuser de bonnes pratiques et fournir des aliments sains, en quantité et à prix abordable, mais son activité est cantonnée dans le champ pré-concurrentiel.
Mme Sophie Primas , présidente . - Votre organisation n'a-t-elle pas un rôle de veille mondiale ? Si un produit est considéré dans certains pays comme extrêmement dangereux et interdit en conséquence, n'est-il pas du devoir de l'entreprise qui le fabrique de le retirer partout du marché, sans y être obligée ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Tout dépend des raisons de l'interdiction. Des produits ont été interdits dans l'Union européenne en vertu de la norme applicable à l'eau de boisson, qui prohibe les résidus supérieurs à 0,1 mg/l, alors qu'il s'agit d'une norme analytique et non toxicologique. L' atrazine par exemple, bien qu'elle soit sans effets sur le plancton, la faune aquatique ou l'homme, a été interdite en Europe tout en restant autorisée dans d'autres régions. Dans ces conditions, peut-on forcer un industriel à retirer son produit du marché ? Cela dit, un système de veille existe déjà. Il existe une UIPP européenne et une UIPP mondiale, et nous sommes dotés d'un code de déontologie. Mais nous sommes là à la limite du domaine concurrentiel.
M. Frank Garnier . - Nous sommes dans une recherche de progrès permanente pour aboutir à des molécules plus performantes donc plus ciblées et utilisables à des doses plus faibles. Elles présentent de meilleures normes de sécurité au niveau toxicologique aussi bien qu'environnemental. A mesure des découvertes, les sociétés peuvent supprimer de leur catalogue des produits anciens ; elles y sont incitées par la réglementation européenne. Entre la directive 91/414 et aujourd'hui, 74 % des molécules ont été retirées du marché. Globalement, le niveau de sécurité progresse, c'est un fait.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vos salariés manipulent des produits dangereux. Quelles mesures de protection prenez-vous pour eux ?
M. Frank Garnier . - Nous privilégions la prévention collective , nous sommes d'ailleurs prêts à vous ouvrir les portes de nos ateliers. Leur agencement est prévu de manière à empêcher le contact entre opérateur et matières actives : sas, chambres en dépressurisation ou automatisation de manière à limiter le rôle de l'agent à la surveillance des opérations derrière des pupitres. Pour autant, nous n'oublions pas les équipements de protection individuelle : gants, lunettes et tenues de protection. En fait, les conditions de production ne sont pas différentes de celles qui ont cours dans n'importe quel atelier chimique. Nos produits ne sont pas anodins, mais ne sont pas plus dangereux que d'autres molécules chimiques synthétisées en France. Autre volet important, la médecine préventive sur les sites de production qui procèdent à des visites à l'embauche et à des examens réguliers en fonction des risques afin de garantir la santé des opérateurs. Par définition, il est plus simple pour nous de former à ces bonnes pratiques et de les imposer, puisqu'elles sont maîtrisées par les industriels.
M. Jean-Charles Bocquet . - Chez Du Pont de Nemours , où j'ai travaillé, le non-respect des consignes de sécurité était une cause de licenciement. Les entreprises prennent ce sujet très au sérieux.
M. Henri Tandonnet . - Une fois la molécule mise sur le marché, quelles méthodes utilisez-vous pour le suivi de son impact sur la santé ?
M. Frank Garnier . - La méthodologie est très proche de celle utilisée pour la santé humaine ; d'ailleurs, de nombreuses firmes travaillent simultanément dans les deux secteurs. Il s'agit d'abord d'identifier l'activité potentielle d'une molécule, puis d'évaluer sa toxicologie. Ces études ont lieu lors des phases préliminaires. Et ce, pour une raison très simple : une molécule qui ne remplirait pas les critères toxicologiques du dossier d'évaluation serait à jeter à la poubelle alors même que son développement a représenté des investissements colossaux. Nous mesurons à la fois sa toxicité aigüe et sa toxicité à long terme.
M. Henri Tandonnet . - Soit, mais que se passe-t-il après la mise sur le marché ?
M. Jean-Charles Bocquet . - Le règlement européen oblige les industriels à déclarer des observations en cas de différences constatées avec l'AMM. En outre, le réseau Phyt'attitude de la MSA, dont le numéro de téléphone est inscrit sur chaque bidon, incite les agriculteurs à déclarer tous les symptômes anormaux. Enfin, pour les études sur les effets à long terme, il faut se tourner vers l'InVS et la cohorte Agrican. Le plan Ecophyto renforce et systématise le suivi des effets des pesticides.
M. Henri Tandonnet . - Bref, les informations sont dispersées et aucun organisme ne procède à leur synthèse...
M. Jean-Charles Bocquet . - Vous avez certainement entendu parler de la mission qu'a menée le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux pour sécuriser l'épidémio-surveillance pour le compte du ministère de l'agriculture. L'UIPP est évidemment pour, car il y va de notre image. Tout accident est dramatique pour la personne concernée et désastreux pour notre secteur, qui est très observé. Nous voulons faire connaître notre métier, expliquer nos pratiques. Je puis vous assurer que, depuis quarante ans, nous sommes dans une recherche d'amélioration constante, notamment par le dialogue avec les ONG et les partenaires institutionnels.
Audition de M. Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture (22 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous allons débuter notre matinée d'audition en entendant M. Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture, qui a présidé le Comité opérationnel sur la réduction de l'usage de pesticides, dans le cadre du Grenelle de l'environnement. La mission sénatoriale d'information étudie les impacts des pesticides sur la santé et l'environnement mais nous avons choisi de nous concentrer d'abord sur la santé des utilisateurs directs des pesticides : les agriculteurs, ou encore les salariés des entreprises qui fabriquent ces produits, qui sont à leur contact direct.
M. Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture . - Je me réjouis d'être auditionné par des parlementaires, et souligne que je ne l'ai jamais été que par le Sénat. Je ne possède qu'une compétence plutôt à la périphérie de la question des pesticides. L'Académie d'agriculture a un peu travaillé sur ce sujet. J'ai présidé le comité d'orientation qui préparait le plan Ecophyto 2018 , et j'imaginais bien que c'était à ce titre que vous souhaitiez m'entendre. Pourquoi ce plan comporte-t-il si peu de dispositions relatives à la santé des agriculteurs ? Parce que, en France, quand on parle d'environnement, on pense surtout santé. J'ai mis en place et présidé l'agence française chargée de la sécurité sanitaire environnementale. J'aurais voulu qu'elle soit une agence de « santé de l'environnement », mais n'ai pas eu gain de cause, car il était hors de question de faire comme les Américains... Si les aspects de santé sont si peu présents dans le plan, c'est aussi parce qu'ils sont déjà gérés par les directives européennes. Avant même la fin des discussions du Grenelle, une trentaine de substances dangereuses ont été retirées du marché, en urgence si je puis dire, car le ministère de l'agriculture était menacé d'absorption par le ministère de l'environnement : il voulait faire mieux et plus vite que le Grenelle.
En outre, les risques, ne sont pas suffisamment pris au sérieux. La gestion des risques est répartie entre différents ministères qui ne travaillent pas en harmonie - j'emploie ici un euphémisme. Un seul exemple : en 2003, lorsque nous examinions les conséquences de l'encéphalite spongiforme bovine (ESB), un responsable syndical s'est inquiété des risques encourus par le personnel des abattoirs. Cependant, la direction générale de la santé a considéré que ce n'était pas son problème, tout comme la direction de l'alimentation de l'époque qui a recommandé de s'adresser au ministre du travail.
Le monde agricole n'est pas non plus assez attentif à cette question. Les agriculteurs sont autonomes, libres... et assurés. En Charente-Maritime, mon voisin agriculteur ayant raté son épandage et projeté quantité d'herbicide dans mon jardin, je m'indignai, craignant pour le sort de mes plantes : « Ce n'est pas grave, je suis assuré », me répondit-il. L'agriculteur ne se soucie pas des conséquences de l'utilisation des pesticides pour la santé et celui qui en vient à porter plainte est une exception dans une profession où la réaction normale est plutôt d'aller manifester devant les préfectures.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'y a-t-il pas un manque de formation des agriculteurs ? Qu'en pensez-vous, vous qui siégez au conseil d'administration de l'INAPG (AgroParisTech) ?
M. Guy Paillotin . - Je déplore surtout un manque de formation des futurs hauts fonctionnaires, au regard des responsabilités qu'ils devront assumer.
Vous m'avez interrogé sur la dépendance des rendements agricoles aux produits phytosanitaires . C'est en réalité une dépendance des agriculteurs, je dirais une addiction, dont il faut sortir ! On se prémunit des risques par les produits phytosanitaires, on gagne du temps, les produits sont faciles d'utilisation, si bien que, depuis des décennies, les agriculteurs y font un recours abusif.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce sont les industriels eux-mêmes qui assurent les formations et délivrent la certification...
M. Guy Paillotin . - Les industriels ne souhaitent pas seulement écouler leurs produits mais veulent les améliorer, les rendre toujours plus novateurs. Les coopératives leur emboîtent le pas mais elles ont poussé le bouchon un peu loin et le reconnaissent parfois. Leur souci était d'aider leurs membres à obtenir un meilleur revenu agricole.
A présent, il faut parvenir à sortir de la dépendance. L'Europe est la région du monde où l'on utilise le plus gros volume de produits phytosanitaires, beaucoup plus qu'aux Etats-Unis d'Amérique, par exemple, sauf pour le soja. L'Europe est dans le peloton de tête, avec le Japon. La France se situe au milieu du classement européen.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment quantifier la consommation secteur par secteur ?
M. Guy Paillotin . - Ce n'est pas si facile. On dispose des chiffres de vente des industriels, fournis par l'Union des industries de protection des plantes (UIPP), mais les produits vendus peuvent circuler, être stockés. On ne peut connaître la consommation par catégorie de cultures car certains produits sont communs à plusieurs voire à toutes.
Le comité d'orientation du plan Ecophyto 2018 a souhaité que l'on tende vers une réduction de la consommation des produits phytosanitaires, à revenu agricole constant - et non à rendement constant - c'est-à-dire sans affecter la compétitivité de notre agriculture. Nos conclusions ont été adoptées à l'unanimité par l'ensemble de nos partenaires : je n'y suis pas pour rien, car j'ai mis l'accent sur le maintien du revenu et des performances. En effet, les agriculteurs qui consomment deux fois moins de produits que les autres peuvent également être les plus performants ! Mais travaillant dans un secteur concurrentiel, ils ne sont pas pressés de faire connaître leurs méthodes... Cela complique les choses.
J'ai plutôt confiance en l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) , j'ai vu les équipes travailler, et le site de l'agence comporte beaucoup de données phytosanitaires, ce qui n'est pas le cas du site de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Alors que la culture française est une culture de la précaution, l'Europe privilégie la libre circulation des marchandises et des hommes. Il faut trouver un équilibre. L'ANSES dispose d'une expertise reposant beaucoup sur des vétérinaires, qui ont encore la culture du service public.
Les produits phytosanitaires les plus dangereux sont les insecticides car les insectes sont plus proches des humains que les plantes. Cependant les herbicides deviennent dangereux en raison des quantités utilisées.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qu'en est-il des produits interdits qui rentrent en fraude ?
M. Guy Paillotin . - Oui, la fraude existe, y compris transfrontalière. Quand des cas d'ESB sont réapparus dans l'Allier, on a invoqué les résidus dans la terre mais c'est la vente en fraude de farines animales, stockées depuis l'interdiction, qui est en cause. Lorsque l'on interdit la fabrication, celle-ci s'arrête instantanément, mais non la distribution qui met deux ans en moyenne pour cesser. Les coopératives ont des stocks, les agriculteurs aussi, et l'on a retrouvé des traces de produits bannis jusqu'à quatre ans après leur interdiction. Les ventes continuent, à bas prix : c'est un vrai problème. La seule solution réside dans la formation des agriculteurs, notamment juridique car lorsqu'ils découvrent les sanctions encourues, ils commencent à réfléchir... Dans certaines écoles, l'enseignement prend désormais en compte ces questions et certaines chambres d'agriculture et coopératives, les plus sérieuses, font leur travail de formation. France Nature Environnement aurait souhaité la création d'un corps de contrôleurs environnementaux. Mais c'est impensable, l'Etat n'a plus d'argent.
Je suis un peu le père de l'agriculture raisonnée et, récemment, j'ai été invité par une fédération de négociants à parler de ce sujet devant six cents négociants, petits ou gros. Le président de cette fédération souhaitait moraliser la profession par une démarche qualité, faisant appel aux bonnes volontés, éliminant les récalcitrants mais cette démarche est difficile.
L'Académie d'agriculture s'est penchée à deux reprises, en novembre 2004 et en juin 2009, sur l'exposition des agriculteurs aux risques liés aux pesticides, mais les conclusions qui en ont été tirées ne sont pas nettes.
Quant au cas de la chlordécone aux Antilles, le rapport du Pr Dominique Belpomme, même si je ne suis pas toujours d'accord avec ses conclusions, souligne bien, me semble-t-il, le laxisme administratif . Le mécanisme est le suivant : on prend une décision, puis on accorde des dérogations . L'état des sols, quel que soit le dossier - on peut aussi penser à Fukushima - est rarement pris en considération ; on estime le plus souvent que les résidus ont un impact bénin. Je n'en suis pas si sûr. Il faudrait au moins y regarder de plus près.
Dans les revues agricoles, les articles relatifs à la saine utilisation des produits phytosanitaires se multiplient. L'ANSES a réalisé des études qui font autorité, mais vous vous intéressez sans doute aussi aux effets à long terme et sur ce point, vous ne trouverez guère de données fiables.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je voulais vous poser la question des cancers.
M. Guy Paillotin . - Vaste question, bouteille à l'encre...
Mme Sophie Primas , présidente . - Une étude est parue récemment sur les cancers chez les agriculteurs .
M. Guy Paillotin . - Les études disponibles font apparaître des départements très touchés par les conséquences des produits phytosanitaires. Mais l'incidence est-elle homogène sur le territoire des ces « départements rouges » ? Quant aux 11 000 morts, sur un total national de 160 000 décès annuels par cancers, il faudrait étudier la population par tranche d'âge, diviser par deux les 11 000 pour distinguer entre hommes et femmes, etc... Pour un statisticien, les chiffres avancés n'ont aucun sens. Ils ne disent rien, ni dans un sens, ni dans l'autre. Le Pr Dominique Belpomme invoque les pesticides comme source des cancers ; le rapport que vous mentionnez estime que 30 % des cancers sont dus à l'alimentation, mais d'où sort ce chiffre ?... Mystère. Sur les résidus, je signale qu'une loi existe ; elle n'est, hélas, pas respectée.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je vous remercie.
Audition de M. Jacques My, directeur général et M. Philippe Doyen, administrateur de l'Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics (UPJ) (22 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous d'abord nous indiquer en quoi les pesticides concernent l'Union pour la protection des jardins (UPJ) ?
M. Jacques My, directeur général de l'Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics (UPJ) . - Nous nous intéressons à la partie non agricole de l'emploi de pesticides. Il existe deux types d'utilisateurs, les professionnels qui ont accès à des produits réservés, et les amateurs qui ne disposent pas des mêmes produits.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous êtes peu nombreux à pouvoir parler de ce sujet. Nous nous réjouissons de vous entendre.
M. Jacques My . - Nous sommes heureux de cette audition, car un amalgame est trop souvent fait entre utilisations professionnelles et usage amateur des pesticides. Les problématiques sont très différentes. Nous avons rédigé dans le cadre du plan Ecophyto 2018 un kit de base des soins au jardin. Nous avons signé deux accords-cadres, avec les professionnels et les amateurs, pour une utilisation responsable des produits phytosanitaires , destinés à intervenir en dernier recours. Nous avons également rédigé un livre sur les animaux utiles aux jardins, car il existe des lacunes : certains confondent le syrphe, fort utile, et la guêpe, nuisible. Ce kit est diffusé à la demande et à l'occasion des manifestations de la « clinique des plantes ». Notre slogan est simple : « traiter, ce n'est pas automatique, tout commence par un diagnostic ». Parfois, une plante périclite par manque ou excès d'eau : aucun traitement ne résoudra ce problème physiologique.
M. Philippe Doyen, administrateur de l'UPJ . - Nous balayons toutes les causes pour arriver au diagnostic.
M. Jacques My . - Nous ne formulons pas de préconisations, mais présentons les méthodes : lutte biologique, prophylaxie, utilisation de produits de traitement - car face au mildiou, par exemple, il n'y a pas grand-chose d'autre à faire que de traiter...
Attention à ne pas parer de toutes les vertus des produits prétendument naturels tels que la bouillie bordelaise , tolérée en agriculture biologique : c'est un produit chimique aussi, or on croit souvent qu'elle n'est pas dangereuse. Nous avons élaboré des fiches conseils sur la chimie des plantes, comportant des pictogrammes simples.
Mme Sophie Primas , présidente . - Avez-vous travaillé avec les industriels ?
M. Jacques My . - Non, ces pictogrammes ne figurent pas sur les étiquettes car il n'y a pas suffisamment de place : mais on y viendra.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les collectivités territoriales sont-elles des relais pour vous ?
M. Jacques My . - Nous avons créé la plateforme technique pour les collectivités avec la société nationale d'horticulture de France, dans le cadre du plan Ecophyto 2018 concernant les zones non agricoles (ZNA).
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les amateurs ont tendance à utiliser les produits phytosanitaires en surdose. Ceux qui visitent ces sites sont déjà sensibilisés au problème, mais comment toucher les autres ?
M. Jacques My . - Les produits pour les non professionnels - moins dangereux que les produits réservés aux professionnels - sont vendus dans les jardineries, or celles-ci ne font pas l'objet d'un agrément.
M. Philippe Doyen . - Les produits pour le jardin sont vendus à 70 % par la distribution spécialisée.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - On souligne dans vos brochures la notion « d'abus dangereux », ce qui laisse penser qu'en moindre quantités les produits sont inoffensifs...
M. Philippe Doyen . - Dans les jardineries et les surfaces de bricolage, des vendeurs conseils sont là pour informer les clients sur la dangerosité des produits et leurs conditions d'utilisation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Peut-être faudrait-il soumettre les grandes surfaces à un agrément pour la vente des produits phytosanitaires, voire interdire la commercialisation de tels produits dans les grandes surfaces alimentaires ?
M. Jacques My . - Nous avions demandé, avant même le Grenelle de l'environnement, que la loi s'applique à tous les types de commerce, prévoyant un conseiller sur le lieu de vente quel qu'il soit. Bien sûr, la fédération du commerce de grande distribution n'y était pas favorable alors que nous estimons fondamental qu'un conseiller puisse expliquer l'utilisation, le dosage, les solutions alternatives...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Au risque de faire perdre des ventes ?
M. Jacques My . - Pas exactement car le client achètera une binette ou un autre produit. Il serait bon d'avoir des espaces spécialisés, comme les parapharmacies par exemple : cela me choque de voir des produits phytosanitaires dans le même panier que la viande ou le poisson.
M. Yannick Botrel . - En Bretagne, nous avons fait une recherche de pesticides dans une rivière, à l'entrée et à la sortie d'une ville : à la sortie, l'eau était plus polluée que dans le bassin versant supérieur. Les surdoses dans les jardins sont importantes, le conditionnement y est sans doute pour quelque chose : puisqu'on a acheté un gros sac, autant l'utiliser. Il y a un problème de comportement et de conditionnement.
M. Jacques My . - Un texte limitait la taille des paquets, pour la vente aux amateurs : la Commission européenne ne l'a pas permis, mais nous avons dans notre code de déontologie recommandé aux fabricants de continuer à proposer ces petits conditionnements. Nous suggérons aussi de privilégier les produits prêts à l'emploi , car la phase de préparation provoque une consommation excessive - on emploie tout ce qui a été préparé, d'autant qu'on ne veut pas avoir à y revenir.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment former les jardiniers ?
M. Jacques My . - Du conseil, du conseil et encore du conseil, dans les grandes surfaces, dans les jardineries .... Nous travaillons à un outil d'aide au diagnostic sur Internet. Un problème peut avoir pour solution, un moindre arrosage, par exemple. Mais pour établir un bon diagnostic, il faut posséder une formation d'agronomie et une spécialisation ; on ne s'improvise pas expert.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Un outil uniquement sur Internet ?
M. Jacques My . - Non : la clinique des plantes sera à Savigny-le-Temple en fin de semaine prochaine, puis à Saint-Jean de Beauregard. Nous diffusons l'information et les connaissances. Autre projet, le collectif « Pacte jardins 2012 » demande que le jardinage devienne une activité scolaire et que l'on crée un jardin dans chaque école : c'est possible !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Apprenons aussi à mieux manger.
M. Jacques My . - Un mot des deux accords-cadres : je faisais partie du « groupe Paillotin » de préparation du plan Ecophyto 2018, et comme j'ai fait remarquer que le groupe ne s'intéressait qu'aux agriculteurs et négligeait riverains et jardiniers amateurs, un sous-groupe de travail consacré aux zones non agricoles (ZNA) a alors été créé. Il est à l'origine de l'axe 7 du plan Ecophyto , concrétisé dans l'arrêté de juin 2011 : l'utilisation de certains produits dans les lieux fréquentés par du public, notamment par des personnes vulnérables, est interdite . La France a ainsi été le premier Etat membre à suivre les préconisations de l'Union européenne en inscrivant des dispositions réglementaires dans le code rural et de la pêche maritime. Il y a aussi des obligations d'information du public.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les textes sont-ils appliqués ?
M. Jacques My . - Je l'espère ! Je n'ai pas signalé le répertoire des produits professionnels utilisables en ZNA, ni le guide méthodologique pour l'entretien des jardins. La mention EAJ, « Emploi autorisé dans les jardins », est une garantie de risques moindres. Nous sommes fiers du travail accompli sur le risque opérateur, l'évaluation des produits se limite généralement à l'exposition des manipulateurs et de ceux qui les regardent. Rien sur les jardins ! Nous avons fait des analyses sur les vêtements et sous-vêtements d'utilisateurs occasionnels de produits phytosanitaires, pour connaître le taux de pénétration. Précisons que l'amateur ne porte pas, lui, d'équipements de protection. De même, les utilisateurs professionnels en ville n'emploient pas le même matériel que les agriculteurs. L'exposition n'est donc pas identique. Les surfaces traitées sont petites ; le coefficient de transfert est proche de 100 % lorsque les produits sont appliqués à des plantes situées sur un trottoir . C'est ce qui explique les niveaux de pollution relevés dans votre ville bretonne. Jusqu'à présent, les collectivités locales ont eu accès aux produits professionnels alors que leurs agents n'étaient pas formés, puisqu'aucun agrément n'était nécessaire. Depuis cette année, ils doivent obtenir le certifphyto spécial ZNA professionnels .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui dispense la formation ?
M. Jacques My . - Des centres de formation agréés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-elle onéreuse ?
M. Jacques My . - Oui, et obligatoire : peut-être les politiques ont-ils là quelque chose à améliorer. Cette formation est une véritable poule aux oeufs d'or pour certains centres, car il y a 12 000 jardineries en France, les agriculteurs, les autres professionnels,...
Mme Sophie Primas , présidente . - Mais cela procure de l'emploi et sans doute certains centres font-ils bien leur travail ?
M. Philippe Doyen . - Informer les clients, dans les commerces, n'est pas inintéressant : les achats d'équipements, d'outils, augmentent. Les produits phytosanitaires peuvent aussi être vendus dans des paquets comprenant des gants ou un masque ...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les industriels communiquent sur les équipements, sur le dosage ; mais quid des solutions alternatives ?
M. Jacques My . - Certaines jardineries ne vendent que des produits « alternatifs ». Nous avons suggéré un label « produit naturel », mais le ministère de la consommation nous a fait remarquer que les produits phytosanitaires étaient « 100 % naturels » uniquement s'ils étaient exempts de conservateurs, si leur production ne faisait intervenir que des éléments naturels, bref, tout cela est un peu compliqué. Les amateurs et les professionnels se fient en réalité à la mention UAB, « Utilisable dans l'agriculture biologique ».
Mme Sophie Primas , présidente . - Que penser de méthodes de désherbage comme l'eau chaude ?
M. Jacques My . - L'eau de cuisson des pommes de terre est un bon herbicide par brûlage, l'amidon de maïs chaud donne aussi de bons résultats, mais les risques pour l'opérateur qui utilisent des produits à plus de 90° ne sont pas nuls. Je suis nuancé sur les brûleurs thermiques et je ne juge pas satisfaisante l'utilisation de bonbonnes de gaz... Je préfère la binette. L' acide pélargonique est un herbicide de contact, l' acide acétique également ; le bacillus subtilis est une bactérie utilisée en traitement préventif avec de bons résultats. Les alternatives se développent.
M. Philippe Doyen . - Il y a aussi tout le travail sur les plantes résistantes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Promues par les industriels !
M. Jacques My . - Quand ils ont les solutions, ils valorisent l'offre correspondante.
M. Philippe Doyen . - Le choix des plantes doit prendre en compte le climat et le sol.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ne cherchons pas à faire pousser un bougainvillier en région parisienne.
M. Jacques My . - On m'a déjà interrogé sur la façon de traiter des oliviers mal en point... dans un jardin de Lille, ce qui est curieux.
Je souligne que l'agriculture répond à un impératif économique. Les méthodes alternatives sont plus faciles à diffuser dans les jardins. Notre travail trouve ainsi tout son sens.
Mme Sophie Primas , présidente. - Il faut éduquer nos concitoyens au fait qu'un jardin n'est pas une moquette.
M. Jacques My. - Oui, si l'on veut des papillons il faut laisser pousser les fleurs et ne pas tondre l'herbe à ras.
Audition de M. Marc Mortureux, directeur général, de Mme Pascale Robineau, directrice des produits réglementés, de M. Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques, et de Mme Alima Marie, directrice de l'information, de la communication et du dialogue avec la société de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) (22 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente. - Nous accueillons maintenant les représentants de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) pour évoquer les questions d'évaluation des risques liés aux pesticides.
M. Marc Mortureux, directeur général de l'ANSES. - Issue de la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), l'ANSES intervient dans des domaines très larges au sein desquels, non seulement elle préserve l'expertise scientifique des deux anciennes agences, mais elle développe aussi de nouvelles actions.
Nous sommes particulièrement attentifs à la prévention des conflits d'intérêts, question qui a donné lieu à la rédaction d'un code de déontologie et au renforcement de l'ensemble des règles. Nous sommes également attentifs à une plus grande ouverture à la société par un dialogue avec les parties prenantes en amont et en aval des expertises, ou au développement d'approches transversales consistant par exemple à considérer l'homme dans l'ensemble des modes d'exposition aux risques que sont le travail, l'alimentation ou l'environnement général , le lien ainsi établi entre alimentation et santé constituant un modèle innovant par rapport à ce qui existe à l'étranger.
Mme Sophie Primas , présidente. - Mais cela ne rend-il pas aussi les choses plus complexes ?
M. Marc Mortureux. - Dans la mesure où l'on constate que tout est dans tout, cette organisation nous donne la possibilité de développer des approches nouvelles et de faire bouger les lignes, comme à propos du bisphénol A . En matière de pesticides, il y a une réelle valeur ajoutée au fait d'assurer à la fois l'évaluation des produits phytosanitaires avant leur mise sur le marché, mission autrefois dévolue à l'AFSSA et l'observation des risques de pesticides pour la santé au travail qui relevait de l'AFSSET.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Comment les informations de l'Observatoire des résidus de pesticides (ORP) sont-elles recueillies ?
M. Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques de l'ANSES. - La création de l'ORP répondait à l'objectif de parvenir à rassembler des données éparses recueillies notamment dans le cadre des plans de contrôle et de surveillance par les différents ministères, de l'agriculture, de la santé, de l'environnement, et de la consommation, l'une des difficultés tenant à la tendance de ces derniers à s'estimer propriétaires des ces informations. Aux données des plans de contrôle et de surveillance s'ajoutent celles issues de bases spécifiques sur l'eau, sur l'air ambiant ou sur des sujets encore peu documentés comme les environnements intérieurs ou les sols.
Ce travail de collation des données de différentes sources est appelé à se poursuivre, le projet initial de création d'un système d'information intégré n'étant plus véritablement d'actualité.
L'objectif n'est pas de permettre une évaluation des risques exhaustive, mais de fournir une information au public, notamment depuis le plan Ecophyto 2018, au travers de la production d'indicateurs relatifs aux usages des produits, à leur impact ou aux pressions sur les milieux. Notons d'ailleurs que les travaux du groupe de travail pluraliste en charge de ce plan auprès du ministère de l'agriculture ont permis de réaliser nombre d'études spécifiques venant compléter les informations existantes.
Quant aux expositions professionnelles, s'il est prévu qu'elles soient intégrées dans l'ORP, elles donnent aujourd'hui lieu à peu de données.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Mais de quelles données dispose-t-on ?
M. Dominique Gombert. - Nous disposons tout d'abord des données génériques sur les populations agricoles et sommes engagés dans un travail qui devrait durer au moins jusqu'en 2014, de segmentation de celles-ci en fonction des types d'usages.
M. Marc Mortureux. - C'est dans le cadre d'une auto-saisine que nous travaillons ce sujet essentiel grâce à une équipe composée de façon très ouverte, notamment de nombreux experts.
M. Dominique Gombert. - Différentes approches pourront être retenues, dont certaines expérimentations consistant par exemple à équiper les personnes concernées de capteurs, l'une des difficultés étant toutefois de documenter les événements passés, causes éventuelles des pathologies d'aujourd'hui.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Au vu de ces données, quelles sont vos principales conclusions ?
M. Dominique Gombert. - Je rappelle qu'au départ, l'ORP s'intéressait à la population en général...
M. Marc Mortureux. - Un élément objectif est que, depuis une vingtaine d'années, le ménage a été fait pour les substances actives autorisées : les deux tiers d'entre elles ont été interdites.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Mais cela ne veut pas dire que vingt ans après elles n'aient pas de conséquences.
M. Marc Mortureux. - Bien sûr. Précisons toutefois que la sévérité des critères d'autorisation de certaines substances continue d'augmenter, un règlement communautaire en préparation visant, par exemple, les perturbateurs endocriniens , tandis qu'en parallèle le processus de révision des autorisations de mise sur le marché se poursuit.
Mme Pascale Robineau, directrice des produits réglementés de l'ANSES. - Il convient de bien distinguer l'évaluation des substances effectuée au niveau communautaire et celle des produits réalisée par les autorités nationales pour certaines zones géographiques. Concernant la seconde, si les informations sont fournies par les industriels, ceux-ci ne disposent, notamment du fait des lignes directrices édictées par l'OCDE, d'aucune marge de manoeuvre quant à la façon de produire ces données. De plus, les laboratoires qui en ont en la charge, qu'ils soient ou non internes aux entreprises, sont régulièrement inspectés par le Comité français d'accréditation (COFRAC).
Lorsque le rapport d'étude complet issu de ces laboratoires nous est adressé, notre premier travail consiste à y rechercher l'existence d'éventuelles anomalies.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Vous évaluez l'évaluation...
Mme Pascale Robineau. - Tout à fait. Ensuite, nous procédons à notre propre interprétation de ces données avant de transmettre les résultats de ces travaux à notre pôle « produits » en charge de l'évaluation finale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Dans les scandales sur des médicaments, ce genre de procédures existait aussi et pourtant...
M. Marc Mortureux. - Certes, l'on peut toujours se retrouver accusé, mais les procédures applicables en matières phytosanitaires sont très structurées et apportent beaucoup de garanties. Dans le cadre du règlement REACH, la charge de la preuve de l'innocuité d'une substance a été inversée et pèse donc sur l'industriel. Quant à nous, nous procédons à nos propres expertises.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Mais en avez-vous vraiment les moyens ?
M. Marc Mortureux. - D'une façon générale, la création de l'agence s'est accompagnée d'un réel transfert de moyens.
Mme Sophie Primas , présidente. - Combien de temps vous faut-il pour procéder à une évaluation ?
Mme Pascale Robineau. - Pour l'évaluation de certains effets sur l'eau, un an d'études a été nécessaire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Comment expliquer que certains produits tels que le Lasso étaient encore autorisés en France alors qu'ils étaient interdits ailleurs ?
Mme Pascale Robineau. - Depuis 1993, une vaste opération scientifique a été engagée en Europe, visant à réévaluer les produits mis sur le marché et, dans le cas du Lasso, nous avons eu à examiner quatre cents ou cinq cents préparations différentes , ce qui est extrêmement long.
Mme Sophie Primas , présidente. - Cela signifie qu'une substance commercialisée aujourd'hui sera ensuite soumise à un réexamen pouvant aboutir à sa sortie du marché ?
M. Yannick Botrel . - Existe-t-il des liens entre les travaux menés dans les différents pays ?
Mme Pascale Robineau. - Alors qu'auparavant, le même travail d'étude était accompli dans chacun des Etats membres, il est aujourd'hui réparti entre eux selon un découpage en zones géographiques . Les prescriptions faites par un Etat membre à propos d'un produit sont transmises aux autres, qui formulent leurs observations dans le but d'aboutir à une évaluation commune acceptée par tous.
M. Marc Mortureux. - Nous sommes très attentifs à ce qui se passe ailleurs, étant pour notre part considérés par nos partenaires comme particulièrement rigoureux, nos exigences en matière d'application des modèles étant, par exemple, sensiblement plus élevées que celles de la Belgique ou de l'Allemagne. Au sein de la zone sud, cette réputation conduit d'ailleurs un certain nombre d'entreprises à demander à être évaluées par nous, ce qui, compte tenu de notre niveau d'exigence, constitue pour eux une garantie d'acceptation de leurs produits dans les autres pays.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Peut-on considérer qu'un produit mis sur le marché aujourd'hui ne sera dangereux ni pour l'agriculteur qui l'utilise, ni pour le riverain qui le respire, ni pour le consommateur qui l'ingère ?
M. Marc Mortureux. - La réponse à cette question est compliquée.
Mme Pascale Robineau. - L'évaluation a priori est fondée sur la notion de risque, lui-même défini comme l'exposition à un danger. Cela signifie qu'un produit dangereux peut tout à fait présenter un niveau de risque acceptable dans la mesure où le niveau d'exposition à celui-ci est suffisamment faible.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Mais comment évalue-t-on l'exposition ?
Mme Pascale Robineau. - Le danger ayant été analysé, au niveau communautaire, à l'occasion de l'autorisation d'une substance active, c'est ensuite au moment de l'évaluation du produit que l'on estime le niveau d'exposition sur la base de différents modèles, discutés dans un cadre européen et dont les paramètres évoluent en permanence.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Comment se passe le suivi des risques ? Au vu des incidents qui remontent à vous, que pouvez-vous dire de l'effet de tel ou tel type de produit sur tel type de production agricole en particulier ?
Mme Pascale Robineau. - Les données de suivi des produits sur le marché ne nous parviennent pas spontanément, nous allons les chercher.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Est-ce normal ?
M. Marc Mortureux. - Afin de rendre, notamment dans le cadre de la réforme du système de pharmacovigilance, cette remontée de données plus fiable est plus rapide, nous menons beaucoup de discussions avec leurs émetteurs que sont principalement la Mutualité sociale agricole (MSA) et l'Institut de veille sanitaire (InVS), ce dernier disposant des informations des centres anti-poisons, qui subissent au demeurant les difficultés budgétaires rencontrées par les hôpitaux.
Mme Sophie Primas , présidente. - Recevez-vous des données brutes ?
Mme Pascale Robineau. - Nous avons plutôt accès à des données déjà agrégées.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Le fait que tout ne remonte pas jusqu'à vous signifie-t-il que vos évaluations reposent sur des données très partielles ?
M. Marc Mortureux. - Il est vrai que le système actuel ne nous garantit pas la transmission d'informations dans la bonne forme et dans les bons délais, notamment du fait des tensions sur le budget des différents organismes.
Mme Sophie Primas , présidente. - Travaillez-vous en lien avec le conseil général de l'agriculture et de la pêche qui vient de publier un rapport sur le suivi des produits après leur autorisation de mise sur le marché ?
M. Marc Mortureux. - Bien sûr. Si l'évaluation des produits avant leur mise sur le marché répond à une procédure bien établie, des progrès doivent encore être accomplis concernant les produits déjà commercialisés, notamment par la clarification du rôle de chacun, ma recommandation étant de confier l'ensemble de cette mission à notre agence.
M. Dominique Gombert. - En terme de fiabilité des données, il faut distinguer le cas des professionnels, exposés à un danger spécifique bien identifié, de celui de la population en général, pour lesquels les occasions de risques sont beaucoup plus nombreuses et donc plus difficiles à déterminer.
Mme Sophie Primas , présidente. - Ce qui est vrai pour les agriculteurs l'est aussi, par définition, pour la population générale.
M. Yannick Botrel . - Les risques peuvent se diffuser sur de grandes aires géographiques. Certains produits utilisés pour des cultures fruitières dans la vallée du Rhône se retrouvent ainsi à trente ou quarante kilomètres.
M. Dominique Gombert. - Cela peut même aller plus loin.
Mme Pascale Robineau. - En effet, le devenir de la substance dans l'environnement est une donnée très fortement prise en compte dans les dossiers qui nous sont soumis.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Qu'en est-il du cas de la viticulture pour laquelle on sait bien qu'un certain nombre de risques existent ?
Mme Pascale Robineau. - Les données liées aux produits agricoles concernent des expositions aiguës et ne prennent pas en compte les utilisations tout au long de la vie. A partir des données épidémiologiques, il est aujourd'hui difficile d'établir un lien de causalité entre l'utilisation d'une substance et l'existence d'une pathologie, d'autant plus que les pesticides appartiennent à une gamme de produits très large.
M. Marc Mortureux. - Le risque aigu, suivi par le réseau « Phytoveille », est en effet plus facile à caractériser que le risque lié à une utilisation classique auquel s'intéresse le réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P).
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Dans la viticulture, nombre de personnes utilisent des produits pendant des années avant que l'on puisse établir quoi que ce soit.
Mme Pascale Robineau. - La prise en considération d'un certain nombre de risques a tout de même permis l'élimination de certaines substances.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Le problème, c'est que les agriculteurs n'ont rien dit pendant des années. Il existait une espèce d'omerta qui s'est traduite par une absence de remontées d'information et qui rend très difficile d'apporter la preuve d'un lien de causalité.
M. Marc Mortureux. - C'est la raison pour laquelle nous nous saisissons de ce sujet. C'est précisément là où les données ne remontent pas spontanément que nous sommes le plus utile.
Mme Sophie Primas , présidente. - Quelle est votre perception de l'étude du RNV3P qui attribue aux pesticides une responsabilité éminente dans les cancers des agriculteurs ?
M. Marc Mortureux. - Globalement, le nombre de cas de pathologies touchant les agriculteurs est très réduit...
M. Dominique Gombert. - Sur 120 000 cas qui nous sont remontés, certes de façon un peu aléatoire, 50 000 présentaient des pathologies pour lesquelles les médecins avaient confirmé l'origine professionnelle, dont 578 agriculteurs, soit 1,2 % de l'ensemble. 70 d'entre eux présentaient des tumeurs dont 45 pouvaient être attribuées à des pesticides. La difficulté dans l'établissement du lien de causalité des cancers tient à la reconstitution des pratiques professionnelles qui étaient celles de ces personnes il y a plus de vingt ans.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Si certaines substances ont été retirées du marché, c'est bien parce qu'elles étaient considérées comme dangereuses, ce qui accrédite tout de même l'idée que leur utilisation a pu favoriser les maladies, surtout à une époque où les équipements de protection étaient bien moins utilisés qu'aujourd'hui.
M. Marc Mortureux. - Si notre travail porte - chacun dans son rôle - sur la partie scientifique, il est bien évident que nous n'attendons pas de disposer de preuves absolues pour commencer à agir. Au vu des données dont nous disposons, nous nous efforçons de faire une application intelligente du principe de précaution . Beaucoup de choses ont déjà été réalisées, notre rôle est de documenter les faits afin de fournir des éléments d'appréciation aux décideurs.
M. Dominique Gombert. - Nous retrouvons cette problématique à propos de l'exposition au bitume dans la mesure où il est particulièrement difficile de reconstituer le bitume d'il y a vingt ans, très différent de celui d'aujourd'hui.
M. Marc Mortureux. - Les choses doivent aussi évoluer à propos des équipements individuels mais la classification européenne en la matière étant difficilement applicable aux équipements agricoles, il n'est pas encore possible de demander à l'industriel qui dépose un dossier de présenter les résultats de tests réalisés avec des équipements précisément identifiés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Face aux industriels, estimez-vous que la puissance publique dispose, à travers votre agence, de suffisamment de moyens ?
Mme Pascale Robineau. - Je puis vous assurer que nous n'avons jamais sacrifié la qualité de notre travail au respect des délais auxquels nous étions soumis, étant parfois allés jusqu'à les dépasser d'un an.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Cela signifie-t-il que vous ne subissez pas de pressions ?
M. Marc Mortureux. - Le fait que nous ne soyons pas chargés de prendre les décisions exclut toute pression, bien que parfois nous souhaiterions refaire certaines études, ce à quoi nous renonçons au regard des moyens financiers considérables que cela exigerait et dont nous ne disposons pas. Pour le reste, il est malheureusement toujours possible de passer à côté d'un problème particulier.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Vos évaluations prennent-elles en compte des critères de rentabilité économique des produits ?
Pascale Robineau. - Non, pas du tout, bien que nous examinions quelle est l'efficacité des produits.
M. Marc Mortureux. - Notre modèle qui repose sur un financement public nous dote d'un outil appréciable par rapport à ce qui existe dans d'autres pays, même si, bien entendu, nous sommes soumis aux contraintes budgétaires.
Audition du Pr Pierre Jouannet, membre de l'académie de médecine (22 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente. - Je vous précise que nos travaux sont centrés sur la situation des utilisateurs de pesticides.
Pr Pierre Jouannet, membre de l'académie de médecine. - Mes compétences professionnelles ne portant que sur les questions de fertilité, j'ai rédigé au sein de l'académie de médecine, avec M. Henri Rochefort, un rapport sur les risques de cancers liés aux perturbateurs endocriniens qui ne concernait donc pas exclusivement les pesticides, mais qui les abordait au travers des cas de cancers hormono-dépendants.
Ces sujets sont particulièrement complexes et je me réjouis du grand nombre d'études et de travaux actuellement réalisés sur ces thèmes, car dans les années 1990, c'est sans grand succès que j'avais tenté de sensibiliser les pouvoirs publics au fait que la baisse de qualité des spermatozoïdes que nous observions à Paris pouvait être due à des facteurs environnementaux, et notamment à la présence de produits chimiques. A l'époque, avec des médecins et des chercheurs, nous avions essayé, sans succès, de sensibiliser le monde politique et les pouvoirs publics. Depuis vingt ans, les travaux scientifiques ont eu un plus grand retentissement médiatique et l'état d'esprit sur ces sujets a bien évolué, même si c'est un domaine où il demeure difficile d'avoir des certitudes.
Mme Sophie Primas , présidente. - Mais il y a des soupçons...
Pr Pierre Jouannet. - Oui. On peut tout d'abord se fonder sur des enquêtes épidémiologiques, dés lors quelles sont bien menées, même si la difficulté principale dans l'établissement d'un lien de causalité entre cancers et pesticides réside dans l'existence de nombreux facteurs qui interagissent et peuvent avoir des effets synergiques ou antagonistes. Des associations entre situations n'impliquent pas des liens de causalité. Il est aussi possible de partir d'études faites sur d'autres espèces que l'espèce humaine, des informations assez précises existant en matière de reproduction. Enfin, la toxicologie expérimentale est susceptible de fournir des résultats.
Les perturbateurs endocriniens peuvent être responsables du développement de tumeurs , d'une part en tant que promoteurs directs, stimulant la croissance de cellules déjà transformées, d'autre part, en tant qu'initiateur de la cancérogénèse cellulaire sur le tissu-cible, introduisant des modifications génétiques ou produisant des effets épigénétiques. Enfin, les perturbateurs endocriniens peuvent agir de façon indirecte, non pas sur les cellules cancéreuses elles-mêmes mais sur les enzymes régissant le métabolisme hormonal, ou, par exemple, via une substance modifiant l'âge de la puberté chez la femme, ce dernier étant lié à l'importance du risque de cancer du sein.
Chez l'homme, on peut penser que les substances qui inhibent la descente des testicules et provoquent donc la cryptorchidie ne sont pas sans lien avec les cancers de cette partie du corps. On constate au demeurant une augmentation de l'incidence des cancers testiculaires en France . Une étude danoise a récemment mis en évidence le rôle de facteurs environnementaux dans la perturbation de la différenciation des cellules germinales, durant la vie intra-utérine. Des cellules cancéreuses, qui peuvent rester dormantes, se constituent alors, et peuvent entraîner des cancers, des années plus tard. Ces mêmes facteurs peuvent provoquer une recrudescence de cryptorchidie ou d'hypospadias. Il faut donc s'intéresser aux perturbateurs endocriniens qui agissent sur le développement du foetus, car ceux-ci peuvent avoir des effets à long terme. Enfin, on peut observer des effets transgénérationels des perturbateurs endocriniens.
Mme Sophie Primas , présidente. - Les agriculteurs vous paraissent-ils soumis à des dangers particuliers ?
Pr Pierre Jouannet. - Une étude publiée en 2008 par Melissa Perry, chercheuse à Harvard, à partir d'une vingtaine de travaux, fait apparaitre que treize d'entre eux tendent à établir un lien entre une activité professionnelle comportant des contacts avec des pesticides et une altération de la qualité des spermatozoïdes. D'autres études se sont intéressées aux modifications de la composition chromosomique des spermatozoïdes. Ces études ne concluent pas à un danger très clair dû aux pesticides, mais ce danger est suffisant pour justifier la poursuite de recherches.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Y a t il eu d'autres travaux depuis 2008 ?
Pr Pierre Jouannet. - Si les recherches en cours ne donnent rien de très significatif, notons toutefois une autre étude nord-américaine réalisée dans quatre villes, faisant ressortir que la qualité des spermatozoïdes la plus faible est observée dans la seule ville de Columbia (Missouri) située dans une région agricole, ces conclusions étant corroborées par une analyse des résidus de pesticides dans les urines. C'est un signe d'alerte, même si cela ne constitue pas une preuve définitive.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Mais que serait une preuve définitive ?
Pr Pierre Jouannet. - Ce serait de pouvoir déterminer le mécanisme par lequel cette causalité s'établit.
Mme Sophie Primas , présidente. - Y a-t-il des expérimentations sur les animaux ?
Pr Pierre Jouannet. - Bien sûr. Quant aux travaux sur l'homme, une équipe de Nice à mis en évidence le lien entre cryptorchidie et présence de certaines substances dans le lait maternel, une autre étude établissant un lien entre la composition de l'urine de la mère et la taille de la tête de l'enfant.
Concernant plus précisément la relation entre cancer et pesticides, les seuls éléments clairs portent sur l'effet de la chloredécone sur le cancer de la prostate en Guadeloupe , sachant que d'autres facteurs interviennent tels que les antécédents familiaux ou encore le fait d'avoir habité un certain temps en métropole.
Les perturbateurs endocriniens pourraient aussi favoriser les troubles du métabolisme comme l'obésité ou le diabète ainsi que des troubles neurologiques ; une étude américaine mettant en relation l'agressivité d'enfants de huit ans et la présence de pesticides chez la mère. J'ai aussi été marqué par une étude chinoise sur les placentas des mères d'enfants nés avec des problèmes neurologiques. Mais, à chaque fois, se pose la question de l'existence d'autres facteurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Qu'en est-il des effets « cocktail » ?
Pr Pierre Jouannet. - Des travaux menés sur les rats font apparaître que deux faibles doses de certaines substances peuvent avoir un effet comparable à celui d'une dose excessive de l'un des deux produits , mettant ainsi en évidence l'existence d'effets « cocktail ».
Je ne puis en revanche pas répondre sur l'existence de liens indiscutables entre maladies et pesticides.
Quant au classement en maladie professionnelle, sa modification me semble difficile dés lors que l'on n'a pas découvert d'argument décisif établissant un lien de causalité, sachant qu'il convient toutefois de distinguer les expositions toxiques à de fortes doses de produits des expositions classiques à des doses plus faibles.
Compte tenu de mon domaine de compétences, j'ai peu de choses à vous dire sur les règles de mise sur le marché si ce n'est que le principe de l'inversion de la charge de la preuve posé par le règlement européen REACH est une bonne chose , bien que les tests servant de base aux évaluations soient discutées et que ces règles ne s'appliquent qu'à des substances produites au-delà d'un certain tonnage.
La question des doses demeure fondamentale, car celles-ci font varier de façon très importante l'effet d'une substance.
J'ignorais que les substances étaient réévaluées tous les dix ans mais il me semble qu'en principe, elles devraient l'être chaque fois que nécessaire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Que pensez-vous du fait que les études avant mise sur le marché soient réalisées par les industriels ?
Pr Pierre Jouannet. - Il faut faire confiance aux industriels, ne pas les diaboliser, tout en contrôlant leur travail et leurs données. Je propose même que chercheurs académiques et chercheurs industriels travaillent davantage en commun, comme, par exemple, pour la recherche d'une matière de substitution au bisphénol A .
L'Académie de médecine a fait des recommandations : informer le public sans l'angoisser, étiqueter clairement et lisiblement les produits, cibler les populations à risque : agriculteurs, personnel de santé, etc. Tout cela relève des agences comme l'ANSES et des ministères. Le travail d'information se développe dans d'autres pays. Prenons exemple sur nos voisins. Un site Internet du ministère de la santé pourrait fournir des informations utiles et complètes, alors que les informations sur Internet sont généralement parcellaires ou non objectives.
Le principe de précaution - je préfère parler de prévention - passe, selon moi, par trois actions : surveillance, alerte et recherche . Il y a des choses à faire ; et tout n'est pas qu'une question de moyens. Une des raisons de nos lacunes réside dans un financement mal organisé, voire désordonné, avec une multiplicité d'appels d'offre et un montant moyen de contrat faible. Les chercheurs perdent trop de temps à rédiger des dossiers de financement. Les instances qui procèdent aux appels d'offre devraient mieux se coordonner.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous de l'étude AGRICAN ?
Pr Pierre Jouannet . - Elle est intéressante.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Elle a été très critiquée : non prise en compte de certaines catégories, les salariés agricoles par exemple, périmètre d'investigation limité à certains départements... En dépit de cela, l'étude conclut que les agriculteurs sont en meilleure santé que le reste de la population.
Pr Pierre Jouannet . - Augmenter la taille ou le nombre de cohortes coûte très cher : lorsque l'on dispose d'une bonne cohorte, il n'est pas nécessaire de l'agrandir, il faut plutôt en profiter pour mener des études complémentaires. Les omissions que vous signalez m'étonnent. Je ne connais pas le détail de cette question. En revanche, réaliser l'étude sur quelques départements seulement n'est pas un handicap, dès lors que les zones sélectionnées sont représentatives.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La moitié de la cohorte n'utilise pas de produits phytosanitaires.
Pr Pierre Jouannet . - Si la cohorte est de 180 000 personnes, des observations menées sur 90 000 d'entre elles, à condition bien sûr que les biomarqueurs soient bons, ont toute la pertinence requise.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais la communication porte sur les chiffres agrégés de toute la cohorte, non sur les seuls agriculteurs exposés aux pesticides.
Pr Pierre Jouannet. - Je ne connais pas le sujet précisément. Mais toute publication donne lieu à des réactions émotionnelles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Dans ma région viticole, on parle beaucoup des cancers induits par l'utilisation des produits phytosanitaires.
Pr Pierre Jouannet . - Le cancer de la prostate est celui pour lequel les données sont les plus nombreuses et feraient apparaître un lien avec l'emploi des pesticides . Des études américaines semblent aller dans le même sens. Mais les agriculteurs ne meurent pas tous d'un cancer de la prostate ! Et l'incidence est considérée comme significative lorsqu'elle fait passer un facteur de 1 à 15. Messieurs, agriculteurs ou non, nous avons tous une probabilité sérieuse de mourir d'un cancer de la prostate.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Professeur, je vous remercie des explications que vous nous avez apportées.
Audition de M. Franck Wiacek, directeur à l'Institut du végétal (Arvalis) (22 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre mission d'information a pour objet les effets de l'utilisation des pesticides sur la santé des utilisateurs, depuis les fabricants jusqu'aux agriculteurs et jardiniers professionnels ou amateurs. Votre institut a sans doute un avis éclairé sur la question et sur la pertinence du plan Ecophyto.
M. Franck Wiacek . - Arvalis est un institut de recherche appliquée en agriculture, financé majoritairement par les agriculteurs français. Le champ de ses recherches s'est élargi depuis 1959 par des regroupements d'instituts : il travaille aujourd'hui sur diverses grandes cultures comme le maïs, les herbes, les fourrages, la pomme de terre, les protéines végétales et, depuis octobre dernier, sur le lin, mais pas le colza, le tournesol, le soja ou la betterave. L'objectif d'Arvalis est d'apporter des solutions aux producteurs afin qu'ils puissent vivre de leur activité en produisant plus et mieux.
Depuis l'origine, nous sommes chargés d'évaluer les innovations techniques mises à disposition des producteurs : l'efficacité des molécules mais aussi, depuis 1994, leur incidence sur l'environnement. Nous étudions également, depuis 1997, les pollutions ponctuelles, lors de la manipulation du produit, et les pollutions diffuses, en plein champ.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pouvez-vous détailler vos financements ?
M. Franck Wiacek . - Un peu plus de la moitié provient des agriculteurs, environ 30 % de l'autofinancement, et 20 % de projets de recherche français ou européens.
Mme Sophie Primas , présidente . - Êtes-vous considérés comme ayant une légitimité dans le domaine des pesticides ?
M. Franck Wiacek . - Nous sommes agronomes, pas médecins. Arvalis emploie près de 400 personnes, dont 160 dans les services de recherche-développement et autant pour le transfert des connaissances sur le terrain que j'anime. Nos vingt-six sites expérimentaux et de recherche sont répartis dans la plupart des grandes régions agricoles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous nous direz où ils se trouvent ?
M. Franck Wiacek . - Bien volontiers.
Au-delà de l'évaluation, nous développons aussi des outils d'aide à la décision, pour que les agriculteurs sachent quand et en quelle quantité employer des pesticides pour se prémunir contre des parasites, au champ ou lors du stockage. Je vous parlerai plus d'environnement que de santé même si l'on touche aussi à la protection de l'utilisateur.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous demanderai cependant de concentrer vos propos sur la santé des agriculteurs, qui est l'objet de la première partie de nos travaux, et sur la manière de réduire la consommation de pesticides pour se conformer au plan Ecophyto.
M. Franck Wiacek . - Dans les bassins que nous avons étudiés, nous avons constaté que la contamination de l'environnement, et de l'eau en particulier, était due aux pollutions ponctuelles plutôt que diffuses , notamment hors utilisation aux champs, c'est-à-dire dès les cours de ferme. Nous avons transféré notre expertise à nos collègues allemands. Or, grâce à des méthodes simples, on peut réduire ces pollutions ponctuelles de 60 % ou 80 % .
Mme Sophie Primas , présidente . - En Allemagne ?
M. Franck Wiacek . - En France aussi : je vous laisserai un document qui rapporte les résultats spectaculaires auxquels nous sommes parvenus sur les eaux de surface d'un bassin versant dans l'Aisne.
Mme Sophie Primas , présidente . - D'où viennent ces pollutions ponctuelles ?
M. Franck Wiacek . - Déjà du produit présent sur l'opercule qui ferme le bidon, par exemple : s'il est jeté sur le sol d'une cour damée et s'il pleut, le produit s'infiltre dans les nappes phréatiques. Et il y a souvent des puits dans les cours de ferme.
Lorsque les produits pénètrent dans le sol de 50 cm par an, la pollution peut mettre seize ans pour atteindre une nappe située à huit ou neuf mètres de profondeur... Il en sera de même pour l'effet de l'action ayant mis fin à la pollution en surface.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pour informer les producteurs, passez-vous par les chambres d'agriculture ?
M. Franck Wiacek . - Oui, entre autres. Dans une aire de remplissage non étanche, un pulvérisateur qui déborde provoque de graves pollutions. Les agriculteurs ont du mal à s'en rendre compte, ils ont l'impression qu'une petite fuite ne porte pas à conséquence. Cependant, si la norme de potabilité est de 0,1 mg par litre, un gramme de produit peut polluer un ru de un mètre sur un mètre sur dix kilomètres .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces produits sont dangereux, surtout si ceux qui les utilisent ne sont pas informés et formés ! Pourquoi ne l'ont-ils pas été plus tôt ?
M. Franck Wiacek . - Nos diagnostics sont à la disposition de tous depuis douze ans. Mais nous ne sommes que 160 personnes sur le terrain. Nous tâchons de diffuser l'information grâce aux conseillers des chambres d'agriculture, des coopératives et du négoce.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien d'agriculteurs atteignez-vous ainsi ?
M. Franck Wiacek . - Pas assez.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quels sont les freins ?
M. Franck Wiacek . - Notre rôle est de mettre le fruit de nos recherches à disposition des professionnels, encore faut-il qu'ils en tirent parti. Nous ne pouvons pas aller à la rencontre de tous les agriculteurs. Les divers organismes devraient éviter de recommencer les études que nous avons déjà menées, et qui ont été validées par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (Cemagref) et divers centres universitaires. Lorsque tout le monde s'engage et coopère, on arrive vite à des résultats !
Mme Sophie Primas , présidente . - Je ne comprends pas la raison de l'existence de ces freins.
M. Franck Wiacek . - Il s'agit de mettre l'action à son actif.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Peut-être les chambres d'agriculture veulent-elles récupérer de l'argent en dupliquant vos études...
M. Franck Wiacek . - Je ne sais pas, mais je souhaite en tout cas que notre expertise soit valorisée. Peut-être y a-t-il moins de concurrence ailleurs en Europe...
Nous proposons un outil nommé Aquasite destiné à diagnostiquer et à réduire les risques liés aux produits phytosanitaires chez l'exploitant, depuis le transport des produits en passant par le local de stockage, la protection de l'utilisateur, le poste de remplissage, l'équipement du pulvérisateur, la vidange du fond de cuve jusqu'à la gestion des déchets. Rien de tout cela ne nécessite des investissements très lourds.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est le pourcentage d'agriculteurs respectant ces règles ?
M. Franck Wiacek . - Je ne connais pas les chiffres, car nous ne travaillons pas directement avec les producteurs. J'ai pourtant l'impression qu'il reste beaucoup d'efforts à faire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les élèves des lycées agricoles sont-ils bien formés ?
M. Franck Wiacek . - Oui. Nous avons conclu avec le ministère de l'éducation un contrat de partenariat pour former les enseignants gratuitement ; toutes les nouvelles fermes des lycées agricoles sont aux normes . Nous formons aussi de futurs agriculteurs et conseillers, y compris étrangers, Tchèques, Portugais, Belges, Espagnols. En France, lorsqu'une région décide de prendre les choses en main, les résultats sont là : le cas de la Bretagne est exemplaire en formation contre les pollutions dans les cours de ferme.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien coûte un diagnostic ?
M. Franck Wiacek . -En Bretagne, les exploitants paient environ 300 €. Mais certaines entreprises et coopératives intègrent le diagnostic dans leur parcours de conseil. Les choses progressent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Même chez les agriculteurs installés depuis longtemps ?
M. Franck Wiacek . - Toutes les générations ne sont pas aussi sensibles au problème, mais on convainc même les anciens. Dans l'Aisne, deux agriculteurs sur trente-deux avaient d'abord refusé d'appliquer nos méthodes, puis ils s'y sont ralliés.
Nous mesurons aussi les pollutions diffuses, aux champs, sur plusieurs sites, à La Jaillière en Loire-Atlantique, au Magneraud en Charente-Maritime, à Lyon, etc., en coopération avec l'INRA, le Cemagref, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) et diverses universités. Les résultats varient beaucoup selon le sol et le climat. Certaines molécules se dégradent en surface, nous insistons donc pour agir en priorité sur celles que l'on retrouve dans le sous-sol.
Mme Sophie Primas , présidente . - Revenons à la santé des utilisateurs. Que faites-vous dans le domaine de la prévention ?
M. Franck Wiacek . - Pour la protection des utilisateurs, lors des diagnostics, nous rappelons la réglementation et proposons des équipements de protection, d'abord pour protéger les mains et les avant-bras mais aussi des cottes, des masques... Rappelons que 50 % à 60 % des cas de contamination sont dus à l'exposition des mains et des avant-bras .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne suggère-t-on pas aux producteurs de réduire leur consommation de pesticides et de produire autrement ?
M. Franck Wiacek . - Grâce aux outils d'aide à la décision mis en place depuis une quinzaine d'années, nous leur apprenons à optimiser leur consommation. Prenez l'exemple de la lutte contre le mildiou, cette maladie dévastatrice : certaines années, quand le climat est favorable, il est possible de réduire de moitié l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. La nouveauté est qu'aujourd'hui, on peut aussi les utiliser à plus faible dose (- 30 % à - 40 % !) en les couplant à de nouvelles substances comme les stimulateurs de défenses naturelles. Lors du stockage , pour éviter par exemple que les pommes de terre ne germent, on teste des huiles de menthe antigerminatives , substances naturelles pour lesquelles des tests sont en cours. Sachons aussi tirer parti des progrès génétiques pour renforcer la résistance des plantes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Envisagez-vous des solutions agronomiques ?
M. Franck Wiacek . - Le progrès génétique...
Mme Sophie Primas , présidente . - ... sans OGM ?
M. Franck Wiacek . - Par une sélection classique. Pour réduire la consommation de produits phytosanitaires, il faut aussi diffuser les outils d'aide à la décision, améliorer l'efficacité de la pulvérisation et jouer des divers leviers agronomiques, comme la rotation des cultures. En ce qui concerne le travail du sol, gardons-nous de tout dogmatisme : dans les régions sèches, le labour et le binage peuvent être très efficaces contre les mauvaises herbes - nos ancêtres le faisaient - mais il est difficile d'être efficace dans les zones humides. Les techniques alternatives ne sont pas possibles partout.
Voilà pourquoi nous sommes en train d'éditer plusieurs brochures - pour l'Ouest, le Nord, le Centre, le Sud et l'Est - où nous donnons 44 solutions simples par régions à l'aide de fiches pour limiter l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Dans l'Ouest, les conseillers se mobilisent, ce qui permet d'atteindre plus de 50 000 paysans.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'est-il pas paradoxal que vous ne parveniez pas à informer tous les agriculteurs alors que ce sont eux qui vous financent ?
M. Franck Wiacek . - Une trentaine de producteurs siègent à notre conseil d'administration mais nous ne pouvons pas aller dans chaque ferme. Nous transmettons nos solutions à des organismes qui font du conseil le quotidien. Les conseillers doivent comprendre que nous sommes là pour les aider, pas pour leur faire concurrence.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition de M. Pierre Lebailly, chercheur à l'Université de Caen-Basse-Normandie, responsable du programme Agriculture et cancer (Agrican) (22 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - La mission d'information étudie l'impact des pesticides sur la santé des utilisateurs. Nous avons été très attentifs aux premières conclusions de l'étude Agrican, qui porte sur une cohorte exceptionnellement nombreuse d'agriculteurs. Ces travaux ont tôt fait de susciter la polémique. Qu'en est-il des critiques qui vous sont adressées ?
M. Pierre Lebailly . - Je suis directeur-adjoint d'une unité mixte de recherche de l'Inserm et de l'Université de Caen consacrée à la prévention des cancers, et je m'occupe plus particulièrement des facteurs des risques professionnels et environnementaux, dans le milieu agricole mais aussi chez les personnes exposées à l'amiante à partir notamment des registres des cancers.
En 1991, lorsque nous avons entamé nos travaux, des études épidémiologiques avaient déjà été publiées à l'étranger mais presque aucune en France. Les agronomes n'envisageaient guère que l'on se passe de pesticides, presque toutes les organisations professionnelles agricoles opposaient une fin de non-recevoir à nos propositions d'étudier ce milieu, et les pouvoirs publics s'étonnaient de notre intérêt pour cette question. Cette année-là a été publiée la directive 91/414/CE régissant l'homologation des pesticides au niveau européen, et l'on commençait à parler de réévaluer les anciennes molécules. Or nous n'étions pas même en mesure de savoir quels étaient les pesticides utilisés en France, pas davantage en Basse-Normandie : l'Union des industries de protection des plantes (UIPP) ne nous a pas donné l'accès à ses données hormis les tonnages.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les données n'étaient-elles pas connues ?
M. Pierre Lebailly . - L'UIPP, qui en disposait grâce aux premiers panels, refusait de nous financer ou de nous communiquer ses données. Nous n'avons pu commencer à travailler que grâce aux associations caritatives (Ligue contre le cancer, ARC), car il n'y avait ni appel d'offres en épidémiologie, ni registre, ni institut ou agence de veille sanitaire.
Sur les liens entre pesticides et cancers , les premières études écologiques, au sens de ce terme en épidémiologie - c'est-à-dire des cartographies de pathologies - étaient parues aux États-Unis d'Amérique à la fin des années 1960 ; elles mettaient en évidence une sous-mortalité globale des agriculteurs, à ne pas confondre avec les ouvriers agricoles - cette sous mortalité est donc connue depuis le début - mais une surmortalité liée à certains cancers dans le Midwest agricole , à l'époque où la consommation de pesticides explosait. Se mettaient alors en place quelques études sur des cas-témoins en France, fondées sur la comparaison de groupes de personnes atteintes d'une pathologie avec la population générale, mais on se heurtait à la faiblesse des effectifs des agriculteurs atteints de pathologies peu fréquentes . C'est pourquoi a été constituée aux Etats-Unis (Iowa et Caroline du Nord) entre 1993 et 1996 la première grande cohorte de 50 000 agriculteurs, 30 000 conjoints et 5 000 applicateurs professionnels de pesticides (titulaires d'un certificat renouvelable tous les trois ans), qui a fourni, à ce jour, les données à la base de 165 publications.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui finance ?
M. Pierre Lebailly . - L'État fédéral et lui seul, les chercheurs pouvant compter sur un financement constant dix années durant, au lieu d'un ou deux ans en France. Avec nos faibles moyens, nous avons constitué en 1995, dans le Calvados, une première cohorte de 6 000 agriculteurs, qui ne permettait pas d'étudier les cancers rares.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi dans le Calvados ?
M. Pierre Lebailly . - Parce que c'est là que nous travaillions, et parce que nous voulions nous fonder sur des biomarqueurs de génotoxicité et pas seulement sur des questionnaires comme aux Etats-Unis : il valait donc mieux être à proximité. Le panel était représentatif car, en Basse-Normandie, comme dans l'ensemble de la France la moitié des exploitations pratiquent la polyculture et l'élevage.
En 1995, à Bordeaux, le Dr Isabelle Baldi commençait à constituer plusieurs cohortes pour étudier des pathologies neurodégénératives comme la maladie de Parkison et ses liens avec les pesticides (cohorte Paquid), la maladie d'Alzheimer et l'évolution des fonctions cognitives chez les ouvriers agricoles (cohorte Phytoner). Mais ni elle, ni moi n'étions capables de mesurer l'exposition aux pesticides. On admettait, en général, que l'exposition dépendait de la surface agricole traitée, mais la littérature agronomique soutenait le contraire. Nous avons donc constitué en 2000 un atelier sur la mesure de l'exposition. Parallèlement, un modèle de prédiction de l'exposition était créé dans le cadre de la procédure d'homologation au niveau européen. Les Français étaient alors les premiers utilisateurs de pesticides en Europe, les deuxièmes dans le monde, mais jamais il n'y avait eu d'études sur les conditions d'exposition, hormis celles de l'industrie, avant ou après homologation. Des études de terrain n'étaient exigées des industriels que dans le cas où les tests échouaient avec une tenue de protection complète , un habit de cosmonaute que jamais aucun agriculteur ne pourra porter. L'UIPP - qui finance mon laboratoire à hauteur de 45 000 euros par an - tentait par tous les moyens de nous dissuader d'entreprendre des études de terrain , arguant que les modèles de prévision de l'exposition étaient très conservateurs, basés sur des données des années 1980 qui surestimaient les expositions. Le recours à cet argument suffisait à obtenir l'homologation.
Au même moment, la cohorte américaine commençait à se fonder non plus seulement sur la surface traitée, mais sur d'autres critères comme le type d'équipements. Des études cas-témoins de plus grande taille étaient menées en France sur les tumeurs du système nerveux central, le cancer de la thyroïde ou du sein, le cancer broncho-pulmonaire, ou encore sur les lymphes, qui mettaient en évidence un lien avec le milieu agricole, sans préciser les pesticides ou les productions en cause. C'est en 2006 que nous avons pu proposer une étude plus ample, le programme Agrican .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - S'agit-il d'une étude sur la santé des agriculteurs en général ou sur les effets de l'utilisation de pesticides ?
M. Pierre Lebailly . - Sur les liens entre agriculture et cancer : il ne s'agit pas seulement des pesticides. La cohorte américaine, elle, est focalisée sur les pesticides : là-bas tout le monde en emploie...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne faudrait-il pas étudier spécifiquement le cas des utilisateurs de pesticides ?
M. Pierre Lebailly . - Pour mesurer la relation dose-effet, il est bon de comparer les personnes exposées à celles qui ne le sont pas.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Votre cohorte comprend-elle des travailleurs saisonniers, des aides familiaux ?
M. Pierre Lebailly . - Tous ceux qui ont cotisé au moins trois ans, saisonniers ou non, ont reçu le questionnaire.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourquoi cette durée ? En deçà de cette durée n'est-ce pas une exposition chronique ?
M. Pierre Lebailly . - Si nous n'avions fixé aucun critère, nous aurions affaire à 850 000 personnes au lieu de 560 000... Le budget n'a été bouclé que l'an dernier ; heureusement, on fait crédit aux centres de recherche contre le cancer... A l'initiative du National Cancer Institute (NCI), un consortium international nommé Agricoh ( Agricultural Consortium of Agricultural Cohort Studies) a été constitué, regroupant vingt-quatre cohortes dans onze pays : les chercheurs américains, en butte aux attaques des industriels, cherchaient à conforter leurs propres résultats en les confrontant à ceux d'études étrangères. En 2011, ont été publiées les premières données et émises les premières critiques. Le consortium associe des pays en voie de développement, où les problèmes de santé ne sont pas les mêmes : Costa Rica, Afrique du Sud, Ethiopie bientôt... Quant aux Norvégiens, ils exploitent une pseudo cohorte en croisant les données du recensement agricole avec leur registre national d'incidences, celui sur l'état de santé général de la population, etc.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pour vous, c'est le rêve ?
M. Pierre Lebailly . - Oui, parce que cela permet d'obtenir l'information souhaitée très vite et pour un coût moindre.
Mme Sophie Primas , présidente . - A quelles données voudriez-vous avoir accès ?
M. Pierre Lebailly . - Il faudrait constituer un registre national des cancers. Les détenteurs actuels de registres y sont curieusement hostiles... On dit que cela coûterait un euro par habitant et par an , un chiffre qu'on extrapole à partir du coût des registres départementaux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce registre pourrait-il être anonyme ?
M. Pierre Lebailly . - L'essentiel est de connaître la catégorie professionnelle et la région où vivent les malades , afin d'identifier les problèmes. A l'heure actuelle, on ne connaît même pas le nombre annuel de nouveaux cancers en France : 360 000 n'est qu'une estimation fondée sur les données des départements dotés d'un registre alors que les létalités constatées ne sont sans doute pas représentatives de la France entière. Un registre national servirait non seulement à la recherche, mais à la prise en charge des patients ! Les pays scandinaves possèdent des registres nationaux des maladies cardio-vasculaires, des malformations congénitales, des cancers, et en créent un autre sur la maladie de Parkinson. En France, les données sur la maladie de Parkison se limitent à deux départements (cohorte Paquid).
Mme Sophie Primas , présidente . - On craint toujours que de tels fichiers ne soient utilisés à mauvais escient.
M. Pierre Lebailly . - La Suède est à certains égards un pays plus démocratique, où l'on pratique la transparence, et ce genre de fichiers ne pose aucun problème. On utilise même couramment le numéro unique d'identification. Les Scandinaves et les Américains sont goguenards lorsque nous leur parlons de nos difficultés pour recueillir des données.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui freine ?
M. Pierre Lebailly . - Le corps médical. Des sociologues ont montré que les médecins considéraient leurs patients comme leur propriété... En 1995, le médecin-chef du travail s'était opposé à ce que nous constituions une cohorte dans le Calvados ; heureusement, les chefs d'exploitation ne relevaient pas de lui.
Toutefois, la situation est en train d'évoluer : il y a désormais une veille sanitaire en France, et les appels à projets sont plus nombreux en épidémiologie. Reste que nous nous privons d'outils efficaces, et que nous ne formons pas assez d'épidémiologistes, déjà faute d'enseignants .
Je vais à présent tâcher de répondre aux questions que vous m'avez adressées par écrit. L'objectif d' Agrican est évidemment de déterminer les causes de cancer, pesticides ou autres. Au sein de la cohorte, seuls 48 % des hommes déclarent utiliser des pesticides, mais ce ne sont pas les seuls exposés, bien au contraire : celui qui taille la vigne est davantage exposé sur l'année que celui qui y applique un produit . Nous nous sommes donc gardés de ne retenir que des utilisateurs, contrairement à ce qui a été fait dans la cohorte américaine. En viticulture, en arboriculture, dans les cultures maraîchères - comprenant des expositions indirectes lors des phases de réentrées - il faut compter avec de fortes expositions indirectes, notamment chez les femmes . Ce problème était totalement méconnu jusque récemment, malgré une étude hollandaise sur la pomiculture de la fin des années 1990 montrant que les cueilleurs étaient davantage exposés que les applicateurs : on s'étonnait de nos relevés métrologiques sur des non-utilisateurs alors même que ceux-ci ne portaient aucune protection et ne se lavaient pas les mains ... Dans une exploitation agricole, il y a beaucoup de main-d'oeuvre, mais seulement deux ou trois personnes sont utilisatrices de pesticides ; la quasi-totalité des exploitations ont recours à ces produits, mais notre cohorte est représentative de la population agricole, pas des exploitations.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi ne pas étudier spécifiquement les utilisateurs ?
M. Pierre Lebailly . - Ils sont déjà nombreux dans notre cohorte de 100 000 hommes. Pour l'instant, nous avons comparé celle-ci avec la population générale, mais nous allons aussi réaliser des analyses internes, calculer des gradients pour apprécier les effets de l'utilisation des pesticides dans tel ou tel secteur.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les industriels nous opposent que, d'après vos données, les agriculteurs souffrent moins du cancer que les autres... Peut-on vraiment tirer cette conclusion ?
M. Pierre Lebailly . - Un fumeur sur deux meurt de son tabagisme, or les agriculteurs fument quatre à cinq fois moins que la population générale. Leur habitude de vie les met en meilleur état de santé, on le sait. Pour ma part, je suis presque convaincu que les pesticides ont un effet cancérogène , mais si l'on peut supposer qu'ils doublent le risque de leucémie, fumer un paquet de cigarettes par jour décuple le risque de cancer broncho-pulmonaire, un cancer beaucoup plus fréquent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il faudrait donc, si j'ai bien compris, distinguer à l'intérieur de la cohorte entre les utilisateurs, les exposés et les modes d'exposition.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'interprétation des industriels serait donc abusive.
Mme Sophie Primas , présidente . - Voilà pourquoi il convient de regarder de près l'étude Agrican.
M. Pierre Lebailly . - Certains ont conclu que les 52 % de personnes ayant répondu au questionnaire en précisant qu'ils n'étaient pas utilisateurs de pesticides étaient des agriculteurs biologiques, comme si le questionnaire visait des exploitations agricoles et non des personnes. Vous m'avez demandé si les douze départements retenus pour établir la cohorte étaient représentatifs : par chance, oui, d'après les données du recensement agricole sur l'orientation technico-économique des fermes, et malgré une légère sous-représentation de l'arboriculture et une légère surreprésentation de la viticulture.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - On ne dispose pas encore d'analyses internes ?
M. Pierre Lebailly . - Non : rappelez-vous que nous n'avons constitué la cohorte qu'en 2006, en quémandant des fonds ! Les premiers résultats, parus fin 2011, concernent la mortalité , d'après le fichier national des causes de décès.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - On dit que le lien entre mortalité et morbidité n'est pas toujours évident à établir.
M. Pierre Lebailly . - Pour les cancers très létaux comme le broncho-pulmonaire, les données de mortalité sont correctes, c'est moins vrai du cancer de la prostate ou du sein. Nous pouvons ainsi disposer d'une image de l'état de santé de la population agricole, mais pour les analyses internes, nous nous servirons des données d'incidence : le croisement avec les registres de cancer, qui est un travail de longues haleine, est en cours, avec le même algorithme pour les douze registres, ce qui évitera toute distorsion.
La cohorte comprend bien les travailleurs saisonniers ayant cotisé au moins trois ans à la MSA. Pourtant, en viticulture, certains reviennent chaque année dans la même ferme et sont très exposés aux pesticides. Ils sont, en partie, dans Agrican mais la MSA ne les suit pas .
Mme Sophie Primas , présidente . - Le temps qu'ils prennent rendez-vous avec le médecin du travail, la saison est terminée...
M. Pierre Lebailly . - C'est pourquoi l'approche gagnerait à être collective plutôt qu'individuelle. Les médecins du travail devraient se rendre sur le terrain pour inspecter les postes de travail plutôt que de multiplier les consultations individuelles : certains le disent. Il leur faudrait alors des moyens de fonctionnement, et notamment des outils de métrologie. Il serait bon que la MSA adhère à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), car elle ne dispose pas de ses propres laboratoires. De son côté, l'INRS n'a pas de mandat pour s'intéresser au monde agricole.
L'UIPP nous finance, minoritairement. Nous n'en aurions pas besoin si nous pouvions user aussi librement des fonds de l'État ou des agences ! Avec l'UIPP, nous sommes liés par une convention triennale qui n'oblige qu'à un rapport oral annuel. En revanche, l'ANSES qui nous avait accordé un budget en novembre, a exigé un rapport en décembre ! Deux ans après la constitution de la cohorte, elle s'étonnait que nous n'ayons encore effectué aucune publication. Or le suivi durera au moins quinze ans ! Aux Etats-Unis, il a fallu huit ans avant que puissent être publiées les premières études ; pour nous, les trois premières publications sont attendues cette année. En fait, on nous demande au moins trois rapports scientifiques et des rapports financiers pour une subvention sur deux ans !
Mme Sophie Primas , présidente . - En même temps, il est normal d'exercer un contrôle.
M. Pierre Lebailly . - Sans doute, mais les chercheurs américains ont une visibilité sur dix ans. A part les investissements d'avenir, aucun appel d'offre français ne va au-delà de trois ans.
Nous sommes capables de mesurer l'effet des pesticides sur l'entourage des agriculteurs , car beaucoup de conjoints cotisaient sans exercer de tâche agricole directe. Quant aux riverains , la cohorte comprend 5 à 10 % d'affiliés du régime agricole qui n'ont jamais travaillé dans une exploitation agricole mais vivent dans le milieu rural, comme les salariés de Groupama, du Crédit agricole, de la MSA, des chambres d'agriculture, du machinisme agricole. Mais l'objet principal est d'identifier les facteurs de risque professionnels et non les risques environnementaux.
Quant à votre question sur les études de référence, la référence, aujourd'hui, c'est la cohorte américaine avec une limite provenant des familles chimiques étudiées puisque, en grande culture, pratiquement aucun fongicide n'est utilisé aux États-Unis alors que la France en utilise beaucoup.
Pour en revenir à l'étude de mortalité par cancer au sein de la cohorte Agrican entre 2006 et 2009, celle-ci a surtout mis en évidence un déficit de cancers du larynx, de la trachée, des bronches, du poumon. Pour d'autres cancers, on ne dispose que de tendances. Nous allons bientôt consolider les chiffres en incluant l'année 2010.
Mme Sophie Primas , présidente . - Est-il probable que les différences ne soient pas très significatives ?
M. Pierre Lebailly . - Absolument, sauf si des tendances s'affirment. On peut confronter ces données avec celles de l' Agricultural Health Study . L'étude américaine porte sur une cohorte moins nombreuse, composée uniquement d'actifs, entre 1993 et 2007. Pour notre part, nous pourrons comparer l'état de santé de générations différentes, différemment exposées aux pesticides. Dans l'ensemble, nos résultats se rejoignent.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Avez-vous repéré des corrélations avec les pesticides et lesquelles ?
M. Pierre Lebailly . - J'ai dressé le bilan de la littérature américaine. Malgré une sous-mortalité liée au cancer de la prostate aux Etats-Unis , on constate une surincidence de ce cancer dans la population agricole étudiée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et le cancer des ovaires ?
M. Pierre Lebailly . - Les utilisatrices de pesticides, peu nombreuses, y sont exposées. Donc il y a très peu de cas.
Mme Sophie Primas , présidente . - N'est-il pas curieux que les agriculteurs soient moins sujets aux mélanomes ?
M. Pierre Lebailly . - C'est ainsi pour l'agriculteur américain. Une cohorte prospective a ses limites.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les gens portaient-ils une tenue de protection ?
M. Pierre Lebailly. - On est supposé se comporter avec un équipement de protection individuelle comme si on n'en portait pas. De fait, ce n'est pas le cas et on omet de prendre les mêmes précautions. Par ailleurs, la plupart des combinaisons mises sur le marché sont perméables . Il y a encore deux ans, elles n'avaient d'ailleurs jamais été testées pour leur perméabilité à un nuage de pulvérisation. Suite à une alerte d'un agronome de l'équipe du Dr Isabelle Baldi, il y a eu une étude de l'ANSES à ce sujet. On s'est aperçu, grâce une étude de terrain ( Pestexpo ) avec l'Institut technique de la vigne, qu' on était davantage contaminé avec une combinaison que sans lors de l'utilisation d'un pulvérisateur à dos .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Y en a-t-il d'efficaces ?
M. Pierre Lebailly. - Le port de combinaison est impossible à supporter en milieu agricole pour l'application des pesticides. Certains ont proposé des tabliers en ciré pour l'étape de la préparation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et les gants ?
M. Pierre Lebailly. - Même sans aucune protection, il est possible de ne pas être contaminé. Mieux vaut utiliser correctement les produits. Voilà la prévention. L'équipement de protection ne doit intervenir qu'en dernier ressort.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et pourtant, on dit qu'il faut se protéger.
M. Pierre Lebailly. - Ce n'est pas possible. Certes, les équipements représentent un gros marché. Jusqu'à un passé récent, le Cemagref ne se préoccupait pas de l'adéquation entre les nouveaux pulvérisateurs et le risque chimique. Les vendeurs ne savaient pas comment fonctionnaient ces engins et les agriculteurs n'avaient jamais été formés à les utiliser.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et Certiphyto ?
M. Pierre Lebailly. - Il n'y a pas de travaux pratiques prévus avec Certiphyto.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Certains de nos interlocuteurs ont laissé entendre le contraire.
M. Pierre Lebailly. - Quant aux études, où sont-elles ? Sortons du discours. Il n'a jamais été démontré qu'une action de prévention avait l'effet escompté. Nous devrions, comme les Anglo-saxons, faire des essais ramdomisés : l'exposition est très facile à constater, comme nous l'avons fait en utilisant un colorant bleu à l'occasion d'une mise en situation pour former des médecins du travail. J'aimerais d'ailleurs proposer cette expérimentation à un étudiant dans le cadre de Certiphyto.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Précisément, qu'en est-il aujourd'hui de Certiphyto ?
M. Pierre Lebailly. - Certiphyto ne va pas résoudre tous les problèmes. Il ne prévoit rien pour les exposés indirects et ne comporte pas de mise en situation. Par ailleurs, on ne vérifie pas l'effet des préconisations. Peut-être y gagnera-t-on du point de vue environnemental, mais sans réduire les expositions.
Pour revenir à la cohorte américaine , un mot de la liste des cinquante pesticides pris en considération dans cette cohorte. La liste des fongicides est très courte. Mais tous les pesticides figurant sur la liste se retrouvent en France, et étudier ceux qui ont été interdits, comme le DDT , inciterait à éviter les erreurs. Nous disposons de vingt-sept publications et l'on repère bien, par exemple, une liaison significative entre le diazinon et le cancer du poumon , même en tenant compte du tabagisme, et, avec la leucémie, on appréhende également la relation dose-effet. Mais il a aussi été constaté un effet protecteur des pesticides faces au cancer du pancréas ou du côlon .
Cependant, une étude, même très bien faite, ne vaut pas un faisceau d'arguments. Pour certains pesticides, on ne trouve aucune relation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vos travaux enrichissent-ils l'étude américaine en incorporant les fongicides ?
M. Pierre Lebailly. - Oui, ainsi que sur des herbicides, car les Etats-Unis ne pratiquent pas le désherbage d'hiver. Je vous fais d'ailleurs observer que l' atrazine n'est pas interdit aux États-Unis ; du point de vue cancérologique, c'est une aberration de l'avoir interdit . C'est, le seul pesticide retiré du marché qui a été déclassé de 2 B à 3 par le Centre international d'études sur le cancer (CIRC).
Qu'il s'agisse de l'effet dose ou de l'ajustement à la consommation de tabac, il est difficile de faire beaucoup mieux que l'étude AHS . Il n'en reste pas moins à tirer parti de ses résultats que l'industrie s'ingénie à réfuter.
Mme Sophie Primas , présidente . - Combien l'ensemble des cohortes du consortium inclut-il de personnes ?
M. Pierre Lebailly. - Au total, nous incluons désormais un million de personnes dans l'ensemble des cohortes du consortium Agricoh, dont 500 000 pour la cohorte norvégienne, 100 000 pour la cohorte américaine, et 180 000 pour nous - c'est toujours en construction.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quand aurons-nous des réponses au moyen d' Agrican ?
M. Pierre Lebailly. - Après la mortalité, nous allons étudier l'incidence, c'est-à-dire les nouveaux cas. J'espère inclure les nouveaux cas avant l'été afin de mettre au jour avant le début de l'année prochaine les facteurs de cancers broncho-pulmonaires. Pour certains cancers, les certificats de décès ne permettent pas de connaître avec précision la cause du décès. Pour les cancers broncho-pulmonaires, alors que l' arsenic était classé depuis toujours en niveau 1 et que les dérivés d' arsenic ont été, au bout de cinquante ans, interdits pour les agriculteurs, on trouve toujours ces produits dans les jardineries (produits anti-fourmis). On sait pourtant qu'ils sont cancérogènes et qu'il y a des alternatives. À noter qu'il existe des chaînes de production en Chine où les salariés manipulent de l' arsenic . De plus, le produit ne reste pas dans la boîte.
Dans votre questionnaire, vous m'avez interrogé sur l'utilité du programme Matphyto . Ce programme reproduit un travail que nous avons mis en place : une matrice sur les pesticides, spécifique au milieu agricole ( Pestimat ). Comment mesurer l'intensité de l'exposition ? Pour identifier les plus gros utilisateurs, il faut déjà savoir qui utilise, ou a utilisé, quoi. Contrairement aux Américains, nous considérons que si l'agriculteur connaît son histoire de culture, en revanche, il ne peut dire de façon fiable les produits qu'il a utilisés. Au demeurant, le ministère de l'agriculture n'est pas plus capable de donner les dates d'autorisation et de retrait de chaque molécule. Voilà pourquoi nous reconstruisons l'histoire des molécules depuis 1950 à partir de l'histoire des cultures et des renseignements communiqués, mais à titre confidentiel, par l'industrie. Ce serait intéressant d'étendre cela aux autres professions qui utilisent des pesticides : les menuisiers, les charpentiers et les paysagistes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous n'auriez alors plus besoin de quémander une partie de votre budget auprès de l'UIPP ?
M. Pierre Lebailly. - 450 000 euros depuis dix ans...
Mais je ne veux pas conclure sans mentionner l'espérance de vie des agriculteurs . Pour les hommes, à 35 ans, elle s'établit à 43,5 ans contre 41 ans pour le reste de la population et cela, alors qu'ils sont plutôt en surpoids et consomment plus d'alcool que la population générale. Cela a été constaté depuis longtemps et étonne en général puisque les agriculteurs sont en contact avec les pesticides mais les facteurs environnementaux jouent un rôle majeur dans ce phénomène. En revanche les données manquent pour les ouvriers agricoles , qui se situeraient en deçà, sans doute dans le bas de la strate des ouvriers avec, à 35 ans, une espérance de vie de 39 ans, soit la plus faible.
De tout cela, je voudrais retirer quelques suggestions. D'abord, il est indispensable de connaître l'exposition professionnelle aux pesticides en agriculture . En 2010, on vient de rater - encore ! - le recensement agricole décennal , qui aurait offert une belle occasion d'en savoir plus, à la fois sur l'utilisation des pesticides en agriculture et sur le matériel de traitement. Mais à condition que le questionnaire comporte des questions sur ces thèmes.
Comment alors disposer de données indépendantes de l'industrie , comme en possèdent beaucoup de pays de l'OCDE ? Si l'on établissait des échantillons représentatifs de la population agricole et que l'on assurait des suivis ciblés, on n'aurait pas besoin d'attendre plusieurs décennies le renouvellement des matériels et l'on pourrait déterminer des marqueurs d'exposition dans l'industrie et décider certaines interdictions.
Une expertise collective est en cours à l'INSERM sur santé et pesticides, à laquelle je participe. L'étude de certains pesticides apparaît prioritaire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne fait-on pas exprès de ne pas recueillir ces données ?
M. Pierre Lebailly. - C'est possible. Il serait intéressant d'imposer aux industriels de suivre les personnels de leurs chaînes de production avec des marqueurs à court terme pour suivre particulièrement les gens exposés, de même dans des fermes pilotes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le protocole REACH n'inclue-t-il pas de tels aspects ?
M. Pierre Lebailly. - Absolument pas. Les agriculteurs tiennent théoriquement des registres, qui ne servent pas à surveiller leur santé. Actuellement, ces registres peuvent éventuellement servir a posteriori pour demander une réparation. En attendant, rien n'est organisé pour recueillir ces informations alors qu'il serait facile de regarder ce qui se passe secteur par secteur.
De plus, il n'existe aucun contrôle de la tenue de ces registres .
À noter que la confrontation entre les différentes formes d'agriculture n'a pas de sens en termes de santé : l'agriculture bio utilise des pesticides d'origine naturelle et ses pratiques ne sont pas toujours respectueuses de l'environnement. On aurait pourtant intérêt à éviter les pesticides dans certains secteurs en revenant aux fondamentaux de l'agronomie, ce qui est possible pour les céréales et à production équivalente .
S'agissant des équipements de protection , soyons réalistes et ne renouvelons pas les erreurs commises pour l' arsenic et pour l' amiante : il n'y a pas d'équipement magique et il n'y aura jamais d'exposition zéro aux pesticides !
Mme Sophie Primas , présidente . - Peut-il y avoir des expositions à des doses non dangereuses ?
M. Pierre Lebailly. - Tout à fait. L'argument de l'exposition zéro ne vaut que lorsque l'effet cancérogène n'est pas avéré. Sinon, il faut être complètement imperméable à cette argumentation - ce qui n'a été le cas ni pour l' arsenic ni pour l' amiante .
Matphyto pourrait servir à développer des matrices d'exposition professionnelle pour des métiers non agricoles. Il faudrait éliminer du marché des aberrations telles que les produits anti-fourmis pour la maison, mais aussi le lindane présent dans les anti-poux, qui sont associés à des cancers chez l'enfant.
Enfin, j'aimerais convaincre l'Observatoire des résidus de pesticides et l'ANSES d' effectuer des études d'exposition représentatives des foyers français . Le problème ne provient certainement pas de la consommation d'eau, mais, pour évaluer l'alimentation, on ne se donne pas les moyens de mener des études fondées sur la vraie dose de pesticides à estimer, grâce à des repas dupliqués, ou encore d'autres études sur les usages domestiques de pesticides.
Vous l'avez compris, je me suis investi dans cette cohorte parce que je pense que c'est efficace.
Pour terminer, je voudrais réagir au récent rapport de l'OPECST sur « Pesticides et santé » . Il faut nourrir le monde, assure-t-il. Sans doute. Pourtant, le tiers de la nourriture achetée par une famille moyenne allemande chaque semaine va à la poubelle : devons-nous tous imiter ce modèle ? L'obésité ne devait pas traverser l'Atlantique et nous serons bientôt à 15 % voire 20 % d'obèses en France. Est-ce le modèle que nous voulons exporter ? Nous mangeons trop de viande, facteur démontré de cancer colorectal, et produisons trop de denrées végétales pour nourrir le bétail. Mangeons moins, mais mieux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Table ronde de sénateurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) (27 mars 2012)
Mme Sophie Primas , présidente. - Merci à vous quatre d'être venus nous faire partager le fruit de votre travail et de vos réflexions.
Cette mission d'information sur la santé et les pesticides est à la fois un sujet vaste et passionnel, où les intérêts sont assez divers, qu'ils soient économiques, environnementaux, agricoles ou qu'ils aient à voir avec la santé publique.
Nous avons, avec Mme le rapporteur, décidé de resserrer cette mission autour de la santé des hommes et des femmes qui sont en contact direct avec les pesticides, en particulier ceux qui les fabriquent et qui les utilisent - industriels, agriculteurs, saisonniers, personnels non agricoles des collectivités territoriales ou autres.
Il serait souhaitable de mener, dans un second temps, un travail sur les pesticides et l'environnement concernant leur rémanence dans l'alimentation, le sol, la mer, l'air, etc.
Nous sommes très intéressés par vos expériences. Je demanderai à chacun d'entre vous de nous présenter la manière dont vous avez procédé, de nous présenter vos méthodes et les conditions dans lesquelles vous avez travaillé. Avez-vous ressenti une certaine pression au cours de vos investigations ? Avez-vous été confrontés à des conflits d'intérêts lors de vos auditions ? Il serait peut-être intéressant que vous nous éclairiez sur les précautions à prendre en la matière...
Si c'était à refaire, mèneriez-vous les choses différemment ? Pouvez-vous nous rappeler vos principales recommandations et en retenir une ou deux ? Quelques années ou quelques mois après la parution de vos rapports, que sont devenues vos recommandations ?
M. Gilbert Barbier . - Ce sera rapide !
Mme Sophie Primas , présidente. - Il est vrai que, dans votre cas, cela ne remonte qu'à quelques mois ! Quelles méthodes pouvez-vous nous suggérer et quelles recommandations pourriez-vous nous adresser ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Je voudrais revenir sur la mission qui est la nôtre, dont je suis l'initiatrice et que mon groupe, puis le Sénat, a acceptée. Il ne s'agit pas de faire double emploi avec les rapports dont vous êtes venus parler mais d'être complémentaire. C'est en ce sens que nous avons besoin de vous, afin de préciser des éléments que vous auriez mis en évidence et que nous pourrions enrichir.
Je suis sénateur, élue de Charente, et je suis partie de l'alerte lancée par l'association Phyto-Victimes, dont le président est M. Paul François, un agriculteur qui demeure à côté de chez moi. Il a été intoxiqué au Lasso et a eu les plus grandes difficultés à faire reconnaître son état comme maladie professionnelle. Il a fini par obtenir gain de cause et a intenté un procès à Monsanto. Vous connaissez la suite...
Partant de là, j'ai trouvé intéressant que nous puissions travailler sur cette problématique au travers d'une mission. Tel est donc l'objet de celle-ci qui concerne également, comme l'a dit Mme la présidente, l'ensemble de la chaîne, de la fabrication jusqu'aux riverains, particuliers ou jardiniers du dimanche qui utilisent parfois ces produits dans de mauvaises conditions.
Mme Sophie Primas , présidente. - La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, auteur du rapport le plus ancien sur « Les risques chimiques au quotidien » en 2008.
Mme Marie-Christine Blandin . - Ce rapport a été réalisé dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Nous avions été saisis, d'une part, par le groupe socialiste du Sénat et, d'autre part, par la commission des affaires économiques. L'une des deux saisines concernait les éthers de glycol et la seconde les polluants domestiques.
Nous avons regroupé les deux sujets afin d'étudier comment les substances présentes dans la vie quotidienne du citoyen peuvent impacter sa santé. N'étant pas spécialistes, nous nous sommes orientés vers la veille, l'expertise et les connaissances professionnelles afin d'étudier comment celles-ci protègent ou non la sécurité du citoyen. C'est la latitude que se donne l'OPECST quand il est l'objet d'une saisine, après avoir fait valider le sujet par les membres de l'office.
Quant à la méthode, nous avons respecté celle de l'OPECST : le parlementaire ou les deux parlementaires mandatés - en l'occurrence, j'étais seule, accompagnée d'un administrateur - auditionnent personnellement toutes les personnes qu'ils souhaitent entendre. Ces auditions ont duré deux ans car on touchait à la cosmétique, à la mécanique, à l'agriculture, aux produits ménagers, à la pollution intérieure qui provient de l'extérieur, aux produits de construction, etc.
Ce qui vous intéresse ne concerne qu'une faible partie de ces sujets, sauf en matière de veille, d'analyse et d'expertise, voire de conflits d'intérêts, ainsi que vous l'avez suggéré.
En revanche, ce rapport a une particularité qui n'est pas celle de tous les rapports de l'OPECST : en effet, le second tome contient les auditions, les personnes auditionnées s'étant engagées sur ce qui a été imprimé, tandis que le premier concerne les conclusions que nous en avons tirées, qui engagent l'OPECST mais non les personnes qui ont été entendues.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Peut-on travailler en profondeur sur un sujet aussi vaste ?
Mme Marie-Christine Blandin . - On peut approfondir la veille en matière de santé du citoyen, du travailleur, du professionnel agricole, etc. et se pencher également sur la façon dont la France suit l'évolution de sa population.
Aux États-Unis d'Amérique, à chaque fois qu'on pratique une analyse d'urine ou de sang des citoyens, on en garde un échantillon pour l'Agence de veille qui étudie les substances qu'il comporte ; on a ainsi une photographie permanente de ce que contient le corps de la moyenne des citoyens des Etats-Unis.
Ce n'est pas le cas en France, sauf en matière de produits agricoles , domaine dans lequel une grande étude est en cours. Elle est menée par la Mutuelle de santé agricole (MSA) et s'adressera aux professionnels. On n'étudie donc pas l'état de santé de l'ensemble de la population. Des associations militantes comme Greenpeace ont mené une étude sur le sang du cordon ombilical . Beaucoup de pollueurs affirmaient en effet qu'on ne pouvait savoir ce que les personnes qui prétendent avoir été contaminées dans le cadre de leur activité professionnelle font chez elles. D'autres considéraient que c'est au travail que les gens se contaminent. Les bébés, eux, ne fument pas, ne consomment pas de substances hallucinogènes et ne manipulent pas l'amiante . Pourtant, on trouve dans le sang du cordon ombilical une vingtaine de molécules qui n'ont rien à y faire ! Or, l'étude de l'impact de ces substances dans le monde du travail montre que celles-ci sont cancérogènes ou constituent des perturbateurs endocriniens.
Le groupe de pression le plus violent, voire les plus menaçant, a été celui des cosmétiques internationaux. L'Oréal, qui ne sait pas comment fonctionne le Parlement français, nous a en particulier prévenus, depuis la Suisse, que si nous établissions une valeur-guide pour les éthers de glycol, il casserait nos mandats ! Mais en France, on est encore en République ! On ne casse pas ainsi les mandats des élus ! Les autres groupes de pression agissent différemment...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Vos préconisations ont-elles été suivies ?
Mme Marie-Christine Blandin . - Nous en avons établi beaucoup mais très peu ont été suivies. Nous avons voulu promouvoir une nouvelle catégorie dans la classification européenne des substances chimiques, celle des perturbateurs endocriniens . C'est un domaine très spécifique. Les travaux progressent mais rien ne figure encore dans les tableaux. Il s'agit d'une décision européenne que la France n'a pas bien portée. Nous voulions un projet de loi sur l'alerte et l'expertise qui institue une haute autorité indépendante . Mes collègues ont préféré une instance spécifique de garantie de l'indépendance de l'expertise. Le Gouvernement devait rendre un rapport dans l'année : cela n'a jamais été fait. Nous avons fait figurer un amendement dans le Grenelle de l'environnement : il n'a jamais été suivi d'effet ! J'ai posé une question d'actualité durant le scandale du Mediator au ministre, M. Xavier Bertrand, qui m'a répondu que le sujet était tellement grave qu'on allait mettre en place quelque chose de bien plus ambitieux qu'une haute autorité. C'est pourtant un point central : il s'agissait d'établir un contrôle extérieur aux agences de santé en matière de liens d'intérêts des chercheurs.
Vous auditionnerez sûrement des personnes qui prétendront que les pesticides sont bons pour la santé et d'autres qui affirmeront qu'ils sont très mauvais : en tant que parlementaire, on est très gêné. Cette haute autorité aurait pu confronter les deux points de vue et demander une recherche complémentaire. Malheureusement, elle n'a pas vu le jour !
Cependant, j'ai réussi à faire passer les notions de valeur-guide et d'émissivité dans le Grenelle de l'environnement . Je n'ai pas réussi à imposer de plan de rattrapage pour les chercheurs en toxicologie et en épidémiologie mais l'ensemble de la recherche a tellement perdu de financements qu'ils ont finalement été moins atteints que les autres ! On a le sentiment de les avoir protégés de la disparition.
Les unités santé-environnement au sein des hôpitaux n'ont pas plus été mises en place, Mme Roselyne Bachelot ayant estimé que la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) concernait uniquement les hôpitaux et l'organisation du système de soins, la loi de santé publique étant repoussée à plus tard. C'est le discours que tient tout le monde et la santé publique demeure sous-équipée !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - En quoi notre mission pourrait-elle prolonger votre rapport ?
Mme Marie-Christine Blandin . - Je pense qu'il faut revisiter tout ce qui fonctionne à l'OPECST et tout ce qui ne fonctionne pas .
Théoriquement, l'OPECST était destiné à nourrir l'expertise du Parlement et de la société ; il s'agissait d'une loi du Gouvernement Mauroy au service de la santé du citoyen.
Dans une note récente, le Secrétariat général de la Questure du Sénat nous informe que l'Office va disposer de moyens pour établir un rapport sur les perspectives de l'aviation civile. Ce n'est pas son travail ! On a donc modifié la vocation de l'Office. Ce sont les groupes de pression qui sont derrière tout cela...
Mme Catherine Procaccia . - L'Office a beaucoup évolué ; il traite en particulier des déchets nucléaires et non plus seulement de la santé, pour laquelle il existe un autre organisme spécifique. Les choses ont beaucoup changé depuis sept ans que j'y siège !
Mme Marie-Christine Blandin . - Les statuts sont les statuts ! Les choses ont beaucoup évolué au profit des groupes de pression. Il existe ainsi un rapport de l'OPECST sur les vertus des produits issus de la vigne dans le domaine des cosmétiques. Certains milieux sont très intéressés par le sujet, il faut être honnête ! Nous sommes entre nous : si vous ne voulez pas le faire figurer dans le rapport, libre à vous mais je tiens à vous alerter sur ce sujet. C'est très utile !
Si vous voulez travailler sérieusement sur les pesticides, il vous faut nourrir votre information en toute indépendance et choisir ceux que vous voulez entendre. L'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) soutiendra que les produits phytosanitaires sont aujourd'hui de quasi-médicaments pour les plantes et elle sera très prompte à vous proposer des experts qui vous affirmeront que cette industrie prend énormément de précautions. C'est à vous de rechercher les personnes que vous voulez auditionner, qui porteront un autre regard sur le sujet. Il existe à l'Institut national de recherche agronomique (INRA) un certain nombre de laboratoires qui étudient les contaminations et leurs effets. Il faut également vous imprégner de la toxicologie actuelle ; beaucoup de gens vous parleront de seuils en affirmant qu'il n'existe pas de danger en deçà d'un certain niveau. Il faut sortir de ce cadre.
Les toxiques s'accumulent en effet dans les graisses. Il s'opère alors dans le corps un phénomène de relargage qui produit chaque jour des dégâts. D'autre part, les perturbateurs endocriniens sont des substances toxiques au centième de milligramme près si elles agissent vers la septième ou la huitième semaine après la formation de l'embryon.
Selon un praticien du CHR de Lille que nous avons entendu, il se produit des dégâts considérables sur la formation des organes de reproduction et des organes urinaires des bébés, au point d'avoir des enfants sans sexe déterminé. Les études du Pr Charles Sultan, à Montpellier, ont montré des problèmes de cancer du sein chez la petite fille de douze ans induits par les contaminations de la mère durant sa grossesse. Cela n'a rien à voir avec les seuils : il s'agit en fait de molécules qui envoient un faux message à notre système hormonal. On sait aussi que les problèmes de fertilité masculine sont très liés. Un soupçon pèse également, bien que les études ne soient pas achevées, sur la neurotoxicité - maladie de Parkinson, d'Alzheimer, etc.
On ne peut que plaider en faveur d'une recherche indépendante plus importante sur le sujet. Cela renvoie au principe de précaution : quand le soupçon est fort, il faut se garder d'employer ces substances !
Mme Sophie Primas , présidente. - La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia . - Notre sujet était très circonscrit : il s'agissait d'étudier les incidences de l'usage de la chlordécone et autres pesticides aux Antilles . La chlordécone est un polluant organique extrêmement persistant : au cours de nos études, nous nous sommes rendu compte que les sols sont pollués pour 150 à 750 ans en Martinique et en Guadeloupe !
J'ai travaillé avec M. Jean-Yves Le Déaut, député socialiste et chimiste de formation, dont les connaissances m'ont bien aidée à appréhender certaines données. Nous avons auditionné énormément de personnes. Nous sommes allés deux fois aux Antilles. Nous n'avons pas subi de pressions. Il est vrai que certains organismes se sont montrés plus empressés que d'autres à se rapprocher de nous mais c'est plutôt nous qui avons mis la pression, en particulier sur les fabricants de produits phytosanitaires.
Je l'ai déjà dit et je le répète : j'ai eu le sentiment d'être dans un roman d'aventures dans lequel il fallait faire des recherches et où toutes les portes se fermaient lorsque nous cherchions à obtenir des informations.
La chlordécone est un pesticide inventé et fabriqué aux États-Unis d'Amérique qui ont connu un incident de fabrication qui a pollué leurs rivières. Ils ont donc interdit ce produit que l'on voit réapparaître aux Antilles bien après. Nous avons cherché à savoir ce qui s'était passé entre-temps et avons fini par découvrir que les États-Unis ne produisaient plus de chlordécone mais la faisaient fabriquer au Brésil.
Un des grands thèmes de notre rapport parodie un peu une aventure d'Indiana Jones. Un des chapitres du rapport s'intitule : « A la recherche de la chlordécone perdue » ! Nous avons en effet eu beaucoup de mal à progresser et avons fini par obtenir des chiffres. Nous nous sommes rendu compte qu'entre les tonnes de chlordécone produites et celles utilisées aux Antilles existait un énorme écart, seule une part marginale y ayant été utilisée.
Notre quête a fini par nous apprendre que la chlordécone a été énormément employée sous une autre forme dans les pays de l'Est et en Allemagne - on se demande même si elle ne l'a pas été en France métropolitaine - pour lutter contre les doryphores dans les cultures de pommes de terre.
Nous nous sommes réparti les missions et je suis allée en Allemagne où j'ai, entre autres, rencontré les Verts au Parlement pour leur expliquer qu'un laboratoire avait trouvé des traces de chlordécone dans l'eau. Cela n'a jamais débouché sur rien ! Le secret industriel et le secret des États a fait que des pays qui sont peut-être plus pollués que les Antilles ne sont pas connus et ne font l'objet d'aucune étude ou enquête !
Pourquoi ? On n'a pas trouvé la façon de se débarrasser de cette molécule : quand elle entre en contact avec le sol, elle n'en sort plus ! Notre ambition était de créer, au moins avec l'Allemagne, des équipes de recherche complémentaires pour étudier la manière de se débarrasser de la pollution du sol par la chlordécone . L'Allemagne s'y refusant, les études qui sont menées sont purement françaises.
Que sont devenues nos recommandations ? Beaucoup d'études sur la santé ont été lancées par le Gouvernement dès 1999, ainsi que dans les années 2003 à 2004. Énormément de choses avaient été lancées avant l'alerte du Pr Dominique Belpomme. En particulier, des médecins ont créé d'eux-mêmes un registre du cancer aux Antilles , qui n'existait d'ailleurs pas en France métropolitaine, et ont remis leurs conclusions.
Les choses ont évolué puisqu'au début de notre rapport toutes les études montraient que les Antillais avaient le même taux de cancer de la prostate que les Noirs américains à Chicago ou ailleurs.
L'étude, sans être catastrophique, a néanmoins démontré que la chlordécone avait une incidence plus importante sur le cancer de la prostate des Antillais , certains hommes, qui n'avaient jamais été en contact avec ce produit, pouvant néanmoins développer des cancers en consommant des légumes comme la patate douce, l'igname, etc., racines qui contiennent de la chlordécone .
Il y a deux ans, j'ai accompagné Mme Valérie Pécresse aux Antilles durant deux jours et j'ai revu les chercheurs que nous avions rencontrés. Ils étaient heureux de revoir quelqu'un qui avait travaillé pour la mission. Par ailleurs, cela a permis de sensibiliser la ministre. Ils m'ont appris qu'ils progressaient et pensaient pouvoir trouver une méthode de dépollution des sols d'ici trois ou quatre ans. Ils disposaient d'éléments alors qu'ils n'en avaient aucuns deux ans auparavant. C'est donc un point très important. Nous pensions à la phytoremédiation mais ils ont évoqué des pistes provenant du Japon. Ils n'étaient pas sûrs que celles-ci aboutissent mais ils en détenaient au moins une.
Quant à nos recommandations, un certain nombre a été suivi plus vite que nous ne le voulions. Nous avions rencontré l'IFREMER et fait part de nos inquiétudes au sujet de la contamination des poissons. On savait, en 2008, que les écrevisses et les langoustes étaient contaminées par la chlordécone et quelques prélèvements avaient montré que certains poissons de bord de mer contenaient également de la chlordécone . Les préfets de la Martinique et de la Guadeloupe avaient donc interdit la pêche et la consommation de poissons dans les zones proches des plantations traitées à la chlordécone .
Cette interdiction pose un problème de santé : il existe en effet aux Antilles beaucoup de diabète et autres maladies plus développées qu'en métropole ; les médecins nous avaient dit qu'il valait mieux manger deux fois par semaine du poisson contenant un peu de chlordécone , celle-ci s'éliminant rapidement quand on en absorbe peu, plutôt que de se tourner vers des nourritures industrielles importées, qui posaient davantage de problèmes de santé. On ne l'a pas mesuré mais les incidences de cette interdiction sur la santé peuvent être plus importantes qu'on ne le pense.
Le Gouvernement avait déjà lancé un certain nombre de mesures qui devaient s'arrêter en 2011. Nous avons eu la satisfaction de constater, ainsi que nous le recommandions, que le plan Santé était prolongé et que les études continuaient, en particulier en matière de santé des enfants. Celles-ci avaient également été menées sur les bébés, dont certains naissaient avec de la chlordécone dans le sang. Toutefois, dès lors que la population a changé d'alimentation, la chlordécone a disparu dans les analyses. Ce sont donc des points positifs.
Un travail de fourmi a été réalisé par les autorités sanitaires locales pour identifier toutes les terres sur lesquelles étaient autrefois implantées des bananeraies. La population ayant beaucoup augmenté, les anciennes plantations étaient devenues des terres d'habitation qui comprenaient des petits jardins, dans lesquels on plantait la pomme de terre et l'igname. Ces terres polluées ont été répertoriées et on a informé la population qu'il convenait de ne manger la patate douce ou les produits issus des jardins familiaux que deux fois par semaine.
Ce travail est efficace : les gens ont changé leurs habitudes, achètent leurs produits à l'extérieur lorsqu'ils le peuvent ou sont plus prudents. La difficulté vient du fait qu'il ne faut pas non plus manger n'importe quoi pour remplacer ce que l'on produisait soi-même.
En matière de santé, la France, comparée à l'Allemagne, a été exemplaire, l'idéal étant de trouver la manière de dépolluer tous les sols. Ce n'est même pas un problème de financement mais de recherche.
Que faire de plus dans votre étude ? Lorsqu'on fait un rapport, on revient rarement dessus mais je pense que vous pourriez obtenir un point précis sur la situation vis-à-vis de la chlordécone et le suivi des populations aux Antilles en auditionnant le directeur de la santé.
Je me suis rendu compte que beaucoup de pays disposaient de listes de pesticides et de produits de substitution mais que chacun travaille sans échanger ses informations.
Aux Antilles, nous avions étudié d'autres pesticides. J'ai découvert qu'on ne peut traiter le sujet des pesticides dans cette région ou dans les pays tropicaux comme on le fait dans les pays continentaux tempérés car, les insectes s'y reproduisant toute l'année, l'absence de saison hivernale ne permet pas d'en éliminer le plus grand nombre. Sans pesticides, il n'y a plus de production et cela entraîne un problème pour les populations et pour l'importation. On a découvert que plus de quatre-vingts cultures ne disposaient d'aucun produit agréé pour éliminer les parasites spécifiques . Alors, tout le monde utilisait le glyphosate , les autres produits étant interdits. Or, cette pratique ne permet pas de tuer tous les insectes et favorise les phénomènes de résistance, ce qui constitue un vrai souci.
Je ne crois pas que nous ferions beaucoup mieux aujourd'hui, notre étude ayant duré dix-huit mois.
Enfin, les médecins du travail nous ont dit qu'il n'y a pas eu de contamination des personnes, le produit étant répandu directement sur le sol. C'est la durée de vie dans la terre et le fait que l'on a remplacé les bananes par d'autres cultures qui ont posé problème. Les travailleurs n'ont pas été contaminés mais les populations ont néanmoins été atteintes.
Mme Sophie Primas , présidente. - Avez-vous subi des pressions ?
Mme Catherine Procaccia. - Non. La banane constitue la richesse essentielle du pays ; lorsque nous sommes allés aux Antilles, on nous a montré les bananes « propres » pour laquelle on utilise des pièges à charançons , on recourt à certains types de plantes fourragères et on pratique l' assolement . La culture de la banane a très largement évolué.
Les chercheurs travaillent sur ce qui est rentable et qui concerne le maximum de personnes. Les productions individuelles ne donnent pas lieu à des recherches particulières.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Il existe cependant des méthodes alternatives...
Mme Catherine Procaccia . - Oui. M. Jean-Yves Le Déaut est allé le constater au Costa Rica. Là-bas, l'épandage a lieu cinquante-deux fois par an contre deux fois par an occasionnellement en Martinique et en Guyane. A chaque fois que je fais mes courses dans un supermarché, je dis haut et fort qu'il faut acheter des bananes de Guadeloupe, les autres étant vraiment polluées...
Mme Sophie Primas , présidente. - Sont-ce les bananes qui sont polluées ou les sols ?
Mme Catherine Procaccia . - Les nôtres ne sont plus traitées par épandage aérien !
Mme Marie-Christine Blandin . - Vous pourrez retrouver sur Internet l'histoire de l'autorisation de la chlordécone qui a été en fait interdite aux États-Unis, puis en France. Une dérogation pour l'outre-mer a été arrachée par le plus grand planteur de bananes de l'époque à un ministre, lequel a oublié de prévenir le préfet, ce qui prouve bien qu'il existait une demande ! J'entends bien la nécessité de protection faute de méthode alternative mais le groupe de pression n'a pas agi a posteriori : il a demandé une dérogation !
Mme Catherine Procaccia . - On parlait là des pressions que nous aurions pu subir en 1992. Je pense que les choses ont pu politiquement évoluer depuis !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Quelles sont les méthodes alternatives ?
Mme Catherine Procaccia . - Le piégeage, l'assolement... Cela figure à la fin du rapport. La grande inquiétude concerne maintenant les cercosporioses . Tous les pays luttent contre cette maladie, sauf la France, qui a interdit tout traitement. Lorsque les cercosporioses arriveront dans les bananeraies françaises, toutes seront décimées !
L'autre solution est celle mise en oeuvre par le CIRAD qui produit uniquement des hybrides de bananiers, tous issus de plans sains, fécondés in vitro.
M. Gérard Le Cam . - La nature des sols doit jouer un rôle important mais toutes les régions n'ont pas la même. Les matières toxiques restent-elles en surface ou descendent-elles progressivement vers les cours d'eau par ruissellement ?
Mme Catherine Procaccia . - Les Antilles bénéficient d'un sol volcanique mais, selon les endroits, la chlordécone peut rester en terre 150 ans ou 750 ans. C'est une molécule tellement encagée qu'elle a même du mal à ruisseler. Lorsqu'elle atteint les rivières, elle contamine les écrevisses mais elle descend très lentement.
M. Jean-Claude Etienne. - La fréquence des cancers de la prostate dans les îles impliquées semble avoir fait un bond important au cours de ces deux dernières années.
Cependant, les investigations diagnostiques ont été multipliées par dix et la comparaison du nombre de cancers de la prostate avec celui des populations qui ne sont pas exposées à la chlordécone mais qui ont une communauté génétique soulève la question de la relation génétique et épigénétique.
Mme Catherine Procaccia . - On a un peu progressé mais c'est bien ce que l'on a vu au début de notre étude : les populations noires d'autres régions ont à peu près le même taux de cancers de la prostate que les populations des Antilles, comme les populations originaires d'Europe de l'Est ont beaucoup plus de cancers de la peau que d'autres. Il y a effectivement là un élément génétique.
Les études qui ont été faites par le Pr Blanchet ont cependant démontré qu'il existait une progression plus importante aux Antilles qu'ailleurs, sans que l'on puisse parler d'une explosion.
M. Jean-Claude Etienne. - Les statistiques ne sont pas encore convaincantes mais il existe une différence qui semble devoir être prise en compte. C'est tout ce que l'on peut dire pour le moment.
Mme Sophie Primas , présidente. - Monsieur le Professeur, nous vous écoutons...
M. Jean-Claude Etienne. - L'histoire du rapport « Pesticides et santé » trouve ses origines dans une saisine de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale qui date du 10 octobre 2007, le rapport remontant au printemps 2010 .
D'entrée de jeu, l'affaire a posé problème si je me rappelle bien - je parle sous le contrôle de mes collègues qui étaient à l'époque à l'OPECST. Initialement, on n'avait désigné qu'un seul rapporteur, notre collègue député, M. Claude Gatignol.
M. Claude Gatignol est vétérinaire ; or, le thème de « Pesticides et santé » pouvait impliquer la santé de nos concitoyens. Après quelques échanges plutôt rugueux entre le bureau de l'OPECST et le rapporteur désigné à l'Assemblée nationale en réponse à la saisine, il a été décidé de faire appel à un médecin, considérant que la santé humaine ne s'identifiait pas systématiquement à la santé animale. Même si l'homme est une variété d'animal, son mode réactionnaire peut être différent et le fait qu'un médecin puisse apporter un complément d'information à un vétérinaire n'était pas totalement incohérent. C'est ce qui a été décidé pour finir mais je dois dire que le clivage a d'entrée marqué un peu tout le rapport. Mme Marie-Christine Blandin le sait bien...
Mme Marie-Christine Blandin . - Je n'ai connu que la fin...
M. Jean-Claude Etienne. - Je ne dirai pas que j'ai eu des problèmes avec M. Claude Gatignol mais il a bien fallu préciser les choses, la problématique de la santé vue par un vétérinaire pouvant être éclairée différemment par un médecin préoccupé de santé humaine.
Nous avons donc été conduits à séparer la problématique humaine, que j'ai personnellement prise en charge, de la problématique environnementale qui a été essentiellement traitée par M. Claude Gatignol.
Nous avons eu sur cette affaire des discussions très longues que je ne vous rapporterai pas ici, non par volonté de vous cacher quoi que ce soit mais pour vous faire gagner du temps. Il est très important que cette affaire soit prise en compte comme une interférence obligée. Cette différence d'appréciation entre sa préoccupation et la mienne a été au demeurant plutôt dommageable à la rédaction du rapport. Pourquoi ? Parce que c'est un domaine qui me passionne tout comme il le passionne, chacun avec ses problématiques. Or, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, on ignore par définition ce que l'on ne sait pas ! On vit un peu trop avec des a priori découlant de l'observation immédiate.
On lit énormément, on entend des dizaines d'intervenants, tous plus pointus les uns que les autres, pour recueillir finalement une information qui ne nous satisfaisait pas. Nous sommes même allés aux États-Unis d'Amérique. Devant la problématique telle qu'elle était vécue là-bas, M. Claude Gatignol et moi-même en avons retiré une appréciation différente.
Cela signifie que la rigueur scientifique, dans ce genre de démarche, ne s'impose pas toujours avec l'absolu que l'on voudrait. Or, de tels travaux doivent être réglés avec une rigueur extrême. C'est l'esprit de Claude Bernard qui doit guider l'investigation. Les choses doivent se faire avec une vertu quasi expérimentale, faute de quoi chacun peut y trouver un élément qui le conforte dans son opinion et en faire une vérité universelle !
Je viens de le vivre au Conseil économique, social et environnemental à propos de mon rapport sur la prévention et la santé des hommes qui a eu le bonheur d'être approuvé à l'unanimité. Ce rapport peut éclairer rétrospectivement les problèmes que nous avons vécus...
Deux ans plus tard, je me suis retrouvé avec notre collègue, M. Gilbert Barbier, pour établir notre rapport sur la santé humaine, qui comportait trois grands chapitres : l'un sur les pesticides et les troubles neurologiques, un autre sur les pesticides et les cancers dans le cadre des études épidémiologiques et un troisième sur les perturbateurs endocriniens, qui justifiaient selon nous à eux seuls un état des lieux des connaissances en la matière. Ce qui fut dit fut fait. Deux ans plus tard, mon collègue Gilbert Barbier et moi avons mené un travail passionnant mais partiel pour ce qui me concerne, ayant dû quitte le Sénat pour rejoindre le Conseil économique, social et environnemental.
Ce rapport, dont M. Gilbert Barbier vous parlera bien mieux que je ne pourrais le faire, met en évidence le fait que, s'agissant des perturbateurs endocriniens, des troubles neurologiques et des cancers, il se dit tout et rien. Le Pr Dominique Belpomme, honorable collègue féru en cancérologie, affiche certaines certitudes ; d'autres prétendront qu'il n'apporte pas de démonstration scientifique. On manque d'avancées scientifiques en la matière car on a considéré le problème sous l'angle de l'efficience et de l'impact sur les conséquences pour la santé de nos concitoyens avant de mener une étude rigoureuse sur la méthodologie dont il fallait user pour travailler ces questions.
Cette affaire a été étudiée par l'Académie de médecine qui a mis en évidence deux points faibles sur le plan méthodologique qui valent - je crois - pour tous nos rapports. Il s'agit de l' insuffisance de la science toxicologique en France et de la problématique de l'interprétation de l'effet-dose sur les patients. Certaines de ces notions datent mais ont survécu jusque-là ; elles ont été établies à partir de relevés de terrain accumulant quelques observations à un endroit puis à d'autres, dans des environnements pouvant être différents et surtout avec un manque de travail et de recherche sériée prouvant le lien entre la vie de l'homme et son environnement.
L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) l'a bien montré : nous sommes ce que notre carte génétique fait de nous mais ce n'est pas si simple car on conclut que la résonance entre notre carte génétique et l'environnement est singulière et différente d'un type de génome à un autre.
Les États-Unis d'Amérique vont très loin dans cette affaire de génétique et de médecine prédictive : c'est abominable, je n'hésite pas à le dire ! Certains États, certaines entreprises ou groupes d'assurances américains embauchent les personnes ou fixent les tarifs de leur assurance en fonction du génome de leurs clients...
Mme Catherine Procaccia . - Ne dis pas cela à propos des assurances !
M. Jean-Claude Etienne. - Je ne parle pas de la France, j'ai été très clair.
Mme Catherine Procaccia . - C'est une remarque que j'entends régulièrement et elle m'agace !
M. Jean-Claude Etienne. - Je ne dis pas que cela se fait en France : je parlais des États-Unis ! Je t'assure que cela s'est fait et se fait encore dans certains États.
Mme Catherine Procaccia . - Les États-Unis ne sont pas la France !
M. Jean-Claude Etienne. - Ai-je dit le contraire ?
Mme Catherine Procaccia . - Tu as parlé des assureurs !
M. Jean-Claude Etienne. - ... américains ! Cela peut aller très loin et le fait de penser que certaines puissances économiques, qui ne sont pas considérées comme étant à la traîne, puissent agir de la sorte appelle de notre part une vigilance extrême - que je reprends à mon compte !
Cela étant posé, il est intéressant de connaître les raisons pour lesquelles il existe une relation entre les caractéristiques de l'environnement et la résonance génétique. Nous n'en avons encore que quelques aperçus. M. Gilbert Barbier dira mieux que moi tout à l'heure qu'avec les problèmes de perturbateurs endocriniens, le récepteur peut être sensible non seulement en termes de structure génétique mais aussi dans d'autres domaines. Les choses sont donc très compliquées de ce point de vue.
Néanmoins, un état des lieux a été établi mais de façon assez disparate ; il s'agit d'observations qui ne sont pas toutes élucidées, loin de là, du fait du manque d'analyses toxicologiques et épidémiologiques. C'est pourquoi les deux disciplines qui vont nous permettre d'avancer sont le recours de façon réglée et ordonnancée aux études toxicologiques et épidémiologiques, les unes n'allant pas sans les autres.
Pour finir, nous devons prendre en compte l'environnement sous l'aspect de l'interférence, de même que les deux autres pathologies traitées dans le rapport, les cancers et les désordres neurologiques. Ceux-ci sont essentiellement le fait de l'étude conduite entre autres par la MSA et apparaissent d'abord chez des agriculteurs. On a bien sûr relié cette problématique au fait que les agriculteurs étaient singulièrement exposés à des doses assez importantes de pesticides. Là encore la vertu épidémiologique n'est pas totalement construite et fait l'objet de travaux.
Quant à l'effet sur les populations, nous avons été confrontés à une méconnaissance des approches toxicologiques fondamentales...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Les choses n'ont-elles tout de même pas avancé depuis 2009 ?
M. Jean-Claude Etienne. - Oui mais plus en matière de toxicologie qu'en matière d'épidémiologie...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Des efforts sont sans doute à accomplir mais je relève que l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) figurait parmi les membres du comité de pilotage de votre rapport, ainsi que M. François Ewald, opposant notoire au principe de précaution. On peut donc imaginer que, dans ce rapport, on n'allait pas considérer les pesticides comme dangereux pour la santé ! Cela n'y est d'ailleurs pas dit...
M. Jean-Claude Etienne. - A cette époque, un relevé de terrain s'est interrogé sur certains processus neurologiques. Une étude californienne a mis en évidence la relation de cause à effet qui existe entre la manipulation des produits et les conséquences neurologiques.
Les choses sont plus difficiles en matière de cancer mais on sait aussi que des risques peuvent apparaître en cas de doses très élevées. En matière neurologique, des études -qui ne sont pas françaises - tendent également à le démontrer assez fortement. On avait connaissance de ces éléments et j'ai tenu à les prendre en compte ; vous les trouverez dans le rapport. Ces études ont conduit à suspendre la production de certaines usines. Malgré leur imperméabilité à cette problématique, certains États ont pris des mesures !
En 2009, il y avait donc de solides interrogations, au moins en matière neurologique. Je ne dis pas que cela a été souligné de la même manière s'agissant des cancers mais on en a appelé à une étude postérieure au sujet des perturbateurs endocriniens.
Parmi les propositions du rapport qui nous laissent encore sur notre faim, il en est une que je désirerais porter à la connaissance de la mission. On a demandé qu'on réforme l'agrément relatif à la distribution et à l'application de produits phytopharmaceutiques et que l'on mette en place, comme aux États-Unis, des licences professionnelles sans lesquelles il n'est pas possible de commercialiser, d'acheter ou d'utiliser des pesticides . C'est une recommandation de l'OPECST qui est importante et sur laquelle je me permets d'attirer votre attention.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur - A-t-elle été mise en oeuvre ?
M. Jean-Claude Etienne. - Non, c'est pourquoi j'en parle aisément. Des approches ont eu lieu mais cela n'a pas été fait.
En second lieu, une faute vis-à-vis du déterminant préventif pourrait appeler une sanction, dans la mesure où l'on reconnaît que le principe de prévention est scientifiquement assuré ou à forte probabilité. Aujourd'hui, le volet relatif aux sanctions mérite d'être distinct de celui de la prévention. Or, il ne l'est toujours pas. En effet, on confie aux services régionaux de protection des végétaux la mission de prévention et de conseil et on délègue aux services départementaux la mission de sanction alors qu' il ne faudrait pas que ce soit le même service, voire la même personne, qui conseille un jour et sanctionne le lendemain . C'est un aspect sur lequel notre organisation territoriale pourrait évoluer.
Nous avons dit, comme tout le monde, qu'il fallait repenser l'organisation sanitaire en France et que la veille sanitaire organisée par les agences sanitaires en réaction à des crises sanitaires est insuffisante mais on peut se féliciter du fait que les Agences régionales de santé (ARS) aient maintenant mission de faire figurer un volet de prévention dans leur programme d'action.
Il me semble que votre mission pourrait se faire l'écho de l'importance du volet de prévention dévolu territorialement à chaque ARS. Il faut traiter le problème dont vous assurez la charge à partir d'un élément pratique concret afin de limiter les dégâts potentiels et, à plus forte raison, ceux qui sont avérés. Il y a là un outil nouveau dont dispose notre pays qu'il faut savoir solliciter pour essayer de trouver les solutions les plus adéquates.
Mme Sophie Primas , présidente. - Merci de ce point de vue convaincu !
M. Jean-Claude Etienne. - Ce n'est pas dans le rapport...
Mme Sophie Primas , présidente. - La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier . - Il faut aborder le sujet des perturbateurs endocriniens avec beaucoup de modestie ; c'est une science relativement nouvelle. Même si, depuis vingt ou trente ans, on a beaucoup évolué, on est encore dans un secteur où il y a beaucoup de travail à mener en matière de recherche. Ce que l'on peut dire aujourd'hui n'est peut-être donc pas définitif : c'est un point d'étape important.
Je pense que ce rapport concerne plus la seconde partie de la mission que vous vous êtes fixée car je n'ai pas abordé le problème des maladies professionnelles que vous évoquez maintenant. Il s'agissait alors essentiellement des relations avec l'environnement soumis aux perturbateurs endocriniens.
Je voudrais revenir sur le sujet traité par Mme Marie-Christine Blandin et M. Jean-Claude Etienne : les perturbateurs endocriniens ont profondément modifié la toxicologie classique . Traditionnellement, un produit avait une dose mortelle ; on la divisait par deux pour connaître la dose journalière admissible. En matière de perturbateurs endocriniens, cela est complètement dépassé, l'effet-dose n'existant pas ! Certains évoquent, concernant ces perturbateurs, une courbe de Gauss qui produirait un effet maximum en fonction de la dose. C'est une notion assez nouvelle qui contredit la toxicologie classique. Pendant longtemps, un certain nombre de produits présents dans les milieux naturels ne pouvaient être détectés du fait de leur très faible quantité. Aujourd'hui, on en est au nanogramme, qui n'existait pas il y a quelques dizaines d'années.
Le second aspect de cette affaire réside dans l'évolution de la toxicologie. Autant il existe, en matière de perturbateurs endocriniens, des expériences sur l'animal, des prélèvements dans la nature, autant les données restent très restreintes en matière épidémiologique.
Certains objectent que ce qui se passe chez la souris ou chez les poissons n'est pas forcément transposable à l'homme. On a évidemment du mal à répondre et à affirmer le contraire.
Une des propositions importantes de ce rapport porte sur la nécessité de savoir. On peut avancer toutes les hypothèses que l'on veut, les données épidémiologiques sont encore insuffisantes.
Un autre point complique ce rapport : environ huit cents molécules sont recensées concernant les pesticides ; à peu près la moitié est aujourd'hui interdite. Il en reste une bonne moitié à étudier et il y aurait lieu d'interdire assez rapidement vingt-deux substances répertoriées.
Cela se fait à travers la directive européenne « Registration, evaluation, authorisation and restriction of chemicals » ( REACH ) mais les choses vont doucement.
La notion importante qui a été prise en compte au cours des dernières décennies a concerné les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) . Le problème de cancérogénèse n'est guère évident à diagnostiquer rapidement. La reprotoxicité nécessite encore plus de temps pour pouvoir être observée. On en a un exemple célèbre avec le problème du distilbène qui a été donné aux femmes enceintes pour éviter de perdre leur enfant, dans les années 1960 à 1970. Les deuxièmes générations en subissent aujourd'hui encore les effets. Le taux de malformations génito-urinaires, notamment chez les filles, est dix fois supérieur aux malformations décelées habituellement. On en est parfois à la troisième génération. Personnellement, en tant que chirurgien, je n'ai jamais prescrit de distilbène ...
M. Jean-Claude Etienne. - Certains gynécologues l'ont prescrit à leur propre fille. Ils sont aujourd'hui grands-pères et leur petite-fille est malade !
M. Gilbert Barbier . - On étudie beaucoup les perturbations des organes de reproduction chez l'homme et chez la femme. En matière de cancers, certains sont plus fréquents que d'autres comme le cancer des testicules ou celui du sein. On s'éloigne toutefois ici du sujet des pesticides puisque les cancers du sein sont en relation avec des produits chimiques qui ne sont pas utilisés dans l'agriculture.
Pour ce qui est du domaine qui nous préoccupe, on n'a pas de données suffisamment étayées concernant la reprotoxicité de produits comme la chlordécone pour pouvoir définir de manière précise les problèmes qui peuvent se poser par la suite.
On avance cependant en matière d'épidémiologie. Une étude longitudinale française depuis l'enfance (ELFE) est actuellement menée en France. Elle porte sur les perturbations qui peuvent survenir chez des enfants qui seront suivis par cette étude durant vingt ans. Elle concerne 20 000 enfants qui ont été répertoriés entre 2009 et 2011. Cette étude constitue une méthode intéressante mais coûte cependant assez cher. Cette méthode pourrait néanmoins être appliquée dans d'autres domaines, dont celui qui vous intéresse. Elle permettra probablement de remettre en question un certain nombre de théories. Elle nécessite cependant un investissement certain. Faut-il le faire figurer au chapitre de la prévention ? Peut-être...
Malheureusement - je le dis alors que vous connaissez mon appartenance politique - on a supprimé pour la première fois cette année les crédits prévus pour ce genre d'études. L'Agence nationale de la recherche (ANR) , même si elle donnait peu, n'a pas reconduit cette année un certain nombre d'études, dont celle portant sur les perturbateurs endocriniens. J'en ai parlé avec la directrice générale, Mme Briand, qui m'a expliqué qu'il s'agissait d'un choix. Je lui ai dit que c'était un mauvais choix car c'est un domaine où les équipes françaises sont relativement bien placées. Un certain nombre sont très performantes au niveau mondial ; interrompre leur financement de manière brutale n'encouragera pas les chercheurs !
En matière de perturbateurs endocriniens, tout le problème réside dans la prévention. Les produits sont tellement nombreux que tout interdire paraît actuellement utopique. Comme l'a évoqué Mme Marie-Christine Blandin, il existe des fenêtres de sensibilité aux perturbateurs endocriniens qui concernent la femme enceinte à une certaine période de sa grossesse ; celles-ci restent à définir mais l'on sait qu' il faudrait interdire les perturbateurs endocriniens jusqu'au quatrième mois . Les jeunes enfants, jusqu'à l'adolescence, sont également certainement beaucoup plus sensibles que les autres tranches d'âge.
C'est pourquoi j'avais proposé que l'on informe les populations par un logo . Celui qui a été mis sur les bouteilles d'alcool n'a pas remporté un grand succès. Il est maintenant réduit à quelques centimètres. On le doit à Mme Anne-Marie Payet, ancien sénateur de la Réunion, qui avait essayé de prévenir l'alcoolisme chez les femmes enceintes...
Il est nécessaire d'alerter les gens sur la toxicité du parabène présent dans certains produits. Je m'éloigne là des pesticides mais le sujet est important en matière de nourriture. Vous savez que le groupe politique auquel j'appartiens a fait voter au Sénat l'interdiction du bisphénol A dans les biberons. C'est une première étape. Le bisphénol A se retrouve partout. Faut-il l'interdire complètement ? Oui, probablement dans certaines utilisations, beaucoup moins dans d'autres. En effet, on trouve aussi du bisphénol A dans les pare-chocs de voiture...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Vous parliez de prévention : la campagne sur la nocivité des pesticides est une catastrophe en termes d'information et de prévention : on y voit, sur une pelouse, un jeune enfant déguisé en abeille ; le slogan indique que « l'abus » de pesticides est dangereux pour la santé. Cette campagne est financée par le ministère de l'écologie et par l'ONEMA !
M. Gilbert Barbier . - En effet...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - C'est en totale contradiction avec le message que l'on veut faire passer !
M. Gilbert Barbier . - La troisième recommandation concerne l'interdiction. En la matière, l'action européenne est la plus efficace. On sait que la liste REACH a conduit à interdire certains produits ; peut-être s'agit-il d'une action trop lente mais l'effort au niveau européen est important et il faudrait l'encourager - d'autant qu'il prend en compte la reprotoxicité, peu concernée jusqu'à présent.
S'agissant des maladies professionnelles, je ne puis vous dire grand-chose...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Qu'en est-il des autorisations de mise sur le marché (AMM) ?
M. Gilbert Barbier . - On interdit certaines molécules. Le problème, un peu comme en matière de médicaments, vient du fait que les études sur ces molécules sont fournies par les fabricants. Certaines peuvent être falsifiées.
La commission environnement de l'Union européenne a le pouvoir de contrôler ces études mais dispose de moyens très faibles par rapport au nombre de molécules qui mériteraient d'être étudiées.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Il faut aussi tenir compte des effets « cocktail »...
M. Gilbert Barbier . - Certains effets sont multiplicateurs, d'autres annihilateurs. Le flou scientifique n'est pas encore totalement dissipé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Comment faire ?
M. Gilbert Barbier . - Je pense qu'il faut encourager la recherche.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - ... Indépendante !
Mme Marie-Christine Blandin . - Il faut aussi encourager la parole des citoyens et des usagers . Le protocole de recherche relève du chercheur mais ajouter un mode d'action peut être le fait des usagers. Les apiculteurs contestent ainsi les études sur les abeilles que l'on met en contact avec un seul pesticide, qui ne les détruit pas mais les empêche ensuite de communiquer avec les autres et de s'orienter. Ce sont les apiculteurs qui ont attiré l'attention sur ce point et qui conseillent de s'en préoccuper.
Les vétérinaires ont également mis en garde contre la toxicité des substances contenues dans les colliers anti-puces ; s'ils sont bien étudiés pour l'animal, qui ne peut les lécher, ils présentent néanmoins des risques pour les jeunes enfants qui possèdent un gros chien à la maison : ils s'accrochent au collier, le touchent... L'expologie est devenue une science en soi. Elle consiste à réfléchir à la façon dont telle ou telle personne est exposée, à tel ou tel moment de sa vie. On ne peut tout interdire mais on peut dispenser des conseils de prévention. Les citoyens et les usagers ont, en la matière, parfois de bonnes idées. Il ne faut pas tout rejeter.
M. Gilbert Barbier . - On a vu les effets du DDT aux États-Unis, où il avait provoqué la disparition totale de l'aigle américain, qui se trouve au bout de la chaîne alimentaire. L'interdiction de ce pesticide aux États-Unis résulte de cette observation.
La pollution de l'environnement vient bien sûr des pesticides mais également d'un autre domaine peu étudié, celui de la présence des oestrogènes dans les eaux de rejet des stations d'épuration. On a ainsi observé une féminisation de certaines espèces de poissons qui se nourrissent à la sortie de ces stations.
Le problème des antibiotiques est également un autre sujet que les sociétés de traitement de l'eau ne veulent pas aborder. Il existe des phénomènes de transformation du milieu aquatique du fait des rejets par certains établissements hospitaliers de molécules anticancéreuses dans l'environnement.
Mme Sophie Primas , présidente. - Cela pose des problèmes philosophiques...
M. Gérard Le Cam . - Pour en revenir à l'octroi de licences pour l'utilisation de pesticides, elles existent déjà dans le monde agricole. Les coopératives font aujourd'hui un travail important sur le réglage des appareils de pulvérisation ; elles organisent des stages de formation et ceux qui ne les suivent pas ne reçoivent pas de produits. L'obligation technique n'est donc pas négligeable. Il peut être intéressant de voir ce qui peut être fait en la matière. Il en va de même pour l'utilisation de l'eau.
M. Jean-Claude Etienne. - Il faut avancer. Il y a des précautions à prendre ; il serait dommage de ne pas le faire. C'est une question de bon sens !
Mme Sophie Primas , présidente. - Avant de trouver la solution, protégeons-nous !
M. Gilbert Barbier . - Il est relativement facile d'interdire les perturbateurs endocriniens mais par quoi les remplacer ? Les bouteilles en PVC contiennent du bisphénol A . Si on l'interdit, le PVC sera tout blanc, rigide et très inesthétique ! Faut-il revenir à la bouteille en verre ? ... Pourquoi pas ? Cela comporte néanmoins des incidences économiques...
Mme Marie-Christine Blandin . - ... Une bonne carafe !
Mme Sophie Primas , présidente. - Mais qu'y a-t-il dans le verre ?
M. Gilbert Barbier . - Le verre est relativement neutre.
Chauffer le bisphénol A provoque des échanges : c'est le problème des biberons... On a interdit le bisphénol A dans le biberon des enfants mais certaines études démontrent qu'il s'en trouve autant dans le lait de certaines mères, qui en absorbent par d'autres voies !
M. Jean-Claude Etienne. - Le globe terrestre concentre tellement de déchets de pesticides à ses pôles que le lait maternel des mères inuits renferme des niveaux toxiques de produits issus des pesticides vingt fois supérieurs à la norme européenne. Les pôles deviennent les poubelles du globe terrestre !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Il faut interdire les pesticides !
M. Jean-Claude Etienne. - Il faut réfléchir au problème car on est en train de commettre de sacrés dégâts !
Mme Sophie Primas , présidente. - Le problème est de savoir par quoi les remplacer !
M. Jean-Claude Etienne. - Il faut que l'agriculture nourrisse les populations. L'interdiction des pesticides conduirait à un état de famine.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Il faut réorienter certaines pratiques.
M. Gilbert Barbier . - Les phtalates à chaîne courte sont aussi très nocifs. Ils provoquent des échanges hormonaux très importants. La chimie produit actuellement des phtalates à chaîne beaucoup plus longue qui ne franchissent pas la barrière de la cellule mais ils coûtent bien plus cher.
On a interdit les deux phtalates à chaînes les plus courtes. Peut-être y en a-t-il d'autres à supprimer mais cela représente une incidence financière. On ne peut interdire tous les phtalates . Ils sont utilisés dans de nombreux domaines et certains sont beaucoup moins dangereux que d'autres. De plus, c'est avec le temps que l'on s'aperçoit de la nocivité de certaines molécules. Si on les remplace par des molécules nouvelles, on peut connaître les mêmes problèmes dans vingt ans !
Mme Marie-Christine Blandin . - Il faut établir une clause de revoyure, comme pour les médicaments !
M. Gilbert Barbier . - C'est ce qu'il est important de faire avec la directive REACH.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - N'est-ce pas déjà le cas ?
M. Gilbert Barbier . - Pour le moment, on est en train de traiter l'ensemble des produits qui figurent sur cette liste. Toutes les molécules ne sont pas expertisées de manière suffisante. Je crois qu'il faut forcer les choses mais il faut aussi en avoir les moyens.
Mme Sophie Primas , présidente. - Les autorisations de mise sur le marché (AMM) des pesticides ne sont-elles pas valables dix ans ? Est-ce suffisant ?
M. Gilbert Barbier . - Je ne sais pas. En matière de médicaments, les AMM sont revues tous les cinq ans.
M. Jean-Claude Etienne. - Nous n'avons pas évoqué la question des accidents aigus dus aux pesticides . Le simple fait de vaporiser un produit sur une plante peut provoquer des accidents cardio-respiratoires.
M. Gilbert Barbier . - Je rappelle que le Sénat, lors de l'examen de la loi de finances pour 2012, a voté un amendement visant à inclure les perturbateurs endocriniens dans la taxe sur la pollution. Cette modification a été rejetée par l'Assemblée nationale. Peut-être peut-on l'adopter lors de la prochaine loi de finances - ou dans un autre cadre ? Cet épisode est passé quelque peu inaperçu...
Mme Sophie Primas , présidente. - Merci beaucoup.
Audition de M. André Cicolella, chercheur à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), spécialiste de l'évaluation des risques sanitaires (3 avril 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre mission a la tâche difficile de formuler des propositions concernant les pesticides et la santé. Elle s'est focalisée sur les risques pour les fabricants et les utilisateurs. Nous avons souhaité vous entendre compte tenu de votre expérience dans un domaine concerné par les pesticides.
M. André Cicolella, chercheur à l'Institut de l'environnement industriel et des risques (INERIS), spécialiste de l'évaluation des risques sanitaires . - Il importe de considérer la question des pesticides au regard des connaissances scientifiques d'aujourd'hui. Il y a eu, en effet, une mutation dans l'étude des risques cliniques et nous sommes actuellement dans le troisième âge de la prévention.
Avant-guerre, on ne se préoccupait pas de prévention , je date donc le premier âge de la prévention à l'après-guerre , quand la réflexion s'est développée en termes de valeurs-limites et de normes . On a construit un référentiel qui est encore utilisé dans le milieu du travail. Un deuxième référentiel a été construit dans les années cinquante , fondé sur la distinction, nouvelle à l'époque, entre les effets cancérogènes et les effets non cancérogènes . Pour ceux-ci, on a raisonné en seuil de dose journalière admissible (DJA) en appliquant un double facteur de sécurité pour tenir compte à la fois de l'extrapolation à partir de l'animal et de la variété des situations dans l'espèce humaine. A l'époque, on considère que les atteintes à la reproduction se déclenchent à partir de seuils. Pour les atteintes génotoxiques, autrement dit les cancers, il n'y a pas de seuil et l'on définit un risque acceptable : un cas supplémentaire sur 100 000 personnes exposées. Notre système de normes reste fondé sur cette vision.
Le troisième âge de la prévention se construit en ce moment-même, autour de la notion de perturbateur endocrinien , terme inventé il y a vingt ans, très exactement le 26 juillet 1991 par John P. Meyers, à Wingspread, lors de la réunion interdisciplinaire organisée par le Pr Theo Colborn où vingt-et-un scientifiques de disciplines différentes ont constaté des points communs dans les atteintes subies par les humains et la faune : à chaque fois, le système hormonal était touché.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que s'est-il passé en vingt ans ? Les choses ont-elles vraiment changé ?
M. André Cicolella . - Pas vraiment. La déclaration de Wingspread, c'est frappant, contient déjà 80 % des connaissances actuelles !
Mais je considère cette mutation de façon positive : on a compris les mécanismes et les modes d'action et, par là-même, une bonne partie des maladies chroniques dans le monde. Je vous renvoie au constat formulé par l'OMS à New-York, le 20 septembre 2011, lors de la réunion d'experts de haut niveau des Nations Unies sur la prévention et le contrôle des maladies non-transmissibles à l'échelle globale et à la déclaration des 193 chefs d'État appelant à une mobilisation contre l'actuelle épidémie de maladies chroniques.
Les perturbateurs endocriniens expliquent une grande part de cette épidémie. Ils ont suscité un changement de paradigme. Celui de Paracelse, au XVI ème siècle - « la dose fait le poison » - a laissé place à un nouveau modèle, exposé en cinq points par l' Endocrine Society américaine en juin 2009. Le premier c'est que, avec les perturbateurs endocriniens, « la période fait le poison » . Ce n'est pas l'accumulation des doses dans le temps qui cause les atteintes mais une exposition durant une période critique. C'est ainsi que les testicules se forment précisément au 43 ème jour de grossesse, pas le 42 ème ni le 44 ème . Si une telle phase courte est perturbée, il en reste trace non seulement durant la vie de l'enfant mais tout au long de sa vie d'adulte et sur les générations ultérieures.
Ensuite, la latence des effets : la substance peut avoir disparu lorsque les effets apparaissent. Si la dioxine demeure présente durant des dizaines d'années, le bisphénol est éliminé dans la journée, or son empreinte sur l'épigénome est inscrite.
Troisième élément du paradigme, l'interaction des substances chimiques ou « effet cocktail » , d'amplification ou de protection. Des substances différentes, même à dose inférieure à leur seuil d'effet, peuvent avoir des effets toxiques en raison de leur combinaison. C'est ce qu'a mis en évidence, par exemple, le Danois Christensen en testant un cocktail de deux pesticides, un plastifiant et un médicament. On teste traditionnellement les substances une par une, mais cela ne rend pas compte des interactions « dans la vraie vie » ...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment mesurer les effets réels sur l'organisme humain ?
M. André Cicolella . - Par extrapolation des données animales.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Connaît-on des cas précis où ces effets sont survenus ?
M. André Cicolella . - Oui : plus de quatre millions de femmes dans le monde ont pris du distilbène et l'on a soixante ans de recul. On observe les mêmes effets que lors des tests sur l'animal.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais on se rend compte trop tard des effets.
M. André Cicolella . - La découverte des perturbateurs endocriniens est très importante car, quand on a repéré la cause, on peut agir. Le rapport du Pr Andreas Kortenkamp remis à la Commission européenne en février 2012 recommande de créer pour les perturbateurs endocriniens une classe en soi . Et concrètement, il convient d' éliminer de notre environnement les substances concernées, puisqu'on ne peut les gérer par la dose .
Quatrième point, la dynamique de réponse à la dose . On a une courbe en cloche et non plus une droite comme dans l'approche classique. Les effets sont plus forts à faible dose qu'à haute dose. C'est ce qu'ont montré les travaux du Pr Patrick Fénichel sur les cellules testiculaires : une dose dix millions de fois plus faible qu'une autre a le même effet. C'est incroyable ! Il y a quelques jours encore, le 14 mars 2012, un article remarquable a été publié par l' Endocrine Society , qui s'appuie sur 845 publications antérieures. C'est dire que nous n'en sommes pas aux balbutiements de ces études. J'ajoute qu'en augmentant les doses, on arrête l'action des hormones, en diminuant le nombre des récepteurs. Alors le phénomène s'arrête. L'oestradiol fonctionne de cette façon-là.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les produits disponibles sur le marché aujourd'hui tiennent-ils compte de ces connaissances ?
M. André Cicolella . - Non, c'est tout l'enjeu... Le rapport Kortenkamp recommande une nouvelle classification européenne des substances toxiques, actuellement C.M.R. - cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Soit dit en passant, l'Académie de médecine estime elle aussi qu'il faut considérer les perturbateurs endocriniens comme des cancérogènes , revenant sur sa vision antérieure. Les perturbateurs endocriniens ont aussi des effets reprotoxiques. Nous avons fait le lien entre l'environnement chimique, l'obésité et le diabète. Les perturbateurs endocriniens arrivent au troisième rang des facteurs, après l'alimentation et la sédentarité, pour expliquer l'épidémie des maladies métaboliques. Depuis dix ans, le tissu adipeux est considéré comme un organe sous contrôle hormonal et non plus un simple lieu de stockage.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - On n'en tient pas compte dans les autorisations de mise sur le marché ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que changer ?
M. André Cicolella . - Ajouter deux lettres à la réglementation : P et E.
Je reviens à mon nouveau paradigme : le cinquième point concerne les effets transgénérationnels . Les données chez l'animal laissent penser que, non seulement les enfants, mais même les petits-enfants et arrière petits-enfants sont concernés . S'agissant du bisphénol ou du distilbène , on constate une baisse de la fertilité et de la qualité du sperme. Pour une exposition moyenne de 1,2 microgramme par kilo et par jour, la première génération de rats subit les effets in utero , la deuxième est exposée aussi ; la troisième ne l'est pas, mais il y a transmission épigénétique cellulaire. Une étonnante étude américaine sur la vinclozoline , dont Science a rendu compte en 2005, a fait beaucoup de bruit. Elle montrait que l'exposition de la première génération, F-0, produisait des effets jusqu'à F-4. Et qu'elle induisait chez les femelles des générations F-2 et F-3 une préférence sexuelle pour les mâles dont les ascendantes n'avaient pas été exposées à la substance.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La vinclozoline est-elle encore utilisée ?
M. André Cicolella . - Dans la vigne, je crois ; mais il me semble que le produit a été interdit. Le methoxychlore a des effets de même nature. Ces phénomènes sont bien compris aujourd'hui. Le pilier de ces recherches, le Néozélandais Peter Gluckman, parle de « décade de l'épigénome » qui exprime ou réprime les gènes. Tout cela a bouleversé notre compréhension scientifique et remis en cause la vieille opposition entre Darwin et Lamarck : ils ont tous deux raison ! C'est un changement d'époque.
La question des faibles doses, des traces, semblait marginale ; elle doit aujourd'hui être reconsidérée.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quid des autorisations de mise sur le marché ?
M. André Cicolella . - Des séries de tests sont pratiquées en amont.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce sont les fabricants qui les font...
M. André Cicolella . - Le problème de fond, c'est que REACH ne prend pas en compte ces aspects nouveaux : il est basé sur des tests classiques. Il est nécessaire d'intégrer, dans les tests, l'observation concernant la perturbation de l'ensemble du système hormonal.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . -Pourquoi les données recueillies depuis longtemps par les scientifiques, les médecins, les chercheurs, ne sont-elles pas intégrées dans le programme REACH ? Quel est le suivi des risques ?
M. André Cicolella . - L'enjeu est de freiner la croissance du nombre de cancers, de diabètes, de cas d'obésité. Le changement scientifique est si considérable que la prudence des chercheurs, qui a été longtemps de mise, se comprend. Mais elle devient aujourd'hui contre-productive. Le politique doit se saisir de la question et si nous avons créé le réseau environnement-santé, c'est bien pour faire entrer ces questions dans le débat social. On ne sait pas tout, on a encore beaucoup à découvrir, mais on en sait assez pour agir.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qu'entendez-vous par « prudence scientifique » ?
M. André Cicolella . - Il se trouve encore des gens, épidémiologistes, pour affirmer que les effets sur l'homme ne sont pas démontrés, ce à quoi je réagis vivement. Attendre de voir démontrés les effets chez l'homme aurait des conséquences dramatiques.
M. Joël Labbé . - Attendre les effets est contraire au principe de précaution. Les firmes privées ont des moyens mais leur recherche est intéressée. Quels sont les moyens de la recherche publique, neutre et indépendante ?
M. André Cicolella . - Concernant la santé environnementale, il faut développer les moyens et procéder à des changements institutionnels. A peine la communauté scientifique commence-t-elle à s'organiser que le programme de l'ANR santé et environnement est arrêté ! Quel signal négatif...
L'institut américain de santé environnementale, le National Institute of Environmental Health Sciences , a un budget de 700 millions de dollars. Si l'on tient compte de la différence de population, nous devrions affecter à ce domaine 120 millions d'euros : nous en sommes à 10 millions.
M. Joël Labbé . - La recherche privée peut être utile, si ses résultats ne sont pas couverts par le secret industriel. Comment faire pour que la controverse scientifique s'exprime en toute transparence ?
M. André Cicolella . - Attendre une preuve chez l'homme, confirmée par plusieurs études - ce qui correspond à la vision classique de l'épidémiologie - constitue un obstacle. L'autre obstacle, c'est effectivement que la recherche financée par l'industrie construit du doute . Dans le cas du bisphénol , il s'est trouvé des études pour conclure que ce produit était métabolisé différemment chez l'homme et le rat. Et l'agence européenne continue de dire que l'homme y est moins sensible que le rat, et le bébé moins que l'adulte : c'est une énormité, et pourtant la norme européenne officielle découle de ces résultats. Parfois, on produit des connaissances à la limite de la fraude , comme dans un cas révélé au grand jour où l'on trichait sur l'âge des rats.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'y a-t-il pas des contrôles ?
M. André Cicolella . - La triche a été détectée, pourtant l'étude est toujours citée en référence par l'Agence européenne. Je souhaiterais, et cela m'amène à votre question sur la protection des lanceurs d'alerte et la déontologie, que les fraudes donnent lieu à des investigations. Je plaide pour une haute autorité de l'alerte et de l'expertise , qui aurait pour fonction de définir la déontologie et de la faire appliquer. Un statut du lanceur d'alerte me semble peu pertinent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et l'ANSES ?
M. André Cicolella . - Cela fait effectivement partie de ses missions mais parfois elle ne remplit pas totalement son rôle, comme pour le bisphénol .
Mme Sophie Primas , vice-présidente . - Pourquoi ?
M. André Cicolella . - Parce qu'au sein du comité de l'AFSSA , à l'époque, les conflits d'intérêts étaient nombreux. C'est encore le cas aujourd'hui. La méthodologie a consisté à écarter 95% de la littérature sur la question, à ne pas retenir les effets des faibles doses - ce dernier point n'est pas propre à l'agence française, la Food and Drug Administration (FDA) américaine fait de même, les autres agences dans le monde aussi...
Mme Sophie Primas , présidente . - En quoi une haute autorité gérerait mieux le problème des conflits d'intérêt ?
M. André Cicolella . - Le président du comité de l'AFSSA travaillait pour Arkema , une filiale de Total qui fabriquait des polycarbonates : conflit d'intérêt ! La création de l'ANSES dotée d'un code de déontologie montre bien qu'il y avait des problèmes. Le rapport le plus récent de cette agence a été salué comme remarquable, mais c'est la démarche normale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'ANSES pourrait peut-être remplir cette fonction de haute autorité ?
M. André Cicolella . - Non, car il faut séparer l'autorité qui s'occupe d'expertise et celle qui est chargée du respect de la déontologie. Le mieux serait un système de type CNIL , autour de personnalités chevronnées, afin de résoudre les problèmes les plus criants. La première alerte sur le bisphénol a été lancée en 1993, M. Krishnan s'interrogeait sur la présence de substances à potentiel oestrogénique dans les revêtements des boîtes de conserve. La première étude est intervenue en 1997. Il y a quinze ans...
La stratégie du doute a été portée à son plus haut degré de raffinement par l'industrie du tabac ; un dirigeant de l'un des grands groupes mondiaux disait du reste : « Nous sommes là pour produire du doute ». De fait, pendant vingt ans, on invoquait des effets incertains sur la santé, on remettait en question la notion de tabagisme passif, etc. L'industrie chimique fonctionne sur le même modèle.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais maintenant, on colle sur les paquets de cigarette des photos épouvantables.
M. André Cicolella . - Certes, ce n'est plus la publicité d'il y a cinquante ans où le jeune Ronald Reagan fumait une Chesterfield...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - J'ai été choquée par une publicité récente qui montre un enfant dans un jardin tandis que le slogan annonce : « L'abus de pesticides est dangereux pour la santé ». L'abus seulement ?
M. André Cicolella . - Cela pose la question de la gestion des risques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous avez dit, à propos des autorisations de mise sur le marché (AMM), qu'il suffirait d'ajouter deux lettres à la réglementation.
M. André Cicolella . - Oui, une substance classée parmi les perturbateurs endocriniens doit être éliminée. On ne peut la gérer par la dose.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Y en a-t-il aujourd'hui qui sont utilisées ?
M. André Cicolella . - Bien sûr. En 2004, une étude japonaise a porté sur 200 pesticides . Une liste de 47 substances à effets oestrogéniques a pu être établie, et une autre de 34 substances à effets androgéniques - y compris des substances utilisées aujourd'hui , les carbamates par exemple.
Un article américain récent fait le point sur les faibles doses : c'est la question urgente aujourd'hui.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les scientifiques doivent-ils être plus prudents ?
M. André Cicolella . - Il faut surtout que la prudence scientifique ne se transforme pas en immobilisme sociétal. A quel moment le faisceau est-il suffisant pour justifier une réaction ? C'est au politique de le décider. En France, le schéma actuel est assez positif. Sur le bisphénol dans les biberons, on a vu des sénateurs se saisir de la question et entraîner avec eux une large majorité. Il y a unanimité sur les phtalates ou le parabène . Notre pays est le premier au monde à avoir interdit le bisphénol dans les boîtes de conserve, continuons à donner l'exemple. Les États-Unis d'Amérique nous ont emboîté le pas concernant les biberons, l'ensemble des pays européens également, la Chine et le Brésil ont suivi. Si la France joue un rôle moteur, tant mieux : cela vaut mieux que d'envoyer des signaux contradictoires à la recherche, sur ces questions, voire de couper les crédits...
Mme Sophie Primas , présidente . - Les épidémiologistes ont-ils apporté suffisamment ?
M. André Cicolella . - L'essentiel est d'avoir une approche multidisciplinaire. L'épidémiologie a tendance à se considérer comme la seule science du risque alors qu'il faut aussi faire intervenir la toxicologie, ainsi que l'expologie, terme nouveau qui mesure les différences d'effets selon les populations exposées, les exposomes faisant l'objet de plusieurs programmes de recherche européens.
Mme Sophie Primas , présidente . - Des Français travaillent-ils sur l'expologie ?
M. André Cicolella . - L'ANSES dispose d'un département d'expologie et cela se développe. Ainsi, le programme national de recherche « Elfe (Étude longitudinale française depuis l'enfance), Grandir en France » va suivre pendant vingt ans un échantillon de 20 000 enfants nés en 2011. Il apparaît déjà que 96 % de femmes enceintes étaient contaminées par le bisphénol A et que la comparaison du taux de contamination à celui des césariennes était particulièrement éclairante.
Mme Sophie Primas , présidente . - Y a-t-il corrélation ?
M. André Cicolella . - Pour les épidémiologistes, corrélation n'est pas causalité ! La vérité est en la matière un peu comme l'horizon, qui semble s'éloigner au fur et à mesure que l'on avance.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'est-il donc pas possible d'établir un lien de causalité ?
M. André Cicolella . - Non, puisque la méthode consiste toujours à se fonder sur le doute. Mais il ne faut pas attendre la preuve du lien de causalité en se donnant une apparence de rigueur scientifique . Cela dit, lorsque pour le bisphénol A , vous disposez de plus de 600 études qui disent à 95 % la même chose...
Idem pour les phtalates , présents même dans des médicaments, pour lesquels l'on dispose de plus d'une centaine d'études, alors que l'on sait que les prématurés débutent aujourd'hui leur vie avec une dose de phtalates dans le sang mille fois supérieure à celle des adultes ! Si l'on utilise cette grille de lecture, on voit incontestablement apparaître des choses.
Mme Sophie Primas , présidente . - Mais à partir de quel moment le faisceau d'indices est-il considéré comme suffisamment large ?
M. André Cicolella . - La déontologie de l'expérimentateur joue un rôle essentiel. Par exemple, on ne saurait se contenter de résultats d'expérimentations in vitro ...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il faut une batterie d'indicateurs très large ou alors beaucoup de morts...
M. André Cicolella . - Dans le cas des perturbateurs endocriniens, dans la mesure où tout le monde est exposé, on ne peut plus compter les morts. On n'est plus dans le schéma causal simple que l'on a connu avec l' amiante , cause du mésothéliome. Outre que, comme dans le cas du cancer du sein, on a une multiplicité de facteurs, l'effet cocktail et la courbe en cloche rendent impossible l'établissement d'une chaîne de causalité univoque.
M. Joël Labbé . - Dans la mesure où les scientifiques ne peuvent pas aller jusqu'au bout de leurs preuves, il revient à un certain moment aux responsables politiques de jouer leur rôle. A cet égard, le fait que plusieurs décisions d'interdiction aient été votées à l'unanimité est plutôt encourageant.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Oui, c'est au politique d'aller au-delà de la prudence scientifique.
M. André Cicolella . - Sans reprendre cette expression, je dirai aussi qu'il revient au politique de décider, lorsque nous disposons de suffisamment d'éléments et au regard de l'enjeu sociétal des risques encourus, qui peuvent être transgénérationnels, comme avec le distilbène pour lequel des études révèlent que 9 % des enfants dont les grand-mères ont pris ce médicament naissent encore avec des malformations génitales. Ce sont autant de bombes à retardement qui ont été lancées !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce qui est terrible, c'est qu'une partie de ces produits sont encore sur le marché. Vous évoquiez deux listes de 47 et de 34 substances sur 200...
M. André Cicolella . - Pour les pesticides, oui.
Mme Sophie Primas , présidente . - Rencontre-on aussi des problèmes liés à certaines substances naturelles ?
M. André Cicolella . - Oui, c'est par exemple le cas de la génistéine , un phyto-oestrogène qui est une des composantes du soja.
Mme Sophie Primas , présidente . - Que peut-on faire ?
M. André Cicolella . - Peut-être faudrait-il sérieusement s'interroger sur la mode du soja qui peut être bénéfique aux Asiatiques, compte tenu de leur patrimoine génétique, mais produire des effets différents chez nous.
M. Joël Labbé . - C'est une question environnementale. A-t-on tant besoin du soja ici ?
M. André Cicolella . - Il y a aussi d'autres substances, telles que le mercure , le cadmium ou l' arsenic aujourd'hui considérés comme des perturbateurs endocriniens. Mais il est difficile de s'en passer , sauf, par exemple, dans des cas tels que celui du mercure en dentisterie.
Sur les pesticides, je précise pour finir qu'il existe aujourd'hui trois études, notamment canadiennes, portant sur les effets cancérogènes sur l'adulte et sur l'enfant, dont certains sont liés à des expositions directes.
Audition de M. Joël Guillemain, pharmaco-toxicologue, membre de l'Académie nationale de pharmacie (3 avril 2012)
M. Joël Guillemain . - Pharmacien toxicologue, j'ai participé à de nombreuses missions auprès de l'AFSSAPS, je préside le comité d'experts spécialisés en biotechnologies de l'ANSES, traitant plus spécifiquement de la sécurité sanitaire des OGM en biotechnologies. Je suis membre du Haut conseil des biotechnologies.
L'évaluation préalable des produits phytosanitaires constitue un minimum minimorum . Encore faut-il savoir si elle est pertinente au regard de la façon dont ces produits seront utilisés par la suite , la question s'étant posée pour un dossier sur lequel je suis intervenu récemment, celui des glyphosates ayant fait l'objet de plus de 116 études reprises dans un dossier de l'ANSES de 3 000 pages. Si elles sont nécessaires, ces études sont néanmoins perfectibles.
Mme Sophie Primas , présidente . - Sur quels points ?
M. Joël Guillemain . - Elles le sont dans la mesure où les différents protocoles utilisés ne prennent pas toujours en compte l'évolution des connaissances et des préoccupations , comme celle des perturbateurs endocriniens ou des effets à long terme de faibles doses de produits. Alors que la toxicologie porte sur les effets de doses massives, il me semble particulièrement intéressant de développer une approche infra-toxicologique, notamment à partir de l'effet de faibles doses à rép étition. Mais cela est difficile et je n'ai pas de remède miracle à vous proposer pour permettre de faire des observations en longue période, la durée de deux ans retenue pour les études sur les rats à propos de produits cancérogènes n'étant peut-être pas suffisante.
Doit aussi être pris en compte l'effet cocktail , même si son analyse est très difficile à documenter comme le démontrent les effets de la génistéine , dont les effets génotoxiques disparaissent quand elle est associée à un autre composant du soja. Pensez aussi au potentiel cytotoxique de certaines protéines à dose très élevée en association avec le glyphosate , qui se transforme en un effet protecteur, lorsque ces protéines sont associées à du Roundup . Lors d'un congrès sur la génotoxicité et les pesticides, il a été constaté qu' il était impossible de faire le point sur l'ensemble de ces effets cocktail : les combinaisons possibles sont infinies .
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'en est-il des effets sur l'environnement?
M. Joël Guillemain . - L'exemple des OGM illustre bien que les différences de teneur de certaines substances sont liées à l'environnement, M. Bruce Ames (professeur de biochimie et biologie moléculaire à l'Université de Californie, Berkeley) ayant même démontré dans un article provocateur publié en 1990 que 99,99 % des pesticides alimentaires étaient en fait d'origine naturelle, contenus par exemple dans le persil, la salade, le poivre, le basilic, et que 27 sur 52 étaient cancérogènes à forte dose.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Si la salade est sulfatée, c'est encore pire.
M. Joël Guillemain . - L'on a effectivement observé un cas d'intoxication par le persil : lié à une consommation quotidienne de plusieurs centaines de grammes pendant quinze ans ! Les pesticides ne devraient être utilisés que dans de bonnes conditions et selon les bonnes doses, comme cela aurait aussi du être le cas des antibiotiques, ce qui poserait aujourd'hui moins de problème de résistance.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - M. André Cicolella nous disait que, s'agissant des perturbateurs endocriniens, ce n'est pas la dose qui fait le poison et que le problème est ailleurs. N'est-ce pas contradictoire avec votre propos ?
M. Joël Guillemain . - Au delà de la déclaration que vous citez qui demeure vrai, plusieurs experts de l'INRA ont indiqué que les pesticides étaient intéressants dès lors que l'on ne les utilisait pas n'importe comment, au point d'aboutir, comme on l'a fait, à des intoxications ou à des phénomènes de saturation des sols.
Mme Sophie Primas , présidente . - Si l'on n'abuse pas, ça va. C'est bien cela ?
M. Joël Guillemain . - Moins on en aura, mieux on se portera. Les pesticides demeurent un poison au même titre que les médicaments et, dans les deux cas, si l'on ne respecte pas les doses, l'on va à la catastrophe.
M. André Cicolella a raison lorsqu'il affirme que, en principe, de faibles doses produisent aussi des effets, des études démontrant toutefois que, au-delà de certaines doses, les effets d'un produits changent, jusqu'à s'inverser. Le cadmium est immunodépresseur à forte dose mais peut avoir un effet immunostimulant à faible dose.
La réalisation des études par les industriels est-elle de nature à introduire des biais ? Il est évident que les industriels ne sont pas des poètes mais il nous revient d'évaluer ce qu'il y a derrière ces études plutôt que de « jeter le bébé avec l'eau du bain », en entretenant l'idée que les choses sont nécessairement suspectes, comme c'est le cas en matière d'OGM.
A cet égard, il faut distinguer les études réalisées sur le site de l'industriel de celles confiées à des prestataires de service pas trop malléables car le critère tenant à l'environnement de réalisation de l'étude est essentiel. Si les études répondent aux normes de bonnes pratiques de laboratoire (BPL), est alors assurée une totale traçabilité de l'ensemble des opérations donnant lieu à des contrôles. C'est ce qui est fait par l'AFSSAPS, tous les deux ans, s'agissant de laboratoires d'études de médicaments. Dès lors que l'on se trouve dans ce type d'environnement, il me semble difficile d'affirmer que les études sont biaisées. Bien entendu, les industriels peuvent toujours orienter à la marge le résumé du rapport d'étude, mais il nous revient de ne pas nous en contenter et d'aller débusquer les éléments de démonstration dans les données présentées à l'intérieur même de ce rapport.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ces prestataires de service sont-ils payés par les industriels ?
M. Joël Guillemain . - Oui, sachant que, en France, pas un seul laboratoire public ne pourrait se vanter de répondre à la norme BPL !
M. Joël Labbé . - Quels sont précisément les moyens de la recherche publique? Ne pourrait-on pas imaginer un système de taxation de ces activités bénéficiant aux laboratoires publics ?
M. Joël Guillemain . - Face à ces lacunes, l'exemple de l'organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée (TNO), qui réalise beaucoup d'études, à la fois dans un cadre public et privé, pourrait être intéressant.
Je vais faire deux confidences. Il y a quelques années, le laboratoire de l'INRA de Tours, pourtant particulièrement en pointe, auquel je m'étais adressé pour effectuer des études dans le cadre de recherches sur une substance OGM susceptible de lutter contre la mucoviscidose, n'avait pas été en mesure de réaliser cette mission, que j'ai donc confiée à un organisme privé. De même, alors que nous disposions de financement et du matériel pour réaliser une étude sur les effets à long terme de certains OGM à la demande d'un conseiller régional écologiste de la région Centre, nous n'avons pas pu la réaliser dans les laboratoires publics.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pour quelles raisons ?
M. Joël Guillemain . - L'université sollicitée n'avait visiblement pas envie de s'attaquer à un sujet tabou sur lequel on s'expose à des critiques, que l'on démontre une chose ou son contraire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous de la réévaluation tous les dix ans des substances autorisées par les autorisations de mise sur le marché (A.M.M) ?
M. Joël Guillemain . - Tout dépend de la qualité des études initiales et des mesures de suivi mises en place. Certes, les pesticides sont toxiques et je préfère les salades de mon jardin non traitées mais, dans le cas où ils sont indispensables, il faut qu'un suivi soit instauré.
Mme Sophie Primas , présidente. - Qu'entendez-vous par mesures de suivi ?
M. Joël Guillemain . - Il s'agit notamment des fichiers que les agriculteurs sont appelés à remplir, même si ceux que je rencontre me disent ne pas utiliser les protections prévues. Il est vrai que le dispositif de suivi est un peu nébuleux et peut-être pas extrêmement pertinent.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et que penser du fait que la réévaluation intervienne tous les dix ans ?
M. Joël Guillemain . - Cela convient dès lors que l'on dispose des moyens d'alerte propres à remettre en cause ou compléter les études initiales, comme cela existe pour les médicaments ou, en matière d'OGM pour le Mon810 . Il s'agit en effet de véritables plans de suivi post-commercialisation indispensables notamment fondés sur des questionnaires.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais ces systèmes n'existent pas ou si peu.
M. Joël Guillemain . - Oui, le Pr Denise-Anne Moneret-Vautrin, membre de l'Académie de médecine, s'est plusieurs fois plainte de ne pas disposer de moyens pour assurer de suivi en matière d'allergo-vigilance.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels sont les principaux risques auxquels sont exposés les utilisateurs ?
M. Joël Guillemain . - Outre les risques d'ingestion aiguë, qui relèvent de la toxicologie et sont très bien documentés, il s'agit surtout de risque d'inhalation ou de contacts cutanés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteu r. - À cet égard, il semblerait que les équipements de protection individuelle ne servent à rien.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et qu'ils aggraveraient même la situation...
M. Joël Guillemain . - En effet, ils peuvent avoir un effet d'augmentation du confinement, même si, a priori , l'idée de protéger les utilisateurs de ces substances est une bonne chose.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Si ces substances sont néfastes pour les utilisateurs, elles doivent l'être aussi pour l'environnement et pour toutes les autres personnes.
M. Joël Guillemain . - Oui, ce qui pose une fois encore la question de la validation des procédures mises en place, qui ne sont peut-être pas pertinentes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles sont les substances en cause dans l'apparition de maladies professionnelles ?
M. Joël Guillemain . - Parmi les plus incriminées, me semblent figurer les substances organo-phosporées ou les carbamates agissant comme perturbateurs endocriniens ou causant des troubles neuro-comportementaux tels que la maladie de Parkinson ou celle d'Alzheimer . Il est de toute façon probable qu'une substance destinée à avoir une action létale sur des insectes n'est pas sans effet sur l'homme. Je le redis, il s'agit de substances dangereuses.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Si l'on considère ces produits comme dangereux, peut-être vaut-il mieux les retirer du marché ?
M. Joël Guillemain . - Vous avez raison. Mais je crois que l'on observe une évolution après le laxisme des trente dernières années, les jeunes générations, notamment chez les viticulteurs que je rencontre, me semblent plus sensibilisées à ces questions, même si beaucoup reste à faire en termes d'éducation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - M. Paul François qui a été intoxiqué par les pesticides nous a dit avoir été étonné par le manque de prise de conscience des jeunes auxquels il s'adresse. Il y a effectivement beaucoup à faire en matière de formation.
M. Joël Labbé . - Qu'en est-il des effets, sur la biodiversité en général, de l'épandage de ces produits ?
M. Joël Guillemain . - L'usage des pesticides a effectivement un effet environnemental. D'ailleurs, je m'étonne de constater qu'un OGM utilisant une protéine BT elle-même utilisée en agriculture biologique, non toxique pour l'homme et susceptible de constituer une des solutions de remplacement des pesticides, se heurte, même si ce n'est pas la panacée, non pas au principe de précaution, mais à une hostilité systématique, l'approche de la société me semblant sur ce point paradoxale. Mais c'est un autre sujet.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Existe-t-il des alternatives aux pesticides ?
M. Joël Guillemain . - Oui, il en existe, qu'il s'agisse des OGM, du DiPel , insecticide à base de protéine BT utilisé par l'agriculture biologique, ou de certains pratiques culturales telles que la rotation des cultures permettant d' améliorer la résistance naturelle des plantes ; car celles-ci savent se défendre et produisent elles-mêmes leurs propres insecticides .
Les plantes peuvent aussi être améliorées par d'autres méthodes, comme la mutagénèse. L'on a ainsi développé des variétés de tournesol particulièrement résistantes mais, alors même qu'il ne s'agit pas d'OGM, elles ont été fauchées... Pourtant, la recherche d'alternatives aux pesticides étant impérative, tous les champs de la recherche devraient être ouverts !
L'objectif dans l'immédiat est déjà celui d'une réduction de 50 %.
Mme Sophie Primas , présidente . - Voire davantage...
M. Joël Guillemain . - Certes, mais je crains qu'il ne s'agisse d'une bonne intention qui ne sera pas suivie d'effets.
Mme Sophie Primas , présidente . - Souhaiteriez-vous nous délivrer un message ?
M. Joël Guillemain . - Si j'ai évoqué les OGM, je n'en suis pas un inconditionnel, l'essentiel à mes yeux étant que soient retirés de la consommation tous les produits dont la toxicité est avérée.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Mais qu'entendez-vous par « avérée », lorsque de nombreux produits toxiques sont encore sur le marché ?
M. Joël Guillemain . - Les critères scientifiques permettent, notamment par le rapprochement de différentes études, de définir la toxicité d'une substance, sachant qu'il revient ensuite au gestionnaire du risque de prendre ses responsabilités. Bien entendu, un équilibre doit être trouvé, dans la mesure où l' on ne peut pas se passer complètement des pesticides ; en revanche, il est, évident que leur utilisation et leur suivi doivent être améliorés.
Entretien avec des agriculteurs membres du G.I.E. « La Ferme de Chassagne », exploitation d'agriculture biologique à Villefagnan (3 avril 2012)
La mission d'information a été reçue par M. François Peloquin, exploitant en agriculture biologique, à Villefagnan, en présence d'autres agriculteurs membres du GIE « La Ferme de Chassagne ».
Tout d'abord, M. François Peloquin a fait visiter son exploitation à la mission. Il s'agit d'une exploitation familiale, passée en agriculture biologique dès les années 1970 suivant un choix écologique et éthique de contribuer à une agriculture pérenne. M. François Peloquin a repris l'exploitation en 1996. Celle-ci s'étend sur un parcellaire de soixante deux hectares d'un seul tenant autour du siège d'exploitation. Les parcelles sont maillées de sept kilomètres de haies ou de lisières de bois qui contribuent à la richesse de l'écosystème.
M. François Peloquin alterne sur ses parcelles la culture de céréales (blé, grand épeautre, petit épeautre), de légumes secs (lentilles, pois chiches), et de tournesol, en rotation avec de la luzerne. La ferme ne dispose pas d'un système d'irrigation. La totalité de la production réalisée sur l'exploitation est valorisée en bio. La commercialisation passe par le GIE de « La Ferme de Chassagne », créé également en 1996. Il s'agit d'un groupement d'agriculteurs biologiques spécialisé dans la transformation et la commercialisation de légumes secs, de farines de céréales et d'huile de tournesol biologiques. 400 tonnes de légumes secs et de céréales sont produits, transformés et vendus par an. M. François Peloquin a indiqué que la plus-value ainsi apportée aux produits permet aux agriculteurs du groupement de vivre sur des fermes de taille moyenne. Étant donné la variabilité des rendements en bio du fait de la non irrigation et des risques liés à certaines cultures (lentilles, pois chiches), la vente collective permet de maîtriser les débouchés et de mieux valoriser les produits. M. François Peloquin a conclu la visite par la présentation du fournil, installé sur son exploitation en 2009 pour valoriser le blé produit et créer un emploi pour sa femme.
Les agriculteurs présents ont déploré la pollution subie sur leurs parcelles biologiques du fait des produits phytosanitaires employés par les agriculteurs conventionnels voisins. Ils ont plaidé en faveur du développement de l'agriculture biologique, système pérenne et économiquement viable qui permettrait d'éviter de nouvelles victimes des pesticides, plutôt que de se contenter de réparer les dommages subis par ces victimes. Le développement de cette filière passe notamment par des efforts supplémentaires en matière d'enseignement agricole pour promouvoir les méthodes alternatives aux pesticides .
Par ailleurs, M. François Peloquin a regretté le manque de moyens alloués à l'agriculture biologique , que ce soit au niveau des aides européennes ou à celui de la recherche. Il a relevé que, sur les 2 900 salariés de l'INRA, seulement 25 travaillent sur l'agriculture biologique qui devrait représenter pourtant 20 % de l'agriculture française en 2020 alors qu'il serait important d'améliorer les rendements.
Il a rappelé que la politique agricole commune (PAC), qui favorise une agriculture intensive et conventionnelle, devrait être réformée après discussion avec l'ensemble de la population, à savoir les citoyens qui sont aussi les consommateurs de produits issus de l'agriculture.
M. François Peloquin a rappelé que, à l'heure actuelle, 50 % des produits bio consommés en France sont importés . Plutôt que de financer des usines de biocarburants, il a indiqué qu'il serait préférable de développer des pôles de conversion au bio , « qui n'est pas une agriculture de niches », afin de créer des synergies entre agriculteurs et encourager la filière. En effet, la conversion au bio prend de une à trois années en moyenne, selon que la coopérative apporte ou non son aide. L'agriculture bio constitue un véritable exemple de diversification ; elle est susceptible de fonctionner quels que soient les types de sol et de territoire.
Il a signalé que la filière de l'agriculture biologique avait interpellé sur ces thèmes tous les candidats à l'élection présidentielle et comptait en faire autant pour les candidats aux élections législatives.
700 agriculteurs biologiques sont présents dans la région Poitou-Charentes sur environ 23 000 au niveau national. L'enjeu économique est fort, notamment si l'on prend en compte la filière de transformation de la production de ces agriculteurs. En réponse à une question sur les rendements de l'agriculture biologique, M. François Peloquin a rappelé que pour de nombreuses productions comme le tournesol, et sur un sol argilo-calcaire, les rendements moyens sont très proches de ceux de l'agriculture conventionnelle .
Enfin, au-delà de la question de l'usage des produits phytosanitaires, plusieurs des agriculteurs présents ont mentionné l'enjeu de la qualité de l'eau et de la réduction de sa consommation . En effet, retrouver une qualité de l'eau satisfaisante est une démarche difficile mais nécessaire pour la santé des citoyens. La mission a ainsi pu recueillir le témoignage d'un agriculteur qui a expliqué avoir pu se convertir au bio grâce à une mesure agro-environnementale territorialisée parce que ses parcelles étaient situées sur une zone de captage de l'eau.
Les agriculteurs ont critiqué un système qu'ils jugent paradoxal : de nombreuses collectivités ainsi que l'Union européenne subventionnent le développement de l'irrigation, donc de l'agriculture intensive avec usage de pesticides, ce qui contraint ensuite le contribuable à payer pour que l'eau polluée redevienne potable.
Ils opposent à ces pratiques le modèle de l'agriculture biologique, plus économe en eau car il organise la rotation des cultures et le bon fonctionnement des sols, ce qui augmente leur capacité de rétention de l'eau . Par ailleurs, M. François Peloquin a attiré l'attention de la mission sur le relèvement, fin 2011, des seuils de référence pour la quantité de pesticides dans l'eau. Il a préconisé de donner la priorité à l'agriculture biologique pour les terres qui se libèrent dans des zones d'alimentation de captage d'eau .
Enfin, M. François Peloquin a déploré que les aides obtenues par les agriculteurs conventionnels pour réduire leur utilisation de produits phytosanitaires soient supérieures aux aides accordées à l'agriculture biologique. Le signal politique ainsi donné est fortement décourageant.
Entretien avec des élus et des personnels territoriaux sensibilisés à la réduction de l'usage des pesticides par les collectivités territoriales, à Saint-Groux (3 avril 2012)
La mission a rencontré, autour du maire de Saint-Groux M. Gérard Bouchaud, un certain nombre d'élus locaux du pays du Ruffécois ayant décidé de réduire puis d' abandonner totalement l'usage de produits phytosanitaires pour l'entretien des espaces publics de leurs collectivités .
Ainsi, le maire de Saint-Groux a indiqué à la mission d'information s'être engagé dans cette démarche de non utilisation des pesticides en 1995. La mise en oeuvre de ce choix a nécessité de la pédagogie, aussi bien auprès du conseil municipal, dont bon nombre de membres sont eux-mêmes agriculteurs, que de la population.
La commune de Saint-Groux a adhéré à la Charte « Terre saine » Poitou-Charentes . Votre commune sans pesticides », qui commence à être bien connue dans la région et incite les communes et les intercommunalités à participer à la réduction des pesticides et à la préservation de l'environnement. Le développement de ce type de dispositifs contribue à la sensibilisation des élus et des techniciens à la dangerosité des produits phytosanitaires.
M. Franck Bonnet, vice président du conseil général, a rappelé que la Charte « Terre saine » concernait 89 communes du Ruffécois et 47 écoles. Il a montré à la mission le panneau qui est maintenant apposé dans tous les lieux où se trouvent des enfants pour les alerter sur le danger des pesticides.
Il s'est félicité du nombre de communes du Ruffécois qui, avec ou sans engagement officiel, ont désormais des écoles sans pesticides ou presque.
Pour mener ces actions novatrices, il a rappelé la nécessité d'établir un plan de gestion avant d'aller sur le terrain ainsi que celle de sensibiliser le grand public.
En outre, dans le pays du Ruffécois, un partenariat avec l'ATMO Poitou-Charentes, association régionale pour la mesure de la qualité de l'air, a été conclu pour mesurer les pesticides dans l'air.
Après avoir rappelé que la Charente utilisait beaucoup de pesticides et avait supprimé les haies, le maire de Saint-Groux a expliqué que le changement de pratiques d'entretien des espaces communs est passé par la replantation de sept kilomètres de haies, dont les agriculteurs ont constaté le bienfait sur les cultures. L'aménagement de la commune a également dû être adapté, avec des trottoirs désormais en calcaire, des zones laissées enherbées , mais tondues régulièrement, etc. Cette démarche a nécessité de convaincre la population du village et d'engager des actions de communication sur la propreté et les nouvelles méthodes d'entretien des espaces collectifs . La gestion des mauvaises herbes dans le cimetière a notamment pu constituer un point particulier d'attention pour la population qui considérait cette végétation comme le signe d'un entretien défaillant.
Au milieu des années 1990, au début de la transition opérée à Saint-Groux, le cantonnier passait dans la commune un jour par semaine. Aujourd'hui, l'entretien nécessite un emploi à temps complet, mais plus aucun pesticide n'est utilisé. Des formations ont été suivies par les employés municipaux comme par les élus présents qui ont insisté sur l'enjeu et le coût de ces formations. Le CNFPT finance une partie de cette formation, dont le poids financier repose essentiellement sur les communes, en termes de non disponibilité des agents pendant quelques jours, ce qui peut poser problème pour les petites communes. La valorisation du travail des agents municipaux a été mise en avant comme un point central de la démarche de réduction de l'emploi des pesticides dans les collectivités. Par ailleurs, les élus ont rappelé que, à partir de 2014, les employés qui continueront à utiliser des pesticides seront soumis au respect des règles de Certiphyto .
Les élus ont indiqué la nécessité de réaliser un nouveau plan de gestion de la commune, pour préparer la transition vers la fin de l'usage des pesticides. Ce plan permettra, d'une part, de donner une vision globale du territoire communal, et, d'autre part, de disposer d'un outil pédagogique pour convaincre le conseil municipal et la population. Des journées de sensibilisation du grand public pourront être organisées, notamment à destination des jardiniers amateurs afin de les informer sur les dangers des produits phytosanitaires et parler des méthodes alternatives existant à l'heure actuelle. Les élus ont mentionné la constitution d'un recueil des pratiques de jardinage traditionnelles et écologiques. Ils ont insisté sur l'ambiguïté de la réglementation : si l'achat et l'utilisation des pesticides sont globalement bien encadrés pour les usages professionnels, leur accès est très facile et peu contrôlé pour les particuliers. Toujours dans le cadre des actions de sensibilisation, les élus présents ont fait état du travail important effectué dans les écoles locales sur le sujet des pesticides, avec la création de jardins écologiques, afin d'enseigner les méthodes alternatives dès le plus jeune âge . En outre, les espaces à destination des enfants des communes du Ruffécois sont gérés sans pesticides par la communauté de communes.
Comme le résultat des méthodes alternatives diffère de celui obtenu avec l'emploi de pesticides, les élus ont indiqué la nécessité d'expliquer la raison de leur choix, à savoir la dangerosité des produits pour l'agent municipal comme pour la population et l'environnement. La première étape de la démarche de réduction des pesticides dans les collectivités est véritablement l'information. Les élus ont porté à la connaissance de la mission les résultats du programme Acceptaflore , mis en oeuvre dans le cadre du plan Ecophyto, sur « l'acceptation de la flore spontanée en ville », réalisé par Plante & Cité en 2011 et ses recommandations pour l'élaboration d'outils de communication.
Interrogés sur les maladies éventuellement contractées par les agents municipaux, les élus ont cité le Dr Éric Ben-Brik, médecin du travail à Poitiers, qui a mis en évidence la difficulté de prouver le lien de causalité entre les pathologies affectant certains agents communaux et l'usage des pesticides. Cela est en partie dû au fait que les communes ne sont pas obligées de suivre leurs achats de produits phytosanitaires et l'utilisation de ces produits.
En conclusion, les élus présents ont souligné que les efforts devaient être poursuivis et que les collectivités ne pouvaient se permettre d'être en retard sur ces questions, à l'heure où la loi exige des agriculteurs eux-mêmes de réduire leur utilisation de pesticides.
Entretien avec l'association Phyto-Victimes (3 avril 2012)
Entretien de la mission d'information à Bernac, en Charente, avec l'association Phytovictimes : M. Paul François, président, Mme Caroline Chénet, vice-présidente, M. Jacky Ferrand, membre, et M. Fabrice Micouraud, vice-président de l'association de riverains des pommiers, Allassac -ONGF (OEuvrons pour la nature et les générations futures) .
M. Jacky Ferrand a tout d'abord rappelé que, dans les années 1970, on partait de l'idée que l'on ne risquait rien. Cependant, en 2011, son fils viticulteur, est décédé d'un cancer de la vessie après avoir souffert d'une leucémie lorsqu'il était enfant. Pour autant, la suspicion de maladie professionnelle a été difficile à établir du fait de la réticence de la Mutualité sociale agricole (M.S.A.) , ce qui a fait trop peser sur la famille le poids des éléments de preuve à apporter.
Mme Caroline Chénet a indiqué que, en janvier 2011, son mari, éleveur et viticulteur, est décédé d'une leucémie causée par le benzène . Elle a noté que, enfant, celui-ci vivait déjà au milieu de vignes traitées puis que, au cours des années 1980-1990, les produits phytosanitaires ont été utilisés à plein. Tombé malade en 2002, son mari a subi des traitements mais il y a eu des rejets de ceux-ci. De 2002 à 2006, il a rencontré les plus grandes difficultés à établir un dialogue avec la M.S.A .
Actuellement, pour la partie élevage de son exploitation agricole, Mme Caroline Chénet est en train de passer à des méthodes biologiques et envisage de le faire ultérieurement pour la partie vignoble même s'il est plus difficile de valoriser un produit vinicole bio.
M. Jacky Ferrand a souligné que la reconnaissance de l'agriculture et de la viticulture biologiques n'est pas évidente puisque, à travers les contrats liants les maisons de négoce aux viticulteurs, les interprofessions du cognac et du champagne dirigent et que, chaque année, neuf à quatorze traitements sont effectués dans les vignobles. Toutefois, pour que moins de produits dangereux se trouvent concentrés dans le cognac, certains producteurs, comme Rémy Martin, sont en train de changer leurs pratiques.
Mme Caroline Chénet a relevé qu' il appartient à chaque viticulteur de négocier, chaque année, avec la coopérative viticole le nombre et le coût des traitements à retenir .
M. Jacky Ferrand a fait observer que les commerciaux des coopératives ne viennent pas sur place mais adressent des SMS aux viticulteurs pour prescrire les traitements à appliquer, ce qui peut occasionner des erreurs considérables commises au nom du rendement. La victoire sur le mildiou se paye au prix de morts au bout des rangs de vignes, ce dont les viticulteurs ne veulent pas parler. En effet, les viticulteurs sont conditionnés dès l'enfance à utiliser les pesticides et à ne pas en parler .
D'après M. Fabrice Micouraud, vice-président de l'association de riverains des pommiers, Allassac-ONGF (OEuvrons pour la nature et les générations futures) il peut même exister des pressions sur les lycées agricoles qu'il est possible de priver du bénéfice de la taxe d'apprentissage !
Quant aux nuisances subies par les riverains , il a été constaté, par exemple, que des vêtements qui ont séché en plein air peuvent ensuite provoquer des plaques sur les bras de ceux qui les portent. D'autres problèmes de santé sont également attribués aux pommiers du Limousin car, souvent, les délais de réentrée dans les vergers après traitements ne sont pas respectés ; il advient aussi que des promeneurs soient arrosés par les pesticides au cours d'une pulvérisation.
Pour M. Fabrice Micouraud, les agriculteurs ont une part de responsabilité dans de tels événements car ce sont les zones de plantations qui sont venues se rapprocher des habitations et des zones de captage des eaux et non le contraire. Cela est d'autant moins négligeable que près d'une quarantaine de traitements avec deux cents substances actives autorisées sont possibles chaque année. Il lui semble d'ailleurs que la réglementation applicable n'est pas respectée.
Il a insisté aussi sur une autre difficulté provenant de l'emploi de raticides : des chiens ont été empoisonnés par les sachets contenant ces produits et des procédures commencent à apparaître à ce propos.
M. Jacky Ferrand a relevé que, lorsque les exploitations sont très morcelées, chaque agriculteur peut traiter un jour différent, d'où la présence permanente de pesticides dans l'air .
Pour estimer l'importance de ce phénomène, une commune de Charente vient de décider de faire évaluer chaque jour la qualité de son air.
M. Fabrice Micouraud a signalé que certaines coopératives encourageaient le traitement par aéronef puisque les châtaignes traitées sont achetées à un meilleur prix et que, en outre, la coopérative peut laisser entendre qu'elle ne s'approvisionnera plus chez les producteurs qui ne traitent pas.
Quant aux chercheurs, lorsqu'ils mènent des investigations sur l'efficacité d'un pesticide donné, ils ont probablement tendance à oublier l'importance des questions de santé et d'environnement.
Pour M. Paul François, président de Phytovictimes, l'arboriculture et la viticulture sont davantage concernées par l'utilisation des produits phytosanitaires. En effet, les filières en place sont peu ouvertes à d'autres techniques ce qui incite d'ailleurs les agriculteurs au silence sur leurs problèmes de santé.
Il a déploré que l'inscription de la maladie de Parkinson parmi les maladies professionnelles reconnues par la M.S.A. soit toujours attendue depuis décembre 2011. Il s'est demandé pourquoi beaucoup de médecins tergiversaient alors que la prise en charge de cette maladie processionnelle est importante pour les malades.
Puis, il a relevé que le monochlorobenzène , à l'origine de son accident, ne figurait toujours pas dans le tableau de la M.S.A.
Il a noté également que la reconnaissance des maladies par la M.S.A . variait selon les départements concernés, ce qui conduisait à s'interroger sur le lien entre ces disparités et l'incidence financière de la reconnaissance de maladies professionnelles.
De plus, il a constaté que la F.N.S.E.A. comme la Coordination rurale n'étaient pas enthousiasmées par l'existence de l'association Phytovictimes ; or, souvent, les élus de la M.S.A. sont également des élus de la F.N.S.E.A.
Il a attiré l'attention de la mission sur le fait que, lors de la réunion de la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP), tenue le 1 er juin 2011, la F.N.S.E.A a voté contre la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie de Parkinson.
M. Jacky Ferrand a rappelé que, d'après les chercheurs, le cancer de la vessie peut être causé par l'utilisation d'un dérivé du benzène . Il s'est étonné qu'il faille se battre contre la M.S.A. pour faire reconnaître cela, même si les factures d'achat du pesticide en question peuvent être fournies sur plusieurs années ainsi que le cahier d'utilisation de ce produit. Il s'est demandé si, pour faire progresser les choses, il ne serait pas souhaitable d'inverser la charge de la preuve puisque ce sont des médecins neutres qui instruisent les dossiers des malades ?
Au sujet de l'étude Agrican , M. Paul François a souligné la complexité de la réalité. En effet, les grands pères agriculteurs ou viticulteurs n'ont pas utilisé les mêmes produits que leurs fils ; ceux-ci n'ont utilisé les produits qu'alors qu'ils étaient déjà formés mais ce n'est plus le cas pour les petits-fils.
M. Paul François a souligné que, il y a quelques années, les agriculteurs manipulaient les pesticides à mains nues, c'est pourquoi 80 % des intoxications survenaient par voie cutanée.
Quant à l'indemnisation des maladies professionnelles , qui diffère beaucoup d'un malade à l'autre, elle cause moins de problèmes à ceux qui ont souscrit de très bonnes assurances complémentaires, ce qui est loin d'être le lot de tout le monde en agriculture.
M. Paul François a observé avec regret que, le jour de son accident, le centre antipoison de Bordeaux comme, par la suite, celui d'Angers, ont considéré que tout allait rentrer spontanément dans l'ordre pour sa santé et que, pour autant, ces affirmations n'ont été accompagnées ni d'une prise de sang ni d'un prélèvement d'urine.
Il s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable de s'interroger sur l'existence d'un financement des travaux de recherche des centres antipoison par les fabricants de pesticides.
Il a noté également que les deux premiers experts sollicités ont refusé de prendre son dossier. C'est pourquoi, s'il s'est refusé à parler de pressions, il lui apparaît évident que des intimidations ont existé.
Note du rapporteur : depuis cette audition, la maladie de Parkinson a été ajoutée aux tableaux des maladies professionnelles du régime agricole de sécurité sociale ; des agriculteurs malades commencent à obtenir la prise en charge de cette maladie :
http://poitou-charentes.france3.fr/info/un-agriculteur-malade-gagne-son-combat-78662764.html
Table ronde sur le régime
d'évaluation, d'autorisation et de dérogations applicable aux
épandages par aéronefs de produits
phytopharmaceutiques -
Auditions de M. Patrick
Dehaumont, directeur général de l'alimentation au
ministère de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et
de l'aménagement du territoire,
de M. Robert Tessier,
sous-directeur de la qualité et de la protection des
végétaux,
de Mme Emmanuelle Soubeyran, responsable du
service de la prévention des risques sanitaires de la production
primaire,
de M. Frédéric Vey, chef du bureau des
biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des
végétaux,
et, pour l'ANSES, de M. Thierry Mercier,
directeur adjoint et de Mme Pascale Robineau, directrice des produits
réglementés (10 avril 2012)
Mme Sophie Primas , présidente de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement . - Mesdames et Messieurs, bonjour. Je vous remercie de participer cet après-midi à l'audition de la mission commune d'information sur les pesticides du Sénat. Cette mission a été créée récemment, en février 2012, pour mener un travail de fond sur le sujet des pesticides et de leur rapport à la santé. Elle a choisi de se consacrer plus précisément à la question de la santé des personnes qui fabriquent, transportent et utilisent les pesticides ainsi qu'à la santé des familles de ces personnes et à celle des riverains des utilisateurs de pesticides.
C'est pourquoi la lettre du 5 mars 2012 émanant de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture traitant des dérogations déjà accordées ou à accorder aux interdictions décidées par la loi dite « Grenelle II » sur l'épandage aérien de pesticides a interpellé la mission. La loi de juillet 2010 interdit notamment la pulvérisation des pesticides depuis un avion, un hélicoptère ou un ULM, mais prévoit des dérogations restreintes, lorsque cette pratique présente des avantages manifestes pour la santé et l'environnement par rapport à une application terrestre, lorsqu'il faut agir dans l'urgence ou lorsque des pesticides sont approuvés pour ce type de pulvérisation lors d'une évaluation spécifique.
La mission a été alertée par cette lettre « à diffusion limitée », du 5 mars 2012, qui vise à permettre aux préfets d'accorder des dérogations à certains produits énumérés dans ce document. Sept produits ont été évalués spécifiquement par l'ANSES pour leur application par voie aérienne sur les cultures de bananiers et de riz, et seize autres produits sont en cours d'évaluation pour le maïs, la vigne et le riz ; les dossiers ayant été déposés à l'ANSES à la fin de l'année 2011 ou au cours du premier trimestre 2012. Pour ces seize produits, la lettre stipule qu'ils « peuvent en conséquence être intégrés dans les demandes de dérogation formulées par les opérateurs » ; il semblerait donc que ces produits puissent faire l'objet d'une demande de dérogation avant leur évaluation complète mais ne puissent être utilisés effectivement qu'au terme d'une évaluation positive.
Mesdames, Messieurs, nous vous remercions de votre présence. Nous avons demandé à M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, à M. Robert Tessier, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux, à Mme Emmanuelle Soubeyran, responsable du service de la prévention des risques sanitaires de la production primaire, à M. Frédéric Vey, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux, et, pour l'ANSES, à M. Thierry Mercier, directeur adjoint et à Mme Pascale Robineau, directrice des produits réglementés, d'accepter de venir répondre à nos questions.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mesdames et Messieurs, nous souhaitons vous entendre concernant plus particulièrement l'épandage aérien de produits phytopharmaceutiques. Je rappelle que la directive 2009/128 du Parlement européen indique que « la pulvérisation aérienne de pesticides est susceptible d'avoir des effets néfastes importants sur la santé humaine et l'environnement à cause notamment de la dérive des produits pulvérisés. Il convient donc d'interdire d'une manière générale la pulvérisation aérienne avec une possibilité de dérogation seulement lorsque cette méthode présente des avantages manifestes du point de vue de l'incidence limitée sur la santé et sur l'environnement par rapport aux autres méthodes de pulvérisation ou lorsqu'il n'existe pas d'autres solutions viables pourvu qu'il soit fait usage de la meilleure technologie disponible pour limiter la dérive ».
Le 5 mars 2012, Monsieur le directeur général de l'alimentation, vous avez signé une lettre à diffusion limitée, qualifiée de confidentielle, avec une application immédiate, à l'attention des préfets indiquant la liste des produits phytopharmaceutiques autorisés ou en cours d'évaluation spécifique pour les traitements aériens, soit 23 produits au total, dont 7 autorisés et 16 en cours d'évaluation. Nous souhaitions vous entendre au sujet de ce courrier en particulier. Dans quelles conditions avez-vous été amené à signer une telle lettre et pourquoi est-elle à diffusion limitée, alors qu'il apparaît qu'il s'agit d'un sujet nécessitant de la transparence ? Quel est précisément l'objet de cette lettre à diffusion limitée ? Par ailleurs, en quoi cette lettre modifie-t-elle l'état actuel de la réglementation ? Enfin, considérez-vous que les conditions qu'elle pose constituent un durcissement ou un assouplissement des conditions de dérogation ?
M. Patrick Dehaumont . - Tout d'abord, je souhaite revenir sur quelques points généraux de contexte. Vous avez rappelé le cadrage législatif, qui intègre la transposition de directives communautaires. Ces mesures d'interdiction ont été transcrites en droit français avec la possibilité de déroger lorsque l'épandage aérien présente un avantage pour la santé et l'environnement ou lorsqu'il permet de surmonter des difficultés techniques. Toutefois, le fait que certains produits sont autorisés de manière spécifique n'est pas un motif en tant que tel pour accorder une dérogation . Il s'agit en réalité d'un élément complémentaire. Lorsque la dérogation est justifiée, pour des raisons techniques de meilleure protection de l'environnement sans risque particulier pour la santé humaine, les produits utilisés doivent, en outre, disposer d'une autorisation spécifique.
Par ailleurs, cette question de l'épandage aérien est une des préoccupations des ministères en charge de l'agriculture et de l'environnement depuis plusieurs années. A cet effet, ils avaient commandité, en 2009, une mission d'évaluation auprès de leurs conseils généraux pour obtenir un avis pertinent des inspections générales sur la question de l'épandage aérien ainsi que sur les moyens à mettre en oeuvre pour maîtriser les éventuels risques tout en conservant l'efficacité dans la lutte contre les nuisibles. La transposition de la directive européenne au sein de la législation nationale a été suivie de la mise en place d'actes réglementaires permettant de rendre opérationnel le dispositif de maîtrise de ces épandages aériens. L'arrêté du 31 mai 2011 définit pour sa part les conditions qui doivent être respectées pour pouvoir envisager la réalisation d'épandages aériens de produits phytopharmaceutiques.
Mme Nicole Bonnefoy . - Existe-t-il un dispositif de contrôle ?
M. Patrick Dehaumont . - Le dispositif de contrôle doit être mis en place sur le terrain par les services déconcentrés.
Mme Nicole Bonnefoy . - Où en est cette mise en place ?
M. Patrick Dehaumont . - Elle est effective dans la mesure où nous avons commencé à collecter les demandes de dérogation déposées en fonction de ce test réglementaire. Ces demandes, en effet, devaient être déposées avant le 31 mars 2012 et nous avons donc déjà une première analyse de celles qui l'ont été. Par ailleurs, il m'a paru important, il y a quelques semaines, d'adresser une instruction aux préfets de départements - c'est-à-dire la lettre du 5 mars que vous avez évoquée - afin de rappeler aux services concernés les conditions réglementaires à respecter pour pouvoir procéder, éventuellement déjà, à un épandage aérien de produits phytopharmaceutiques. Dans la mesure où ces dispositions sont relativement nouvelles, cette note de service - qui ne constituait en réalité qu'un rappel - précise que l'utilisation de ces produits encore en cours d'évaluation devait également faire l'objet de demandes de dérogation avant le 31 mars 2012. Cette lettre n'indique absolument pas que des utilisations de produits qui n'auraient pas fait l'objet d'une évaluation positive par l'ANSES pourraient être autorisées. En effet, la réalisation effective de tels traitements aériens est strictement subordonnée à l'obtention de l'autorisation. Le libellé de cette note est très clair, si bien qu'aucune ambiguïté n'est possible. Il n'est donc absolument pas question de procéder à des épandages aériens de produits qui n'auraient pas fait l'objet d'une évaluation favorable. Je souhaitais le réaffirmer avec force.
Mme Sophie Primas . - Notre attention a été attirée par le fait que, lorsque nous avions entendu l'ANSES dans le cadre de cette mission d'information, celle-ci nous avait fait part du temps nécessaire pour l'homologation d'un certain nombre de molécules. Nous avons été étonnés que seize produits puissent déjà être ainsi énumérés avant le 31 mars 2012, obligeant ainsi l'ANSES à répondre rapidement à un certain nombre de demandes d'homologation, sachant que l'obtention des dérogations était déjà souhaitée avant toute évaluation. Notre surprise porte sur ce point. Je ne sais pas s'il revient à l'ANSES ou à vous de nous répondre à ce sujet.
M. Patrick Dehaumont . - Il n'était absolument pas question de mettre la pression sur l'ANSES, mais bien de dresser la liste, avant le 31 mars 2012, des produits pouvant éventuellement faire l'objet d'une dérogation. Au-delà de cette date, les produits qui n'auront pas été homologués ne pourront pas être utilisés.
Mme Pascale Robineau . - La plupart des demandes d'évaluation que nous avons reçues concernent des produits déjà autorisés pour le même usage par pulvérisation terrestre ; dès lors, il n'est pas nécessaire de réaliser l'intégralité de la procédure permettant d'évaluer le risque lié à un type particulier d'utilisation. Il s'agit donc d'une évaluation complémentaire à un dossier déjà évalué auparavant. C'est la raison pour laquelle les délais peuvent être plus courts, bien inférieurs à un an.
M. Joël Labbé . - Concernant la question des « avantages manifestes pour la santé et l'environnement » par rapport aux méthodes classiques, à quel moment et selon quelle méthodologie cette évaluation est-elle faite ?
M. Patrick Dehaumont . - Il revient peut-être à l'ANSES de répondre à une question sur ce sujet. C'est une question d'accessibilité des cultures concernées, de topographie des lieux où elles se trouvent.
M. Joël Labbé . - Non, je parle d'avantages manifestes pour la santé et l'environnement.
Mme Pascale Robineau . - « Avantages manifestes du point de vue des incidences sur la santé et l'environnement ». L'évaluation réalisée par l'ANSES porte sur le risque particulier lié à l'épandage aérien et non sur l'opportunité d'utiliser ce mode d'application dans le cadre d'un usage particulier sur une parcelle spécifique. En tout état de cause, l'ANSES se prononce sur l'acceptabilité du risque pour l'homme et l'environnement lié à l'épandage. Elle n'évalue pas les avantages qu'il y aurait, dans le cas particulier d'une situation géographique donnée, d'utiliser ce mode d'application . Cette décision relève plutôt de l'octroi, ou non, d'une dérogation.
Mme Sophie Primas . - Je complète la question posée. La loi prévoit effectivement qu'une dérogation peut être donnée si cette pratique présente des avantages manifestes pour la santé et l'environnement par rapport à l'application terrestre. Mais qui détermine laquelle de l'application terrestre ou de l'application aérienne présente l'avantage le plus important pour la santé et l'environnement ?
M. Robert Tessier . - Il faut se référer à l'arrêté disposant que ce sont bien les préfets qui sont en charge de la réception de la demande de dérogation. C'est par l'évaluation de l'argumentaire présenté par les demandeurs que les préfets jugeront de l'existence ou non d'avantages manifestes et donc accorderont, ou non, une dérogation au niveau départemental.
Mme Nicole Bonnefoy . - De quelles compétences le préfet dispose-t-il pour réaliser une telle évaluation ?
M. Patrick Dehaumont . - La puissance publique dispose de services déconcentrés sur le terrain, qui connaissent les contraintes liées aux modalités de traitement. Ils peuvent ainsi, en fonction de l'évaluation des produits, prendre une décision.
M. Frédéric Vey . - Ces « avantages manifestes pour la santé et l'environnement » sont des dispositions complémentaires à des dispositions principales (articles premier et 2 de l'arrêté). Ils reposent sur l'argumentaire que le demandeur doit apporter, relatif à l'impossibilité de réaliser les traitements par voie terrestre , par exemple parce que la hauteur des végétaux ne le permet pas, ou que la pente est trop importante, ou encore parce que les sols ne sont pas suffisamment portants si bien que les engins ne peuvent pas passer. Il s'agit des conditions les plus fréquemment rencontrées dans les demandes de dérogation. Parmi les exemples auxquels je pense se trouvent celui de la chenille processionnaire du pin ou du chêne , qui peut causer des problèmes importants de santé publique, ou encore l'utilisation d'un chenillard par l'applicateur qui constitue un risque important pour lui en cas de pulvérisation terrestre en zone à forte pente.
M. Joël Labbé . - Au-delà de la santé de l'applicateur qui ne doit évidemment pas être mise en danger, l'épandage aérien peut être choisi lorsqu'il procure des avantages manifestes pour la santé humaine et l'environnement, mais vous n'évoquez essentiellement que des contraintes physiques, de terrain, de pente... Dans le cas de la chenille processionnaire, je pense qu'il s'agit de produits biologiques épandus, et non de pesticides. A ce jour, nous n'avons pas de réponse précise concernant l'évaluation des « avantages manifestes ». S'appuyer sur les services déconcentrés est important, mais il est tout de même étonnant que ce ne soit pas le ministère qui accorde une dérogation qui prenne ses responsabilités au regard de la nation française et de l'Union européenne.
Mme Sophie Primas . - Les dérogations accordées sont-elles valables pour un parcellaire limité ou pour l'ensemble du département ?
M. Patrick Dehaumont . - Pour un parcellaire bien limité.
Mme Nicole Bonnefoy . - Lors du déplacement en Charente de la mission d'information, un représentant de l'association des riverains des pomiculteurs de Corrèze lui a indiqué que, dans les faits, l'obligation de publier, sur le site Internet de la préfecture, les autorisations accordées pour l'épandage aérien des produits phytosanitaires n'était jamais respectée. Il en va souvent de même pour ce qui est de l'observation des distances minimales de sécurité de cinquante mètres vis-à-vis des habitations et jardins. Avez-vous à ce sujet des informations ou des retours ? Des contrôles sont-ils effectués ? Par ailleurs, vous parliez des compétences des préfets en matière de dérogations et d'application des dérogations. Nous nous interrogeons sur les moyens dont ils disposent, d'autant que les contraintes ne sont pas toujours respectées.
M. Frédéric Vey . - Je ne dispose pas de données statistiques concernant les contrôles réalisés. Toutefois, sur le terrain, certaines conditions d'octroi d'autorisation ont été publiées. L'information du public se fait par le biais de publication sur les sites Internet des préfectures ou par affichage en mairie , quarante-huit heures avant la réalisation des traitements. Les zones à traiter doivent en outre être balisées et le public doit être consulté au cours de la phase d'examen des demandes de dérogations par le préfet pendant une durée minimum d'un mois.
Mme Nicole Bonnefoy . - Existe-t-il des dispositifs de contrôle, et lesquels ?
M. Frédéric Vey . - Dans un premier temps, la demande faite aux régions consiste à vérifier que les conditions de dérogation sont satisfaites. Il faut donc qu'il existe un danger réel, un danger sanitaire, sous la forme d'un risque quelconque ou d'une maladie. Dans un deuxième temps, les services déconcentrés doivent réaliser un contrôle du respect des conditions de dérogation. Celui-ci exige que la zone de traitement déclarée soit restreinte puisque la dérogation n'est absolument pas accordée pour l'ensemble du département ; elle est même précisément délimitée sur une carte au 1/25 000 ème . Par ailleurs, les conditions topographiques doivent impérativement justifier la demande de dérogation . Il est donc possible de vérifier, avant le traitement comme pendant son déroulement, que les conditions de dérogation sont justes. Par ailleurs, dans les cinq jours qui précèdent le traitement, l'opérateur doit adresser aux services régionaux une déclaration préalable de chantier précisant notamment le nom du produit utilisé et prévoyant le balisage de la zone ainsi que l'information du public - par affichage en mairie - des pulvérisations effectuées. Enfin, après le traitement, les opérateurs ont obligation de faire une déclaration de post-traitement , permettant de savoir précisément quels produits ont été utilisés et si le traitement a été réalisé sur tout ou partie de la parcelle déclarée.
Mme Sophie Primas . - Les conditions météorologiques font-elles partie des conditions de traitement à prendre en compte ? Un chantier pré-déclaré peut-il être arrêté du jour au lendemain ?
M. Frédéric Vey . - Tout à fait. Les conditions d'épandage sont définies par l'arrêté du 12 septembre 2006 qui fixe notamment des règles à respecter sur la dérive.
Mme Nicole Bonnefoy . - La règle des cinquante mètres est-elle également rappelée ?
Mme Nicole Bonnefoy . - Comment garantir que ces obligations sont bien respectées ? Certes, il existe une liste de contraintes, d'obligations, mais l'administration réalise-t-elle des vérifications ?
M. Frédéric Vey . - L'administration peut contrôler les opérations de traitement réalisées sur le terrain.
M. Patrick Dehaumont . - Voici quelques éléments sur l'organisation des contrôles . La structure actuelle repose sur une programmation, en amont, avec un dialogue de gestion entre le niveau central et le niveau local . Chaque année, cet échange se tient avec les régions et les départements. Deux volets sont définis, le premier portant sur les priorités nationales , le second sur les spécificités locales pilotées par les chambres départementales ou locales selon les dossiers. Mais le dispositif étant nouveau, je pense que, pour l'année 2012, il n'a pas pu être employé au niveau national mais seulement aux niveaux régional et départemental. Effectivement, cette procédure nous conduit à dire aujourd'hui que « l'administration peut », parce que les contrôles réalisés n'ont pas encore pu être quantifiés au niveau national. Il revient dès lors aux services départementaux ou régionaux de mettre en place des contrôles du bon respect des dispositions réglementaires pour lesquels ces services ont été amenés à délivrer des dérogations.
Pour les dialogues de gestion qui s'engagent pour l'année 2013 , ces éléments devront être pris en compte dans le cadre d'une programmation nationale même si nous ne pourrons probablement pas contrôler toutes les opérations menées, mais nous devrons réaliser une analyse des risques pour définir une programmation nationale et allouer au mieux les moyens des départements et des régions. Quoi qu'il en soit, une marge de manoeuvre sera laissée à l'initiative locale pour intensifier les contrôles .
Pour l'année 2012, nous nous appuyons sur les initiatives locales. Nous avons néanmoins collecté des informations concernant les demandes de dérogation et devrons nous adresser à nos services déconcentrés pour nous assurer de la nature des vérifications programmées.
Mme Sophie Primas . - Avez-vous commencé à dresser un état des demandes de dérogations ? Quel est-il ?
M. Frédéric Vey . - Nous avons effectivement commencé à demander des données concernant le nombre de dérogations accordées. Toutefois, les demandes pouvaient être déposées jusqu'au 31 mars 2012. A ce jour, dix-huit régions nous ont transmis ces données. Le bilan provisoire fait état de 18 dérogations annuelles accordées, de 39 dérogations ponctuelles accordées et de 800 opérations de traitement aérien effectuées ou à venir, essentiellement dans les départements d'outre-mer, notamment sur les bananiers en Guadeloupe .
Mme Nicole Bonnefoy . - Quelles sont les cultures concernées ?
M. Frédéric Vey . - Celles mentionnées dans la circulaire : les bananes, le riz, le maïs, la vigne .
Mme Nicole Bonnefoy . - La châtaigne également ?
M. Frédéric Vey . - Pour la châtaigne, la dérogation est ponctuelle.
Mme Nicole Bonnefoy . - Des demandes concernent donc le châtaignier.
M. Frédéric Vey . - Trois demandes ponctuelles et non annuelles ont été accordées .
M. Gérard Miquel . - Ces données ne me rassurent pas. Disposez-vous des effectifs des fonctionnaires en capacité d'effectuer les contrôles ? Comment procédez-vous ? En outre, quelles sont les principales cultures concernées par les demandes de dérogation ?
M. Frédéric Vey . - Les demandes portent sur des cultures de bananiers, riz, maïs et vigne.
M. Gérard Miquel . - Où se trouvent les vignes qui feraient l'objet de ce type de traitement, si les dérogations étaient accordées ?
M. Frédéric Vey . - Principalement sur des coteaux en Champagne-Ardenne.
M. Gérard Miquel . - J'ai réalisé un rapport parlementaire sur l'eau et visité des bananeraies en Guadeloupe et en Martinique. J'ai ainsi pu constater les effets de la chlordécone , épandue depuis un hélicoptère alors que des gens travaillaient dans la bananeraie. Les nappes phréatiques, en outre, sont complètement polluées. A l'heure où le principe de précaution a été inscrit dans la Constitution et où l'on impose aux collectivités des contraintes très fortes en ce sens, les traitements aériens me paraissent en discordance totale avec le respect du principe de précaution. Les produits contiennent en effet de nouvelles molécules dont on ne connaît pas encore les incidences.
Il est temps de prendre des mesures fortes dans ce domaine. Notre agriculture sait produire en évitant ces traitements. Dans mon département, de nombreux viticulteurs se reconvertissent au bio et produisent du vin de qualité. Partout où c'est possible, il faut encourager ce type de culture. Les épandages réalisés dans le cadre de ces dérogations doivent inciter à une très grande prudence au regard des conséquences sur la santé, notamment des agriculteurs. Je suis très inquiet. Je souhaite que vous me rassuriez sur les contrôles que vous êtes en capacité de mettre en oeuvre.
M. Patrick Dehaumont . - Vous avez soulevé à juste titre les risques pour la santé des épandages aériens à grande échelle. J'insiste sur le fait que le dispositif en place actuellement permet précisément d'encadrer de manière bien plus stricte cet usage que ne le faisait le système antérieur. En effet, aucun système d'interdiction n'existait auparavant. Une étape a été franchie.
Concernant l'évaluation, nous convenons du fait que ces produits peuvent également présenter un certain nombre de risques. Pour l'épandage aérien, différents éléments d'évaluation ont été définis par l'ANSES, qui a énuméré les critères devant être évalués afin de procéder à l'autorisation d'épandage aérien de produits phytopharmaceutiques. Ce dispositif constitue donc un resserrement depuis la loi Grenelle II, puisqu'il n'autorise que quelques dérogations dans le cas où il est impossible d'utiliser d'autres traitements. Enfin, pour les contrôles , je rappelle que l'Etat dispose aujourd'hui de 450 emplois équivalents temps plein qui exercent des activités dans ce domaine. Ils ont notamment réalisé 6 000 contrôles d'utilisation de produits phytosanitaires en 2011 . Nous gérons au mieux ces effectifs disponibles selon une analyse de risques pour cibler les points qui semblent les plus sensibles.
Mme Sophie Primas . - Quels sont les critères retenus par votre analyse des risques : la taille de la parcelle, le véhicule, un certain type d'environnement... ?
M. Frédéric Vey . - La méthode complexe utilisée a été publiée . Elle prend en compte les risques pour la santé et pour l'environnement. Elle cible également les filières qui présentent un risque fort de non-respect des conditions d'application (vitesse du vent, présence de zones proches non traitées, cours d'eau...).
Mme Emmanuelle Soubeyran . - J'insiste sur le resserrement du contrôle, les dérogations accordées l'étant pour la durée d'un an et devant faire l'objet d'une réévaluation chaque année prenant en compte, par exemple, l'apparition de matériels nouveaux propres à éviter tout traitement aérien sur des terrains accidentés Nous sommes bien dans une logique de diminution des autorisations d'épandage aérien.
M. Jean-François Husson . - Pourriez-vous nous indiquer aujourd'hui les superficies concernées par l'épandage aérien et leur pourcentage ? J'ai le sentiment que cette proportion est infinitésimale. Pourriez-vous également nous donner l'évolution des surfaces qui font l'objet d'un traitement aérien depuis quelques années et les types de cultures concernées afin de pouvoir mesurer l'évolution pour chaque culture ? Il me semble important de disposer de données objectives.
M. Patrick Dehaumont . - Nous allons vous communiquer des éléments.
M. Frédéric Vey . - Nous disposons notamment de données sur la situation antérieure à la mise en place de ce dispositif réglementaire, puisqu'une mission avait déterminé les surfaces concernées. Soixante-six départements faisaient l'objet au moins une fois d'un traitement aérien, pour une surface agricole utile (SAU) inférieure à 100 000 hectares , soit 0,3 % de la SAU nationale .
Mme Nicole Bonnefoy . - Le ministère chargé de l'environnement ou celui en charge de la santé ont-ils été consultés avant l'envoi de la lettre du 5 mars 2012 ?
M. Patrick Dehaumont . - Non, dans la mesure où cette lettre ne visait qu'à rappeler des mesures réglementaires.
M. Joël Labbé . - Dans la procédure, vous avez évoqué une phase de concertation avec le public, organisée par le préfet. Nous n'avons pas entendu parler de la mise en oeuvre de cette concertation, et le fait que cette lettre soit confidentielle ne nous rassure pas. Les associations jouent pourtant un rôle d'arbitre, parfois excessif mais nécessaire. La règle des 50 mètres, par exemple, semble dérisoire car il s'agit d'une distance très limitée. Cette règle vaut-elle également à l'égard des cultures voisines ? Enfin, les habitats riverains, qui reçoivent ces pluies à plus d'un kilomètre à la ronde, sont également concernés.
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Les ministères de la santé et de l'environnement reçoivent tous les avis émis par l'ANSES. Ils peuvent alors exprimer leur point de vue bien en amont. En outre, la consultation du public est bien prévue par l'article 14 de l'arrêté du 31 mai 2011 (publié le 8 juin 2011). Celui-ci stipule en effet que le préfet de département organise dans un délai de deux mois une information préalable du public et informe la commission départementale compétente en matière d'environnement et de risques sanitaires . C'est un moment privilégié au cours duquel les associations vont pouvoir être informées et s'exprimer, ce qui, de notre point de vue, va entraîner la diminution des traitements aériens.
M. Joël Labbé . - La consultation du public prévue par ce texte est-elle mise en oeuvre dans les faits ?
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Elle va l'être. Elle doit l'être. Toutefois, les premières demandes viennent à peine d'être déposées.
Mme Sophie Primas . - J'ai le sentiment que nous sommes dans une année de transition aussi bien pour les contrôles, avec les nouveaux plans de gestion nationaux, que pour la mise en place de la consultation publique sur ces dérogations.
M. Patrick Dehaumont . - S'agissant des contrôles , nous sommes effectivement dans une période de transition . Les préfets, en outre, doivent être sensibilisés à la nécessité de consulter le public et d'associer les parties prenantes, dès lors qu'il s'agit d'une disposition réglementaire. Nous n'avons pas encore pu vérifier si ces impératifs ont déjà été suivis - mais nous allons le faire - car les dérogations viennent d'être déposées.
M. Jean-François Husson . - Quel est le nom de la commission compétente ?
M. Frédéric Vey . - Le Conseil Départemental de l'Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques ou CODERST.
Mme Sophie Primas . - L'ANSES pourrait-elle nous repréciser l'ensemble des contrôles réalisés dans le cadre de ces dérogations ? Quelle est votre action ? Quels contrôles réalisez-vous spécifiquement pour l'épandage aérien ? Selon quelle méthodologie et dans quels délais ?
Mme Nicole Bonnefoy . - Pouvez-vous nous préciser également les critères de sélection qui ont prévalu pour retenir les vingt trois pesticides énumérés dans la lettre du 5 mars 2012 ?
M. Thierry Mercier . - Je rappelle qu'il s'agit d'un dispositif d'évaluation des substances actives et des préparations, calqué sur celui de l'Union européenne. L'évaluation des traitements s'y ajoute. Dans le cas d'un traitement par voie aérienne uniquement, l'ANSES évalue la demande sur la base des requis européens , tels que préparation, risques pour les opérateurs, chargement de la préparation dans l'aéronef, exposition du pilote, exposition des personnes potentiellement présentes pour signaler la zone, exposition des travailleurs éventuellement présents sur les lieux de la culture, exposition des résidents. Pour cette dernière, un rapport, toujours actuel, a été remis par l'AFFSET et l'INERIS, en mars 2004, sur l'impact sanitaire de l'épandage aérien de produits antiparasitaires .
Pour le traitement par aéronef, nous tenons également compte des résidus du traitement pour les consommateurs et de l'environnement, comme, par exemple, la spécificité des sols et des climats locaux notamment pour la Guadeloupe et la Martinique. Pour l'exposition des organismes aquatiques ou terrestres, l'ANSES applique les règles européennes du rapport entre l'exposition et la toxicité. Un avis de l'ANSES du 2 décembre 2011 résume les bases de l'évaluation d'un traitement par aéronef . Les priorités établies pour évaluer les différentes préparations relèvent d'une discussion avec le ministère. L'évaluation des traitements destinés aux bananeraies a ainsi été jugé prioritaire. Par ailleurs, certains produits n'ont fait l'objet que d'une évaluation complémentaire, puisqu'ils avaient déjà été l'objet d'une analyse dans le cadre d'un épandage terrestre. Quoi qu'il en soit, l'ANSES a décidé d'étaler les évaluations demandées sur une certaine période et il ne sera peut-être pas possible d'évaluer l'ensemble des produits.
M. Robert Tessier . - Dans la discussion avec le ministère, nous avons décidé de privilégier la banane, puis le riz (en Camargue), la vigne (à traiter en avril-mai) et le maïs (à traiter en juillet) , afin de respecter le calendrier des traitements et pulvérisations nécessités par ces cultures. Ce fonctionnement permettait en outre d'échelonner les demandes auprès de l'ANSES ainsi que le travail de cette dernière.
Mme Nicole Bonnefoy . - Au vu des fiches relatives aux produits phytopharmaceutiques figurant sur le site du ministère de l'agriculture, je constate que le Sico, par exemple, présente un « risque d'effets graves pour la santé en cas d'exposition prolongée par ingestion », qu'il est « très toxique pour les organismes aquatiques, peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement aquatique », « nocif », « dangereux pour l'environnement », mais qu'il est « autorisé pour des applications par voie aérienne, sous réserve du respect d'une zone non traitée par rapport aux points d'eau de 50 mètres ». Je ne comprends pas pourquoi l'ANSES serait compétente pour déterminer ces risques mais ne le serait pas pour déterminer les « avantages manifestes pour la santé et l'environnement » qu'il y aurait à utiliser un tel produit.
Mme Pascale Robineau . - Vous avez évoqué les propriétés de danger de la substance active. L'ANSES est compétente pour évaluer le risque, qui tient compte du danger mais aussi de l'exposition de l'applicateur, du pilote, des résidents et de l'environnement. Ce risque diffère selon le mode d'application. Dans nos évaluations, pour prendre en compte chaque mode d'application particulier, nous prenons en compte la dérive, qui varie selon la voie d'application, ainsi que la diversité de l'exposition des personnes et de l'environnement. Mais nous ne sommes pas en capacité de juger des « avantages manifestes » dans le cas d'une pulvérisation particulière, qui dépend de la situation spécifique de la parcelle considérée dont l'ANSES n'a pas connaissance. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas répondre à cette question.
Mme Nicole Bonnefoy . - Pourtant, si vous considérez que dans le cas général, un produit est dangereux, pourquoi, dans un cas particulier, ne le serait-il pas ?
Mme Pascale Robineau . - Parce qu'il peut être toxique pour les organismes aquatiques, mais suivant les conditions de son application, nous pouvons aboutir à la conclusion qu'il n'y a pas de risque pour les organismes aquatiques.
Mme Sophie Primas . - Nous comprenons bien qu'il faut distinguer le danger que constitue un produit, d'une part, et, d'autre part, les facteurs d'exposition qui génèrent un risque plus ou moins élevé. Ce que nous ne comprenons pas, c'est que l'évaluation des conditions d'exposition, et donc du danger final, soit laissée à l'appréciation de services déconcentrés de l'Etat.
Mme Pascale Robineau . - Nous détaillons bien le risque non pas dans le cadre d'une situation d'exposition mais d'une façon générale, pour chaque catégorie de personnes et d'organismes. Nous pouvons donc conclure que le risque est acceptable ou non au regard des critères retenus. Toutefois, nous ne pouvons pas évaluer l'avantage qu'il peut y avoir à utiliser tel mode d'application dans un cas particulier.
M. Patrick Dehaumont . - Je voudrais revenir à la lettre de l'article de la loi : la dérogation s'applique lorsqu'un danger menaçant la santé publique, les animaux et les végétaux, ne peut être maîtrisé par d'autres moyens. Une analyse de risque est effectivement conduite et peut alors conclure que le bénéfice est plus important que le risque . Nous n'avons alors pas d'autres moyens pour écarter le danger.
Mme Nicole Bonnefoy . - Qui détermine qu'il n'existe pas d'autres moyens ?
M. Patrick Dehaumont . - Les décisionnaires exposent dans leur dossier de demande de dérogation un certain nombre d'éléments d'accessibilité, de topographie...
Mme Nicole Bonnefoy . - Qui contrôle ces éléments ?
M. Patrick Dehaumont . - Les services de l'Etat instruisent le dossier. Lorsqu'aucun matériel n'est techniquement utilisable compte tenu des conditions topographiques, l'épandage aérien constitue le dernier recours. L'article du code distingue le danger manifeste encouru par les hommes, les animaux et les végétaux nécessitant le recours à ce type de traitement des « avantages manifestes pour la santé et l'environnement » que présente ce type de traitement. La deuxième préposition occasionne de moins nombreuses demandes de dérogations que la première. L'avantage du système actuel est qu'il impose un système de dérogations préalables révisé chaque année qui nous permettra de prendre en compte l'évolution des techniques.
Mme Sophie Primas . - Concernant l'information de la population, il me semble ne jamais avoir vu de champs balisés dans l'attente d'un épandage aérien, même si cette contrainte résulte des textes applicables. En pratique, cette contrainte est-elle respectée ? Par ailleurs, nous devrons veiller à ce que la concertation qui doit se mettre en place soit bien réalisée. Ensuite, je suis étonnée que les surfaces utiles concernées semblent aussi peu étendues. Enfin, peut-être serait-il utile de supprimer la seconde justification de la dérogation, qui laisse la porte ouverte à des interprétations peu scientifiques ?
M. Patrick Dehaumont . - Nous allons bien entendu nous employer à mettre en place l'obligation d'information du public, qui existe déjà par endroits. En outre, j'ai le sentiment que la superficie des surfaces concernées, déjà très faible, ira en décroissant. Concernant la seconde partie du dispositif, puisqu'il s'agit d'un article de loi, il incombe aux parlementaires, dans leur sagesse, de juger de sa pertinence.
M. Joël Labbé . - Vous reconnaissez que vous devez repenser le dispositif d'information-consultation du public. Pour notre part, en tant que parlementaires, nous devons avoir certaines exigences. La lettre à diffusion limitée du 5 mars 2012 ne rappelle à aucun moment aux préfets la nécessité d'organiser l'information du public. Je ne suis pas convaincu par vos arguments, la protection de la santé et de l'environnement ne semblant pas prioritaires dans les dispositions prises. Certes, nous ne pouvons que nous satisfaire que ces dispositifs limitent ce type de traitements, mais ils ne le font pas encore suffisamment. Des incidences sur la qualité de l'eau ont été constatées. Nous sommes dans un monde d'apprentis sorciers. Les risques des pesticides pour la santé humaine et l'embryon, démontrés par des généticiens et d'autres experts, sont suffisants pour que l'on tire la sonnette d'alarme.
M. Jean-François Husson . - Ces risques concernent aussi bien l'épandage aérien que l'épandage traditionnel. Au-delà de cette réserve, ce qui compte, c'est la manière dont les hommes se saisissent du dossier, qui varie selon les régions. Plus les dispositifs et contraintes mis en oeuvre seront nombreux, plus les surfaces concernées diminueront, dans l'intérêt de tous.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous parliez de réduire les surfaces concernées, déjà faibles. Or, un rapport conjoint du ministère de l'agriculture et du ministère de l'environnement de février 2010 , intitulé « Interdiction des épandages aériens de produits phytopharmaceutiques sauf dérogations. Situation actuelle - propositions de mise en oeuvre des dérogations », se termine par la phrase suivante en guise de recommandation : « Entamer une réflexion au niveau national sur l'avenir des capacités et possibilités de traitements de grande ampleur à base de pesticides (produits biocides et phytopharmaceutiques) par aéronefs ». Il préconise donc une extension des pulvérisations aériennes !
M. Patrick Dehaumont . - Il existe une note de service du 15 juin 2011 qui rappelle aux préfets les principes de la dérogation, et notamment l'obligation d'information du public. Par ailleurs, le rapport que vous évoquez provient de l'Inspection générale. Nous en avons repris certains éléments, notamment ceux visant à renforcer l'encadrement de l'épandage aérien. En revanche, nous n'avons pas retenu la notion de l'épandage aérien « de grande ampleur » ; au contraire, nous nous engageons sur la voie de l'encadrement accru de l'épandage aérien , qui réduira le recours à celui-ci. Nous ne reprenons donc pas à notre compte la formule employée par les inspecteurs généraux qui, dans le cadre de leur mission, ont émis librement un certain nombre de recommandations.
Mme Sophie Primas . - La question méritait d'être posée.
M. Gérard Miquel . - Les agriculteurs utilisant ces techniques d'épandage devraient aller voir ce qui se fait dans les périmètres larges de protection, par exemple pour protéger la qualité d'eaux minérales. Après les difficultés des débuts, des agriculteurs bénéficient de ces mesures, à la fois parce qu'ils se sont dirigés vers des productions de qualité à haute valeur ajoutée et que des moyens financiers importants ont été mis à leur disposition. Aujourd'hui, les résultats sont extrêmement positifs. Par ailleurs, des questions se posent également pour le traitement des cultures dans les zones accidentées. En réalité, nous sommes allés beaucoup trop loin dans l'usage des pesticides. Il faut arrêter.
Mme Sophie Primas . - L'objet de la réunion d'aujourd'hui porte sur les dérogations accordées en faveur des épandages aériens. Nous avions également une question sur les pétitionnaires.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous avez précisé qu'il leur revenait de décider s'il existait, ou non, d'autres possibilités d'épandage.
M. Robert Tessier . - Les demandes de dérogation sont argumentées. Ce sont des éléments que les services déconcentrés de l'Etat instruisent, pour déterminer s'il n'existe réellement pas d'autres moyens de traitement.
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Nous parlons là des moyens de traitement sur lesquels nous pouvons leur apporter des explications argumentées de chercheurs, de techniciens, et qui peuvent les aider à se positionner.
Mme Sophie Primas . - Connaissez-vous le taux de refus opposé aux demandes de dérogation ?
M. Frédéric Vey . - Des refus ont été prononcés, par exemple lorsque la pente de la parcelle permettait de recourir à des engins terrestres, ou lorsque le risque sanitaire invoqué n'était pas convaincant.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les producteurs de châtaignes ne sont-ils pas incités à recourir à des traitements par l'octroi d'une prime de 10 % lorsque les produits sont traités ?
M. Robert Tessier . - La situation a évolué entre 2011 et 2012. En 2011, tous les produits pouvaient, par principe, être utilisés en traitements aériens. En 2012, seuls les produits qui auront été évalués favorablement pour cet usage par l'ANSES pourront l'être, dans le cadre d'un système dérogatoire à l'interdiction générale. En l'occurrence, à ce jour, aucun produit de traitement du châtaignier n'a été évalué favorablement, si bien qu' aucun traitement aérien du châtaignier ne sera possible en 2012 .
Mme Nicole Bonnefoy . - Je reviens sur le fait qu'il appartient aux préfets et aux services déconcentrés de l'Etat de déterminer s'il existe des avantages manifestes pour la santé et l'environnement.
Mme Emmanuelle Soubeyran . - Non, la loi dit bien que deux cas doivent être distingués : lorsqu'il n'existe pas d'autre moyen de maîtriser un danger ou lorsque ce type d'épandage présente des « avantages manifestes ». Or, dans presque 100 % des demandes de dérogation, c'est le premier cas qui est invoqué.
Mme Nicole Bonnefoy . - Je voulais simplement souligner le fait que cette compétence revient aux services déconcentrés de l'État. Ils recevront donc cette lettre énumérant les produits autorisés à la suite de leur évaluation positive par l'ANSES, qui constituera certainement à leurs yeux un gage de sécurité, même s'il est écrit qu'ils ont la responsabilité d'examiner le cas particulier de chaque demande. L'interprétation de cette lettre n'est donc pas simple pour eux.
M. Patrick Dehaumont . - Cette lecture relève précisément du métier des services déconcentrés, qui sont habitués à ce type de courriers. Ils comprennent qu'ils doivent instruire chaque dossier. Ils exercent ainsi cette responsabilité, comme le prouve l'existence de refus.
Mme Sophie Primas . - L'article 10 de l'arrêté du 31 mai 2011 précise que le donneur d'ordre doit porter à la connaissance du public la réalisation d'un épandage aérien quarante-huit heures avant le traitement. Ce délai semble bref. Qu'en pensez-vous ? Le législateur ne devrait-il pas l'allonger ?
M. Frédéric Vey . - Cette question a été longuement débattue lors de l'élaboration du texte. Toutefois, des conditions précises d'application doivent être respectées, notamment en fonction des conditions météorologiques dont la prévisibilité n'est possible qu'à très court terme. Or, un épandage aérien ne doit pas être déclaré s'il n'existe pas de garantie suffisante du fait qu'il sera réalisé. C'est la raison pour laquelle il semble impossible d'allonger ce délai.
M. Gérard Miquel . - Il paraît en effet difficile d'allonger le délai de 48 heures, compte tenu des aléas météorologiques et de la périodicité incontournable des traitements.
M. Joël Labbé . - Allez-vous expliquer formellement aux préfets qu'ils sont tenus d'organiser une information-consultation du public dans les deux mois précédant les opérations de traitement aérien ?
M. Patrick Dehaumont . - Nous allons leur rappeler cette obligation.
M. Frédéric Vey . - L'information-consultation doit être organisée dans les deux mois qui suivent le dépôt du dossier et durer un mois.
Mme Sophie Primas . - L'ANSES aura-t-elle les moyens nécessaires pour évaluer tous ces produits en temps et en heure ? Serez-vous obligés de faire des choix de produits ?
Mme Pascale Robineau . - Huit dossiers sont actuellement en cours d'évaluation et le dépôt d'une dizaine de dossiers est prévu. Il faut toutefois savoir que l'ANSES reçoit plusieurs centaines de dossiers par an. Par ailleurs, certains produits ne font l'objet que d'une demande d'évaluation complémentaire, puisqu'ils ont déjà été évalués dans le cadre d'un épandage terrestre.
Mme Sophie Primas . - Ne serez-vous pas amenés à travailler dans une certaine précipitation ? Répondrez-vous de façon négative dans le cas où vous n'auriez pas pu disposer de suffisamment de temps pour évaluer certains produits ?
Mme Pascale Robineau . - L'ANSES travaille aussi vite que possible mais sans précipitation. En cas d'insuffisance de temps disponible, l'ANSES refuse de procéder à une évaluation.
Mme Sophie Primas . - Je vous remercie.
Audition de M. Vincent Polvèche, directeur du groupement d'intérêt public « GIP Pulvés » (10 avril 2012)
Mme Sophie Primas . - Je remercie M. Vincent Polvèche, directeur du groupement d'intérêt public « GIP Pulvés » d'avoir répondu à notre invitation. Pourriez-vous commencer par nous présenter votre organisation et vos missions actuelles, ainsi que votre rôle dans le cadre de la protection des utilisateurs de pesticides ?
M. Vincent Polvèche, directeur du groupement d'intérêt public « GIP Pulvés » . - Je suis directeur du groupement d'intérêt public « GIP Pulvés », créé en 2009 , suite à l' entrée en vigueur du contrôle obligatoire des pulvérisateurs en service. Le GIP assure des missions exclusivement régaliennes que les ministères de l'agriculture et de l'écologie n'ont pas pu assumer dans leurs services respectifs. Les membres fondateurs, également administrateurs, de ce groupement sont ces deux ministères, l'ancien Cemagref devenu, en 2011, l'IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture), l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et l'assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA).
Le « GIP Pulvés » se voit confier trois grandes missions : délivrer les avis aux autorités administratives pour l'agrément des organismes d'inspection et des centres de formation des contrôleurs, ce qui nécessite des visites de terrain ; recenser les résultats et dresser le bilan de tous les contrôles effectués sur le territoire national, y compris outre-mer ; informer le public et assurer une veille de l'actualité européenne sur les contrôles de pulvérisateurs - le ministère nous demande à ce titre de connaître et de contribuer à harmoniser les procédures au niveau européen.
J'ajoute que le GIP est une microstructure, employant deux salariés contractuels à temps plein. Elle bénéficie des seules ressources financières provenant, d'une part, de ses activités d'audit, rémunérées par les organismes, d'autre part des contrôles réalisés en France donnant lieu à un prélèvement forfaitaire.
L'activité de contrôle a subi un léger ralentissement en 2011, peut-être dû à la sécheresse. 2012 s'annonce assez calme, notamment du fait du gel, qui fait que les agriculteurs se préoccupent plus de leurs cultures que du contrôle de leurs pulvérisateurs. Aujourd'hui, il existe 142 points de contrôle fixes ou non, sans compter les contrôles mobiles, qui ont réalisé depuis 2009 environ 64 000 contrôles de pulvérisateurs .
Mme Sophie Primas . - Les pulvérisateurs doivent-ils être vérifiés chaque année ?
M. Vincent Polvèche . - Non. A ce jour, le contrôle est obligatoire tous les cinq ans . Le premier contrôle doit avoir lieu avant le cinquième anniversaire du matériel.
Mme Sophie Primas . - D'un point de vue technique, en quoi consiste ce contrôle ?
M. Vincent Polvèche . - Le contrôle, qui porte sur 163 points, comprend un diagnostic visuel de l'état du matériel, la détection d'éventuelles pollutions directes (fuites...), et la vérification des organes de commandes et de réglage, notamment la précision des capteurs. Ce dernier aspect répond particulièrement aux attentes de l'utilisateur.
Mme Nicole Bonnefoy . - Quel est le montant du forfait acquitté par l'utilisateur ?
M. Vincent Polvèche . - Selon la taille du matériel, le forfait varie de 150 € à 250 € environ, pour une à deux heures de travail.
Mme Sophie Primas . - Pouvez-vous être amené à émettre un avis défavorable ? Cet avis peut-il conduire à demander le changement d'une pièce du pulvérisateur, ou sa mise au rebut ?
M. Vincent Polvèche . - Tout à fait quant au changement d'une pièce. En revanche, nous ne déciderons jamais d'une mise au rebut. Nous refuserons de valider l'appareil et émettrons une demande de modifications, assortie d'une contre-visite obligatoire après réparation. C'est à l'utilisateur qu'il reviendra de décider s'il doit faire les réparations ou bien mettre son pulvérisateur au rebut. Aujourd'hui, le taux de contre-visites demandées avoisine 18 %. Certaines petites réparations peuvent être faites au moment du contrôle.
Mme Nicole Bonnefoy . - Le matériel peut-il être encore utilisé même lorsque des réparations sont nécessaires ?
M. Vincent Polvèche . - L'utilisateur dispose d'un délai de quatre mois pour effectuer les réparations.
Mme Nicole Bonnefoy . - Dans cet intervalle, il peut donc réaliser une campagne avec un pulvérisateur défaillant ?
M. Vincent Polvèche . - Une demi-campagne, plutôt. Ces quatre mois ont été fixés en raison de la trêve hivernale, lors de laquelle l'appareil est sensible au gel.
Mme Nicole Bonnefoy . - L'agriculteur est-il réellement obligé de faire effectuer les réparations ?
M. Vincent Polvèche . - Un agriculteur peut ne se soumettre ni au contrôle principal ni à la contre-visite. Généralement, dès lors que l'agriculteur s'est présenté pour faire contrôler son appareil, il réalise les réparations demandées. C'est la démarche initiale qui est la plus difficile.
Mme Sophie Primas . - Relevez-vous des cas aux conséquences éventuellement très graves pour la sécurité de l'utilisateur ou en raison du degré de pollution engendrée ?
M. Vincent Polvèche . - Il peut s'agir d'accidents avec le produit, par exemple dans le cas d'un bouchon repêché à la main dans le mélange. Nous ne voyons généralement pas les cas très graves, les propriétaires étant parfaitement conscients de l'état de leur appareil. Lorsqu'ils se présentent au contrôle, les agriculteurs sont généralement confiants dans le fait que leur matériel recevra un avis favorable sans difficulté.
Mme Nicole Bonnefoy . - L'achat d'un pulvérisateur neuf s'accompagne t-il de la signature d'un contrat d'entretien ?
M. Vincent Polvèche . - Non. Les distributeurs de matériel font aujourd'hui la première mise en route, assez complexe, et offrent une garantie légale, mais ils ne proposent pas de contrat de maintenance préventive, excepté dans quelques cas assez rares.
M. Joël Labbé . - Existe-t-il une homologation initiale pour ce matériel ?
M. Vincent Polvèche . - Non. Les pulvérisateurs répondent à un régime complet d'auto-certification qui, jusqu'à fin 2011, ne concernait que la sécurité des opérateurs, du point de vue des risques électriques et mécaniques surtout. La directive européenne dont ils dépendent a été amendée en 2009 et transposée en droit français fin 2011. Aujourd'hui, les prescriptions environnementales figurant sur le matériel sont plus nombreuses, mais elles relèvent uniquement de l'auto-certification. Le contrôle de second niveau est très léger, du fait d'une méconnaissance technique de ce matériel.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les accidents liés à l'emploi de pulvérisateurs sont-ils fréquents ?
M. Vincent Polvèche . - Les accidents ou incidents sont fréquents , même s'ils ne sont pas toujours recensés.
Mme Sophie Primas . - Quelle dimension avait le parc sur lequel ont été effectués les quelque 64 000 contrôles réalisés depuis le 1 er janvier 2009 ?
M. Vincent Polvèche . - C'est une donnée difficile à estimer, du fait de l'absence d'homologation. 300 000 machines seraient concernées. Ce nombre est issu de deux enquêtes de structures et d'une hypothèse d'un taux d'équipement d'une machine par exploitation ; il s'agit en effet d'un équipement qui se partage difficilement, notamment parce que les périodes pendant lesquelles les traitements doivent être effectués sont brèves. Les constructeurs estiment les ventes à quelque 15 000 machines par an, pour une durée de vie de vingt ans. Toutefois, le taux d'équipement individuel semble aujourd'hui connaître une baisse sensible.
Mme Nicole Bonnefoy . - Comment l'expliquez-vous ?
M. Vincent Polvèche . - Le manque de compétence des utilisateurs semble être l'une des raisons, car ces machines sont complexes et difficiles à utiliser . En outre, une formation est obligatoire pour les utilisateurs, à l'issue de laquelle est délivré un certificat d'applicateur . Enfin, de plus nombreux agriculteurs atteignent une taille limite pour avoir intérêt à posséder un tel équipement, si bien que le prêt de ces machines se développe.
Mme Sophie Primas . - Donnez-vous des conseils d'utilisation ? Votre rôle consiste-t-il également à former les utilisateurs ?
M. Vincent Polvèche . - Le « GIP Pulvés » sensibilise les organismes d'inspection afin qu'ils ne fassent pas seulement du contrôle et de l'inspection, mais qu'ils conseillent également les utilisateurs en matière de choix de matériel, de technique. Sur environ deux heures de visite de contrôle, environ vingt minutes sont consacrées à ces conseils.
Mme Sophie Primas . - Rencontrez-vous plutôt des agriculteurs experts ou des utilisateurs ayant besoin de votre soutien pour utiliser le matériel ?
M. Vincent Polvèche . - Certains agriculteurs sont des experts, mais, pour deux tiers d'entre eux, ils sont demandeurs de conseils car ils attendent notamment du technicien qu'il révise les réglages de leur pulvérisateur.
Mme Nicole Bonnefoy . - Tout type de culture peut-il être traité par pulvérisateur ? Qu'en est-il de l'épandage aérien ?
M. Vincent Polvèche . - La pulvérisation va de la graine à l'épandage aérien. On appelle pulvérisateur n'importe quelle machine épandant des liquides sous forme de fines gouttelettes, quelles que soient sa géométrie et son architecture. Cela comprend les pulvérisateurs aériens et terrestres, qui peuvent prendre la forme de trains. Par ailleurs, si toutes les cultures peuvent être traitées au moyen de pulvérisateurs, toutes ne peuvent l'être avec le même type de matériel. Certaines cultures, comme les cultures forestières - avec le problème de la chenille processionnaire du pin - ne peuvent être traitées que par voie aérienne. Les cultures arbustives (vergers ou bananeraies, par exemple) sont accessibles par voie terrestre, excepté lorsqu'un problème de sol l'interdit. Pour les rizières, il existe potentiellement des solutions terrestres.
Mme Nicole Bonnefoy . - Qu'en est-il de la vigne ?
M. Vincent Polvèche . - Pour la vigne, les moyens terrestres sont très largement utilisés, jusqu'à une limite de pente à 45 %, ce qui ne concerne que des zones très limitées.
Mme Sophie Primas . - Votre rôle inclut-il également le contrôle et l'accompagnement du grand public, ou des collectivités locales ?
M. Vincent Polvèche . - Aujourd'hui, le dispositif de contrôle ne concerne pas encore toutes les catégories de matériel . Nous avons commencé par établir un protocole pour les équipements destinés à traiter les arbres fruitiers, les arbustes comme la vigne et les ornementaux, ainsi que les cultures basses. Les autres types de matériel ne sont pas encore soumis à un contrôle obligatoire. Pour le pulvérisateur appartenant à un particulier ou à une collectivité locale, le problème réside plus dans la compétence de l'opérateur que dans le contrôle du matériel. Les petites machines ne nécessitent pas vraiment de contrôle. En revanche, dès lors que le matériel présente une architecture similaire à celle du matériel agricole, il est soumis à un contrôle, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle du propriétaire.
Mme Sophie Primas . - Dans les faits, qui sont les utilisateurs contrôlés ?
M. Vincent Polvèche . - 99 % des opérateurs contrôlés sont des agriculteurs. Nous rencontrons également quelques municipalités, même si le message informatif leur est moins parvenu puisqu'il n'a été relayé essentiellement que par la presse agricole. Toutefois, l'obligation de contrôle tous les cinq ans vaut également pour les collectivités locales .
M. Joël Labbé . - Je suis moi-même maire, mais je n'étais pas informé de cette obligation de contrôle. Toutefois, nous avons résolu le problème en ne pulvérisant plus. Quoi qu'il en soit, il est important de sensibiliser à cet aspect l'association des maires de France ; les élus doivent montrer l'exemple, puisqu'il s'agit d'une obligation.
M. Vincent Polvèche . - Je pense surtout que l'information est mal passée auprès des élus. Les golfs ont été sensibilisés plus facilement, mais ce n'est pas le cas des hippodromes, par exemple.
M. Gérard Miquel . - Existe-t-il de nombreuses marques d'équipements ?
M. Vincent Polvèche . - Il existe aujourd'hui encore une grande diversité, puisque nous avons recensé en France plus d'une centaine de marques de matériel de pulvérisation . Nous comptons par ailleurs plusieurs dizaines de milliers de modèles , car l'acheteur peut composer lui-même son pulvérisateur sur catalogue à partir de nombreux caractéristiques et accessoires.
Mme Nicole Bonnefoy . - Quels sont les critères de choix des options ?
M. Vincent Polvèche . - Le choix se fait généralement en fonction de la taille du réservoir qui stocke le produit à pulvériser, de la largeur de travail, du débit de la pompe, du nombre de sections de pulvérisation, c'est-à-dire la finesse avec laquelle on peut ouvrir ou fermer la pulvérisation, etc. Une centaine de marques existe en France, mais huit d'entre elles représentent les trois-quarts du marché. Nous avons en effet assisté à un phénomène de reconcentration du marché entre les mains des plus gros producteurs.
Mme Nicole Bonnefoy . - Qu'en est-il du nettoyage des pulvérisateurs ?
M. Vincent Polvèche . - Cette étape pose de très gros problèmes. L'agriculteur doit nettoyer l'intérieur de son matériel, car il utilise différents produits selon les cultures, mais aussi l'extérieur du matériel. Il existe des dispositifs embarquant de l'eau claire pour pouvoir nettoyer l'intérieur du réservoir dans le champ. Le rinçage extérieur, beaucoup plus compliqué, nécessiterait des quantités embarquées très importantes, si bien qu'il se fait le plus souvent dans la cour de ferme, d'où des problèmes d'eaux usées à traiter. Il existe un arsenal réglementaire en la matière, mais son application est quasiment impossible, notamment en zone viticole. Les marges de progrès sont encore importantes.
Mme Sophie Primas . - Quelles sont précisément ces marges de progrès ?
M. Vincent Polvèche . - Dès la conception des pulvérisateurs, il faudrait limiter les pièces cachées, les recoins , par un design adapté. Dans certaines zones, des aires spécifiquement réservées au nettoyage des appareils ont été installées, avec un système de récupération et de traitement d'eau organisé généralement par les collectivités locales. Quelques exploitations sont équipées, mais ce n'est pas toujours possible, en particulier dans les zones viticoles où les traitements doivent être fréquents. Des aires spécifiques restent à installer dans nombre de communes. Mais il est vrai que ceux qui pouvaient investir ont réalisé de gros progrès.
Mme Sophie Primas . - Les doses de produits utilisées sont de plus en plus réduites. Cela a-t-il supposé une modification du matériel ?
M. Vincent Polvèche . - La réduction des doses des produits n'a pas concerné le matériel, puisque le produit sera dilué dans de l'eau, pour obtenir un volume de bouillie adapté à la superficie. Ces volumes de bouillie ont d'ailleurs diminué, passant d'environ 200 litres en moyenne nationale à 120 ou 130 litres. Le matériel doit donc s'adapter, pour être plus précis et moins sensible au bouchage. Une intervention rendue nécessaire en cours de traitement constitue en effet une source éventuelle de contamination. L'évolution possible du matériel consisterait à pouvoir préparer la quantité de produit à la demande en passant à l'injection directe . Certains dispositifs le permettent.
Mme Nicole Bonnefoy . - L'agriculteur s'équipe-t-il de protections pour utiliser le pulvérisateur ?
M. Vincent Polvèche . - Oui. Aujourd'hui, 99 % des utilisateurs mettent des gants, contre aucun il y a une quinzaine d'années. En revanche, excepté dans l'arboriculture, ils ne s'équipent pas de tenues de protection. Toutefois, tous les matériels, du pulvérisateur automoteur au tracteur sans cabine, ne contaminent pas de la même façon. Les risques les plus importants sont encourus lors d'un dépannage urgent pendant le traitement.
Mme Sophie Primas . - Les inconvénients d'un pulvérisateur qui se bouche sont les mêmes, quel que soit l'utilisateur.
M. Vincent Polvèche . - Oui, c'est pourquoi il est important de contrôler et d'entretenir le matériel. Les agriculteurs en sont conscients aujourd'hui.
M. Gérard Miquel . - Les quantités employées lors des épandages aériens sont-elles maîtrisées ? Par ailleurs, les appareils aériens utilisés sont-ils tous également fiables ?
M. Vincent Polvèche . - Non. Il faut distinguer les pulvérisations par avion et par hélicoptère. Les avions sont très rares aujourd'hui , excepté peut-être en Guadeloupe. Ils sont équipés de systèmes asservis à la vitesse de vol qui permettent d'épandre une quantité régulière de produit par unité de surface. Ce type de système n'existe pas encore sur les hélicoptères, qui sont en outre faiblement motorisés. Il est donc impossible de réaliser un traitement homogène par hélicoptère . Des équipements sont en train d'être installés à cette fin. En pulvérisation terrestre, la vitesse est de 8 à 20 km/h, en hélicoptère de 50 à 70 km/h et en avion autour de 80 km/h. Lors d'un épandage aérien, les temps de réaction ne peuvent pas être aussi fins que lors d'un épandage terrestre. Toutefois, les avions disposent d'un système de cartographie intégré qui permet des réglages, à condition que les parcelles soient bien délimitées.
M. Joël Labbé . - Les trains pulvérisateurs de la SNCF sont-ils également contrôlés ?
M. Vincent Polvèche . - A ce jour, les trains ne font pas l'objet d'un contrôle obligatoire . Nous y travaillons toutefois depuis quatre ou cinq mois, en recensant pour commencer tous les points de défaut. Il existe en France deux types de train : d'une part, vingt-six désherbeuses régionales équipées par le même prestataire, qui fait un contrôle de maintenance annuel minutieux et, d'autre part, des désherbeuses nationales, stationnées au Mans, qui ne sont pas contrôlées à ce jour. C'est pour remédier à ce manque qu'un protocole de contrôle est en cours d'élaboration. Il existe également un groupe de normalisation européen à ce sujet. Il est à noter que le Luxembourg ne désherbe pas ses voies ferrées.
M. Joël Labbé . - En termes d'efficacité, ces trains désherbeurs sont remarquables puisque rien ne pousse après leur passage mais les pulvérisations se font même à proximité immédiate des cours d'eau.
M. Vincent Polvèche . - La SNCF a tout de même fait des efforts, notamment sur les désherbeuses régionales, en intégrant des capteurs de végétation. Réseau Ferré de France est par ailleurs en train d'établir un relevé GPS afin de programmer les zones d'exclusion et travaille donc, certes avec retard, à améliorer ses procédures de désherbage. Cependant, les trains désherbeurs engendrent quelques problèmes, en passant près des cours d'eau, des jardins et des maisons.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les pulvérisateurs terrestres aussi passent souvent trop près des maisons.
M. Vincent Polvèche . - Des distances de protection peuvent être fixées par voie réglementaire, au moins à proximité des zones aquatiques. Elles ne sont pas très claires, à ce jour.
Mme Sophie Primas . - Avez-vous quelque chose à ajouter, outre le fait, peut-être, qu'un budget plus important vous serait utile pour combler les lacunes que vous nous avez indiquées dans le contrôle ?
M. Vincent Polvèche . - Ce n'est pas tant le budget qui m'inquiète ; il est en effet gratifiant de travailler avec ses ressources propres. Mais je souhaite que les propriétaires de pulvérisateurs soient plus sensibilisés, afin que plus de 20 % des appareils soient contrôlés.
Afin de faire progresser ce taux, il est possible de tenter d'interpeller le monde agricole par voie de presse. Toutefois, je crains qu'une véritable évolution ne puisse être obtenue que par l'instauration d'un arsenal répressif.
Mme Sophie Primas . - Les propriétaires ne risquent-ils pas déjà une amende s'ils ne disposent pas de l'agrément ?
M. Vincent Polvèche . - Tout à fait, l'amende est d'un montant forfaitaire de 135 €. La confiscation du matériel peut également être opérée en cas d'utilisation d'un appareil non contrôlé.
Mme Sophie Primas . - L'amende coûte donc moins cher que le contrôle.
M. Vincent Polvèche . - Effectivement, le montant de l'amende n'est pas très dissuasif. En outre, les utilisateurs ne sont pas forcément contrôlés et, dès lors, encore moins sanctionnés.
Mme Nicole Bonnefoy . - Par ailleurs, le Certiphyto apprend à bien manier le pulvérisateur mais il n'oblige pas l'agriculteur à avoir un pulvérisateur en bon état de fonctionnement.
M. Vincent Polvèche . - Le Certiphyto est un excellent outil de sensibilisation pédagogique. Il incite systématiquement les utilisateurs à faire contrôler leur matériel, mais aucune obligation n'y est liée. Les agriculteurs n'ont pas encore perçu tout l'intérêt de ce contrôle. En outre, le Certiphyto se passe dans une salle avec des formateurs tandis que le contrôle de la machine sur le terrain est plus efficace et plus pertinent pour l'utilisateur. Moins abstrait, il responsabilise mieux les utilisateurs, de mon point de vue.
Mme Sophie Primas . - Quelles seraient vos recommandations ?
M. Vincent Polvèche . - Je pense que la mise en oeuvre d'un système répressif, destinée non pas à multiplier les amendes mais à faire quelques exemples, suivie d'une bonne communication serait utile, pour un meilleur contrôle des appareils de pulvérisation. L'essentiel du message est bien passé, mais les utilisateurs manquent encore de la volonté de montrer leur matériel à un spécialiste afin que ce dernier juge de son état.
Mme Sophie Primas . - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et d'avoir répondu avec clarté et franchise à nos questions.
Audition de M. Jérémy Macklin, directeur général adjoint du groupe coopératif In Vivo, membre de l'organisation professionnelle Coop de France, et de Mme Irène de Bretteville, responsable des relations parlementaires de l'organisation professionnelle Coop de France (10 avril 2012)
M. Joël Labbé . - En l'absence de Mme Sophie Primas, présidente, c'est en ma qualité de vice-président de cette commission que je présiderai cette audition. Les travaux de la mission d'information, commencés il y a plus d'un mois, concernent l'impact des pesticides sur la santé et sur l'environnement.
Le milieu coopératif jouant un rôle important dans la chaîne de production, commercialisation et utilisation des pesticides, nous avons souhaité vous entendre.
Les agriculteurs à qui nous avons rendu visite en Charente, la semaine dernière, ont insisté sur l'influence des milieux coopératifs que, d'une manière générale, ils ne jugent pas forcément positive. Ils déploraient notamment que certains acteurs technico-commerciaux incitent à la consommation de pesticides.
M. Jérémy Macklin . - Le champ d'action d' In Vivo est vaste, puisqu'il va des mesures mises en oeuvre dans le cadre du projet Ecophyto 2018 aux démarches entreprises pour protéger la santé des agriculteurs et autres acteurs concernés.
Il faut d'abord rappeler qu' In Vivo est un groupe coopératif national regroupant 117 coopératives d'aide à la fourniture agricole. Par ailleurs, In Vivo est membre de Coop de France . Dans son rôle de centrale nationale de coopératives, In Vivo se voit confier trois missions , dont celle de mener des opérations de recherche et développement portant sur les semences, les engrais et les produits phytosanitaires.
Mme Nicole Bonnefoy . - Par qui vous sont proposés ces produits ?
M. Jérémy Macklin . - Il s'agit de produits qui, pour la grande majorité, nous sont fournis, après homologation, par des structures comme GPN , premier producteur français de fertilisants azotés et filiale de Total, ou des semenciers comme Monsanto . Nous sommes pour l'essentiel distributeurs de produits manufacturés par de grands fabricants mondiaux.
Mme Nicole Bonnefoy . - Des contrats vous lient-ils à ces grands fabricants ?
M. Jérémy Macklin . - Effectivement, dans le cadre des actions mises en place pour la bonne promotion des produits phytosanitaires, semences ou engrais, que fournissent ces acteurs. La bonne promotion désigne pour moi l'adaptation tant à la situation agronomique de la parcelle qu'à l'agriculteur qui va utiliser le produit. Nous raisonnons donc parcelle par parcelle en offrant aux conseillers de chaque coopérative un outil d'aide à la décision permettant de préconiser la solution la mieux adaptée à la situation de la parcelle considérée. Nous réalisons des tests qui enrichissent une base de données nationale pour les coopératives.
Mme Nicole Bonnefoy . - Utilisez-vous, par exemple, un système de type SMS, gratuit, qui conseille l'agriculteur, en fonction, entre autres, de la météo ?
M. Jérémy Macklin . - Dans le cas des engrais, par exemple, il faut tenir compte des besoins du sol et apporter les engrais au bon moment et à la bonne dose pour que la plante se développe au mieux. L'usage des produits phytosanitaires doit également tenir compte des conditions météorologiques. Nous utilisons un système d'avertissements, nourri des observations des techniciens des coopératives quant aux maladies et autres problèmes rencontrés. Nous donnons donc des conseils aux agriculteurs en fonction de tous ces paramètres, par le biais de SMS, appels téléphoniques, visites d'exploitation, bulletins de santé régionaux... De plus en plus fréquemment, les pratiques des conseillers des coopératives sont certifiées. Dans le cadre d' Ecophyto 2018 , l' agrément des coopératives elles-mêmes doit commencer à se mettre en place à partir de juillet 2013, pour que chaque conseil donné à l'agriculteur laisse une trace écrite , justifiant notamment les préconisations du conseiller.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous prônez donc « le bon conseil au bon moment » pour l'utilisation de produits chimiques ?
M. Jérémy Macklin . - Le traitement n'est pas obligatoirement chimique. Le conseiller devra notamment justifier pourquoi il propose un produit chimique et non d'une autre nature. Il peut en effet conseiller l'utilisation d'une substance ou d'une solution naturelle, par exemple des insectes. A l'inverse, nous expliquerons aussi pourquoi nous ne préconisons pas une solution non chimique, lorsque nous conseillons un produit chimique. La question se pose ensuite de savoir comment nous pourrions conseiller les agriculteurs pour minimiser l'impact de ces produits sur le milieu. Le projet DEPHY consiste, avec le soutien du Gouvernement, à identifier les meilleures pratiques agricoles. Le réseau mis en place oblige à collecter davantage d'informations, notamment relatives aux impacts sur le milieu, à la performance économique et écologique, parcelle par parcelle. Il s'agit de conseiller l'agriculteur dans ses pratiques, là aussi parcelle par parcelle, pour limiter l'impact environnemental tout en préservant le niveau de productivité.
Mme Nicole Bonnefoy . - Dans quelle mesure est-il possible de réduire la consommation de produits phytosanitaires , parcelle par parcelle ?
M. Jérémy Macklin . - On considère généralement qu' un écart de 20 % sépare la moyenne nationale des meilleures pratiques. Ramener chacun à la meilleure performance permettrait de baisser d'environ 17 % l'usage de produits phytosanitaires, tout en préservant le potentiel économique de chaque exploitation . L'objectif d'une réduction de 50 % conduit à s'interroger sur les moyens d'y parvenir. Pour réduire l'usage de ces produits dans une proportion plus importante, il faudrait mener des travaux de recherche complémentaires.
Dans notre réseau coopératif nous avons demandé à chaque conseiller de capter toutes les informations pertinentes possibles concernant l'impact environnemental, la biodiversité et la performance agronomique de l'exploitation. Ces études viennent d'être finalisées. Elles permettent de disposer d'informations très intéressantes et de bâtir un plan d'action commun avec la direction générale de l'alimentation. Nous menons un raisonnement par parcelle et par type de produit, mais également par rotation des cultures sur une même parcelle, afin de diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires. Il faut amener les agriculteurs à raisonner à plus long terme, et pas uniquement année après année, sur la conduite des productions sur une exploitation.
Concernant la santé des agriculteurs , la situation est difficile à évaluer car nous disposons d'informations contradictoires. Je n'ai pas de certitudes à ce sujet, mais nous constatons que l'usage des équipements de protection, gants et lunettes notamment, est de plus en plus répandu, même si les agriculteurs ont tendance à réutiliser toujours les mêmes gants , où se concentrent donc les pesticides. Les comportements doivent donc encore évoluer, notamment en termes de lavage et de recyclage. Il faut accompagner les agriculteurs pour les aider à limiter les risques. Quoi qu'il en soit, il serait nécessaire de décider au niveau national du seuil souhaitable de protection . Est-il préférable d'utiliser un savon antiseptique plutôt que des gants ? Nous avons besoin d'une réflexion plus structurée sur ce sujet. Certes, nous menons des campagnes de communication incitant au port de lunettes et de gants, mais nous n'en connaissons pas réellement les retombées. Il me semble qu' il faudrait mettre en place un système de communication et d'approvisionnement en vêtements de protection .
M. Joël Labbé . - Vous reconnaissez implicitement qu'il s'agit de produits extrêmement dangereux pour la santé et l'environnement, dans la mesure où vous vous demandez si les protections utilisées aujourd'hui sont réellement efficaces.
M. Jérémy Macklin . - C'est une excellente remarque. En France, c'est l'ANSES qui a pour responsabilité de définir les dangers que présente l'utilisation d'un produit et les conditions dans lesquelles il peut être utilisé sans risque. Les produits phytosanitaires ne sont pas toujours beaucoup plus nocifs que ceux que chacun utilise dans la maison, notamment les solvants. Certains de ces produits chimiques ont pour objectif de tuer des insectes ; par définition, il faut se protéger lorsqu'on les utilise.
M. Joël Labbé . - Dans vos investigations sur les éventuels produits alternatifs, vous nous informez que vous pouvez conseiller les agriculteurs pour qu'ils utilisent le meilleur traitement d'un point de vue économique, écologique et sanitaire. Malgré tout, vous êtes les intermédiaires de grandes firmes qui commercialisent les produits les plus dangereux. Dans une tout autre démarche, il existe des agriculteurs biologiques - nous en avons rencontré la semaine dernière - qui tentent de mettre en oeuvre une démarche alternative et avancent avec des moyens limités. Si l'argent que les pouvoirs publics dépensent, notamment, à traiter les eaux polluées, revenait à ces initiatives, cela permettrait de gagner du temps pour faire avancer cette démarche alternative. Certes, In Vivo consacre une partie de ses travaux à ce type d'études, mais cette partie de votre activité peut-elle équilibrer celle concernant la distribution de produits chimiques ?
M. Jérémy Macklin . - 35 % à 40 % des efforts que nous menons portent sur la mise au point de solutions alternatives aux produits chimiques. La véritable question consiste à savoir comment les appliquer aux grandes cultures, au blé ou au maïs par exemple. C'est une question de temps. L'élaboration de certains micro-organismes devrait permettre de développer une agriculture performante beaucoup moins polluante que celle usant de produits chimiques. L'agriculture biologique étant l'une des plus efficaces d'un point de vue agronomique , à nous de trouver des solutions pour accompagner les exploitants qui ont fait ce choix. Le niveau de rendement des cultures d'un agriculteur biologique est toutefois nettement inférieur à celui d'un agriculteur conventionnel.
M. Joël Labbé . - Vous raisonnez toujours à performances économiques égales.
M. Jérémy Macklin . - Je pense avant tout à un niveau de productivité égal.
M. Joël Labbé . - Nous pourrions mener une conversation intéressante sur les agro-carburants, qui anéantissent les terres vivrières, en Amérique latine notamment. Ce n'est toutefois pas notre sujet aujourd'hui. Il est néanmoins nécessaire que la terre agricole, partout dans le monde, soit avant tout considérée comme une terre nourricière. Il faut également prendre conscience du fait que les performances qui ont été obtenues par l'agriculture conventionnelle ne pourront sans doute pas être maintenues à ce niveau.
M. Jérémy Macklin . - Nous pourrions également envisager les avancées que pourraient constituer les OGM ou les évolutions techniques, mais ce n'est pas davantage le sujet. Je ne considère pas que nous ne serions plus capables de produire plus sur une même parcelle tout en réduisant les impacts sur le milieu.
Mme Nicole Bonnefoy . - Concernant la santé des agriculteurs, vous considérez que les produits utilisés étant dangereux, ils nécessitent l'usage de protections, notamment de gants. Pourtant, pendant des années, les agriculteurs qui manipulaient ces produits ne portaient ni gants ni masques. Ils ont donc mis leur santé et l'environnement en danger. Qu'en pensez-vous ? Dans le même temps, les firmes continuaient à diffuser des publicités lénifiantes minimisant le risque lié à l'utilisation de pesticides, si bien que les agriculteurs leur faisaient confiance, de même qu'aux coopératives qui commercialisaient ces produits. Quel est votre avis ?
M. Jérémy Macklin . - Dire que les coopératives sont en harmonie avec les fournisseurs est faux. Nous sommes dans un rapport de clientèle et non de filiale. La question est de savoir ce qui figure sur les étiquettes des produits. Les conditions d'utilisation y sont clairement explicitées. Il ne s'agit pas pour moi de rejeter toute faute. Je pense que l'attention portée à ce problème par la filière n'a pas été suffisante.
Mme Nicole Bonnefoy . - Parlez-vous des agriculteurs ?
M. Jérémy Macklin . - Non, je pense à tous les acteurs de la filière. Les conditions d'usage n'ont pas été suffisamment prises au sérieux alors qu' il est tout à fait indispensable de respecter strictement ce qui est écrit sur les étiquettes, obligatoires depuis vingt-cinq ans . Quoi qu'il en soit, tout le monde porte une part de responsabilité. En effet, les mentions figurant sur les étiquettes ont toujours été très claires.
Mme Nicole Bonnefoy . - En général, les inscriptions figurent en tout petits caractères et pas toujours de manière explicites. Il n'est pas écrit sur l'étiquette que tel ou tel produit est cancérogène.
M. Jérémy Macklin . - Les codes sont très clairs en la matière.
Mme Nicole Bonnefoy . - De quels codes parlez-vous ?
M. Jérémy Macklin . - Les produits sont classés « N », « Xn »... Ces codes figurent sur les étiquettes.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les agriculteurs n'en connaissent pas forcément la signification. Ils ne sont pas formés à lire les étiquettes. Pendant des années, ils ont fait confiance à l'industrie phytosanitaire, aux coopératives et à leurs conseillers, qui leur assuraient qu'un produit était bon. Ils considèrent sans doute aujourd'hui qu'ils n'ont pas été suffisamment informés sur les risques qu'ils prenaient.
M. Jérémy Macklin . - Je crois que vous avez visité l'exploitation de M. Paul François , il y a quelques jours, tout comme je l'ai fait il y a un an. Cet agriculteur, très intelligent, considère qu'il a été malmené par l'industrie phytosanitaire. Je comprends sa frustration. Toutefois, l'étiquette des produits qu'il incrimine mentionnait explicitement les précautions qu'il aurait dû prendre.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous connaissez le résultat de son procès en première instance contre Monsanto . La condamnation ne tient pas uniquement compte du fait qu'il n'a pas suffisamment lu l'étiquette du produit.
M. Jérémy Macklin . - Je crois que Monsanto entend faire appel de cette décision. Il faut donc attendre la décision de la justice en appel.
Mme Nicole Bonnefoy . - Est-il exact que des contrats liant l'agroalimentaire aux agriculteurs incluent des clauses prévoyant des modalités détaillées de recours obligatoire aux pesticides ?
M. Jérémy Macklin . - A ma connaissance, ce fonctionnement existe au Canada et aux États-Unis d'Amérique, où des contrats lient l'utilisation de la semence à celle de produits phytosanitaires. En France, ce genre de lien semble ne pas exister.
M. Gérard Miquel . - Je pense que les coopératives ont un rôle essentiel à jouer, notamment en matière d'information sur les pesticides. Le végétal, c'est-à-dire la semence, a aussi son importance : certaines variétés sont résistantes aux maladies, d'autres le sont moins. Dans ce domaine, la recherche avance. Il faudra sortir du schéma actuel à l'avenir. Sur une même parcelle, l'alternance systématique entre la culture du blé et celle du maïs ne peut pas durer éternellement. Une prise de conscience est perceptible, aujourd'hui. De nombreux agriculteurs se reconvertissent en agriculture biologique, dont les produits sont de qualité et, de plus, compatibles avec la protection de l'environnement.
Les nappes phréatiques ont également beaucoup souffert des choix agricoles, nous en découvrirons les conséquences dans quelques années, comme l'Amérique latine l'a déjà fait. De plus, les systèmes de dépollution de l'eau sont très coûteux. Les coopératives ont donc un rôle essentiel à jouer dans le développement d'une agriculture alternative, dans la commercialisation des intrants alternatifs, comme les engrais organiques. Nous assisterons dans les années à venir à une évolution très forte.
Je souhaite pour ma part connaître votre avis sur les semences, ainsi que sur les pratiques agricoles qui consistent à ne plus labourer les terres et à multiplier l'usage des produits phytosanitaires. Combien de temps cette logique peut-elle encore durer ?
M. Jérémy Macklin . - Je m'accorde avec vous sur le végétal et les semences en particulier ; ainsi, depuis quelques années, ces dernières permettent de combiner les rendements et la résistance aux maladies . Cette évolution permettra de diminuer l'utilisation des fongicides. Parallèlement, la pollution des nappes phréatiques est essentiellement due aux herbicides . Cette question restera un enjeu majeur pour l'agriculture française, y compris pour l'agriculture biologique.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous avez évoqué des campagnes de communication menées par In Vivo avec l'UIPP , pour inciter les agriculteurs à se protéger. Ne pensez-vous pas que communiquer avec l'UIPP entretient une forme de confusion entre les fabricants de produits phytosanitaires et les coopératives ?
M. Jérémy Macklin . - Je ne pense pas que nous communiquerions avec l'UIPP sur de nombreux autres sujets. La protection de la santé des agriculteurs est une cause commune que nous pouvons tous épouser.
Mme Nicole Bonnefoy . - Pensez-vous que les équipements suffisent à eux seuls à protéger les agriculteurs ?
M. Jérémy Macklin . - Votre question revient à celle abordée tout à l'heure.
Mme Nicole Bonnefoy . - J'oubliais qu'il fallait aussi lire les étiquettes...
M. Jérémy Macklin . - Quel est le meilleur moyen de protection des agriculteurs : les gants, les lunettes... ?
Mme Nicole Bonnefoy . - N'est-ce pas plutôt la nature des produits ?
M. Jérémy Macklin . - C'est à l'ANSES qu'il revient aujourd'hui de décider si un produit est utilisable en France ou pas.
Mme Nicole Bonnefoy . - Certes, mais je vous demande votre position à ce sujet.
M. Jérémy Macklin . - Les fournisseurs et le système d'homologation national oeuvrent toujours plus en faveur de produits ayant moins d'impacts sur l'environnement et la santé humaine. Toujours est-il que la manipulation d'un produit chimique, dans votre cuisine ou à la ferme, nécessite de se protéger.
M. Joël Labbé . - Dans une autre forme d'agriculture, on utilise les cultures associées. Travaillez-vous dans votre département recherche et développement sur ces sujets, qui sont des sujets d'avenir ? Par ailleurs, il est maintenant prouvé que des produits herbicides peuvent être des perturbateurs endocriniens, avec un effet jusque sur l'embryon et un effet transgénérationnel étudié à ce jour sur les animaux. C'est dire la responsabilité collective qui est la nôtre ! Certes, il ne vous incombe pas de décider de ce qui est autorisé en France, mais nous, politiques, avons un rôle à jouer. C'est la raison pour laquelle nous menons ces auditions et réfléchissons à la façon dont pourront évoluer les législations.
M. Jérémy Macklin . - Pour notre part, nous promouvons activement, notamment sur notre site, ce que nous appelons les « cultures campagne », ou « intercultures » , c'est-à-dire les cultures mises en place entre une collecte et la récolte suivante. Nous les promouvons car elles constituent un moyen très efficace d'éviter l'utilisation des herbicides . Nous travaillons à l'étude de cette question, en cherchant notamment à déterminer l'interculture qui répondra le mieux aux besoins du sol, en fonction de la culture suivante.
Il m'est plus difficile de répondre à votre seconde question : il ne me revient pas d'affirmer qu'un produit est un perturbateur endocrinien ou pas. C'est à l'ANSES de le déterminer. Je ne sais pas répondre à votre question, si ce n'est qu'il existe des experts qui doivent vous aider à y répondre et à prendre une décision.
Mme Nicole Bonnefoy . - Pourriez-vous décrire le système de rémunération des conseillers techniques des coopératives ?
M. Jérémy Macklin . - Le système global de rémunérations est encadré. Je suppose que votre question sous-jacente consiste à demander si leur rémunération comporte un lien avec le volume de pesticides vendus. Depuis dix ans, il existe une charte du conseil coopératif qui interdit les rémunérations de ce type. Dès lors qu'une coopérative signe la charte, elle se doit de la suivre.
Mme Nicole Bonnefoy . - En quelle année la charte a-t-elle été signée ?
Mme Irène de Bretteville, reponsable des relations parlementaires de l' organisation professionnelle Coop de France . - Il y a dix ans. C'est Coop de France qui l'a lancée avec In Vivo , mais c'est une charte qui relève d'une démarche volontaire, puisque les agriculteurs sont libres de la signer ou pas. Nous l'avons diffusée autant que possible dans notre réseau.
Mme Nicole Bonnefoy . - Avez-vous des retours ? Savez-vous combien d'acteurs l'ont signée, en particulier combien de coopératives ?
M. Jérémy Macklin . - Ce sont surtout des coopératives qui l'ont signée. Certaines sont toutefois membres de Coop de France mais ne sont pas dans le réseau. En revanche, toutes celles qui travaillent dans le réseau In Vivo ont signé la charte. Il est évident qu' il n'y a pas de rémunération liée au volume vendu . Ce principe sera renforcé avec le système de l'agrément, qui sera en application à partir de l'année prochaine. La réglementation prendra alors le relais de cette charte.
Mme Nicole Bonnefoy . - Savez-vous quel est le pourcentage des membres de Coop de France ayant signé la charte du conseil coopératif ?
Mme Irène de Bretteville . - Je vous donnerai les chiffres exacts, ainsi qu'un exemplaire de la charte.
M. Jérémy Macklin . - La proportion de membres ayant signé la charte est supérieure à 80 %.
Mme Irène de Bretteville . - La pratique des rémunérations liées au volume vendu tend à disparaître. Le service rendu ne se mesure plus selon des critères quantitatifs, mais en fonction de l'activité de conseil.
Mme Nicole Bonnefoy . - Cette pratique existait donc auparavant. Dans quelle mesure le pourcentage d'acteurs ayant adopté une nouvelle pratique a-t-il évolué depuis la signature de la charte ?
Mme Irène de Bretteville . - Les coopératives sont indépendantes. Nous ne savons pas tout ce qu'elles font. Nous avons une commission développement durable, et c'est dans ce cadre que nous avons mené ces actions.
Mme Nicole Bonnefoy . - Il serait intéressant de savoir combien de membres de Coop de France n'ont pas signé la charte. Par ailleurs, avez-vous messages à nous transmettre, des préconisations, des attentes par rapport à notre mission ?
M. Jérémy Macklin . - Vous avez posé des questions pertinentes concernant notamment la responsabilité du système agroalimentaire, l'utilisation des produits et la nécessité de bien conseiller les agriculteurs.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous-même n'avez jamais douté de la non-dangerosité d'un produit ? Vous vous en remettez à l'ANSES, aux autorités, aux médecins, aux scientifiques... Mais, pour votre part, en tant que citoyen, compte tenu des problèmes soulevés, n'avez-vous jamais été interrogatif ?
M. Jérémy Macklin . - C'est parce que j'apprécie la réalité de la situation que je suis relativement à l'aise avec le métier que j'exerce depuis vingt-cinq ans. Je n'ai pas d'état d'âme particulier. Nous avons joué un rôle très important dans l'augmentation de la productivité, mais également dans l'amélioration de la qualité des produits alimentaires proposés aujourd'hui sur les étals des supermarchés. Nous pouvons en revanche nous demander si nous aurions pu mieux utiliser les produits phytosanitaires. Certainement. C'est la raison pour laquelle nous nous mobilisons très activement pour mener des actions qui nous permettraient d'apporter aux agriculteurs des conseils pour un plus grand respect de l'environnement.
Mme Nicole Bonnefoy . - Si nous considérons que l'agriculteur, à condition qu'il s'équipe, peut être protégé, pour autant, l'environnement, lui, absorbe ces produits phytosanitaires, tout comme le font les cultures et, en conséquence, les consommateurs qui, eux, ne sont pas protégés contre cela.
M. Jérémy Macklin . - Les analyses des résidus de pesticides sur les produits alimentaires identifient très clairement une nette progression dans la performance de l'agriculture française à diminuer ces résidus de pesticides. Dans 65 % des cas, il ne subsiste aucun résidu de produit phytosanitaire. Dans les autres cas, la quantité de résidus mesurée est dans la norme retenue par les spécialistes de l'ANSES. Cela relève plutôt de l'exploit, d'être parvenu à un tel résultat.
Mme Nicole Bonnefoy . - Que pensez-vous de l'épandage aérien ?
M. Jérémy Macklin . - L'épandage aérien est aujourd'hui interdit sauf dérogation annuelle particulière. Je pense qu' il est relativement limité, sans doute aux cultures de maïs doux et aux bananeraies, où il est indispensable d'un point de vue économique . La véritable question consiste à savoir comment protéger l'environnement humain et naturel de ces cultures. Il existe, me semble-t-il, tout un système de mesures de protection préalables visant à avertir les riverains, la mairie et le public.
Mme Nicole Bonnefoy . - A quelle occasion Coop de France rencontre-t-elle l'UIPP ?
M. Jérémy Macklin . - Nous rencontrons des membres de l'UIPP dans les commissions Ecophyto 2018, ou de façon individuelle. En revanche, je n'ai participé à aucune réunion UIPP depuis plus de cinq ans. Coop de France n'a pas de relation particulière avec l'association UIPP.
Mme Nicole Bonnefoy . - Avec l'association en tant que telle, peut-être, mais avec ses membres ?
M. Jérémy Macklin . - Bien sûr, nous avons des relations quotidiennes avec les firmes, puisqu'elles sont nos fournisseurs .
Mme Nicole Bonnefoy . - Quelle forme la négociation avec les firmes prend-elle ?
M. Jérémy Macklin . - Cela dépend des sujets. Souvent, nous souhaitons tester les nouveaux produits mis sur le marché. Nous nous mettons d'accord avec le fournisseur sur les modalités de test de la molécule.
Mme Nicole Bonnefoy . - Comment testez-vous les produits ?
M. Jérémy Macklin . - Nous définissons un protocole d'essais que nous réalisons, puis nous rassemblons les résultats obtenus pour bâtir une vision commune du produit.
M. Joël Labbé . - Vous êtes partie prenante du plan Ecophyto 2018 . Etes-vous optimiste ? Les résultats des premières années ne sont pas à la hauteur des engagements de départ. Il s'agissait de réduire, si possible, de 50 % l'utilisation des produits phytosanitaires avant 2018. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Comment imaginez-vous l'accélération du processus ?
M. Jérémy Macklin . - L'objectif de diminuer l'usage des produits phytosanitaires de 50 % était très ambitieux. Il était sans doute plus politique que professionnel. Pour ma part, j'envisage une baisse d'environ 20 %, laquelle sera réalisée par la diffusion des meilleures pratiques. Pour le reste, il faudra identifier les moyens plus généraux qui permettront de réduire l'usage des produits phytosanitaires. La question du végétal, c'est-à-dire par exemple la capacité des variétés différentes de céréales de résister aux maladies, pourra y contribuer. En revanche, je suis beaucoup plus optimiste sur la possibilité de réduire les impacts environnementaux des produits phytosanitaires. Nous pouvons dans ce domaine nous engager à baisser de plus de 50 % les impacts sur le milieu.
M. Joël Labbé . - Pour terminer, souhaitez-vous nous nous transmettre un message particulier ?
Mme Irène de Bretteville . - Nous vous communiquerons les documents dont nous avons parlé. Il faut savoir que la protection des agriculteurs et de l'environnement est un souci constant pour nous. Elle passe par une meilleure utilisation des produits.
Mme Nicole Bonnefoy . - Certes, une meilleure utilisation est souhaitable, mais la protection des agriculteurs et de l'environnement ne passe-t-elle pas par le recours à des méthodes alternatives ?
M. Jérémy Macklin . - A nos yeux, les solutions alternatives consistent en l'utilisation de produits non chimiques, comme des insectes , par exemple. Nous vous accueillerions volontiers pour une visite d'usine, où nous produisons des insectes qui en mangent d'autres.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les agriculteurs se montrent-ils intéressés par ce type de méthodes alternatives ?
M. Jérémy Macklin . -Oui, et ils nous accueillent avec plaisir. Dans la mesure où les cultures sous serres se développent, ces méthodes peuvent se montrer très efficaces. Nous n'avons pas non plus abordé la question des abeilles , pourtant très importante. Des conseils très efficaces peuvent être donnés aux agriculteurs pour qu'ils contribuent à limiter le déclin rapide de ces populations.
M. Joël Labbé . - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous remercions également les journalistes qui se sont intéressés à cette question.
Audition de Mme Annie Thébaud-Mony, directeur de recherche honoraire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), présidente de l'association Henri Pézerat, santé, travail, environnement1 ( * ) (17 avril 2012)
Mme Sophie Primas, présidente . - Merci, Madame, d'avoir répondu à l'invitation de cette mission d'information, que nous devons à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur. Nous nous intéressons pour l'heure aux effets sur la santé des pesticides, du fabricant à l'utilisateur, avant de passer à leur rémanence dans l'environnement.
Mme Annie Thébaud-Mony . - J'ai dirigé pendant dix ans le Groupement d'Intérêt Scientifique sur les Cancers d'Origine Professionnelle (GISCOP93). Depuis les années 1980, je m'intéresse aux questions de santé au travail, notamment en milieu industriel, et ai aussi dirigé une thèse sur les travailleurs agricoles saisonniers dans le sud de la France et en Espagne, qui sont exposés aux pesticides.
Tout ce qui concerne le cancer est malheureusement sous-estimé, et surtout mal abordé.
Je vous ai apporté un ouvrage auquel j'ai collaboré, abordant des questions comme celle de la « fabrique du doute » , pour reprendre le titre de l'une de ses parties, qui reprend des études de cas - l'enquête en Seine-Saint-Denis mais aussi un autre exemple qui montre comment on en arrive à ne pas produire de connaissance face à un petit groupe de cas.
Enfin, j'aborderai la réglementation européenne et la justice.
L'impact du travail sur les cancers, d'abord. Il y a un siècle, la loi sur les accidents du travail faisait basculer la santé au travail dans le champ de l'assurantiel, d'après une méthode essentiellement statistique non déterminante en matière de preuve, ce qui oblige à attendre des études épidémiologiques pour établir les liens exclusifs entre les maladies à effet différé et les facteurs professionnels.
Le cancer, c'est une histoire, pas « une cause, un effet » , même pas un risque attribuable. C'est une histoire dans laquelle toute rencontre avec un cancérogène peut jouer un rôle. Dans cette maladie polyfactorielle, les cancérogènes agissent en interférences et synergie tout au long de la vie. On sait depuis les années 1960 que la synergie tabac-amiante accroît le risque de manière exponentielle.
On fait comme si c'était l'épidémiologie qui apportait la preuve, alors que celle-ci ne peut résulter que de la biologie, de la toxicologie, voire de la génétique. En effet, dès lors qu'un polluant est identifié comme cancérogène à la suite d'expérimentations sur l'animal, on peut considérer qu'il est toxique pour l'homme. Malheureusement, on fait comme si ces données n'avaient rien à voir les unes avec les autres...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Pourquoi ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - On en vient au rôle des industriels dans la recherche comme pour l' amiante et les rayonnements ionisants J'ai travaillé sur le dossier d'un agriculteur reconnu comme accidenté du travail, M. Paul François, qui a intenté une procédure contre Monsanto . Il avait été exposé à un produit contenant deux molécules connues chacune pour leur toxicité (respectivement neurotoxicité et cancérogénicité) depuis les années 1980 : l' alachlore et le monochlorobenzène . Monsanto a recouru à des pratiques dilatoires en France tout comme en Belgique où le conseil supérieur de toxicologie belge avait mis le produit sous surveillance et où, pendant deux ans, Monsanto a refusé de répondre aux questions. On est dans le même cas de figure que l' amiante , qui a fait l'objet d'une désinformation active pendant cinquante ans jusqu'à la condamnation intervenue à Turin en 2012.
Un directeur du Centre international de recherche sur le cancer (C.I.R.C.) a vu émerger une influence directe des industriels dans les groupes de travail sur les cancérogènes : via leur rôle de financeurs et en tant qu'acteurs directs, en faisant obstacle au classement de cancérogènes. On l'a vu en matière de téléphonie mobile et d'ondes électromagnétiques. Dans son ouvrage, publié en 2008, Le doute est leur produit , M. David Michaels montre de quelle manière les industriels cherchent à fabriquer le doute.
Dans l'Union européenne, malgré les pressions de l'industrie chimique, le règlement REACH a introduit un principe en rupture complète avec la tradition, en obligeant les industriels à faire la preuve de la non-toxicité de leurs produits . Certes, le dispositif actuel n'est pas totalement satisfaisant, trop limité - il ne concerne que les mises en production de quantités de plus d'une tonne et pas les intermédiaires de synthèse - mais il faudra se référer à ce principe dans toute future réglementation ou législation. La preuve n'est plus à la charge de la victime. Pour la mise sur le marché, pour la mise en production, le principe est désormais clair. Si l'on sait s'appuyer dessus, en France et ailleurs, cette réglementation devrait éviter les catastrophes sanitaires que l'on a connues. Les chercheurs sont très motivés pour approfondir REACH .
La réponse judiciaire reste, en France, centrée sur l'indemnisation. Au pénal, les plaintes stagnent, du fait de la dépendance du parquet et aussi parce que nous n'avons pas pour tradition de traduire des employeurs devant des juridictions pénales. Il y a tout de même eu des avancées, en matière d'amiante, pour ce qui concerne les cessations anticipées d'activité. Comme l'a montré l'enquête effectuée en Seine-Saint-Denis, les personnes exposées à un cancérogène dépassent rarement l'âge de 65 ans : elles ne bénéficient pas vraiment de leur retraite. La jurisprudence en matière de préjudice économique a mis du temps à se stabiliser, les magistrats estimant que c'était à la loi de trancher. Depuis quatre ans, une jurisprudence s'est développée en prenant appui sur le cas Alsthom de Lille - issu du procès-verbal dressé par un inspecteur du travail pour une utilisation d'amiante sans protection - et où le jugement reconnaissait un préjudice de contamination , sur le modèle du sang contaminé, assorti d'indemnités pour dommages et intérêts versées aux salariés exposés, à hauteur de 10 000 € ; en effet, un tiers du salaire est perdu en cas de cessation d'activité et cette perte constitue un préjudice. Au civil, les plaignants ont plaidé un préjudice d'anxiété et un bouleversement des conditions d'existence. Récemment, la Cour de cassation a consacré cette jurisprudence : l'exposition à des cancérogènes constitue bien un préjudice .
Les Italiens ont pris le problème autrement. Après quinze ans de poursuites liées aux cancers professionnels, le procureur de Turin a utilisé la notion de « désastre » telle qu'on la trouve dans le code pénal italien, l'a reliée à l'action ou à l'absence d'action, au plus haut niveau d'une multinationale, en l'occurrence Eternit Italie : deux responsables ont ainsi été condamnés à seize ans de prison et au versement d'une indemnisation. Se sont constituées parties civiles les victimes, leur famille, les collectivités territoriales et l'assurance maladie. La plainte collective en cours reposait sur la notion de « désastre délibéré » : en effet, déjà à l'époque de la conférence de Londres de 1976 destinée à empêcher toute réglementation européenne contre l'amiante, la dangerosité de celui-ci était bien connue et ne pouvait donner lieu à un usage contrôlé.
Les pesticides sont un problème de santé publique. Malheureusement, en France, à l'ANSES, à l'AFSSAPS, on raisonne encore en termes de négociation paritaire : les industriels pèsent sur l'adoption des réglementations, de compromis, et financent - donc contrôlent - une grande partie de la recherche. Les valeurs limites fixées pour les produits résultent de compromis . Je suis l'un des rares chercheurs de l'INSERM à n'avoir jamais touché un sou de l'industrie.
Mme Sophie Primas, présidente . - Une telle « fabrique du doute » s'est-elle mise en marche pour les pesticides agricoles ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - Par exemple, avec des études épidémiologiques comme l'étude Agrican . L'épidémiologie ne tient pas compte des connaissances produites par les autres disciplines. On se prive ainsi de la possibilité de connaître précisément les facteurs de risque. Quand on globalise, on ne voit plus rien : si l'on se penche uniquement sur les actifs, on ne prend pas en compte ceux qui sont déjà partis ce qui atténuera les résultats au niveau des seuls actifs. Les chiffres auxquels on aboutit sont rassurants et trompeurs puisque ceux qui ont été atteints ne sont pas pris en compte. Il aurait fallu étudier sur une longue durée les populations d'actifs d'il y a trente ans, les saisonniers agricoles, les migrants. Il en va de même pour les rayonnements ionisants car les enquêtes négligent les ouvriers qui assurent la maintenance dans les centrales nucléaires, alors qu'ils constituent 80 % de la population exposée. Là encore, quand on se penche sur cette population, l'étude exclut ceux qui sont déjà partis
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Pourquoi n'en tient-on pas compte ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - Du fait de rivalités scientifiques, de rapports de force, sur lesquels les industriels se sont appuyés pour imposer l'épidémiologie alors que des preuves de la toxicité d'un produit peut résulter de l'expérimentation animale ou cellulaire. Dans les années 1980, on a imposé que l'on ne puisse inscrire un produit en catégorie 1 sans données épidémiologiques. Or, concernant les travailleurs agricoles, il n'y a pas une seule étude épidémiologique, pas davantage dans le secteur du nettoyage. Cependant, rien qu'en regardant les étiquettes, une thèse de médecine a identifié quatorze cancérogènes dans le chariot d'une nettoyeuse - et les salariés ne bénéficient d'aucune information. Aucune étude d'exposition n'est menée.
Mme Sophie Primas, présidente . - Quelles sont vos recommandations ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - Dès lors qu'un polluant a été reconnu comme mutagène et cancérogène à la suite de tests, on doit pouvoir classer le produit comme cancérogène sans attendre l'expérimentation humaine à travers des études épidémiologiques qui prennent forcément une trentaine d'années.
Mme Sophie Primas, présidente . - Cela va-t-il dans le sens de REACH ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - On n'aurait jamais dû laisser les industriels mettre sur le marché des polluants sur lesquels on ne savait rien et qui se sont révélés toxiques.
Mme Sophie Primas, présidente . - C'est vrai aussi pour les produits domestiques.
Mme Annie Thébaud-Mony . - Pour tous les produits ! En 1980, un producteur de nourriture animale a adopté un nouveau procédé de fabrication de vitamine A, avec une molécule dont on ignorait tout quant à sa toxicité. Or, des tests de mutagénicité étaient très alarmants. Dix ans après, les premiers cancers du rein apparaissaient. Puis ce furent vingt ans de lutte avec Henri Pézerat à partir d'expériences sur les souris qui auraient pu être faites dès le départ. Les études épidémiologiques ont duré des années, pendant lesquelles l'entreprise a résisté, malgré les conclusions de l'Institut Pasteur... C'est emblématique de cette fabrique du doute.
M. Joël Labbé . - On attend qu'il y ait des morts...Avons-nous les outils juridiques en France pour appliquer la réglementation REACH ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - Nous avons appliqué REACH de manière formelle, sans être actifs. Le législateur pourrait imposer des obligations... Le principe de substitution , résultant du décret de 2001 sur les cancérogènes, les mutagènes et les reprotoxiques, est peu appliqué en pratique . La France pourrait prendre l'initiative, dans la loi, d'aller plus loin : toute production quelle qu'elle soit devrait faire la preuve de sa non-toxicité.
M. Joël Labbé . - Il y a une question de responsabilité de la puissance publique, dès lors que l'ANSES donne l'autorisation de mise sur le marché.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Pouvez-vous nous en dire plus sur l'ANSES et sur l'enquête Agrican ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - L'ANSES travaille beaucoup à partir d' expertises collectives, non sans conflits d'intérêts. Le travail de bibliographie est partiel, pour ne pas dire partial, et conduit à mettre en doute la toxicité.
Mme Sophie Primas, présidente . - Vous formulez une accusation très grave !
Mme Annie Thébaud-Mony . - Je vous renvoie à mon livre, sur la toxicité des fibres courtes d' amiante . Une vraie-fausse controverse a eu lieu aux États-Unis d'Amérique sur l'utilisation de ces fibres dans les plaquettes de frein, les producteurs affirmant que leur caractère « inerte » les rendait inoffensives pour les mécaniciens. En dépit des travaux sur la cancérogenèse de ces fibres menées par Henri Pézerat et poursuivis par la toxicologie italienne, l'expertise collective de l'ANSES a diffusé un message en sens contraire. Or, nous avions toutes les données pour ne pas arriver aux conclusions de l'ANSES.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Est-ce l'influence des industriels ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - Directe ou indirecte... On s'interroge sur la toxicité des fibres courtes d' amiante alors que la réponse était bien connue de ceux qui voulaient vraiment savoir.
Quant à Agrican , tout est dans la manière de présenter les résultats. Si l'on ne regarde que la mortalité, il va de soi que les actifs sont en meilleure santé que le reste de la population ! On a toutefois relevé l'incidence de cancers, notamment de la prostate... Nous avons mené une étude pluridisciplinaire en Seine-Saint-Denis, incluant la sociologie du travail, qui met en évidence une poly-exposition cancérogène selon les types de métier. Nous avons sollicité le ministère du travail pour qu'existe un tableau des poly-expositions selon les métiers. Point n'était besoin d'aller chercher très loin, il suffisait de s'appuyer sur les travaux toxicologiques, l'expérimentation animale. L'ergotoxicologie , nouvelle discipline, vise à identifier l'exposition des salariés en fonction du type de travail. Sur 1 200 patients atteints de cancer, 84 % avaient été lourdement exposés, en milieu du travail, aux cancérogènes pendant plus de vingt ans, dont les cinquante cancérogènes parmi les plus incontestables.
Mme Sophie Primas, présidente . - Merci pour cette intervention très intéressante. Peut-être faudrait-il confronter les points de vue des chercheurs dans le cadre d'une table ronde. ? M. Pierre Lebailly n'a pas le même point de vue que vous...
Mme Annie Thébaud-Mony . - En effet ! Il y a un cloisonnement entre les disciplines, il faudrait développer l'ergo toxicologie pour identifier les types d'exposition des salariés. Cela permettrait, par exemple, d' étudier l'ensemble constitué par les combinaisons professionnelles de protection, la transpiration et la modification de la capacité respiratoire . Mais comme l'épidémiologie est dominante, j'ai été contrainte de prendre en compte la variable tabac dans mes études alors que le problème que j'étudiais était les cancers professionnels. Nous ne recherchons pas des causalités puisque nous travaillons sur des cancérogènes déjà identifiés comme tels.
Mme Sophie Primas, présidente . - Ce cloisonnement de la recherche n'est-il pas fort regrettable ?
Mme Annie Thébaud-Mony . - L'épidémiologiste qui m'a succédé n'a pas la même vision que M. Pierre Lebailly.
Mme Laurence Cohen . - Une initiative de la mission d'information du Sénat pourrait favoriser la communication entre chercheurs.
Mme Annie Thébaud-Mony . - Je suis favorable à des échanges, pour sortir de ce cloisonnement.
Audition de M. André Picot, toxicochimiste, directeur de recherche honoraire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), expert français honoraires auprès de l'Union européenne pour les produits chimiques en milieu de travail (commission SCOEL à Luxembourg) (17 avril 2012)
M. André Picot . - Je suis chimiste organicien, j'ai travaillé dans l'industrie, où j'ai participé, pour le groupe Roussel-Uclaf , à ce qui devait être la pilule contraceptive française - mort-née puisqu'elle s'est révélée toxique pour le foie. Je suis ensuite entré au CNRS, où j'ai fait de la chimie structurale, avant de m'orienter vers la biochimie, et la prévention des risques chimiques. Grâce à ma fonction de conseiller auprès du ministère de la recherche, j'ai pu faire créer au CNRS une unité sur la prévention des risques chimiques. Je me suis notamment intéressé aux insecticides depuis le jour où ma pharmacienne s'était étonnée que les lotions anti-poux destinées aux bébés contiennent du lindane et du DDT - alors que le lindane est strictement interdit pour les veaux ! J'ai ensuite été sollicité pour le suivi d'usines françaises de fabrication de lindane livrées clés en main en Union soviétique, où des ouvriers manipulaient, à mains nues et sans masque, du lindane .
J'ai souvent été interpellé. L'INRA s'inquiétait, par exemple, de mes recherches : la prévention n'était pas alors le premier de ses soucis.
Pour faire évoluer le système, j'étais convaincu qu'il fallait faire de la formation et de l'information, ce que j'ai pu faire via l'unité que nous avions créée. J'ai formé dans l'industrie et dans les organismes de recherche. Au CNRS, j'ai pris conscience qu'il fallait faire collaborer chimistes et biologistes . Avec Pierre Pottier, nous avons lancé une école de formation pour sensibiliser les chimistes à la biologie et vice-versa. C'est ainsi que nous avons, par exemple, mené une année de formation à l'INRA sur les dangers des pesticides.
Puis on m'a commandé des expertises. Souvent à l'initiative de particuliers engagés dans des procès ou à l'instigation de magistrats souhaitant une contre-expertise. C'est ainsi que M. Paul François m'a sollicité. Le cas est marquant : la synergie entre le solvant, le chlorobenzène , l'herbicide, l' alachlore , et des traitements médicaux a suscité des troubles neurologiques graves. Il y a eu vraisemblablement interférence, y compris avec des neuroleptiques. Le chlorobenzène est resté stocké dans les graisses. Après plusieurs mois, cet homme relâchait dans ses urines des métabolites restés, chose inédite, de première étape. Les experts de Monsanto ont refusé de traiter le dossier scientifique, d'expérimenter en reproduisant le mélange pour lequel des essais n'avaient pas eu lieu. C'est étrange, sachant combien friands ils sont d'expérimentation ! La vérité - voir à ce propos, le colloque tenu le 23 mars 2012 au Palais de Luxembourg - est que les scientifiques, dans le procès, n'ont pas été mentionnés. On ne s'intéresse pas aux problèmes scientifiques. Nous sommes, désormais, de simples lanceurs d'alerte anonymes.
Autre lieu, autre procès, en Alsace, à Colmar. Un cas extraordinaire. Une veuve a repris la tradition familiale d'élevage de moutons. Dans sa ferme, au-dessus de la plaine d'Alsace, des sources alimentaient le cheptel et l'habitation. Une mortalité inquiétante des moutons a fini par alerter un vétérinaire de Lyon : la couleur vert foncé des foies autopsiés signalait du cuivre . Des géologues de la réputée école nationale de Nancy (ENSG) ont établi qu'il n'y a pas de cuivre en Alsace ! On s'est alors aperçu que des bouteilles contenant un mélange de pesticides connu sous le nom de bouillie bordelaise avaient été volontairement enterrées près des points d'eau. Outre la mort de six cents moutons, la mère de l'éleveuse est décédée d'une cirrhose, alors qu'elle n'avait jamais bu une goutte d'alcool de sa vie. Il faut savoir que le cuivre en excès est stocké dans le foie mais qu'on n'en décèle pas l'excès dans le sang. L'éleveuse est alors allée voir des toxicologues allemands, qui ont fait les bonnes analyses. C'est ainsi qu'a été découverte l'intoxication au cuivre . L'affaire est ensuite allée au pénal, un empoisonnement étant suspecté.
Le juge, opiniâtre, a suggéré à la plaignante de trouver un expert. Le cuivre est une substance dont la nocivité est connue depuis la nuit des temps. Les viticulteurs qui voulaient se débarrasser de leur voisin se passaient, paraît-il, le mot. Stocké dans le foie et les cartilages, le cuivre est difficilement décelable, et, en tout cas, pas au moyen d'une simple analyse de sang.
En collaboration avec le Pr Jean-François Narbonne, qui a travaillé aussi sur le cas de M. Paul François, un rapport sera bientôt terminé sur ce dossier qui n'est pas facile : il est épineux de déterminer l'empoisonnement. Tels sont les dossiers que je traite.
Mme Sophie Primas, présidente . - Mme Thébaud-Mony, que la mission vient d'entendre, a beaucoup insisté sur les incompréhensions entre les diverses disciplines concernées. Il semble qu'une part du problème vienne du fait que l'on peine à appréhender à temps la toxicité des molécules. Quelles seraient vos recommandations ?
M. André Picot . - On est en France où l'interdisciplinarité est loin du modèle anglo-saxon, même si elle a progressé au CNRS. Chimie, physique et biologie sont souvent combinées avec profit. C'est important, tant la physique joue un rôle important dans les processus chimiques. Voyez le travail sur le solaire à Saclay.
La vocation de l'industrie chimique est de produire. Quand je travaillais chez Roussel-Uclaf , j'ai constaté, alors même que notre direction était très sensibilisée à toutes les questions de sécurité, que la question des rejets de médicaments dans l'eau n'était pas posée.
Quant aux toxicologues , le problème français est surtout le désamour à leur encontre. Pour les industriels, ils sont un peu comme une épine dans le pied : nous n'étions que quatre chez Roussel , pour trois cents chercheurs ! Alors qu'il est toujours important de rechercher des effets secondaires comme ceux dont a été victime un de mes collègues travaillant sur la folliculine - on dit aujourd'hui « oestradiol » - ce qui suppose des pesées très précises de produits qu'il manipulait avec les doigts. Peu à peu, la voix de ce collègue a mué, sa poitrine s'est arrondie. Le médecin du travail a décelé qu'il s'était intoxiqué à la folliculine du fait de son habitude de se ronger les ongles. C'était il y a quarante ans : un médecin du travail précurseur de la découverte des perturbateurs endocriniens, en somme !
La toxicologie n'a jamais eu bonne presse. Peu de chimistes s'intéressent la toxicologie. A la commission sur la dioxine de l'Académie des sciences, où j'ai travaillé avec le Pr Truhaud, nous n'étions que deux à la juger dangereuse. Nous avons également été accusés par nos collègues d'être les « fossoyeurs de la chimie » pour avoir dénoncé la dangerosité du benzène . Dès que l'on s'intéressait à la toxicologie, on était banni comme le vilain petit canard. A la différence de l'épidémiologie, la toxicologie est très mal vue en France
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Avant l'autorisation de mise sur le marché, l'ANSES évalue les produits. Que pensez-vous du fonctionnement et des tests de cette agence ? Comportent-ils des études de toxicologie ?
M. André Picot . - Avec le Pr Jean-François Narbonne, j'ai travaillé à la commission des contaminants pour l'AFSSAPS le, puis je suis passé à l'AFSSET. Je connais donc bien l'ANSES. On y fait un travail excellent. La direction est très responsable - je n'en dirai pas autant de la direction de l'ex-AFSSAPS, qui jugeait le mercure pas dangereux. Ceux qui travaillent à l'ANSES sont très compétents, même s'ils sont soumis à des obligations administratives qui ne les laissent pas faire ce qu'ils veulent.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - C'est-à-dire ?
M. André Picot . - Autrefois, les rapports de l'AFSSA allaient directement au ministère. C'est ainsi que l'on a fait baisser le taux de dioxine . Aujourd'hui, si un directeur de recherche travaille sur un sujet que le directeur de l'institution n'estime pas adapté, celui-ci lui demande de se réorienter...
Mme Sophie Primas, présidente . - Mais quand on les laisse s'emparer d'un sujet, le traitent-ils bien ?
M. André Picot . - Très bien.
M. Joël Labbé . - Les produits mis sur le marché sont-ils bien évalués ? Le Cruiser est interdit depuis plusieurs années dans d'autres pays. Comment expliquer ce retard de la France ?
M. André Picot . - Ce n'est pas si simple. Au sein de l'Union européenne, la France ne fait pas tout ce qu'elle veut : il y a l'AESA ( EFSA ).
J'ai fait partie, plusieurs années, de la commission d'étude de la toxicité des produits et de la pharmacovigilance et j'ai pu constater le poids énorme du ministère de l'agriculture sur les pesticides . C'est un vrai problème. J'y étais le seul non-médecin... Il faudrait, sur le modèle de la Food and Drug Administration (FDA) américaine, que les pesticides soient du ressort d'une commission indépendante. Quand on travaille dans l'administration, on n'est pas totalement libre.
Mme Sophie Primas, présidente . - Pouvez-vous préciser ?
M. André Picot . - Il y a une marge d'appréciation subjective dans les conclusions : elles peuvent tirer vers l'optimisme, ou vers le pessimisme, vers le principe de précaution ou non. Et là, c'est chacun pour soi.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Ce n'est pas très scientifique...
M. André Picot . - Compte tenu aussi de l'état des connaissances scientifiques. Voyez les perturbateurs endocriniens, les nanotechnologies : pendant longtemps on a cru à un effet dose remis en cause par les perturbateurs endocriniens, quant aux nanos, elles passent entre les cellules ! Ce sont des découvertes récentes . L'approche moléculaire, qui prévalait chez les toxicologues, ne vaut plus. Il y a plus que des évolutions, une révolution en toxicologie ! Il faut réinventer les méthodes d'analyse et de contrôle.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Les moyens manquent-ils pour cela ?
M. André Picot . - A l'Agence nationale de la recherche (ANR) , il n'y avait qu'un seul contrat portant sur les perturbateurs endocriniens et il a été supprimé.
Mme Laurence Cohen . - Ce que vous dites des conclusions, optimistes ou pessimistes, renvoie, pour moi, à la responsabilité individuelle. Vous semble-t-il qu'une confrontation entre experts, sous forme de table ronde, pourrait faire avancer le débat ?
M. André Picot . - Un expert raisonne, en dernière instance, comme un juge : en son âme et conscience.
Le DDT est un bon exemple de la difficulté d'apprécier la dangerosité d'un produit. Il a sauvé des millions de personnes, dans les régions où sévissait le paludisme. On s'aperçoit que c'est un perturbateur endocrinien, qui est une des multiples causes possibles de cancers du sein ou de la prostate. Que choisir ? On ne peut négliger que c'est un produit bon marché et d'une puissante efficacité à grande échelle. Et l'on n'a pas encore trouvé de produit de substitution... Il faudrait accorder des crédits à la toxicologie fondamentale.
Inversement, il y a des cas très clairs de molécules autorisées par l'Union européenne alors que l'on sait pertinemment qu'elles provoquent des perturbations majeures . On l'a vu avec le bisphénol A .
Récemment, la télévision australienne a voulu m'entretenir à propos des prothèses mammaires. Il y a là-bas neuf mille femmes qui ont des prothèses PIP, dont trois cents fuient. Je m'y suis donc intéressé. Cela a permis au gouvernement australien de revenir sur sa décision initiale de ne pas informer les femmes concernées par les prothèses PIP. A ce sujet, le rapport de l'AFSSAPS est étonnant : « On ne sait rien de la composition des silicones ». Mais si, on sait qu'ils ont mis des solvants dedans ! Il est vrai que l'on manque désormais d'experts en France. En réalité, pour ce sujet, il n'y a qu'un laboratoire, à Montpellier mais il ne fait que des analyses physiques, pas chimiques.
Mme Sophie Primas, présidente . - D'où l'intérêt de travailler dans un cadre plus large ?
M. André Picot . - Dans notre association, avec le Pr Truhaud, nous ne pouvons former que des médecins, des hygiénistes. C'est aux facultés de médecine et de biologie de former des toxicologues. Or, on a cessé de former des toxicologues ...
Mme Laurence Cohen . - En quelle année ?
M. André Picot . - Cela a été progressif ! Mais le Pr Truhaud me disait ceci : « Je vais mourir, et je n'aurai pas de descendants ».
Audition de M. Alain Chollot, chef du laboratoire de l'évaluation du risque chimique à l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) (17 avril 2012)
M. Alain Chollot . - L'INRS est un organisme de statut paritaire pour la prévention des risques professionnels. Ce qui concerne l'agriculture relève plutôt de la Mutualité sociale agricole (MSA) mais l'INRS peut apporter certains éclairages.
Mme Sophie Primas, présidente . - Nous n'intervenons pas uniquement dans le domaine de l'agriculture. D'autres professions sont concernées, comme les transporteurs.
M. Alain Chollot . - L'INRS s'intéresse aux salariés du régime général mais il peut y avoir des salariés de l'industrie chargés de la préparation des pesticides, ou des salariés du milieu agricole affiliés au régime général...
Les modes de contamination sont essentiellement la voie cutanée, les muqueuses, orales et respiratoires. Toutes les phases de travail sont concernées, de la préparation sur le terrain au transport, en passant par l'application du produit, le stockage, le nettoyage des équipements, potentiellement.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Y a-t-il des cas avérés de contamination ? Quel est leur nombre ? Ces cas sont-ils reconnus comme des accidents du travail ?
M. Alain Chollot . - Je vous ferai parvenir les documents chiffrés. J'ai dit « potentiellement », car il n'y a pas beaucoup de cas qui viennent à notre connaissance.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - A quoi attribuer cette rareté ?
M. Alain Chollot . - Au fait qu'il n'y a guère de déclarations.
Les techniques de mesure que nous utilisons sont la métrologie atmosphérique, qui mesure la présence d'éléments dans l'atmosphère, et la biométrologie, via l'analyse des urines, à condition de connaître les pesticides ingérés. Encore faut-il avoir connaissance de l'ensemble des produits phytosanitaires concernés. Or, on n'a d'éléments que sur une dizaine de produits - sur les 900 utilisés. Et je ne parle pas des combinaisons possibles de produits.
Parmi les pathologies identifiées, les affections respiratoires sont peu étudiées, et leur fréquence est inconnue . Certains fongicides, herbicides et insecticides peuvent être responsables. Autre pathologie, les dermatoses, qui peuvent être d'irritation ou allergiques peuvent aller jusqu'à la brûlure. Certaines sont reconnues dans les tableaux au titre de maladies professionnelles.
Mme Sophie Primas, présidente . - Sur quels tableaux de maladies professionnelles vous fondez-vous ?
M. Alain Chollot . - Sur les tableaux n° 34 et n° 66.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Serait-il logique, selon vous, de mettre en cohérence les tableaux du régime général avec ceux du régime agricole ?
M. Alain Chollot . - Ce serait souhaitable, mais complexe à mettre en oeuvre.
Comment prévenir le risque de contamination chimique ? Par la substitution, lorsque cela est possible, bien sûr, mais aussi par la protection à la source, laquelle peut être collective ou individuelle. Pour la première, c'est l'équipement des cabines d'engin , sur quoi nous avons travaillé, et où la protection filtrante laisse parfois à désirer : les constructeurs maîtrisent mal le packing . Les produits, par des chemins préférentiels, peuvent traverser le système de filtration. Et si les dispositifs de climatisation sont insuffisants, le conducteur a tendance à ouvrir sa fenêtre. Souvent, le dispositif de protection n'est qu'une simple adjonction sur une cabine traditionnelle. Et il peut y avoir des passages préférentiels, des phénomènes chimiques où le solvant pousse le phytosanitaire sous le filtre. Autant de freins à la protection.
Même problématique pour les protections respiratoires individuelles à cartouche : il a été constaté que des cartouches étaient inadaptées au produit ou qu'elles entraînaient un débit respiratoire accru .
En 2007 et 2008, l'AFSSET a testé des combinaisons ; j'ai vite vu les limites des connaissances en la matière. Les méthodes de tests ne sont pas adaptées. Pour tester les perméations d'une membrane, on utilise des méthodes normalisées différentes : selon la mise en oeuvre, les résultats ne sont pas les mêmes.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Comment choisit-on la méthode ?
M. Alain Chollot . - Il y a une méthode internationale et une méthode européenne, qui ne sont pas identiques. A celui de la perméation s'ajoute le problème de la pénétration, plus grave encore, à travers une couture ou un zip... Idem pour les gants . Le temps de passage du produit au travers du gant est estimé de manière théorique ; il faudrait changer de gants régulièrement, ne pas réutiliser des gants à usage unique. Les mauvaises pratiques sont légion : protections non mises ou enlevées dans les règles de l'art ou encore emportées à la maison.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Les agriculteurs n'ont-ils pas tendance à porter peu les combinaisons ? Ni eux ni les agents des collectivités territoriales n'aiment travailler habillés en cosmonautes !
M. Alain Chollot . - Imaginez-les en plus avec une sorte de groin ! Ce serait anxiogène.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Mais dissuasif !
M. Alain Chollot . - Les tests ne sont pas nécessairement adaptés aux combinaisons testées.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Les industriels interviennent-ils dans la définition des instruments de protection les mieux adaptés à leurs produits ?
M. Alain Chollot . - En tout état de cause, il faudrait des combinaisons plus protectrices, quitte à être moins commodes.
M. Joël Labbé . - A cet égard, quel doit être le rôle des producteurs de produits ?
M. Alain Chollot . - Il serait de bon sens que les produits soient accompagnés d'explications et d'indications sur les précautions à prendre.
Mme Sophie Primas, présidente . - Des pictogrammes ne pourraient-ils indiquer la compatibilité des équipements avec les produits comme le font les fabricants de vêtements pour indiquer comment ceux-ci doivent être lavés ?
M. Alain Chollot . - En effet. A cela près que l'on n'a pas toujours les moyens d'évaluer les risques.
M. Joël Labbé . - Ne faudrait-il pas imposer aux producteurs de tester les équipements de protection existants pour indiquer ceux qui sont les mieux adaptés à leurs produits ?
M. Alain Chollot . - D'accord sur le principe.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Le mieux ne serait-il pas de ne pas mettre sur le marché des produits dangereux ?
M. Alain Chollot . - Je ne pense pas que les tests actuels soient adaptés aux produits phytosanitaires et aux équipements de protection.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Tous les équipements sont-ils testés ?
M. Alain Chollot . - C'est une obligation.
M. Joël Labbé . - C'est le producteur qui devrait avoir la responsabilité de faire réaliser ces tests !
Mme Sophie Primas, présidente . - Des éléments sur les maladies professionnelles déclarées seraient bienvenus, surtout si vous pouviez les croiser avec les professions concernées...
M. Alain Chollot . - C'est difficile ! Les salariés sont répartis en comités techniques nationaux ; les accidents du travail et les maladies professionnelles sont ensuite déclarés par CTN. Mais je ferai de mon mieux.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - D'où viennent les données ?
M. Alain Chollot . - De la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM).
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Et des registres des cancers ?
M. Alain Chollot . - Je l'ignore.
M. Gérard Le Cam . - Certaines professions sont plus exposées que d'autres. Il serait intéressant de savoir quelles sont les plus touchées, car le lien n'est pas toujours établi avec la profession... Cela permettrait une surveillance médicale adaptée.
M. Alain Chollot . - Nous possédons peu de données. Il est difficile pour le médecin du travail de savoir quels tests réaliser... Dans la grande industrie , la prise en compte de la santé et de l'hygiène est bien meilleure -grâce à la vigilance des partenaires sociaux, des comités d'hygiène et de sécurité, des comités techniques paritaires - que dans les petites entreprises . Dans le domaine des déchets, j'y avais observé une opération de collecte des phytosanitaires à détruire : les équipements de protection n'étaient pas utilisés ! Ce n'est pas encore entré dans les moeurs.
M. Joël Labbé . - La reconnaissance du lien entre pesticides et maladies professionnelles est difficile : la MSA semble traîner les pieds alors qu'elle pourrait se retourner contre les producteurs de pesticides. Est-ce la même chose au niveau du régime général ?
M. Alain Chollot . - Je ne saurais vous répondre...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Arrive-t-il à la CNAM de se retourner contre un industriel ou reste-t-elle vouée à la seule indemnisation ?
M. Alain Chollot . - Pas à ma connaissance. Le suivi consiste surtout en des actions de prévention.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Êtes-vous parfois saisi par des lanceurs d'alerte ?
M. Alain Chollot . - Pas à propos de phytosanitaires.
Mme Sophie Primas, présidente . - Comment cela se passe-t-il ?
M. Alain Chollot . - Cela passe par la direction générale. Je ne connais pas beaucoup d'exemples.
Mme Sophie Primas, présidente . - Je vous remercie de l'éclairage que vous avez bien voulu nous apporter.
Audition de M. Marcel Jeanson et de M. Jean-Philippe Jeanson, agriculteurs (17 avril 2012)
Mme Sophie Primas, présidente . - Bienvenue à MM. Jeanson, père et fils. Le sénateur Marcel Deneux nous a conseillé de vous entendre, car vous êtes des précurseurs en matière de réduction des intrants, sans être agriculteurs biologiques pour autant. Comment vous y êtes vous pris, et avec quels résultats, sanitaires et économiques ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Et quelles furent vos motivations ?
M. Marcel Jeanson, agriculteur, membre du bureau d'Agro-transfert, ressources et territoires (collège des personnalités qualifiées) . -Déjà, je suis en bonne santé, après quarante ans d'activité ! La pression médiatique, il y a vingt-cinq ans, a beaucoup pesé dans mon changement de pratiques : les agriculteurs étaient traités d'assassins, de pollueurs. Je l'ai très mal vécu. Je me suis dit qu'il fallait que je change ma démarche, et que je communique.
Nous sommes adhérents du réseau Phare et d'une démarche qualité .
Nous sommes sur les bonnes terres de la Somme, nous faisons des céréales, de la betterave sucrière, beaucoup de pommes de terre, petits pois, racines d'endives, haricots.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Sur quelle surface ?
M. Marcel Jeanson . - 393 hectares, sur trois fermes, avec des chantiers en commun avec d'autres exploitations.
Il y a trente ans, la perte de rentabilité des exploitations incitait également à faire des économies. Nous avons donc créé un club, avec d'autres agriculteurs, pour réduire l'utilisation des engrais et des pesticides. Ces démarches étaient intéressantes sur le plan économique. En 2010, dans un système d'agriculture intensive, par rapport à notre analyse de groupe portant sur 151 exploitations, nous arrivions à moins de 47 % d'utilisation de pesticides. En 2009, nous étions à moins 30 % seulement, mais des facteurs climatiques interféraient.
Par rapport à nos collègues, nous utilisons 16 % à 18 % de pesticides en moins pour la pomme de terre, mais jusqu'à 50 % de moins pour les céréales .
M. Jean-Philippe Jeanson . - Techniquement, il est plus difficile de réduire les produits phytosanitaires sur certaines cultures. Sur les 151 exploitations de l'analyse de groupe, nous sommes au 21 ème rang sur le plan économique. Preuve que notre démarche n'est pas ennemie de la performance .
Mme Sophie Primas, présidente . - Est-ce une question de rendement ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Non, de quantité d'intrants.
M. Marcel Jeanson . - Et nous ne prenons pas les risques que prennent les agriculteurs bios en matière de rendement. Je pense qu'il est plus efficace de réduire les intrants chez un maximum d'exploitants que de généraliser l'agriculture biologique .
M. Jean-Philippe Jeanson . - La facture des produits phytosanitaires était de 80 000 € par an ; nous l'avons réduite de 30 % . Cela fait une économie de 25 000 €.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Étiez-vous incités par les coopératives à entreprendre cette démarche ?
M. Marcel Jeanson . - Pas du tout !
M. Jean-Philippe Jeanson . - Pour parvenir à de tels taux de réduction, il faut combiner les techniques. Nous utilisons, tout d'abord, le bas volume : on traite à 50 litres d'eau à l'hectare, au lieu de 150 à 200 litres . Le produit étant ainsi plus concentré, il faut le pulvériser en conditions optimales : tôt le matin, pour profiter de l'absence de vent et de l'hygrométrie. Cela nous contraint à avoir deux pulvérisateurs pour traiter entre six heures et 10 heures du matin. On pourrait parler de suréquipement si nous n'étions pas plusieurs dans le GIE des Beaux Jours.
Mme Sophie Primas, présidente . - Tout ce qui va dans le sens de la réduction des pesticides nous intéresse. Comment préserver l'intérêt économique de l'exploitation ?
M. Marcel Jeanson . - Dans une logique de protection intégrée , les méthodes sont diverses : éviter de semer trop tôt, semer clair, de manière plus aérée. Les céréales, plus stables, versent moins, ce qui évite de gros dégâts aux céréales. En semant plus clair, on peut se passer de raccourcisseurs - des hormones toxiques - ou en utiliser beaucoup moins.
Mme Laurence Cohen . - Je ne comprends pas le principe du bas volume . Si c'est plus concentré, n'est-ce pas plus toxique ?
M. Marcel Jeanson . - Nous diminuons la dose.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Les gouttes sont beaucoup plus petites. On gagne en efficacité.
Mme Sophie Primas, présidente . - On peut donc réduire le volume et renforcer l'efficacité de la gouttelette ?
M. Marcel Jeanson . - Absolument. Nous utilisons des adjuvants qui ont des vertus solvantes sur la gouttelette, pour qu'elle s'étale sur la feuille.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Nous utilisons, par exemple, de la résine de pin.
M. Joël Labbé . - Y a-t-il des études sur l'innocuité de ces adjuvants, même naturels ?
M. Marcel Jeanson . - C'est nous, les praticiens, qui en mesurons l'efficacité, dès lors qu'ils sont homologués.
Mme Sophie Primas, présidente . - Vous ne pouvez en mesurer l'effet sur la santé !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Faites-vous confiance à l'homologation ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Je sais quels sont les produits toxiques. Nous utilisons combinaisons, masques et gants, des lunettes.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Pensez-vous alors être bien protégé ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - C'est mieux que rien.
M. Marcel Jeanson . - Vous nous provoquez ! Nous avons du matériel performant. Nous sommes protégés à 98 %.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Nos cabines de tracteurs sont équipées de filtres à charbon actif.
M. Joël Labbé . - Selon certains experts, les équipements offriraient une fausse sécurité...
M. Jean-Philippe Jeanson . - Nous sommes agriculteurs pas chimistes. Pour une matière active, il peut y avoir plusieurs produits différents.
Mme Sophie Primas, présidente . - Vous semblez très concernés, pour des raisons éthiques, par la réduction des intrants. A votre avis, le monde agricole peut-il vous suivre dans cette démarche ? Y a-t-il une prise de conscience ? Dans cette perspective, quel serait le rôle des pouvoirs publics, des interprofessions ?
M. Marcel Jeanson . - Je me suis souvent posé la question. Quant aux combinaisons et gants, ils devraient être utilisés systématiquement. J'ai mis la pression sur mes salariés pour qu'ils se protègent.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Comment entretenez-vous les combinaisons ? Sont-elles lavées ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Elles sont jetées après usage, à la déchetterie ou à la poubelle. Il faudrait une filière spécifique de recyclage des combinaisons.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Des habits imprégnés ne peuvent-ils pas se retrouver dans la machine à laver familiale ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Sans doute, mais ce serait une dose infinitésimale. Le produit est déjà dilué au centième sur la combinaison.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Ce n'est pas la dose qui fait le poison. Cela est une certitude.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Sans doute, mais il y a déjà d'autres problèmes de base auxquels il faut d'abord s'attaquer.
M. Marcel Jeanson . - A ma connaissance, les agriculteurs ne meurent pas plus de cancers que le reste de la population !
M. Jean-Philippe Jeanson . - Nous sommes sensibilisés, avec le Certifiphyto , à la dangerosité des produits.
Mme Sophie Primas, présidente . - Comment améliorer la connaissance des techniques permettant de diminuer les intrants ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Le Certiphyto explique déjà beaucoup de choses. Reste que les agriculteurs qui ont manipulé des produits phytosanitaires pendant des années sans protection ne sont pas prêts à changer leurs habitudes...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - La protection est parfois encombrante...
M. Jean-Philippe Jeanson . - Je mets la combinaison lors du remplissage de la cuve du pulvérisateur, puis je l'ôte dans le tracteur, où toutes les vitres sont fermées. Je suis équipé de manière à ne pas avoir besoin de descendre de la cabine pour faire les rinçages de cuve, ce qui est précieux.
M. Marcel Jeanson . - Nos cabines de tracteurs ne sont pas équipées de filtres à charbon actif, qui coûtent une fortune !
M. Jean-Philippe Jeanson . - C'est 750 € pour équiper un tracteur - dix fois plus qu'un jeu de filtres classiques.
Mme Sophie Primas, présidente . - Les filtres à charbon sont-ils obligatoires ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Non.
Mme Sophie Primas, présidente . - Ne devraient-ils pas l'être ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Il faudrait déjà que toutes les cabines soient étanches.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Respectez-vous une distance entre vous et vos voisins pour pulvériser ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Je traite le matin, quand il n'y a pas ou peu de vent. D'ailleurs, on n'a plus le droit de traiter avec un vent de 20 km/h.
Mme Sophie Primas, présidente . - Que pensez-vous de l'épandage par aéronefs ? Près d'un village ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - C'est scandaleux !
Mon plus grand rêve serait de faire du bio ...
Mme Sophie Primas, présidente . - Quels sont les freins ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Il y en a beaucoup ! Un agriculteur bio ne peut utiliser de désherbant : le désherbage est donc mécanique.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Cela créerait-il de l'emploi ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Pour nos betteraves, pour éviter qu'elles ne montent en graine, on a besoin de main-d'oeuvre. Et ce n'est pas facile d'en trouver.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Mais il existe aussi des outils mécaniques pour désherber.
M. Marcel Jeanson . - On en a : ils sont sous le hangar depuis dix ans.
M. Joël Labbé . - Les espaces entre les rangs de céréales sont pourtant suffisamment larges pour laisser passer la herse.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Sans doute, il y a des outils pour les céréales. Cela va pour le céréalier, mais pas pour la pomme de terre, le vivrier. La mécanique n'assure jamais 100 % du désherbage, plutôt 50 %.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Pour les légumes, utilisez-vous des produits phytosanitaires ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Moins qu'avant. Et l'on bannit les fongicides .
M. Marcel Jeanson . - Pour laisser se développer les pucerons, il faut aussi bannir les insecticides. Treize kilomètres de haies ont été plantés pour abriter les insectes auxiliaires.
M. Jean-Philippe Jeanson . - On essaie au maximum de laisser les auxiliaires prendre le dessus ; ce n'est qu'au-delà du seuil qu'on utilise les produits.
M. Marcel Jeanson . - La difficulté est aussi psychologique : quand on a l'habitude d'une technique sécurisante, on n'est pas toujours prêt à prendre des risques. Cependant, nous les prenons mais en usant de toute la panoplie de vigilance, de techniques pour diminuer le risque. Un logiciel permet d'anticiper le mildiou.
Mme Sophie Primas, présidente . - On a dû regarder bizarrement les précurseurs que vous êtes ?
M. Marcel Jeanson . - J'ai longtemps été moqué dans ma coopérative mais aujourd'hui, quand il vient un visiteur, c'est à moi qu'on l'adresse !
A la chambre d'agriculture , il a d'abord fallu que je tape sur la table avant que l'on veuille bien me laisser expliquer ce qu'est la protection intégrée. Dès que l'on peut expliquer, on calme les angoisses. Il faut dire que les techniciens de la coopérative gagnent leur vie sur la vente des produits dangereux.
Mme Sophie Primas, présidente . - Et maintenant, vous n'avez pas de problème pour les payer ?
M. Marcel Jeanson . - Ils sont plutôt mieux payés qu'avant !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Les agriculteurs malades, leur famille, quand ils sont décédés, s'inquiètent. Vous qui avez pris la mesure de la difficulté à sortir du système, vous pouvez le comprendre.
M. Marcel Jeanson . - Nos sociétés prennent de plus en plus de risques. On a voulu l'autonomie alimentaire, doper les exportations agricoles. Cela se nous a conduits à prendre des risques beaucoup trop élevés, au départ. Mais on a beaucoup progressé.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Les pratiques, aussi, ont beaucoup évolué. On pulvérisait, autrefois, à l'air libre : pas étonnant que vingt ans après, on soit tombé malade ! Ce n'est plus le cas.
Mme Sophie Primas, présidente . - Quel type d'action mène Agro-transfert ?
M. Marcel Jeanson . - C'est une interface entre la recherche (l'INRA) et la vulgarisation. Quand nous avons proposé des méthodes de désherbage pour les haricots avec le moins de produits possibles, la société Bonduelle, qui les met en conserve, y a trouvé son avantage.
Nous avons trois exploitations, dont la nôtre, sur lesquelles mesurer l'efficacité des aménagements paysagers type brise-vent.
Mme Bernadette Bourzai . - Le verdissement de la PAC vous fait-il peur ?
M. Marcel Jeanson . - Pas du tout. Nous sommes prêts.
Mme Sophie Primas, présidente . - Grâce à l'action collective ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - La norme internationale Iso 14001 peut faire avancer. Elle a été adaptée aux petites entreprises. En 2006, nous avons créé l'association Terre Avenir , qui, commencée à dix-huit, compte plus de trois cent cinquante entreprises agricoles aujourd'hui. Nous avons effectué un diagnostic global pour travailler sur nos points faibles à améliorer en boucle continue, avec des objectifs qui peuvent être à un ou trois ans. Beaucoup d'agriculteurs ont participé à nos formations, ont adopté le bas volume pour les pulvérisations et réduit aujourd'hui de 30 % leur utilisation de phytosanitaires. Nous avons des audits réguliers, internes et externes.
Mme Sophie Primas, présidente . - La démarche coûte-t-elle cher ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - 1 300 € par an. Mais c'est moins son coût que la démarche elle-même qui ralentit les agriculteurs.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - J'ai le sentiment que quand une démarche est collective, on apprend beaucoup. Les générations se rencontrent, la valeur ajoutée est meilleure.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Incontestablement.
M. Marcel Jeanson . - Notre chambre d'agriculture est très investie dans ce type de démarches, comme HVE, la « haute valeur environnementale ». La difficulté, c'est que, face à un coût de 700 € à 1 000 € par an, il n'y a aucune reconnaissance au bout : pas de réduction d'impôt, pas de reconnaissance des acheteurs. Si bien qu'HVE est phagocytée par globalgap , qui est une alternative plus commerciale favorisant l'exportation.
Mme Sophie Primas, présidente . - Les chambres d'agriculture sont-elles assez impliquées ?
M. Marcel Jeanson . - Certaines sont trop prudentes à mon goût. L'homme est ainsi fait qu'il peine à aller de l'avant.
Quand on utilise le produit à dose homologuée, on ne prend pas de risque.
M. Joël Labbé . - Risque économique ?
M. Marcel Jeanson . - C'est secondaire. Il y a d'abord un gros problème de sécurité.
M. Joël Labbé . - A cet égard, vous regarderez sûrement avec intérêt le documentaire qui passera ce soir sur les pesticides : « La mort est dans le pré ».
M. Jean-Philippe Jeanson . - Beaucoup de produits toxiques, pour l'utilisateur comme pour l'environnement, ont été retirés. Les phytosanitaires sont stockées dans un local à part.
Mme Sophie Primas, présidente . - Vous qui êtes un jeune agriculteur, observez-vous une sensibilité différente aux problèmes environnementaux selon les générations ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Tous les jeunes agriculteurs sont sensibles aux problèmes environnementaux Les jeunes que je connais se protègent : ils ont conscience qu'ils utilisent des produits dangereux.
M. Marcel Jeanson . - Un jeune agriculteur, cependant, est souvent très endetté : il a tendance à prendre le moins de risques possibles pour sa production. Les groupements permettent de devenir plus vertueux.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Avec moins de phytosanitaires, on réalise aussi des économies. Dans votre cas, vous avez parlé de 25 000 €.
M. Marcel Jeanson . - Je vois des jeunes en formation : certains sont très sensibilisés, d'autres n'y voient que théorie. Mais l'important dans nos techniques, c'est que l'on voit la campagne revivre : les espèces de carabes se multiplient dans les haies, on peut voir renaître jusqu'à un million de carabes à l'hectare.
Mme Sophie Primas, présidente . - Seul le monde agricole peut persuader le monde agricole : vous êtes des missionnaires !
M. Marcel Jeanson . - Je l'ai été. Ceux qui m'ont suivi ont repris le flambeau : l'exploitation s'était donné pour objectif de faire mille parcelles de protection intégrée l'an dernier, c'est-à-dire avec moins de pesticides tout en préservant l'économie de l'exploitation.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Iso 14001 est une démarche volontaire : cela marche beaucoup mieux que la contrainte et les réglementations qui viennent de je ne sais où.
Mme Sophie Primas, présidente . - Dans les contrats qui lient certains gros agriculteurs à l'agro-alimentaire, n'y a-t-il pas des cahiers des charges comportant des clauses sur l'utilisation des produits phytosanitaires ? Peut-on s'en exonérer ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Il y en a partout.
Mme Sophie Primas, présidente . - Obligent-ils à obéir à une feuille de route prescrivant ou proscrivant certaines utilisations de produits phytosanitaires ? Si tel était le cas, on pourrait imaginer qu'il ne soit plus permis de vous imposer des méthodes.
M. Marcel Jeanson . - On peut toujours diminuer les doses. On est surtout tenus par les résultats.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Et si l'on vous impose des pratiques qui vous poussent à tirer les prix au plus bas ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Il y a toujours un minimum. Par exemple, Mc Cain, nous impose le globalgap . Il faut montrer que l'on ne fait pas de traitements à l'aveugle. Le globalgap , c'est zéro résidu .
M. Marcel Jeanson . - Il y a davantage de résidus dans l'agriculture biologique : par exemple, le cuivre .
Mme Sophie Primas, présidente . - Y a-t-il d'autres contraintes ? Vous oblige-t-on à changer vos techniques de culture ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Une seule règle : il n'y a plus de traitement à l'aveugle. Tout traitement doit être justifié. Il y a aussi les doses d'homologation , que l'on ne peut dépasser.
M. Joël Labbé . - Utilisez-vous des semences enrobées ?
M. Jean-Philippe Jeanson . - Pour la betterave, cela a toujours existé. De nouveaux produits apparaissent, qui obligent à se fournir auprès du même fabricant pour la semence et pour le produit de traitement. Pour une certaine semence, je n'ai pas eu le choix.
M. Joël Labbé . - Il y a des produits autorisés en France mais interdits à l'étranger .
M. Marcel Jeanson . - Et vice versa . Je connais des agriculteurs du Nord qui vont s'approvisionner en Belgique ou en Espagne. Je pense au Curaterre pour les poireaux, interdit en France.
M. Jean-Philippe Jeanson . - Le traitement de semences associé à la vente pose aussi un vrai problème.
M. Joël Labbé . - On connaît mal les effets des produits enrobés sur le sol.
M. Marcel Jeanson . - En France, on ne sait plus ce qu'il y a dans la terre, parce qu'il n'y a plus d'agronomes, ni d'entomologistes. En Picardie, nous avons la seule entomologiste qui connaisse encore les multiples variétés de pucerons.
M. Joël Labbé . - On est allé trop loin dans le passé, dites-vous ?
M. Marcel Jeanson . - Et aussi, ensuite, dans les contre-mesures. Ce n'est pas le bio qui va nourrir la planète ! Je connais bien l'Afrique : que faire contre une invasion de sauterelles ? On attend et on ne donne plus rien à manger à ses enfants ?
M. Joël Labbé . - L'agriculture intensive tue aussi le vivrier. Et on a un travail à mener pour réhabiliter l'agronomie.
M. Marcel Jeanson . - On en est réduit à étudier les résultats obtenus dans les pays voisins...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Et les groupes de pression ?
Mme Sophie Primas, présidente . - Sentez-vous leur pression ?
M. Marcel Jeanson . - Bien sûr. On ne veut pas être à la merci de ces gens-là. Mais pourquoi avoir totalement bloqué la recherche sur les usages pharmaceutiques des OGM ?
M. Joël Labbé . - On ne l'a pas bloquée ! On n'a fait qu'interdire leur culture en plein champ.
Mme Sophie Primas, présidente . - Vaste débat ! Mais ce n'est pas ici le lieu pour le lancer. Merci de votre éclairage.
Audition de M. Dominique Martin, directeur des risques professionnels à la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) (24 avril 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'être venu nous donner votre vision du problème que pose aux professionnels l'utilisation des pesticides. Nous espérons que vous nous éclairerez sur les différences d'approche que notre mission d'information a constatées entre la CNAM et la MSA sur la reconnaissance des maladies professionnelles.
M. Dominique Martin . - Je dois vous avertir que la question des pesticides n'est pas au centre des préoccupations du régime général .
Le régime général est divisé en trois institutions : le réseau lui-même - qui comprend la direction des risques professionnels, les Caisses d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail (CARSAT), les Caisses Générales de Sécurité Sociale (CGSS), la Caisse Régionale d'Assurance Maladie d'Île-de-France (CRAMIF) - l'Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et l'Eurogip, qui étudie les questions relatives à l'assurance et à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles au plan européen et travaille essentiellement sur la normalisation.
Nos informations sont issues de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP), qui est un assureur solidaire travaillant à partir de la sinistralité et qui réalise trois opérations principales : la réparation des sinistres, la tarification des entreprises et la prévention des risques.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Qu'en est-il dans l'industrie phytosanitaire ?
M. Dominique Martin . - Nos connaissances sont très générales et peu centrées sur les pesticides. Les pesticides concernent essentiellement deux secteurs : l'industrie, et les utilisateurs des produits, dont 99 % travaillent dans le domaine agricole, relevant de la MSA. Le reste est constitué par quelques salariés du régime général travaillant dans le secteur des espaces verts .
Nous n'avons pas de tableau spécifique pour les pesticides mais huit tableaux que je vous communiquerai, concernant des produits que l'on est susceptible de retrouver dans les pesticides . Ils nous permettent d'élaborer notre politique de prévention : la principale profession concernée, pour nous, est celle des coiffeurs , qui sont en contact avec des phosphores , des amines aromatiques , de l' arsenic , des dérivés de phénol ...
La sinistralité est très basse et à la baisse. Les maladies professionnelles sont constituées à plus de 80 % par des troubles musculo-squelettiques (TMS), environ 15 % sont liées à l' amiante , les 5 % à 6 % restants regroupent 3 000 autres maladies dont principalement des cancers et des allergies. Ces cinq dernières années, en moyenne, on a recensé chaque année 27 cas où les produits concernés par les huit tableaux mentionnés précédemment ont provoqué des maladies, sans qu'on puisse incriminer directement les pesticides. Les chiffres sont en outre à la baisse : on recensait 80 cas en 1991, 23 cas en 2010.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Quelles sont les professions concernées ?
M. Dominique Martin . - Essentiellement, les coiffeurs et les travailleurs de l'industrie. Nous n'avons pas de données spécifiques sur les industries phytosanitaires , nos informations concernent l'industrie chimique. En 2010 , on recense vint-neuf cas de maladies liées à la chimie organique de synthèse et quatre cas de maladies liées à la fabrication de produits insecticides . Nous avons élaboré un système de codes risques : entre le travail dans les bureaux et celui dans l'unité de production, le risque n'est pas le même.
En 1995, on a créé un tableau 15 bis sur les réactions allergiques aux amines aromatiques , qui touchent beaucoup les coiffeurs : cette création récente explique l'accroissement constaté du nombre de cas.
Nos priorités concernent plutôt les produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) dont les pathologies font certainement l'objet d'une sous-déclaration. En effet, à la différence des accidents du travail, les maladies professionnelles doivent être déclarées par la personne concernée. Les gens peuvent donc tomber malade sans que leurs maladies soient répertoriées comme maladies professionnelles. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) corrige ce phénomène de sous-déclaration en transférant 710 millions d'euros de la branche ATMP vers la branche maladie (dont le budget général s'élève à 12 milliards d'euros) : c'est le montant estimé de la compensation de la sous-évaluation. Un rapport annuel est élaboré sur ce thème.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Comment les tableaux de maladies professionnelles évoluent-ils ?
M. Dominique Martin . - Une commission spécialisée de la commission paritaire des conditions de travail, pilotée par le ministère du travail, étudie chaque année les remontées du terrain.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Sous quelle forme ?
M. Dominique Martin . - Les déclarations de maladies recueillies par le régime général.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Les données des centres antipoison (CAP) sont-elles prises en compte ?
M. Dominique Martin . - La première source de remontée d'informations est constituée par les sinistres professionnels, mais il y en a d'autres : la médecine du travail, les consultations spécialisées des CHU, les sources universitaires, les centres antipoison et les partenaires sociaux. L'évolution la plus récente remonte à 2003, pour le tableau 5 (affections professionnelles liées au contact avec le phosphore et le sesquisulfure de phosphore ).
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Quand les tableaux sur l' amiante ont-ils évolué ? Est-ce à la suite des remontées ?
M. Dominique Martin . - Un rapport récent de l'INRS sur la dimension des fibres d'amiante est actuellement à l'étude ; le tableau devrait évoluer prochainement. Toutes les maladies professionnelles ne sont pas répertoriées dans les tableaux : c'est notamment le cas des risques psychosociaux. Certains tableaux ont évolué, comme le tableau 57 relatif aux troubles musculo-squelettiques à propos des pathologies de l'épaule.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Nous savons qu'il y a une différence entre la Caisse nationale et la MSA : comment cette dernière fait-elle évoluer ses tableaux ?
M. Dominique Martin. - La MSA a son propre système d'évaluation de tableau, organisé autour de la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP). Au sein de la commission des conditions de travail, nous avons un représentant du ministère de l'agriculture qui fait le lien entre le régime général et la MSA.
Faut-il fusionner le régime général et la MSA ? La question des pesticides, à elle seule, ne le justifie pas. Les différences entre les deux régimes vont au-delà de la reconnaissance des maladies professionnelles ; les spécificités de la MSA sont très fortes, et nous-mêmes sommes très spécialisés. Nous sommes en train d'absorber le régime des mines ; c'est déjà une opération complexe.
Mme Sophie Primas , présidente . - Avez-vous accès à des informations provenant de la carte Vitale, pour étudier le lien entre certaines maladies et la profession des détenteurs ? Y-a-t-il un système de veille pour les maladies professionnelles ?
M. Dominique Martin . - Non. Ce qui existe en revanche, c'est la maîtrise médicalisée en entreprise (MME) : on recense les pathologies générales et les pathologies professionnelles, à partir des données fournies par la caisse primaire et les CARSAT. Ces données permettent d'avoir une vision globale au sein d'une entreprise particulière.
Nous sommes un assureur : nous travaillons à partir de la sinistralité déclarée, nous n'avons pas accès à des données en amont. En revanche, nous faisons de la prévention auprès des entreprises pour faire diminuer la sinistralité connue.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Que recense-t-on comme accidents dans l'industrie phytosanitaire ? Avez-vous des données sur la sinistralité ?
M. Dominique Martin . - Nous avons des données sur les accidents et les maladies professionnelles . On ne recense pas plus d'accidents dans la chimie que dans d'autres secteurs - le bâtiment est bien plus touché - car c'est un secteur très contrôlé. Quant aux maladies professionnelles, nous avons deux codes risques : les vingt-neuf cas liés à la chimie organique de synthèse, et les quatre cas de maladies liées à la fabrication de produits insecticides, dont les pathologies pourraient être liées aux pesticides, sans qu'on puisse le certifier. Dans ces vingt-neuf cas, quinze sont liés à l' amiante et quatorze au benzène et à des radiations ionisantes ... Même si on doit envisager une sous-déclaration des sinistres, ces chiffres très faibles ne peuvent masquer un phénomène de grande ampleur.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Y compris pour l' amiante ?
M. Dominique Martin . - Aujourd'hui, il n'y a plus de sous-déclaration pour l' amiante , ce qui était le cas auparavant.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Ce qui s'est passé hier pourrait se reproduire....
M. Dominique Martin . - Le fait est que certaines maladies ont un effet différé. Nous avons une priorité : le risque résultant des produits cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR), qui peuvent éventuellement inclure des pesticides. Nous définissons des programmes de protection des travailleurs . Quand c'est possible, nous encourageons la substitution en intervenant auprès de l'entreprise, comme nous l'avons fait récemment avec un fabricant de peinture brillante : le contrôleur de sécurité de la CARSAT lui a indiqué qu'il pouvait remplacer un produit dangereux. Il y a des actions incitatives ou contraignantes, les entreprises étant obligées de déclarer les produits qu'elles utilisent. Lorsque la substitution n'est pas possible, nous encourageons la protection individuelle et collective par des équipements élaborés par l'INRS.
Nous avons aussi un contrat d'objectifs et de gestion (COG ) qui vise à protéger au moins 50 000 personnes cette année.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Le financement des programmes de protection est-il constant ?
M. Dominique Martin . - Il a augmenté dans le COG actuel, et les partenaires sociaux, qui en fixent les orientations, souhaitent qu'il soit reconduit au terme de la négociation avec l'État. Ce COG fixe des objectifs d'activité, c'est-à-dire d'augmentation du nombre de salariés protégés, et non de réduction de la sinistralité. Nous fixons nous-mêmes, par contrat, des objectifs aux CARSAT, dont la réussite a une incidence sur les salaires, comme dans toute administration moderne ! Ces objectifs ne sont pas toujours faciles à atteindre : il faut trouver des produits de substitution, des moyens de protection, trouver des accords avec les médecins du travail, etc. Heureusement, les relations entre les différentes structures devraient s'améliorer grâce à la mise en place de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens entre les CARSAT, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et les services de santé au travail. La réforme de la loi sur la médecine du travail va permettre une meilleure coordination.
On a sûrement une action indirecte sur les pesticides à travers les CMR, qui contiennent des agents communs . Mais les pesticides ne sont pas répertoriés comme tels, contrairement à ce que fait la MSA. En revanche, nous n'avons pas d'action spécifique directe sur les pesticides , faute d'éléments d'alerte.
Il existe un cas particulier, celui des CGSS, caisses uniques dans les départements d'outre-mer . Elles prennent en compte l'utilisation des pesticides, notamment par épandage. L'INRS a publié un guide sur l'utilisation des produits phytosanitaires dans l'agriculture tropicale.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Les médecins sont-ils suffisamment formés et informés pour détecter les maladies professionnelles et leurs causes ?
M. Dominique Martin . - C'est une des failles de notre système de santé : les médecins traitants ne sont pas suffisamment sensibilisés aux risques professionnels, et c'est encore plus vrai dans le cas des pesticides . Je suppose que les médecins du travail le sont davantage.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je suppose que les agents de la SNCF, quel que soit leur poste, ont le même médecin du travail.
M. Dominique Martin . - Nous fonctionnons par système d'alerte, et le champ est immense.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Ces systèmes d'alerte suffisent-ils ? Il y a le précédent de l' amiante ...
M. Dominique Martin . - J'espère que les leçons ont été tirées du drame de l' amiante . L'ANSES, l'INRS, avec ses 650 personnes, les services de médecine du travail universitaire jouent leur rôle et on peut espérer éviter de passer à côté de risques importants, même si on ne peut pas tout contrôler.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le problème, ce sont les maladies chroniques liées à des pratiques vieilles de vingt ans !
M. Dominique Martin . - On ne peut pas attendre vingt ans pour réagir. On est capable de dire qu'un produit est cancérogène avant qu'il ne produise des effets. Cette connaissance en amont est nécessaire, mais elle s'appuie davantage sur les agences sanitaires comme l'ANSES que sur nous.
Mme Sophie Primas , présidente . - A la CNAM, n'existe-t-il aucun service qui croise les maladies déclarées via la carte Vitale et les professions exercées par les malades avant ou au moment de l'apparition de la maladie ?
M. Dominique Martin . - L'agence chargée de la veille sanitaire en France est l'InVS : il a accès à toutes les données.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comme il n'existe pas de registre unifié du cancer, la seule source de données, c'est la carte Vitale.
M. Dominique Martin . - Les registres du cancer dépendent de l'InVS ; je ne saurais dire s'il y en a partout. C'est le rôle de l'InVS de centraliser les informations de veille sanitaire à partir des données que lui fournit l'assurance maladie. Au sein de la CNAM, nous n'avons pas d'outil épidémiologique ni un seul épidémiologiste , à l'inverse de l'InVS, et ce n'est d'ailleurs pas notre mission. Il existe un secteur d'épidémiologie à l'INRS, il compte une dizaine de personnes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Employez-vous des toxicologues ?
M. Dominique Martin . - Non. Nous nous concentrons sur la prévention, mais on en trouve probablement à l'INRS . C'est tout l'intérêt des plans régionaux de santé qui permettent de coordonner les compétences des uns et des autres. Nous avons cependant une quinzaine de laboratoires sur l'ensemble du territoire, qui travaillent sur des problématiques physiques, chimiques ou sonores.
La toxicologie est plus du ressort des laboratoires de l'INRS à Nancy. Nous, nous constatons l'utilisation ou l'absence d'utilisation de tel produit déclaré cancérogène.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Qui finance les études de l'INRS ?
M. Dominique Martin . - L'INRS dispose d'un budget de 89 millions d'euros par an : c'est une association financée à 99 % par la branche ATMP. Il bénéficie aussi de quelques appels d'offres extérieurs.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - L'industrie chimique participe-t-elle ?
M. Dominique Martin . - C'est totalement improbable. Ce serait très discutable ! Même si les fonds proviennent des entreprises, il s'agit d'une tarification fixée par voie réglementaire.
Audition de M. Didier Marteau, président de la chambre d'agriculture de l'Aube, co-président de la commission environnement de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA) (24 avril 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre mission d'information s'intéressant aux conséquences de l'utilisation des pesticides sur la santé, nous souhaitons connaître le point de vue des chambres d'agriculture et leur rôle dans le plan Ecophyto 2018, notamment en matière de formation des utilisateurs : l'objectif de diminution de 50 % pourra-t-il être atteint ? Un monde sans pesticides est-il possible ? Peut-on concilier l'intérêt sanitaire et l'intérêt économique ?
M. Didier Marteau, président de la chambre d'agriculture de l'Aube, co-président de la commission environnement de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA) . - Ayant eu une exploitation de grande culture dans l'Aube pendant trente-cinq ans, après avoir été éleveur et producteur de pommes et de légumes, je pense avoir acquis une vision globale dans une région, la Champagne, où la vigne est très présente. En tant qu'élu, d'abord au sein des jeunes agriculteurs de la F.N.S.E.A. puis dans les chambres d'agriculture, je me suis spécialisé dans le domaine de l'environnement bien que ce ne soit pas facile parce qu'on est souvent coincé entre les exigences de la société et celles des agriculteurs soumis à des contraintes, qualitatives et économiques, d'accès aux marchés. Mon objectif est d'engager 90 % des agriculteurs dans une démarche raisonnée, l'agriculture biologique ne pouvant concerner, elle, que 5 % à 10 % des exploitants.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourquoi ?
M. Didier Marteau . - Parce qu'il s'agit d'une forme d'agriculture très précise, pointue et difficile.
Pour ma part, je vais au-delà de l'agriculture raisonnée : je pratique la culture à bas intrants mais je ne peux aller au-delà. Par exemple, l'attaque de pucerons lanigères pouvant faire perdre deux ans de production aux pommiers, on les a combattus avec des coccinelles importées qui tendent aujourd'hui à devenir des prédateurs des variétés existantes et non plus seulement des auxiliaires. Ce qui importe maintenant, c'est de trouver des solutions pérennes. Il y a eu des excès dans l'utilisation des produits phytosanitaires mais en matière d'agriculture biologique aussi, avec l'emploi du cuivre en particulier sur les vignes.
L'agriculture biologique apporte une valeur ajoutée par son prix mais si la production s'élargit trop, elle aura du mal à trouver son marché et ses produits ne pourront être requalifiés en produits standards car ils ne correspondent pas aux spécifications de ces derniers. Si je suis très favorable à l'agriculture biologique, à laquelle nous consacrons deux techniciens et demi et dont la part dans la surface agricole de mon département est passée de 1 % à 4 %, je privilégie une démarche par étape passant par l'agriculture raisonnée, puis l'agriculture intégrée en réduisant le plus possible l'usage de produits phytosanitaires .
Mais l'on ne peut pas forcer les gens même si, pour la démarche de réduction des doses Certiphyto , nous avons été bien suivis : 1 000 adhérents, sur un total de 3 500 sans compter les viticulteurs, acceptant de payer 5 € par hectare.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Pour Certiphyto, est-ce la chambre d'agriculture qui assure la formation ?
M. Didier Marteau . - Les chambres d'agriculture en assurent 40 %, les établissements d'enseignement agricole publics 15,5 %, les coopératives 9,8 %, les filiales de négoce 8,5 %, les maisons familiales rurales 5 %, les fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) 2,5 % et les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON) 1,5 %.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Combien y-a-t-il de Certiphyto délivrés à ce jour ?
M. Didier Marteau . - 140 000 agriculteurs sont formés sur les 400 000 potentiellement concernés.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Sur quoi cette formation certifiée porte-t-elle ?
M. Didier Marteau . - En premier lieu, il s'agit d'une sensibilisation à la dangerosité de certains produits pour les agriculteurs et pour l'environnement.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Cela signifie-t-il que vous connaissez la composition et la dangerosité des produits ?
M. Didier Marteau . - C'est systématique. Tout produit peut être dangereux ; ce qui importe c'est la dose et les mesures de protection. Nous le voyons bien avec les médicaments ou avec les aliments. Buvez dix litres d'eau et vous êtes mort !
J'insiste beaucoup sur la protection car n'ayant, pendant ma formation, jamais été sensibilisé à ces questions, j'ai utilisé, pendant dix ans et à mains nues, des colorants nitrés ou des insecticides plus dangereux que ceux d'aujourd'hui, même si l'on employait des doses plus faibles.
La formation porte aussi sur les bonnes techniques d'utilisation. Désormais, on ne traite plus pendant les périodes de chaleur de la journée mais plutôt le matin ou le soir, voire la nuit et l'on tient aussi compte du vent et de l'hygrométrie. Quant aux appareils, ils ne sont pas uniquement utilisés pour les traitements.
Enfin, nous donnons des conseils techniques, notamment relatifs au bulletin de santé du végétal (BSV) qui ne vont certes pas jusqu'à la préconisation, cette dernière relevant des organismes distributeurs.
Un intervenant de la MSA et un intervenant de la chambre d'agriculture assurent chacun une demi-journée de formation, de même que des personnels des organismes distributeurs, l'ensemble s'inscrivant dans le programme prévu au niveau national.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - L'industrie intervient-elle, que ce soit directement ou indirectement ?
M. Didier Marteau . - Non, celle-ci est exclue de toute participation à la fonction de conseil, même si les industriels peuvent intervenir en dehors des formations pour nous donner certaines informations.
Mme Sophie Primas , présidente . - Donnez-vous des informations sur les techniques alternatives aux pesticides ?
M. Didier Marteau . - Oui, nous expliquons les démarches vers lesquelles il est possible de se tourner, les agriculteurs, me semble-t-il, en connaissant déjà les grandes lignes.
M. Joël Labbé . - Pourtant, d'après certains de nos interlocuteurs, l'agronomie aurait été délaissée depuis nombre d'années ... Est-il si évident que les agriculteurs disposent de cette connaissance ?
Au-delà de la protection de l'agriculteur contre la dangerosité de certains produits, la profession ne doit-elle pas se préparer à l'interdiction de certaines molécules autorisées en France alors qu'elles ont été interdites dans d'autres pays ?
M. Didier Marteau . - Et, à l'inverse, certaines molécules sont interdites ici, alors qu'elles sont autorisées à l'étranger.
En matière d'agronomie, l'on revient à des techniques plus simples, protégeant mieux les sols , que j'avais apprises à l'école mais qui, il est vrai, ont été oubliées pendant une période, du fait de la chimie.
Pour ma part, j'ai toujours dû pratiquer l'agriculture raisonnée en cultivant des pommes à cidre dans la région d'Othe dont le potentiel de rendement était limité. Notons que le haut niveau des prix n'a pas incité les producteurs à abuser de l'azote ou de protections, afin d'augmenter la productivité. Nous n'avons globalement pas été confrontés à l'explosion de l'utilisation des produits que l'on pouvait craindre.
Les préoccupations agronomiques sont de retour, alors que, à une certaine époque, l'on a fait beaucoup de mal, comme avec ces colorants qui allaient jusqu'à éliminer les vers de terre ; il est certain qu'avec ces produits, on était sûrs de tuer les limaces qui nous posent aujourd'hui problème ! Désormais, c'en est fini de la mortalité des lièvres ou des perdrix du fait de ces produits.
Les produits sont moins dangereux qu'il y a quelques années, où ils étaient souvent en poudre, même si à mon sens ils devraient tous être sous forme liquide pour éviter les poussières. On ne mettait ni gants ni masques !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A partir de quand a-t-on utilisé davantage de protections ?
M. Didier Marteau . - En raison de leur instinct maternel protecteur, les femmes ont fait évoluer les choses.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - C'est sûr.
M. Didier Marteau . - La prise de conscience s'est opérée il y a dix ou quinze ans. Mais certains continuent à jouer avec leur santé ; ils font vraiment n'importe quoi. Il n'y a pas toujours de cabines sur les tracteurs.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment agissent les chambres d'agriculture vis-à-vis de ces agriculteurs ?
M. Didier Marteau . - Chez moi, dans une région céréalière où l'on cultive de grandes surfaces, nous sommes très spécialisés et très professionnels dans l'utilisation des produits qui, par leur coût, constituent un véritable investissement, et dont nous connaissons bien les risques car nous les utilisons souvent. Deux fois par semaine, je reçois de mon conseiller deux ou trois pages de préconisations très précises.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - De quel conseiller s'agit-il ?
M. Didier Marteau . - Celui de la chambre d'agriculture mais l'on reçoit aussi des documents de la coopérative ou des autres organismes économiques. Il est d'ailleurs intéressant d'observer les nuances entre ces conseils.
Mme Sophie Primas , présidente . - Sur quoi portent ces nuances ?
M. Didier Marteau . - Les organismes économiques accordent davantage d'attention à ce qui engage la quantité et la qualité des produits, alors que nous, chambre d'agriculture, nous n'avons pas d'intérêts dans la vente des produits, nous allons plus loin dans le conseil, nous n'encourageons à intervenir qu'au vu du seuil de nuisance , qui, par exemple, n'est atteint pour les pucerons que lorsqu'ils inoculent la jaunisse nanisante qui empêchera toute récolte.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Où en est-on au regard de la baisse de 50 % en dix ans de l'utilisation de pesticides prévue par Ecophyto ?
M. Didier Marteau . - Cela ne se fait pas d'un claquement de doigt car un agriculteur, malheureusement, est libre de faire ce qu'il veut !
M. Joël Labbé . - Pas tout à fait...
M. Didier Marteau . - Il est vrai qu'il doit s'en tenir aux molécules autorisées mais il peut les utiliser sans limite de quantités. Notre but est surtout d'expliquer et de convaincre par des conseils très précis plutôt que contraindre. Alors que je n'étais pas rassuré lorsque nous avons proposé des formations, les agriculteurs ont répondu présent. Nous avons même dû constituer des listes d'attente et, compte tenu des difficultés financières que nous rencontrons pour satisfaire toutes les demandes, nous avons dû demander des délais supplémentaires par rapport à l'échéance de la fin de 2013.
Dans les régions très spécialisées, nous utilisons à plusieurs des appareils très perfectionnés ; en polyculture, on utilise des équipements moins performants parce qu'il s'agit simplement de traiter de petites surfaces, pour produire, par exemple, les céréales destinées aux animaux de l'élevage.
En ce qui me concerne, je n'utilise pas de semences traitées ...
M. Joël Labbé . - Sont-elles encore beaucoup utilisées ?
M. Didier Marteau . - Oui, car les éleveurs n'ont pas le temps de faire les traitements auxquels nous procédons à l'automne. C'est juste un constat. Ce qui compte, c'est de comprendre pourquoi et de trouver une solution mais je ne cherche pas à opposer les uns aux autres.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'objectif de notre mission n'est pas non plus de stigmatiser ni d'opposer.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Ne pourrait-on penser que l'industrie chimique a tout intérêt à vendre le maximum de produits ?
M. Didier Marteau . - Dire le contraire ne serait pas honnête. Mais certains organismes économiques sont aussi engagés dans des démarches durables, notamment en voyant nombre d'agriculteurs adhérer aux chambres d'agriculture.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - La chimie représente une dépense très importante dans une exploitation...
M. Didier Marteau . - Dans une exploitation céréalière comme la mienne, oui, le budget chimie est très important et ce qui n'est pas utilisé n'est pas jeté, on n'en a pas les moyens !
Si le plan Ecophyto a eu le mérite de proposer neuf axes, des difficultés demeurent quant au choix des bons indicateurs de suivi. S'agissant de l'objectif de diminution de 50 % en 2018, très honnêtement, je ne pense pas qu'il sera atteint , les choses étant plus faciles dans certaines filières que dans d'autres comme les fruits et légumes. Par exemple, j'éprouvais aussitôt des difficultés à commercialiser mon cidre lorsqu'il y avait un léger dépôt de pomme dans les bouteilles.
M. Joël Labbé . - N'y a-t-il pas d' éducation du consommateur ?
M. Didier Marteau . - Non, et c'est même l'inverse lorsqu'on caricature les agriculteurs alors que l'agriculture a fait de gros progrès.
Comment diminuer les doses ? J'ai diminué personnellement de 30 % l'utilisation des produits phytosanitaires mais c'est très difficile d'aller au-delà.
Aujourd'hui, on utilise des désherbants, des fongicides, des insecticides ou des régulateurs de croissance, qui évitent la verse en période de pousse à condition de traiter au bon moment, c'est-à-dire dans les trois ou cinq jours propices, sinon la quantité comme la qualité en sont affectées. Tout est programmé. Il y a aussi un problème de choix de variétés résistantes. D'où l'importance de la recherche. Quand je livre mon grain, il est soumis à huit analyses pour contrôler sa valeur boulangère qui dicte le prix payé.
Mon blé doit atteindre un niveau de protéines de 11,5 et ne pas dépasser un certain niveau de mycotoxines, sinon il n'est pas exportable et part vers l'alimentation animale. Il y a donc un risque à ne pas le protéger. Par exemple, si l'on ne l'avait pas fait il y a trois ou quatre ans, la France n'aurait pas pu exporter son blé, situation dans laquelle se trouve le Danemark aujourd'hui : il donne son blé aux cochons et importe pour la boulangerie. Pour qu'une plante pousse, il faut de l'azote, mais si la plante verse et touche le sol, elle se gâte, surtout si le temps est humide. Pour se prémunir contre la verse, on peut semer moins dru et plus tardivement mais il y a des risques : j'ai vu mon rendement chuter à cause du gel et des limaces.
A l'inverse, pour l'orge, l'azote étant présent, le risque est d'avoir trop de protéines. Il y a beaucoup de critères et il faut faire des choix pour ménager un certain équilibre.
Pour ma part, travaillant beaucoup en réduction de doses, notamment de désherbants, je suis maintenant confronté au risque de créer des résistances . Soyons donc très prudents quant aux voies dans lesquelles nous engageons les agriculteurs, sachant que ce qui est valable pour le bio ne l'est pas pour le reste et qu' il existe, pour les productions légumières ou fruitières, des cahiers des charges extrêmement précis impliquant notamment l'irrigation ou des traitements systématiques .
M. Joël Labbé . - La recherche a-t-elle les moyens de travailler ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Est-ce que seulement on la laisse faire ?
M. Didier Marteau . - Mon regret est que les recherches ont été trop concentrées sur la qualité et la quantité et pas sur la résistance aux insectes et aux maladies .
M. Joël Labbé . - Le rôle des technico-commerciaux n'a-t-il pas été de forcer la dose ?
M. Didier Marteau . - J'en ai fait partie. L'homologation d'une variété repose sur des critères de quantité et de qualité et non de résistance.
En matière de recherche, je constate que l'INRA , qui fait globalement du bon travail, se concentre davantage sur la recherche sociologique, économique et technique que sur la recherche fondamentale dont nous avons besoin . De plus, faute de moyens, l'INRA travaille trop en partenariat avec des institutions y compris avec des obtenteurs qui créent des variétés.
Il y a encore beaucoup à faire. Par exemple, dans Ecophyto, lors de la constitution des dossiers des 180 fermes de référence DEPHY (démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires), l'INRA s'est battu pour être en charge de la gestion des bases de données, alors que j'avais fait valoir auprès de sa présidente, Mme Marion Guillou, que ce n'était pas leur métier. Mais devant l'insistance des chercheurs de l'INRA, nous avons laissé faire. Résultat : depuis deux ans, le projet patine en matière de traitement des informations sur les 25 premières fermes, dont la mienne, alors qu'il y en a 180 concernées.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Vous avez indiqué que les cahiers des charges en matière de légumes étaient très précis : jusqu'à quel point ? Mentionnent-ils l'irrigation ou les traitements chimiques ?
M. Didier Marteau . - Comme vous ne souhaitez pas trouver des pucerons dans votre salade ni des limaces dans vos haricots verts, il faut traiter. Il en va de même pour les taches de maladies. Demandez aux agriculteurs qui travaillent pour Bonduelle , vous verrez que ces exigences sont extrêmement précises pour la production légumière industrialisée.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Fournit-on aussi aux agriculteurs la liste des produits à utiliser ?
M. Didier Marteau . - Oui, avec les quantités. Cela figure dans le contrat pour obtenir un produit standardisé.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ils ne prennent aucun risque ; ne serait-ce pas, si je puis dire, « ceinture et bretelles » quelles que soient les conditions météorologiques !
M. Didier Marteau . - Dans l'Aube, où l'on a développé la culture de la pomme de terre sur 4 000 ou 5 000 hectares, les producteurs, même sans contrat avec Bonduelle ou avec Mc Cain , utilisent aussi les produits phytosanitaires, notamment pour le stockage, afin de pouvoir exporter.
Si mon jus de pomme est trouble, je le vends plus difficilement. Sans doute est-ce dû à un défaut de communication... En fait, il ne suffit pas de faire de la qualité pour que se développe le marché. Finalement, ce sont surtout les crises qui suscitent les prises de conscience chez les consommateurs et qui infléchissent les tendances : on l'a vu avec la viande bovine lors de la crise de la vache folle.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les céréaliers semblent moins exposés que les arboriculteurs, les maraîchers, les vignerons. A-t-on fait des progrès dans ces cultures ?
M. Didier Marteau . - Pour produire du Champagne, le kilo de raisin rapporte 5 €, contre 1 € pour le raisin de table, et le premier n'est pas soumis à des exigences de qualité : les fongicides n'amputent donc pas le revenu du producteur, or 150 viticulteurs sur 1 500 dans l'Aube adhèrent à notre groupe, contre un tiers d'exploitants en grandes cultures. Nous avons du mal à nous faire entendre, cependant le mouvement est lancé. Lors d'une réunion récente où j'avais invité des agriculteurs, j'ai été déçu que telle agricultrice bio considère comme nulle toute autre forme de production. Mais ce qui compte, ce sont les étapes de la prise de conscience.
Mme Sophie Primas , présidente . - C'est un long chemin ?
M. Didier Marteau . - Oui ! A la suite de la pollution des eaux causée par la goutte de produit tombée sur le sol, la dépollution peut prendre une vingtaine d'années : la simazine n'est plus utilisée depuis dix ans, or les problèmes causés par la pollution qu'elle engendre persistent alors qu'il n'y a plus de stocks utilisés. C'est que l'on en employait huit à dix kilogrammes par hectare ! On ne disposait pas, à cette époque, pour maîtriser le chiendent, du glyphosate , le fameux Roundup , décrié mais plus efficace et donc utilisé à plus faibles doses.
Nous avons commis des erreurs, je ne crains pas de le reconnaître. Je suis convaincu que les pollutions ponctuelles sont plus dangereuses que les pollutions diffuses dans les champs . Dans l'Aisne, sur la rivière du Péron, la qualité des eaux de captage était si déplorable qu'une action a été menée au sein d'Agri Péron : quatre-vingts exploitations remises aux normes, tous les agriculteurs formés et informés. Le problème a été réduit de 70 % en trois ans. Désormais, le rinçage des cuves se fait dans les champs, à l'eau claire, et non plus, en grande quantité, dans la cour de ferme, toujours au même endroit, souvent à proximité d'un ruisseau, d'une rivière ou de la nappe phréatique. Des bêtises énormes ont été commises. Les agriculteurs apprennent les bonnes pratiques : désherber le soir, ne pas mélanger désherbant et insecticide, etc.
M. Joël Labbé . - On emploie des insecticides chimiques parce qu'il ne faut pas d'insectes dans les légumes, avez-vous dit. Pourtant, les agriculteurs biologiques se débrouillent et vous ne trouvez pas d'insectes dans leurs produits.
La population des abeilles est en crise en raison de pratiques néfastes. Tout est question d'équilibre, les insectes, les herbes, ne sont pas bons ou mauvais en eux-mêmes, il faut travailler en recherchant l'équilibre.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Que pensez-vous de la démarche de M. Paul François, fondateur de l'association Phyto-Victimes ? Avez-vous vu le documentaire « La mort est dans le pré » d'Éric Guéret récemment diffusé à la télévision ?
M. Didier Marteau . - Pour répondre à M. Joël Labbé, un puceron ne me dérange pas, sauf s'il est porteur de maladie.
M. Joël Labbé . - Cela ne poserait pas de problème si la plante était plus rustique.
M. Didier Marteau . - Plus on sème tard, moins les risques d'invasion de pucerons sont grands, mais les risques d'un rendement faible sont accrus. On a considérablement développé le conseil et l'observation. On définit des seuils de nuisance, en-deçà desquels on déconseille d'intervenir. Le soleil peut guérir certaines maladies et l'on surveille aussi la météo pour déterminer s'il faut ou non traiter.
M. Joël Labbé . - Qui dit s'il faut intervenir ?
M. Didier Marteau . - Les conseillers.
M. Joël Labbé . - Ceux des firmes ?
M. Didier Marteau . - Les agriculteurs se parlent, s'informent ; les organismes économiques ont aussi bien évolué.
Mme Sophie Primas , présidente . - Isagri ne fournit-il pas des modules informatiques de prévision des risques ?
M. Didier Marteau . - Oui, cela fait partie des outils que nous utilisons.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et ils ne sont pas liés à l'industrie chimique. La modélisation informatique semble encore peu diffusée pour aider à traiter de manière différente même au sein d'une parcelle. La recherche est-elle suffisante sur ces questions ?
M. Didier Marteau . - L'agriculteur passe aujourd'hui beaucoup de temps à faire de l'observation : il fait le tour de ses parcelles fréquemment, ne désherbe que sur le pourtour, utilise un matériel très sophistiqué. Ce qui m'intéresse, c'est que nous apportions des solutions aux professionnels avec des variétés, des techniques appropriées, des connaissances techniques...
Oui, l'apiculture a un souci, mais il est multifactoriel et tient largement au mauvais état sanitaire de nos abeilles qui sont victimes de parasites comme le varroa (acarien)... On a beaucoup accusé les traitements de semence, mais les problèmes touchent aussi des régions, comme la Corse ou la Savoie, où ces traitements ne sont pas employés. Je signale que l'on a importé en quantité des abeilles peu résistantes. Aujourd'hui, on cherche une molécule pour traiter les parasites. Il y a aussi le frelon asiatique, qui s'attaque aux colonies...
M. Joël Labbé . - Les produits phytosanitaires n'ont-ils pas d'impact sur les abeilles ?
M. Didier Marteau . - Ils ne sont pas inoffensifs, certes, mais il faut trouver une molécule pour combattre les parasites de l'abeille.
Quant au documentaire relatif, notamment, à M. Paul François , je l'ai regardé. Je crois que naguère les agriculteurs fumaient beaucoup : avec les traitements phytosanitaires, ce n'est pas le bon cocktail ... Aujourd'hui, les nouvelles générations d'agriculteurs, qui ont fait des études, qui ont conscience des risques, fument moins, se protègent des produits et les utilisent avec plus de discernement. Depuis quelques années, la MSA procède à des études sur les risques de maladies ; nous sommes également sensibilisés au problème. Mon père, qui est mort de la maladie de Parkinson, n'a jamais manipulé de produits en diffusion aérienne, il faisait appel à une société spécialisée. En revanche, il diluait sur le semoir, avec un bâton, les produits de traitement de semence saupoudrés, lesquels contenaient, je crois, du mercure et d'autres substances...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Mais M. Paul François n'est âgé que de quarante-cinq ans !
M. Didier Marteau . - Les produits incriminés sont moins nocifs aujourd'hui qu'il y a dix ans - et l'on a appris à s'en protéger. Faut-il ne plus utiliser de produits chimiques ? Cela, ne peut se décréter. Mais je rappelle que l'homologation suppose la signature des ministères de l'agriculture, de la santé et de l'environnement et que la procédure s'étale sur dix ans et non sur trois comme aux États-Unis d'Amérique.
M. Joël Labbé . - N'y a-t-il pas, tout de même, un débat sur les AMM ?
M. Didier Marteau . - Aucun produit n'est inoffensif. Tous les produits sont dangereux ! Tous les médicaments...
M. Joël Labbé . - Les produits phytosanitaires ne sont pas des médicaments !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Si la dose est trop importante, le produit est-il dangereux ?
M. Didier Marteau . - C'est l'exposition qui fait le risque : l'agriculteur est en première ligne. Je me suis beaucoup investi sur cette question, et je ne me suis pas fait que des amis parmi mes pairs. A cet égard, Ecophyto a le mérite d'encourager à communiquer. J'essaie de convaincre, je travaille avec tout le monde au niveau régional. Aux chambres d'agriculture, un groupe permanent est en place, qui se réunit tous les mois et demi : responsables régionaux, maires, etc. Une partie de nos débats est ouverte à tous les partenaires, y compris France Nature Environnement, les trois ministères, les Agences de l'eau, la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (FREDON), etc. Nos discussions sont intéressantes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition de M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (F.N.S.E.A.), président de la commission environnement de la F.N.S.E.A., de M. Cédric Poeydomenge, directeur-adjoint de l'Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM), responsable du service économique et syndical, et de Mme Sophie Metais, chargée de mission environnement réglementation, facteurs de production à l'AGPM (24 avril 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre mission se concentre sur la santé de ceux, tels les agriculteurs, qui sont au contact direct des pesticides. Quel regard porte la F.N.S.E.A. sur cette question ? La Fédération est-elle impliquée dans la mise en oeuvre du plan Ecophyto 2018 ? Mène-t-elle des actions de formation, de prévention, promeut-elle des techniques alternatives ? Enfin, quel est votre sentiment sur l'objectif de réduction de 50 % ? Va-t-on y parvenir ?
M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, président de la commission environnement . - La F.N.S.E.A. attache beaucoup d'importance au sujet. Les aspects techniques relèvent plutôt des chambres d'agriculture. Mais comme nous étions les représentants du monde agricole au Grenelle de l'environnement, le plan Ecophyto 2018 est donc un vrai sujet pour nous.
Nous nous intéressons aussi à la dimension européenne, car les produits agricoles circulent librement dans l'Union européenne. Nous avons retravaillé avec les parlementaires européens sur la directive 91/414 et, désormais, sa rédaction prévoit des règles de réciprocité - hélas, pas toujours respectées en France. Nos règles sont souvent plus restrictives que la directive et pénalisent les producteurs français , de cerises par exemple : si rien ne change, on ne trouvera plus sur les étals que de la cerise turque, parce que nos autorités ont tardé à homologuer telle molécule pourtant agréée au niveau européen.
Nous avons participé à la mise en place du plan Ecophyto 2018 et souhaitons, bien sûr, sa réussite. Nous n'opposons pas agriculture biologique et agriculture conventionnelle, les deux cohabitent plutôt bien. Cela dit, dans un programme de vaccination, quand 80 % de la population est vaccinée, les 20 % restant sont bien protégés. Que se passerait-il en revanche si personne ne l'était, autrement dit si 100 % de l'agriculture était bio ? N'assisterait-on pas au retour en force des ravageurs, que la chimie tient à distance ?
Il est temps de trouver des solutions alternatives à l'utilisation des produits phytosanitaires, qui ont fait la réussite de l'agriculture française et européenne. Nous sommes au bout d'un système, celui du tout chimique, qui a été à l'origine de trente années de progrès agricole et alimentaire mais qui a aussi connu ses déviances.
Je note que les gouvernements successifs ont délégué à des firmes privées la recherche sur la productivité des semences . Des semences très productives ont été mises au point, mais fragiles, sensibles aux ravageurs. Le plus urgent est que les gouvernements et l'Union européenne remettent la main à la poche pour redéfinir des programmes de sélection, afin de sortir de l'impasse d'une recherche abandonnée aux firmes privées . Je ne fais pas le procès de ces dernières : on leur a délégué une mission que la puissance publique aurait dû assumer. On critique Monsanto , pour avoir produit l' agent orange , mais c'est l'armée américaine qui l'a utilisé au Vietnam !
L'INRA et le CIRAD en conviennent et souhaitent développer la recherche fondamentale sur le sujet. Mais, en France, on manque d'agronomes réputés, d'entomologistes de grande renommée . Les débats du Grenelle en ont souffert. Au-delà de la bonne volonté des chercheurs du Muséum d'histoire naturelle, il n'y avait rien !
Le tout chimique a atteint ses limites. On bute aujourd'hui sur des phénomènes de résistance , peut-être pour avoir trop délaissé l'agronomie - et je ne pense pas seulement à la rotation des cultures, plutôt difficile pour les vergers... Faire disparaître totalement les ravageurs ou les maladies qui pourraient affecter les cultures est une vue de l'esprit. La F.N.S.E.A. oeuvre cependant à les maîtriser. Je suis exploitant dans la Manche : je produis du lait, du maïs pour le fourrage et des céréales à paille pour mes animaux, et je travaille depuis dix-huit ans en technique simplifiée sans labours. Or je l'ai fait sans documentation ; je comprends que, faute d'études à consulter, les exploitants écoutent les négociants, les techniciens.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Vous avez mentionné des méthodes alternatives .
M. Pascal Ferey . - Il y a les rotations des cultures, les moyens de lutte issus de l'agriculture biologique ou chimique, les indicateurs de pression des nuisibles, pour réduire l'utilisation des pesticides sans remettre en cause l'économie de l'agriculture... Il convient aussi de mieux cerner les paramètres : je suis moins ennuyé d'utiliser un herbicide qu'un insecticide - moins j'en emploie, mieux je me porte. Ma coopérative a acheté un automoteur, le salarié qui le manie connaît chaque produit utilisé.
On ne changera pas les habitudes d'un coup ; et l'on sait bien que, lorsque les prix de vente d'un produit agricole baissent, les phytosanitaires sont moins employés. Si le cours remonte, l'utilisation des pesticides augmente à nouveau.
Il serait bon d'étudier les voies choisies par d'autres pays européens. Le Danemark a pris des décisions drastiques, que l'on pourrait qualifier de courageuses, sur la production des céréales pour porcs et volailles ; mais, en conséquence, il a été forcé d'importer des céréales, car, sans pesticides, les taux de mycotoxines sur ses cultures étaient considérables. Utilisant moi-même des techniques sans labours, je suis très sensible aux mycotoxines , qui seront de plus en plus traquées par les autorités. Des risques sanitaires significatifs existent pour les consommateurs. Du reste, la Commission européenne conditionne ses aides à la déclaration des infestations de fusarium (champignon pathogène des plantes) dans les exploitations ; des retenues peuvent être pratiquées.
La formation des agriculteurs et des utilisateurs de pesticides est fondamentale. Le Certiphyto est une véritable réussite . En raison des difficultés budgétaires, nous avons obtenu que l'échéance à laquelle tous les agriculteurs devront être formés soit reportée de 2013 à 2015. Nous cotisons tous au Fonds d'assurance formation des agriculteurs, Vivea, qui finance l'essentiel de l'effort ; l'ONEMA l'abonde aussi. 180 000 agriculteurs ont été formés l'an dernier, 80 000 le seront cette année. Nous avons voulu que les sessions de formation soient gratuites, mais les files d'attente sont telles que des formations payantes sont proposées. Je le réprouve. C'est comme si on demandait à un salarié de payer sa formation Les chambres d'agriculture cherchent à résorber les files d'attente, mais tout le monde sera formé dans le délai imparti et je rappelle que le financement de telles formations relève du paritarisme. Il faudrait augmenter l'effort de l'ONEMA. En 2013-2014, on aura presque fini.
Mme Sophie Primas , présidente . - Mais il faudra tout recommencer !
M. Pascal Ferey . - Oui, dans cinq ans. Le premier cycle de formation a concerné 620 000 exploitants. Le nombre de ceux-ci tendant à décliner, ils seront moins nombreux pour le cycle suivant, qui sera aussi plus simple.
La mise en place des chaînes d'observation, des bulletins de santé du végétal (BSV), des fermes DEPHY, aura été achevée en 2012 : après ces investissements, la deuxième étape ne passera pas par des crédits de fonctionnement mais par des solutions alternatives au sein de l'exploitation. Aujourd'hui, on débloque des crédits publics pour les bâtiments d'élevage. Il en existe également concernant les pesticides mais 80 % des agriculteurs n'y sont pas éligibles car les cartographies ont été faites par les agences de l'eau et c'est essentiellement la politique des masses d'eau qui détermine l'affectation des sommes, dans des périmètres très précis. Il est temps d'agir sur tout le territoire, avec des outils très performants.
La F.N.S.E.A. regroupe des employeurs de main-d'oeuvre, qui doivent former leurs salariés. Mais, là encore, le Fonds d'assurance formation des salariés d'exploitations agricoles manque de crédits pour former les 100 000 salariés concernés . L'agriculteur se forme à l'acquisition des produits phytosanitaires, le salarié se forme aux pratiques. Il y a là un sujet d'inquiétude.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles sont vos recommandations ?
M. Pascal Ferey . - Avant tout, discerner les priorités : pour moi, ce sont les maraîchers, les horticulteurs, qui travaillent dans des lieux confinés, ou les arboriculteurs - qui pulvérisent assez largement des produits dans l'atmosphère - qui sont les premiers concernés, avant les céréaliers, qui ne manipulent les pesticides qu'au moment du remplissage de la cuve.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et les viticulteurs aussi ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Le risque phytosanitaire disparaît-il si les agriculteurs sont formés et protégés ?
M. Pascal Ferey . - Arrêtons de parler des médicaments de la plante ! Il y a un terme usuel au niveau européen, c'est « pesticides ». Les pesticides sont des agents dangereux. Il convient de les utiliser avec parcimonie au même titre que le traitement de médecine humaine.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Les agriculteurs sont-ils malades à cause des pesticides ?
M. Pascal Ferey . - L'agriculteur de Charente a un vrai problème de santé certainement lié à l'utilisation de produits phytosanitaires, l' alachlore en l'occurence. Mais toutes les règles d'usage ont-elles été respectées ? De toute façon, le fait que les firmes phytosanitaires aient écrit les précautions à prendre sur le flacon ne doit pas les décharger de toute responsabilité. C'est choquant.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Le Lasso n'est pas interdit en France, certes, mais il l'est partout ailleurs !
M. Pascal Ferey . - Même chose pour les pesticides utilisés par les producteurs de banane dans les départements d'outre-mer.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - N'y a-t-il pas un problème à résoudre concernant la phase de l'homologation des produits ?
M. Pascal Ferey . - Plutôt après, quand il s'agit de réglementer ou d'interdire telle ou telle utilisation. Ainsi la chlordécone , utilisée dans les bananeraies, a été interdite aux Etats-Unis en 1992 mais nous avons traîné sept ans avant de l'interdire en France, pour des raisons purement politiques : dans les DOM, dont je m'occupe depuis vingt ans, il ne faut pas faire de vagues, et, même si l'on y voit des pratiques peu recommandables pour le traitement aérien sur la banane, on ne dit rien pour éviter le blocage des ports et de l'économie de toute une île...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Est-il impossible que des agriculteurs soient malades des pesticides ?
M. Pascal Ferey . - Non, mais les premiers agriculteurs atteints sont plutôt les éleveurs, qui utilisent des biocides dans les bâtiments , aussi toxiques pour l'homme, aussi agressifs que des pesticides. Les membres du Groupement de Recherche en Économie Quantitative d'Aix-Marseille (GREQAM) le reconnaissent : les pathologies les plus récurrentes affectent les éleveurs.
M. Henri Tandonnet . - Quels sont les produits toxiques concernés ?
M. Pascal Ferey . - Les virocides.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Est-il exact que la F.N.S.E.A. a voté contre la reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle lors de la réunion de la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture ?
M. Pascal Ferey . - Oui, car on ne dispose pas d'éléments suffisants pour imputer cette maladie entièrement aux pesticides. Certains professeurs sont dubitatifs. Je souhaiterais du reste qu'on entende moins les ténors du barreau, et davantage les vrais scientifiques, la MSA et d'autres services de santé sur ces questions : quand les liens de causalité seront avérés, nous accepterons le classement en maladie professionnelle . Mais faut-il vraiment rechercher systématiquement un délit ? On incrimine telle ou telle société. Pour ma part, j'ai utilisé du Lasso ... en suivant bien sûr les instructions inscrites sur l'emballage. Vous ne laissez jamais une bouillie en agitation au soleil pendant des heures. Quand la bouillie est en agitation vous ne mettez pas votre nez dessus pour voir quel fumet elle a !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - N'est-ce pas, tout de même, un produit interdit ?
M. Pascal Ferey . - Ni en France, ni en Europe. Mais c'est une question politique : aux autorités d'agir ! Quant à moi, comme utilisateur, je n'emploie que des produits qui ont obtenu une AMM.
M. Joël Labbé . - Vous voulez donner la parole aux « vrais scientifiques ». Mais nombre d'entre eux appellent comme vous au débat !
M. Pascal Ferey . - Je suis membre du Haut Conseil des biotechnologies et je souhaite que les sommités du monde médical et de la recherche se concertent, à l'abri de toutes les pressions, de tous les groupes d'influence, afin d'éclairer la décision politique.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui réunir ? Lors d'un colloque récemment tenu au Palais de Luxembourg, le Pr Charles Sultan, M. Pierre Lebailly se sont exprimés. Or, leurs propos font polémique alors qu'ils se bornent à remarquer de forts taux de cancers en cas d'expositions croisées.
M. Pascal Ferey . - Je ne proposerai pas de noms, d'autant que les débats sur ce point sont vifs au sein de la F.N.S.E.A. Mieux vaut faire confiance au pouvoir politique, à l'ANSES, pour organiser ces débats, que demander leur avis à la F.N.S.E.A. ou à la Confédération paysanne !
Mme Sophie Primas , présidente . - Tous les experts sont passionnés, y compris le Pr Sultan...
M. Pascal Ferey . - Et le Pr Narbonne au sujet des organophosphorés ! Je préfère faire confiance aux scientifiques, à condition que le choix final revienne aux politiques.
M. Joël Labbé . - C'est le but de notre mission d'information.
M. Cédric Poeydomenge, directeur adjoint de l'Association générale des producteurs de maïs . - Il y a la molécule, mais aussi la façon de l'utiliser. Si l'on veut réduire la quantité de produits phytosanitaires employés, il ne faut pas fermer la porte au progrès et à l'innovation : traiter au bon moment, au bon endroit, avec des quantités plus faibles, s'intéresser aux traitements de semence, ainsi qu'aux OGM, même si c'est un mot tabou...
M. Pascal Ferey . - Le débat fait rage autour de l'épandage aérien .
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous avons organisé une table ronde sur le sujet, le 10 avril dernier.
M. Pascal Ferey . - Autre sujet : l'encapsulage des semences.
Nous étions favorables au durcissement de la réglementation sur l'épandage aérien, car il fallait corriger les débordements. La France a pris des décisions courageuses. Nous souhaitons que cette pratique perdure, dans les conditions prévues par la réglementation.
Mme Sophie Primas , présidente . - On est passé de l'autorisation à l'interdiction, sauf dérogations.
M. Joël Labbé . - Les avantages de l'épandage aérien sont discutables... Il est, en outre, indispensable d'informer les riverains, ce qui est loin d'être toujours le cas.
M. Pascal Ferey . - C'est pourtant la règle, depuis l'année dernière.
M. Cédric Poeydomenge . - Moins de 3 % des surfaces de maïs en France sont traitées par épandage aérien. Mais, pour le maïs doux, c'est indispensable si l'on veut éviter que le consommateur ne retrouve des larves dans les boîtes de maïs ! Sur certaines zones, l'épandage aérien est le meilleur moyen pour intervenir à l'instant T. Lorsqu'il a plu, on ne peut utiliser l'enjambeur tant que les sols ne sont pas portants ; si le terrain est en pente, son utilisation peut être périlleuse. En Aquitaine et en Midi-Pyrénées, nous avons mis en place un réseau de piégeage de parasites - pyrale, sésamie et héliothis (insectes ravageurs) - afin de déterminer le meilleur moment pour traiter.
En revanche, dans les zones périurbaines ou à proximité de sites sensibles, le traitement se fait, bien entendu, par enjambeur terrestre. Le traitement aérien est cantonné à des parcelles spécifiques, qu'il s'agisse de culture conventionnelle ou biologique, ces dernières étant traitées par épandage aérien avec le bacillus thuringiensis ou Bt (insecticide biologique).
M. Pascal Ferey . - Même chose dans les DOM pour la banane. On n'a pas trouvé à ce jour d'alternative à l'épandage aérien. Il s'agit d'huiles, nécessaires pour préserver l'activité des produits antifongiques. La cartographie proposée par le Groupe de Recherche et d'Action sur le Foncier (GRAF) est précise : demain, 25 % ou 30 % de la surface seront abandonnés, on n'y fera plus de banane .
M. Joël Labbé . - Vous prônez donc la recherche publique sur les alternatives .
M. Pascal Ferey . - La recherche, publique et privée !
M. Joël Labbé . - Une recherche indépendante, dotée des moyens nécessaires ?
M. Pascal Ferey . - Elle doit être indépendante, mais il faut associer étroitement recherches privée et publique. Un divorce entre les deux nous ramènerait vingt ans en arrière ! À la commande publique de donner le la, de déterminer les actes de recherche.
M. Joël Labbé . - Sur commande politique, donc.
M. Pascal Ferey . - Quand j'ai abandonné le labour, j'ai travaillé pendant cinq ans à l'aveugle, au risque du surdosage, faute de bibliographie...
La France est confrontée à la concurrence des pays du sud de la Méditerranée : avant cinq ans, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales seront produites au Maroc, car nous n'avons plus de produits pour les traiter chez nous !
Le Grenelle a complété la liste européenne de 1991. Nous sommes aujourd'hui dans une impasse technique, faute de produits homologués. Les firmes ne veulent plus déposer d'AMM, car le marché n'est pas suffisamment porteur. Nous pensions que les règles de réciprocité des connaissances permettaient leur utilisation... À tort. Un exemple : les Italiens ont les moyens de procéder au désherbage du riz, nous pas, car la France refuse de donner son feu vert.
Mme Sophie Primas , présidente . - Si la France ne peut plus produire de riz, sera-t-elle conduite à importer son riz d'Italie ?
M. Joël Labbé . - A contrario , un produit comme le Cruiser est autorisé en France alors qu'il est interdit en Italie ou en Allemagne.
M. Pascal Ferey . - Cette prudence se comprend quand il s'agit d'un insecticide, mais je parle ici d'herbicides ! On pêche par tempérament : en France, c'est tout ou rien ! La clé d'une agriculture à la fois compétitive et protectrice de l'environnement, c'est le développement durable. Si l'on va jusqu'au bout de la logique actuelle, il faut interdire le riz italien ! Je vous souhaite bon courage.
M. Joël Labbé . - Il faut au moins harmoniser la réglementation au niveau européen.
M. Cédric Poeydomenge . - Nous subissons la concurrence intracommunautaire. Il faut renforcer et harmoniser la réglementation, au moins au sein de l'Union européenne. Et je ne parle pas des nombreux produits utilisés partout dans le monde mais interdits en France depuis plus de vingt ans ... À vouloir toujours laver plus blanc que blanc, nous pénalisons nos agriculteurs et les filières. À la suite des dégâts de l'héliothis sur le haricot vert, les contrats sont partis en Espagne, en Belgique ou en Europe de l'Est !
M. Pascal Ferey . - Les agriculteurs sont responsables de l'utilisation des produits, qui doivent être homologués. Mais on ne parle pas assez des importations parallèles ! Nous n'avons pas les moyens techniques de contrôler ce qui se commande sur Internet.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le phénomène est-il important ?
M. Pascal Ferey . - Il est impossible à chiffrer. S'il est moins important pour les produits phytosanitaires que pour d'autres produits, il existe, et s'accroît. Pas vu, pas pris ! Certains importateurs de produits venant d'Espagne, de Belgique ou d'Allemagne ont pignon sur rue, comme le réseau AUDACE (Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne), fort bien structuré et efficace, qui participe au groupe Ecophyto et est régulièrement entendu au Sénat ! Ce n'est pas acceptable.
Les mesures prises en France pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires vont dans le bon sens, les agriculteurs ont pris le problème par le bon bout. Mais ne laissons pas se développer une économie parallèle, souterraine, incontrôlable !
Que la France veuille montrer l'exemple avec Ecophyto, très bien. Mais la F.N.S.E.A. ne veut pas voir des pans entiers de notre économie détruits par une réglementation trop restrictive, quand nos voisins européens sont autorisés à utiliser des produits qui nous sont interdits !
Mme Sophie Primas , présidente . - De quels produits s'agit-il ?
M. Pascal Ferey . - La bifenthrine (insecticide de la famille des pyréthrinoïdes ) par exemple, inscrite à l'annexe 1 de la directive 91/414 de l'Union européenne. Or la France, qui est rapporteur, s'abstient...
M. Cédric Poeydomenge . - C'est un produit pour lutter contre les insectes du sol.
M. Pascal Ferey . - D'autres produits figurant sur la liste de l'annexe 1 ont été retirés dans celle du Grenelle. Sur ce point, les associations spécialisées de la F.N.S.E.A. n'ont pas d'états d'âme : nous assignerons la France devant la Cour de Justice de l'Union européenne .
Mme Sophie Primas , présidente . - N'existe-t-il pas des produits de substitution ?
M. Cédric Poeydomenge . - Le Cruiser , autorisé en France, lutte contre les taupins dans le maïs, mais le Gaucho et le Régent ont été interdits, car un défaut de pelliculage des semences entraînait une mortalité des abeilles.
M. Joël Labbé . - C'est un raccourci !
M. Cédric Poeydomenge . - Je reprends les termes du jugement du tribunal. Obligés de réduire les matières actives, nous nous retrouvons souvent dans des impasses.
M. Pascal Ferey . - Nous n'avons plus de produits pour lutter contre les ravageurs du sol. Seules deux molécules efficaces ont une AMM, or des résistances se développent. Dans dix ans, le Nord de la France ne produira plus de pommes de terre ! Si la culture est agressée au stade végétatif, elle développera toutes les pathologies imaginables. Un tubercule ou une racine (betterave, carotte, céleri...) attaqués par les taupins ne sont pas commercialisables.
La culture du maïs est vouée aux gémonies, car elle consomme beaucoup d'eau, au mauvais moment. Mais on oublie que c'est la seule culture dont le sol ne s'appauvrit pas en matière organique !
L'encapsulage des semences rendra demain de grands services dans le maraîchage. Dans la Manche, on ne sait plus faire de carotte de sable. Les molécules de désinfection du sol sont soit retirées, soit trop onéreuses. Quant aux Landes, elles ont désormais leur propre nématode : bientôt, il faudra importer nos carottes du Royaume-Uni !
M. Joël Labbé . - Ce n'est pas par plaisir que l'on interdit des molécules ! Si des molécules doivent être interdites pour préserver la santé humaine et l'environnement, la recherche agronomique, qui a trop longtemps été le parent pauvre, trouvera des alternatives.
M. Pascal Ferey . - Le sable est un support inerte. Sans désinfection contre les nématodes, on ne peut rien faire.
M. Henri Tandonnet . - Le problème vient aussi du développement de la grande culture, qui a favorisé la prolifération des insectes. Il y a dix ans, il n'y avait ni carottes, ni nématodes dans les Landes ! On a fait des cultures sur des centaines d'hectares et l'on a amené les problèmes qui vont avec...
M. Pascal Ferey . - On n'y faisait que du maïs !
M. Henri Tandonnet . - On peut cultiver autrement qu'en faisant cinq cents hectares de carottes.
M. Pascal Ferey . - La Manche ne compte pas d'exploitations de cette taille dont une partie en AOC : dans cinq ans on n'y produira plus de carottes.
M. Henri Tandonnet . - Je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'harmoniser la réglementation européenne. Par ailleurs, il est inacceptable que l'on puisse importer des légumes qui ont été traités avec des produits interdits en France et dans l'Union européenne depuis quinze ans !
Mme Sophie Primas , présidente . - Absolument.
M. Pascal Ferey . - Nous sommes pleinement d'accord. Les pouvoirs publics publient chaque année les taux d'anomalies de détection de produits phytosanitaires dans les aliments . N'en déplaise aux médias, on est souvent dans l'épaisseur du trait... Mais les produits concernés sont souvent ceux qui viennent à contre-saison : pourquoi manger des fraises et des haricots verts venant du Kenya à Noël ? Je préfère les marrons !
Ma coopérative, dont la marque commerciale phare est Florette , a été obligée d'importer des salades d'Espagne en pleine saison car, en matière de lutte contre le puceron de la salade, la réglementation française impose de distinguer entre les différents types de salade : laitue, batavia, iceberg, scarole, frisée, etc. Dans le reste de l'Union européenne, on s'en tient au terme générique de « salade ». En 2011, nous avons ainsi perdu plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires, faute d'avoir pu lutter contre le puceron. Quand il achète une salade de 4 ème gamme (produits végétaux frais, commercialisés prêts à l'emploi, c'est-à-dire lavés, épluchés et découpés. Ce sont les salades, crudités variées, mélanges de légumes à cuire... conditionnés en sachet plastique), le consommateur ne veut pas retrouver de la protéine carnée entre ses feuilles ! Idem pour les carottes de 4 ème gamme : les bâtonnets qu'on savoure à l'apéritif doivent être impeccables. On importe donc des carottes de sable du Royaume-Uni...
M. Joël Labbé . - On propose au consommateur des produits stéréotypés. Il y a là un axe de travail.
M. Pascal Ferey . - Si vous pouviez convaincre M. Leclerc de changer ses pratiques ! Allez donc un samedi après-midi dans n'importe quelle enseigne de la grande distribution , où les produits phytosanitaires sont en vente libre, et cherchez donc le vendeur formé qui devrait obligatoirement être présent dans le rayon pour vous conseiller ! Quand j'ai fait l'expérience en achetant du Roundup , seule la caissière a pu me renseigner !
M. Joël Labbé . - C'est la même chose dans toutes les jardineries.
M. Pascal Ferey . - Le Grenelle a imposé une règle, qui est bienvenue. Mais pourquoi stigmatiser le monde paysan ? Il faut encadrer la vente, former les vendeurs.
Je salue les efforts faits par la S.N.C.F., ainsi que par les collectivités pour les routes. L'ensemble de la chaîne doit oeuvrer pour une utilisation raisonnée des pesticides.
M. Joël Labbé . - Des pesticides acceptables !
M. Pascal Ferey . - Je n'utilise que les produits qui ont reçu une AMM.
M. Cédric Poeydomenge . - Il ne faut pas opposer les moyens de lutte entre eux. Arvalis expertise des méthodes de lutte alternatives, par exemple contre la pyrale. Mais en attendant la solution, on ne peut pas se permettre de passer deux ou trois années blanches, car la concurrence est féroce sur un marché mondialisé !
M. Joël Labbé . - En effet. Une régulation, européenne d'abord, mondiale ensuite, est nécessaire.
M. Cédric Poeydomenge . - On ne peut pas interdire une molécule en espérant trouver une alternative par la suite ! Il faut assurer le maillage.
M. Pascal Ferey . - Il faut investir fortement dans la formation des jeunes des lycées agricoles . Pour ma part, j'ai quitté l'école à seize ans, sans formation aucune. Président de l'EPLEFPA (établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricoles) de Coutances, spécialisé dans la conchyliculture et le maraîchage, j'ai élaboré deux projets, avant de capituler au bout de deux ans : il était impossible de changer les programmes de formation. Techniquement, nous sommes parmi les meilleurs. Mais nous avons avant tout besoin de savoirs ! Les jeunes doivent recevoir, au lycée agricole ou au CFA, un véritable programme d'approche rénové. En 1975, la référence était Dominique Soltner. C'est toujours le cas aujourd'hui ! Or la connaissance de la plante ne suffit pas, il faut aussi apprendre à l'accompagner, à la protéger. C'est par la formation des jeunes que nous corrigerons les excès de la croissance agricole de ces dernières décennies.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et par la recherche fondamentale.
M. Pascal Ferey . - Les agriculteurs de demain sont dans nos lycées. Il faut leur enseigner les savoirs... et les langues !
Le débat est passionné et passionnant. Le comité de gouvernance du plan Ecophyto 2018, dont je suis membre, se réunit prochainement. Les chambres d'agriculture, les syndicats sont très impliqués. Il faut orienter les crédits pour que le plan Ecophyto 2018 soit une réussite.
Mme Sophie Primas , présidente . - Au sujet des pesticides, quelles sont vos divergences de vues avec la Confédération paysanne , que nous entendrons également ?
M. Pascal Ferey . - Un gouffre ! Sur ce sujet, nous avons une opposition culturelle. Je le dis souvent à M. François Dufour, qui est un ami : l'estuaire de la Gironde est le plus pollué en métaux lourds ! La bouillie bordelaise est peut-être naturelle, mais elle entraîne une pollution au cuivre !
M. Joël Labbé . - Ne généralisons pas. Il serait intéressant d'organiser une audition contradictoire entre vos deux organisations.
M. Pascal Ferey . - Aucun problème !
Je suis producteur de lait en AOC. Le Grenelle a mis l'accent sur l'agriculture bio, et a eu l'intelligence d'organiser le marché avant la production. Mais attention : le bio cannibalise aujourd'hui les autres produits sous signe de qualité , dont la part demeure d'environ 20 %. Le camembert bio cannibalise le camembert fermier. Pour 100 000 tonnes de camembert conventionnel, Coeur de Lion et autres, il y en a 10 000 tonnes sous signe de qualité ; l'AOC n'en représente que 4 200 tonnes, contre 20 000 il y a six ou sept ans ! Il faut gérer le marché, organiser les producteurs.
Mme Sophie Primas , présidente . - C'est votre rôle !
M. Pascal Ferey . - La Confédération paysanne ne facilite pas les choses... Il faut éviter que le bio ne soit utilisé par la grande distribution comme produit d'appel, comme cela est le cas pour le carburant. Il est impossible de faire du bio au prix du conventionnel !
M. Joël Labbé . - C'est la force de la grande distribution...
Mme Sophie Primas , présidente . - Pour faire face aux cinq enseignes de la grande distribution, il ne faut pas être plus de dix producteurs. À vous de vous organiser !
M. Pascal Ferey . - Je l'ai dit à M. Denis Baupin : s'il veut nourrir la population parisienne avec les AMAP (Associations pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne) , il faudra réintroduire les tickets de rationnement ! Les circuits courts ne nourriront pas tous les Français, mais il faut les organiser, diversifier la production, sans opposer biologique et conventionnel.
Dans les grands bassins maraîchers de production, si l'on réduit l'utilisation de produits phytosanitaires, il faudra espacer les exploitations, faute de quoi on ne pourra lutter contre les ravageurs.
Audition de M. Jean-Paul Cabanettes, inspecteur général des ponts, des eaux et des forêts, et M. Jacques Février, inspecteur général de la santé publique, au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (15 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Après les tumultes des semaines passées, nous reprenons nos auditions. Nous avons, Messieurs, beaucoup de questions sur la vigilance post-autorisation de mise sur le marché (AMM) et sur la veille relative aux produits phytopharmaceutiques, ainsi que sur l'indépendance financière des bureaux d'études et des laboratoires travaillant pour l'industrie phytopharmaceutique.
M. Jean-Paul Cabanettes, inspecteur général des ponts, des eaux et des forêts au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). - La mission sur le suivi des produits phytopharmaceutiques après autorisation de mise en marché (juin 2011) a été menée par trois personnes, qui appartiennent au ministère de l'agriculture. J'ai en effet travaillé avec M. Jacques Février, inspecteur général de la santé publique vétérinaire, et M. Dominique Fabre, inspecteur général de l'agriculture.
Le conseil général, qui est l'équivalent d'une inspection générale de ministère, exerce en outre une mission d'évaluation et de conseil des politiques, ainsi que de formation. Il n'est pas rattaché fonctionnellement à une direction générale : nous sommes saisis par le ministre de missions diverses. Notre lettre de mission, qui définit le périmètre des investigations, est annexée à notre rapport. Nous ne sommes pas toujours informés de ce qui se passe ensuite.
Ainsi, après les affaires liées au Mediator, nous avons été saisis par le ministre d'une évaluation relative aux produits phytosanitaires, indépendamment d'une autre mission sur les médicaments vétérinaires. Impliquant les trois corps d'inspection, la mission s'est déroulée de janvier à juin 2011. Elle ne concernait pas l'AMM mais le post-AMM.
Que se passe-t-il après l'autorisation des produits ? Lors de l'attribution de l'AMM, les ministères concernés (santé, environnement) peuvent demander à la société qui commercialise le produit de fournir des études complémentaires dans un délai donné ; les résultats serviront lors du renouvellement de l'autorisation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ces études sont-elles demandées aux industriels ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Aux pétitionnaires. Ce ne sont pas toujours les industriels.
Un produit phytopharmaceutique comporte des substances actives qui doivent figurer sur la liste positive autorisée au niveau européen. L'inscription sur la liste peut être assortie de recommandations, que l'État membre qui délivre l'AMM reprend généralement : il faut que les substances actives soient autorisées pour que le produit reçoive une AMM. Il peut, en outre, demander des études complémentaires.
Le détenteur de l'AMM est dans l'obligation de signaler toute anomalie, incident de fabrication, de transport, incident toxicologique...
Mme Sophie Primas , présidente . - Le font-ils de manière spontanée ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Ils en ont l'obligation.
Troisième source d'information : les suivis sur les pesticides réalisés par des opérateurs, comme ceux réalisés par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage sur la mortalité des animaux qui pourrait être liée aux pesticides. Quantité d'analyses sont également effectuées sur les eaux.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment ces analyses remontent-elles au ministère ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - La difficulté réside précisément dans la remontée et l'analyse de cette masse d'informations dans un lieu où les alertes pourraient être données et des décisions prises. Il faut trier entre les signaux, faibles ou redondants, sous différents formats.
Voilà les données sur lesquelles peuvent s'appuyer la vigilance et notre évaluation. Ces sources externes sont de très bonne qualité même si elles n'ont pas été bâties pour suivre l'AMM.
Pour les fruits et légumes aussi, les 2 000 à 3 000 analyses de résidus dirigées chaque année par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de l'alimentation (DGAL) sont d'un bon niveau méthodologique. L'enjeu est de tirer quelque chose de ce foisonnement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qu'en fait-on ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Les plans de contrôle des deux services régaliens sont alimentés par leurs plans de surveillance : ils autorisent de cibler les contrôles là où les anomalies sont les plus vraisemblables. Le réseau des MSA, Phyt'attitude, procède à des enquêtes en cas d'accident. Son travail est de qualité ; toutefois, comme la procédure est volontaire, l'échantillon des incidents manque de représentativité.
M. Jean-François Husson . - Ces accidents demeurent un sujet tabou. Une récente décision de Justice vient de couronner l'action d'un agriculteur de Meurthe-et-Moselle, M. Dominique Marchal , que je connais bien, et qui s'est battu seul. Il a suivi un véritable parcours du combattant. Les agriculteurs sont mal protégés , car ils devraient se déguiser en cosmonautes dans leurs champs pour être vraiment à l'abri des pesticides. Il faut aller vite dans l'appréciation des risques auxquels ils sont exposés car leur vie peut basculer du jour au lendemain.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui effectue les études post-AMM ? L'objectivité en est-elle garantie ? Les signalements des anomalies sont-ils effectifs ?
M. Jacques Février, inspecteur général de la santé publique (CGAAER) . - Les études sont fournies par le pétitionnaire de l'AMM.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourquoi ne pas recourir à un organisme choisi par l'État ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Les laboratoires capables de mener les études sont très peu nombreux (deux ou trois) , et les sociétés privées ont des contrats avec eux. Cette situation est problématique. Sont-ils juges et parties ? Je ne le pense pas. Donnent-ils des garanties à cet égard ? Non, puisqu'ils ont eu des contrats privés ou européens. Peut-être faudrait-il déconnecter la commande de la société ?
L'on pourrait imaginer que la société pétitionnaire verse, pour le suivi de la molécule, une contribution à un tiers sur le modèle des anciens comptes spéciaux du Trésor.
Mme Sophie Primas , présidente . - Peut-on envisager un test à l'aveugle ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Les produits peuvent être dangereux ! En général, les dossiers sont numérotés, mais il ne serait guère difficile à un spécialiste d'identifier le produit, même numéroté par la fiche signalétique.
Nous suggérons un contrôle de deuxième niveau. L'on peut envisager, en plus des études produites par le détenteur de l'AMM, des contrôles de deuxième rang par sondage, une investigation dans les sociétés pétitionnaires et dans les laboratoires pour vérifier que tous les moyens ont été mis en oeuvre et les résultats publiés. Le travail serait considérable, mais cette possibilité serait utile et fournirait des garanties supplémentaires. Produit-on toujours tous les essais effectués, ou se borne-t-on à présenter les dix requis ? Nous ne l'avons jamais su et il est actuellement difficile de le savoir.
Quant au signalement, depuis le 14 juin 2011, un règlement fixe les obligations en la matière et met clairement celui-ci à la charge du pétitionnaire. Dans le passé, ce signalement était mal organisé ; il convient donc de mieux l'organiser, et de le rendre systématique.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cela n'est-il donc pas encore le cas ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Tout incident constaté sur le produit doit être rapporté. L'obligation réglementaire est claire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment traiter toutes ces données ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - En codifiant les points de vigilance, en les détaillant. Les sociétés dont le siège est aux États-Unis d'Amérique ont une obligation de signalement à l'administration fédérale, y compris pour des incidents intervenus en France. Pourquoi ne pas faire de même ?
Écophyto aboutit à l'obligation d'un agrément des conseillers agricoles pour les produits phytosanitaires. Nous avons suggéré de conjuguer agrément et signalement, la clé étant la perte de l'agrément en cas d'absence de signalement . Nous avons de très importants progrès à accomplir quant au signalement.
M. Jacques Février . - Ce qui me frappe, par analogie avec les vétérinaires, qui prescrivent, c'est l' absence de responsables au niveau de l'usage des produits phytosanitaires commercialisés . Une fois que l'entreprise a montré patte blanche pour entrer sur le marché, les agriculteurs emploient des produits sans que personne ne soit responsable de l'opportunité du traitement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'agriculteur qui appose sa signature au bas du Certiphyto n'endosse-t-il pas, seul, la responsabilité ?
M. Jacques Février . - Cela n'est pas compris comme cela. En a-t-il d'ailleurs toutes les compétences ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Non !
M. Jacques Février . - Il faut quelqu'un au-dessus pour prendre la responsabilité en toute connaissance des produits.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Où situeriez-vous la responsabilité ?
M. Jacques Février . - Voyez les vétérinaires, qui prescrivent en fonction de leurs compétences. Pour les produits phytosanitaires, l'on a besoin d'intervenants qui prescrivent le produit toxique et les quantités et l'on manque d'une responsabilité bien définie et identifiée.
M. Jean-François Husson . - Il y a bien la responsabilité civile, en cas de mauvais usage ou de mauvaises conditions de stockage, qui porteraient atteinte à la santé ou à l'environnement. Il y a aussi l'impact diffus, au fil du temps, lié à un usage normal. Mais qui contrôlera ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Il y a eu une AMM ! Un distributeur, un agriculteur, peuvent-ils être responsables d'une molécule évaluée et autorisée ?
M. Jean-François Husson . - Et quelle serait la différence par rapport au cas du vétérinaire ?
M. Jacques Février . - Quelqu'un signerait la prescription et serait donc sensible aux incidents qui apparaîtraient... Il serait plus apte à traiter et à relayer les signaux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le contre-exemple est le Mediator ! Les médecins ont tous signé leur ordonnance !
M. Jacques Février . - Tout le monde était dans la boucle.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pour les produits phytosanitaires, le volet économique semble primer sur le volet santé.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Les substances actives relèvent de la Commission européenne ; les produits mis sur le marché relèvent des États membres. Quand le ministère de l'agriculture prend une décision sur le dossier du pétitionnaire, il prend l'avis des ministères chargés de la santé et de l'environnement. Dans le passé, il existait un comité d'homologation où siégeaient des représentants de chaque instance. Désormais, chacun donne son avis et l'on ne se rencontre qu'en cas de désaccord. Pour une modification d'usage ou un retrait d'AMM, la procédure serait parallèle. Il serait impensable de méconnaître l'impact sur la santé et l'environnement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Alors pourquoi les agriculteurs ont-ils tant de mal à faire reconnaître le lien entre leurs maladies et les produits ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Je n'ai pas la compétence scientifique pour vous répondre.
M. Henri Tandonnet . - Certaines maladies se manifestent progressivement. Tous les agriculteurs ne sont pas malades et toutes les molécules ne sont pas toxiques. Il y a un tri à faire, on ne peut supprimer l'usage de toutes les molécules.
Mme Sophie Primas , présidente . - Certains effets apparaissent après vingt ans d'excès d'utilisation de produits phytosanitaires.
Quelles sont vos recommandations afin que l'on ne passe plus à côté de signalements ? Quel système d'information mettre en place ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - On sait que ce n'est pas la dose qui fait le poison.
Mme Sophie Primas , présidente . - Même s'il y a certains effets dus à la dose.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Au-delà de l'obligation de signalement, il faut responsabiliser les sociétés et récupérer les informations des réseaux extérieurs. Ce n'est pas le manque, mais la quantité d'information qui pose problème. Le savoir-faire pour la traiter s'est fortement accru depuis dix ans. Il est possible d'agréger les données. Nous suggérions de distinguer l'évaluateur et le décideur : que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) fasse l'évaluation et la veille, sur la faune sauvage, la santé, l'environnement . Les centres antipoison, par exemple, représentent des sources d'information très importantes non traitées actuellement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Beaucoup de données ne sont donc pas exploitées ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - L'on doit mettre en place un système d'information mécanique et dynamique, qui implique les opérateurs publics, les agences de l'eau, etc. Un minimum de traitement des données permettrait de faire apparaître les signaux collectés par ces opérateurs.
La veille scientifique et technique serait également mieux organisée, afin de minimiser le risque en utilisant les informations fournies dans les publications : la conjonction de présomptions garantit que les mailles du filet ne seront pas trop larges afin de minimiser le risque. Il y a aussi des informations judiciaires sur les contrefaçons, sur les importations illégales entre les mains des procureurs. Toutes ces données, traitées et regroupées, produiraient des recoupements.
On a créé un Observatoire des résidus des pesticides (ORP) au sein de l'ANSES mais ce sont seulement trois agents qui réalisent des études, au demeurant très bonnes.
M. Jacques Février . - Cela ne suffit pas.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Je prône plus d'automatisation du dispositif, quitte à enquêter sur certains points.
M. Jacques Février . - Le site de l'ORP est rassurant mais, derrière, il n'y a que trois personnes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Votre recommandation porte plus sur l'ingénierie de l'information.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Absolument. Le site de l'ORP est très bien fait, mais cet observatoire n'a pas été établi de manière suffisamment concertée pour que tous les intervenants s'y impliquent. La réponse passe moins par la structure que par la conjonction de la remontée des informations.
M. Henri Tandonnet . - Les agriculteurs font confiance aux AMM qui sont supposées les mettre à l'abri du danger. Mais ils utilisent de moins en moins de produits, et à meilleur escient.
M. Jean-Paul Cabanettes . - La formation s'est améliorée.
Mme Sophie Primas , présidente . - La recherche aussi.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Je me rappelle avoir vu des viticulteurs traiter les vignes avec de l' arsénite de soude en janvier. Surtout, une meilleure formation a accru le niveau de sensibilité au risque. On sait aujourd'hui que le risque ne dépend pas toujours des quantités. Il faut faire la part des pollutions ponctuelles et celle des pollutions diffuses, issues d'un usage normal, strictement respectueux de la réglementation, mais avec des effets pervers sur l'environnement et sur la santé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Aujourd'hui, il faut dépolluer.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Le Roundup , à base de glyphosate , commence à poser un très sérieux problème car on ne pourra admettre de continuer à dépolluer les rivières à grand frais. Les coûts induits sont très importants, le dossier toxicologique de ce produit s'épaissit et, d'après mon expérience, il existe toujours des solutions alternatives si on s'en donne le temps. Supprimer un produit ne cause pas tant de difficultés que cela.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des études ont montré qu'on pouvait supprimer 30 % de ces produits sans que la production baisse.
Mme Sophie Primas , présidente . - On comprend les réticences des agriculteurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et de l'industrie.
M. Jean-Paul Cabanettes . - L'application des produits phytosanitaires vise à traiter des parasites, comme un médicament pour les maladies. Mais avant de prendre un médicament, on réfléchit aux causes de la maladie, on voit si l'on peut faire autrement. Il faut recourir au raisonnement agronomique. Les prédateurs naturels des parasites peuvent faire le travail des produits.
On traite les symptômes sans s'attaquer aux causes. La lutte biologique a pourtant résolu des problèmes que la chimie ne savait pas traiter. Ainsi pour les parasites des tomates de la coopérative Saveol en Bretagne. On peut reposer les problèmes en faisant appel au savoir-faire de la science agronomique.
M. Jean-François Husson . - Dans la commercialisation d'un produit, l'aspect pratique domine généralement. Dans les collectivités territoriales , on essaie le désherbage manuel mais il provoque des pathologies musculo-squelettiques chez les agents municipaux !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les conseillers des coopératives agricoles font-ils remonter les informations au ministère ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - Ils seront bientôt soumis à la certification du conseil. Leur agrément sera sans doute assorti d'une obligation de signalement, et ils ne seront pas des vendeurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Aujourd'hui, celui qui conseille est celui qui vend.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Le conseil sera écrit.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quid des produits phytopharmaceutiques utilisés par les particuliers ? Je l'ai vérifié : il n'y a pas de conseillers dans les jardineries ! Le dimanche, on a affaire à de jeunes étudiants non formés qui lisent la notice, pas plus.
M. Jean-Paul Cabanettes . - Ces produits pour jardin font l'objet d'AMM également.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui fait remonter les informations sur les accidents ?
M. Jean-Paul Cabanettes . - La société qui a mis le produit sur le marché. L'agrément concernera aussi le conseil donné aux particuliers et le conseil prodigué devra être écrit afin d'assurer sa traçabilité.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition de M. Jean Sabench, responsable de la commission pesticides à la Confédération paysanne, et de Mme Suzy Guichard, de la Confédération paysanne (15 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Soyez les bienvenus. Nous nous préoccupons de la santé des personnes en contact direct avec les pesticides. Nous avons entendu d'autres syndicats représentatifs du monde paysan. Quel est votre jugement sur l'utilisation des pesticides, sur le plan Écophyto 2018, sur Certiphyto ? Quelles sont vos recommandations ?
M. Jean Sabench, responsable de la commission « pesticides » à la Confédération paysanne . - Depuis douze ans, nous réfléchissons au sujet des pesticides. Cela a commencé par les apiculteurs, je le suis moi-même, puis avec les paysans voisins. Nous avons discuté avec des médecins, des épidémiologistes, des spécialistes de l'environnement. Il s'agit de prendre conscience de la dangerosité de ces produits et de leur impact sur l'environnement.
Il faut réduire au maximum l'utilisation des pesticides. Il ne s'agit pas de stigmatiser ceux qui les emploient. Ils sont dans un circuit d'où il est difficile de sortir. Il faut donc les aider à en prendre conscience et à évoluer. Dans ce but, nous avons organisé, il y a deux ans, un colloque sur la réduction des pesticides, avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Vous le voyez avec les actes du colloque que je vous remets : « Pourquoi changer ? », puis « Comment changer ? », nous demandions-nous, en prônant le dialogue entre paysans et chercheurs. À la suite de ce colloque, nous avons édité une plaquette explicite : « Pesticides, on peut s'en passer ! » - j'aurais même dit qu'on doit s'en passer.
Nous sommes en accord avec les objectifs du plan Écophyto . Réduire de 50 % les pesticides à l'horizon 2018, oui ; mais il a été ajouté : « si possible ». Ce bémol pose problème !
Réunir les commerçants et les producteurs de pesticides autour de la même table que les agriculteurs pose aussi problème. Pourquoi réfléchiraient-ils à la manière de réduire de 50 % leur chiffre d'affaires ? 50 % en 2018, c'est éminemment souhaitable mais l'on a fait + 3 % en 2011 . L'on n'y parviendra donc qu'en changeant de méthode. Ceux qui ne veulent pas évoluer nous disent que les agriculteurs ont déjà fait beaucoup d'efforts, et sont confortés dans leur position en entendant « L'environnement, ça commence à bien faire ! ». Alors on s'interroge sur la volonté politique d'évolution. A noter qu' on prend comme référence les groupes d'agriculteurs gros utilisateurs de pesticides .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qu'est-ce à dire ?
M. Jean Sabench . - Dans Écophyto...
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'est-ce à dire ?
M. Jean Sabench . - Il est regrettable que l'on n'ait pas pris comme point de référence des gens qui en utilisent moins.
Mme Sophie Primas , présidente . - On a retenu ceux qui pouvaient réduire le plus.
M. Jean Sabench . - Ils le doivent... et ça aide à obtenir un bon résultat. Il est impératif de devenir plus économe.
L'alternative aux pesticides, c'est l'agronomie , le bon sens paysan. On a industrialisé l'agriculture après la Seconde Guerre mondiale parce qu'il fallait nourrir les gens, mais on est allé trop loin et l'on a oublié des fondamentaux . Le sol n'est pas qu'un support où l'on amène les aliments. On a éliminé les haies. On fait de la monoculture. Il faut au contraire pratiquer les rotations de culture, remettre en place la vie du sol. L'azote chimique tue une partie des éléments vivants. L'humus donne un sol plus souple, plus humide. Il y a des semences sélectionnées pour tolérer un haut niveau d'intrants ; les semences paysannes peuvent avoir des rendements intéressants si on les utilise différemment. L'aspect bioclimatique est important, de même que la diversité au sein de la parcelle. La céréale associée à la luzerne réduit les besoins en apports chimiques, par exemple. La moutarde limite le travail de labour. Mais quand on ne produit pas que des céréales, on rencontre un problème de commercialisation des produits, il faut alors trouver des marchés, ce qui complexifie l'exploitation agricole.
Ce qui se passe autour de la parcelle importe aussi. Il faut faire en sorte que les prédateurs puissent vivre : 80 % vivent à côté et sont efficaces à 40 mètres de la limite. C'est difficile autour des très grandes parcelles. On n'a pas besoin de changement fondamental pour réduire de 30 % l'utilisation des pesticides. Si l'on veut réellement aller à 50 % voire au-delà, il faut concevoir l'agriculture autrement.
Pour que le bio progresse nettement, il est indispensable de mener des recherches dans ce domaine, ce qui suppose une réorientation. Or, lors de la dernière réunion Écophyto tous les exemples cités venaient de l'agriculture bio. On peut développer celle-ci, tandis que l'agriculture conventionnelle utiliserait ses techniques pour réduire l'emploi de pesticides.
La France ne réalise pas totalement la politique européenne. Une bonne partie d'Écophyto 2018 c'est la transposition de la directive de 2009.
La nouvelle réglementation prévoit que l'autorisation donnée à un produit dans un pays de la zone vaut, sauf opposition, dans tous les autres pays. Quant à la surveillance biologique, loin d'avoir constaté son renforcement, nous regrettons la disparition du dernier conseil neutre, celui des avis des services régionaux de la protection des végétaux , qui n'étaient absolument pas liés au négoce des pesticides.
M. Henri Tandonnet . - Des avis existent encore !
M. Jean Sabench . - Oui, et il faut qu'ils soient diffusés. Cependant les services régionaux donnaient des conseils neutres. Les avis émanent maintenant d'autres services, il y a eu un changement d'organisation.
M. Jean-François Husson . - Ce n'est pas pour autant moins objectif.
M. Jean Sabench . - Cela peut l'être ! Le premier conseil est donné par les personnes qui font le négoce et la vente.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce sont pourtant des métiers différents.
M. Jean Sabench . - On a séparé, à juste titre, les fonctions de pharmacien et de médecin. Cela me paraît plus sain. Pour les produits phytosanitaires, négoce et conseil sont mêlés.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il reste des organismes qui continuent à donner un avis...
Mme Suzy Guichard (Confédération paysanne) . - On nous dit que les services de l'État sont moins écoutés que ceux des fabricants ou vendeurs de pesticides.
M. Jean Sabench . - Le Certiphyto est un programme positif. Tout dépend de la formation : qui la fait ? Qui intervient ? Dans une coopérative, on expliquait que pour éviter les pesticides, il fallait recourir aux OGM ! Le programme doit être plus encadré et, si possible, indépendant des organismes commerciaux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui vous paraît le plus légitime ?
M. Jean Sabench . - Les lycées agricoles, malgré le manque de personnel, les chambres d'agriculture aussi, quand elles ne font pas un commerce de la formation. Cependant il est positif d'informer les gens.
M. Jean-François Husson . - Ils prennent conscience du danger...
M. Jean Sabench . - Bien sûr, les progrès sont réels. Quand j'étais jeune, j'aidais durant l'été mon père, maraîcher du côté de Perpignan. Je portais short et sandales et nous utilisions des produits dont les dangers et les risques n'étaient pas suffisamment connus.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Aujourd'hui, l'agriculteur connaît-il les risques et n'y en a-t-il pas davantage qu'hier ?
M. Jean Sabench . - Il est difficile de ne pas entendre certaines informations mais les faire siennes, les intégrer dans ses méthodes de travail, c'est autre chose. Les agriculteurs ne parlent jamais de ces questions entre eux. Ce sont les télévisions qui en parlent et les agents de la MSA, les techniciens.
Mme Sophie Primas , présidente . - N'est-il pas difficile de remettre en cause des pratiques encensées et enseignées pendant si longtemps ?
M. Jean Sabench . - C'est un débat que nous avons eu lors du colloque que j'ai évoqué : attention à ne pas stigmatiser les paysans ! Un changement culturel est nécessaire. Il n'est pas facile de changer, de travailler, de réfléchir autrement, de trouver les nouveaux débouchés rendus nécessaires par la rotation des cultures. On peut réduire de 30 % sans modifier profondément ses habitudes. Mais si l'on veut réduire davantage, il faut changer fondamentalement.
L'évaluation des produits phytosanitaires lors de l'AMM prend en compte uniquement les études fournies par l'industriel et non les résultats de la recherche publique. Ces études sont couvertes par le secret industriel, qui doit être levé pour que l'on ait accès aux données. Il est anormal d'avoir à saisir la Commission d'accès aux documents administratifs. Pourquoi ce qui concerne la santé et l'environnement serait-il secret ? Or, au contraire des recherches publiques, ces études n'ont pas été publiées, partant, pas examinées par les pairs.
J'en viens à la question de la dose sans effet : pour les produits cancerogènes mutagènes, toxiques pour la reproduction, ou perturbateurs endocriniens, il n'y a pas de dose sans effet, pas de dose journalière admissible, donc pas de limite maximum de résidus - les trois points sur lesquels repose l'autorisation des pesticides. Les décisions sont politiques ou économiques, pas scientifiques.
M. Henri Tandonnet . - Vous considérez qu'il y a cumul de doses ?
M. Jean Sabench . - Les scientifiques montrent que des doses infimes déclenchent des effets indésirables au bout de dix ou quinze ans. C'est différent du cumul de doses. Nous demandons en conséquence que les produits ayant des effets probables et des effets possibles ne soient plus autorisés. S'il n'y a pas d'effets avérés actuellement, nous demandons que les produits ayant des effets probables et des effets possibles soient interdits, ainsi que les perturbateurs endocriniens . Le colloque sur les victimes des pesticides a été éloquent à cet égard. Il y a aussi l'effet cocktail que des chercheurs de l'INRA étudient sur des cellules humaines. On effectue les mêmes études toxicologiques que dans les années soixante : c'est la toxicologie de grand-papa, dit le professeur Narbonne ! Enfin, dans ces tests on ne prend pas en compte l'effet de l'exposition des animaux sur toute leur durée de vie .
Je vous ai apporté deux articles sur le lobbying . L'industrie chimique fait cohabiter dans des organisations comme The Society of Environmental Toxicology and Chemistry (SETAC) ou The International Commission for Plant-Bee Relationships (I.C.P.B.R.) des chercheurs issus de son sein, quelques universitaires, des personnes issues des administrations...
M. Henri Tandonnet . - Et des agriculteurs.
M. Jean Sabench . - Quelques-uns, et pas partout !
On organise un colloque d'une semaine, dont un jour de tourisme. Des repas conviviaux créent une ambiance préjudiciable à l'exercice serein du métier de chacun. Cependant, officiellement, personne ne subit d'influence... Je vous laisse un article Je vous laisse un article concernant quelqu'un qui travaillait il y a peu au Bureau de la mise en marché des intrants de la direction générale de l'alimentation et qui, en même temps, dirigeait un groupe de la SETAC sur le monitoring environnemental des pesticides et travaillait aussi pour l' ICPBR , expert pour l'Organisation européenne de protection des plantes, laquelle participe à l'élaboration des directives européennes sur l'évaluation des pesticides. Cette personne travaillait donc dans un service chargé de l'octroi des AMM, et, en même temps, dans des organismes de l obbying influençant les décisions officielles. Un tel cumul est choquant ; elle n'est plus dans l'administration ; elle est partie chez Dow Chemical .
De même, quand un membre de l'ANSES organise une réunion afin de formuler des propositions à la Commission européenne sur l'évaluation de la mortalité des abeilles dans les essais sous tunnel, elle convoque en grande majorité les industriels qui produisent les pesticides - je vous remets copie du courriel d'invitation. Les industriels vont donc dire comment évaluer les effets nocifs de leurs produits. Cela nous interpelle.
Mme Sophie Primas , présidente . - Dans le cadre de cette mission, nous voyons tout le monde !
M. Jean Sabench . - C'est très bien ! Je ne pointe pas nommément telle ou telle personne, mais un système, reposant sur des pratiques peu claires.
Sur les questions de santé, nous demandons l'interdiction des produits classés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) et des perturbateurs endocriniens, ainsi que celle des insecticides systémiques en traitement de semence ( Gaucho , Cruiser ). La famille des néonécotinoïdes est extrêmement toxique pour les abeilles. Pensez qu'il suffit d'un gramme dans quatre cents camions-citernes de vingt-cinq tonnes, soit une file de camions de cinq kilomètres de long, pour tuer la moitié d'une population d'abeille. Leur durée de vie dans les sols est très élevée, jusqu'à trois ans. On a interdit le Gaucho sur le maïs et le tournesol, mais il est utilisé sur 70 % des céréales, de sorte que, quand on plante ensuite du tournesol, le résidu dans le pollen est quasiment le même que s'il avait été traité. Les Italiens ont interdit tous ces produits. La mortalité des ruches a reculé en quatre ans de 37 % à 14 %, sans diminution de la production de maïs.
Il faut changer la politique agricole commune , et utiliser une partie de son financement pour soutenir et aider les gens qui prennent un risque économique afin de mieux traiter l'environnement et obtenir des bénéfices sur la santé. Cela accélérerait le changement.
Il convient de développer le bio, libérer les semences comme les préparations naturelles peu préoccupantes, et réorienter la recherche publique vers des modes de production agricole à bas niveau d'intrants.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous vous remercions de ces réponses et de cette documentation.
Audition de M. Jean-François Lyphout, président de l'Association pour la promotion des préparations naturelles peu préoccupantes (ASPRO-pnpp), de M. Hervé Coves, chargé de mission responsable des stations expérimentales (ASPRO-pnpp), et de M. Guy Kastler, administrateur (ASPRO-pnpp) (15 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous entendrons avec beaucoup d'intérêt votre point de vue sur la capacité des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) à être des alternatives de masse aux pesticides, pérennes et non dangereuses.
M. Jean-François Lyphout, président de l'Association pour la promotion des préparations naturelles peu préoccupantes (ASPRO-pnpp) . - Notre association réunit des entreprises, des associations, des collectivités locales, dont un conseil général - bientôt deux - et deux conseils régionaux. Nous l'avons créée à la suite de la loi d'orientation agricole de janvier 2006, qui a considéré les PNPP comme des produits phytosanitaires. Devant le tollé, un amendement à la loi sur l'eau a été adopté, en décembre 2006, pour revenir sur cette disposition.
Le Grenelle I a autorisé les PNPP, le Grenelle II les a interdites. La commission mixte paritaire a supprimé la levée de l'interdiction autorisée par l'Assemblée nationale lors du vote de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMA).
Nous demandons un régime simplifié. Ce sont des produits qui n'ont jamais tué personne, mais leur utilisation est punie de deux ans d'emprisonnement et de 4 000 euros d'amende : mieux vaudrait cultiver du cannabis !
Mme Sophie Primas , présidente . - Est-ce le décret de juin 2009 que vous mettez en cause ?
M. Jean-François Lyphout . - Il concerne le seul purin d'orties qui avait tout à coup toutes les vertus. Le ministère nous a dit qu'il s'agissait d'une mesure d'opportunité politique, ce produit étant très utilisé. Mais ce qui est autorisé en l'espèce n'a pas d'intérêt ; nous parlons, nous, de piquette d'ortie... Ce qui est inquiétant, c'est que, en 2010, le ministère a autorisé 74 produits qui avaient été retirés parce que trop toxiques ! Tandis que nous qui voulons travailler autrement sommes pénalisés.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les PNPP font-elles l'objet d'une évaluation ?
M. Jean-François Lyphout . - Pour l'instant, non. Mais ce sont des produits inoffensifs, comme le vinaigre ou le sucre...
Mme Sophie Primas , présidente . - Devraient-ils être évalués ?
M. Hervé Coves, chargé de mission responsable des stations expérimentales (ASPRO-pnpp) . - Je suis ingénieur à la chambre d'agriculture de la Corrèze. Je gère quatre stations expérimentales qui travaillent sur les petits fruits. S'agissant de productions considérées comme mineures, l'agropharmacie n'a pas intérêt à homologuer les PNPP.
Depuis 1999, j'ai pu constater l'efficacité de ces produits. Elle n'est certes pas comparable à celle des produits phytosanitaires. Si vous pulvérisez sur 10 000 pucerons du purin d'orties , il restera 10 000 pucerons ; mais si on utilise ce produit de façon précoce, lorsqu'arrivent quelques pucerons sur une parcelle, les prédateurs des pucerons, déjà attirés par le purin d'orties, dévoreront les pucerons. Le produit agit sur la composition en biodiversité des parcelles traitées. De même, le parfum de la floraison attire les insectes prédateurs qui mangent les pollinisateurs ; s'ils n'en trouvent pas, ils mangeront d'autres insectes... On aura le même résultat en pulvérisant un parfum floral sur une parcelle. Les matières fertilisantes donnent de la vigueur aux plantes pour se défendre des agressions extérieures.
Les protocoles normalisés actuels sont inadaptés à la mesure de l'efficacité des PNPP. On ne peut, par exemple, laisser de côté la globalité du système de production dans lequel elles sont utilisées.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les tests d'inocuité sont peut-être inadaptés, mais il faut quand même évaluer celle-ci pour la santé de ceux qui les utilisent et de ceux qui les consomment...
M. Hervé Coves . - Sans doute, mais il ne faut pas diaboliser les PNPP ! Beaucoup ont des usages alimentaires ou cosmétiques : la camomille, l'argile. On ne s'est jamais posé la question de leur toxicité. L'eau chaude est, par exemple, un excellent désherbant. Il y a des usages tellement triviaux que la nécessité de les évaluer ne s'est tout simplement pas imposée. L'immense majorité de ces produits est d'usage courant, on les trouve dans les épiceries !
Mme Sophie Primas , présidente . - On met souvent en avant la réglementation européenne.
M. Guy Kastler, administrateur (ASPRO-pnpp) . - Je suis membre de la Confédération paysanne et administrateur de l'Institut français d'agriculture biologique (IFAB), dont je vous recommande l'audition. Ce que nous avons défendu, ce sont des préparations naturelles dont l'utilisation est liée à des savoir-faire traditionnels, éprouvés depuis des décennies ou des siècles. La pomme de terre mangée crue est toxique : on ne va pas en interdire la consommation au prétexte qu'elle n'a pas été évaluée selon des procédures européennes ! Tout le monde sait comment la préparer, sauf peut-être les Inuits ! On ne peut pas évaluer les PNPP, issus de procédés à la portée de l'utilisateur final, comme on évalue les produits de l'industrie.
Hélas, le ministère exige leur inscription sur la liste européenne des substances actives autorisées. On retombe dans le phytosanitaire ! Et le coût d'établissement d'un dossier, rien qu'en France, c'est entre 40 000 € et 200 000 €. Sans compter que le protocole n'est pas adapté.
La réglementation européenne a changé en 2009 et ouvert deux nouvelles catégories, les substances à faible risque et les substances de base. Le problème est que le décret paru il y a seulement un mois vise les PNPP fabriquées avec des substances à faible risque - dont certaines peuvent être de synthèse ! La catégorie nécessite encore une AMM et le protocole demeure le même. Comme le coût par dossier est important et qu'il n'y a pas de retour sur investissement, aucune entreprise ne veut se lancer.
Les « substances de base » sont une catégorie plus intéressante, recouvrant les substances déjà autorisées par d'autres réglementations - c'est le cas du sucre ou de l'argile, par exemple. Elles sont inscrites sur une liste européenne et n'ont pas besoin d'AMM pour leur utilisation . Le 31 mai 2012, le futur ministre français sera à Bruxelles avec ses homologues ; il devra se prononcer sur la disparition de l'AMM pour la commercialisation. Si cette décision est adoptée, ce sera un progrès. Il faudrait aussi s'intéresser à l'utilité, facile à démontrer, plutôt qu'à l'efficacité.
Il faudrait aussi diminuer le coût administratif du dossier ; le temps de travail pour établir celui-ci est infini car l'administration demande toujours plus de preuves scientifiques : elle exige par exemple la dose admissible de sucre pour les abeilles... Quel scientifique a publié des recherches sur cette question ?
Les PNPP devraient faire l'objet d'un traitement différent au plan européen ; il faut les exclure de la liste des phytosanitaires. Si on ne demande plus d'AMM pour les substances de base, l'affaire sera réglée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les autres pays utilisent-ils les PNPP ?
M. Guy Kastler . - Les Allemands en utilisent 400, sur une liste hors réglementation européenne.
Sur le décret « purin d'orties », l'ANSES n'a pas voulu se prononcer, elle a estimé de pas avoir les moyens de le faire. Mettre des experts sur le sucre ? Allons donc !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Utilise-t-on les PNPP sur toutes les cultures ?
M. Hervé Coves . - Nous connaissons encore mal les possibilités des PNPP hors des niches où elles sont employées. Mais ce sont des produits peu onéreux, qu'on peut faire soi-même. Aujourd'hui, 25 % de la population agricole est considérée comme pauvre : ce « don précieux de la nature » est exclu par la réglementation. Même à efficacité inférieure aux produits chimiques, la solution est intéressante. Et beaucoup de producteurs n'en ont pas d'autre.
M. Jean-François Lyphout . - La chimie ne marche pas toujours et elle coûte cher, de 3 000 € à 8 000 € par hectare et par an. Un producteur de fraises a récemment réduit ses engrais et produits phytosanitaires de moitié, il ne s'en porte pas plus mal. Les collectivités locales financent des solutions alternatives : le département de la Dordogne, par exemple, participe à hauteur de 40 %.
Mme Sophie Primas , présidente . - En faveur du purin d'orties ?
M. Jean-François Lyphout . - C'est interdit, mais certaines collectivités se mouillent... Certaines solutions naturelles sont plus efficaces que la chimie. Et la fraise est plus rouge et plus sucrée !
Je suis horticulteur et n'utilise plus de produits chimiques depuis quinze ans. La chambre d'agriculture de Corrèze finance des pulvérisations d'ail sur les thrips (insecte ravageur), avec succès. Ce n'est pas un insecticide, les insectes ne sont pas tués mais repoussés ; mais lorsque l'on extermine les parasites, on tue aussi les auxiliaires et les parasites reviennent toujours .
M. Guy Kastler . - Les viticulteurs achètent des produits pour pouvoir montrer la facture mais ne les utilisent pas, car ils emploient des PNPP plus efficaces !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'usage des PNPP peut-il être étendu à toutes les cultures et comment ?
M. Guy Kastler . - Oui, au maïs, à la vigne aussi.
M. Hervé Coves . - Les gens n'osent plus dire qu'ils les utilisent mais ils le font. Et s'ils le font, c'est qu'elles ont quelque utilité !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment se les procurent-ils ?
M. Jean-François Lyphout . - J'en vends et j'attends le procès, ce qui permettra d'en parler ! Le problème, c'est la recherche ; comme il n'y a pas d'argent à gagner, il n'y a pas de financement. La chambre d'agriculture de Dordogne a organisé quatre formations sur les PNPP.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment les collectivités locales interviennent-elles ?
M. Hervé Coves . - Elles soutiennent les expérimentations. La recherche fondamentale est encore lacunaire. Il reste beaucoup à faire pour comprendre les effets des PNPP, leurs moyens d'action sur les écosystèmes. On suspecte, mais on ne sait pas vraiment. Une PNPP peut avoir des effets insecticides... ou insectifuges.
Mme Sophie Primas , présidente . - Est-ce parce que les PNPP sont interdites que l'INRA ne s'y intéresse pas ?
M. Hervé Coves . - Oui, car il faut que des sociétés privées suscitent les recherches et en financent une part - mais il n'y a pas de retour sur investissement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le privé n'intervient pas...
M. Jean-François Lyphout . - Le peu qui se fait est public.
M. Guy Kastler . - Des universitaires, des techniciens de chambres d'agriculture, travaillent avec nous, mais les protocoles restent calqués sur ceux des phytosanitaires. On fait des essais sous serre, ce qui n'est pas pertinent. Si l'expérience n'est pas reproductible, il n'y a pas de validation scientifique ! Certains chercheurs de l'INRA voudraient participer, mais ils sont tenus par le fonctionnement de leur institution et les protocoles officiels.
Ce qui bloque, c'est l'AMM. Quand les substances de base sont autorisées au plan européen, on a le droit de les utiliser en mélanges. Contre la carie du blé, les paysans bio savent quoi faire : très peu de sulfate de cuivre, 3 à 4 grammes par hectare, mélangé avec de la farine de moutarde ! Il existe un produit chimique breveté, qui coûte plus cher bien sûr. Comme le traitement est obligatoire et contrôlé, les agriculteurs en bio l'achètent, mais ne l'utilisent pas...
La solution est à portée de main. Je signale que la plupart des PNPP ne sont pas autorisées en bio . Ce qui fait que la TVA est à 19,6 %...
M. Jean-François Lyphout . - Profitons de l'expérience de terrain. Je n'ai pas de formation d'ingénieur, mais je découvre tous les jours de nouvelles choses. Il serait nécessaire de mieux communiquer. Les échanges et les retours d'expérience seraient utiles, d'autant que les PNPP sont utilisées sous des climats différents, dans des régions différentes, et selon des pratiques différentes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Y a-t-il beaucoup de traitements pesticides sur les fraisiers ?
M. Hervé Coves . - Les thrips, devenus résistants, imposent de plus en plus de traitements. Mais on peut se passer de la chimie.
Dans l'horticulture, sur les jeunes plants, il ne faut pas de chimie. D'où l'usage de plus en plus fréquent des PNPP par les horticulteurs.
M. Henri Tandonnet . - Et pour les champignons, le mildiou par exemple ?
M. Guy Kastler . - Ça marche aussi.
M. Henri Tandonnet . - Sait-on pourquoi ?
M. Hervé Coves . - Je pense à certaines maladies cryptogamiques du framboisier. Ça marche, mais on ne sait pas pourquoi. Nous avons besoin de davantage de recherche fondamentale. L'effet est mesurable, mais les mécanismes à l'oeuvre sont inconnus.
M. Jean-François Lyphout . - Le problème du coût reste entier. Il n'y a pas d'économies d'échelle. L'université de Limoges s'est engagée à nous épauler, mais c'est insuffisant.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En résumé, vous demandez davantage de recherche et le droit d'utiliser les PNPP.
M. Jean-François Lyphout. - Nous souhaitons avoir le droit de choisir.
M. Guy Kastler . - Il faut prendre en compte les conditions climatiques de chaque région, la pluviométrie : ce qui vaut ici fonctionnera moins bien ailleurs. On ne peut, comme les conseillers en produits phyto, prescrire de la même façon sur tout le territoire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment interviennent les chambres d'agriculture ?
M. Hervé Coves . - Je ne sais pas si elles interviennent toutes de la même façon. Chez nous, la chambre d'agriculture promeut Écophyto 2018 et a sensibilisé tous ses agents. Il y a des solutions concrètes, transposables et peu onéreuses. J'ajoute que les enfants jouent un rôle non négligeable, car un agriculteur n'aime pas entendre les siens l'accuser d'être un pollueur... Dans tous nos bulletins sanitaires, nous mettons en avant les solutions biologiques.
M. Jean-François Lyphout . - Des exploitations seront sauvées grâce à ces solutions, qui coûtent tellement moins cher !
M. Guy Kastler . - Nous attendons les décisions européennes avec impatience !
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition de M. François Werner, directeur du Fonds de Garantie des actes de Terrorisme et autres Infractions (FGTI) et de Mme Nathalie Faussat, responsable au Fonds de Garantie des actes de Terrorisme et autres Infractions (FGTI) (15 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente. - Des victimes de pesticides ont-elles déjà eu recours à vous ? Constatez-vous une évolution dans ce domaine ?
M. Francis Werner, directeur général du Fonds de garantie des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) . - Le FGTI est responsable de l'indemnisation des victimes de terrorisme et d'infractions ; depuis 2008 lui a été adjoint un service d'aide au recouvrement pour les victimes d'infractions bénéficiant d'une décision de justice définitive ; nous nous retournons ensuite contre les auteurs. Pour être éligible à cette indemnisation, qui doit être intégrale, il faut d'abord que la victime soit décédée ou présente une incapacité permanente ou une incapacité temporaire supérieure à trente jours ; il faut ensuite que l'événement en cause présente le caractère matériel d'une infraction - c'est une des difficultés dans le cas des pesticides. Il faut enfin que la commission d'indemnisation reconnaisse le lien entre l'infraction et le préjudice, ce qui est parfois compliqué. Ce dispositif est séparé de la procédure pénale ; il est souvent plus rapide à mettre en oeuvre.
Parfois, les événements sont complexes : dans beaucoup de cas, comme celui de l'accident du vol Rio-Paris, nous devons surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction pénale compétente se soit prononcée. Nous avons aussi eu à traiter des cas d'intoxication, le Mediator ou le saturnisme. Là, l'établissement du lien entre la maladie et le produit empoisonnant peut juridiquement passer par la voie de droit commun de la réparation du préjudice corporel.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et l'amiante ?
M. Francis Werner . - L' amiante fait l'objet d'un fonds spécifique. La procédure de la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) ne s'applique pas à ces dossiers. Quant aux pesticides, quelques demandes d'indemnisation sont en cours , qui se comptent sur les doigts d'une main ; nous allons prudemment, parce que nous ne disposons pas toujours de l'information.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces dossiers sont-ils récents ?
M. Henri Tandonnet . - Et vous intervenez en l'absence de condamnation pénale...
M. Francis Werner . - C'est une difficulté. Pour démontrer l'existence matérielle de l'infraction, le juge civil est démuni. En l'absence de plainte, nous ne disposons pas de l'action récursoire contre les personnes qui seraient responsables.
M. Henri Tandonnet . - Vous vous heurtez aussi à des problèmes de prescription...
M. Francis Werner . - Le cas échéant...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels sont les pesticides incriminés ?
M. François Werner . - La procédure devant la CIVI n'est pas publique... Je vais rester prudent... Dans un cas, une multiplicité de produits est en cause ... Je peux au moins vous dire cela !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Un produit n'est-il pas en cause plus qu'un autre ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels sont les divers types de cultures concernés ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Constatez-vous une explosion du nombre de cas ?
M. Jean-François Husson . - Les victimes vont au pénal d'abord. Les demandes directes devant le Fonds de garantie sont rares.
M. Francis Werner . - De telles demandes ont toutes les chances d'être rejetées si elles ne s'appuient pas sur une enquête pénale. Mais, et c'est là tout l'intérêt de la procédure CIVI, s'il devient évident au cours de la procédure qu'il y a un lien entre l'infraction et le dommage subi par la victime, on n'attend pas l'épuisement des voies de recours pour statuer.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les cas pendants ont-ils, ou peuvent-ils, inciter d'autres agriculteurs qui seraient dans la même situation à engager une procédure ?
M. Francis Werner . - Il y a cent CIVI en France, l'information n'est pas disponible en temps réel. Mais nous n'avons pas vu exploser le nombre de demandes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourtant, les agriculteurs veulent voir reconnaître le lien entre certaines maladies et les pesticides...
M. François Werner . - Quelqu'un qui serait bien conseillé juridiquement n'irait pas directement devant une CIVI.
Mme Sophie Primas , présidente . - Irait-il d'abord au pénal ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Dans une des affaires, le Fonds ne s'est-il pas opposé à la demande de la victime ?
M. François Werner . - Il est essentiel qu'il y ait une plainte, ne serait-ce que pour préserver nos propres capacités de recours ; et parce que le lien entre maladie et exposition aux pesticides est difficile à établir. Après, s'il y a une expertise... La décision ne nous appartient pas.
M. Jean-François Husson . - Il semble qu'il y ait assez peu de doutes sur le lien de cause à effet. Mais comment qualifier l'infraction ? En matière d'exposition aux pesticides, c'est nouveau. Nous parlons ici d'un cocktail bien connu, et depuis longtemps. Pourquoi aurait-il un effet sur telle personne et pas sur telle autre ?
M. Francis Werner . - Les produits en cause sont tous autorisés. Ce qui pourrait constituer une infraction, c'est le défaut d'information sur les produits.
M. Henri Tandonnet . - C'est au civil que les actions peuvent prospérer. En matière de défaut d'information, il n'y a pas nécessairement infraction...
M. François Werner . - La difficulté est alors de retrouver le responsable final.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quels sont les principes de l'indemnisation ?
Mme Nathalie Faussat, responsable au Fonds de garantie des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) . - Nous n'indemnisons que les dommages à la personne, les préjudices à caractère patrimonial et à caractère extrapatrimonial, un éventuel préjudice d'agrément, selon les règles de droit commun d'indemnisation des préjudices corporels.
Mme Sophie Primas , présidente . - Sont-ce des indemnisations ponctuelles ou à vie ?
Mme Nathalie Faussat . - Dans les cas les moins graves, sous forme de capital ; sous forme de rente dans les cas les plus graves.
M. François Werner . - Les indemnisations totales versées pour une année s'élèvent à 270 millions d'euros.
Mme Sophie Primas , présidente . - Existe-t-il un montant unitaire maximal ?
M. François Werner . - Non. Mais nous ne remboursons pas les frais médicaux. Certaines indemnisations concernant des victimes très jeunes et très lourdement handicapées atteignent 6 à 7 millions d'euros.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et c'est la plainte au pénal qui permet de faire la preuve de l'infraction ...
M. François Werner . - La CIVI peut réaliser des examens sur la situation de la personne, évaluer les préjudices. Mais l'expertise civile a ses limites. Seule la procédure pénale et les moyens d'expertise qu'elle mobilise valent pour établir le lien entre l'infraction et le préjudice. Une fois qu'il est établi, cependant, on l'a vu avec le saturnisme, les commissions d'indemnisation l'admettent assez facilement si les mêmes symptômes apparaissent chez des personnes exposées dans les mêmes conditions.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci.
Audition de Mme Dominique Florian, présidente de l'Institut de Recherche en Agriculture Biologique pour l'Europe (IRABE) (22 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Bonjour, Madame. Nous sommes heureux de vous entendre dans le cadre de nos travaux. Nous travaillons depuis le mois de mars sur les pesticides et leurs effets sur la santé des personnes qui les fabriquent et les utilisent, notamment les agriculteurs et les agents des collectivités territoriales.
Nous avons souhaité vous entendre car l'Institut de Recherche en Agriculture Biologique pour l'Europe (IRABE) a probablement un avis à émettre sur l'utilisation des pesticides et les alternatives qui pourraient exister.
Certes, nous avons besoin d'une agriculture productive. Toutefois, il nous faut relever le défi qui consiste à assurer un haut niveau de productivité sans négliger les problèmes de santé posés par les pesticides.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut servir de trame à votre intervention.
Mme Dominique Florian, présidente de l'Institut de recherche en agriculture biologique pour l'Europe (IRABE) . - Le questionnaire qui m'a été adressé est très intéressant. Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions qui y figurent par manque de temps, mais ce document situe le cadre de vos préoccupations.
Tout d'abord, je tiens à me présenter en quelques mots. Je possède une formation économique et suis devenue, maintenant, agricultrice. Je dirige aussi la ferme expérimentale de l'Institut et poursuis des recherches sur l'obtention d'une qualité optimale des produits et de ses conséquences sur la santé humaine. Cette approche globale fonde l'originalité de notre Institut.
L'IRABE a été créé pour définir la différence entre l'agriculture traditionnelle et l'agriculture biologique.
J'ai plaisir à retrouver aujourd'hui le Sénat. En effet, c'est au Sénat que j'ai suggéré la rédaction de l'amendement qui a introduit l'agriculture biologique dans la législation française, le 13 mai 1980. L'Assemblée nationale n'a jamais suivi le Sénat sur ce point.
Le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Pierre Méhaignerie, a créé, à ma demande, deux sièges à la Commission des produits antiparasitaires à usage agricole réservés à l'agriculture biologique. Ces deux sièges ont été attribués à M. Francis Chaboussou, vice-président du conseil scientifique de l'IRABE et directeur de recherches honoraire à l'INRA, et au Pr Guy Queinnec. Etant donné que le Pr Queinnec restait souvent à Toulouse, je le représentais en accompagnant, la plupart du temps, M. Francis Chaboussou à cette commission. Je connais donc bien la question des pesticides de l'intérieur.
Les pesticides représentent un immense problème. Il faut réduire absolument l'emploi des pesticides qui polluent l'ensemble du monde vivant.
En vérité, deux approches diamétralement opposées sont possibles : la lutte antiparasitaire ou bien la construction de la résistance de la plante . A l'IRABE, nous avons toujours défendu cette seconde approche. Nous privilégions ainsi la prévention des problèmes par la fertilisation.
Je vous remets d'ailleurs des programmes de stages de notre Institut. Un de nos stages s'intitule « Lutte antiparasitaire ou construction de la résistance de la plante » et reflète l'approche spécifique de notre Institut.
M. Francis Chaboussou a beaucoup travaillé sur les pesticides. Il a découvert que les insectes possèdent un équipement enzymatique complètement différent de celui des vertébrés. Nous savons que les pesticides sont cancérogènes pour l'homme. Personne ne le conteste. Les pesticides sont de graves perturbateurs hormonaux.
M. Francis Chaboussou a découvert que, au contraire, l'équipement enzymatique des parasites leur permettait de se nourrir de substances solubles. Or, tous les pesticides sont des substances chimiques solubles. Par conséquent, la solubilité de ces substances aboutit à augmenter la fécondité et de la longévité des parasites. M. Francis Chaboussou a également observé l'accélération du cycle de reproduction et la modification du sex ratio au bénéfice des femelles, ce qui constitue une augmentation de leur potentiel biotique par un processus nutritionnel.
Il s'agit là d'une avancée scientifique majeure mais, malheureusement, M. Francis Chaboussou n'a pas obtenu tous les crédits nécessaires à la poursuite de ses recherches. A la suite d'une communication à l'Académie de l'agriculture, il avait appris que ses travaux avaient suscité de vives résistances dans des milieux industriels. M. Francis Chaboussou n'a pu reprendre ses recherches qu'en devenant vice-président du conseil scientifique de l'IRABE. Son entrée à la Commission des produits antiparasitaires à usage agricole (pesticides) a représenté une sorte de couronnement de sa carrière. Ma présence aujourd'hui au Sénat constitue aussi une reconnaissance de son travail.
Tant que les engrais chimiques seront utilisés, l'usage des pesticides, qui en est la conséquence directe, sera inévitable. C'est ainsi que des substances solubles inorganisées envahiront les tissus de la plante qui, par conséquent, s'en trouve fragilisée. Les substances solubles deviennent la nourriture du parasite. Une fertilisation optimale est donc nécessaire pour assurer une parfaite organisation des tissus dans la plante par la protéosynthèse.
La fragilité des tissus est aussi un paramètre important. Par exemple, lorsqu'un orage s'abat sur un verger traité avec des engrais chimiques et des pesticides, la différence de température ambiante conduit à l'éclatement des fruits et à la destruction de la récolte.
Au contraire, dans notre ferme expérimentale, les fruits n'explosent jamais. Les tissus de nos fruits sont suffisamment résistants. Il faut bien comprendre que l'utilisation des pesticides engage un processus nutritionnel pour les parasites et les maladies à virus .
A partir de la fertilisation, il importe de parvenir à une protéosynthèse optimale dans les tissus de la plante. Ainsi, les tissus de la plante ne sont pas emplis de substances qui nourrissent les parasites. Si le parasite ne trouve aucune substance soluble, il ne s'attaque pas à la plante.
En vérité, le recours aux pesticides résulte d'une politique agricole erronée. A l'origine, l'équilibre naturel de la plante a été déséquilibré par l'utilisation d'engrais chimiques. Ce déséquilibre a ensuite engendré comme un besoin en pesticides. A présent, alors que les pesticides ne fonctionnent plus, le recours aux OGM est aussi ressenti comme un besoin, tout autant superficiel.
Pourtant, nous n'avons pas besoin des OGM. Les OGM sont la preuve même de l'échec des pesticides.
Tous les problèmes pourraient être traités sur la base de la vie microbienne du sol. Le respect de la vie microbienne du sol est aussi directement lié à la qualité des produits. En 1998, l'IRABE a reçu une commande du ministère de l'agriculture sur l'étude des corrélations entre l'état d'un sol, son mode de fertilisation et la qualité des fruits obtenus. Dans les conclusions de ce rapport, je propose la définition suivante : « la qualité biologique est le résultat de la santé de la plante ou de l'animal. La qualité biologique résulte d'un équilibre parfait dans la plante qui lui permet d'échapper au parasitisme et aux maladies, ainsi que d'acquérir une très grande résistance aux aléas climatiques » .
La qualité biologique est inséparable de la résistance de la plante. Cette résistance provient de la santé et de la vitalité de la plante.
Quand les tissus sont parfaitement harmonisés, la qualité des produits est optimale et la teneur en principes actifs atteint un niveau exceptionnel. En effet, nous avons réalisé des analyses sur les produits de la ferme expérimentale biologique de l'IRABE et constaté des taux phénoménaux de principes actifs. Par exemple, il a été mesuré dans nos abricots frais un taux 100 % supérieur à la normale en glucides et en vitamine C. Nos fruits possèdent en outre une capacité de conservation exceptionnelle.
Alors que notre ferme de Loriol-du-Comtat (Carpentras) se situe sur le 44 ème parallèle de latitude Nord, nous parvenons à produire des figues séchées naturellement, pourtant classifiées comme un fruit « exotique » selon la nomenclature internationale.
Notre démarche mériterait d'être reproduite. Par nos méthodes de fertilisation, nous sommes parvenus à nous affranchir d'un facteur limitant aussi déterminant que le climat. La qualité et la résistance de la plante sont deux paramètres inséparables. Il est certain qu'un fruit doté d'une conservation exceptionnelle n'a jamais été touché par des parasites. En effet, cette grande capacité de conservation résulte de la qualité des tissus de la plante.
Je pense donc qu'il faut conduire une approche globale. Tout est lié. Or, aujourd'hui, nous vivons à l'ère de la compartimentation des savoirs et de l'excès de spécialisation. Les spécialistes de l'agriculture travaillent en champ clos et n'ont pas d'approche globale. A l'inverse, notre institut s'inscrit toujours dans une approche globale : nous sommes en permanence préoccupés à la fois par la qualité, la maîtrise du parasitisme et la santé de la plante. Tous ces paramètres sont indissociables les uns des autres.
La situation est grave dans l'agriculture. Par exemple, je voudrais vous signaler que des problèmes de malformation surgissent chez les animaux . Ainsi, des perturbations sont constatées chez les veaux : un éleveur de la région de Rochefort a vu naître récemment deux veaux dépourvus d'anus. La soeur de cet éleveur a également été témoin de malformations chez ses animaux. D'autres éleveurs de la région parisienne ont rencontré des phénomènes identiques. Ils craignent de parler de ces phénomènes nouveaux qui les inquiètent.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il a toujours existé des animaux malformés.
Mme Dominique Florian . - Les malformations observées sont particulièrement graves.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La fréquence de ces malformations est-elle réellement plus élevée ?
Mme Dominique Florian . - Il n'y en avait pas auparavant.
Mme Bernadette Bourzai . - Si, ces malformations sont rares, j'en ai néanmoins rencontré.
Mme Dominique Florian . - Je n'ai pas de réponse sur ce point mais je vous fais part des inquiétudes bien réelles des éleveurs.
La course à la productivité, qui pourrait être à l'origine de ces malformations, est également alarmante. A titre d'exemple, la France produit autant de lait aujourd'hui qu'en 1980 mais avec deux fois moins de vaches.
Nous sommes préoccupés par cette situation.
Nous pouvons éliminer les pesticides en remettant en cause les méthodes actuellement utilisées. L'élevage revêt un rôle prépondérant.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles sont justement vos méthodes de fertilisation ?
Mme Dominique Florian . - Nous pensons qu'il est impossible de concevoir une agriculture durable sans élevage. Les déjections des herbivores jouent un rôle majeur. Dans l'agriculture, il est impossible de se passer du fumier. Je crains que nous en prenions conscience trop tardivement. Aujourd'hui, l'élevage est devenu presque exclusivement une production de viande ou une production laitière intensive, dont l'élimination du lisier très pollué pose d'immenses problèmes. Or, le fumier constituait auparavant un aspect essentiel de la production. Le fumier servait à la fertilisation. La fertilisation pratiquée par l'IRABE est basée en grande partie sur le fumier d'herbivores.
Mme Sophie Primas , présidente . - Est-ce le seul fumier qui assure l'équilibre des tissus de la plante ?
Mme Dominique Florian . - Oui. Le fumier apporte au sol une vie microbienne. Cette vie microbienne est déterminante car elle permet de solubiliser lentement dans le sol toutes les substances dont la plante a besoin. La fertilisation soluble actuellement utilisée dans l'agriculture a fait sauter un maillon essentiel du processus, à savoir la vie microbienne du sol. Ce nouveau mode de fertilisation a substitué à cette vie microbienne une fertilisation chimique.
Mme Sophie Primas , présidente . - J'imagine que tout dépend de la qualité du fumier.
Mme Dominique Florian . - Oui, le fumier qui abrite la vie microbienne la plus intense provient d'animaux bien nourris . Leur alimentation doit être conforme à leur physiologie. Or ce n'est pas le cas à l'heure actuelle car ils sont nourris avec du soja ou du maïs en provenance des États-Unis d'Amérique. D'ailleurs, ces aliments sont à 90 % des OGM. Par conséquent, les déjections des animaux ainsi nourris ne sont pas saines - le lisier en est un exemple frappant.
Historiquement, la qualité de l'agriculture française procédait du mariage entre l'élevage, les plantes, le sol et le climat. L'agriculture productiviste a éliminé les races rustiques d'herbivores moins spécialisées et ces races sont aujourd'hui en voie de disparition. Nous devons tâcher de les sauver. Elles seront peut-être demain notre seule ressource en raison de leur adaptation au terroir.
M. Joël Labbé . - Vous faites ici la démonstration de la nécessité du retour à la véritable agronomie.
Mme Dominique Florian . - Ce sont nos travaux qui nous ont menés aux conclusions que je viens d'exposer. Depuis une cinquantaine d'années, des siècles de réussite dans l'agriculture ont été effacés. Il était prévu que les engrais chimiques permettent un accroissement de la quantité en même temps qu'un maintien de la qualité. En fait, les engrais chimiques sont parvenus à accroître la quantité mais en éliminant les propriétés des produits agricoles qui prévalaient auparavant : la qualité et la résistance .
M. Joël Labbé . - S'agissant de l'équilibre entre qualité et résistance, pouvez-vous nous parler des choix de variétés adaptées au terroir ?
Mme Dominique Florian . - Nous tenons compte de l'adaptation au terroir mais nous avons aussi, dans notre ferme expérimentale, des variétés nouvelles d'arbres fruitiers qui sont de réelles réussites au regard du terroir, comme des variétés anciennes.
La tomate Saint-Pierre a été abandonnée en Provence car les agriculteurs ne parvenaient pas à se débarrasser du mildiou. Or, nous produisons chaque année, sur notre ferme expérimentale, des tomates Saint-Pierre et nous n'avons aucun problème de mildiou. De plus, nos tomates ont la capacité de sécher sur les plants fort avant dans l'automne.
La Direction régionale de l'agriculture de Provence-Alpes-Côte d'Azur a constaté elle-même que nos fruits étaient délicieux et extrêmement nourrissants.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment se fait-il que ces méthodes, sources de qualité et peu coûteuses, ne soient pas plus développées ?
Mme Dominique Florian . - L'agriculture industrielle productiviste a été lancée par la loi d'orientation de 1960-1962. Au départ, des engrais chimiques ont été répandus sur des terres très fertiles. Les rendements ont explosé mais, progressivement, la vie microbienne a disparu et la qualité du sol s'est effondrée. Or, en réutilisant récemment son fumier, parce qu'il ne pouvait plus de payer ses engrais chimiques, un agriculteur voisin a constaté que le rendement de sa production avait doublé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le fumier ne peut-il pas aussi nourrir les parasites ?
Mme Dominique Florian . - Non, car le fumier n'est pas soluble, contrairement au purin. Le fumier contient une vie microbienne très active. L'être humain a voulu substituer ses produits chimiques aux micro-organismes, mais nous avons la preuve que ce n'est pas possible.
Mme Sophie Primas , présidente . - La chimie ne peut-elle pas protéger tout de même d' invasions rapides d'insectes ?
Mme Dominique Florian . - Non, les parasites n'attaquent pas des plantes qui ne contiennent pas de substances correspondant à leurs besoins physiologiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et en cas de moisissure ?
Mme Dominique Florian . - La moisissure ne doit pas intervenir. Nos fruits ne moisissent pas, comme ont pu le constater tous les visiteurs de notre ferme. Je vous ai d'ailleurs apporté des fruits pour le prouver. Par exemple, j'ai confectionné une confiture en 1994 avec des prunes Reine Claude. J'ai mélangé les prunes en purée, avec 15 % de sucre, sans les faire cuire. Puis, je les ai placées dans des pots non hermétiquement fermés. Je vais vous la faire goûter pour que vous constatiez vous-mêmes la qualité de ce produit resté cru depuis dix-huit ans.
M. Joël Labbé . - Hormis les fruits, avez-vous d'autres types de culture ? Avez-vous mené des études comparatives sur les rendements de vos pratiques ?
Mme Dominique Florian . - Non, nous n'avons pas conduit d'études par manque de moyens. En tout cas, les visiteurs de la ferme peuvent constater que nous ne connaissons pas de problème de rendement. En effet, nos arbres croulent sous les fruits.
Nous avons aussi produit des haricots verts et des tomates. Un agriculteur de la région a été impressionné par notre niveau de production.
En outre, nous avons découvert que le changement de la fertilisation modifiait considérablement la nature des adventices. Par exemple, les chardons, les rumex ou encore les chénopodes, autant de plantes insupportables pour l'agriculteur, disparaissent complètement et des fleurs, comme la vesse sauvage, refont leur apparition.
M. Joël Labbé . - L'INRA s'est-elle intéressée à vos travaux ?
Mme Dominique Florian . - Grâce à l'autonomie des universités, l'Université d'Avignon vient de créer une structure fédérative de recherche : TERSYS, à laquelle est associée notamment l'INRA et qui regroupe tous les organismes de recherche de la région. Cette structure poursuit deux objectifs : déterminer comment augmenter la qualité et la « valeur-santé » des produits, et comment augmenter leur conservation ; cette structure s'intéresse à nos travaux. En effet, l'agriculture souffre d'un très haut niveau de perte de récolte et de perte au stockage. Un des ateliers de cette structure a travaillé lors de son lancement sur « la production de fruits et légumes meilleurs pour la santé et plus respectueux de l'environnement », car il est considéré désormais très important, dans cette structure de recherche en agriculture, d'aborder la question de la valeur nutritionnelle et de la concentration en micronutriments.
La conservation constitue donc aussi une thématique essentielle de l'agriculture. Dans notre ferme, nous n'utilisons aucun processus de conservation. Nos produits se conservent tout seuls. Je vous ai d'ailleurs apporté des fruits séchés : des abricots de dix ans, des figues de deux ans, des cerises Burlat de 2006.
Ces fruits ne sont pas sujets à la moisissure. Si un fruit atteint une parfaite maturité, deux processus peuvent alors s'engager : la dessiccation ou la décomposition. Nos fruits connaissent la dessiccation mais pas la décomposition. La clef réside dans la composition des tissus. Comme déjà indiqué, nos fruits contiennent des taux de vitamine C et de glucides 100 % supérieurs à ceux constatés habituellement.
Les membres de la mission goûtent les abricots secs, les figues sèches, la confiture de prunes Reine Claude, les cerises Burlat.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les figues sont excellentes. J'aime moins les abricots.
M. Joël Labbé . - J'ai apprécié les abricots dont j'ai trouvé le goût très concentré.
M. Michel Becq . - Les figues sont succulentes.
Mme Sophie Primas , présidente . - La confiture est très bonne également.
Mme Dominique Florian . - Les pesticides sont utilisés car les fruits ordinaires sont issus d'arbres qui n'ont pas la résistance, la vitalité et la qualité de ceux issus de la ferme de l'IRABE. Avec des fruits d'une telle qualité, l'emploi des pesticides sur les arbres est superflu, parce qu'ils n'ont pas de problèmes.
M. Joël Labbé . - Avez-vous procédé à des essais sur les céréales ?
Mme Dominique Florian . - Pas sur notre ferme expérimentale. Mais nous avons apporté des conseils à des propriétés dans le Gard qui ont obtenu des résultats probants sur les céréales dès la première année d'application de nos méthodes.
M. Joël Labbé . - Êtes-vous un réseau de fermes expérimentales ?
Mme Dominique Florian . - Nous avons créé un Centre d'Initiatives pour Valoriser l'Agriculture et le Milieu rural (CIVAM), dont l'objet est d'aider ses membres à appliquer les méthodes de l'IRABE. Notre seul problème est le manque de moyens.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien de temps faut-il à une terre traitée par les pesticides pour retrouver une vie microbienne équilibrée ? Est-ce même possible ?
Mme Dominique Florian . - La vie microbienne de toutes les terres peut être restaurée. Ce n'est qu'une question de temps et notamment de quantité d'apports de fumier de qualité. Les éleveurs sont donc essentiels pour l'avenir de nos sociétés. Nous ne pouvons pas nous passer de ce métier.
M. Joël Labbé . - Le bon fumier nécessite le support qui convient. La Bretagne connaît le problème des lisiers liquides extrêmement polluants.
Mme Dominique Florian . - Oui, faire du bon fumier s'apprend. Le fumier contenant des engrais et des produits chimiques ne vaut rien. Quand au lisier on ne sait comment s'en débarasser puisqu'il n'est pas transformable en fumier. Il suffirait d'appliquer nos méthodes pour régler le problème des lisiers. Un fumier s'élève comme un vin. Il s'agit d'un véritable « or noir ».
Mme Sophie Primas , présidente . - Certaines zones sont complètement désertifiées sur le plan de l'élevage. Les abattoirs y ont disparu.
Mme Dominique Florian . - Je me suis battue pour sauver les petits abattoirs, dont dépendent les éleveurs. Nous avons besoin des petits abattoirs disséminés un peu partout sur le territoire et non de grands abattoirs très espacés les uns des autres. Aujourd'hui, les animaux élevés en Île-de-France sont parfois abattus en Lorraine.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il est très difficile d'implanter des abattoirs en banlieue parisienne.
Madame, nous vous remercions pour cette audition extrêmement intéressante.
Audition de Mme Ellen Imbernon, directrice du département santé-travail, de M. Johan Spinosi, chargé de l'évaluation des expositions, et de Mme Béatrice Geoffroy-Perez, coordinatrice du programme Coset, de l'Institut de Veille Sanitaire (InVS) (29 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Mesdames et Messieurs, bonjour. Nous vous remercions de participer à ces auditions menées dans le cadre de la mission commune d'information sur l'impact des pesticides sur la santé. Cette mission a été créée à la suite de l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de la Charente, à l'occasion de l'émotion suscitée par le contentieux de M. Paul François. Nous avons pour premier objectif de traiter des pesticides et de leur impact sur la santé des professionnels (fabricants, transporteurs et utilisateurs). Nous mènerons une soixantaine d'auditions jusqu'à la fin du mois de juin, au moins, auprès du monde scientifique, administratif, agricole, mais aussi de la mutualité, des fabricants de matériel et de produits phytosanitaires etc.
Nous vous avons envoyé un questionnaire. Comment appréhendez-vous la relation entre pesticides et santé ? Quels outils doit-on mettre en place pour la veille sanitaire ?
Mme Ellen Imbernon . - A la différence de M. Johan Spinosi, je ne suis pas une spécialiste des pesticides puisque notre mission, qui est consacrée à la surveillance de l'impact du travail sur la santé de la population, concerne tous les domaines de la santé et du travail. Avant la création de l'InVS, la surveillance de la santé liée au travail dans la population n'était pas organisée.
Nous n'avons que douze ans de recul. Dès l'origine, nous avons intégré le fait que l'exposition spécifique des agriculteurs aux pesticides pouvait influer sur leur état de santé, alors que nous ne disposions d'aucun élément précis en la matière, c'est pourquoi un programme appelé MAT Phyto a été mis en place dès les années 2000.
Mme Sophie Primas , présidente . - De quel type d'exposition parlez-vous ?
Mme Ellen Imbernon . - Il s'agit de l'exposition aux produits phytosanitaires de façon générale. Les pesticides sont un terme générique, qui recouvre des produits très différents.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourquoi avez-vous supposé cela ?
Mme Ellen Imbernon . - Nous avions établi un catalogue des facteurs de risque professionnel susceptibles d'influer sur la santé. A cette occasion, nous nous sommes aperçus que nous ne disposions d'aucune information sur la santé de la population des agriculteurs. Il était donc important de recueillir de telles informations.
Je tiens à préciser que nous ne sommes pas des chercheurs : notre rôle n'est pas de mettre en évidence des facteurs de risque pour la santé, ou les dangers d'un produit. Sachant que tel produit est nocif pour la santé, notre rôle est d'évaluer l'impact de son utilisation sur la santé de la population. En outre, nous pouvons soulever des questions relatives à l'excès de pathologies spécifiques au sein d'un secteur particulier. Notre mission première est la surveillance, et nous contribuons également à la veille et à l'alerte.
Mme Sophie Primas , présidente . - Sur quelles données la surveillance porte-t-elle ?
Mme Ellen Imbernon . - Nous essayons, autant que possible, d'utiliser les données existantes. Par exemple, Mme Béatrice Geoffroy-Pérez travaille sur la surveillance de la mortalité des Français, selon les différents secteurs d'activité. Nous avons réalisé ce travail au sein du programme Cosmop (programme pour la surveillance de la mortalité par profession). Le secteur agricole connaît une sous-mortalité par cancer par rapport aux autres secteurs. En revanche, les accidents et suicides sont plus représentés au sein du secteur agricole. Les agriculteurs se suicident plus que les travailleurs des autres secteurs d'activité. Nous dénombrons ainsi trois fois plus de suicides chez les agriculteurs que chez les cadres.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment expliquez-vous cette sous-mortalité par cancer du secteur agricole ?
Mme Ellen Imbernon . - La sous-mortalité par cancer du poumon est très nette. Certes, les agriculteurs manipulent des produits dangereux. Cependant, l'impact sur la mortalité globale, s'il existe, n'est pas facilement visible, du fait de la sous-consommation de tabac par les agriculteurs. Or, c'est ce cancérogène puissant qui explique la sous-mortalité par cancer du poumon par rapport aux autres populations.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous êtes donc d'accord sur ce point avec l'étude Agrican.
Mme Ellen Imbernon . - Oui, nous sommes d'accord avec les résultats de l'étude Agrican relatifs à la mortalité.
Mme Sophie Primas , présidente . - Utilisez-vous les données de la carte Vitale ?
Mme Ellen Imbernon . - Oui, nous allons utiliser le Système National Inter régime d'Assurance Maladie (SNIRAM) , qui regroupe l'ensemble des données relatives à la consommation de soins (médicaments, consultations, hospitalisations) de tous les régimes de sécurité sociale. Ce fichier, créé il y a dix ans, est géré par la CNAM. Nous commençons à entrevoir les possibilités d'utilisation de ce fichier dans le cadre de la surveillance épidémiologique. Bien que le principe de l'accès à ces données soit acquis, les modalités d'accès et l'utilisation de ces données sont très complexes. Mais ces données ne comportent aucun élément sur la profession des personnes. Nous devons donc extraire les informations sur la profession ailleurs, pour effectuer des croisements. C'est pourquoi nous avons imaginé le programme Coset (cohortes pour la surveillance épidémiologique en lien avec le travail) .
En France, tous les décès et leur cause sont enregistrés de façon exhaustive dans un registre tenu par un laboratoire de l'INSERM, le Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc). C'est à partir de ce registre que nous menons des études de mortalité par cause et par secteur d'activité.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce registre est-il tenu à jour, et suffisamment précis ?
Mme Ellen Imbernon . - Oui, il enregistre tous les certificats de décès avec les diagnostics.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'en est-il, par exemple, d'un arrêt cardiaque ayant causé le décès ? Celui-ci peut être issu d'une situation pathologique particulière.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Le remplissage dépend de l'information source, qui est communiquée par les médecins ayant constaté le décès. Or, plus le médecin est proche de la personne, mieux il connaît l'histoire de sa maladie et est en mesure de détailler l'information. Malgré les erreurs, nous pouvons effectuer des comparaisons en fonction des situations professionnelles.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce registre comporte-t-il des informations sur la profession ?
Mme Ellen Imbernon . - Non. Toutefois, grâce aux échantillons de population constitués par l'INSEE, nous pouvons analyser les causes de décès par profession et secteur en croisant les échantillons avec le registre.
Mme Sophie Primas , présidente . - Disposez-vous d'un système de jumelage ?
Mme Ellen Imbernon . - Nous avons un système d'appariement. L'enregistrement des causes de décès n'est pas nominatif.
Vous nous avez posé une question au sujet du volontariat dans la participation aux études , telles qu'Agrican. En France, les données sur la santé sont sensibles et requièrent une autorisation de la CNIL. Généralement, la CNIL nous demande de nous assurer que les personnes ne s'opposent pas à l'accès aux données de santé les concernant. La question du volontariat ne se pose donc pas. Nous ne pouvons pas obliger les personnes à contribuer à des travaux.
Par ailleurs, nous essayons de mettre en place des outils plus généralistes dans le cadre de la surveillance épidémiologique, tels que le programme Coset. Nous créons également des outils au titre de la surveillance des expositions, afin de retracer les expositions au cours de la vie. En effet, les maladies surviennent souvent longtemps après l'exposition .
Mme Sophie Primas , présidente . - C'est le cas, en particulier, pour les agriculteurs qui sont exposés aux produits durant des années. Quel travail avez-vous effectué concernant cette population ?
M. Johan Spinosi . - Nous avons mis en place des matrices cultures/expositions aux produits phytosanitaires dans un programme appelé MAT Phyto . Une matrice est une base de données. En fonction de la culture, nous pouvons obtenir l'ensemble des produits phytosanitaires qui ont été utilisés au cours des cinquante dernières années, avec des indicateurs d'exposition : probabilité d'utilisation du produit, fréquence d'utilisation (nombre de traitements appliqués sur une parcelle de culture donnée), intensité d'utilisation (quantité moyenne du pesticide considéré appliqué à chaque traitement sur la culture).
Dans la réalité, nous sommes confrontés à un manque d'information. En effet, il n'existe pas de recueil historique et exhaustif - pour tout le territoire français - des usages des pesticides . Par conséquent, nous sommes amenés à recouper un grand nombre d'informations, qu'il s'agisse des statistiques agricoles, des données techniques détenues par les services régionaux de protection des végétaux, les chambres d'agriculture, ou encore les instituts techniques agricoles. L'information obtenue est généralement assez parcellaire.
Mme Sophie Primas , présidente . - N'utilisez-vous donc jamais les cahiers remplis par les agriculteurs eux-mêmes ?
M. Johan Spinosi . - Nous le pourrions, mais ces cahiers ne sont pas nécessairement tenus à jour et ceux qui les remplissent ne sont pas forcément représentatifs de l'ensemble de la profession agricole. En outre, la compilation de ces informations représenterait un travail colossal.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces cahiers concernent-ils les exploitants ou les travailleurs agricoles ?
M. Johan Spinosi . - Ils concernent les exploitations.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelle serait la méthode de recueil idéale ?
M. Johan Spinosi . - Nous ne pouvons pas réparer les erreurs du passé. Le plan Ecophyto prévoit un certificat d'aptitude à l'usage des produits phytosanitaires, le Certiphyto. Nous pouvons penser que ce genre de permis permettra un recueil des usages de ces produits par les personnes détentrices du certificat. Cela revient à constituer un cahier, qui concernerait non seulement les applicateurs, mais aussi les vendeurs. Il est nécessaire de faciliter l'accès à ces données.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne serait-il pas souhaitable de rendre le recueil de ces données obligatoire ?
Mme Ellen Imbernon . - Certains pays, comme la Finlande, ont constitué des registres d'exposition.
M. Johan Spinosi . - La Californie le fait aussi. Cela reste une démarche complexe.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les cahiers remplis par certains agriculteurs, bien que non représentatifs de l'ensemble de la population agricole, ne pourraient-ils cependant être repris dans des matrices informatiques à des fins d'utilisation par l'InVS ?
M. Johan Spinosi . - Tout à fait.
M. Henri Tandonnet . - A l'heure actuelle, il s'agit de cahiers d'exploitation et non des cahiers tenus par les utilisateurs du produit.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il reste alors à savoir qui a travaillé sur la parcelle le jour du remplissage du cahier ...
Mme Ellen Imbernon . - On a recours à des évaluations indirectes grâce aux matrices qui sont indépendantes des individus. Elles permettent d'avoir des informations moyennes par culture dans des grandes populations. Cela est suffisant pour une utilisation épidémiologique.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne faudrait-il pas disposer d'un recueil des usages individuels des pesticides ?
Mme Ellen Imbernon . - Avec un tel recueil, nous n'aurions pas besoin d'une matrice, et les informations seraient plus précises.
M. Johan Spinosi . - Si nous menions une étude épidémiologique sur une zone donnée, les carnets, bien que non représentatifs, auraient tout leur intérêt.
Mme Ellen Imbernon . - La traçabilité des expositions est valable non seulement pour les agriculteurs, mais aussi pour les autres catégories de salariés. L'idée de carnets individuels d'exposition a été rejetée car les organismes représentatifs des travailleurs demandaient des garanties pour que cette information ne soit pas utilisée à l'encontre de la personne, notamment lors d'une embauche. Les syndicats de travailleurs n'étaient pas très favorables à un tel dispositif. Il faudrait que ces informations soient détenues par un organisme garant de la confidentialité.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous nous dîtes que vous rencontrez des difficultés à obtenir des informations cohérentes.
M. Johan Spinosi . - En effet. Soit ces informations n'existent pas car elles sont parcellaires, soit elles existent mais il est difficile de les obtenir, ou de motiver d'autres instances pour participer aux travaux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles sont vos conclusions, sur la base des éléments dont vous disposez aujourd'hui ?
M. Johan Spinosi . - Pour ma part, je ne réalise que l'évaluation des expositions. Je ne peux donc pas établir de lien avec une pathologie, qui est l'objet de Coset.
Le ministère de l'agriculture possède un grand nombre d'informations sur les pesticides, notamment au travers des dossiers d'homologation des produits. Aujourd'hui, nous ne sommes pas capables de retracer de façon historique les produits qui ont été autorisés en France. Nous ne disposons que d'informations parcellaires sur une période courte. Il n'existe pas de recensement général des usages autorisés et des indicateurs d'exposition.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pensez-vous que ces éléments participent à ce qui est connu comme « la fabrique du doute » ?
M. Johan Spinosi . - L'évaluation des expositions dans les études épidémiologiques est effectivement un souci majeur, pour mettre en lumière un éventuel lien entre pesticides et santé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pour amoindrir les doutes, il serait donc nécessaire de recueillir les usages des pesticides ?
M. Johan Spinosi . - Ce serait un bon début.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels autres éléments envisagez-vous ?
M. Johan Spinosi . - L'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) interroge un groupe de personnes représentatif des exploitations sur les usages des pesticides au cours de la campagne agricole étudiée. Ce sont des données privées. Nous avions commencé à échanger sur l'éventualité d'obtenir ce type d'information. A ce jour, le processus n'a pas abouti.
Mme Ellen Imbernon . - Nous n'avons jamais pu obtenir d'informations de la part de l'UIPP.
M. Johan Spinosi . - Nous nous intéressons aux substances actives présentes dans les spécialités commerciales mais non aux solvants, coformulants ni aux impuretés. Cette information n'est pas disponible de manière automatisée.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous souhaiteriez récupérer des données, auprès de l'UIPP notamment, pour lutter contre le doute.
M. Johan Spinosi . - Il s'agirait également d'inciter l'ensemble des organismes, notamment les différents ministères, à changer leurs façons de faire. Quand nous évoquons les pesticides, le premier ministère auquel nous pensons est celui de l'agriculture.
Mme Ellen Imbernon . - J'ai rendez-vous demain après-midi avec le ministère de l'agriculture.
M. Johan Spinosi . - Il convient de décloisonner les ministères.
Mme Sophie Primas , présidente . - Si j'ai bien compris, vous avez à la fois besoin de données de recensement des produits et des usages, pour mesurer et évaluer la probabilité d'exposition, et par la suite établir le lien avec les maladies. Cependant, ces données sont compilées par des organismes privés, ou par des ministères, qui sont cloisonnés.
Mme ellen Imbernon . - Établir un lien avec des maladies revient à établir un lien avec des personnes. Coset vise à constituer un échantillon de personnes qui seront peut-être malades un jour .
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Mme Ellen Imbernon évoquait précédemment le programme Cosmop , qui a pour objectif la surveillance des causes de décès selon l'activité professionnelle. Étudiant la mortalité, nous nous intéressons à la relation entre les expositions professionnelles et la santé. Coset , qui est le pendant morbidité de cette étude, est conçu comme un outil de surveillance prospectif. Plusieurs cohortes contribuent à recueillir des données prospectives concernant la santé et les expositions professionnelles d'un groupe d'actifs, représentatifs de l'ensemble des situations de travail en France. La cohorte MSA ne constitue qu'une partie de cette étude puisque des données seront également analysées concernant les travailleurs d'autres régimes. L'InVS met en place deux cohortes : une cohorte d'actifs affiliés au régime de la MSA et une cohorte d'actifs affiliés au régime des indépendants.
Il s'agit d'effectuer un suivi inter régimes. Nous avons mis en place le pilote de la cohorte Coset-MSA en 2010, auprès d'un échantillon réduit de cinq caisses. L'objectif n'est pas la recherche, mais la surveillance. Nous souhaitons décrire les situations de travail, l'état de santé, les liens déjà établis entre les deux et quantifier le poids des facteurs professionnels sur la santé. L'étude de la santé, en lien avec différents facteurs, peut permettre d'élaborer des hypothèses sur des associations. Cependant, ce programme ne vise pas à rechercher des éléments de causalité . Au contraire, il est très descriptif. C'est pourquoi il importe que l'échantillon soit représentatif. Dans le cadre de la cohorte MSA, nous avons ajouté des questions plus orientées, relatives aux pratiques professionnelles de l'agriculture. En particulier, nous croisons des éléments avec la matrice MAT Phyto, pour pouvoir retracer, de manière probabiliste, les expositions professionnelles au cours de la vie entière.
Mme Ellen Imbernon . - Cet outil peut servir à repérer des éléments anormaux au sein d'une population exposée à un produit particulier, ou travaillant dans une culture particulière.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous avez donc constitué des groupes représentatifs de la population des agriculteurs. Vous en évaluez la probabilité de l'exposition, en fonction des cultures qu'ils entreprennent et de l'historique de ces cultures.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Tout à fait. Nous recueillons individuellement les périodes de travail et les cultures correspondantes. Grâce à la matrice « historisée », nous calculons des probabilités cumulées d'exposition aux produits mentionnés dans la matrice. Le recueil individuel de cet historique serait impossible. C'est pourquoi nous avons recours à des données probabilistes. Cela nous permet de réaliser des évaluations de bonne qualité.
Mme Ellen Imbernon . - Cet outil ne cible pas une pathologie particulière.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous avons bien compris.
M. Henri Tandonnet . - Je m'étonne que votre méthode de travail ne consiste pas à rechercher les facteurs de risque importants. Affirmer que les agriculteurs meurent moins vite que les travailleurs des autres secteurs n'a pas beaucoup d'intérêt.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Notre objectif est bien de caractériser les populations à risque au sein de cette population étudiée, caractérisée par une sous-mortalité au sein de la population générale.
M. Henri Tandonnet . - Vous avez pour mission de révéler les facteurs de risque.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Nous avons effectivement pour mission de détecter éventuellement des surmorbidités .
Mme Sophie Primas , présidente . - Avez-vous commencé à détecter des surmorbidités ?
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Non. Nous venons de réaliser le pilote pour tester les procédures de recueil. Nous avons l'intention de mettre en place une cohorte à l'échelon national à la fin de l'année 2013.
Les données sont en cours d'analyse pour évaluer la qualité du recueil, dans une visée descriptive.
Mme Ellen Imbernon . - Il y a beaucoup de problèmes méthodologiques.
Pour répondre au sénateur Henri Tandonnet, nous pouvons mettre en évidence des événements qui semblent anormaux dans certaines situations. En revanche, la mise en évidence d'un facteur risque procède d'une démarche scientifique plus complexe.
M. Henri Tandonnet . - Pouvez-vous procéder à cette démarche à partir de vos alertes ?
Mme Ellen Imbernon . - Oui. Coset est un laboratoire à la disposition des chercheurs, qui peuvent prélever des individus de la cohorte pour mener des études épidémiologiques. La centralisation des données permet d'accélérer le processus.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle est la taille de la cohorte Coset-MSA ?
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - A l'échelle nationale, nous souhaitons suivre environ 30 000 actifs de la MSA par questionnaire. Nous complèterons ces données par une cohorte de non-répondants, c'est-à-dire d'individus tirés au sort, qui n'ont pas répondu au questionnaire. Cela nous permettra d'effectuer le redressement des données obtenues par le questionnaire. Nous devrions ainsi suivre passivement 60 000 personnes de la MSA.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quels sont les critères de représentativité ?
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - La population cible est constituée des actifs agricoles ayant été actifs au cours de l'année précédant le tirage au sort. Nous avons identifié ces personnes dans les bases retraite de la MSA, avant de les tirer au sort. Par exemple, nous avons essayé de tirer au sort autant d'exploitants que de salariés.
Mme Ellen Imbernon . - Nous avons tiré au sort les individus selon leur sexe, leur statut (exploitant/salarié), leur classe d'âge, leur site géographique...
Mme Sophie Primas , présidente . - Les avez-vous identifiés par type de culture ?
Mme Ellen Imbernon . - Non. Néanmoins, l'aspect géographique y est indirectement lié.
Mme Sophie Primas , présidente . - Certaines cultures seront nécessairement moins représentées dans la cohorte, par exemple celle des framboises. Vous ne pourrez donc pas mettre en évidence les effets des produits utilisés dans le cadre de la culture des framboises ?
Mme Ellen Imbernon . - Non, c'est trop ponctuel.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Pour évaluer des facteurs de risque aussi confidentiels, il faut réaliser des études ciblées.
Nous recueillons des informations historiques sur la santé et la profession (carrière professionnelle). Un questionnaire périodique, adressé aux individus de la cohorte, permet d'actualiser les données relatives à la situation professionnelle et à la santé.
M. Henri Tandonnet . - N'examinez-vous que le passé ?
Mme Ellen Imbernon . - Non. A partir du moment où les individus sont inscrits dans la cohorte, l'évolution de leur état de santé est enregistré.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Le suivi est effectué grâce au questionnaire et au recueil de données passives. Par informations passives, il faut entendre les données que nous pouvons obtenir des systèmes d'information administratifs de l'assurance maladie (remboursements des soins, hospitalisations, cotisations, données contractuelles) et de l'assurance retraite.
Mme Ellen Imbernon . - L'intérêt du SNIIRAM (système national d'information interrégimes de l'assurance maladie) est de suivre les données des agriculteurs qui auraient changé de régime de sécurité sociale.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - La mobilité professionnelle des salariés est élevée.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quand les résultats seront-ils disponibles ?
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Les résultats descriptifs devraient être disponibles en 2015, si nous parvenons à mener l'étude à son terme. En effet, le financement n'est pas assuré.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui vous finance ?
Mme Ellen Imbernon . - L'État, représenté par le ministère de la santé et le ministère de l'agriculture.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles sont les grandes différences entre Coset et Agrican ?
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - L'étude Agrican est ciblée sur les cancers, auprès des départements qui disposent de registres des cancers. A la différence de l'étude Agrican, nous couvrons plusieurs départements et pathologies. D'ailleurs, les premiers résultats de notre étude concerneront sans doute les pathologies respiratoires, les troubles musculo-squelettiques, les pathologies relatives à la santé mentale...
M. Joël Labbé . - Étudiez-vous les enfants des agriculteurs ?
Mme Ellen Imbernon . - Pour le moment, il n'est pas prévu d'étudier l'état de santé des enfants ou les problèmes liés à la naissance . Cependant, nous pourrons intégrer par la suite un questionnaire sur ce sujet. Des études spécifiques pourraient également se greffer sur la cohorte. Des cohortes d'enfants sont par ailleurs en cours d'étude. Enfin, le département santé-environnement de l'InVS mènera une grande étude de biosurveillance pour évaluer un certain nombre de marqueurs d'imprégnation dans la population, y compris les enfants. La question des enfants pose celle de l'effet de l'exposition des parents. Cette problématique est également valable pour d'autres domaines que l'agriculture. Par exemple, des femmes ont été contaminées par l'amiante alors qu'elles n'ont jamais travaillé dans un secteur exposé. Nous avons beaucoup de mal à repérer ce type d'éléments. Il serait intéressant de poser des questions sur l'activité du conjoint.
M. Joël Labbé . - Avez-vous envisagé de coordonner l'ensemble de ces données ?
Mme Ellen Imbernon . - Nous essayons de coordonner au maximum ces travaux mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Des organismes très différents ont été créés, dont les missions se rapprochent. Par exemple, l'ANSES est chargée de s'intéresser aux dangers des produits, à travers l'étude de la littérature et la mobilisation de l'expertise. Elle ne réalise pas d'études elle-même, mais produit des informations utiles pour l'InVS qui est chargé de la surveillance de l'état de santé de la population.
Certes, nous communiquons avec les autres organismes, mais ce n'est pas toujours simple - surtout dans la période actuelle de restrictions budgétaires. Nous essayons de travailler au maximum en concertation. La réponse à la question de l'effet de l'exposition des parents sur les enfants ne sera pas disponible avant quelques temps. L'impact de ces sujets sur la société est important et ces éléments sont de nature à bouleverser le système de réparation des maladies professionnelles.
M. Joël Labbé . - Le second élément de ma question porte sur un décloisonnement à l'échelle internationale. Êtes-vous en relation avec vos homologues espagnols, allemands.. ? Existe-t-il un travail européen à ce sujet ?
Plus nous manquerons de moyens, plus nous aurons le devoir de travailler ensemble et de mutualiser nos données.
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Des échanges ont lieu dans le monde de la recherche. Cependant, la mission de l'InVS est de décrire l'état de santé de la population en France. Nous voulons apporter, par exemple, une connaissance et un éclairage sur le poids des facteurs professionnels dans la population, sans mettre en évidence de nouvelles associations. Or, le partenariat international porte davantage sur la recherche fondamentale, au travers des organismes tels que l'INSERM. Néanmoins, des échanges existent, en particulier sur les méthodes à mettre en oeuvre.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En votre qualité de lanceurs d'alerte potentiels, souhaitez-vous nous alerter sur des éléments particuliers concernant les pesticides ?
Mme Béatrice Geoffroy-Perez . - Non. Pour l'instant, nous n'avons aucun élément à ce sujet.
Mme Ellen Imbernon . - Nous souhaitons disposer des moyens nous permettant de recueillir les données nécessaires. Il est important d'encourager les équipes de recherche dans ce domaine. J'espère que l'expertise collective de l'INSERM vous apportera des éléments scientifiques intéressants.
La question de l'effet des pesticides sur la santé n'a été soulevée que récemment et suscite encore beaucoup d'interrogations auxquelles les chercheurs tentent de répondre.
M. Joël Labbé . - Des alertes sur l'effet des pesticides ont été lancées il y a bien trente ans.
Mme Ellen Imbernon . - Nous travaillons également sur le cas de la chlordécone aux Antilles .
De nombreuses molécules ont été interdites au regard de leurs effets aigus. En revanche, les travaux menés sur les effets à long terme sont moins nombreux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci beaucoup pour cet éclairage.
Mme Ellen Imbernon . - Votre mission se préoccupe d'une vraie question. Nous devons nous intéresser à la population agricole, même si elle n'est pas la plus nombreuse parmi les travailleurs.
Audition de M. Christian Huygues, directeur scientifique adjoint de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) (29 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous sommes ravis de vous recevoir dans le cadre des auditions de cette mission d'information, dont l'initiative revient à Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de la Charente, suite à l'affaire des pesticides opposant M. Paul François à Monsanto . Dans le cadre de cette mission, nous avons pour premier objectif de nous informer sur le lien entre les pesticides et la santé sur l'ensemble de la chaîne professionnelle, de la production à l'utilisation, qu'elle soit agricole, occasionnelle - par les jardiniers du dimanche - ou le fait des collectivités territoriales. Il nous a semblé essentiel de vous entendre pour connaître votre point de vue sur Ecophyto 2018, savoir, peut-être, où en est la recherche relative à l'efficacité de produits phytosanitaires, et aussi être informés des alternatives sur lesquelles la recherche travaille, en matière de pesticides à destination de l'agriculture.
Mme Nicole Bonnefoy . - Un questionnaire vous a été adressé pour vous aider à vous inscrire dans le cadre de cette audition.
M. Christian Huygues . - Nous vous remercions d'avoir sollicité notre avis. Nous n'avons pu répondre à certaines de vos questions.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous pourrez éventuellement nous répondre un peu plus tard.
M. Christian Huygues . - Il y a des sujets sur lesquels l'INRA ne travaille pas, ou qui restent encore un point d'interrogation pour la science. Je suis directeur scientifique adjoint du secteur agriculture. Je suis généticien et ingénieur de formation. J'ai quelques connaissances en termes de sélection de la variété. Dans le cadre de l'INRA et de mes fonctions, je suis chargé de la coordination de nos travaux relatifs à Ecophyto. Je connais à peu près l'ampleur du chantier et la diversité des actions menées. Par ailleurs, j'exerce deux autres fonctions qui concernent l'action que vous abordez. En effet, je travaille au sein du comité technique paritaire de la sélection (CTPS), une instance au service du ministère de l'agriculture, qui porte sur l'inscription des variétés et la réglementation applicable aux semences. Je suis président de la section sur les fourragères et les gazons, et président du comité scientifique qui gère les appels à projets et rédige des avis pour le CTPS. En outre, je préside le comité d'orientation scientifique et technique (COST) de l'Association de coordination technique agricole (ACTA), qui chapeaute l'ensemble des instituts techniques des filières végétales et animales en France.
Dans le domaine végétal, les pesticides, ou, plus largement, la santé des cultures sont une préoccupation centrale, au regard du Grenelle de l'environnement et du défi que symbolise Ecophyto, qui vise à réduire de 50 % l'usage des pesticides. Il s'agit de rendre les productions agricoles sinon plus durables, au moins respectueuses de l'environnement, tout en maintenant la productivité et en réduisant le risque pour la santé des agriculteurs. Certes, l'une des premières raisons de l'utilisation des pesticides est la production, par la suppression des maladies des plantes. Cependant, les pesticides ont acquis une grande place dans la pratique car ils permettent, à des coûts relativement bas, de sécuriser la production. En effet, comme tout acteur économique, les agriculteurs ont une aversion au risque. L'utilisation des pesticides était donc un moyen sinon de réduire l'aversion au risque, au moins de répondre à la préoccupation relative à la sécurisation de la production.
Dans le même temps, un certain nombre d'effets potentiels de ces pesticides sur l'environnement et la santé étaient mal mesurés, mal documentés et inconnus. A visée initialement curative, l'utilisation des pesticides est devenue préventive. Ce faisant, un certain nombre de difficultés et d'impasses ont été créées, suscitant la préoccupation environnementale et sanitaire qui anime votre mission et que nous ne pouvons que partager. En outre, l'utilisation des pesticides se retourne contre l'objectif recherché. En généralisant l'utilisation de certains produits phytosanitaires, nous avons créé nos propres impasses. Aujourd'hui, se pose la question de la gestion durable de la santé des cultures : comment développer des techniques, des pratiques et des variétés à l'échelle d'un système de cultures, d'une succession culturale, voire d'un territoire agricole ? Comment réfléchir sur les pratiques et les éléments de gestion pour que le mode de protection devienne durable, pour que les moyens mis en oeuvre ne s'effondrent pas ?
Certaines variétés deviennent résistantes aux herbicides utilisés. Le dernier herbicide a été découvert il y a vingt ans. Depuis, les molécules ont été affinées mais nous n'avons pas créé de nouveau mode d'action. Nous avons donc engendré des impasses. Par conséquent, la seule solution pour éviter de créer une impasse est de concevoir des systèmes qui empêchent la constitution de résistances aux herbicides et aux systèmes associés. Cet exemple est également valable pour les insecticides, les fongicides etc. Nous devons imaginer des agricultures nouvelles pour atteindre cet objectif. Telle est la mission de l'INRA.
Le plan Ecophyto a été l'occasion pour nous de mettre nos recherches en perspective, de les traduire, de les réorganiser et de développer des travaux interdisciplinaires, afin de développer un nouvel outil. Les sensibilités aux maladies sont la première cause d'utilisation des produits phytosanitaires sur les blés. Les premiers travaux visant à améliorer la résistance génétique aux maladies datent des années 1970. Pendant trente ans, nous avons prêché dans le désert. Nous nous sommes intéressés aux résistances aux maladies d'une espèce voisine. Par croisement avec le blé cultivé, nous avons réussi à rapatrier des résistances aux maladies - en particulier des résistances aux rouilles. Nous avons créé un premier géniteur, qui n'a pas remporté de succès commercial - en raison d'un défaut. Depuis, ce sujet est devenu une préoccupation globale. Les blés issus de ce premier géniteur se situent désormais en haut du marché. Maintenant, toute la sélection a repris notre vision des choses.
Aujourd'hui, dans le cadre d'un métaprogramme visant à développer les actions interdisciplinaires, nous nous sommes assigné trois thèmes de réflexion :
- comment combiner de façon intelligente, dans le cadre d'une production intégrée, le déploiement des variétés avec les autres leviers que sont les méthodes de production ? Par exemple, il est possible de rendre le blé moins sensible aux maladies en décalant les semis ;
- la dynamique des maladies ;
- combiner en permanence la dimension biotechnique avec la dimension économique. A l'INRA comme ailleurs, il est nécessaire de décloisonner les sciences dures et les ex-sciences dites molles.
Ces trois axes poursuivent un même objectif : il s'agit de faire en sorte que notre gamme de solutions assure une résistance durable aux maladies.
Depuis très longtemps, l'INRA travaille à la création de variétés de vignes résistantes à l'oïdium et au mildiou. Malheureusement, la résistance n'était portée que par un seul gène. Nous avons donc refusé de déployer ces variétés, au grand dam des producteurs. En effet, ce n'était qu'une solution à court terme. Si nous avions développé de telles variétés, le gène de résistance se serait effondré et n'aurait jamais pu être réutilisé. Or, nous cherchons à proposer des solutions durables.
En aucun cas, nous ne cherchons à opposer agriculture biologique et agriculture conventionnelle , car ces deux gammes de pratiques agricoles ont chacune leur légitimité. Avant tout, nous devons fournir des connaissances scientifiques qui nous permettent de comprendre la problématique, puis d' offrir des solutions qui soient mobilisables par toutes les gammes de l'agriculture .
Mme Sophie Primas , présidente . - Comme vous êtes très impliqués dans Ecophyto , quel est votre avis sur l'avancement du plan ? Ce processus de réduction des pesticides est-il illusoire ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'avez-vous pas indiqué, en 2010, dans votre étude sur Ecophyto, qu'il était possible de réduire de 30 % les usages, tout en produisant autant ?
M. Christian Huygues . - Ce n'est pas ce que nous avons indiqué. Nous avons indiqué qu' il était possible de réduire de 30 % les usages tout en maintenant la valeur économique de la production au même niveau . Force est de constater que la mise en place de Ecophyto est difficile. En effet, un producteur qui gagne bien sa vie se soumettra à Ecophyto si le risque n'est pas trop grand. Il faut donc gérer l'aversion au risque. Cependant, il ne faut pas oublier les coopératives , qui produisent des pesticides, mais aussi réalisent la collecte des productions. Ces coopératives subissent une double peine : non seulement elles vendent moins, mais aussi elles collectent moins. Il ne faudrait pas mettre à mal leur infrastructure.
Il a fallu un temps absolument considérable d'échanges entre les acteurs pour réussir à partager des idées, et surtout à comprendre pourquoi le voisin n'est pas d'accord. L'INRA s'est engagée dans ces discussions la fleur au fusil, sans trop expliquer les choses, en s'appuyant sur sa propre étude de huit pages. Il a fallu beaucoup de temps pour reconnaître que les préoccupations des voisins étaient légitimes. Dans un contexte changeant, il faut faire en sorte que le but à atteindre soit unanimement accepté, sur la base d'un compromis de tous. En effet, il faut que les acteurs économiques disposent du temps nécessaire pour s'adapter. Les coopératives ont compris que l'adaptation était non seulement nécessaire, mais aussi porteuse d'opportunités. Si, auparavant, le conseil sur le mode de culture était masqué et vendu à travers le produit, les coopératives se sont rendu compte que le conseil pouvait devenir marchand et indépendant du produit . Ecophyto, en rendant le conseil marchand, l'a mis en situation de concurrence et a provoqué une sorte de rupture par rapport à la vente de produits.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vendre et conseiller, ce sont deux métiers différents, qui ne peuvent être exercés simultanément.
M. Christian Huygues . - C'est pourquoi les coopératives font progressivement le choix d'investir davantage dans le conseil, et moins dans la vente. Cela induit de nombreux changements (formation, mode de rémunération...).
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous avez donc noté une évolution des coopératives.
M. Christian Huygues . - Le Congrès annuel d' InVivo , qui se réunira le 19 juin, traitera de ces questions. Pour vous en convaincre, sachez que des prix seront remis aux conseillers dont le conseil est le plus respectueux de l'environnement. Les coopératives ne peuvent pas avoir une pratique différente de leur discours car ce serait dangereux pour elles.
Ce phénomène de bascule est quasiment obligatoire pour les coopératives. Peut-être, mieux que d'autres acteurs du développement, les coopératives mesurent-elles très bien les évolutions de la population agricole ? Les agriculteurs ont changé ; pour deux raisons. D'une part, leur niveau de formation s'est considérablement élevé ; d'autre part, les épouses des agriculteurs sont de plus en plus nombreuses à travailler à l'extérieur. Par conséquent, le monde de la consommation et le monde de la société civile ont pénétré la société agricole. Or, nous n'avons pas mesuré les conséquences de ce phénomène. C'est, à mon sens, la meilleure nouvelle pour l'agriculture.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les femmes sont l'avenir !
M. Christian Huygues . - Elles sont un élément important, qu'Ecophyto nous permet de redécouvrir. Ecophyto permet de réaffirmer le lien entre le consommateur et la société agricole. Par ailleurs, pour résoudre le défi d'Ecophyto, il importe que les agriculteurs réapprennent à travailler ensemble.
Pour surmonter toute aversion au risque, je conseillerai soit de se former pour mieux maîtriser les choses, soit d'apprendre de ses voisins. Au cours des vingt dernières années, nous avons un peu oublié l'importance du fonctionnement collectif dans le domaine de l'agriculture . Ecophyto permet de la redécouvrir.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous êtes donc optimiste.
M. Christian Huygues . - Je suis optimiste, par nature et par obligation. En effet, je pense qu'une direction a été prise. Des dynamiques collectives se sont mises en place. Les structures nationales sont en mouvement. Toutefois, je pense que la vitesse de progression sera sans doute inférieure à ce que l'on imagine. Nous ne pourrons pas réduire de 50 % les usages de pesticides avant 2018. A noter que cet objectif est plus facile à atteindre dans deux secteurs : les grandes cultures et la polyculture/l'élevage. En revanche, il est plus difficile à atteindre dans trois autres secteurs : les légumes, l'arboriculture et la vigne.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Sur quel type de culture portait votre étude sur une réduction de 30 % des usages des pesticides ?
M. Christian Huygues . - Elle portait sur les grandes cultures. Cet objectif est atteignable dans les grandes cultures.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment les résultats de votre étude ont-ils été accueillis ?
M. Christian Huygues . - Il nous a été indiqué que cet objectif était irréalisable. Cependant, les coopératives ayant modifié leur mode de rémunération, cet objectif devrait être atteignable.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles sont les prémisses de votre étude ?
M. Christian Huygues . - Il faut séparer la tendance des variations interannuelles. Le ministère de l'agriculture a considéré que l'année 2011 avait été une très bonne année, en omettant de préciser que cette année avait été extrêmement sèche.
Au-delà de la simple mesure des quantités vendues, nous assistons à une évolution des pratiques , qui vont dans le bon sens. C'est ce qui me rend optimiste. Nous assistons, par exemple, au retour du désherbage mécanique, y compris dans les grandes cultures, sur la base de techniques différentes. Par ailleurs, en dehors de tout mécanisme de recherche, des agricultures ont développé des systèmes de semis sous couvert .
Cependant, si nous laissons les choses progresser au rythme actuel, nous ne parviendrons pas à réduire les usages de pesticides de 50 % pour 2018.
M. Joël Labbé . - « Si nous laissons faire les choses » : cela ne nous rassure pas.
M. Christian Huygues . - Il faut progresser doucement. Nous avons les leviers pour que les grandes cultures atteignent l'objectif d'Ecophyto. En revanche, le secteur des légumes concentre les difficultés car il cultive de petites espèces, commercialisées sur des marchés de petite taille. Il est difficile de développer de grands projets de recherches dans ce secteur. En outre, le consommateur empêche ce secteur d'évoluer. Par exemple, s'agissant du poireau, d'après l'indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT), 50 % de ces traitements ne servent à rien et sont destinés à une production extrêmement tardive contre un insecte qui, par ses piqûres, provoque l'apparition de taches blanches sur la partie verte. Or, même si 99,5 % de cette partie verte sont jetés, il s'agit cependant de la référence visuelle qu'utilise le consommateur lors de son acte d'achat. Un poireau conservant des traces des piqûres serait déréférencé et boudé par le consommateur. Les sociologues appellent ce phénomène le verrouillage (ou « lock-in ») : le premier produit qui s'écarte du référentiel est perdu. C'est pourquoi il faut faire évoluer progressivement le référentiel. Pour ce faire, il faut soit concevoir une innovation technologique considérable (par exemple vendre les poireaux coupés en sachets), soit modifier la réglementation. Il est difficile de laisser faire le marché.
M. Joël Labbé . - L'éducation du consommateur est insuffisante.
M. Christian Huygues . - Vous avez raison. Les légumes ont un élément en commun avec les fruits : la possibilité d'une sorte de double peine pour le producteur. Une attaque des insectes peut non seulement réduire les volumes de production, mais aussi conduire au déréférencement des produits. Les agriculteurs refusent de prendre ce risque. Par conséquent, les leviers sont moins nombreux pour la monoculture. En revanche, s'agissant des grandes cultures, il est possible d'agir sur plusieurs leviers. C'est pourquoi un effort considérable est consacré à l'innovation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Étudiez-vous des méthodes alternatives pour les légumes, par exemple ?
M. Christian Huygues . - Nous mobilisons l'ensemble des leviers. Par exemple, pour la pomme, nous envisageons l'aménagement du verger, la végétalisation en bordure, la forme de l'arbre, le mélange de variétés aux résistances différentes (afin de réduire le niveau de pression des maladies), la fertilisation azotée et l'irrigation. Pour que les méthodes que nous concevons soient utilisables par les agriculteurs, il faut leur fournir des outils d'aide à la décision . Par exemple, nous mettons en place des méthodes de stress hydrique sans affecter la productivité, grâce à des capteurs hydrométriques installés sur les arbres. Par ailleurs, le CEMAGREF étudie le positionnement des pesticides : 70 % du produit n'atteint pas sa cible . Il est donc nécessaire de modifier le format des bulbes, ou encore d'adapter la quantité du produit. Nous avons récemment validé, avec le comité d'orientation scientifique et technique (COST) de l'ACTA, une unité mixte technologique entre le CEMAGREF et l'Institut français de la vigne et du vin (IFVV), afin d'améliorer les techniques de traitement, de pulvérisation et d'intervention. Des outils d'aide à la décision, prenant en compte les phénomènes épidémiologiques, ont été intégrés à cette démarche.
Mme Michelle Meunier . - Quid de la vigne ?
M. Christian Huygues . - La vigne représente une configuration intermédiaire. C'est une culture pérenne, comme l'arboriculture. Dans la plupart des vignobles, la baisse de volume n'est pas un problème en soi - à l'exception de la production de cognac. En revanche, dans les très grands crus, il est impossible de jouer sur les cépages. Le levier génétique est donc quasiment inutilisable. S'agissant de la viticulture, il faut réfléchir non seulement à la préoccupation phytosanitaire, mais aussi à la problématique du réchauffement climatique. Ce réchauffement climatique aura plutôt un impact positif sur le phytosanitaire. Cependant, dans quarante ans, il sera difficile de produire des grands crus de Bordeaux à Bordeaux. Nous devons trouver les bons ajustements.
M. Joël Labbé . - Vos recherches accompagnent-elles la viticulture biologique ? Avez-vous véritablement mis en oeuvre les moyens nécessaires pour l'accompagner ?
M. Christian Huygues . - Nous consacrons à l'agriculture biologique 3 % de nos forces . Est-ce suffisant ? Pour nous, l'agriculture biologique, à l'exception du fait qu'elle ne mobilise pas le levier des pesticides, reste une agriculture comme les autres. Les plantes ont les mêmes dimensions biologiques. En revanche, la gamme de solutions à mobiliser est quelque peu différente.
S'agissant de la santé des plantes, nous cherchons à maximiser les échanges entre les diverses formes d'agriculture. Il importe que les leviers, ou la créativité mise en oeuvre par certains agriculteurs, bénéficient à tout le monde. Le mot « innovant » est désormais galvaudé au sein de la recherche agricole. Si l'on se réfère à sa définition, l'innovation est une invention qui rencontre un marché. Dans le cadre d'Ecophyto, nous devons recenser l'ensemble des pratiques afin d'identifier les plus vertueuses, et d'étudier les conditions qui permettent de les généraliser ou non. Nous essayons de ne pas cloisonner l'agriculture biologique, même si certains phénomènes lui sont propres, tels que le lien au marché.
M. Joël Labbé . - Il existe une différence fondamentale entre l'agriculture biologique et les autres formes d'agriculture, qui tient à la prise en compte des bases de l'agronomie . Pendant quarante ans, les bases de l'agronomie ont été oubliées, y compris de la FNSEA. En tant que scientifique, qu'en pensez-vous ?
M. Christian Huygues . - A-t-on oublié les bases de l'agronomie ? Je ne sais pas. Ce discours est beaucoup utilisé aujourd'hui, comme une manière de s'excuser de quelque chose que l'on n'a pas fait. L'agriculture conventionnelle a considéré le sol comme un support inerte. La fertilité était apportée par des fertilisants azotés, de synthèse ou non, et la protection garantie par un intrant chimique, de synthèse ou non. Ce faisant, nous avons oublié tous les éléments relevant d'un agroécosystème. L'agriculture biologique , par un certain nombre de contraintes liées au cahier des charges, a cherché à valoriser certaines caractéristiques de cet agroécosystème. Elle s'est beaucoup préoccupée de l'agronomie, dans des configurations entretenant un lien plus approfondi entre la production animale et végétale. Ce faisant, elle valorisait davantage de composants des écosystèmes, au travers de la problématique du maintien de la fertilité.
M. Joël Labbé . - Il s'agit de reconstituer le sol.
M. Christian Huygues . - Il y avait effectivement une préoccupation forte au regard de la structure du sol, de sa charge en carbone et en composants organiques. Plus l'écosystème est divers, plus sa capacité de résistance aux phénomènes épidémiques est développée .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Où en sont vos recherches sur les conséquences des pesticides sur les abeilles ?
M. Christian Huygues . - Les résultats de notre étude ont été publiés, il y a un mois, dans la revue Science . La prouesse technique de nos recherches est d'avoir élevé des abeilles ouvrières in vitro durant vingt-et-un jours. Tous les jours, elles recevaient des doses extrêmement faibles de néonicotinoïdes . A leur naissance, nous avons apposé une puce sur le dos des abeilles, puis avons placé dans la même ruche les abeilles qui n'avaient reçu aucune dose de néonicotinoïdes mais qui avaient été élevées de la même façon. Nous avons constaté que le taux de perte était beaucoup plus élevé. Les abeilles ne revenaient pas à la ruche.
Nous réalisons à présent cette étude avec d'autres produits chimiques. Le développement in vitro visait à observer les phénomènes de toxicité au stade larvaire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces phénomènes de toxicité n'empêchent pas le développement des larves.
M. Christian Huygues . - Ils n'empêchent pas leur développement mais ils ont des effets sur ce développement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A-t-on mesuré de tels effets sur des mammifères ?
M. Christian Huygues . - Il n'est pas possible de transposer les résultats de cette étude aux mammifères, ni à l'Homme. Cependant, les résultats de notre étude ne sont pas une bonne nouvelle. Nous continuons à explorer d'autres produits de synthèse et à étudier les effets de ces produits sur les abeilles reines. Nous pourrions imaginer qu'une reine qui a subi la même exposition connaisse une baisse de fertilité. Cependant, élever une reine in vitro s'avère beaucoup plus difficile que d'élever une ouvrière. En effet, il est difficile de nourrir les reines.
Dans le cadre du même programme, nous cherchons à étudier globalement le problème du déclin des abeilles et à proposer des solutions pour éviter ce déclin, tout en combinant l'ensemble des processus observés à l'échelle d'un territoire. Il s'agit d'étudier l'effet de la biodiversité disponible à l'échelle d'un territoire sur le développement de l'abeille. Une abeille collecte dans un rayon de cinq kilomètres autour de la ruche. Nous sommes capables d'identifier toutes les plantes que les abeilles ont butinées. Ce travail est très long. Plus la diversité biologique disponible à l'échelle d'un territoire est grande, plus l'activité de la ruche est forte - quelle que soit la qualité moyenne de ce qui est collecté.
Par ailleurs, nous réalisons des études en Poitou-Charentes sur les abeilles qui se perdent. Nous avons identifié dix grandes zones extrêmement contrastées sur le plan de la diversité biologique. Nous pesons régulièrement les abeilles et mesurons leur activité biologique, afin de recueillir des éléments de compréhension de ce problème et de le résoudre. Cela pose la question du positionnement et de la quantité des cultures.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'agriculteur est-il informé de l'intérêt de la biodiversité dans le cadre du Certiphyto ? L'agriculteur apprend-t-il autre chose que le maniement des pulvérisateurs ?
M. Christian Huygues . - Je n'ai pas suivi la formation du Certiphyto centrée sur l'utilisation à des visées de production et de protection.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A l'issue de la formation, les produits phytosanitaires ne sont-ils pas moins ou mieux utilisés ?
M. Christian Huygues . - En principe, ces produits sont alors mieux utilisés, et en quantité moindre. Néanmoins, tout dépend de la qualité du formateur et des participants.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment les formateurs sont-ils recrutés ?
M. Christian Huygues . - Je ne sais pas. Les agriculteurs que j'ai rencontrés se sont spontanément déclarés satisfaits de ce qu'ils avaient appris au cours de cette formation, alors qu'ils étaient plutôt réticents à l'origine.
La question de la protection individuelle est complexe car les équipements signifient qu'il faut se protéger contre le phytosanitaire. Par ailleurs, ces équipements sont trop chauds. Des techniciens ont fait des malaises. Dans ce contexte, il faut modifier les heures d'intervention, mais cela est difficile.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.
Audition de Mme Béatrice Dingli, directrice générale et de M. Guy Vernerey, chef de projet du fonds d'assurance formation VIVEA (29 mai 2012)
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, dans le cadre de notre mission commune d'information sur les pesticides. Cette mission porte sur l'ensemble de la chaîne professionnelle, de la fabrication à l'utilisation de ces produits par les agriculteurs, les particuliers et les collectivités territoriales. Nous avons commencé nos travaux depuis plusieurs mois. Nous avons organisé à ce jour près de soixante auditions.
Mme Béatrice Dingli . - Nous vous remercions de nous avoir conviés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Nous vous avons fait parvenir en amont un questionnaire pour tracer le cadre de cette audition. Je vous laisse la parole.
Mme Béatrice Dingli . - VIVEA est un fonds d'assurance de formation. Nous vous avons communiqué une petite note à ce sujet. VIVEA a été habilité le 30 novembre 2001 et a été créé par six organisations professionnelles agricoles : la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), les Jeunes Agriculteurs (JA), l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA), la Confédération Paysanne, la Coordination rurale et la Confédération Nationale de la Mutualité, de la Coopération et du Crédit Agricole (CNMCCA).
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - VIVEA finance donc uniquement des formations agricoles.
Mme Béatrice Dingli . - C'est exact. Nous finançons uniquement la formation des chefs d'exploitations agricoles, des conjoints collaborateurs et des aides familiaux (c'est-à-dire des actifs non-salariés). La formation des salariés agricoles est financée par un autre fonds.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les formations sont-elles financées par les six organisations professionnelles que vous avez mentionnées précédemment ?
Mme Béatrice Dingli . - VIVEA est le financeur.
Ce fonds assure le financement, l'évaluation et la formation professionnelle continue des chefs d'exploitation. Nous n'intervenons pas au titre de la formation initiale. Nous finançons tous les agriculteurs à jour de leur cotisation. Nos contributeurs paient en moyenne 65 € par an, ce qui leur octroie un droit à la formation. Nous comptabilisons 643 000 contributeurs, dont 260 000 se forment, soit un taux d'accès à la formation de 21,5 %.
Les actions de formation que nous finançons sont des actions d'adaptation. Certains agriculteurs changent de profession au cours de leur carrière. Nous les accompagnons dans l'acquisition des compétences nécessaires à l'exercice de leur nouveau métier. Nous finançons également des actions d'acquisition ou de maintien des compétences dans le cadre du métier actuellement exercé.
M. Henri Tandonnet . - Votre mission est assez généraliste.
Mme Béatrice Dingli . - Oui, notre mission est assez généraliste mais les actions de formation sont très ciblées sur l'agriculture et les compétences propres au métier d'agriculteur.
Comme je l'ai indiqué précédemment, nos publics cibles sont les chefs d'exploitation, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux. Parmi nos publics cibles, nous comptons également tous les publics qui ont peu d'accès à la formation, comme les entrepreneurs du paysage. Nous réalisons un véritable effort pour les accompagner dans leur plan de formation. Nous accompagnons aussi des agriculteurs fragilisés, qui ne s'adressent pas spontanément aux organismes de formation, mais bénéficient d'un accompagnement spécifique au titre du maintien des compétences, grâce à un dispositif pédagogique spécifique. En outre, nous accompagnons les jeunes installés et les cédants, qui doivent transmettre leur exploitation. Tous ces publics ne viennent pas forcément à la formation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Disposez-vous de centres de formation ?
Mme Béatrice Dingli . - Nous n'avons pas de centre de formation car nous sommes financeurs. En effet, la loi distingue le dispensateur de la formation, c'est-à-dire le centre de formation, du financeur de cette formation. Ce sont deux entités complètement différentes.
La Mutualité Sociale Agricole (MSA) collecte pour nous la contribution des agriculteurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Seuls les agriculteurs contribuent ainsi à votre fonds.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et donc pas les syndicats ?
Mme Béatrice Dingli . - Non. Nous sommes le fonds d'assurance formation des chefs d'exploitation.
La MSA, dans le cadre de l'appel annuel de cotisations, collecte les contributions et nous reverse une enveloppe, que nous redistribuons dans chaque comité territorial. Chaque département et chaque région comportent des comités d'élus, qui sont mandatés par les organisations professionnelles constitutives du fonds. Ce sont les élus des comités territoriaux qui donnent leurs orientations en matière de priorité de formation pour leurs territoires respectifs.
Mme Jacqueline Alquier . - Comment la répartition des fonds collectés s'effectue-t-elle ?
Mme Béatrice Dingli . - La répartition est réalisée selon une règle bien précise. S'agissant de l'enveloppe qui est réaffectée dans les départements, deux tiers sont calculés à partir du nombre de contributeurs par département, et un tiers à partir de l'enveloppe collectée par département. Il est donc procédé à une péréquation, pour ne pas désavantager certains territoires par rapport à d'autres. Cependant, dans les faits, un département tel que l'Ariège, qui ne comprend que 3 000 agriculteurs, dispose d'une enveloppe moins importante que l'Aveyron, qui compte 14 000 contributeurs.
Mme Jacqueline Alquier . - Quelle est l'assiette des cotisations ?
Mme Béatrice Dingli . - Les cotisations sont prélevées sur le revenu. Elles s'élèvent à 0,3 % du revenu net de l'exploitation. Si l'agriculteur ne dégageait pas de revenus, la cotisation serait de 0,1 % du plafond de la sécurité sociale.
Ce taux est relativement bas puisque la cotisation des commerçants s'élève à 0,29 % et celle des artisans à 0,15 %.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Êtes-vous le seul fonds d'assurance formation des agriculteurs ?
Mme Béatrice Dingli . - Oui. C'est un fonds unique. Toutes les cotisations sont versées à VIVEA.
M. Henri Tandonnet . - Quid du fonds d'assurance formation des salariés ?
Mme Béatrice Dingli . - Il s'agit du Fonds d'Assurance Formation des Salariés d'Exploitations Agricoles (FAFSEA) . La collecte de ce fonds est beaucoup plus importante que la nôtre. VIVEA collecte 35 millions d'euros et lève 13 millions d'euros de cofinancements. Le FAFSEA, quant à lui, lève 250 millions d'euros de collecte. En effet, le taux de cotisation des agriculteurs est faible, tandis que les salariés cotisent pour le congé individuel de formation, le droit individuel à la formation et le plan de formation. Les cotisations des salariés sont donc beaucoup plus importantes, même si les salariés sont moins nombreux que les agriculteurs. Par ailleurs, le FAFSEA peut faire appel à des entreprises pour la collecte, alors que le public de VIVEA est bien défini.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les élus des comités territoriaux donnent-ils leurs orientations ?
Mme Béatrice Dingli . - Oui. Nous élaborons un plan stratégique triennal. Depuis le mois d'avril, nous travaillons avec un groupe national, constitué des représentants de nos organisations professionnelles agricoles, afin d'étudier le contexte, les grandes orientations françaises et européennes en matière d'agriculture, l'évolution des sociétés agricoles, la démographie, les réformes des institutions, l'âge de nos contributeurs... Ce diagnostic nous permet de définir les impacts du contexte sur le métier des agriculteurs pour les trois à quatre prochaines années. Ces impacts nous permettent de déterminer les compétences que les agriculteurs devront acquérir pour pouvoir exercer demain leur métier d'exploitant agricole.
Nous avons joint au dossier que nous vous remettons un exemplaire du précédent plan stratégique triennal VIVEA. Le plan 2013-2015 sera disponible le 12 décembre 2012, après sa validation par le conseil d'administration. Ce plan stratégique triennal est ensuite diffusé à tous les élus et organismes de formation. La réforme de la formation professionnelle continue, intervenue en 2009, nous oblige à réaliser des appels d'offres permanents. Douze priorités ont été définies, parmi lesquelles le pilotage et la stratégie des exploitations, l'environnement (développement durable en matière environnementale, économique et sociale), la technicité et le Certiphyto (pour lequel nous avons apporté 10 millions d'euros).
Mme Jacqueline Alquier . - Le Certiphyto n'est donc pas votre seul volet d'action. Les accidents du travail sont-ils également une priorité de formation ?
Mme Béatrice Dingli . - Les formations relatives à la santé et à la sécurité sont clairement mentionnées dans le cahier des charges du Certiphyto. Nous proposons d'autres formations santé, qui sont moins lisibles dans notre offre (gestes et postures, sauveteurs-secouristes du travail (SST), équilibre entre vie professionnelle et vie familiale...).
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles sont les formations concernant l'environnement ?
Mme Béatrice Dingli . - Nos formations relatives à l'environnement portent sur les produits phytosanitaires, hors Certiphyto : agriculture raisonnée, réduction des pollutions diffuses, accompagnement des zones vulnérables...
M. Guy Vernerey . - Il peut également s'agir de formations à la production fruitière intégrée.
Mme Béatrice Dingli . - L'environnement est une priorité stratégique. La durée moyenne des formations est de dix-sept heures. La formation établit des liens entre l'environnement, la stratégie et le pilotage de l'exploitation, dans le cadre d'une réflexion globale. Certaines formations en matière d'environnement sont axées sur une priorité technique (gestion de l'eau...) et sont organisées sur une durée très courte.
M. Guy Vernerey . - Nous proposons également des formations à l'agriculture biologique . Les formations sont organisées sur des séquences d'une journée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est le taux de conversion à l'agriculture biologique suite à une formation ?
M. Guy Vernerey . - Les agriculteurs qui suivent ce type de formation se sont déjà engagés dans une démarche de conversion.
Mme Béatrice Dingli . - La formation est un outil d'accompagnement au développement agricole.
M. Henri Tandonnet . - Ce n'est donc pas votre organisme qui dispense la formation. Vous faites un appel d'offres. Comment sélectionnez-vous les entreprises ? Élaborez-vous un cahier des charges pour vous assurer de la compétence et du sérieux des entreprises ?
M. Guy Vernerey . - En vertu du protocole mis en place par le ministère de l'agriculture et la direction générale de l'enseignement supérieur et de la recherche, les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) habilitent les organismes de formation. En contrepartie, les organismes habilités s'engagent à respecter un cahier des charges précis en termes de programme de formation et de moyens mis à la disposition des stagiaires. Nous nous référons à l'habilitation, dans un processus de partenariat. Nous n'avons pas souhaité mettre en place notre propre processus de sélection.
M. Henri Tandonnet . - Effectuez-vous des vérifications vous-mêmes ?
Mme Béatrice Dingli . - Nous contrôlons les formations que nous finançons. Les DRAAF, en tant qu'organisme instructeur du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), exercent une mission de contrôle.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - S'agit-il d'un contrôle du contenu de la formation ?
Mme Béatrice Dingli . - Nous réalisons des contrôles inopinés sur site. Nous vérifions que le programme en cours est conforme à la demande de financement que nous avons reçue sur l'Extranet. Nous vérifions également l'éligibilité des stagiaires et leur présence effective.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien d'heures la formation Certiphyto nécessite-t-elle ?
M. Guy Vernerey . - La formation dure en moyenne quatorze heures.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cette formation est-elle dispensée sur site ?
M. Guy Vernerey . - Les formations sont décentralisées dans des salles de formation des lycées agricoles ou des chambres d'agriculture.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui choisit les salles de formation ?
M. Guy Vernerey . - Les centres de formation ont leurs propres salles ou louent des salles auprès des mairies.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles sont les garanties offertes quant à la formation des formateurs ?
Mme Béatrice Dingli . - En principe, les formateurs sont habilités par la DRAAF. Lorsqu'il répond à l'appel de la DRAAF, le centre de formation fournit les curriculum vitae de ses formateurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Une qualification particulière est-elle exigée ?
Mme Béatrice Dingli . - Les formateurs doivent suivre un stage. Leur formation doit être mise à jour régulièrement.
M. Guy Vernerey . - Nous pourrons vous communiquer le cahier des charges de l'habilitation des DRAAF. Nous avons plusieurs cahiers des charges au titre de la formation Certiphyto, concernant les décideurs agriculteurs, mais aussi les prestataires de services (paysagistes et entrepreneurs de travaux agricoles).
Mme Nicole Bonnefoy . - La formation de ces différentes catégories peut-elle être dispensée par un même centre ?
Mme Béatrice Dingli . - Oui. Certains centres de formation demandent des habilitations pour tout type de public. Nous ne finançons pas ces centres. 20 % de notre plan de formation est consacré au Certiphyto jusqu'en 2015 .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'agriculteur doit-il payer pour la formation Certiphyto ?
Mme Béatrice Dingli . - Pour l'instant, l'obtention de ce certificat semble gratuite. Cependant, l'agriculteur finance sa formation. Un Certiphyto coûte 260 € en moyenne par personne. Le montant de la cotisation est de 65 € en moyenne et 75 % des exploitants cotisent à hauteur de 43 € par an. La cotisation maximale s'élève à 260 €.
M. Guy Vernerey . - Les fonds sont ainsi mutualisés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Un particulier peut-il s'inscrire à la formation Certiphyto ?
Mme Béatrice Dingli . - Un particulier peut s'inscrire auprès du centre de formation, mais devra payer la formation.
M. Guy Vernerey . - La formation n'est pas nécessairement adaptée aux particuliers car les objectifs sont liés aux pratiques professionnelles. Le particulier risque de s'ennuyer !
Mme Béatrice Dingli . - Les formations sont adaptées à la demande et aux besoins des agriculteurs.
Mme Sophie Primas , présidente . - Votre dossier comporte une étude de satisfaction réalisée par l'institut d'études d'opinion BVA. Pouvez-vous nous fournir des précisions à ce sujet ?
M. Guy Vernerey . - 138 personnes se sont vu attribuer le certificat en 2011. Par conséquent, nous avons souhaité mettre en place un système d'évaluation de la satisfaction à la sortie du stage, ainsi qu'une évaluation des acquis un an après la formation (connaissances retenues et mises en pratique). Les évaluations de satisfaction ont fait apparaître un très fort taux de satisfaction , presque inhabituel. Les agriculteurs ont sans doute obtenu des réponses à leurs préoccupations.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les agriculteurs demandent-ils des formations sur les pesticides ?
M. Guy Vernerey . - Les premières préoccupations affirmées en 2008 portaient sur la santé personnelle des agriculteurs, celle de leur famille, de leurs salariés, de leurs voisins, des consommateurs et sur la protection de l'environnement naturel. Cette étude a donné du sens au Certiphyto et permis d'alimenter la réflexion des organisations professionnelles. Le dispositif Certiphyto s'est construit en déclinaison de la directive européenne qui oblige la France à mettre en place un système de formation spécifique pour un emploi durable des produits phytosanitaires.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Du fait de leur importance, ces formations ne devraient-elles pas plutôt relever de la formation initiale ?
M. Guy Vernerey . - La sensibilisation des jeunes a beaucoup d'impact. Cependant, l'intervention des médecins de prévention de la MSA n'est pas suffisante car les jeunes ne se comporteront pas de la même manière dans le cadre de leur pratique professionnelle. Il faut donc trouver une articulation entre la formation initiale et la formation continue, qui prenne appui sur les pratiques professionnelles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En quoi consiste l'intervention des médecins de la MSA ? Viennent-ils présenter les équipements nécessaires ?
M. Guy Vernerey . - Oui.
Mme Béatrice Dingli . - Ils présentent également des statistiques (nombre de cancers chez les agriculteurs, accidents dans la région...).
M. Guy Vernerey . - Un an après la formation, les agriculteurs ont retenu la formation sur la santé (équipement de protection individuelle, risques mentionnés sur les étiquettes). 27 % des agriculteurs qui ne portaient pas de gants avant la formation en portent désormais, sachant que 50 % des agriculteurs formés portaient déjà des gants avant de suivre cette formation.
La formation est donc véritablement mise en pratique (réduction des doses, utilisation de pratiques alternatives).
Mme Béatrice Dingli . - Les agriculteurs réfléchissent à de nouveaux modes de culture. Ils demandent des formations supplémentaires. Le Certiphyto est un levier, qui amène l'agriculteur vers l'acquisition de compétences nouvelles, qui lui permettront de changer son système d'exploitation. Les agriculteurs souhaitent respecter l'environnement et se protéger, tout en continuant à produire pour répondre au défi alimentaire. Il faut revisiter les piliers humain, économique et stratégique de l'exploitation.
Mme Jacqueline Alquier . - Compte tenu des moyens dont vous disposez, parvenez-vous à répondre à la demande de formation ?
M. Guy Vernerey . - Il faut traduire le besoin en demande explicite. En effet, certains agriculteurs ne viennent pas spontanément vers la formation.
Mme Jacqueline Alquier . - Les agriculteurs qui ont suivi la formation parviennent-ils à entraîner leurs voisins dans cette voie ?
Mme Béatrice Dingli . - Le Certiphyto a eu un effet boule de neige. Nous avons travaillé avec des prescripteurs pour ouvrir cette formation au monde économique.
Mme Jacqueline Alquier . - Quelle est l'implication des coopératives ?
Mme Béatrice Dingli . - L'implication des coopératives est très forte. Certaines ont travaillé avec des organismes de formation pour mobiliser leurs adhérents. Certes, elles ont un intérêt économique à jouer le jeu du Certiphyto puisqu'elles cherchent à vendre leurs produits. Il faut au moins un décideur par exploitation. Toutefois, les coopératives travaillent également à la diminution des doses, afin de développer le service rendu aux adhérents. Elles prennent un tournant.
Par ailleurs nous avons travaillé avec les négoces. 40 % des Certiphyto sont délivrés par les chambres d'agriculture. Nous avons également travaillé avec les centres de formation professionnelle agricole (CFPA), les fédérations de protection des végétaux...
Le Certiphyto appartient presque au passé. Notre ambition est de réfléchir à l'après Certiphyto. Nous devons envisager de nouvelles manières de conduire l'exploitation, compte tenu des orientations européennes, du Grenelle de l'environnement, de la politique agricole commune à l'horizon 2014 ... Nous devons toujours avoir un temps d'avance pour commander les formations permettant de répondre à la demande.
La décision d'augmenter les cotisations sera-t-elle prise ? En effet, la demande a augmenté de 16 % cette année. Cela a conduit à diminuer l'enveloppe de formation du second semestre 2012.
Mme Jacqueline Alquier . - Avez-vous mis en place une évaluation des diverses mesures ?
Mme Béatrice Dingli . - Nous réalisons chaque année une évaluation qualitative et quantitative.
M. Henri Tandonnet . - Un dispositif équivalent a-t-il été mis en oeuvre pour les salariés ?
Mme Béatrice Dingli . - Un appel d'offres a été lancé auprès des organismes de formation. Les salariés ont débuté leur processus de formation. Le public est essentiellement constitué de chefs d'exploitation, salariés de leur propre entreprise. Nous travaillons de concert avec ces centres.
M. Guy Vernerey . - Jusqu'en 2011, le Certiphyto était un dispositif expérimental. Notre fonds est le seul qui ait accepté de financer la formation des contributeurs au stade expérimental. Nous avons ainsi formé 120 000 personnes. L'objectif fixé par le ministère était de former 5 000 personnes.
L'engouement pour la formation doit répondre à un besoin.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Un document leur est-il délivré ?
M. Guy Vernerey . - Oui.
Mme Béatrice Dingli . - Nous pourrons vous fournir une photocopie de ces documents. Une attestation est établie par l'organisme de formation. Ces informations sont vérifiées par la DRAAF, qui les transmet à France AgriMer, qui gère les Certiphyto au niveau national et délivre la carte qui permettra à l'agriculteur de retirer les produits auprès de sa coopérative ou de son négoce. C'est une carte d'identité, qui comporte le nom, le prénom de l'agriculteur et la durée de validité de la carte.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'agriculteur prend-t-il un engagement particulier ?
Mme Béatrice Dingli . - Non. Il ne s'engage pas à réduire la fréquence de ses traitements phytosanitaires.
M. Guy Vernerey . - Notre ambition est d'amener les agriculteurs vers des pratiques plus vertueuses, mais il est difficile de les contraindre à diminuer la fréquence de leurs traitements phytosanitaires.
Mme Béatrice Dingli . - Chaque région met en place un programme régional de développement agricole (PRDA) . Dans le cadre du plan Ecophyto 2018, chaque région décide de diminuer les intrants d'un pourcentage donné. La loi vise une diminution de 50 % des intrants.
Nous sommes invités par les DRAAF pour réfléchir au plan Ecophyto 2018. Nous sensibilisons nos conseillers techniques pour suivre ces travaux dans le cadre des comités régionaux d'orientation et de suivi d'Ecophyto (CROS) et inciter les centres de formation à proposer des formations adaptées. Nous avons de très bonnes relations avec ces organismes. Il faut se rapprocher des agriculteurs sur le terrain.
M. Guy Vernerey . - La formation intervient en appui d'un système de développement. Une synergie de moyens doit être mise en oeuvre.
Mme Béatrice Dingli . - Depuis trois ans, je constate la préoccupation grandissante des utilisateurs et des salariés en termes d'utilisation des pesticides. Leur problématique actuelle porte sur la communication autour de leurs actions. En effet, les agriculteurs ont peur que le port des gants et des masques choque les automobilistes . Aujourd'hui, les cultures sont traitées la nuit. Cela permet d'ailleurs de renforcer l'efficacité du produit. La formation doit être mise en pratique et actualisée tous les deux à trois ans.
Il faut trouver un équilibre entre la production et les préoccupations environnementales.
Mme Sophie Primas , présidente . - Préconisez-vous la permanence du dispositif Certiphyto ?
Mme Béatrice Dingli . - Peut-être faut-il faire passer un message auprès des agriculteurs, pour que leur formation soit à jour ou qu'ils s'interrogent en permanence sur la réduction des produits de traitement ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Le Certiphyto est très orienté vers la protection individuelle et la réduction des doses. La formation ne pourrait-elle être graduelle et évoluer vers la suppression des produits phytosanitaires ?
M. Guy Vernerey . - Oui. D'ailleurs, les agriculteurs ne sont pas contre une « piqûre de rappel ».
M. Henri Tandonnet . - Je suis étonné du décalage entre la formation des exploitants et des salariés sur ce thème. Pourtant, le Certiphyto est indispensable à la prise de conscience du terrain.
Mme Béatrice Dingli . - Les salariés débutent seulement les formations dans ce domaine. La mise à jour est nécessaire pour que les utilisateurs continuent de porter les équipements au cours des années suivant la formation. Pourtant, les équipements de protection sont financés en partie par la MSA.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les produits phytosanitaires représentent un coût extrêmement important, en termes de dépollution.
M. Guy Vernerey . - Un certain nombre d'agriculteurs considèrent qu'une augmentation de leurs revenus n'est pas incompatible avec une diminution du recours aux produits phytosanitaires. Cependant, du chemin reste à faire. Certains agriculteurs ne se protègent jamais.
Mme Béatrice Dingli . - Les agriculteurs redécouvrent le pouvoir de leurs sols. Un sol est une ressource. S'il est bien utilisé et bien cultivé, cela peut contrebalancer l'utilisation des produits phytosanitaires. Notre objectif est de former l'agriculteur à l'observation - qui est pourtant son métier de base. En effet, en achetant du matériel performant, les agriculteurs se sont permis une économie quant à l'observation de leurs sols et de l'environnement. Mettre l'accent sur les bases du métier est sans doute valorisant pour l'agriculteur. Par ailleurs, les jeunes ingénieurs en agronomie sont parfaitement formés à ces réflexions.
M. Joël Labbé . - Êtes-vous en contact avec l'enseignement agricole ?
M. Joël Labbé . - L'enseignement agricole est-il encore éloigné de ce qui devrait être enseigné aujourd'hui ?
Mme Béatrice Dingli . - Le référentiel des formations accorde désormais une part plus importante à l'agronomie.
M. Guy Vernerey . - Nous avons étudié les suites à donner aux formations Certiphyto, auprès de trois écoles d'ingénieurs. Les jeunes s'inscrivent dans la dynamique d'économie des intrants, tout en étant préoccupés par l'équilibre économique de l'exploitation.
M. Joël Labbé . - Les groupes de pression restent extrêmement prégnants.
Mme Sophie Primas , présidente . - Y compris les groupes de pression écologistes ...
M. Guy Vernerey . - Vous avez raison. Cependant, les alternatives aux produits phytosanitaires sont très techniques. Tout le monde n'est pas capable de les maîtriser .
Mme Béatrice Dingli . - Cela exige une véritable expertise.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il convient de gérer les risques.
Mme Béatrice Dingli . - La gestion des risques (santé, revenu, ...) est l'une des orientations du futur plan triennal. Des travaux sont actuellement menés par les chambres d'agriculture et AgroParisTech pour réconcilier la production avec l'environnement. Cette approche est désormais audible par les agriculteurs.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous vous remercions beaucoup pour cette audition très intéressante.
M. Guy Vernerey . - Nous vous ferons parvenir l'ensemble des documents par voie électronique.
Audition de M. Gilles-Éric Seralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen (29 mai 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous avons demandé de participer à nos auditions dans le cadre de notre mission d'information commune sur l'impact des pesticides sur la santé, au long de l'ensemble de la chaîne de fabrication et d'utilisation des produits. Cette mission d'information devrait être complétée d'une seconde sur la rémanence des pesticides dans l'eau, l'air, l'alimentation, le sol, etc.. Pour l'heure, nous nous focalisons sur la santé de ceux qui manipulent ces produits, qu'ils soient agriculteurs, agents des collectivités territoriales ou simples jardiniers, non sur celle des consommateurs.
Nous voyons souvent apparaître votre nom dans les publications sur ces sujets. Pouvez-vous nous présenter l'objet de vos recherches, nous parler de vos derniers travaux et nous dire ce que vous pensez des autres études sur ces thèmes ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Merci beaucoup pour votre invitation, Mesdames et Messieurs les sénateurs. Je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui. J'ai bien compris l'objet de votre mission, qui me réjouit.
J'ai consacré ma carrière à la perturbation endocrinienne . Après une thèse en endocrinologie moléculaire, j'ai notamment suivi une formation de quatre années en Amérique du Nord sur le clonage des gènes et les effets moléculaires de la perturbation hormonale. Après avoir étudié l'inhibition possible du cancer du sein par une perturbation hormonale, j'ai travaillé sur les origines des cancers et des maladies hormonales qui y sont liées.
Depuis plus de douze ans, je consacre mes recherches aux effets des OGM et des pesticides sur la santé, dans la mesure où ils sont des perturbateurs endocriniens. En effet, presque 100 % des OGM agricoles cultivés contiennent de nouveaux types de pesticides. A 80 %, il s'agit de Roundup , qui est l'herbicide majeur de la planète, et 20 % produisent des toxines insecticides nouvelles, non homologuées à ce jour.
Mon travail consiste à évaluer la manière dont ces produits agissent. Je vous ai envoyé mes quinze dernières publications. Nous avons découvert un certain nombre de points majeurs. La plupart des pesticides agissent en combinaison, au niveau cellulaire et in vivo . Nous avons réalisé une importante revue scientifique sur ce thème.
La première combinaison qui amplifie l'action des pesticides et la formulation dans son entièreté. Nous avons distingué l'effet du pesticide tel qu'il est utilisé par l'agriculteur et l'effet de la molécule active homologuée. La lacune majeure de l'évaluation des pesticides est que ces produits agissent plutôt à long terme , et, en premier lieu, dans l'organisme. Tous, autour de cette table, nous contenons des pesticides. Or, seule la molécule active est évaluée à long terme. Pourtant, la combinaison de cette molécule avec les coformulants ou adjuvants peut constituer un mélange beaucoup plus toxique - c'est d'ailleurs sa raison d'être - qui peut avoir un effet de perturbateur endocrinien. La perturbation endocrinienne est observée à des taux où le produit n'est pas directement toxique pour les cellules et les organismes mais où la fonction hormonale se dégrade.
Nous avons testé les quinze premiers polluants des eaux de rivière et des eaux de surface, parmi lesquels des pesticides ( Roundup , atrazine , lindane ) et des fongicides courants. Je codirige un pôle risques, rattaché au CNRS et à l'université de Caen, où travaillent une soixantaine de chercheurs issus de douze disciplines - comme la biologie, la chimie, la médecine, la sociologie, l'économie et l'écologie - et vous livre aujourd'hui le fruit de cette synthèse pluridisciplinaire. Il y a peu de pôles de ce type en France.
Du fait de l'industrie chimique, florissante après la Seconde Guerre mondiale grâce aux pesticides, l'évaluation a été réalisée uniquement par les entreprises commanditaires, pétitionnaires, chargées de développer les produits. Malheureusement, les tests qui permettent d'homologuer les produits sont encore classés confidentiels et donc indisponibles pour la communauté scientifique . Alors que les scientifiques, eux, doivent publier leurs résultats, des questions de santé publique se posent donc sans que nous puissions y répondre. Ce fait est extrêmement dommageable car il nous a empêchés de nous apercevoir des lacunes de l'évaluation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les industriels invoquent le secret industriel pour ne pas communiquer la totalité de leurs recherches. Pourrait-on imaginer un système de confidentialité permettant à la fois vos recherches et la protection du secret industriel ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Bien sûr. J'ai fait partie de la commission Lepage en 2009 qui a travaillé pour le conseil des ministres de l'environnement européen. Nous avons écrit les textes de lois qui permettraient d'instaurer un tel système. Disponibles sur le site Internet du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN), ces rapports comportent des préconisations respectant le secret de fabrication du produit et sa mise au point. En revanche, les résultats des analyses de sang des rats sur lesquels le produit a été testé n'ont pas à être protégés, même si elles sont très approfondies et ont coûté des millions d'euros. Les juridictions allemandes nous ont donné l'accès à ces analyses en appel contre Monsanto . Il faut se battre pour les obtenir, mais la loi est de notre côté ! En principe, REACH devrait nous permettre d'avoir accès aux données sur la santé, dès lors qu'elles se limitent aux conclusions des commissions. La disponibilité des données brutes nous permettrait de mener nos recherches dans leur entièreté.
J'appelle « pesticides » l'ensemble des herbicides, fongicides et insecticides. Les industriels ont mis au point des coformulants ou adjuvants - comme le glyphosate dans le cas du Roundup - destinés à faire franchir aux pesticides la barrière grasse entourant chaque cellule vivante. L'industrie défend la distinction entre « molécules actives » et « produits inertes ». Or, cette distinction n'est pas pertinente , car c'est l'effet combiné qui est recherché. L'absence d'évaluation à long terme sur les animaux de laboratoire, meilleur modèle d'évaluation avant de passer à l'homme, est un scandale sanitaire.
M. Henri Tandonnet . - La molécule est évaluée sans l'adjuvant.
M. Gilles-Éric Seralini . - Et c'est là-dessus que va se fonder la dose journalière admissible (DJA).
M. Gilbert Barbier . - Quid de REACH ?
M. Gilles-Éric Seralini . - REACH ne concerne que les produits chimiques autres que les pesticides et les médicaments. Les molécules constituant les matériaux (bisphénol A, phtalates, ...) ne sont pas commercialisées avec les adjuvants, mais libérées en tant que telles. En revanche, un agriculteur utilise systématiquement des adjuvants lorsqu'il épand un pesticide, afin que le produit puisse pénétrer plus facilement la molécule.
Les pesticides devraient être évalués à long terme tels qu'ils sont utilisés par les agriculteurs. Or, ce n'est jamais fait.
Comme je l'explique dans mes publications, la dose journalière admissible (DJA) est une division de la dose sans effet (DES) dans l'expérience, qui est calculée à partir de la molécule seule. En réalisant des mélanges - de Roundup , PCB , atrazine - avec des produits plastifiants ou autres présents dans l'environnement - qui parfois servent d'adjuvant - nous avons montré que les DJA pourraient être divisées par 100 ! Il s'agit donc de prendre en compte l'effet combinatoire du mélange et donc de l'évaluer. Lorsqu'un principe actif est toxique, les effets secondaires sont démultipliés. Les formulations sont mises au point précisément pour obtenir des effets de synergie, mais elles ne sont pas évaluées, a fortiori sur le long terme.
Nos travaux montrent les points d'impact de l'emploi des produits phytosanitaires sur les cellules . Ce sont surtout des inhibiteurs de la communication cellulaire à l'intérieur ou entre les cellules. Songez que le corps humain comporte quelque 200 000 milliards de cellules ! Agissant comme du sable dans un moteur, ces produits peuvent perturber plusieurs organes à la fois.
Nous disposons de deux grands systèmes de communication : le système chimique, porté par le système hormonal et le système électrique, porté par le système nerveux. L'un et l'autre peuvent être atteints indifféremment. Dénués de réelle spécificité, ces produits ralentissent la communication cellulaire, comme des spams dans un ordinateur, ce qui peut provoquer l'apparition de maladies chroniques (maladies du système nerveux, Alzheimer, Parkinson, diabète, maladies de la reproduction ou du système immunitaire). Il n'est pas pertinent de chercher un lien direct entre un principe actif et une maladie chronique, puisque le système fonctionne en réseau.
Les pesticides agissent réellement en formulation et on ne les évalue qu'au niveau d'une molécule. Les effets les plus perturbants à long terme, et pour lesquels il y a débat, ne sont étudiés qu'au regard du principe actif. Du coup, la MSA externalise ce type de problèmes. Le suicide cellulaire programmé joue un grand rôle dans la vie foetale. Ainsi, la mort programmée de certaines cellules permet la formation des doigts. A l'inverse, les pesticides sont capables de reprogrammer la mort cellulaire vers le suicide cellulaire.
Nous avons montré qu'à des doses 100 000 fois inférieures aux doses agricoles, le Roundup était un perturbateur endocrinien, puisqu'une dose de 0,2 partie par million (ppm) de glyphosate a un effet de perturbateur endocrinien. On parle ici de « faible dose », mais elles sont très supérieures aux dosages hormonaux habituels : nous sommes loin de l'homéopathie, où la trace des produits chimiques n'est pas quantifiable. La norme applicable au soja transgénique est de 400 ppm. Avec une dilution de 100 pour l'alimentation, on aboutit à 4 ppm, alors qu'une perturbation endocrine est observée dès 0,2 ppm !
Les pathologies chroniques ayant une cause environnementale explosent actuellement dans l'ensemble de la population.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous des équipements de protection individuelle des agriculteurs ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Agrican l'a montré dans une étude préalable : fût-il très bien équipé, un agriculteur est exposé aux pesticides lorsqu'il s'habille ou se déshabille . La protection procurée par l'équipement est donc limitée. A mon avis, une évaluation beaucoup plus sérieuse des pesticides offrirait une meilleure protection de la santé des agriculteurs. Je considère que l'Union européenne offre le meilleur niveau de protection sociale et environnementale, mais cela n'empêche pas de très nombreuses perturbations chez les agriculteurs. Pour 95 %, voire pour 98 % des cas, l'explosion des maladies chroniques est imputable à des causes environnementales.
Mme Sophie Primas , présidente . - Que pensez-vous de l'étude Agrican ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Agrican traite des cancers, et toujours à long terme. Je connais bien ce travail, qui souffre d' un biais initial, admis par ses auteurs : le répondant n'est pas toujours celui qui manipule le produit , l'exploitant ou l'employé, selon les cas. Or, les travailleurs agricoles effectuant la cueillette des fruits sont particulièrement exposés aux résidus de pesticides présents sur les feuilles. Peu importe qu'ils soient exploitants ou salariés. Dans la viticulture, ce sont les jeunes qui font la récolte. De même dans les pommeraies. Mal formulées, les questions s'adressent à l'exploitant agricole. Il faudrait retrier les données.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'étude montre que les agriculteurs meurent moins du cancer que le reste de la population, du fait de raisons extérieures.
M. Gilles-Éric Seralini . - Oui. Moins de tabac ou davantage d'activité physique, par exemple.
Mme Sophie Primas , présidente . - Cependant, l'étude indique aussi que certains cancers sont surreprésentés parmi les agriculteurs.
M. Gilles-Éric Seralini . - C'est pourquoi il est préférable de s'intéresser non aux cancers en tant que tels, mais aux maladies hormonales, cancéreuses, nerveuses, immunitaires etc. Cela nous permettrait de disposer d'une vision globale pour évaluer la santé des agriculteurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous de ce qui est appelé la « fabrique du doute » autour des pesticides ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) réclame des études épidémiologiques sur l'Homme pour que les pesticides soient rangés dans la classe 1, dangereux pour l'Homme, donc interdits.
Les pesticides sont des perturbateurs endocriniens, car ils ont été conçus précisément pour intervenir sur la vie cellulaire. Ils sont fabriqués pour être stables, par eux-mêmes ou grâce à des adjuvants chimiques, parfois dérivés du pétrole.
L'épidémiologie a été inventée pour étudier les épidémies. Elle est très utile pour établir un lien entre un agent pathogène et un effet massif à brève échéance. En revanche, elle n'est pas efficace pour étudier les effets combinés à très long terme ou trans-générationnels , car il est impossible de connaître les produits auxquels tel ou tel individu a été exposé. Il faudrait attendre des cercueils et des cercueils avant de conclure ! Dans leur quasi-totalité, les effets combinés sur le cancer du sein sont d'origine environnementale. Ils sont donc méconnus. Par ailleurs, plusieurs plastifiants alimentaires ont été inclus dans la formulation des pesticides. Conçus pour isoler des bactéries, ce sont donc des perturbateurs de la communication.
M. Gilbert Barbier . - Il n'est pas tenu compte de l'effet dose des perturbateurs endocriniens . Or, à faible dose, un produit perturbe peut-être davantage qu'à forte dose accumulée sur un temps très court. Vos études sur les perturbateurs endocriniens semblent démontrer, comme dans le cas du cancer du sein, que la dose absorbée n'a rien à voir avec le risque de présenter des perturbations endocriniennes.
Dans votre exposé, vous faites essentiellement allusion aux quantités absorbées. Les citadins, qui ne sont en contact avec les pesticides qu'à de faibles doses et de façon épisodique, ont-ils plus de risques d'être perturbés qu'un agriculteur qui manipule ces produits toute la journée ? Ne confond-t-on pas l'effet toxique avec l'effet perturbation endocrinienne ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Si. C'est une bonne question. La perturbation endocrinienne est observée en-deçà de la concentration toxique.
M. Gilbert Barbier . - Êtes-vous d'accord avec la théorie de l'effet, en courbe de Gauss, voulant que certains perturbateurs endocriniens soient moins dangereux à forte dose qu'à une dose très faible ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Ce cas de figure est connu. Songez au cycle féminin : il n'existe pas en l'absence totale d'oestrogènes, mais il est déclenché par l'apparition d'une faible dose de ces hormones, et se trouve totalement inhibé à une dose plus forte. C'est d'ailleurs le principe de la contraception hormonale.
Cette affirmation est donc vraie pour la perturbation endocrine, mais elle est fausse pour la toxicité stricto sensu .
M. Gilbert Barbier . - Parle-t-on aujourd'hui de toxicité ou de perturbation endocrinienne ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Des deux : il y a d'abord la perturbation endocrino-nerveuse ou immunitaire, puis la toxicité. Le seuil de toxicité des organes, des produits est largement une affaire de réaction personnelle, comme pour toute maladie.
La communauté scientifique dans son ensemble a mis en évidence les courbes en U ou en J des effets perturbateurs endocriniens de l'ensemble des pesticides, avec des effets antagonistes lorsqu'on augmente la dose. La courbe en U, en cloche ou en J est la réponse naturelle d'une cellule à toute stimulation chimique ou électrique : elle commence par répondre, avant d'être inhibée. Rien de tout cela n'est pris en compte par la réglementation actuelle, qui reste fondée sur la dose journalière admissible (DJA), qui ne porte que sur le seul produit.
Il faudrait mesurer la dose de pesticides dans l'organisme - dans un tissu, le sperme, le lait...- non dans le sang quand il y a des effets de perturbation endocrinienne mis en évidence, ce qui est le cas avec 80 % des pesticides. Par exemple, nous avons trouvé du glyphosate dans le cerveau de rats exposés au Roundup à de très faibles doses.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pouvez-vous dire de l'expertise scientifique menée par l'ANSES ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Pour moi, c'est plutôt l'AESA ( EFSA ), pardonnez-moi de parler ainsi, mais l'évaluation nationale n'a plus vraiment d'importance à mon sens car le processus est aujourd'hui européen.
L'évaluation de l'ANSES est théorique et ne porte pas sur les effets à long terme. Elle porte sur la pénétrabilité du mélange dans les tissus à court terme, pour en déduire les expositions. Or, seuls les tests à long terme permettent d'évaluer réellement la perturbation endocrinienne. Et ils ne sont pas effectués.
M. Gilbert Barbier . - Qu'appelez-vous un test à long terme ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Tous les médicaments en subissent : c'est un test de deux ans sur les rats, sur la vie entière. Souvent, les tests des industriels sont limités à six mois pour les pesticides et portent davantage sur la capacité de reproduction et les effets directement visibles sur la descendance. Les effets du distilbène , par exemple, ne peuvent pas être évalués ainsi.
Le produit modifie l'habillage chimique de certains gènes, ce qui les rend inexploitables. L'épigénétique étudie la transmission de cet habillage chimique, un élément à prendre en compte pour comprendre la transmission des maladies épigénétiques. La communauté scientifique découvre tous les jours des effets épigénétiques, même sans trace du produit. Avec le distilbène , des enfants peuvent présenter de perturbations nerveuses ou comportementales - comme l'autisme, favorisé par le distilbène - voire cancérogènes ; des femmes peuvent être atteintes par un cancer du col en raison d'un produit reçu par leur mère, voire leur grand-mère, ce qui risque d'entraîner l'autisme de leurs petits-enfants.
L'étude réalisée par Skinner aux États-Unis d'Amérique sur les effets épigénétiques a montré que les descendants de rats exposés aux pesticides étaient évités par les femelles durant cinq générations, car leurs hormones de reconnaissance sexuelle ne sont plus synthétisées de la même manière.
Si vous le souhaitez, nous pouvons à présent aborder les solutions.
Mme Sophie Primas , présidente . - Allez-y.
M. Gilles-Éric Seralini . - Au CRIIGEN et au pôle risques, qualité et environnement durable, reconnu par le CNRS, nous avons travaillé avec des juristes, des sociologues, des économistes et des environnementalistes pour saisir ces problèmes.
Trois enjeux majeurs ont été soulevés par vos questions très pertinentes. Premièrement, se pose un problème de transparence . Il faut que les données brutes sur la santé soient mises à la disposition de la communauté scientifique - j'exclus celles portant sur la fabrication du produit. Il convient de lever, au bénéfice de l'État, le code confidentiel sur les analyses de sang . Ainsi, la communauté scientifique pourrait s'emparer gratuitement de ce sujet de recherche. La loi exige la transparence sur les données de santé, mais elle n'est pas respectée quant aux analyses sanguines. Comment un médecin pourrait-il diagnostiquer ce dont vous souffrez, sans jamais connaître les résultats des examens de laboratoire ? Or, il est important d'obtenir les analyses de sang des mammifères qui ont reçu, le plus longtemps possible, le produit analysé.
Par ailleurs, l'étiquetage des produits doit être complet. Or, les adjuvants restent confidentiels et ne font pas l'objet de tests approfondis . Nos prélèvements obligatoires servent à prendre en charge des maladies chroniques dont nous ne pouvons pas connaître l'origine ! Sans élément sur la composition du produit, aucun scientifique ne peut reproduire son effet.
Ces méthodes constituent un sommet obscurantiste digne d'une sorte de Moyen-âge de la connaissance : n'avoir accès ni au produit ni aux effets qu'il entraîne. Depuis cinquante ans, nul n'est capable de réaliser un test sur la formulation d'un pesticide dans le respect des normes préconisées par l'OCDE , car cela coûterait 2 millions d'euros.
C'est pourquoi, par exemple, il n'y a eu qu'un test au monde pour homologuer le Roundup ... et ce test est baladé de commission en commission.
Pour favoriser l'emploi, l'État a demandé aux laboratoires et aux grands organismes de recherche de se rapprocher de l'industrie, ce qui a émoussé l'expertise contradictoire. Le corporatisme d'intérêt n'est pas rare au sein des commissions, où nous cherchons le mythe de l'expertise indépendante, alors qu'il faut organiser une expertise contradictoire .
Une expertise indépendante ne peut être fondée uniquement sur les données du pétitionnaire ; elle ne peut être réalisée uniquement par des rapporteurs en phase avec l'industrie. Je partage l'opinion de certains d'entre eux, mais je place différemment la barre d'exigence des contrôles et des expertises. Si l'on ne peut demander un test à long terme sur la formulation, alors qu'il est nécessaire, j'y vois une lacune de l'exigence. Il y a des gens qui le savent dans les commissions.
D'où un hiatus entre les connaissances et la réglementation - l'épigénétique et les courbes en U et en J sont dedans. Il est donc nécessaire de stimuler l'expertise contradictoire, à euros constants . Il faut demander aux industriels de ne plus financer eux-mêmes des cocontractants ou des sous-traitants pour réaliser des tests et établir des statistiques des tests. Au contraire, il faut leur demander de réemployer les fonds correspondants - qui donnent lieu à des subventions ou à des crédits d'impôt recherche - pour payer des laboratoires indépendants chargés de réaliser ces tests. Les entreprises pourraient abonder un fonds destiné à réaliser ces études et qui serait géré par l'État. Il serait ensuite fait appel à deux experts scientifiques, l'un nommé par l'industriel, l'autre par une structure plus citoyenne. Après évaluation du dossier, ces experts présenteraient leurs travaux devant la commission, dont les séances seraient ouvertes aux journalistes scientifiques lorsque les débats portent sur la santé et l'environnement, ou à d'autres personnes, comme dans les assemblées parlementaires. Ainsi, aucune question ne resterait sans réponse. Aujourd'hui, ces sujets sont aux mains de commissions dont les membres sont trop souvent en charge de l'évolution des carrières de leurs collègues. Les enjeux de pouvoir ne permettent ni la transparence, ni la réalisation d'une expertise contradictoire.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourrions-nous cependant nous retrouver sur la mise en place d'un système satisfaisant ?
M. Gilles-Éric Seralini . - Ce système nous permettrait d'assurer la transparence des effets et de réaliser une expertise contradictoire. Il nous permettrait de sortir du Moyen-âge de la science réglementaire.
M. Gilbert Barbier . - La FDA se situe aussi dans le Moyen-âge de la science.
M. Gilles-Éric Seralini . - Oui. Elle est très forte pour évaluer les risques microbiens. En revanche, les nouveaux pesticides ont été autorisés dans les OGM simplement sur déclaration . Or, les Américains souffrent de très nombreuses maladies hormonales liées à l'alimentation.
M. Gilbert Barbier . - Les Américains ont été les premiers à interdire le DDT .
M. Gilles-Éric Seralini . - C'est vrai. Néanmoins, les contrôles sur les produits chimiques sont nettement moins nombreux aux États-Unis. Les liens entre les entreprises et la FDA sont bien plus étroits qu'il y a vingt ans. L'espérance de vie des Américains régresse depuis que la réglementation a été allégée par l'administration Bush père (ventes libres d'hormones, de pesticides, d'OGM ...).
Outre la transparence et l'expertise contradictoire, il est enfin nécessaire de systématiser les tests à long terme sur les animaux de laboratoires pendant leur vie entière et celle des trois générations suivantes . Les rats atteignant la maturité sexuelle en deux mois, de tels tests ne dureraient que deux ans, soit une période s'inscrivant largement dans la durée de l'homologation d'un produit.
Ces nouvelles règles serviraient également les industriels puisqu'elles permettraient de rétablir la confiance du public envers leurs produits. Ainsi, un contrat européen a été signé avec neuf universités et neuf ONG pour étudier la réception par le public de l'évaluation des pesticides et des OGM . Dans huit États européens, la population estime que le laxisme prévaut. C'est notamment ce qui a ruiné la confiance envers les OGM, qui produisent des pesticides. L'affaire de la vache folle a miné la confiance du public en la manière dont l'Etat gère la traçabilité.
D'ailleurs, les commissions scientifiques peuvent orienter les modalités du contrôle étatique. Par exemple, lorsqu'une technologie américaine, appliquée au Royaume-Uni, a visé à moins chauffer les farines animales. Une personne de la Commission européenne a considéré alors qu'il n'était pas nécessaire de réaliser de tests à long terme sur cette nouvelle technologie. Ensuite, c'est la même personne qui n'a pas perçu l'utilité des tests à long terme sur les OGM. Or, le moindre chauffage des farines animales a provoqué la non-dégradation du prion pathogène, donc la transmission de la maladie dite de « la vache folle ».
En évitant le laxisme, sur les nanotechnologies, sur les téléphones mobiles, sur les tests à long terme sur les animaux , il sera possible de répondre à un ensemble de questionnements. La réalisation de tests à long terme est importante pour l'ensemble des innovations technologiques et des produits chimiques ; elle favorise l'élaboration de produits recyclables et biodégradables. A contrario , en nous abstenant de les imposer, nous laisserons se développer des produits chimiques entraînant certaines maladies. Il en va d'un changement de politique et d'économie.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous devons malheureusement mettre un terme à cette audition. Pourriez-vous conclure en quelques mots ?
M. Gilles-Éric Seralini . - De bonnes initiatives ont été prises. Nul n'est heureux de compter dans son entourage une personne atteinte d'une maladie chronique. Les cas se multiplient trop, y compris dans la faune sauvage - pour laquelle on ne peut incriminer ni le métro ni le travail -, pour que nous ne nous emparions pas du sujet.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi les agriculteurs éprouvent-ils des difficultés à déclarer leurs maladies ?
M. Gilles-Éric Seralini . - A cause de l'épidémiologie et de la MSA qui limite sa prise en compte aux accidents constatés sur place . En outre, l'épidémiologie est démunie quant aux effets combinatoires et à long terme. Or, par définition, les pesticides entraînent tous des effets combinatoires et à long terme. A la manière de sable dans la communication cellulaire.
Audition de M. Philippe Guichard et M. Patrice Marchand de l'Institut Technique de l'Agriculture Biologique (ITAB) (5 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Le détonateur de cette mission fut le cas de l'agriculteur Paul François. La première phase de nos travaux concerne toute la chaîne des pesticides : de ceux qui les fabriquent à ceux qui les utilisent. Elle vise à comprendre les liens entre pesticides et santé. La sûreté d'utilisation peut-elle être améliorée ? Quelles sont les solutions alternatives ? Quid de la procédure d'autorisation de mise sur le marché (AMM) ? L'agriculture biologique est-elle une solution ?
M. Patrice Marchand . - L'ITAB, depuis peu, centre son travail sur les intrants ; de concert avec l'agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et la direction générale de l'alimentation (DGAL), il réfléchit à la régularisation des intrants naturels et préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP). Un dossier pilote est en cours d'élaboration pour la presle . Il y a deux documents provisoires, un dossier-modèle et un document-guide. Mais il existe des blocages, notamment financiers. La loi de finances a fixé la redevance de dépôt entre 40 000 € et 200 000 €...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels sont vos liens avec l'ANSES ?
M. Patrice Marchand . - Nous avons conclu une convention avec le ministère de l'écologie et nous travaillons avec l'ANSES à synthétiser la montagne d'informations nécessaires au dossier pilote. Le critère qu'on nous demande de retenir est l'utilité plus que l'efficacité.
M. Joël Labbé . - Quelle différence faites-vous entre les deux ?
M. Patrice Marchand . - L'utilité, c'est ce qu'il y a dans le Règlement européen. Pour nous, l'efficacité veut dire davantage ; mais il est difficile de la quantifier.
Mme Sophie Primas , présidente . - Un produit est utile s'il prévient les maladies mais on ne peut en mesurer l'efficacité dès lors qu'il ne les guérit pas...
M. Joël Labbé . - En bio, l'efficacité doit être appréhendée de façon globale...
M. Patrice Marchand . - En effet. Je suis censé élaborer cinq dossiers sur des substances de base. Il a fallu faire évoluer les mentalités. Quel sens cela a-t-il de s'interroger sur la dose létale du sucre pour les abeilles ? Même chose pour le vinaigre, par exemple, dont on sait qu'il est fongicide. Nous avons une autre convention relative au biocontrôle : quatre dossiers pilote doivent être montés.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les agriculteurs sont-ils perméables aux techniques biologiques ? Quelles sont les motivations de la conversion de certains ? Opportunité économique ? Volonté d'avoir un label ? Peur du danger ?
M. Philippe Guichard . - Cela fait dix-huit ans que je suis agriculteur bio dans le Lot-et-Garonne. J'étais auparavant chef de culture dans une exploitation de 1 000 hectares en Seine-et-Marne et j'ai eu de graves problèmes de santé à cause d'un pesticide utilisé sur les betteraves .
La situation est complexe. Les groupes de pression agrochimiques cherchent à verrouiller les choses en l'état. Moi, j'utilise des substances végétales sans autorisation de mise sur le marché (AMM), qui ne sont pas reconnues comme substances de base, mais qui marchent très bien. On nous empêche d'avancer alors que le bio ne nuit à personne - si ce n'est à certains intérêts économiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment vous en empêche-t-on ?
M. Philippe Guichard . - Il y a de perpétuels blocages administratifs. Il est impératif d'alléger les procédures d'AMM pour ce type de substances. Pour les agriculteurs, c'est invivable. J'utilise des substances interdites et je le revendique ! Mes amis basques aussi utilisent des produits non autorisés, comme les farines de piment. On applique au bio les mêmes réglementations qu'aux phytosanitaires et à la chimie industrielle !
Pour travailler en agriculture biologique, il faut être convaincu : ce n'est pas un choix d'opportunité. J'ai dû faire abstraction de beaucoup de ce que j'avais appris en agronomie. Il faut éviter de calquer un système de production sur un autre.
M. Joël Labbé . - L'INRA collabore-t-il avec vous pour les expérimentations ? Il semble que 3,5 % seulement de son budget soit consacré au bio.
M. Philippe Guichard . - L'INRA devrait consacrer davantage de moyens au bio. Il faut dire que tous les financements de l'Institut ne sont pas publics. Or les agriculteurs biologiques n'ont pas les moyens de mandater des chercheurs et manquent de soutien politique.
M. Patrice Marchand . - Les études de l'INRA sont plutôt macroéconomiques que techniques. Ce n'est pas notre conception à l'ITAB.
M. Joël Labbé . - Qui finance l'ITAB ?
M. Philippe Guichard . - Ah ! En 2012, nous devions recevoir 170 000 € de FranceAgrimer, soit 15 % de notre budget, mais rien n'a été versé. La situation est malsaine, à croire qu'il y a une volonté de tuer le bio. Il faut pourtant faire de la place à tout le monde. Mon père était agriculteur conventionnel, je ne lance la pierre à personne ; mais, si on privilégie certains systèmes agricoles, il y a un problème d'équité ! Nous recevons aussi 400 000 € en direct du ministère de l'agriculture. C'est peu, pour vingt salariés et ingénieurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Existe-t-il d'autres organismes similaires au vôtre ?
M. Philippe Guichard . - Non, nous sommes les seuls, hormis pour les fruits et légumes où le centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) intervient - mais la part de recherche et d'expérimentation dans ces domaines est insignifiante.
M. Joël Labbé . - Travaillez-vous sur le vignoble ?
M. Philippe Guichard . - Oui. Il existe aussi des projets de recherche financés par la taxe qui alimente le compte d'affectation spéciale développement agricole et rural (CASDAR), anciennement association nationale pour le développement rural (ANDA).
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A quel niveau votre budget annuel se situe-t-il ?
M. Philippe Guichard . - Environ à un million d'euros.
Mme Sophie Primas , présidente . - Si les agriculteurs dits conventionnels sont réticents, c'est entre autres parce qu'ils craignent des pertes de rendement . Qu'en pensez-vous ? Avez-vous fait des études sur le sujet ?
M. Patrice Marchand . - Dans les années 2000, on disait que l'écart de rendement se situait aux alentours de 20 %. Mais il est devenu insignifiant, vu la stagnation des rendements conventionnels.
M. Philippe Guichard . - On généralise trop. Pour les céréales, l'écart est significatif. Mais si l'on prend en compte la matière sèche, le rendement en bio est équivalent, voire supérieur. Pour les oléagineux, les protéagineux ou l'élevage, il n'y a pas de différence. Pour la vigne, la production à l'hectare est largement inférieure en bio, mais c'est délibéré de la part des agriculteurs ; ils font beaucoup d'égrappage et d'effeuillage pour éviter les maladies de la vigne.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des chiffres sont-ils établis et diffusés ?
M. Philippe Guichard . - Malheureusement, les données des centres de gestion ne reflètent pas la réalité du terrain car beaucoup d'agriculteurs bio n'y adhèrent pas . Ce que je sais, pour avoir de nombreux contacts partout en France, c'est que, sur certains territoires et pour certaines productions, les systèmes bio sont très performants.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les parcelles bio sont-elles suffisamment protégées des pesticides utilisés dans les parcelles voisines ?
M. Patrice Marchand . - Très clairement, non. Le règlement bio n'impose aucune distance entre les parcelles bio et les autres ; le droit commun s'applique. Mais le contrôle est plus strict, y compris sur la chaîne de transformation.
M. Philippe Guichard . - La cohabitation ne pose pas problème. Je suis le seul paysan bio de ma commune. Je veille à ce que des adventices n'envahissent pas les champs des voisins et ceux-ci veillent à ne pas polluer mes champs. Mais les pollutions fortuites sont inévitables et le ministère devrait mieux les prendre en compte : elles relèvent de la responsabilité civile. Le risque pollution n'est pas assurable. Et il n'y a pas que la pollution industrielle : quid des pollutions intra-agricoles ? Je l'ai d'ailleurs dit au ministère de l'agriculture.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous avez choisi le bio à la suite de maladies liées aux pesticides . Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Philippe Guichard . - Je ne cherche pas à apitoyer qui que ce soit... En 1985-1986, j'étais chef de culture sur 1 000 hectares de céréales, betteraves, pommes de terre... en Seine-et-Marne. J'étais chargé du traitement phytosanitaire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En liaison avec les coopératives ?
M. Philippe Guichard . - Nous n'avions pas de contact avec elles. Je savais à quel moment traiter.
Mme Sophie Primas , présidente . - S'agissait-il d'un traitement préventif ou curatif ?
M. Philippe Guichard . - Non, d'un traitement systémique.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment épandiez-vous ?
M. Philippe Guichard . - Avec un tracteur et un pulvérisateur, sans protection : la réglementation était inexistante. D'ailleurs, la moitié des filtres à charbon sont inefficaces , même encore aujourd'hui ! Et puis les vents tournent...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien de temps avez-vous travaillé ainsi ?
M. Philippe Guichard. - Sept ans. Des plaques rouges sont apparues sur tout mon corps et le lien avec l'utilisation de bétanal a été très vite établi par un grand professeur parisien. Je descendais dans la cuve du pulvérisateur pour la nettoyer...
Nous étions conscients des risques pour les insectes, comme les abeilles. Je faisais attention, je traitais tôt le matin ou tard le soir, en absence de vent... Mais, après être descendu dans la cuve de 3 000 litres, la tête me tournait ! Mon médecin m'a dit d'arrêter ce travail pendant un an. Les symptômes ont disparu. Alors j'ai repris mes études et je me suis installé comme paysan bio dans le sud-ouest.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'avez-vous plus de séquelles ? Savez-vous si d'autres personnes ont été atteintes ? Le produit a-t-il été interdit ?
M. Philippe Guichard . - Je n'ai plus de séquelles. Pour le reste, je ne sais pas.
M. Gérard Miquel . - Y a-t-il, dans le Lot-et-Garonne, des arboriculteurs bio ?
M. Philippe Guichard . - Bien sûr. Certaines plantes sont très efficaces, mais la direction générale de l'alimentation (DGAL) nous ennuie ; elle nous demande des études à n'en plus finir ; l'usage de l' Armicarb est interdit, par exemple, alors que ce produit est inoffensif et efficace.
M. Patrice Marchand . - La dérogation de cent vingt jours s'obtient difficilement.
Mme Jacqueline Alquier . - Des intérêts économiques sont en jeu !
Mme Sophie Primas , présidente . - Dans l'autre sens aussi : il y a bien une entreprise qui commercialise l' Armicarb !
M. Philippe Guichard . - Les producteurs utilisent des produits sans autorisation. Heureusement, les contrôleurs savent que nous ne sommes pas des fraudeurs et nous aident parfois à obtenir des autorisations. Ou ils ferment les yeux...
Mme Sophie Primas , présidente . - Reconnaissez-vous que tout produit épandu mérite contrôle ?
M. Philippe Guichard . - Bien sûr.
Mme Sophie Primas , présidente . - En préambule à votre audition, vous avez déclaré que le déplacement de la mission d'information vous a paru orienté. Pourquoi ?
M. Philippe Guichard . - D'après l'article de Sud-Ouest , vous avez visité l'exploitation du plus grand maraîcher bio du département, celui-là même qui refuse de nous aider à mener des études... Et vous êtes allés voir le plus gros producteur de produits chimiques français...
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous voyons tout le monde...
M. Philippe Guichard . - Vous êtes aussi allés dans les caves de Buzet, très traditionnelles. Il y a pourtant dans le secteur d'excellents viticulteurs bio.
M. Joël Labbé . - Nous avons reçu un peu tout le monde et nous allons partout pour avoir une vision objective.
M. Philippe Guichard . - Votre visite dans le Lot-et-Garonne m'a semblé trop orientée...
M. Patrice Marchand . - Je vous invite à lire un article fort intéressant dans Sud-Ouest sur l'utilisation de la presle en maraîchage. Nous essayons d'accompagner ceux qui veulent faire régulariser leurs pratiques. Il y a deux couches de réglementation, phytosanitaire et bio.
M. Philippe Guichard . - Il existe une vraie disparité de réglementation avec les pays tiers.
M. Joël Labbé . - Travaillez-vous avec vos homologues des pays voisins ? Sont-ils mieux aidés ?
M. Patrice Marchand . - Pas du tout. Ils sont jaloux de l'ITAB !
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci de votre intervention.
Audition de M. François Veillerette, porte-parole de l'association Générations futures, et Mme Nadine Lauverjat, chargée de mission (5 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Il nous a semblé utile de vous entendre dans le cadre de cette mission sur les pesticides et la santé. Nous essayons d'avoir les points de vue les plus divers pour nous faire une opinion objective. Nous allons commencer par le plan Ecophyto et la formation agricole.
M. François Veillerette . - Merci de nous avoir invités.
Notre association a participé à la conception même du plan Ecocophyto , dans la continuité du Grenelle. L'objectif est la réduction de 50 % en dix ans de l'usage des pesticides. Le premier bilan en a été dressé il y a quelques mois : il n'est pas très bon puisque l'indicateur le plus pertinent, le nombre de doses standard à l'hectare (NODU), a augmenté de 2,6 % entre 2008 et 2010 . Il ne s'agit pas d'une question de moyens puisque les personnes qui sont en charge d'Ecophyto en ont suffisamment.
C'est l'adhésion des agriculteurs qui fait défaut. Au lieu de changer de système agronomique, d'être en rupture, on optimise l'existant, d'où des objectifs de réduction de 15 % à 20 %, pas plus. Or, on n'atteindra l'objectif du plan qu'avec des systèmes de production intégrés , concept un peu neuf en France dans la période récente. A l'inverse, la culture raisonnée est une autre forme d'agriculture intensive, ce que l'INRA reconnaît. Les systèmes de production intégrés sont conçus pour être plus robustes, plus résistants, grâce à des choix variétaux différents ou à des démarches agronomiques différentes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce n'est pas ce qui figure dans Ecophyto !
M. François Veillerette . - Les fermes de référence DEPHY n'ont pas toutes les mêmes ambitions : moins 50 % pour certaines, beaucoup moins pour d'autres. Il faudrait mettre en place des réseaux de centaines de fermes visant les moins 50 %, qui seraient les éclaireurs de la profession. Sinon on n'atteindra pas les objectifs du plan.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous des formations dispensées?
M. François Veillerette . - Il existe de très bons formateurs qui animent des réseaux et font eux-mêmes moins 50 %, voire moins 60 %, avec des performances économiques excellentes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourquoi les choses ne vont-elles pas plus vite ? A cause de rendements moindres ?
M. François Veillerette . - Les rendements sont inférieurs, mais la rentabilité est équivalente, voire meilleure.
Mme Sophie Primas , présidente . - Si les rendements sont inférieurs et que les prix baissent...
M. François Veillerette . - C'est une question centrale. En céréales, à partir de 200 € la tonne, la course au rendement redevient intéressante ; mais en deçà, les systèmes à bas niveau d'intrants sont rentables. Il n'y a pas d'avantage comparatif vraiment clair pour un système ou un autre.
Mme Sophie Primas , présidente . - Si on produit moins, on exporte moins.
M. François Veillerette . - On va perdre 10 % de rendement mais il ne faut pas confondre rendement et rentabilité. Je ne crois pas que la France ait une vocation exportatrice au-delà d'un certain niveau. Certes, l'humanité devra nourrir neuf milliards d'humains mais la France n'y suffira pas ! Nous devons parvenir à un équilibre satisfaisant pour la France comme pour l'Europe. En outre, nos exportations subventionnées ont plombé la production agricole des pays tiers. En Afrique, une meilleure agronomie, voire le passage au bio feront augmenter les rendements ! Nous devons laisser ces productions émerger, vivre par elles-mêmes. Et puis nous pouvons exporter nos savoir-faire en agronomie.
M. Gérard Bailly . - Parlez-vous de systèmes de production sans pesticides ou atteignant l'objectif d'une baisse de 50 % ?
M. François Veillerette . - Je parlais des systèmes de production intégrés, qui font du moins 50 %, pas du bio.
M. Gérard Bailly . - Dans mon département, je plaide pour que tous les agriculteurs fassent partie d'un centre de gestion, y compris les agriculteurs bio. Mais j'ai du mal à convaincre.
M. François Veillerette . - Il faut accompagner les agriculteurs qui veulent se lancer dans cette aventure, les centres de gestion y contribuent. Les retours d'expérience existent, les bilans agro-économiques aussi. On sait le faire.
Les objectifs que l'on s'est assignés sont un peu faussés puisque 70 % des parcelles étaient déjà en deçà du seuil fixé. Il y a des biais évidents. Les indicateurs de référence sont anormalement élevés. Un message politique fort et clair est nécessaire, pour obtenir l'adhésion de tous sans contraindre.
Le cadre européen nous aide, notamment l'article 14 de la directive 2009/128 qui impose de privilégier, chaque fois que c'est possible, les méthodes non chimiques et, à la fois, les pratiques et les produits présentant le risque le plus faible pour la santé et l'environnement ; il fait, en outre, obligation aux États de mettre en place des plans d'action nationaux - pour la France, c'est Ecophyto. Si l'on veut que ce plan réussisse, le dialogue avec la profession agricole est très important. Dans les années 1950, il fallait produire plus. Désormais, la société demande à l'agriculture de produire mieux et de préserver l'environnement - ce que la France fait lentement. Nous devons avancer, aller de l'avant, mais sans accuser.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui sont les bons élèves ?
M. François Veillerette . - Le Danemark, par exemple. Mais les Danois ne sont pas bons pour l'élevage de cochons ! Ils le sont pour les céréales.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les pressions de l'industrie agro-alimentaire sont une contrainte... C'est compliqué pour un agriculteur d'être parfaitement en adéquation avec ce qu'attend de lui la société...
M. François Veillerette . - Un agriculteur a besoin de formation et d'information pour surmonter ses appréhensions et passer à un système de culture intégré.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous de la formation initiale et continue des agriculteurs ?
M. François Veillerette . - La formation initiale progresse mais elle peut encore s'améliorer quant au bio. Même si l'on arrivait à 20 % de surfaces bio, que faire des 80 % restants ? Des systèmes intégrés performants seront nécessaires.
Mme Nadine Lauverjat . - Il faudrait que le bio soit enseigné obligatoirement dans les lycées agricoles. Les techniciens des chambres d'agriculture n'ont pas changé depuis 2007 et tous ne sont pas convaincus de la nécessité ou de la possibilité de réduire de 50 % les intrants.
M. Joël Labbé . - Et les rendements par rapport au bio ?
M. François Veillerette . - En Picardie, région de forte production, la perte de rendement est de 20 à 30 quintaux pour les céréales. Si on avait investi davantage dans la recherche en bio ces vingt dernières années, sur les techniques, la fertilisation, les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), les variétés, les rendements en bio seraient bien supérieurs. Il ne s'agit pas de reprendre la course aux rendements, mais je ne suis pas pour une agriculture bio de témoignage ! Il faut favoriser l'homologation des PNPP.
M. Joël Labbé . - Faut-il donc plus de moyens pour la recherche publique ?
M. François Veillerette . - Nous nous trouvons dans un contexte économique difficile. Pourquoi concentrer toute la recherche dans la génétique ? La recherche sur les systèmes à bas niveau d'intrants, celle sur la diversité variétale mériteraient d'être davantage financées. Ce sont des choix politiques. Comme il sera ardu d'obtenir des crédits supplémentaires, on peut agir autrement, par exemple en rééquilibrant les coefficients pour l'entrée des variétés au catalogue ; ce serait assez simple et ne coûterait pas un centime. Pour les cultures pérennes, de gros efforts de recherche restent à faire : lorsqu'on change de variétés de pommiers ou de vigne, il vaut mieux ne pas se tromper ! Et ce sont des cultures qui ont un indicateur de fréquence de traitement élevé.
J'en viens à l'aspect santé . J'ai été choqué de la présentation des derniers travaux d'Agrican. On y dit haut et fort que les agriculteurs vivent plus vieux, souffrent moins du cancer, et l'on passe sous silence les données les plus préoccupantes : voyez le communiqué de presse !
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous avons entendu l'auteur de l'étude, autant le laisser s'exprimer lui-même.
Mme Nadine Lauverjat . - Il n'est pas lui-même en cause : il ne maîtrisait pas la communication de la MSA. Mais celle-ci peut mettre à mal des années de sensibilisation à la dangerosité des produits.
M. François Veillerette . - D'autant que la littérature scientifique est abondante. Selon une revue bibliographique canadienne, plus de 80 % des études scientifiques depuis 2004 montrent un lien entre l'exposition aux pesticides et des maladies neuro-dégénératives, des cancers, des troubles respiratoires ou de comportement . Aux États-Unis d'Amérique, un rapport remis au président Bush a mis en évidence les problèmes liés aux pesticides : cancers, maladie de Parkinson, troubles comportementaux... Sans compter que les coûts budgétaires directs et indirects des nouveaux cas de cancers dans le monde sont extrêmement élevés, estimés à 12,8 milliards de dollars.
M. Jean-François Husson . - Grâce à cette mission, nous allons progresser, j'en suis persuadé. Personnellement, je crois qu'il y a un lien entre les pesticides et le développement de certaines maladies. Tout récemment, l'assemblée générale de l'association Phyto-Victimes, s'est tenue dans mon département, avec une table ronde et la projection du film « La mort est dans le pré », cependant la mobilisation dans mon département n'est pas encore au rendez-vous.
Les agriculteurs sont des gens de mieux en mieux sensibilisés aux problèmes de santé mais ils ne se voient pas travailler en combinaison de cosmonaute... Que proposez-vous pour qu'ils s'impliquent ? Je pense qu'il faut les aider davantage avec le concours des professions de santé.
M. François Veillerette . - On dit aux agriculteurs que leurs pratiques peuvent être nocives pour l'environnement et pour leur santé, mais on ne leur donne pas la possibilité ni les moyens d'en changer. Ils sont dans un entre-deux difficile à vivre, entre l'impératif de production et l'attention à porter à l'environnement et à la santé. C'est aux pouvoirs publics d'intervenir, de tirer la profession mais également la société ! Il y aussi un problème de la qualité des aliments.
M. Jean-François Husson . - Oui, mais que faire, concrètement ?
M. François Veillerette . - Nous avons remis un cahier de doléances . Avant même de parler de protection individuelle, qui est une solution de bout de tuyau, il faut changer l'agronomie, ce qui passe par de la formation sur le terrain - « par-dessus la haie » - puis par de l'accompagnement et du conseil . C'est le sens du plan Ecophyto. Des fermes de référence sont indispensables afin que tous les acteurs se saisissent de ces questions.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il y a eu des crispations de part et d'autre...
M. François Veillerette . - Nous avons notre part de responsabilité ; nous parlons avec les agriculteurs. Mais notre rôle, c'est aussi de donner un coup de pied dans la fourmilière. Nous devons trouver des valeurs communes plutôt que de mener des guerres de tranchée car, sinon, à l'échéance du plan Ecophyto, nous établirons un constat d'échec. D'abord en matière de santé. En dépit de l'industrie du doute.
En second lieu, il faut interdire un certain nombre de substances véritablement nocives. Ecophyto n'est pas allé assez loin. Je pense aux perturbateurs endocriniens . Notre crainte est qu'on en revienne à l'évaluation du risque, alors que l'idée de départ, c'était un critère d'exclusion. Ce sont l'Allemagne et l'Angleterre qui poussent parce que ce sont elles qui fabriquent pas mal de ces produits. La France devrait taper du poing sur la table pour que les perturbateurs soient définitivement interdits. La stratégie européenne sur les effets des mélanges a aussi été affaiblie ; le Gouvernement français devrait peser contre cela..
Sans parler des systèmes dérogatoires ... La législation européenne a parfois été dévoyée. La France en a usé et abusé - notamment la dérogation de cent vingt jours. Et l'Union européenne a inventé une procédure allégée de re-soumission. On dit au producteur : vous manquez de données ? On verra plus tard, en attendant votre produit est autorisé... On est en procédure face à la commission européenne là-dessus. Les vieux produits, comme le Malathion , doivent dégager du marché... L'épandage aérien est soumis à un principe d'interdiction - mais il y a tellement de dérogations...
Mme Nadine Lauverjat. - Les AMM se décident entre trois ministères : santé, écologie, agriculture. On a avancé depuis que l'ANSES a davantage de moyens pour évaluer les dossiers, mais les dossiers restent soumis par les industriels eux-mêmes.
M. François Veillerette . - On l'a vu avec le Roundup , quand on veut un contrôle citoyen sur l'AMM d'un produit, on se heurte au secret industriel. Comment avoir la preuve que c'est bien la formule exacte qui a été testée ? Il faut supprimer ce plafond de verre.
L'État n'est d'ailleurs pas en mesure d'évaluer correctement les dossiers remis par les industriels. Le choix des experts et les conflits d'intérêt doivent être examinés de plus près. L'État doit rendre son système plus exigeant.
Enfin, l'AESA ( EFSA ), qui évalue les substances actives et a posé quelques problèmes ces années passées, a proposé une procédure simplifiée d'homologation pour les produits chimiques et les pesticides, appelée seuil de préoccupation toxicologiqu e, en cédant à une vieille demande de l'industrie chimique. Cela entraînerait une hausse des seuils de tolérance d'exposition aux produits... au lieu de rendre le système d'évaluation plus exigeant.
M. Joël Labbé . - La France est-elle toujours le premier pays utilisateur de pesticides ?
M. François Veillerette . - En Europe, oui, mais pas dans le monde où elle se situe au quatrième rang.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour toutes ces précisions.
Audition de M. Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail au ministère du travail, et de Mme Patricia Le Frious, chargée de mission sur les équipements de protection individuelle (5 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est le rôle de la direction générale du travail (DGT) en ce qui concerne la fabrication et l'utilisation des pesticides ? Que pouvez-vous nous dire des équipements de protection ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - A la direction générale du travail, une sous-direction est en charge des conditions de travail ; un bureau est plus précisément en charge des équipements de protection. Le dossier des pesticides est partagé avec le ministère de l'agriculture.
La DGT n'a pas la religion de l'équipement de protection individuelle (EPI). Le principe de base, conformément aux directives communautaires et au code du travail, c'est de tout faire pour que les produits utilisés n'exigent pas de tels équipements : pour que soient utilisés, dans la mesure du possible, les produits les moins nocifs pour les salariés. C'est le principe de substitution. Au niveau de l'entreprise, un document unique sur la prévention des risques doit traiter la question. Le deuxième niveau, c'est l'organisation de la protection collective grâce à des modes de fabrication industriels sûrs. L'équipement individuel ne vient qu'ensuite. Cela ne vaut pas que pour les pesticides.
S'agissant des EPI, le rôle de la direction générale du travail est triple. Les directives dites « de nouvelle approche » de 1989 concilient liberté de circulation et protection des salariés : dès lors que les équipements répondent à des normes européennes harmonisées , ils bénéficient d'une présomption de conformité aux exigences de la directive. La DGT travaille à l'élaboration de textes communautaires. Ensuite, nous organisons, par l'intermédiaire d'organismes notifiés, des tests sur les équipements mis sur le marché et, en cas de risque grave ou mortel, des tests sur les équipements en cours de fabrication. Enfin, la DGT est chargée, avec d'autres administrations dont les douanes, de la surveillance du marché. Il peut résulter de tout cela des modifications des normes applicables.
Quels sont les risques ? On parle beaucoup dans le monde agricole d'intoxication par voie respiratoire ou digestive, mais le principal risque, c'est la contamination par voie cutanée .
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous fondez-vous sur vos observations de terrain ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Oui et sur des études scientifiques. Le risque cutané est sous-évalué.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui fabrique les combinaisons ? Qui choisit leur matière ?
Mme Patricia Le Frious . - Les fabricants sont souvent spécialisés. En France, il existe quelques grandes entreprises comme Dupont de Nemours ou Kimberly Clark...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les combinaisons sont-elles conçues eu égard à la dangerosité des substances ?
Mme Patricia Le Frious . - Elles sont conçues pour protéger contre quelques substances bien identifiées. Les résultats des tests figurent sur la notice qui doit obligatoirement accompagner le vêtement. A ma connaissance, un seul fabricant de pesticides a créé sa propre combinaison . Lors des tests, on voit ce qui traverse le tissu et ce qui ne le traverse pas.
M. Joël Labbé . - Adjuvants compris ?
Mme Patricia Le Frious . - A priori , oui. Dans les conditions d'utilisation finale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Si un agriculteur équipé tombe malade, le fabricant de la combinaison est-il responsable ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Oui et non...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-on certain que les EPI offrent une protection sûre ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Nous nous interrogeons sur les modes de fabrication, les procédures d'AMM... Mais je ne crois pas que la question de la responsabilité soit centrale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais on reproche à un agriculteur charentais de ne s'être pas assez protégé ! Qui est responsable ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Je ne nie pas qu'il y ait des responsabilités, mais je ne crois pas qu'il faille commencer par là...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Encore une fois, les combinaisons sont-elles efficaces ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Faut-il en changer à chaque produit ?
Mme Patricia Le Frious . - Certaines combinaisons protègeront contre huit produits, d'autres contre deux. Mais le problème, c'est le produit qui est réellement utilisé, sans compter que les pesticides sont souvent des mélanges. Utilisée de manière non conforme, une combinaison est-elle efficace ? On n'en sait rien.
M. Joël Labbé . - Qui réalise les essais préalables ? Y a-t-il des contre-expertises ou toute confiance est-elle faite au fabricant ? Le ministère délivre-t-il lui-même l'autorisation ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Les tests sont réalisés par les organismes de contrôle. Non, il n'y a pas d'AMM ou équivalent pour les équipements de protection .
Mme Patricia Le Frious . - Les organismes notifiés sont indépendants des fabricants...
M. Jean-Denis Combrexelle . - ... et présentent des garanties de sérieux.
M. Joël Labbé . - Mais qui est responsable en dernier ressort ? Le producteur de molécules ? Le fabricant de l'EPI ?
M. Jean-Denis Combrexelle. - De même qu'on ne peut pas poser dans l'absolu la question de l'efficacité de chaussures de sécurité, puisque tout dépend du chantier, l'efficacité de la protection varie selon les cas. Le premier responsable de la santé des salariés, c'est l'employeur, qui peut éventuellement faire jouer un recours en garantie contre le fabricant.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Tous les équipements sont-ils soumis à homologation ?
Mme Patricia Le Frious . - Il n'y a pas d'homologation, nous parlons d'évaluation, de certification CE. L'État ne délivre pas d'AMM mais exerce un contrôle a posteriori .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Régulièrement ?
Mme Patricia Le Frious . - Nous coopérons avec la douane, qui contrôle les produits à l'importation. Par la suite, la DGCCRF et la DGT peuvent aussi les contrôler ; nous avons interdit deux modèles de combinaisons en 2007.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les agriculteurs sont-ils informés ? Faites-vous des campagnes de prévention auprès d'eux ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Nous avons constaté que l'information délivrée sur les points de vente était médiocre . Il y a de gros efforts à effectuer dans ce domaine. Nous avons déjà créé des espaces « santé-sécurité » en Champagne-Ardenne et Midi-Pyrénées, dans les Pays de la Loire et en Bretagne.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les combinaisons sont-elles jetables ? Peuvent-elles être lavées ? Recyclées ?
Mme Patricia Le Frious . - En général, elles sont à usage limité dans le temps.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-ce précisé sur l'étiquette ?
Mme Patricia Le Frious . - Pas toujours. Les équipements usagés sont traités comme le sont les pesticides.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le mieux, est-ce de jeter une combinaison après l'avoir portée une journée ?
Mme Patricia Le Frious . - Oui, car les produits l'ont déjà imprégnée. Les fabricants n'indiquent pas comment les laver, puisqu'elles sont censées être à usage unique. Les normes sont en cours de révision : une étude de l'ANSES en 2007 en a montré les lacunes. Nous souhaitons que la notice indique clairement quant l'EPI doit être jetée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Surveillez-vous aussi les filtres et les masques ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Comme le reste. Outre la conception, les conditions d'utilisation d'un équipement peuvent le rendre inadapté. Ce n'est pas propre aux pesticides.
M. Joël Labbé . - Vous avez dit qu'un fabricant de pesticides produisait aussi une combinaison qu'il testait lui-même. L'industrie des pesticides ne devrait-elle pas assumer la charge des essais ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - Je ne suis pas sûr qu'il suffise d'assigner des responsabilités pour améliorer la prévention et la santé des salariés...
Actuellement, des pesticides sont autorisés sans que l'on soit sûr que des EPI adaptés existent : c'est à l'organisation du système qu'il faut réfléchir. La question centrale est celle de l'adéquation entre le produit et l'EPI.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourtant, les tests sont réalisés par l'ANSES en situation de port d'un EPI.
M. Jean-Denis Combrexelle . - En théorie. Il faut tout faire pour que les entreprises utilisent les produits les moins toxiques ; à défaut, il faut être sûr que des EPI adaptés existent.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - C'est ce qu'ont tendance à croire les agriculteurs. Ils font confiance aux fabricants. Dans la réalité, ils ne sont pas toujours protégés...
M. Jean-Denis Combrexelle . - Portent-ils toujours leurs EPI ? Tout le monde doit avoir conscience des problèmes de santé que posent les pesticides : en ce sens, on peut parler de responsabilités partagées, celle des entreprises, de l'État, mais aussi celle des salariés et des utilisateurs. Si un maillon de la chaîne ne joue pas le jeu, c'est toute la chaîne qui est fragilisée.
M. Joël Labbé . - L'existence d'une AMM rassure... Il y a une question de confiance ! Mais il semble qu'on puisse douter de la fiabilité des EPI, notamment si les adjuvants ne sont pas testés.
M. Jean-Denis Combrexelle . - Un vêtement de protection ne protège pas contre tout !
M. Joël Labbé . - S'il existait un EPI universel, les utilisateurs seraient protégés mais pas l'environnement...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La société qui veut commercialiser un pesticide n'est-elle pas la mieux placée pour commercialiser l'EPI idoine ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - En effet. Mais là où l'on peut progresser le plus, c'est sur les conditions de mise sur le marché.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La firme serait responsabilisée. Quel est le coût d'une combinaison ? Celui d'une protection complète ?
Mme Patricia Le Frious . - Je ne connais pas le détail des prix mais le coût n'est pas négligeable .
Vous dites que ceux qui fabriquent des pesticides sont les mieux à même de créer des vêtements... Les fabricants d'EPI se plaignent de ne pas avoir accès à la formule des produits. La recherche s'en trouve compliquée...
M. Jean-Denis Combrexelle . - Le secret industriel...
M. Joël Labbé . - Les scientifiques s'en plaignent aussi... L'État ne fait-il pas trop confiance aux fabricants ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - L'État n'est pas là pour être confiant mais vigilant. S'il faut modifier une procédure, nous le faisons.
M. Joël Labbé . - Mais avez-vous les moyens d'être vigilants ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - L'État n'a pas des moyens illimités. Mais il n'est pas seul : l'ANSES a son rôle à jouer ainsi que les organismes notifiés.
M. Joël Labbé . - Ne pourrait-on exiger des fabricants de produits qu'ils procèdent eux-mêmes aux tests et, pourquoi pas, fournissent les EPI. Ils exerceraient alors pleinement leur responsabilité ?
M. Jean-Denis Combrexelle . - La responsabilité du fabricant existe. Si son produit ne répond pas aux préconisations, elle est engagée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Puisque les fabricants ne veulent pas livrer leurs secrets de fabrication, qu'ils fournissent les protections !
M. Jean-Denis Combrexelle . - Tout en respectant le secret des affaires, une meilleure coopération entre fabricants de pesticides et d'EPI serait souhaitable. Je rappelle que le secret industriel n'est pas opposable à l'ANSES .
M. Joël Labbé . - La santé publique doit prévaloir sur le secret des affaires.
M. Jean-Denis Combrexelle . - Sans doute. N'oubliez pas que nous ne sommes pas dans un marché franco-français.
Mme Jacqueline Alquier . - Des bassins industriels qui ont souffert de la crise du textile pourraient utilement se reconvertir : il existe à Castres un laboratoire sur le textile-santé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'important est de réduire les risques autant que possible.
M. Jean-Denis Combrexelle . - C'est vrai, mais tout le monde n'en est pas persuadé. La meilleure protection, c'est l'absence de danger. Le message n'est pas toujours facile à faire passer.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition du Dr Nadine Houedé, oncologue à l'Institut Bergonié (Centre régional de lutte contre le cancer de Bordeaux et du Sud-Ouest) (12 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous travaillons sur un sujet qui vous est familier, à savoir celui de l'impact des pesticides sur la santé. Dans un premier temps, nous nous penchons sur la santé de leurs utilisateurs, et non sur les résidus de pesticides dans l'eau ou l'alimentation. Nous vous entendons dans le cadre des nombreux travaux, communications et préconisations que vous avez publiés sur cette question.
Dr Nadine Houedé, oncologue à l'Institut Bergonié . - J'ai reçu votre questionnaire, qui m'a permis d'élaborer un plan. Je suis oncologue médicale, cancérologue spécialisée dans les cancers urologiques au Centre régional de lutte contre le cancer de Bordeaux. Malheureusement, j'interviens en bout de chaîne pour les personnes exposées développant un cancer de la vessie, qui n'est pas le seul type de cancer que les exploitants sont susceptibles de développer.
Je crois que vous avez déjà reçu les industriels. Leurs données sur les produits utilisés sont sans doute précises. Les pesticides se divisent en trois catégories, à savoir herbicides, fongicides et insecticides. Environ 1 200 produits ont été développés au cours des ans. Certains ont été interdits, d'autres sont encore autorisés. Aujourd'hui, 600 pesticides différents sont utilisés dans le monde. Souvent, ces produits sont constitués de mélanges de molécules. Il est donc très difficile d'identifier les effets d'un produit en particulier ou de l'association de molécules.
Les facteurs pouvant influencer la toxicité , définis par l'OMS, sont les suivants : dose utilisée, modalités d'exposition, degré d'absorption, souvent difficile à quantifier, nature et activité des métabolites, accumulation et persistance du produit dans l'organisme.
Sur le plan médical, une partie des effets néfastes des pesticides est liée à leur stockage dans les adipocytes, ou tissus graisseux. Il existe différents modes de contamination, à savoir par inhalation de vapeurs, ingestion involontaire ou sous forme cutanée en cas de contact direct avec les produits au cours d'une manipulation.
Les mécanismes toxiques de certains pesticides sont aujourd'hui connus. Ils peuvent agir par induction et inhibition des enzymes, protéines situées sur une chaîne de synthèse ou de régulation, et qui contrôlent la fabrication des protéines et la réplication de certaines cellules. Ils peuvent également impacter le système immunitaire et le système hormonal et déclencher des maladies.
Les cancers ont souvent une origine plurifactorielle. Il est donc très difficile de déterminer si leur lien avec les pesticides est direct ou s'ils découlent d'une cascade de causes telles que des agressions chimiques, des mécanismes génétiques ou des facteurs environnementaux comme les radiations ou l'exposition au soleil ou aux virus, auxquels peuvent être confrontées des personnes travaillant dans des exploitations agricoles. Ces facteurs auront un effet sur leur code génétique, qui régule leur croissance et leur développement. L'ADN peut alors se briser ou s'abîmer. Une première mutation le modifiera à un endroit particulier, ce qui entraînera une succession de mutations aboutissant au cancer. Ces processus prennent du temps. Une personne peut donc être exposée aujourd'hui mais ne développer un cancer que dans dix ou vingt ans.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce délai explique peut-être l'apparition actuelle de cancers liés aux pratiques excessives d'il y a une vingtaine d'années ?
Dr Nadine Houedé . - En effet. Il existe un effet temps d'au moins dix ans, qui peut aller jusqu'à quarante ans, entre l'élément initiateur et la maladie.
On dit que les maladies professionnelles représentent 2 % à 8 % des causes de cancers en France. En réalité, il est très difficile d'obtenir des chiffres exacts dans ce domaine. J'ai étudié la littérature scientifique portant sur cette question avant de me présenter devant vous. Certains articles évoquent 3 000 cancers professionnels par an en France, contre 30 000 dans certains autres articles. Nous manquons de données épidémiologiques pour obtenir des résultats plus précis.
L' arsenic , normalement interdit en France, est le premier pesticide à avoir été classé cancérogène certain. Il est connu pour avoir entraîné des cancers de la peau et des poumons et des angiosarcomes hépatiques. D'autres pesticides ont été classés cancérogènes probables. Ils peuvent engendrer des cancers au niveau du cerveau, des leucémies, des lymphomes et des cancers pulmonaires. Toutefois, seuls 10 % des pesticides ont été étudiés pour leur rôle pathogène potentiel .
En outre, si l'activité pathogène d'une molécule est connue, le résultat de son association à une autre est souvent inconnu . Des effets synergiques peuvent en effet découler de leur mélange, qui additionne les risques pathogènes. Au moment de la commercialisation de ces produits, les études sont donc trop peu nombreuses.
Il existe par ailleurs un certain nombre de facteurs confondants pouvant intervenir dans ces événements toxiques. Les agriculteurs sont en effet exposés à d'autres produits potentiellement toxiques comme les fiouls, les solvants, les peintures, la fumée, la poussière organique, le soleil et les virus animaux. Du fait de ces différents éléments, il est difficile de déterminer avec certitude la responsabilité du pesticide dans l'apparition d'un cancer. Souvent, une cascade de facteurs aboutit au développement du cancer.
Mme Nicole Bonnefoy . - Pourquoi seulement 10 % des pesticides ont-ils été évalués par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ?
Dr Nadine Houedé . - Je ne sais pas. J'ai trouvé ce chiffre dans la littérature scientifique. En analyse complète, seuls 10 % des pesticides ont franchi toutes les étapes de développement. Les autres sont classés dans la catégorie « Ne sait pas » .
Mme Nicole Bonnefoy . - Ils devraient pourtant tous être évalués.
Dr Nadine Houedé . - En effet, d'autant qu'un étiquetage est obligatoire. Mes chiffres portent toutefois sur la situation internationale. La réglementation européenne est sans doute différente.
Sur le terrain, j'ai moi-même été consternée d'entendre certains agriculteurs bordelais affirmer qu'ils allaient chercher de l' arsenic à la frontière espagnole, où le produit n'est pas interdit. J'ai fait le choix d'intervenir devant vous afin de libérer la parole , à la fois chez ceux qui développent les pesticides et, également, chez leurs utilisateurs. Je suis intervenue, juste avant les élections législatives, dans une table ronde en Charente où j'avais été invitée pour évoquer les risques de cancer liés à un pesticide. La moitié des agriculteurs présents étaient dans le déni. Les autres, sans doute parce qu'ils avaient déjà été touchés par les effets néfastes des pesticides, étaient au contraire très concernés.
En France, un à deux millions de personnes sont exposées à un risque de cancer lié aux pesticides du fait de leur métier. Les cancers avérés liés aux pesticides, pour lesquels le niveau de preuves scientifiques est suffisant, sont le cancer du cerveau, notamment le glioblastome sur lequel a beaucoup travaillé le Dr Isabelle Baldi, mais également les cancers de la thyroïde et de la vessie et le lymphome.
Concernant les cancers dont le lien avec les pesticides est suspecté, le monde scientifique attend la publication de différents articles convergents pour considérer le niveau de preuve comme suffisant. Des travaux sont aujourd'hui en cours au sein de différentes équipes, notamment sur la toxicité des pesticides sur l'équilibre hormonal. On trouve dans cette catégorie des cancers hormonaux-dépendants, à savoir le cancer du sein, de la prostate, de l'ovaire et du testicule.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est le niveau de preuve suffisant pour estimer qu'un risque de cancer est avéré ?
Dr Nadine Houedé . - Les preuves doivent être suffisamment précises pour prouver que les personnes exposées aux pesticides ont un risque supérieur de développer un cancer.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ces preuves sont-elles épidémiologiques ?
Dr Nadine Houedé . - Plusieurs études épidémiologiques menées dans différents pays doivent aller dans le même sens.
Mme Nicole Bonnefoy . - Malgré ces preuves, certains produits ne sont pas retirés du marché.
Dr Nadine Houedé . - En effet. Toutefois, le risque en question est relatif. Les personnes exposées ont plus de risques de développer un cancer, ce qui ne signifie pas qu'elles en développeront un à coup sûr. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut plus utiliser de pesticides mais que le degré d'exposition doit être diminué, à la fois en utilisant des doses inférieures et en protégeant leurs utilisateurs.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les vêtements de protection vous semblent-ils suffisants ?
Dr Nadine Houedé . - Oui. Lorsque les viticulteurs sulfatent leurs vignes à Bordeaux, ils sont protégés par des cabines hermétiques et des masques à gaz. Toutefois, les habitants des alentours, eux, ne sont pas protégés .
Mme Nicole Bonnefoy . - Une interrogation existe sur l'efficacité réelle de ce type de protection.
Dr Nadine Houedé . - Leur efficacité dépend de l'étanchéité de la cabine et de la qualité du masque. Les agriculteurs sont également au contact des produits avant d'entrer dans la cabine, lorsqu'ils remplissent la cuve, puis au moment de nettoyer leur matériel.
M. Joël Labbé . - Les perturbations endocriniennes entrent-elles dans votre champ de compétence ?
Dr Nadine Houedé . - Oui, par le biais des cancers hormonaux-dépendants comme ceux du sein et de la prostate, qui commencent à apparaître.
Lorsque le CIRC ne dispose pas de données suffisantes sur un produit, il est classé dans le groupe 3 intitulé « Agents inclassables » . Vous disposez sans doute déjà de ces informations législatives. Par ailleurs, le cancer n'est malheureusement pas la seule maladie liée aux pesticides. Les maladies neurodégénératives sont elles aussi concernées, probablement parce que les produits toxiques se fixent dans les tissus graisseux. En effet, les neurones sont entourés de matière adipeuse. Les maladies observées sont les suivantes :
- Parkinson , qui vient d'être ajoutée au tableau des maladies professionnelles ;
- Alzheimer , qui n'y figure pas ; toutefois, le risque de développer cette maladie est plus important pour les personnes exposées aux pesticides ;
- troubles cognitifs ;
- sarcomes ;
- maladies respiratoires , notamment l'asthme.
J'ai également trouvé des publications faisant état d'un risque de suicide accru chez les patients exposés. Les données de l'étude Agrican montrent notamment que le taux de suicide est supérieur à la moyenne dans la population des femmes exploitantes agricoles et exposées.
M. Joël Labbé . - Ces suicides résultent-ils vraiment de l'exposition aux pesticides ? Dans les professions agricoles, le taux de suicide est bien supérieur à la normale, notamment en raison de la situation de l'agriculture.
Dr Nadine Houedé . - Je mentionne ces données pour les avoir rencontrées dans la littérature scientifique. Je ne suis cependant pas en mesure de vous en dire davantage.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'est-ce qu'un sarcome ?
Dr Nadine Houedé . - Un sarcome est un cancer des parties molles ou tissus de soutien (muscles et os).
Vous m'avez par ailleurs interrogée sur mon avis concernant les résultats de l'étude Agrican . Cette importante cohorte de 180 000 adultes, hommes et femmes, répartis sur douze départements, est constituée de personnes ayant cotisé au moins trois ans à la MSA. Sa conclusion brute affirme que le risque de cancers est moins élevé dans cette cohorte que dans la population générale française, ce qui peut paraître surprenant.
En réalité, il existe une différence dans la répartition du taux de cancer selon les régions françaises. L'étude Agrican a comparé les résultats des douze départements concernés à la mortalité générale. Pourtant, en dehors du département du Nord, le taux de mortalité lié au cancer était inférieur à la moyenne dans ces départements, ce qui peut constituer un biais dans l'analyse.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les chercheurs ont redressé ces chiffres. Nous leur avons posé la question.
Dr Nadine Houedé . - Le taux de participation, qui ne dépasse pas les 30 %, a également pu introduire un biais. En outre, la moitié des réponses émane de retraités , ce qui a pu avoir un impact sur leur exposition. Enfin, peut-être les chercheurs manquent-ils encore de recul vis-à-vis de leur cohorte. En effet, nous considérons par exemple que la durée d'exposition doit atteindre cinq ans ou 1 000 heures pour peser sur le risque de cancer de la vessie. Le temps de latence avant l'apparition du cancer est ensuite de dix ans. Un suivi de la cohorte et une analyse plus détaillée des réponses pourraient donc faire émerger d'autres résultats.
Mme Sophie Primas , présidente . - Une analyse par type de cancer serait également pertinente.
Dr Nadine Houedé . - En effet. Concernant l'étude Phytoner , je me félicite que vous auditionniez le Dr Baldi, qui s'est montrée très active dans le domaine du registre des cancers en Gironde. Elle vous présentera sans doute ses recherches portant sur l'apparition de troubles cognitifs, notamment de la mémoire, de l'attention ou de la fluidité verbale, chez les personnes ayant été en contact avec des pesticides.
Vous m'avez également interrogée sur la question des maladies professionnelles. Entre le régime agricole et le régime général, les tableaux des maladies ne sont pas les mêmes, ce qui représente une difficulté pour les médecins traitants. La reconnaissance en maladie professionnelle relève du parcours du combattant pour le patient .
Le premier certificat doit être envoyé par le médecin traitant. Les agriculteurs, exploitants ou viticulteurs sont des populations qui s'écoutent peu. Leur lien avec la médecine de ville est souvent distendu. En outre, il est difficile pour les médecins généralistes de réaliser un dossier en l'absence de secrétaire. Certains patients m'ont rapporté que leur médecin traitant avait refusé de leur établir un dossier, arguant que les cancers liés aux pesticides n'étaient jamais reconnus comme maladie professionnelle et qu'il manquait de temps pour s'en occuper. Il m'arrive pour ma part de relancer des dossiers, mais ce n'est pas mon rôle.
La déclaration obligatoire devant être déposée dans les deux ans suivant le diagnostic, cela constitue également une difficulté dans la mesure où les patients sont confrontés à la mise en place de leur traitement, qui dure, par exemple, huit mois pour les tumeurs infiltrantes de la vessie. Les patients, à qui l'on pose une poche de stomie, doivent ensuite reconstruire leur vie.
Lors de la consultation d'annonce, je leur parle de la possibilité de faire une demande de reconnaissance de leur cancer comme maladie professionnelle. Mais je leur conseille également d'y réfléchir lorsqu'ils auront terminé leur traitement. En effet, il leur est impossible de tout mener de front. L'allongement du délai maximum de deux ans entre le diagnostic de la maladie et l'envoi du certificat initial serait donc souhaitable.
Par ailleurs, je trouve étonnants les chiffres de la MSA sur le nombre de maladies professionnelles reconnues par an . Les tableaux mis en ligne sur Internet font état de quatre cas de cancers de la vessie reconnus par an. Ce chiffre représente pourtant le nombre de cas auxquels je suis confrontée annuellement au Centre anti-cancéreux de Bordeaux. Je n'ai pas connaissance du circuit complet aboutissant à la reconnaissance d'un cancer en maladie professionnelle mais les écueils sont nombreux. Je pense notamment aux personnes n'établissant pas leur déclaration, aux médecins traitants ne souhaitant pas monter de dossier ou aux déclarations non retenues.
Mme Nicole Bonnefoy . - Voyez-vous beaucoup de cas ?
Dr Nadine Houedé . - Je suis personnellement confrontée à au moins quatre cas de maladies professionnelles par an.
Mme Nicole Bonnefoy . - Êtes-vous en contact avec d'autres médecins ?
Dr Nadine Houedé . - Je suis référent régional. Je travaille donc avec tous les cancérologues exerçant dans un rayon de deux cents kilomètres. Les exploitants sont également nombreux en Dordogne, dans le Lot-et-Garonne et les Landes. Nous rencontrons donc tous des cas de maladies professionnelles, même si nous n'avons pas mis en place de décompte précis. Peut-être devrions-nous ouvrir un registre afin de recueillir des données épidémiologiques, par exemple en nous associant avec l'équipe du Dr Baldi, qui tient déjà un registre en Gironde.
La médecine du travail est présente aux côtés des cancérologues. Pour ma part, j'ai travaillé avec le Dr Bénédicte Clin-Godard, médecin du travail, sur les bonnes pratiques en matière de cancers de la vessie liés à l'ensemble des produits chimiques potentiellement cancérogènes. Nous avons établi des grilles de recommandations, de diagnostic précoce et de suivi des personnes exposées.
Les difficultés dans le monde agricole résident dans le fait que les travailleurs, indépendants, ne disposent pas d'un dispositif de surveillance médicale . Ils n'ont, par exemple, pas directement accès à la médecine du travail. La surveillance est donc assurée par leur médecin traitant. Le père de Frédéric Ferrand vous a sans doute raconté les difficultés qu'il avait rencontrées pour accéder à la consultation de pathologie professionnelle du CHU de Poitiers.
Pour ma part, il me semblerait important de mettre en place une campagne de prévention primaire , avec l'identification des substances cancérogènes présentes dans l'environnement du travail, l'évaluation de l'exposition individuelle, notamment en termes de qualité des protections, et une campagne d'information des utilisateurs. En effet, l'adhésion des utilisateurs à la démarche constitue un premier pas indispensable. Certains agriculteurs auraient l'impression de revenir quarante ans en arrière si l'interdiction des pesticides leur était imposée. Néanmoins, ils doivent savoir dans quelle mesure ils peuvent les utiliser et connaître les mesures de protection à leur disposition.
Une campagne de prévention secondaire doit également être mise en place à travers la surveillance médico-professionnelle des travailleurs exposés et une attention particulière portée au maintien de leur lien avec le monde médical, représenté par les médecins traitants, la médecine du travail ou des services de santé publique.
Mme Nicole Bonnefoy . - Ne pourrait-on imaginer la mise en place d'un dispositif de médecine du travail pour les agriculteurs ?
Dr Nadine Houedé . - En effet. Il existe déjà des médecins qui battent la campagne en camion. La généralisation d'un tel système ne serait ni compliquée ni coûteuse. Les médecins suivant ces patients doivent, par ailleurs, avoir une formation suffisante pour connaître les risques auxquels sont exposés les exploitants et établir des diagnostics précoces.
Pour le cancer de la vessie, nous avons évoqué la possibilité de mettre en place une cytologie urinaire annuelle afin de détecter les cellules anormales. En cas de risque accru de cancer du sein, des mammographies systématiques pourraient également être prescrites. Les médecins disposeraient d' une grille destinée à prescrire à l'exploitant les examens correspondant aux risques liés à son activité . L'existence d'une telle grille constituerait un grand pas.
M. Gérard Le Cam . - Les visites existent déjà.
Dr Nadine Houedé . - En effet. C'est leur contenu qui doit être modifié.
Mme Nicole Bonnefoy . - Les agriculteurs ont-ils l'obligation de se rendre chez leur médecin une fois par an ?
M. Gérard Le Cam . - Ils reçoivent la visite de médecins en camion.
Dr Nadine Houedé . - Le travail doit surtout porter sur l'élaboration de la grille d'examens à prescrire. Aucun dispositif de prévention n'est en effet propre aux exploitants agricoles.
M. Henri Tandonnet . - Les pesticides ont-ils aussi des impacts sur l'entourage familial des agriculteurs ? Je pense, par exemple, aux personnes manipulant leur linge.
Dr Nadine Houedé . - Je ne dispose pas de données scientifiques pour vous répondre. Les études manquent sur la question des exposés indirects. Sur le terrain, nous constatons le développement de cancers chez des hommes de quarante ans ayant repris l'exploitation de leur père. Leurs pathologies pourraient donc être liées à leur exposition dans la cour de la ferme ou dans les champs depuis leur plus jeune âge. Ces questions mériteraient d'être posées, à la fois pour les familles et pour les habitants vivant à proximité des exploitations.
Mme Nicole Bonnefoy . - M. Jacky Ferrand est aujourd'hui persuadé que son fils, aujourd'hui décédé, a été empoisonné dès la grossesse de sa mère, qui parcourait les vignes sans protection et se rafraichissait dans une rivière où les poissons étaient morts. En effet, son fils a développé une leucémie lorsqu'il était enfant, puis une autre maladie suivie d'un cancer de la vessie. M. Jacky Ferrand se bat aujourd'hui pour la reconnaissance des cancers de son fils comme maladies professionnelles.
Dr Nadine Houedé . - En effet, Frédéric Ferrand a été exposé aux pesticides depuis sa naissance, voire in utero . Il est toutefois difficile de savoir à quel moment il a été empoisonné. La contamination est sans doute multiple. Du reste, il a déclaré deux maladies importantes liées aux pesticides . Je ne comprends pas qu'elles ne soient pas reconnues comme maladies professionnelles.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous considérez pourtant vous aussi, comme sa famille, que les maladies de Frédéric Ferrand étaient liées aux pesticides. Pourquoi la MSA ne les reconnaît-elle pas ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Peut-être est-il difficile de qualifier de maladie professionnelle une maladie contractée in utero ?
Dr Nadine Houedé . - Des données sur les liens entre les pesticides, les leucémies et les cancers de la vessie existent. Frédéric Ferrand a déclaré ces deux maladies. Il est né dans une exploitation agricole, son père a été l'un des premiers manipulateurs de certains pesticides en raison de sa participation à des tests. Je ne comprends pas que la MSA ne reconnaisse pas le caractère professionnel de ses maladies.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous faites donc état de convergences.
Dr Nadine Houedé . - En effet.
Mme Nicole Bonnefoy . - Et pour autant...
Dr Nadine Houedé . - Et pour autant... Depuis le mois de janvier, nous avons mis en place un auto-questionnaire en association avec le service de santé publique et des maladies professionnelles du CHU de Bordeaux. Les patients y inscrivent leurs coordonnées, le type d'emploi qu'ils ont occupé, le nom de leur entreprise et l'intitulé de son activité. Ces questionnaires sont ensuite dépouillés par le médecin et l'infirmière de santé publique. S'ils pensent que le cancer du patient peut être lié à sa profession, ils lui donnent un accès plus facile à la consultation réservée aux maladies professionnelles. En outre, nous aidons le patient à monter son dossier en apportant un appui à son médecin traitant.
Mme Sophie Primas , présidente . - Cette initiative émane-t-elle du CHU ?
Dr Nadine Houedé . - J'en suis à l'origine.
Mme Nicole Bonnefoy . - Bénéficiez-vous de beaucoup d'appuis ?
Dr Nadine Houedé . - Je ne dispose d'aucun moyen, même si le service maladies professionnelles a eu la gentillesse de me déléguer du temps infirmier. En échange, je leur rends service dans le cadre d'une autre enquête. Le manque de moyens financiers nous pose toutefois des difficultés en termes de dépouillement, d'analyse statistique et d'exploitation des données. Notre initiative repose pour l'instant sur la bonne volonté de chacun. Elle ne peut donc pas être menée à grande échelle.
Mme Nicole Bonnefoy . - Depuis la mise en place de cette procédure, le nombre de personnes ayant décidé de monter un dossier en vue de la reconnaissance du caractère professionnel de leur cancer a-t-il augmenté ?
Dr Nadine Houedé . - Les patients sont encore très frileux sur ce point.
M. Henri Tandonnet . - En quarante ans de pratique professionnelle dans le monde judiciaire, je n'ai jamais vu, dans le contentieux général de la sécurité sociale, de reconnaissance de la maladie professionnelle d'un agriculteur. Les contentieux ont pourtant évolué avec le temps.
Dr Nadine Houedé . - Ils ont peur. L'un de mes patients est allé au bout de la procédure et a gagné. Il est ensuite venu me remercier. Pour ma part, je ne leur parle pas d'argent mais d'une reconnaissance. Cet homme de quarante ans, non fumeur, était venu me voir pour un cancer de la vessie. Il avait déjà fait deux infarctus et eu un problème vasculaire thrombotique. Ses trois maladies, anormales à son âge, allaient donc dans le même sens. Il est le seul que je connaisse pour qui le traitement du dossier ait été rapide. J'ai moi-même lancé l'établissement de son dossier en raison du refus de son médecin traitant de le prendre en charge. Peut-être mon courrier a-t-il permis de l'enregistrer si rapidement, à savoir en trois ou quatre mois ?
M. Henri Tandonnet . - Quel métier ce patient pratiquait-il ?
Dr Nadine Houedé . - Il était exploitant agricole dans le domaine des grandes céréales. Il exploitait donc des terres et non des vignes.
Vous m'avez demandé les actions qui pourraient être entreprises sans nécessiter d'attendre la constitution d'une cohorte. Je suggérerais que des études exposés/non exposés soient lancées sur le modèle des études de cas témoins. Le Dr Isabelle Baldi, qui est épidémiologiste, serait plus à même que moi de les mener.
Ces études consisteraient à étudier trois groupes de patients à un moment T, à savoir des exposés directs, des exposés indirects, comme la famille ou les riverains, et des non exposés appariés. Ces derniers devraient avoir le même âge et le même sexe que les personnes exposées et ne pas présenter de facteurs confondants. Leur recrutement relèverait donc d'un travail d'épidémiologie. Les chercheurs pourraient ensuite se pencher sur le nombre de cancers et autres pathologies dans chaque catégorie. Des tests statistiques permettraient ensuite de savoir s'il existe un risque relatif supérieur de développer des maladies dans la population exposée.
La difficulté réside dans le fait que les pesticides déclenchent différents types de cancers, dont certains sont rares, comme les glioblastomes ou les sarcomes. Or, la puissance statistique nécessite la survenue d'un certain nombre de cas.
Comme vous le savez, le Sud-Ouest est une région très agricole et viticole. De plus, nos services de cancérologie sont organisés autour du cancéropôle Grand Sud-Ouest. Une éventuelle enquête épidémiologique pourrait donc s'appuyer sur cette structure, qui comprend les villes de Bordeaux, Toulouse, Nîmes, Montpellier et Limoges.
Mme Nicole Bonnefoy . - Connaissez-vous le Pr Charles Sultan, spécialiste en endocrinologie pédiatrique à Montpellier ?
Mme Nicole Bonnefoy . - Nos auditions nous ont permis de constater que des données existent, mais que la difficulté consiste à les rassembler. Nous avons l'impression que chacun travaille sans avoir connaissance des travaux des autres.
Dr Nadine Houedé . - En effet. Les impacts des pesticides concernent des spécialités très diverses, comme la neurologie ou la cancérologie. Au sein-même de la cancérologie, chaque médecin travaille généralement sur un type particulier de cancer.
M. Henri Tandonnet . - Avez-vous acquis au cours de votre pratique l'intime conviction que les populations rurales étaient plus exposées aux effets des pesticides, notamment celles vivant à proximité de cultures de fruits et légumes ou de vignes ?
Dr Nadine Houedé . - Oui. Je compte beaucoup plus de viticulteurs dans la population de mes patients atteints d'un cancer de la vessie.
Mme Nicole Bonnefoy . - Certains médecins parlent même d'une « maladie des vignerons ».
M. Gérard Le Cam . - J'ai vu une publicité à la télévision montrant une personne ne portant pas de gants administrer des gouttes entre les épaules d'animaux domestiques. Ce type de réclame, qui vante des produits dangereux, ne montre pas l'exemple...
Mme Sophie Primas , présidente . - Les vétérinaires vendent du reste ces produits de manière proactive.
Dr Nadine Houedé . - Les désherbants destinés aux particuliers posent également problème. Quelqu'un m'a rapporté qu'une marque dont le produit, toxique, avait été interdit à la vente a bradé l'ensemble de sa production pour l'écouler avant l'arrêt de la commercialisation.
Mme Nicole Bonnefoy . - Trouvez-vous les médecins de la MSA suffisamment dynamiques ?
Dr Nadine Houedé . - Je ne les connais pas.
Mme Sophie Primas , présidente . - La réponse était un peu dans la question...
Dr Nadine Houedé . - En effet. Quand j'ai commencé à parler des effets des pesticides, mon entourage m'a prévenue que la MSA me « tomberait dessus ». Je n'ai en réalité jamais eu de contacts avec leurs médecins.
Mme Sophie Primas , présidente . - Avez-vous subi des pressions de la part des industriels ?
Mme Nicole Bonnefoy . - Il est étonnant qu'aucun contact n'ait été établi entre les médecins de la MSA et vous-même. Vous appartenez pourtant au même milieu professionnel.
Dr Nadine Houedé . - Je le regrette en effet. Il me semble que beaucoup de choses restent à changer.
Mme Sophie Primas , présidente . - Diriez-vous que la parole se libère aujourd'hui ?
Dr Nadine Houedé . - Je l'espère. J'ai reçu de nombreux témoignages après la publication de l'article dans Sud-Ouest et la diffusion du documentaire « La mort est dans le pré » . Beaucoup m'ont écrit leur histoire ou fait part de leurs questionnements. J'ai tenté de répondre aux questions qui m'étaient posées. Par exemple, un homme m'a raconté que sa femme était décédée d'un cancer de la vessie et de la maladie d'Alzheimer après qu'ils eurent racheté une grande propriété viticole. Lorsque « La mort est dans le pré » est sorti, les échanges sur Internet ont également été très nombreux. Des personnes exposées ont apporté leur témoignage et semblaient contentes qu'une ouverture leur permette de s'exprimer.
Mme Nicole Bonnefoy . - Avez-vous pris des risques en brisant ce silence ?
Dr Nadine Houedé . - Je ne me sens pas en danger. Il était important de le faire.
Mme Sophie Primas , présidente . - Votre exposition vous protège sans doute.
Dr Nadine Houedé . - Je me méfie beaucoup des journalistes, qui détournent parfois l'image ou la parole. Je me suis fait attraper une fois. J'espère que cela ne se reproduira pas. Du reste, la seule personne qui m'ait agressée était une journaliste, par téléphone. Je ne sais pas comment elle avait trouvé ma ligne directe. Elle n'avait pas eu la politesse de passer par mon secrétariat. Elle souhaitait un entretien « tout de suite ». J'étais en réunion. Lorsqu'elle m'a proposé un rendez-vous téléphonique, je lui ai demandé les questions qu'elle entendait me poser. Elle n'a pas souhaité me les donner à l'avance. Je lui ai indiqué souhaiter avoir un droit de regard sur ce qu'elle publierait en mon nom. Elle m'a répondu que ce n'était pas possible après m'avoir opposé que ce que je disais dans les médias était faux.
Bien entendu, tous les journalistes ne se conduisent pas de cette façon. J'ai pour ma part trouvé le film de M. Éric Guéret magnifique, empreint de beaucoup d'humanité, de réserve et de pudeur.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci beaucoup de vous être déplacée.
Dr Nadine Houedé . - Merci de m'avoir invitée. Je vous remercie également de favoriser la circulation de la parole et l'engagement de discussions.
Audition de M. Jean-Marie Pelt, professeur émérite des universités en biologie végétale, président de l'Institut Européen d'Ecologie (IEE) (12 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous sommes très heureux de vous recevoir. Cette mission a été créée à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, suite aux difficultés rencontrées par un agriculteur de sa région, M. Paul François, que vous connaissez sans doute.
La mission a choisi de traiter en priorité la question des pesticides et de la santé de leurs utilisateurs. Nous avons bien entendu pensé à vous rencontrer en raison des positions construites que vous défendez depuis de nombreuses années dans ce domaine. Dans un second temps, il serait souhaitable de se pencher sur la rémanence des pesticides dans l'eau et l'alimentation.
M. Jean-Marie Pelt . - Je vous remercie de m'avoir invité. De tels échanges sont généralement fructueux, utiles et heureux. Je connais le domaine des pesticides depuis très longtemps. En effet, j'ai créé, en 1971, l'Institut Européen d'Écologie à Metz. Du reste, le ministère de la protection de la nature a fait son apparition la même année, tout comme le secrétariat à l'environnement de Bruxelles. Le co-fondateur de l'Institut était M. Jean-Michel Jouanny, éminent agrégé de toxicologie et président de la commission européenne des pesticides. Dans les années 1970, nous n'avions pas la moindre idée des effets secondaires des pesticides. En effet, lorsqu'une technologie commence à être mise en oeuvre, il est impossible de la connaître sous tous ses jours en raison de l'absence de recul.
Pendant la décennie 1970, les dossiers de la commission européenne des pesticides contenaient des essais de toxicologie aiguë. On ne mettait pas sur le marché des produits empoisonnés. Toutefois, l'approche portant sur la toxicologique chronique n'existait pas encore.
M. Jean-Michel Jouanny et moi-même nous sommes donc posé des questions. Ainsi avons-nous lancé une discipline nouvelle intitulée « écotoxicologie » . En effet, la toxicologie classique n'était pas du tout orientée vers la recherche de produits n'appartenant pas aux poisons classiques. Pourtant, nous nous étions rendu compte que s'accumulaient peu à peu dans l'environnement toutes sortes de molécules, que nous appelions à l'époque des « polluants ». Le concept d'écotoxicologie, qui aurait également pu s'appeler « toxicologie de l'environnement », a rencontré un grand succès. Il est aujourd'hui enseigné dans le monde entier. Nous sommes donc les parents d'une nouvelle discipline dans le domaine de l'écologie.
Dans les années 1980, nous avons été alertés par les premières études menées sur les effets reprotoxiques en tant que perturbateurs hormonaux . Ces études venaient toutes des États-Unis d'Amérique ou du Canada. Vous vous souvenez peut-être de la célèbre histoire des alligators du lac Apopka , que l'élevage destinait à devenir des sacs en crocodile. Ils vivaient dans une eau polluée par des pesticides à la suite de l'incendie d'une usine, qui avait déversé dans le lac un mélange de produits.
Leurs éleveurs ont bientôt constaté que ces alligators ne faisaient plus de bébés. L'idée s'est alors imposée que les animaux avaient été empoisonnés. Leur chair et leur sang ont donc été analysés. Les chercheurs ont établi que les alligators avaient cumulé des quantités non négligeables de pesticides. En outre, ils n'avaient plus de relations avec leurs femelles et leurs petits, très rares, présentaient des pénis minuscules.
Ces résultats nous ont alertés. Ils ont été suivis par plusieurs études venant principalement d'Outre-Atlantique et convergeant avec les travaux fondamentaux du professeur danois Niels Skakkebaek menés sur l'homme qui annonçaient, en 1991, que les spermatozoïdes avaient été réduits de 50 % dans le sperme des Danois entre 1958 et 1990 .
Je me souviens du bruit provoqué par cette étude dans le Landerneau des scientifiques concernés. Beaucoup ont joué le déni en invoquant la lubie d'un Professeur Nimbus. Pourtant, ses résultats ont été confirmés l'année suivante par un scientifique français, le Dr Jacques Auger, qui avait trouvé des résultats équivalents sur une population d'hommes parisiens avec un recul de vingt-cinq ans. Cette fois, le problème était cadré.
Les études suivantes sont venues confirmer les effets reprotoxiques en tant que perturbateurs hormonaux. On a constaté une réduction du nombre de spermatozoïdes et leur caractère peu entreprenant à l'égard des ovocytes. Une augmentation importante de la stérilité masculine a également été observée dans tous les pays utilisant des pesticides.
Le Pr Charles Sultan, du CHU de Montpellier, a ensuite été très frappé de constater que de nombreux bébés présentaient à la naissance des anomalies de l'appareil sexuel comme l'absence de testicules dans les bourses, ou cryptorchidie, mais également le micropénis et l'hypospadias, pathologie où l'extrémité de l'uretère d'un garçon n'aboutit pas à son gland. Pour la plupart, ces enfants étaient fils de viticulteurs, profession qui utilise beaucoup de pesticides, notamment des produits à base d' arsenic , aujourd'hui interdit en France. L' arsenic fait en effet partie des rarissimes molécules dont le CIRC a pu démontrer le caractère cancérogène pour l'homme. Il semble toutefois que les pesticides utilisés dans les vignes soient plus dangereux que les autres.
Le Pr. Charles Sultan a alerté la communauté scientifique, qui lui a reproché de ne pas avoir mené d'enquête épidémiologique sérieuse et de ne pas s'être fondé sur des statistiques incontestables. L'InVS a estimé qu'il avait manqué de rigueur. Toutefois, la conjugaison de toutes ces études valide avec certitude l'existence d'effets négatifs des pesticides sur la reproduction .
De ce point de vue, on observe aujourd'hui des phénomènes très curieux. Au moment de notre conception et pendant les sept premières semaines, nous sommes tous des femelles. Ensuite, la présence de chromosomes XY oriente le foetus vers le sexe mâle. Le ratio normal à la naissance est de 106 garçons pour 100 filles. En effet, les femmes vivant plus longtemps que les hommes, la nature a régulé leur nombre en faisant naître davantage de garçons. Une étude très fine a mis en évidence une évolution lente de ce ratio, avec une tendance à la diminution du nombre de garçons. Cet infléchissement est invisible dans les grandes statistiques internationales, la Chine pratiquant l'avortement en cas de petites filles à naître. Toutefois, le phénomène existe bel et bien.
On constate également une augmentation du nombre de cancers du testicule , notamment chez les jeunes garçons, ce qui n'est pas sans rapport avec le fait que nous ayons tous des pesticides dans le sang. Du reste, l'association WWF a testé le sang des ministres de l'environnement et des parlementaires européens . Elle a systématiquement mis au jour la présence de dizaines de produits. Elle en aurait trouvé des milliers si elle en avait cherché davantage. Dans certains cas, la personne avait plus d'une centaine de produits chimiques dans le sang .
Ces pesticides contenus dans notre sang évoluent différemment selon que l'on est un homme ou une femme. Les hommes les accumulent tandis que les femmes les transmettent à leurs bébés à travers le cordon ou dans leur lait. Le bébé arrive donc au monde avec des pesticides dans ses tissus. Lorsque ce transfert est significatif, il semble acquis que le bébé ait toutes les chances de développer un cancer du testicule s'il s'agit d'un garçon.
En matière de reprotoxicité, les scientifiques sont aujourd'hui certains de ce qu'ils avancent. Leurs études ne portent du reste pas exclusivement sur les pesticides mais également sur le bisphénol A , les phtalates , le PCB , les dioxines et de nombreuses autres molécules, dont la plupart se trouvent dans des produits chlorés .
Concernant la situation des paysans , j'ai récemment croisé un ami que je n'avais pas vu depuis trente ans. Aujourd'hui vice-président du conseil général de Moselle, il avait fait partie d'une commission que j'avais animée pour le comité économique et social sur l'aménagement du territoire, à Metz. Lorsque je lui ai demandé s'il allait bien, il m'a répondu qu'il avait un lymphome, et qu'il savait qu'il était dû aux pesticides. J'ai été très étonné de constater qu'un paysan pouvait enfin accepter une telle idée.
L'étude des cancers dans les différentes catégories de la population montre que les paysans déclarent moins de cancers du poumon, de la vessie et de l'oesophage, qui sont liés au tabac. En revanche, il semble que les agriculteurs déclarent un quart de lymphomes et de cancers du sang et de la lymphe de plus que la population moyenne. Ils sont également plus exposés aux cancers de la peau , notamment en raison de l'absence de protection lorsqu'ils manipulent des produits dangereux.
Mon ami m'a confié que, lorsqu'il utilisait des pesticides, il ne portait pas de masque ni de bottes afin de ne pas paraître ridicule sur son tracteur. Je le comprends très bien. En outre, si vous apparaissez bardé de protections sur un tracteur, les riverains peuvent s'inquiéter de la dangerosité des produits que vous utilisez.
En Gironde, une étude très précise a également montré une augmentation des tumeurs au cerveau . Les paysans en déclarent 2,7 fois plus que le reste de la population. Tous ces cancers sont rares. Pourtant, ils le sont un peu moins dans la population des agriculteurs, qui subissent également une augmentation des cancers de la prostate et du sein .
Cette dernière augmentation est toutefois difficile à déceler dans la mesure où le nombre de ces deux maladies est en pleine explosion. Au cours des trente dernières années, le nombre de cancers du sein a, par exemple, été multiplié par trois. Aujourd'hui, un homme sur deux a eu, a ou aura un cancer de la prostate tandis qu'une femme sur trois a eu, a ou aura un cancer du sein. Certains estiment que ces chiffres s'envolent en raison de l'allongement de la vie et des progrès obtenus en matière de détection. Ils ne s'en envolent pas moins. Et de nouveau, ils touchent l'appareil sexuel.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il semble également qu'ils apparaissent plus tôt.
M. Jean-Marie Pelt . - Tout à fait. Le cancer de la prostate était à l'origine un cancer de personnes âgées considéré comme ayant une évolution très lente. Aujourd'hui, il apparaît plus tôt. Il est donc plus dangereux.
Les pesticides ont également un impact sur le système neurologique . Un paysan atteint de la maladie de Parkinson et convaincu qu'elle était liée à sa manipulation de pesticides a trouvé, par l'intermédiaire de médecins ou de militants écologistes, plusieurs études publiées aux États-Unis montrant que les paysans déclarent quatre à cinq fois plus la maladie de Parkinson que le reste de la population . L'une de ces études prend également en compte la maladie d'Alzheimer , qui toucherait deux fois plus les populations agricoles .
Ces effets neurologiques sont surtout liés à certains insecticides qui tuent les insectes en perturbant leur système nerveux, empêchant par là même les abeilles de retrouver leur ruche. Or, le système nerveux des insectes ressemble davantage au nôtre que nous ne le pensions. Nous sommes donc victimes du même phénomène. Du reste, depuis peu, la MSA prend en compte le caractère professionnel de la maladie de Parkinson.
J'ai également été très étonné par une étude mexicaine portant sur des enfants Yaqui dans l'immense vallée de Sonora, où se pratique une agriculture conventionnelle très riche en pesticides. De part et d'autre de la vallée se trouvent des contreforts montagneux boisés qui abritent de petits villages dont les habitants vivent en contact étroit avec la nature et n'utilisent aucun pesticide. L'étude a comparé les enfants vivant dans la plaine et sur les contreforts. Les chercheurs leur ont notamment demandé de dessiner des bonshommes. Les enfants de la plaine ont dessiné des personnages sans bras, sans jambes, sans tête. Les enfants de la montagne, eux, ont dessiné de vrais petits bonhommes.
Il semble également que les enfants de la plaine aient moins de mémoire et racontent moins bien les histoires. Enfin, ces enfants sont plus agressifs que ceux des contreforts. Ils ont donc un développement personnel plus lent et sont plus méchants. Les chercheurs en ont conclu que l'hyperactivité tant discutée chez les jeunes, et spectaculaire chez les enfants de la plaine, pourrait être liée à des facteurs chimiques, entre autres.
Je terminerai avec les effets des pesticides sur le système immunitaire . J'ai moi-même un voisin paysan, que j'aime beaucoup. Il est toujours malade. Sa femme me dit souvent qu'ils se sont empoisonnés toute leur vie. Elle a raison. On dit toujours que les paysans ont une santé plus robuste que les urbains. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Les statistiques de la MSA font état de 100 000 cas annuels de pathologies chroniques liés aux pesticides, en dehors de 280 cas de toxicité aiguë repérés en 2010. Les pesticides sont à l'origine d'une chute de l'immunité ayant des conséquences sur les maladies bactériennes ou virales.
Mme Sophie Primas , présidente . - La MSA ne nous a pourtant signalé que quelques cas.
M. Jean-Marie Pelt . - Ils vous signalent les cas de toxicité aiguë. Interrogez-les sur des pathologies moins typées.
Mme Nicole Bonnefoy . - Vous évoquez l'état de santé moyen des paysans.
M. Jean-Marie Pelt . - En effet. Je vous citerai deux exemples pour illustrer mon propos sur les effets des pesticides sur le système immunitaire. Comme vous le savez, la mer d'Aral s'est asséchée en raison du trop grand nombre de plantations de coton alentour, qui exigeaient une irrigation importante et l'usage massif de pesticides. Une étude sur l'état immunitaire des Ouzbeks ayant travaillé dans les champs de coton montre qu'ils sont tout le temps malades.
De la même façon, les enfants inuits attrapent des otites et des rhumes à répétition parce que les molécules contenues dans les pesticides sont plus abondantes qu'ailleurs dans l'air des pôles en raison des jets streams . Une statistique canadienne montre que les petits Inuits attrapent douze fois plus d'otites que les petits Québécois.
Pour ma part, je ne suis pas un spécialiste des pesticides. Je suis un écologiste généraliste. Toutefois, je me suis penché sur la question pendant deux mois pour écrire un livre. Je suis sorti assez pessimiste de ce travail. Par ailleurs, j'ai participé au Grenelle dans les groupes OGM et biodiversité. J'ai donc vu naître le plan Ecophyto mis en place par le groupe santé et environnement. Aujourd'hui, je trouve que la situation ne progresse pas.
Pour la rédaction de mon livre, je me suis inspiré de l'un des principes centraux de l'Institut européen d'écologie, à savoir de ne jamais dénoncer un problème sans proposer de solutions. En tant que biologiste de la santé, j'ai le sentiment que l'évaluation des produits est aujourd'hui impossible pour deux raisons .
D'une part, un recul de trente ans serait nécessaire pour mettre en évidence en laboratoire les effets cancérogènes d'un produit . De tels tests sont donc exclus. D'autre part, les chercheurs sont aujourd'hui devenus très prudents sur ce que l'on appelle les effets cocktail. Nous savons désormais que les mélanges de produits entraînent des phénomènes pathogènes différents de ceux engendrés par les produits isolés .
Une étude a montré que trois pesticides testés séparément sur des mulots pouvaient n'avoir aucun effet notoire sur leur progéniture tandis que leur mélange à dose égale engendrait des hypospadias chez 60 % des nouveau-nés. La réalité de l'effet cocktail est donc démontrée. De même, les plantes médicinales doivent être associées pour avoir un effet sur la santé. Dans ces conditions, il est impossible de tester toutes les combinaisons entre les 150 000 molécules existantes.
La solution consisterait donc à s'orienter vers des produits alternatifs baptisés préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) . Par exemple, j'ai été alerté par des oenologues de Bordeaux dont le vin avait été interdit aux États-Unis en raison de la présence de pesticides dans les bouteilles. Ils m'ont demandé d'animer une journée de travail réunissant des scientifiques et des vignerons afin d'évoquer les alternatives possibles. Une jeune femme, originaire de Lausanne, nous a rapporté avoir testé différentes tisanes et constaté que la tisane de rhubarbe donnait de bons résultats. Je lui ai demandé si elle avait essayé les tisanes d'aloès, de cascara ou du Bourdel . Elle m'a regardé, stupéfaite. Pourtant, toutes ces plantes contiennent des anthraquinones, dont je savais qu'ils étaient très fortement antifongiques de par mes travaux menés en Afrique noire.
Là-bas, lorsque l'on attrape des dartres en raison de la transpiration causée par le climat équatorial, on ramasse des feuilles de cassia , arbuste aussi fréquent que notre noisetier, on les frotte sur la dartre, et celle-ci disparaît. Dans mon laboratoire, j'ai rapporté quelques-unes de ces feuilles pour les appliquer sur des cultures de champignons. J'ai pu constater leur admirable efficacité. Les feuilles de cassia constituent donc une alternative aux pesticides pour le mildiou.
De telles alternatives sont très nombreuses mais les grands groupes de pression agroalimentaires et agrochimiques qui leur font face n'ont pas l'intention d'abandonner leurs vieilles méthodes. C'est à ce niveau que les choses doivent bouger. Et il me semble qu'elles bougent. Je suis de plus en plus souvent invité à m'exprimer sur les pesticides dans des lycées agricoles . Je constate donc une évolution importante. Aujourd'hui, au niveau de l'enseignement de l'agronomie et de l'agriculture, des pistes nouvelles sont explorées.
J'ai par ailleurs dédié mon livre à l'INRA , dont les chercheurs travaillent beaucoup sur la stimulation des défenses naturelles. Cette piste très importante s'inscrit dans une stratégie nouvelle. Actuellement, la médecine utilise les « anti- », et l'agronomie les « -cides ». Dans les deux cas, les produits administrés cherchent à tuer. Désormais, nous nous dirigeons vers des stratégies jouant avec la nature au lieu de jouer contre elle.
De nombreux exemples figurent dans mon livre. Il est capital d'appuyer ces nouvelles stratégies, aussi bien dans le domaine de la recherche qu'au niveau des grandes orientations, afin que nos jeunes comprennent qu' il est possible de cultiver la terre sans pesticides . Trop souvent, comme pour l'énergie nucléaire, on entend la phrase : « On ne peut pas faire sans ». Il est vrai qu'on ne peut pas « faire sans » tout de suite, mais dans le temps, tout est possible. Encore faut-il savoir où l'on souhaite aller. Les objectifs clairs d'un plan comme Ecophyto permettent de donner une direction et de développer certaines pistes très prometteuses.
Je terminerai par la plus prometteuse de toutes, mais également la plus étrange et la plus ignorée. Je n'ai rencontré dans ma vie qu'un seul génie. Docteur en biologie moléculaire et en physique quantique et brillant mathématicien, il a remarqué que la biologie, science des gènes, de la chimie et des protéines, ne prenait pas du tout en compte les vibrations des protéines . En effet, la matière est à la fois corpusculaire et vibratoire. Par le calcul, il réussit aujourd'hui à déterminer la vibration correspondant à une protéine spécifique.
Il a travaillé, sur la protéine défendant la vigne contre le mildiou. Sa stimulation par vibration la rend beaucoup plus efficace. Il fait donc entendre une musique de trois minutes à des vignes et rencontre un grand succès.
Mme Nicole Bonnefoy . - J'ai un ami éleveur caprin qui fait écouter de la musique à ses chèvres, qui donnent un lait de meilleure qualité et en plus grande quantité.
M. Jean-Marie Pelt . - Mon ami m'a téléphoné il y a deux mois pour m'annoncer que sa méthode, dont les résultats sont extraordinaires, était scientifiquement avérée et qu'il pourrait la publier. Il l'a notamment testée sur des vignes d'Alsace, du Val-de-Loire et du Bordelais. La vigne traitée par la musique est exempte de champignons tandis que l'autre parcelle est entièrement ravagée.
Grâce à sa méthode, il peut également stimuler les protéines responsables de la croissance des tomates. J'ai ainsi tenu dans mes mains une tomate gigantesque. Ce type de piste tout à fait inattendu mérite d'être creusé.
Je terminerai avec une dernière piste passionnante. Les plantes sont en compétition entre elles. Elles émettent donc par les racines des substances destinées à dégager le terrain en guise de défense. Des chercheurs ont croisé un riz très actif de ce point de vue, qui émet un produit empêchant les graines des compétiteurs de germer, avec un riz à haut rendement. Ils ont ainsi donné naissance à un riz se défendant tout seul. Dans ce cas, les pesticides et herbicides sont devenus inutiles.
Mme Nicole Bonnefoy . - Au cours de nos auditions, nous avons souvent entendu dire qu'avec des méthodes alternatives, il serait impossible de produire suffisamment pour nourrir l'humanité.
M. Jean-Marie Pelt . - L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) s'est penchée sur cette question dans un rapport remis à l'ONU en mai 2007 . Sa conclusion estimait que, en 2050, on pourrait nourrir les neuf milliards d'habitants de la Terre à trois conditions : que les échanges dans le domaine agricole n'obéissent pas à la seule loi du marché, qu'on opère avec peu ou pas de pesticides, qu'on utilise de bonnes pratiques agricoles , parmi lesquelles figurent de nombreuses nouveautés de toute sorte, comme les semis sans labour.
Ce rapport a été très critiqué. La FAO en a donc publié un second en 2010, qui maintient ses conclusions, dont je crois qu'elles sont justes. Elles ont toutefois déplu aux groupes de pression.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les intérêts particuliers des agriculteurs doivent également être pris en compte.
M. Joël Labbé . - Une étude de la FAO portant sur la surproduction révèle qu'un tiers des produits alimentaires est gâché.
M. Jean-Marie Pelt . - Le gâchis est pire encore dans les pays riches. Le Japon est le pays qui gâche le plus. Je dois rencontrer, dans les semaines à venir, M. Serge Papin, qui préside le Groupe Système U , afin d'évoquer cette question.
Mme Sophie Primas , présidente . - Dans les magasins de M. Serge Papin, qui est un homme remarquable, on enlève les produits des rayons jusqu'à dix jours avant leur date de péremption. Ils seraient pourtant encore consommables dix jours après cette date.
M. Joël Labbé . - Êtes-vous optimiste, Monsieur Pelt ?
M. Jean-Marie Pelt . - Je suis à la fois réaliste et volontariste. Je pense donc que les choses peuvent changer. Je constate d'ailleurs leur évolution à travers les invitations qui me parviennent. Partout émergent de nouvelles initiatives, notamment dans le cadre des Agenda 21 ou des plans climat.
Dans les entreprises, les évolutions dépendent de la sensibilité du dirigeant. Ceux du Groupe Système U ou de Clarins , profondément écologistes, sont à l'origine de nombreuses initiatives. Ailleurs, le rapport annuel obligatoire portant sur le développement durable est confié à un bureau d'études qui demande un prix élevé pour fournir le même rapport à tous ses clients.
De manière générale, le Grenelle a laissé une empreinte importante. Toutefois, de nombreuses associations risquent aujourd'hui de cesser leurs activités en raison du manque de subventions, ce qui représente une immense difficulté. En conclusion, nous pouvons nous en sortir mais nous devons être à la manoeuvre.
M. Henri Tandonnet . - Je m'occupe d'un syndicat d'adduction d'eau potable. Les doses de chlore sont aujourd'hui augmentées dans l'eau, notamment en raison du plan Vigipirate. Ce produit est-il inoffensif ?
M. Jean-Marie Pelt . - Non, le chlore est à l'origine de chloramines. Peut-être faudrait-il mettre en place, comme à New York et à Munich, d'immenses zones de captage bio, tout comme l'entreprise Vittel le pratique pour son eau minérale. La purification par lagunage fonctionne aussi très bien pour les villes moyennes et petites.
Audition, pour l'Institut
National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM),
du Dr Isabelle Baldi,
maître de conférences et praticien hospitalier au Laboratoire
Santé-Travail-Environnement (LSTE) de l'Université
Bordeaux II,
de
Mme Sylvaine Cordier, directeur de recherche, responsable de
l'équipe de recherches épidémiologiques sur
l'environnement et la reproduction de l'Université de Rennes I,
de M. Xavier
Coumoul, maître de conférences, UMRS 747 pharmacologie,
toxicologie et signalisation cellulaire de l'Université Paris-Descartes,
du Dr Victor
Demaria-Pesce, directeur de recherche, directeur des relations
institutionnelles,
de Mme Marie-Christine Lecomte, directeur de
recherche, responsable du Centre d'expertise collective de l'INSERM à la
Faculté de médecine Xavier-Bichat,
et du
Pr Geneviève Van Maele-Fabry, de l'Université catholique de
Louvain (20 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. La création de notre mission d'information, que nous devons à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, fait suite à l'affaire Paul François en Charente. Nous travaillons, dans un premier temps, sur l'impact des pesticides sur la santé, non seulement des agriculteurs, mais de tous les professionnels et particuliers exposés lors de l'utilisation de pesticides. Je vous propose de commencer par un tour de table permettant à chacun de se présenter.
Pr Geneviève Van Maele-Fabry, de l'Université catholique de Louvain . - Je travaille à l'Université catholique de Louvain au Louvain center for Toxicology and Applied Pharmacology ( LTAP ), anciennement appelé Unité de toxicologie industrielle et de médecine du travail, comme chercheur qualifié et professeur. Je suis responsable de l'axe centré sur la réalisation de revues systématiques et méta-analyses. Mes travaux portent en grande partie sur les relations entre l'exposition aux pesticides et les cancers.
M. Xavier Coumoul, maître de conférences, UMRS 747 pharmacologie, toxicologie et signalisation cellulaire de l'Université Paris-Descartes . - Je suis professeur de biochimie et de toxicologie à l'Université de Paris-René Descartes ; je suis co-directeur de l'équipe de recherche qui travaille sur les aspects mécanistiques de l'influence de différents polluants.
Mme Marie-Christine Lecomte, directeur de recherche, responsable du Centre d'expertise collective de l'INSERM à la Faculté de Médecine Xavier-Bichat . - Je suis responsable du Centre d'expertise collective à l'INSERM et vous prie d'excuser l'absence de M. Jean-Paul Moatti, directeur de l'ITMO Santé publique, retenu.
Dr Victor Demaria-Pesce, directeur de recherche, directeur des relations institutionnelles . - Je suis directeur de recherche à l'INSERM et responsable des relations institutionnelles. A ce titre, je suis en charge des relations avec le Parlement français et le Parlement européen.
Dr Isabelle Baldi, maître de conférences et praticien hospitalier au Laboratoire Santé-Travail-Environnement (LSTE) de l'Université Bordeaux II . - Je suis médecin épidémiologiste et travaille, à l'Université de Bordeaux II, notamment à des études épidémiologiques relatives à l'exposition des travailleurs du monde agricole aux pesticides.
Mme Sylvaine Cordier, directeur de recherche, responsable de l'équipe de recherches épidémiologiques sur l'environnement et la reproduction de l'Université de Rennes I . - À l'Université de Rennes, je suis des cohortes de femmes enceintes et d'enfants en Bretagne et en Guadeloupe. Je travaille sur l'exposition prénatale, notamment aux pesticides.
Mme Marie-Christine Lecomte . - Nos travaux visent à apporter un éclairage scientifique à la décision politique dans le champ de la santé publique. En réponse à une demande institutionnelle, nous établissons un bilan des connaissances scientifiques. À partir de la littérature scientifique internationale, nous constituons un fonds documentaire qu'analyse un groupe d'experts.
La direction générale de la santé (DGS) nous a sollicités pour mener un travail sur les pesticides et leurs effets à long terme sur la santé, notamment à travers les expositions professionnelles agricoles et les expositions prénatales . Ce travail devrait être terminé à la fin de l'année 2012.
Nous avons interrogé trois disciplines : l'expologie, soit la mesure des expositions ; l'épidémiologie, en ciblant un certain nombre de pathologies neurodégénératives - Parkinson, Alzheimer -, la sclérose latérale, les troubles cognitifs et psychiatriques, les cancers - un important volet -, dont les cancers hématopoïétiques, les troubles de la reproduction, le développement de l'enfant ; enfin, l'approche toxicologique.
Nos difficultés ? C'est d'abord, l'abondance de la littérature scientifique sur le sujet - 130 000 références traitant de pesticides. Nous avons choisi de cibler, dans les banques de données, les familles chimiques ou les pesticides que les études épidémiologiques avaient pu signaler comme suspects ou potentiellement impliqués dans le développement de pathologies. Autres difficultés, l'évaluation des expositions et la disparité des études.
Le groupe de l'expertise collective est amené à faire des recommandations, dont les grandes lignes sont encore en débat à ce jour.
Dr Isabelle Baldi . - Nous travaillons, pour beaucoup, sur les maladies neurologiques, les cancers et les troubles de la reproduction, pour lesquels de nombreuses données sont disponibles.
Il faut garder à l'esprit que nous tenons compte de tous les facteurs de risque, nombreux dans le modèle agricole ; leur part respective est difficile à déterminer.
Au-delà du monde agricole, bien des professions sont concernées et aujourd'hui sous-étudiées, depuis les professionnels des espaces verts, de la voirie, de la SNCF , jusqu'aux métiers du bois en passant par ce qu'on appelle l'hygiène publique (les vétérinaires, les pompiers...).
Il ne faut pas oublier non plus l'exposition non professionnelle dont celle des enfants. Reste que c'est sur la population agricole que l'on dispose des schémas d'exposition les plus complets, et du recul le plus important.
Les nombreuses études épidémiologiques sur les troubles neurologiques portent surtout sur la maladie de Parkinson. Il faut savoir que, en épidémiologie, c'est l'analyse des différentes études qui permet de parvenir à des conclusions positives.
Pour les troubles cognitifs , en dépit du nombre d'études, nous manquons encore d'études sur la durée et les effectifs étudiés sont généralement étroits. Quatre cohortes sont à l'étude. L'ensemble de la littérature, notamment les études transversales, conduit à imaginer des associations positives entre exposition et effets sur la santé dans les années qui suivent. Presque toutes les études ont porté sur une famille de pesticides, les insecticides organophosphorés.
L'étude Phytoner porte sur une cohorte d'un millier d'agriculteurs et de viticulteurs de Gironde, sur une quinzaine d'années . Nous nous attachons à la mesure de l'exposition, en regardant de près les tâches effectuées, comme au détail des fonctions cognitives. On a relevé des détériorations très nettes de celles-ci chez les personnes exposées aux pesticides , parfois des performances très abaissées en termes d'attention ou de conceptualisation, ce qui n'est pas sans conséquence sur la vie quotidienne. Ces troubles pourraient à terme évoluer vers des pathologies neurodégénératives telles que la démence ou la maladie d'Alzheimer.
S'agissant de la maladie d'Alzheimer, nous ne disposons que d'une dizaine d'études cas-témoins, plutôt fragiles, puisqu'il s'agit d'interroger des personnes qui ont des troubles de la mémoire. Les résultats sont cependant convergents : il y a augmentation du risque.
J'en viens aux troubles psychiatriques , notamment la dépression et le suicide en milieu agricole, sur lesquels existe une trentaine d'études épidémiologiques, pour déterminer s'il y a un lien avec les pesticides. La difficulté tient à la conjonction des facteurs environnementaux, sociaux et professionnels. Reste que l'on ne peut écarter l'hypothèse d'une influence de l'exposition aux pesticides sur les troubles de l'humeur et d'une contribution aux troubles dépressifs.
On parle davantage de la maladie de Parkinson au sujet de laquelle on dispose d'une vraie séquence comprenant les rapports de cas, les études écologiques et les études cas-témoins. Une soixantaine d'études fait apparaître l'existence d'un doublement du risque combiné pour les personnes exposées aux pesticides. Mais les données des études sont hétérogènes. Des conférences de consensus ont pointé les incertitudes sur les contextes agricoles et les familles de pesticides - on ne peut dire si tel ou tel type d'agriculture, ou tel ou tel produit est plus spécifiquement concerné, bien que l'on ait quelques pistes ; les facteurs génétiques, la sensibilité individuelle comptent aussi, de même que l'association des produits à un moment donné ou tout au long de la vie.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et les adjuvants ?
Dr Isabelle Baldi . - On ne peut exclure leur rôle. Des interrogations demeurent également sur la fenêtre et la nature de l'exposition. C'est dire que les connaissances ne sont pas abouties même si la maladie a été inscrite au tableau des maladies professionnelles . D'autres maladies sont en cours d'examen.
Le débat est social : nous nous contentons d'apporter les éléments de connaissance scientifique ; à la société de dire ensuite si elle doit apporter une réponse. En tout cas, il y a peu de maladies pour lesquelles la relation de cause à effet est absolument établie.
J'en arrive au cancer . Sur le fondement de deux études, l'une de Monsanto, en 1998, l'autre du National Cancer Institute, en 1992, on observe moins de cancers dans la population agricole que dans le reste de la population, comme l'a fait apparaître aussi, bien plus tard, l'étude Agrican. Pour certains cancers, comme celui du poumon, le risque est moindre - les agriculteurs fument peu ; pour d'autres cancers, il est plus élevé, mélanomes, lymphomes, ou leucémies...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A-t-on des données pertinentes par type d'agriculture ? Les risques sont-ils augmentés, par exemple en viticulture ?
Dr Isabelle Baldi . - On ne peut le dire de cette façon. L'analyse mériterait sans doute d'être affinée par secteurs ou même par sites. Il faudrait une quinzaine d'études spécifiques à la grande culture, autant à la viticulture... On travaille aujourd'hui davantage sur les produits.
Mme Sophie Primas , présidente . - Croise-t-on les données d'exposition ?
Dr Isabelle Baldi . - Autant que possible. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a établi un classement des pesticides en fonction de leur cancérogénicité, mais seulement une soixantaine de molécules sur un millier ont été évaluées, soit environ 5 %. Il s'agit d'analyses de substances et non de produits. A titre d'exemple, l'arsenic est classé en catégorie 1, le captafol et le dibromure d'éthylène en catégorie 2A. Nous manquons encore d'études. C'est assez frustrant...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et se pose la question des expositions combinées et des mélanges.
Pr Geneviève Van Maele-Fabry . - Nous disposons de peu de données en cette matière. De plus, il est impossible d'isoler un pesticide parmi ceux utilisés par les agriculteurs.
Dr Isabelle Baldi . - Les intérêts en jeu, dans ce débat, sont multiples...
M. Gérard Miquel . - La chlordécone , qui a fait bien des ravages outre-mer, n'est classée qu'en catégorie 2B !
Dr Isabelle Baldi . - Sur les tumeurs cérébrales, une vingtaine d'études existe, dont certaines remontent aux années 1980. Les mesures d'exposition sont fragiles et les tumeurs mal caractérisées. Depuis l'année 2000, les études sont plus solides et des associations positives ont été mises en évidence. Le problème reste cependant de disposer de mesures d'exposition fiables et de données suffisantes pour un même type de tumeur.
Pr Geneviève Van Maele-Fabry . - Les études épidémiologiques permettent de mettre en évidence une association entre un facteur et une pathologie - ce qui ne veut pas dire que ledit facteur est la cause de la pathologie. Il faut prendre en compte d'autres éléments, par exemple la relation dose/effet. Mais souvent les données précises d'exposition manquent. Il faut aussi prendre en compte la plausibilité biologique, que les études sur l'animal aident à établir.
Pour bien des pathologies, les données épidémiologiques, très nombreuses, sont contradictoires. Isolément, beaucoup d'études n'ont pas une puissance statistique suffisante. D'où l'exercice de méta-analyse, qui n'est cependant justifiée que si l'hétérogénéité entre les résultats des études n'est pas trop grande. Si tel est le cas, on procède par sous-groupes ou stratifications pour tenter d'en identifier les sources.
Pour le cancer de la prostate , les méta-analyses font apparaître, comme l'AHS américaine, une augmentation significative du risque. Les résultats ont été rééquilibrés pour tenir compte de la moindre prévalence des cancers en général dans la population agricole. L'évidence épidémiologique est relativement forte, mais les données sont insuffisantes pour démontrer la causalité.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pas de lien scientifique formel, donc, entre pesticides et cancer de la prostate, mais de fortes présomptions ?
Pr Geneviève Van Maele-Fabry . - De fortes présomptions, appuyées sur la mécanistique en toxicologie. Pour le cancer de la prostate, l'augmentation du risque reste inférieure à 2.
Pour les lymphomes non hodgkiniens (LNH) , même évidence épidémiologique - méta-analyses et AHS - et augmentation faible du risque, mais données, là aussi, insuffisantes pour démontrer la causalité de l'association. Pour la maladie de Hodgkin , l'évidence épidémiologique est très faible.
Pour la leucémie , les résultats restent difficiles à interpréter. L'évidence épidémiologique est moyenne. Comme dans les lymphomes, on est face à un groupe très hétérogène de pathologies. Des facteurs étiologiques différents peuvent être à l'oeuvre. D'où l'intérêt des stratifications.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je comprends que les paramètres à prendre en compte sont multiples...
Pr Geneviève Van Maele-Fabry . - C'est bien pourquoi l'on ne peut avancer à la vitesse de l'éclair. La quantité de littérature à étudier est pharamineuse.
Pour les myélomes multiples , les données sont insuffisantes et les études assez hétérogènes. L'évidence épidémiologique varie entre moyenne à faible.
Mme Sylvaine Cordier . - Mes travaux portent sur l'exposition aux pesticides pendant la grossesse . Les sources d'exposition aux pesticides en population générale, outre les activités professionnelles, comme celle des agriculteurs ou des vétérinaires, comprennent aussi l'alimentation. La période prénatale conditionne la vie entière. Pour courte que soit cette période, elle se caractérise par une très grande vulnérabilité du foetus . L'exposition aux pesticides peut avoir un impact sur le déroulement de la grossesse, le poids à la naissance, la prématurité, le développement de l'enfant. Il est probable que d'autres impacts sur la santé seront découverts.
Une méta-analyse est disponible sur les fentes orales : l'augmentation du risque suite à une exposition maternelle aux pesticides est de 37 % ; celle sur les hypospadias montre une augmentation du risque de 36 % . Trois des quatre études publiées ultérieurement montrent un risque augmenté. Sont concernées des mères qui ont travaillé pendant leur grossesse dans des professions potentiellement exposées aux pesticides. On ne peut cependant mettre en évidence la responsabilité d'un produit plutôt que d'un autre, d'autant que les associations sont possibles, de même que peut exister une susceptibilité génétique particulière. Beaucoup d'études se fondent sur le sang du cordon.
Il a également été souligné l'augmentation possible du risque de malformations congénitales après exposition résidentielle à des pesticides : la diminution possible du poids de naissance lors d'exposition prénatale aux triazines et aux insecticides organophosphorés ; plus solide, grâce à quatre études de cohorte, l'impact de l'exposition prénatale aux organophosphorés , au chlorpyrifos en particulier, sur le neuro-développement se traduisant par l'altération de la motricité fine, la diminution de la mémoire à court terme, des difficultés attentionnelles.
En outre, on peut mettre en évidence un effet possible de l'exposition aux pesticides anciens et persistants , via l'alimentation . Par exemple, le lindane aurait des effets sur la croissance et l'obésité de l'enfant, à travers des mécanismes de perturbation endocrinienne. Enfin, il y a d'autres cibles potentielles, comme la maturation sexuelle ou les fonctions thyroïdiennes.
Pr Geneviève Van Maele-Fabry . - Les études sur les leucémies de l'enfant font apparaître une augmentation statistiquement significative, mais faible, du risque dans la plupart des méta-analyses de cas-témoins. Cette augmentation est plus marquée après une exposition maternelle pendant la grossesse. L'évidence épidémiologique est forte, mais les données sont insuffisantes pour démontrer le lien de causalité.
Pour les cancers du cerveau chez l'enfant , on a constaté une augmentation significative du risque , y compris dans les études de cohortes, mais sur des données qui demeurent très limitées et devront être confirmées par d'autres relatives à la plausibilité biologique.
M. Xavier Coumoul . - Les études mécanistiques s'intéressent, s'agissant de l'exposition aux pesticides, aux propriétés chimiques de ceux-ci, à l'existence des différentes barrières biologiques, aux métabolismes des pesticides - parfois, seule la transformation est dangereuse -, aux phénomènes de détoxification, aux polymorphismes génétiques - nous sommes inégaux devant les pesticides - ainsi qu'aux cibles des toxiques - ADN, protéines, lipides et membranes - et aux mécanismes cellulaires associés - dérégulation de la prolifération et de la survie cellulaire, mort cellulaire, stress oxydant.
L'exemple de la maladie de Parkinson est parlant. Chez les malades la substantia negra a disparu ; elle est due à une molécule contenue dans les neurones dopaminergiques, qui produisent la dopamine, dont la libération contribue à la régulation des mouvements volontaires. Ces neurones peuvent mourir : il n'y a plus dès lors de substance noire ni de mouvements régulés. Les mitochondries sont des organites essentiels à la vie des neurones ; elles consomment de l'oxygène et le transforment en énergie, régulent l'apoptose. Notre travail consiste à identifier les mécanismes permettant de faire le lien entre la dérégulation des fonctions mitochondriales et l'exposition aux pesticides.
Nous nous sommes intéressés à plusieurs pesticides, dont le paraquat qui peut atteindre de nombreuses cibles dans la cellule. Un des mécanismes qui peuvent être activés en cas d'exposition est le stress oxydant ; néanmoins, il faut être prudent, car les études se fondent sur des taux d'exposition élevés, voire très élevés.
L'influence potentielle des pesticides sur le métabolisme est illustrée par la persistance des pesticides organochlorés , qui ciblent des organes aussi essentiels que le foie, le pancréas et le tissu adipeux. On peut relier l'exposition aux pesticides aux syndromes métaboliques comme le diabète de type 2.
Certes, les pathologies ciblées par l'expertise existaient avant l'invention des pesticides, mais la question posée en mécanistique est celle du rôle favorisant de ces produits. Le stress oxydant est suspecté de provoquer des dommages à l'ADN susceptibles de conduire à des cancers et à un vieillissement cellulaire.
De nombreuses études expérimentales ont été réalisées avec des protocoles incluant des hautes doses et des molécules individuelles ; or, il importe de veiller à développer des protocoles réalistes.
De nouvelles études montrent un amincissement du cortex cérébral chez les enfants après exposition au chlorpyrifos ...
Mme Sylvaine Cordier . - ...et dans la période prénatale.
M. Xavier Coumoul . - Il sera important à l'avenir de caractériser tous les effets pour mieux identifier les cibles. Enfin, l'interface entre épidémiologistes et toxicologues est à favoriser car elle est capitale pour faire progresser la prévention. L'information détenue par les épidémiologistes est attendue par les toxicologues.
Mme Marie-Christine Lecomte . - Il faut étudier aussi l'effet des mélanges.
Mme Sophie Primas , présidente . - En matière de santé publique, des priorités s'imposent, notamment pour ce qui concerne la prévention. Quelle est l'urgence de l'urgence ?
Mme Marie-Christine Lecomte . - Développer des études épidémiologiques de grande ampleur, être attentif aux produits utilisés en France, particulièrement les fongicides, peu utilisés aux États-Unis d'Amérique.
Dr Isabelle Baldi . - Aux États-Unis, les herbicides sont davantage utilisés.
Mme Marie-Christine Lecomte . - Il faut aussi approfondir nos connaissances sur la toxicité des mélanges, la toxicologie prédictive et le danger pour les femmes enceintes.
M. Xavier Coumoul . - C'est une population à protéger.
Dr Isabelle Baldi . - Comme les études sont focalisées sur les traitements effectués au moyen de pesticides, tâche traditionnellement dévolue aux hommes dans l'agriculture notamment, elles prennent peu en compte les femmes cependant exposées au foyer. Il doit y avoir à leur égard un devoir d'information, de prévention et de précaution.
M. Xavier Coumoul . - On peut penser aussi à l'exposition domestique, au jardinage...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les équipements de protection industrielle p rotègent-ils vraiment ?
Dr Isabelle Baldi . - C'est compliqué. Les vêtements de protection ne sont pas forcément portés comme il le faudrait et ne protègent pas autant qu'on le pensait. Les pratiques influent autant que le vêtement. Mettre des gants usagés, c'est pire que de ne pas mettre de gants. Il y a eu beaucoup de fausses pistes suivies. Et beaucoup de facteurs entrent en jeu, comme le type de tracteur ou de pulvérisateur, par exemple - sur le matériel aussi, il y a des progrès à faire. Quant aux masques de protection, ils sont peu utiles dans l'ensemble puisque 90 % des contaminations s'effectuent par la voie cutanée. Il ne s'agit pas de dire que les équipements de protection mis sur le marché ne servent à rien, mais on n'est pas sûr qu'ils soient conformes aux normes à respecter . Huit combinaisons sur dix ne sont pas conformes aux normes de perméation. Le concepteur du matériel se soucie de l'efficacité de la machine mais non de la protection de l'utilisateur.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous des autorisations de mise sur le marché (AMM) ?
Dr Isabelle Baldi . - La réglementation est beaucoup plus stricte pour les pesticides que pour les autres substances chimiques. Ce qui se fait dans le cadre de REACH est très en deçà.
M. Henri Tandonnet . - Les pesticides sont-ils donc mieux évalués que d'autres produits ?
M. Xavier Coumoul . - Le problème des études toxicologiques, c'est qu'elles ne sont pas menées sur une longue période...
Dr Isabelle Baldi . - ...et ne sont évidemment menées que sur l'animal. Il est difficile d'extrapoler à l'homme. Comme pour le médicament, l'AMM ne signifie pas qu'il n'y a pas de danger. Des études après mise sur le marché sont indispensables, y compris épidémiologiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Sont-elles suffisantes ?
Dr Isabelle Baldi . - Elles ne sont ni réglementaires ni systématiques. Il n'y a pas de suivi, de traçabilité des molécules après mise sur le marché.
Mme Sophie Primas , présidente . - N'y a-t-il donc pas de traçabilité fiable de l'exposition ?
Mme Marie-Christine Lecomte . - Ce sera l'une de nos recommandations : un suivi individuel.
Dr Isabelle Baldi . - Il faudrait obtenir un recueil systématique des expositions passées, présentes et à venir. C'est très compliqué de reconstruire le passé de l'exposition. Une maladie de Parkinson peut survenir après, peut-être, quarante ans d'exposition. Il faut se doter d'outils pour l'avenir.
Mme Sylvaine Cordier . - En Californie, depuis plusieurs décennies, il existe un suivi géographique, précis des produits utilisés, de l'exposition des riverains...
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment est-il assuré ?
Mme Sylvaine Cordier . - Par la réglementation, l'enregistrement.
Dr Isabelle Baldi . - Attention à ne pas faire de raccourci entre utilisation de pesticides et exposition. Les agriculteurs ne traitent pas tous mais beaucoup sont exposés. De plus, une journée d'exposition indirecte après réentrée peut être équivalente à une journée de traitement...d'où une sous-évaluation de l'exposition .
Mme Sylvaine Cordier . - Cela concerne aussi les riverains des zones agricoles . Des traces évidentes de pesticides ont été trouvées chez ceux-ci , que ce soit aux États-Unis ou en Bretagne.
Dr Isabelle Baldi . - L'exposition est un phénomène complexe, qu'il est essentiel de bien identifier.
Mme Sylvaine Cordier . - Les utilisations domestiques, non professionnelles, doivent donner lieu à une information du public. On sait ce qu'il en est de la pollution de l'air intérieur...
M. Henri Tandonnet . - Il y a beaucoup d'autres produits chimiques que les pesticides utilisés en agriculture. Les risques sont-ils très différents ?
M. Xavier Coumoul . - Les cibles d'action des polybromés par exemple sont différentes de celles des pesticides. Les organes et tissus ciblés ne sont pas les mêmes, les pathologies associées non plus. On sait, par exemple, que les amines aromatiques augmentent le risque de cancer de la vessie . Chaque molécule doit être prise en compte de façon individuelle, il faut faire très attention aux généralisations.
M. Henri Tandonnet . - On constate que les agriculteurs sont beaucoup plus sur la sellette que d'autres professions ou même que les industriels.
Dr Isabelle Baldi . - Ils sont le dernier maillon de la chaîne dont chaque maillon renvoie sur le suivant, on peut toujours leur reprocher de n'avoir pas lu l'étiquette...
M. Xavier Coumoul . - Alors qu'ils sont davantage victimes que coupables !
Dr Isabelle Baldi . - La prévention vaut pour tous les maillons de la chaîne.
Mme Sylvaine Cordier . - Il faut aussi réfléchir aux usages.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi mettre sur le marché des produits connus comme étant cancérogènes et mutagènes ?
Pr Geneviève Van Maele-Fabry . - La politique actuelle est de ne plus mettre sur le marché de tels produits.
Dr Isabelle Baldi . - Nous vivons cependant environnés de produits cancérogènes - voir les particules diesel ...
M. Xavier Coumoul . - L'exposition à une molécule peut changer votre métabolisme et influer sur les conséquences que vous subirez d'une exposition aux pesticides. Et ce n'est pas parce qu'une molécule n'est pas cancérogène qu'elle ne peut pas le devenir en mélange .
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous mentionnez le plan Écophyto 2018 dans votre étude...
Dr Isabelle Baldi . - Il semble qu'il ait ciblé en priorité l'agronomie plus que la santé des utilisateurs. Or, c'est crucial.
Quinze années d'expérience dans ce secteur permettent d'affirmer que l'indépendance des chercheurs est un point clé. Des pressions de plus en plus fortes s'exercent sur les chercheurs et les experts. L'indépendance des financements est de plus en plus difficile à obtenir. Et, sans financement pérenne, on aura de plus en plus de mal à obtenir des études dont les résultats ne seront pas discutés. Il me semble que la santé ait été un peu oubliée.
M. Henri Tandonnet . - Elle ne l'a pas été quant à la prévention.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous émettrons des recommandations en ce sens. Cela fait partie de notre mission. L'indépendance de la recherche est capitale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pour les AMM, les études sont fournies par les firmes, qui se retranchent derrière le secret industriel. Nous aurons, sur ce sujet aussi, des propositions à faire.
Mme Sophie Primas , présidente . - La solution n'est sans doute pas franco-française... Merci à tous.
Audition de M. Bernard Géry, porte-parole du collectif Sauvons les fruits et légumes de France et de M. Vincent Schieber, président de Carottes de France (20 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Les membres de la mission d'information souhaitent connaître votre point de vue sur le secteur, très exposé, des fruits et légumes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pour mémoire, je vous indique que c'est à la suite du cas de M. Paul François, en Charente, que j'ai sollicité la création de cette mission.
M. Vincent Schieber, président de Carottes de France . - Agriculteur, je suis président de l'association Carottes de France et d'un centre d'expérimentation en Lot-et-Garonne, Invenio , géré par les producteurs eux-mêmes qui valident les programmes de recherche et en financent une partie.
M. Bernard Géry, porte-parole du collectif « Sauvons les fruits et légumes de France » . - Je suis producteur maraîcher en région nantaise, où la mâche occupe une superficie de 5 000 hectares et emploie 2 500 personnes, ce qui en fait le premier lieu de cette production en Europe. J'ai été huit ans président de la section nationale des producteurs de salades. Je suis responsable économique des légumiers du bassin du Val de Loire, qui regroupe treize départements.
L'association Sauvons les fruits et légumes de France a été créée après l'arrêté du 12 septembre 2006, qui portait de nombreuses interdictions et a désemparé les producteurs. Nous avons alerté les élus sur la situation qui nous était ainsi faite et notre groupe s'est étoffé. Il compte des producteurs conventionnels comme des producteurs biologiques, concernés comme les autres par le redoutable mildiou, qui s'est réveillé brutalement cette année avec la régularité des précipitations.
Nous entendons garantir la qualité aux consommateurs ; nous sommes parties aux appellations d'origine protégée (AOP) existantes pour les grands produits et travaillons dans tous les domaines, techniques, protection phytosanitaire, recherche, pour améliorer nos productions. Nous sommes organisés - aucun de nos adhérents n'est un petit producteur indépendant. Toutes nos structures comptent en leur sein des ingénieurs-conseils.
Mme Sophie Primas , présidente . - Essayez-vous de réduire l'usage des pesticides ?
M. Vincent Schieber . - Si nous avons fondé ce collectif, c'est pour faire connaître les évolutions techniques de nos productions sur les vingt dernières années : la réduction de l'usage des produits chimiques en fait partie - les pesticides coûtent cher. Le travail de nos centres d'expérimentation vise à améliorer la qualité des produits comme la rentabilité économique. Nous avons mis au point des techniques complémentaires - je n'aime pas le qualificatif « alternatives ». On ne peut remplacer totalement les pesticides, mais on peut en réduire l'usage par une meilleure connaissance du parasitisme, des données de croissance des plantes, de l'impact du climat sur celles-ci de même que sur les parasites. Nous disposons aujourd'hui de modèles informatiques - de l'INRA, hollandais ou anglais - pour traiter ces différents paramètres.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui les a mis au point ?
M. Vincent Schieber . - Des chercheurs de l'INRA et du Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CETIFL). Le modèle que j'utilise pour lutter contre l'alternaria associe des chercheurs étrangers. Par ailleurs, j'anime un programme national « carottes » auquel travaillent l'INRA, le CETIFL, Agrocampus et deux stations expérimentales, en Basse Normandie et en Aquitaine. Deux ingénieurs de Rennes et Montpellier nous apportent leur concours. Nous sommes aussi en contact avec des équipes polonaises et allemandes. Les recherches avancent vite dans certains domaines, plus lentement dans d'autres, mais le résultat est là : on utilise moins de pesticides qu'auparavant .
Mme Sophie Primas , présidente . - Avez-vous beaucoup diminué ?
M. Vincent Schieber . - Pour désherber, j'utilise le linuron , une molécule classée CMR2 à spectre large qui sera interdite au 31 décembre 2013. Il y a vingt ans, j'en mettais 6 kg à l'hectare, j'en mets aujourd'hui 600 grammes, avec le même dosage. On a appris à travailler de mieux en mieux avec les molécules. Nous réalisions des analyses de résidus dès 1996-1997. Ma région a révolutionné la production de carottes, qui était auparavant l'apanage de la région nantaise.
Tous les centres d'expérimentation travaillent désormais d'arrache-pied à des solutions techniques complémentaires mais aussi à la substitution par des molécules de même spectre mais moins toxiques.
Pour répondre aux exigences de la réglementation, je vais substituer quatre pesticides au linuron , avec lequel, pourtant, je sais aujourd'hui travailler sans dépasser les limites maximales de résidus (LMR), qui multiplieront mon indice de fréquence de traitement (IFT) par 3 à 5 même en ayant supprimé une molécule toxique : c'est dire que le sujet est complexe.
M. Henri Tandonnet . - Ces quatre pesticides sont-ils des désherbants ?
M. Vincent Schieber . - Oui, des désherbants. Le linuron avait un spectre très large et des conditions d'utilisation très plastiques - ce qui dessinait aussi sans doute son profil toxicologique... L'effet pathologique de certains parasitismes est insidieux, on ne le voit pas toujours quand on fait un tour de champ... Puis, quand il s'exprime, c'est trop tard.
M. Henri Tandonnet . - Vous avez révolutionné la culture de la carotte, dites-vous ? Cela a-t-il entraîné l'usage de nouveaux herbicides ?
M. Bernard Géry . - C'est plutôt une question de surface : la région nantaise n'est plus en tête en ce domaine parce qu'ils se sont développés sur des milliers d'hectares, sans petits tunnels, en utilisant des machines plus sophistiquées.
M. Vincent Schieber . - Nous travaillons sous bâche plastique pour pousser la précocité. Et là, on ne pulvérise pas. Mais, ailleurs, on traite.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce qui veut dire que vous traitez parfois pour rien...
M. Vincent Schieber . - On ne traite pas dans tous les cas. On peut laisser se développer le champignon qui s'attaque au feuillage de la plante déjà développée quand celle-ci n'a plus besoin de feuilles. Sur une plante en pleine croissance et dans de bonnes conditions climatiques, on s'abstient aussi de traiter. Il y a vingt ans, on traitait systématiquement tous les vingt et un jours, parce que l'on nous disait que la rémanence du produit était de vingt jours. La fréquence est aujourd'hui différente selon la croissance de la plante et le climat. La modélisation nous a fait avancer à pas de géant.
M. Bernard Géry . - Et l'on ne peut récolter qu'une fois passée la période de rémanence. Aujourd'hui, nous avons mis en place dans nos serres la lutte biologique intégrée : un insecte pour lutter contre un autre . Nous avons ainsi une dizaine d'auxiliaires. Tout est contrôlé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - On revient, en somme, au bon sens.
M. Bernard Géry . - Les producteurs ne sortent plus, aujourd'hui, du fond de leur campagne. Ils sont titulaires de BTS, épaulés par des ingénieurs, en prise sur la recherche internationale. Tout le monde est en veille permanente.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La recherche porte-t-elle sur toutes les espèces ? Quid des cultures de petits volumes ?
M. Vincent Schieber . - Les producteurs sont plus ou moins entreprenants : cinquante espèces différentes de fruits et légumes sont concernées, on ne peut avancer partout à la même vitesse. L'INRA et les CETIFL ont leurs priorités, mais la prise de conscience est générale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et Ecophyto ?
M. Bernard Géry . - Avant même le Grenelle, nous avions réduit l'usage des pesticides. En serre, on est en milieu clos, on contrôle tous les paramètres. C'est ainsi que l'on a pu introduire les auxiliaires. Nous avons mené des recherches pendant dix ans, avec l'appui des régions Pays-de-Loire et Bretagne, mais la direction générale de la répression des fraudes nous a interdit de mettre sur les emballages de nos produits : « Lutte biologique intégrée » .
Les agriculteurs saisissent aussitôt l'innovation performante. Pour le bio , cela ne marche pas car il n'est pas cultivé sous serre.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qu'en est-il en plein champ ?
M. Bernard Géry . - On a obtenu des résultats sur l'artichaut en Bretagne. Les agriculteurs ne sont pas idiots, leur objectif, depuis toujours, c'est de ne pas intervenir. Mais, en plein air, si les vents sont contraires, on n'y peut pas grand-chose. On ne peut appliquer des recettes toutes faites : nous sommes des observateurs permanents de la nature. Et nos clients veulent des garanties de traçabilité.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'est-ce qui empêche les agriculteurs conventionnels de passer en bio ?
M. Bernard Géry . - Le côté aléatoire de la production...
M. Vincent Schieber . - Mais, dans les centres d'expérimentation, on travaille avec les deux formes d'agriculture . Auparavant, nous avions deux pôles séparés puis on a mis tout le monde autour de la même table. C'est logique, on a les mêmes parasites. Les résultats de nos travaux sont partagés. Les agriculteurs biologiques s'inspirent de ce qui se fait dans le conventionnel et vice versa . Ce qui empêche la généralisation du bio, ce sont des critères économiques : le marché s'effondrerait.
Mme Sophie Primas , présidente . - C'est-à-dire ?
M. Vincent Schieber . - Au-delà de 3 % à 5 % de bio, le marché n'absorbe pas et ne peut rémunérer le surcoût de la production bio. Les produits de traitement ont amené la sécurité alimentaire, que l'on demandait aux agriculteurs d'assurer. Aujourd'hui, on leur demande de produire avec moins de pesticides et des auxiliaires. Ils savent désormais le faire sous serre. Ce sera ensuite le cas en plein champ, même si c'est plus difficile. On y arrive pour certains traitements fongicides, et encore sous certaines conditions : le Contans par exemple, implanté dans le sol, débarrasse du sclérote. Une multitude de producteurs d'espèces différentes, conventionnels ou biologiques, sont intéressés. En revanche, pour le rhizoctone , destructeur racinaire, on n'a aucun moyen de lutte.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les budgets de recherche ne demeurent-ils pas insuffisants ?
M. Vincent Schieber . - Les budgets des centres d'expérimentation sont cent fois, mille fois moindres que ceux des sociétés privées.
M. Bernard Géry . - Pour la profession maraîchère, nous avons engagé un programme de recherche, le PICLEG, pour la production intégrée en culture légumière ; l'INRA et le CETIFL sont en pointe. Mais les chercheurs nous annoncent des pistes, un résultat possible... dans dix ans. À quand l'entrée en production ? Je suis paysan, pas philosophe !
M. Vincent Schieber . - Dans la recherche sur le vivant, les délais sont très longs : on ne peut pas répondre d'emblée aux demandes de la société, il faut prendre en compte les progrès déjà réalisés et nous laisser le temps. Dire qu'on peut réduire de 50 % l'utilisation de pesticides avant dix ans, c'est très ambitieux mais néglige la réalité du terrain ; on pourra peut-être y arriver pour certaines cultures, mais pas pour toutes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pouvez-vous préciser ce que vous appelez l'aléa de la culture biologique ? Est-ce affaire de rendements ?
M. Bernard Géry . - Le climat... En 2011, mai et juin ont été très chauds, cela a moins été le cas cette année... Et puis, malheureusement, la recherche n'avance pas toujours ; il arrive même qu'elle recule. Un pôle de recherche qui réunit toutes les compétences du pays de la Loire a travaillé l'an dernier sur les méthodes complémentaires - plutôt qu'alternatives : il vient de nous annoncer que ses résultats étaient invalidés... par la météo. Il faut donc recommencer.
M. Vincent Schieber . - Reste que de plus en plus de producteurs savent maîtriser leur production en bio. Le mouvement est irréversible. Mais demeure le souci du marché, de la régularité et de la sécurité des résultats, d'incident imprévu, d'accident climatique. En agriculture conventionnelle, la palette est plus large en cas d'accident de végétation. En bio, si on rate un désherbage, il faut passer au manuel. Même sur dix hectares, nous ne trouvons plus personne pour le faire. C'est pourquoi les agriculteurs sont prudents : ils n'avancent que sur la base de résultats sécurisés. C'est le bon sens paysan...
M. Henri Tandonnet . - J'ai lu dans un article sur la tomate que le bio ne pouvait utiliser les serres.
M. Bernard Géry . - Mais si !
M. Vincent Schieber . - La production biologique intégrée (PBI) existe bien en serres. Mais l'apparition de la drosophile suzukii, l'an dernier, a durement touché les fruits rouges, notamment dans le Lot-et-Garonne pour les fraises sous serre. Ceux qui ont abandonné le label biologique et sont passés à un traitement chimique ont sauvé leur production mais, sans insecticide, il était impossible de réagir. Voilà une production biologique intégrée ancienne qui, passez-moi l'expression, s'est ramassée. Il y a des parasitismes émergents, il faut être constamment à l'affût, trouver un plan B en cas de problème...
M. Bernard Géry . - Nous avions donné une conférence de presse à l'Assemblée nationale pour parler des parasites exotiques dont la cause est la mondialisation. C'est un sujet d'inquiétude majeur. Personne n'a la solution aujourd'hui. Le frelon asiatique remonte...
M. Henri Tandonnet . - Quid de la commercialisation et de la valorisation de vos produits ? Au Kenya, au Maroc, ils sont arrosés de pesticides. Mais le consommateur voit-il la différence sur les marchés ? Ne peut-on mettre en valeur les productions prudentes, en lutte biologique intégrée, que sont les vôtres ?
M. Bernard Géry . - Depuis le 14 juin 2011, la libre circulation de tous les produits dans l'Union européenne impose les mêmes règles d'achat partout ; l'harmonisation des techniques de production, est de plus en plus stricte dans l'Union européenne. Les Allemands conduisent des analyses systématiques, à grands frais. Les poivrons espagnols avaient été traités avec des produits chinois interdits et ont ainsi été totalement écartés d'Allemagne.
Mme Sophie Primas , présidente . - On dit que l'exposition aux pesticides est plus importante en Espagne, notamment dans les serres...
M. Bernard Géry . - Ils ont à faire face à des températures plus élevées que nous ; ils ont plus de difficulté à contrôler les auxiliaires. Mais ils rattrapent leur retard.
M. Vincent Schieber . - Les divers modes de production devraient être indiqués pour permettre aux consommateurs de choisir. Il ne faut pas importer de produits étrangers traités avec une molécule interdite.
M. Henri Tandonnet . - Dans ce domaine, il y a tout à faire.
M. Vincent Schieber . - On n'empêchera pas les gens de vouloir des haricots verts à Noël, mais il y aurait beaucoup à dire sur les haricots du Kenya !
Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est le degré de conscience des agriculteurs quant à la dangerosité des pesticides ?
M. Bernard Géry . - A cet égard, à Nantes, voilà plus de dix ans que nous formons sur ce thème les salariés dans les exploitations.
M. Vincent Schieber . - On voit parfois des photos d'agriculteurs revêtus de combinaisons de protection ... C'est anxiogène ! A croire qu'ils sont en train d'empoisonner tout le monde ! Alors que les produits sont homologués et qu'ils se protègent...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il y a des produits qui ne sont pas anodins.
M. Vincent Schieber . - La sensibilisation est la même que pour les conducteurs routiers... Nous avons une obligation de résultat en termes de qualité et de quantité ; mais il faut nous laisser le temps.
Mme Sophie Primas , présidente . - Dans les maraîchages, chez les riverains, il y a des maladies qui se déclarent...
M. Bernard Géry . - Si l'agriculture bio perd le cuivre , le soufre et la roténone , il n'y aura plus de bio ! En 2004, le mildiou a frappé fort. Les producteurs bio aussi protègent leurs cultures, ils mettent beaucoup de cuivre , métal lourd qui reste dans le sol. Que faire en cas d'attaque ? Si on ne fait rien, la culture est perdue. En 2004, les agriculteurs bio ont demandé et obtenu l'autorisation d'utiliser des produits conventionnels pour traiter leurs pommes de terre.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce qui est intéressant, c'est la façon dont vous travaillez ensemble.
M. Bernard Géry . - Les producteurs bio utilisent aussi du soufre , de la roténone et d'autres produits que nous n'utilisons pas en serre parce qu'ils tuent les auxiliaires... Nous travaillons sur du vivant. De même que l'homéopathie ne peut pas tout soigner... A Nantes, le petit navet rond violet de printemps va sans doute disparaître car la mouche des crucifères les ravage.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Selon M. Jean-Marie Pelt, la culture conjointe de la carotte et de l'oignon ou du poireau, déroute les trips et autres parasites et favorise les carabes et staphylins, prédateurs des mouches de la carotte.
M. Vincent Schieber . - Je m'interroge : les bassins de production ne sont pas les mêmes pour la carotte et l'oignon ! En revanche, ils sont les mêmes pour la carotte et le poireau. Si ces mariages étaient efficaces, cela se saurait... Cela fait vingt ans que je mange de la carotte sans aucun souci !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je connais un producteur d'oignons devenu paraplégique à la suite d'une intoxication aux pesticides... Il s'est mis au bio et ne mange plus d'oignons !
M. Vincent Schieber . - Je me méfie d'un producteur qui ne consomme pas ses produits.
M. Bernard Géry . - Depuis plus de quinze ans, nous devançons les attentes. Nous mangeons quotidiennement nos propres produits. Je vous invite à venir nous voir.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci.
Audition, pour l'association France Nature Environnement (FNE), de Mme Claudine Joly, experte pesticides et de Mme Marie-Catherine Schulz, coordinatrice du réseau agriculture (20 juin 2012)
Mme Claudine Joly, experte pesticides . - Merci de nous entendre. France Nature Environnement (FNE) est une fédération nationale d'associations de protection de la nature et de l'environnement, créée en 1978, à l'époque où la plupart de nos associations étaient naturalistes. Elles sont aujourd'hui de plus en plus impliquées dans la défense de l'environnement. FNE fédère aussi des associations nationales comme la Ligue de protection des oiseaux (LPO). La force de notre fédération, c'est son réseau territorial de bénévoles - près d'un million - et sa présence dans de nombreuses commissions officielles et instances techniques de concertation.
J'ai été vétérinaire pendant vingt-cinq ans et suis épouse d'agriculteur. Au niveau national, je représente FNE dans le cadre d'Ecophyto. Je siège également dans toutes les instances qui traitent des problématiques abeilles/pesticides. Ce sont toujours des bénévoles qui siègent. Il existe une dizaine de réseaux spécialisés différents. J'appartiens au réseau agriculture.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment êtes-vous financés ?
Mme Claudine Joly . - Nous recevons des financements des ministères de l'écologie et de l'agriculture, les cotisations de nos membres, des dons, quelques partenariats.
Mme Marie-Catherine Schulz, coordinatrice du réseau agriculture . - Nous essayons de diversifier nos financements en recherchant des partenariats et des dons de particuliers. Le Crédit agricole ne finance plus FNE.
Mme Claudine Joly . - Ce sont toujours des partenariats très ciblés ; nous ne vendons pas notre âme ; nous en avons un avec Lafarge, que nous avons traîné au tribunal l'an dernier... Nous sommes très surveillés par nos adhérents bénévoles...
Mme Marie-Catherine Schulz . - Nous avons une charte de partenariat .
Mme Claudine Joly . - Nous sommes contraints de diversifier nos sources de financement. Les ressources provenant de l'Etat ne sont pas nécessairement gages de plus d'indépendance que d'autres, et vont aller en diminuant...
La défense de l'environnement aura besoin de plus en plus de bras. Il est vrai que nous avons un problème de communication : nous faisons un travail énorme que le public connaît peu. L'action menée au moment du Concours agricole l'an dernier nous a fait connaître...
M. Henri Tandonnet . - Elle a été peu appréciée des agriculteurs.
Mme Claudine Joly . - Elle a été appréciée par nos adhérents... Je travaille au contact des agriculteurs. Elle n'était pas dirigée contre eux mais contre des décisions allant à l'encontre du progrès. Ainsi, il y a le Grenelle, mais aussi des textes qui autorisent l'extension des élevages de porcs, avec les problèmes d'effluents que l'on connaît ; il y a Ecophyto , mais aussi l'autorisation donnée au Cruiser ...
Après avoir été vétérinaire, j'ai étudié les problèmes environnementaux. Je vis dans une ferme céréalière, mon mari est agriculteur pluriactif. J'ai suivi une formation à l'université de Caen en gestion et valorisation environnementales et une autre en apicologie. FNE est la seule association à suivre Ecophyto. Avant, les agriculteurs riaient à l'idée que FNE puisse souhaiter réduire l'usage des pesticides. Je suis en charge des dossiers techniques sur ce thème avec un collègue de FNE.
Nous sommes globalement satisfaits des engagements du plan Ecophyto. Le plan d'action a été mis au point par M. Michel Barnier en 2009 ; il est nouveau et important. Le congrès de FNE, en janvier dernier, a salué la démarche du Grenelle, en dépit de la diversité des opinions politiques de chacun. Nous avons maintenant Ecophyto en région et des réunions nombreuses. Le réseau des fermes de démonstration DEPHY est essentiel ; l'exemple « par-dessus la haie » est fondamental pour l'agriculteur.
Ecophyto est complexe à mettre en place, c'est une énorme machine. Nous avons de fortes discussions avec les acteurs agricoles, il y a des résistances. La première d'entre elles porte sur l'utilité de la diminution de l'usage (NODU) plutôt que celle de la quantité. C'est pourtant ce qui fait l'originalité du plan, non la quantité mais le nombre de doses. En fait, c'est surtout l'usage de la bouillie bordelaise qui a été réduit. On nous demande aujourd'hui de travailler sur des indicateurs de risque car la NODU augmente. Ce fut un grand combat pour parvenir à la prise en compte des traitements de semences dans Ecophyto.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'en est-il des traitements des stockages ?
Mme Claudine Joly . - Ils ne sont pas pris en compte. Nous avons gagné la bataille des traitements de semences, désormais intégrés dans l'indice de fréquence des traitements (IFT), malgré la très forte présence des firmes dans le groupe de travail, qui voulaient que l'on prenne en compte la surface ensemencée. Le combat n'est pas tout à fait fini, parce qu' il faut maintenant passer à un IFT substance active tenant compte du traitement des semences .
Pour le suivi, dans les fermes, le changement du mode de calcul de l'IFT n'est pas simple pour les acteurs de terrain, mais la machine est lancée. Ecophyto a été mis en place alors que tout n'était pas finalisé...
Le Certiphyto , qui doit toucher tous les agriculteurs au début de 2014, a un réel impact sur le terrain, malgré les résistances initiales. Des formations doivent être organisées, avec des financements d'Etat - les agriculteurs n'ont pas l'habitude de mettre la main à la poche. Deux jours, c'est peu, plutôt une sensibilisation qu'une formation , mais, au moins, on éveille, on alerte sur les dangers, les protections. Les évaluations de risque sont faites sur des gens protégés, alors que, sur le terrain, beaucoup d'agriculteurs ne se protègent pas ! Ecophyto finance des études, dans le cadre de son axe 9, pour fabriquer des équipements de protection portables et efficaces. Nous avons toujours soutenu la démarche en dépit de la méfiance initiale de notre base, mais le diable est dans les détails. Il faut être vigilant et présent dans tous les comités techniques. Quand ils utilisent des semences traitées, les agriculteurs ne se rendent pas compte qu'ils traitent.
Depuis longtemps, je réclame une réorientation de l'enseignement agricole et des programmes dans le sens d'une diminution de l'usage des pesticides. On n'y est pas encore. C'est un vrai problème. Je connais, dans ma région, des lycées et des enseignants qui sont bien impliqués, mais il reste beaucoup à faire. Nous demandons un cadrage plus important.
Quant à la surveillance biologique du territoire , la mise en place du bulletin de santé du végétal coûte cher. Le suivi existe, plutôt efficace. Mais le passage aux mains du privé pose question ; il ne faut pas que les services de l'Etat disparaissent . Ces bulletins doivent inciter les agriculteurs à aller voir eux-mêmes ce qu'il y a sur leurs parcelles. Il faut absolument des contrôles aléatoires et une remontée des informations d'épidémiosurveillance. De son côté, le suivi des effets non intentionnels des pesticides commence à se mettre en place, mais il va être difficile de mesurer ces effets avec les protocoles plutôt simplistes du Muséum et le peu de formation des acteurs qui en sont chargés. Notre association sera impliquée dans le suivi sur le terrain. Ce sera une bonne façon de mettre en contact agriculteurs et écologistes, ce qui ne va pas de soi...
Mme Sophie Primas , présidente . - Les pratiques de certains écologistes ne sont-elles pas parfois un peu brutales ?
Mme Claudine Joly . - Vous savez, je vis sur une exploitation conventionnelle... À FNE, nous voulons une agriculture productive, nourricière, socialement durable, même si l'environnement est notre coeur de métier. Si on veut sauver la biodiversité sur le territoire, 7 % de jachère, c'est peu !
Mme Sophie Primas , présidente . - Dans mon département, les Yvelines, l'agriculture est contrainte par le développement urbain. Les contraintes écologiques se surajoutent à bien d'autres, qui rendent difficile l'exploitation agricole en Île-de-France.
M. Henri Tandonnet . - Plutôt que des règles générales, je préfèrerais un contrat par exploitation, qui prenne en compte les progrès accomplis.
Mme Claudine Joly . - Cela suppose un diagnostic coûteux. Il y a besoin de biodiversité partout. Lors de journées de formation, un agriculteur m'a demandé : « où est notre avantage économique ? ». Si cet avantage était évident, cela serait déjà fait depuis longtemps. La biodiversité, c'est un outil de travail sur une exploitation. Songez aux pollinisateurs ! Leur disparition aurait un impact énorme, pire pour moi que celui des changements climatiques. Il n'y aura jamais assez de biodiversité. Quand je pense que l'INRA retient un taux de 30 % du territoire en biodiversité ! Nous demandions 10 % ; le ministère nous a dit : il faut au moins 15 % avec des diagnostics ; et on nous dit qu'on en reste à 7 %, avec des coefficients d'équivalence ! Pour cent hectares, il suffira donc de mettre 700 mètres de haies dont on n'évaluera même pas la qualité ! 7 %, c'est une misère ! Il faut agir vite pour sauver les pollinisateurs ! Je ne veux pas faire dans le catastrophisme, mais il y va de la survie de l'humanité !
Il faut agir d'urgence pour faire baisser l'usage des phytos. Après le Grenelle, j'ai été impliquée dans un protocole de suivi post-homologation du Cruiser , quelque chose de très fragile scientifiquement. Résultat, on a conclu à un effet nul sur les abeilles. C'est de ce moment-là que j'ai commencé à me battre. L'ANSES s'est depuis intéressée de plus près à la question. Mais on a toujours des évaluations faites sur un animal sain qu'on expose aux pesticides le moins longtemps possible... Et ce sont toujours les firmes productrices qui font les études, sans comité de lecture, sans validation. J'ai vu une étude qui portait sur deux hectares de culture traités ! Quand on sait que les abeilles butinent sur au moins 3 000 hectares ! A quand un contrôle de second degré ?
M. Henri Tandonnet . - Allez-vous passer au bio sur votre exploitation ?
Mme Claudine Joly . - En céréales, c'est difficile. Avant de m'impliquer dans Ecophyto, j'ai cherché un chef de culture en bio. Outre que l'on m'a mise en garde sur les résultats, je n'en ai pas trouvé. Pas plus en agriculture durable. Cela étant, j'ai conservé des parcelles en prairies permanentes, j'ai des bandes enherbées, 15 % de surface agro-écologiques... Ce qui complique ma déclaration PAC... Mais on ne me regarde pas comme quelqu'un d'extérieur...
Mme Sophie Primas , présidente . -Parlez-nous du conseil...
Mme Claudine Joly . - Le noeud du problème, pour nous, c'est le conseil aux agriculteurs . Lors du Grenelle, nous avons demandé une vraie séparation de la vente et du conseil des phytosanitaires, que l'on n'a pas obtenue. Le code rural prévoit bien un agrément plus strict, mais le conseil reste facultatif. Nous plaidons pour la création d'une profession de « phytiatres » , avec une formation en agronomie et en écotoxicologie, qui feraient des prescriptions de pesticides comme les médecins de médicaments ; et la coopérative ferait office de pharmacie. La voie d'une réduction de l'usage, c'est l'accompagnement de chaque agriculteur par des personnes dotées d'une solide formation agronomique, qui rendraient visite à l'exploitant une fois par an pour dialoguer avec lui, lui rappeler les limites de prescription. Un suivi au cas par cas.
M. Henri Tandonnet . - On revient à ma suggestion : un diagnostic par exploitation.
Mme Bernadette Bourzai . - Il faut d'abord passer par la région de production pour descendre ensuite à des contrats par exploitation ; on reviendrait au modèle des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) qui ont été supprimés...Cela suppose aussi un changement de gouvernance au niveau de la PAC.
Mme Claudine Joly . - La démarche ne peut pas reposer sur le seul volontariat. Il faut que tout le monde bouge. Le « phytiatre » serait non seulement prescripteur, mais conseiller. Le diagnostic et l'accompagnement par exploitation, c'est l'idéal. Pour l'utilisation des phytos, cela pourrait être financé par l'agriculteur lui-même, parce qu'il y gagne. Reste le problème de l'accompagnement individuel « biodiversité » : qui le financera ?
Mme Sophie Primas , présidente . - La biodiversité, c'est un bien public...
Mme Claudine Joly . - Nous plaidons pour le verdissement effectif du premier pilier de la politique agricole commune ...
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition de Mme Marie-Monique Robin, journaliste, auteur du livre et réalisatrice du film « Notre poison quotidien » (26 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Bonjour, Madame. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je suis Sophie Primas, élue des Yvelines, présidente de cette mission d'information demandée par Mme Nicole Bonnefoy, élue de Charente, qui a été sensibilisée à la question des pesticides par l'affaire Paul François que vous connaissez bien.
Mme Marie-Monique Robin . - En effet, j'ai contribué à révéler cette affaire et à donner à Paul François des outils pour se défendre.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous êtes très engagée dans la lutte contre les problèmes de pesticides et de perturbateurs endocriniens. Vous observez d'ailleurs de près les grands groupes de l'industrie phytosanitaire. Il nous a donc semblé intéressant d'entendre votre point de vue sur l'ensemble du sujet.
Mme Marie-Monique Robin . - Je n'aime pas trop le terme « phytosanitaire » car c'est une invention de l'industrie chimique pour nous faire croire que ces poisons agricoles ne sont pas des poisons. Je préfère utiliser le terme « pesticide » qui a le mérite de la clarté puisqu'il s'agit bien de produits conçus pour tuer des organismes vivants, même si cela a été oublié dans les campagnes. Pourtant, même dans la ferme de mes parents, nous parlions du « magasin de produits phytosanitaires » en pensant que ces produits soignaient les plantes. Je tiens donc à rappeler que ces produits sont faits pour tuer et ne soignent pas les plantes.
J'ai débuté l'enquête Notre poison quotidien dans la foulée de mon travail sur Monsanto dans lequel je montrais, à travers un film et un livre, comment cette multinationale américaine, grand producteur de pesticides, avait systématiquement caché la toxicité de ses produits et menti pour qu'ils restent sur le marché le plus longtemps possible. Je reviens justement du Japon où le film sort au cinéma et où le livre vient d'être traduit. Mon enquête a donc fait le tour du monde mais, à ce jour, je n'ai pas rencontré de problèmes judiciaires. Même si un certain nombre de personnes puissantes voudraient que je cesse mes travaux, les dirigeants de Monsanto ne m'ont pas, comme ils en ont l'habitude avec les journalistes ou les scientifiques, poursuivie en justice.
Quand j'ai terminé mon travail sur Monsanto , trois questions me revenaient sans cesse à l'esprit. Je me demandais tout d'abord si Monsanto constituait une exception. J'aurais aimé que cela soit le cas mais il n'en est malheureusement pas ainsi. En effet, toute l'industrie chimique depuis le début du XX ème siècle ment systématiquement sur la toxicité de ses produits . L'industrie chimique et des pesticides sait que ses produits sont toxiques mais elle ne le dit pas aux autorités et fait tout pour entretenir le doute sur cette toxicité. Le problème est donc systémique.
Je me demandais ensuite comment étaient réglementés les produits chimiques et si l'on pouvait faire confiance aux normes édictées par les agences de réglementation . La réponse est malheureusement non. En effet, il est commun de dire que 100 000 produits chimiques ont été mis sur le marché depuis la Seconde Guerre mondiale mais que seulement 10 % d'entre eux ont été testés.
La dernière question que je me posais concernait l'éventuel lien entre l'exposition à ces produits chimiques et l'épidémie de maladies évitables relevée par l'OMS. Cette dernière entend par maladies évitables des maladies dont les causes peuvent être identifiées et donc supprimées. Ces maladies évitables sont les cancers, les maladies neuro-dégénératives, les troubles de la reproduction, de l'obésité, le diabète etc...
Pour répondre à cette troisième question, je me suis centrée sur notre assiette en menant des investigations sur les pesticides, les additifs alimentaires et les plastiques qu'on y retrouve.
Je suis persuadée que les pesticides ont effectivement un impact sur les utilisateurs mais je tiens à préciser que je ne suis que journaliste. Mon métier consiste à faire le tour du monde pour rencontrer des experts et des témoins pour mettre à la disposition des élus les informations recueillies dans un souci de recherche et d'un mieux vivre ensemble.
Il est vrai que la question des pesticides me touche particulièrement. Je suis née dans une ferme dans les Deux-Sèvres dans laquelle travaillaient cinq paysans dont deux sont morts prématurément d'un cancer et d'une leucémie foudroyante et deux se battent contre un cancer de la prostate et un cancer de la peau. Il a fallu que je réalise mon film sur Monsanto pour que mon père, le seul d'entre eux aujourd'hui en bonne santé et qui s'occupait alors des vaches laitières et non des cultures, réalise quelle était la cause de ces cancers. Je suis donc portée par une motivation personnelle qui ne m'empêche en rien d'exercer mon métier le mieux possible.
Au début de mes travaux, j'ai essayé de recenser les études sur la relation pesticides-cancers . Il en existe des milliers au sein desquelles il est très difficile de se repérer. J'ai néanmoins constaté que la revue systématique de la littérature scientifique effectuée par des Canadiens à la demande du collège des médecins de l'Ontario aboutissait aux mêmes conclusions que deux autres revues très sérieuses : il existe évidemment un lien entre l'exposition répétée aux poisons chimiques déversés dans nos champs depuis cinquante ans et certains types de cancers.
Il faut savoir que, en général, la population agricole a moins de cancers que la population globale mais qu'elle souffre beaucoup plus de certains cancers, à savoir les lymphomes, les leucémies - à cause du benzène -, les cancers de la peau, de la prostate et du cerveau .
Par ailleurs, je suis très heureuse d'apprendre que la maladie de Parkinson a enfin été reconnue en tant que maladie professionnelle. J'espère que d'autres maladies entreront également dans le tableau des maladies professionnelles afin que les paysans qui en sont victimes n'aient plus à mener le très long combat pour être reconnus et obtenir un soutien pour eux et pour leurs familles.
Concernant le risque sanitaire que représentent aujourd'hui les pesticides en France , je m'inquiète beaucoup du sort des agriculteurs mais j'ai aussi examiné les effets nocifs sur les consommateurs qui mangent des produits imprégnés de résidus de pesticides. Le problème est notamment lié à la réglementation actuelle. En effet, lorsque René Truhaut, un toxicologue français très réputé et très respectable, a eu l'idée de réglementer les produits chimiques au début des années 1960, à partir de l'idée « la dose, c'est le poison » , il a développé le concept de la dose journalière acceptable ou admissible (DJA) qui est depuis devenu le fondement de toute la toxicologie et de toutes les agences chargées des réglementations (AESA ou EFSA , ANSES...).
Lors de la rédaction de mon livre, j'ai rencontré seize représentants d'agences de réglementation. Aucun n'a pu répondre clairement à mes questions car ils ne peuvent évidemment pas défendre un système indéfendable qui consiste à empoisonner la population à petites doses depuis quarante ans. Les agences de réglementation gèrent comme elles le peuvent un outil qui est, par essence, mauvais. La seule solution consisterait à revoir l'outil de fond en comble.
René Truhaut ne le savait pas à l'époque mais nous savons aujourd'hui que les perturbateurs endocriniens - des hormones de synthèse présentes dans de nombreux produits industriels - se retrouvent dans les végétaux sur lesquels ils sont appliqués et agissent sur la santé à des doses extrêmement faibles. Ces perturbateurs sont parfois sans conséquence à des doses élevées mais ils agissent de façon très importante à des doses infimes qui ne sont souvent même pas mesurées dans les tests exigés de l'industrie .
La littérature scientifique est très fournie sur le sujet. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de filmer un colloque scientifique à La Nouvelle-Orléans au cours duquel les chercheurs présentaient le concept d'origine foetale des maladies de l'adulte. En effet, des milliers d'études montrent que les cancers hormono-dépendants dont souffrent les personnes de trente ou quarante ans sont d'origine foetale, leur mère ayant consommé à un stade précis de sa grossesse un aliment contaminé par une hormone de synthèse.
Comme nous mangeons tous les jours des aliments non biologiques, nous consommons des résidus d'hormones de synthèse qui agissent à des doses extrêmement faibles et qui ont aussi la particularité d'interagir (effet cocktail). Si l'exposition se déroule in utero , les personnes peuvent développer vingt, trente ou quarante ans après des cancers de la prostate et du sein, des troubles de l'attention - de nombreuses études montrent ainsi que les animaux exposés à de très faibles doses de perturbateurs endocriniens développent des comportements autistiques, des troubles de la reproduction, du diabète ou de l'obésité.
Face à des molécules dangereuses, le principe de la DJA ne sert absolument à rien, car c'est le moment de l'exposition qui compte , d'autant que les études fournies par l'industrie pour définir cette fameuse DJA sont très discutables. Prenons l'exemple de la procymidone , un fongicide cancérogène et perturbateur endocrinien qui est enfin interdit dans l'Union européenne et dont la DJA a été plusieurs fois abaissée. Lorsque je m'étonnais devant un représentant de l'Agence Européenne de Sécurité des Aliments (AESA ou EFSA ) que la DJA de ce produit, une valeur censée être sûre et scientifique et donc nous protéger dès sa mise en place, ait dû être diminuée à plusieurs reprises, mon interlocuteur avait bien du mal à me répondre.
Ce n'est cependant pas aux agences de réglementation qu'il faut jeter la pierre mais aux pouvoirs publics qui leur demandent de continuer à utiliser un outil qui ne sert à rien et qui, très clairement, protège les industriels. L'exemple récent du colorant caramel du Coca-Cola , cancérogène maintenant interdit en Californie mais non en Europe, montre bien que les normes sont des artefacts politiques qui servent à protéger les intérêts des industriels . Comme je le disais en préambule, Monsanto n'est pas une exception. Depuis un siècle, l'industrie a tout fait pour maintenir la DJA. En effet, le jour où la DJA sera remise en cause, les perturbateurs endocriniens devront être interdits car il est impossible de les réglementer.
Pour maintenir leurs produits sur le marché, les industriels utilisent ce que M. David Michaels, un épidémiologiste américain, aujourd'hui secrétaire adjoint du travail dans le Gouvernement Obama, appelle « la fabrique du doute » , dans son livre « Notre produit, c'est le doute » . L'expression lui vient de l'industrie du tabac qui, dans un document déclassifié au moment des grands procès contre les cigaretiers, indiquait qu'elle vendait des cigarettes et du doute. Historiquement, la fabrique du doute a commencé dans les années 1920 avec l'essence au plomb. Devant le tollé général provoqué par la mise sur le marché de ce carburant, l'industrie a créé un laboratoire chargé de minimiser la perception des effets négatifs de l'essence au plomb. L'industrie du tabac a ensuite, à son tour, payé des laboratoires pour réaliser des études biaisées.
Ces études biaisées consistent à moduler les cohortes, de manière à mélanger les personnes exposées et les autres dans les groupes comparés et à retenir les temps d'exposition les plus courts possibles, ce qui permet d'obtenir les résultats souhaités. Découvrir ces biais demanderait un examen approfondi. Or, les données toxicologiques fournies par l'industrie pour être évaluées par les experts sont couvertes par le secret commercial et ne peuvent donc être consultées par personne.
Même après avoir travaillé sur Monsanto , je ne pouvais pas imaginer ce système incroyable. En 2001, le New England Journal of Medicine s'est lui aussi rendu compte qu'il était victime de ce système et que les revues scientifiques qu'il publiait étaient biaisées ; elles ne donnaient pas une vérité scientifique mais défendaient des produits. Ce grand journal britannique et treize autres revues scientifiques renommées, dont The Lancet , ont alors décidé d'exiger, au minimum, que les auteurs publient leurs conflits d'intérêts. Les revues se tiennent encore aujourd'hui à cette décision qui constitue un pas dans la bonne direction.
Même si les agences de réglementation publient, elles aussi, les conflits d'intérêts, le problème est que les experts censés évaluer les données toxicologiques transmises par les industriels n'analysent pas en profondeur ces études douteuses. Les sous-sols de l'OMS abritent ainsi quinze kilomètres de rayonnages de données transmises par les industriels que personne ne vérifie. Il est pourtant possible d'y trouver des mentions aussi étonnantes que celle d' « ovaires de lapins mâles » .
Mme Sophie Primas , présidente . - Voulez-vous dire que les autorisations de mise sur le marché de certaines molécules sont données sans vérification ?
Mme Marie-Monique Robin . - Oui. Et je vais même plus loin : toutes les molécules sont mises sur le marché sans examen sérieux .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment les évaluations sont-elles réalisées par les agences ?
Mme Marie-Monique Robin . - Les agences reçoivent un résumé des données toxicologiques, élaboré par l'industrie. Quand elles arrivent à obtenir les données brutes et les confient à un laboratoire indépendant, les résultats sont généralement inverses de ceux donnés par l'industriel dans son résumé. Les experts des agences, qui n'ont généralement pas de lien avec l'industrie - sachant que, par ailleurs, il n'est pas facile de trouver des experts qui ne soient pas, d'une manière ou d'une autre, liés à l'industrie - se contentent de lire le résumé. Cependant, ils ne retiennent que les études qui suivent « les bonnes pratiques de laboratoire » ou BPL .
En effet, à la fin des années 1980, aux États-Unis d'Amérique, un énorme scandale a éclaté lorsqu'il est apparu que les études sur le désherbant Roundup - incluant les ovaires de lapins mâles ! - avaient été totalement bâclées par le laboratoire en charge de les réaliser. Les États-Unis ont alors créé une feuille de route pour encadrer les études conduites par l'industrie. Cette feuille de route oblige, par exemple, les laboratoires missionnés par les firmes à effectuer des notations quotidiennes sur le déroulement des travaux : ce sont les bonnes pratiques de laboratoire. Les laboratoires publics américains de leur côté n'appliquent pas cette feuille de route, d'une part, parce que son coût est très élevé, et d'autre part, parce qu'ils appliquent un autre système de validation, celui de la publication dans des revues scientifiques. Les données toxicologiques de l'industrie ne sont, à l'inverse, jamais publiées. Ce qui empêche le CIRC de classer des pesticides possibles cancérogènes, puisqu'il ne travaille qu'à partir des études publiées.
Nous sommes donc face à un système uniquement au service de l'industrie et dont les agences de réglementation sont, d'une certaine manière, complices.
Dans ces conditions, comment améliorer le système ? Mon premier constat est que les pesticides cancérogènes ou perturbateurs endocriniens ne peuvent pas être réglementés. Ils doivent être interdits. En effet, il est impossible de produire des aliments sains en les arrosant de poison chimique. M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, et M. Jean-René Buisson, président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), affirmaient, l'année dernière devant moi sur un plateau de télévision, qu'il était impossible de nourrir le monde sans recourir aux pesticides. Après avoir pris la question à bras-le-corps pendant un an, je peux vous assurer que c'est un mensonge supplémentaire. Au contraire, ce sont les pesticides qui affament le monde car ils provoquent de nombreuses maladies dans les cultures .
Sachez également que 1 % seulement des pesticides atteignent leur cible dans les champs et que le restant part dans l'environnement. Nous appliquons donc un modèle totalement inefficace qui ne sert que les intérêts des industriels et qui asservit totalement les agriculteurs. Ces derniers ne savent même plus ce qu'est l'humus alors que c'est la meilleure manière de se protéger contre les parasites. Vous découvrirez dans mon prochain film, qui sortira à l'automne, que nous n'avons pas besoin de molécules dangereuses qui rendent malades les utilisateurs et les consommateurs.
S'agissant des autres molécules dont l'utilisation se poursuivra, les médicaments par exemple, il faudrait réformer le système d'évaluation en continuant à publier les conflits d'intérêts des experts et en créant plus de transparence grâce à des expertises contradictoires . Cela permettrait d'éviter le funding effect , théorie suivant laquelle le résultat de l'étude est prévisible selon la source de financement (firme ou laboratoire indépendant). Cela a été le cas pour l' aspartame et le bisphénol A .
Il faudrait aussi prévoir la possibilité de faire appel à des observateurs extérieurs choisis dans la société civile en fonction de leurs compétences . En effet, si les problèmes d' amiante , par exemple, ont enfin été réglés, c'est grâce à des acteurs de la société civile qui se sont emparés du sujet et non grâce à l'Académie de médecine ou à l'Académie des sciences.
Je souhaite finalement que les études soient payées par l'industrie mais conduites par des chercheurs indépendants sous le contrôle des autorités publiques . Je souhaite aussi que le souci de la santé publique passe avant le souci des industriels .
A ce sujet, je vous invite à lire l'ouvrage d'Ulrich Beck, « La société du risque » , qui montre que les risques sont partout autour de nous et qu'il faut les évaluer. En l'occurrence, évaluer le risque c'est mesurer les risques encourus par les citoyens et les bénéfices apportés par les produits, sachant que les agences de réglementation qui émanent des pouvoirs publics doivent faire passer le souci de la protection des citoyens avant celui des industriels . Malheureusement, c'est exactement l'inverse qui se produit depuis cinquante ans.
J'avais été entendue il y a quelque temps par le sénateur Gilbert Barbier à propos d'un rapport parlementaire sur les perturbateurs endocriniens , dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). J'avais été un peu déçue lorsqu'il m'avait annoncé les recommandations de ce rapport parce qu'il proposait d'indiquer sur tous les produits contenant des perturbateurs endocriniens la mention « déconseillé aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge » . Cela me semblait un peu léger au regard des risques encourus par ces populations. Lorsque j'avais indiqué à M. Gilbert Barbier que la seule solution était d'interdire ces molécules, il m'avait demandé ce que ferait alors l'industrie. J'ai été déçue qu'un sénateur soit si attaché à la défense des intérêts de l'industrie. Nous devons absolument réintroduire le souci du bien public dans le travail des agences de réglementation.
Je suis également très déçue de la récente prise de position de M. Stéphane Le Foll, nouveau ministre de l'agriculture, qui s'est opposé à une allocation de fonds européens pour des mesures agro-environnementales, car les agriculteurs n'en peuvent plus d'être malades et ont besoin d'un signal fort. M. Paul François a eu le mérite de libérer la parole dans nos campagnes. J'ai longtemps été considérée comme une traîtresse dans ma région natale mais, depuis que M. Paul François a eu le courage de dire que les pesticides l'avaient rendu malade et de créer l'association Phyto-Victimes, la parole se libère.
Il faut se préparer à un grand scandale sanitaire dans nos campagnes, aussi important que celui de l' amiante . J'espère que les politiques n'auront pas à se reprocher d'être restés les bras croisés. Le problème concerne aussi les consommateurs, bien entendu. Lorsque je présente mon film « Le monde selon Monsanto » et que je demande qui, parmi les spectateurs, connaît une proche, une voisine ou une collègue jeune qui souffre d'un cancer du sein, 90 % de la salle lève la main ! En conclusion, je suis persuadée que nous pouvons nourrir le monde sans ces produits chimiques dangereux. J'espère simplement que le nouveau Gouvernement sera au rendez-vous.
M. Joël Labbé . - Face à ce réquisitoire extrêmement à charge, il serait intéressant de prévoir une confrontation avec l'UIPP ou l'ANSES.
Mme Marie-Monique Robin . - J'ai eu l'occasion de débattre avec M. Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'UIPP qui, depuis quelque temps, a changé de discours sur le lien entre les pesticides et la santé des paysans.
En revanche, les lignes ne bougent pas à la FNSEA car ils ont très peur. J'étais récemment en contact avec un agriculteur de Montpellier qui souffre d'un cancer de la prostate, après avoir épandu pendant trente ans de l' atrazine dans ses champs. Il m'expliquait qu'il avait reçu une lettre de sa coopérative agricole demandant à tous les adhérents de signer une décharge en cas de cancer. Des salariés de coopérative on déposé des plaintes. Il faut savoir que les coopératives agricoles sont tenues par la FNSEA et que leur fonds de commerce est la vente de pesticides. Les membres de la FNSEA commencent aujourd'hui à prendre peur en voyant l'hécatombe qui se profile et qui ne les épargne pas eux-mêmes. S'ils ne prennent pas le problème à bras-le-corps dès maintenant, ils verront, dans quatre ou cinq ans, les membres des coopératives, les paysans et la société civile se retourner contre eux.
Jusqu'à récemment, on pouvait prétendre ne pas savoir à quel point l'exposition aux pesticides avait des conséquences dramatiques et comment les industriels entretenaient une politique du doute. Aujourd'hui, on ne peut plus ignorer cette situation. Pourtant, la FNSEA s'est opposée au classement comme maladie professionnelle de la maladie de Parkinson.
Nous sommes aujourd'hui à un moment clé où toutes les crises - énergie, biodiversité, climat, santé, économie - se rejoignent. Tous les acteurs que je rencontre sont conscients des liens entre ces crises. Nous avons donc besoin de signaux forts. Le Gouvernement ne peut pas reproduire le déni qui a été celui de la FNSEA. Cette dernière a d'ailleurs raison d'avoir peur car l'association Phyto-Victimes ne laissera rien passer. Elle affrontera les fabricants, mais aussi les pouvoirs publics qui soutiennent ce système de mensonge, ainsi que les représentants syndicaux qui tiennent les coopératives agricoles et qui ne peuvent plus dire qu'ils ne savent pas.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Connaissez-vous la coopérative Triskalia en Bretagne ?
Mme Marie-Monique Robin. - Oui. Lorsque je vais en Bretagne pour présenter mes films, j'ai quasiment besoin de gardes du corps. J'avais ainsi été invitée à Rennes pour filmer un colloque ouvert au public organisé par la délégation régionale de l'agriculture. Lorsque je suis arrivée sur place, les coopératives agricoles de Bretagne ont interdit que je franchisse la porte et le préfet les a laissées faire.
Les coopératives sont bien des acteurs de « l'agro-business » le plus brutal. Elles s'inquiètent cependant car elles savent que les agriculteurs sont en train de se réveiller, même s'ils ont honte, comme se sont réveillées les victimes de l' amiante . Bien sûr, il ne s'agit pas de stigmatiser les agriculteurs qui sont les premières victimes de ce modèle corrompu. Nous ne sortirons pas de ce modèle sans une alliance entre les consommateurs, les agriculteurs et les politiques.
M. Henri Tandonnet . - Vous avez largement ciblé les femmes. Au-delà de l'alimentation, ne faudrait-il pas parler des traitements hormonaux ?
Mme Marie-Monique Robin . - Tout à fait, j'en parle d'ailleurs dans mon livre. Les hormones de synthèse responsables des cancers du sein sont présentes dans les emballages alimentaires, les aliments, les déodorants mais aussi les pilules contraceptives. En tant que mère de trois adolescentes, ce dernier point m'inquiète particulièrement. Les pilules contraceptives font partie du cocktail hormonal absorbé chaque jour par les femmes. Pour détecter au plus tôt les cancers du sein, il faudrait mesurer en permanence la charge hormonale corporelle, comme l'indique M. Andreas Kortenkamp dans un rapport présenté aux députés européens en 2008.
Cet effet cocktail est largement démontré dans une étude réalisée par un laboratoire danois. En effet, ils ont constaté que l'exposition in utero à trois perturbateurs endocriniens, à des doses très faibles mais en simultané, générait des effets démultipliés alors qu'il n'y avait aucun effet des produits pris séparément .
M. Henri Tandonnet . - Vous avez voyagé dans de nombreux pays. Estimez-vous la France en avance ou en retard en matière de réglementation ?
Mme Marie-Monique Robin . - Les États-Unis ont été précurseurs en matière de réglementation, en créant l' EPA et la FDA , jusqu'à la présidence de Ronald Reagan. Ce dernier a lancé une déréglementation afin de favoriser la mise sur le marché des produits. Entre-temps, l'Union européenne a commencé à montrer la voie avec le règlement REACH . Mais la France est à la traîne.
Ce qui se passe en France est dramatique. M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, a mis en avant une réglementation poussée tout en demandant des autorisations de dérogation pour 350 produits.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition de M. Christophe Hillairet, président de la Chambre interdépartementale d'agriculture d'Île-de-France (26 juin 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous sommes très heureux de vous recevoir. Cette mission d'information a été lancée à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, élue de Charente, suite aux difficultés rencontrées par un agriculteur de sa région, M. Paul François. Notre mission d'information s'intéresse aux dangers des produits, appelés pesticides ou produits phytosanitaires suivant les interlocuteurs, utilisés essentiellement par les agriculteurs mais aussi par les particuliers et les collectivités territoriales. Il nous a semblé intéressant de comprendre le rôle des chambres d'agriculture et d'avoir le point de vue des céréaliers car, au cours de nos visites sur le terrain, nous avons surtout rencontré des viticulteurs et des maraîchers. Nous voudrions savoir si les agriculteurs sont conscients, ou non, des dangers des produits et dans quelle mesure ils reprennent le pouvoir sur le commerce des pesticides. Enfin, nous voudrions connaître les propositions du monde agricole.
M. Christophe Hillairet . - Je vous remercie de me recevoir. Je voudrais vous expliquer le rôle des chambres d'agriculture dans le domaine de la préconisation des pesticides. En tant qu'agriculteur, je suis utilisateur de produits phytosanitaires et donc exposé à leurs dangers. Lorsque l'on me demande si le monde agricole est un pollueur, je réponds oui assez librement car je ne connais pas d'activité humaine sans incidences sur l'environnement et sur la santé. Ces incidences doivent simplement être gérées le mieux possible.
La circonscription de la chambre interdépartementale d'agriculture, que je préside, recouvre l'ensemble de l'Île-de-France sauf la Seine-et-Marne. L'Île-de-France compte aujourd'hui 5 000 exploitations professionnelles sur 578 000 hectares. 48 % du territoire francilien est donc consacré à l'agriculture. Les grandes cultures représentent 82 % de cette superficie et sont cultivées par 75 % des exploitations. Les unités d'élevage représentent 5 % des exploitations. Ce faible pourcentage s'explique par le refus des Franciliens de voir des élevages s'installer près de chez eux.
L'horticulture fait travailler 150 entreprises réparties sur un peu moins de 300 hectares et souvent situées en très immédiate proximité de l'agglomération. Elles sont donc les premières touchées par l'urbanisation, tout comme les pépinières, le maraîchage et l'arboriculture. La sylviculture concerne 283 000 hectares, soit 24 % du territoire francilien et 75 entreprises. Au total, plus de 70 % du territoire francilien est couvert par des activités naturelles.
Concernant l'usage des pesticides dans la seconde moitié du XX ème siècle, vous devez savoir que, pendant une longue période, les agriculteurs ont largement utilisé ces produits pour endiguer un certain nombre de problèmes agronomiques. La démarche est désormais un peu différente. La nouvelle génération d'agriculteurs se pose beaucoup plus de questions sur l'utilisation des pesticides et sur l'agronomie en général.
Dans le cadre d' Ecophyto , l'Île-de-France accueille 34 fermes de référence dont 9 dans ma circonscription et 25 en Seine-et-Marne. La surface agricole utile (SAU) totale s'élève à 6 900 hectares dont 4 300 sont engagés à ce jour. Nous avons mis en place des sessions de formation sur l'agriculture intégrée à l'intention de ces exploitations. Nous avons aussi organisé des démonstrations tous publics de désherbage mécanique . La chambre d'agriculture s'est en effet dotée de trois bineuses et préconise aux agriculteurs, en plus des itinéraires tout phyto, des itinéraires mixtes phyto/désherbage manuel.
Nous mettons ces bineuses à disposition des agriculteurs avant d'effectuer des comptages de mauvaises herbes pour évaluer leur efficacité. L'une de ces bineuses est affectée à une zone de captage prioritaire pour essayer de sensibiliser les agriculteurs à la protection de ces espaces sensibles. Toutefois, nous mettons cette action en place de façon pragmatique. Nous développons ainsi très largement le binage pour les cultures sarclées mais nous y renonçons lorsque les cultures ne le permettent pas.
Une spécificité de notre région est que les coopératives agricoles ne préconisent pas de produits phytosanitaires aux agriculteurs. Ce sont les techniciens des chambres d'agriculture qui se rendent dans les exploitations et qui effectuent des préconisations sans aucun lien avec les firmes. Nous ne vendons rien ; nous apportons seulement du conseil. Dans ce contexte, je ne vous cache pas que les relations avec les coopératives et les négoces sont un peu tumultueuses parce que nos programmes ne cadrent pas forcément avec leurs gammes de produits.
Nous tenons beaucoup à ce fonctionnement qui est la structure de base de notre chambre interdépartementale. La moitié de nos effectifs est d'ailleurs sur le terrain pour assister les agriculteurs. A la fin des campagnes d'essais, nous organisons des réunions pour présenter nos essais moitié phyto moitié désherbage mécanique mais aussi nos itinéraires en agriculture biologique . Nous avons aussi effectué dans le cadre d'Ecophyto une visite de micro ferme Arvalis à Boigneville.
Nos principales actions d'expérimentation concernent les itinéraires intégrés en blé tendre . Nous avons la chance d'être accompagnés dans ce projet par les conseils généraux de l'Essonne et des Yvelines qui financent des bandes d'agriculture intégrée . Nous avons fait le choix de localiser principalement ces bandes sur les captages prioritaires car ce sont les zones les plus fragiles.
C'est une grande chance de pouvoir s'appuyer sur deux conseils généraux qui ont bien compris la problématique de l'agriculture intégrée et la volonté de la profession d'essayer de trouver des techniques plus économes en intrants tout en permettant de maintenir les revenus des exploitations . Le conseil général des Yvelines finance les bandes intégrées à hauteur de 100 000 €, celui de l'Essonne à hauteur de 60 000 €. Ce dispositif fonctionne très bien puisque, chaque année, nous devons refuser des demandes d'agriculteurs, le plafond de financement étant atteint.
Nous effectuons aussi des essais de comparaisons variétales de blé tendre, aussi bien en termes de rendements qu'en termes d'économies d'intrants. Cette année, nous avons visité des parcelles d'essai où les maladies se sont vraiment développées et où nous pouvons examiner les résistances de chacune des variétés. Nous cherchons les variétés qui offrent un bon compromis entre résistance et rendement.
Comme je le disais, nous avons effectué un travail important au niveau des zones de captage . Ce travail est assez atypique puisque nous utilisons la méthode Aquaplaine développée par Arvalis. Cette méthode consiste à étudier la vulnérabilité des sols grâce à dix ou quinze prélèvements à l'hectare et à en tirer une cartographie des vulnérabilités . Lorsqu'une vulnérabilité très importante est identifiée, nous ne nous interdisons pas d'enherber les sols ou de passer en agriculture biologique. Si aucune vulnérabilité n'est constatée, nous maintenons nos cultures habituelles, y compris en zone de captage.
L'une des questions posées concernait les résultats de la mise en oeuvre du plan Ecophyto en 2018. Il m'est impossible de répondre à cette question car les cycles de l'eau et de la nature durent de cinq à cent ans suivant le type de sol. Vouloir effectuer un bilan des résultats d'Ecophyto au bout de quelques années seulement est illusoire. Je ne suis pas hostile à des mesures sur le plan environnemental, notamment sur les pesticides et sur l'azote, mais il faut pouvoir prendre un recul scientifique suffisant pour en mesurer les résultats.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Avez-vous mesuré les réductions d'usage de pesticides obtenues dans le cadre d'Ecophyto ?
M. Christophe Hillairet . - Il n'est pas pertinent de mesurer la pression annuelle des produits phytosanitaires. En effet, les résultats sont très variables suivant les conditions climatiques et la pression en terme de maladies. Cette année, par exemple, la consommation de produits sera certainement importante. L'année dernière en revanche, je n'ai quasiment pas utilisé de pesticides. Grâce à notre fonctionnement indépendant des firmes, nous n'avons aucun scrupule à conseiller aux agriculteurs de ne pas utiliser inutilement de produits.
Nous avons mis en place le Certiphyto dans nos départements. Environ 50 % des exploitants ont été formés mais nous nous heurtons à des difficultés de financement . En effet, si le dispositif a bien démarré, les caisses du Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant (VIVEA) sont aujourd'hui vides, tout comme celles du Fonds national d'assurance formation des salariés et exploitations et des entreprises agricoles (FAFSEA), destinées à former les salariés agricoles. Nous avons donc choisi de ne pas recourir au FAFSEA et de demander aux agriculteurs de payer la formation de leurs salariés. Une autre difficulté concerne la formation des prestataires puisque les entreprises de travaux agricoles (ETA), qui sont généralement des micro-entreprises, ne connaissent pas du tout la notion de certification de l'entreprise.
Vous m'avez demandé si les agriculteurs qui obtiennent ce certificat se sentent mieux informés sur l'utilisation des pesticides. La réponse est non. Les agriculteurs d'Île-de-France sont plutôt bien formés puisqu'ils sont en moyenne titulaires d'un diplôme de niveau bac + 3. Le cycle de formation proposé ne leur apporte donc rien. La Chambre d'agriculture a décidé de compléter cette formation avec d'autres modules qui intéressent les agriculteurs. En effet, ils sont demandeurs de conseils sur l'utilisation des buses, sur l'optimisation des traitements (travail à demi-dose ou à quart de dose en fonction des conditions climatiques) ou encore sur le type d'eau à utiliser (dureté, température). Les agriculteurs sont vraiment demandeurs de préconisations techniques.
M. Henri Tandonnet . - Notre question concernait plutôt le volet prévention .
M. Christophe Hillairet . - La chambre d'agriculture n'a pas attendu Certiphyto pour mettre en place des formations sur ce thème. Elle a également monté un groupement d'achat pour les équipements de protection (EPI) . Au-delà de la formation, nous avons des propositions concrètes à vous faire à propos des emballages , par exemple. Nous sommes en effet très demandeurs d'une normalisation des étiquettes . Aujourd'hui, un agriculteur qui recherche les phrases de risques sur l'étiquette d'un produit ne sait jamais où il doit regarder. Il serait bon de légiférer sur le sujet pour que la face arrière des bidons comporte systématiquement des informations et des pictogrammes présentés de façon uniforme.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les agriculteurs lisent-ils les fiches de préconisations ?
M. Christophe Hillairet . - En ce qui me concerne, je les ai affichées dans mon local phyto. Mon salarié dispose ainsi de l'ensemble des fiches et des informations sur les phrases de risque.
Mme Sophie Primas , présidente . - S'agit-il d'une initiative personnelle ?
M. Christophe Hillairet . - Absolument. Par ailleurs, il me semble qu'un sujet a été totalement oublié dans les fiches de préconisations : le tracteur. Chaque année en septembre, je change les filtres à charbon de mon tracteur. Il devrait être obligatoire que les tracteurs soient équipés d'une cabine pressurisée et de filtres à charbon. C'est une bonne chose de s'équiper d'un masque avec filtre à charbon pour remplir le pulvérisateur mais cela n'a aucun sens si l'on passe ensuite des heures à inhaler le produit par le carreau ouvert du tracteur.
M. Joël Labbé . - Au plan national, les agriculteurs sont-ils nombreux à être exposés dans les tracteurs, certainement sans le savoir ?
M. Christophe Hillairet . - Oui. Lors de l'homologation, les produits phytosanitaires sont classés en fonction du risque encouru par l'utilisateur. Les phrases de risque sont clairement indiquées. En tant que tel, cela ne me choque pas. L'important est que nous travaillions sur tout le cycle d'exposition et sur la réduction des doses.
Une autre proposition consiste à standardiser les bidons. Nous travaillons aujourd'hui avec des bidons , qui pour des raisons commerciales, sont de contenances et de formes différentes. Nous aurions plutôt besoin de bidons normalisés et transparents ; cela nous éviterait d'avoir à approcher l'oeil du bidon pour vérifier si nous l'avons bien rincé. Je sais que certains plastiques transparents sont sensibles à la lumière mais il existe des procédés pour vérifier que le produit est encore efficace. Je sais aussi qu'il existe dans le secteur alimentaire des solutions pour que les bidons se vident automatiquement. Pourtant, nous continuons dans l'agriculture à les vider manuellement. Enfin, pourquoi ne pas normaliser les bouchons en mettant en place, comme dans l'industrie pétrolière, des clapets anti inhalation ? Je suis cependant conscient que ces améliorations auront un coût pour les agriculteurs car les firmes les répercuteront sur le prix de vente.
M. Joël Labbé . - Compte tenu des marges dégagées par les industriels, ils pourraient proposer ces améliorations sans augmentation des prix.
M. Christophe Hillairet . - Je ne me fais pas d'illusions, ils répercuteront toujours les changements techniques sur les prix. Les propositions que je viens de faire sont très simples mais elles sont importantes. En tant qu'utilisateur et agriculteur, je veux pouvoir utiliser des produits phytosanitaires en toute innocuité. Je pense qu'il est possible d'y arriver en prenant les mesures de précaution nécessaires.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il faut en effet se protéger de ces produits dangereux mais il ne faut pas oublier qu'ils font aussi courir des risques aux consommateurs. Qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Hillairet . - La concentration n'est pas du tout la même dans les deux cas.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - C'est nécessaire et évident de se protéger soi-même mais le danger ne s'arrête pas aux agriculteurs. Pourquoi ne pas envisager une agriculture sans produits phytosanitaires plutôt que d'améliorer les bidons ?
M. Christophe Hillairet . - Sortir son automobile le matin, c'est également dangereux. Ce n'est pas pour autant que vous roulez à vélo. Comme je le disais en préambule, je ne connais pas d'activité humaine qui n'ait pas d'incidences sur l'environnement ou sur l'homme.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cela ne nous empêche pas d'étudier ces incidences et de les réduire.
M. Joël Labbé . - Toutes les activités n'ont pas d'incidence sur l'homme et sur l'environnement.
M. Christophe Hillairet . - Presque toutes, d'après moi. Cela étant dit, le plus désolant est que des personnes prennent des décisions en matière agricole sans rien connaître à l'agronomie. Je ne refuse pas de supprimer certaines phases d'utilisation des produits phytosanitaires à condition que des techniques de substitution soient identifiées. Au moment du Grenelle, les pouvoirs publics nous ont demandé de réduire de 50 % les produits phytosanitaires. Pourtant, Arvalis et l'INRA n'ont pas reçu de financements pour effectuer des recherches et mettre en place de nouvelles techniques . L'agriculteur est victime de ce paradoxe puisqu'il est soumis à de nombreuses interdictions mais n'a pas de solution de rechange.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'INRA n'a-t-elle pas pourtant démontré qu'une réduction de 30 % des produits phytosanitaires était possible aisément ?
M. Christophe Hillairet . - Cette expérimentation s'est déroulée près de chez moi, à Jouy-en-Josas. Nous avons donc pu la suivre de près. Sans mettre totalement en doute les résultats de l'INRA, je vous invite à aller voir les plates-formes d'essai. Vous constaterez que les parcelles ne sont pas en bel état.
M. Henri Tandonnet . - Je sais qu'il existe un mouvement en faveur de la disparition des produits chimiques en agriculture.
M. Christophe Hillairet . - Je suis tout à fait preneur de techniques autres que les produits phytosanitaires. Ainsi, nous savons très bien gérer le désherbage mécanique du maïs ou de la betterave. C'est beaucoup plus difficile pour le blé ou en cas de maladie. Je vous donne ces explications très librement car mon premier vice-président est un ingénieur agronome, agriculteur bio. Nous échangeons très régulièrement sur les techniques. Il m'explique que pour certaines productions bio, il est impossible de savoir à l'avance si elles pourront être entièrement menées à terme. C'est notamment le cas pour la tomate et la pomme de terre. Je suis finalement très favorable à des solutions alternatives mais interdire pour interdire n'a aucun sens.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quels sont les besoins des chambres d'agriculture pour identifier des alternatives ?
M. Christophe Hillairet . - Il faudrait tout d'abord dissocier le conseil de la vente de produits phytosanitaires . Les coopératives et les négoces se préparent cependant à cette évolution puisqu'ils mettent en place des filiales chargées de préconiser et non de vendre des produits. Il n'est d'ailleurs pas toujours facile d'assumer une position indépendante. Récemment, Syngenta m'a reproché de ne pas avoir préconisé certains produits dont nous estimions que l'efficacité était insuffisante.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Entretenez-vous donc des liens avec les firmes malgré votre principe d'indépendance ?
M. Christophe Hillairet . - Oui, car le monde agricole est petit. Les présidents de coopérative sont membres des chambres d'agriculture. Les firmes utilisent les coopératives et les négoces pour s'adresser à moi et pour me reprocher de ne pas recommander un produit. Je ne cède évidemment pas car les firmes n'ont aucune prise sur moi.
Un autre aspect essentiel est d'accompagner l'INRA, Arvalis ou même les chambres d'agriculture dans la mise en place d'essais. 7 500 essais par an sont menés par la chambre que je préside.
M. Joël Labbé . - Je suppose que vous êtes favorable à l'augmentation des moyens de la recherche publique ?
M. Christophe Hillairet . - Je demande plus de moyens pour la recherche publique mais aussi privée. En tant que chambre d'agriculture, nous sommes une structure privée mais tout à fait indépendante. L'essentiel est que les recherches soient conduites par des équipes indépendantes des firmes. N'oubliez pas que, même dans le public, certains chercheurs ont des relations très étroites avec les firmes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'objectif doit-il donc être de mettre fin aux relations avec les firmes, aussi bien au niveau de la recherche que du négoce ?
M. Christophe Hillairet . - Tout à fait. J'achète mes produits phytosanitaires dans deux organismes, une coopérative et un négoce. Il est tout à fait anormal que des produits phytosanitaires soient réservés à certains réseaux , qu'il ne soit pas possible d'acheter un produit efficace sous prétexte qu'il est vendu en exclusivité dans un réseau autre que celui auprès duquel vous vous approvisionnez. C'est pourtant une pratique commerciale très courante.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pouvez-vous nous dire des conditions de stockage des récoltes ? Les coopératives utilisent-elles des pesticides ?
M. Christophe Hillairet . - Techniquement, il est très facile de ne pas utiliser de produits phytosanitaires pendant le stockage. Il suffit d'assurer une bonne ventilation et une température adéquate. Nous avons d'ailleurs mis en place des formations sur le sujet. Il faut aussi savoir que les contrats de vente de céréales comportent une case dans laquelle il faut indiquer si la production a été ou non traitée pendant le stockage.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des contrôles sont-ils effectués ?
M. Christophe Hillairet . - Non, puisqu'il n'est pas interdit de traiter les récoltes pendant le stockage. Je précise que, en cas de fortes températures au début de l'automne, il est parfois difficile de faire baisser la température des silos. Les insectes peuvent alors proliférer, rendant le traitement indispensable pour éviter de perdre la production.
M. Henri Tandonnet . - Une interdiction de traiter les céréales stockées est-elle concevable ?
M. Christophe Hillairet . - Éventuellement, à condition de prévoir la possibilité de traiter lorsque le lot est attaqué par des insectes. D'ailleurs, si je m'interdis d'utiliser certains produits, d'autres sont bien moins agressifs.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les coopératives sont-elles toutes équipées de silos avec système de ventilation ? Pourraient-elles faire face à une interdiction de traiter ?
M. Christophe Hillairet . - Les coopératives sont toutes équipées mais pas toujours les exploitants. Des problèmes pourraient se poser en cas de surproduction car on est parfois obligé de stocker les céréales à plat. Les seuls silos non ventilés sont les silos de transit avant exportation. En effet, compte tenu de la fréquence des rotations dans ces silos, la ventilation n'est pas pertinente. Enfin, beaucoup d'agriculteurs stockent à plat.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les agriculteurs ont-ils pris conscience de la dangerosité des produits phytosanitaires et du risque de maladies à leur contact ?
M. Christophe Hillairet . - Nos agriculteurs sont formés et savent pertinemment que les produits phytosanitaires sont dangereux - comme les résidus de produits médicamenteux contenus dans les boues d'épuration que l'on nous demande d'épandre en permanence dans nos champs.
M. Joël Labbé . - Vous faites preuve d'une grande lucidité. Je ne suis cependant pas certain qu'au niveau national les agriculteurs soient aussi bien formés et informés qu'en Île-de-France.
M. Christophe Hillairet . - Aux États-Unis d'Amérique, j'ai travaillé pendant un an pour une firme phytosanitaire, Dow Chimical . Je sais donc exactement comment fonctionne le marché des produits phytosanitaires. L'un des problèmes est que, dans les régions d'élevage, l'activité de production végétale est annexe, facultative alors que, pour nous, le pulvérisateur est le premier outil de l'exploitation. Dans une exploitation d'élevage en, revanche, il est très peu utilisé. L'attention portée à l'utilisation des produits phytosanitaires n'est donc pas la même dans les deux cas. Aux États-Unis, maintenant, les coopératives ne font plus que de la préconisation, tandis que des distributeurs complètement indépendants vendent les produits. En cas de durcissement de la réglementation sur les produits phytosanitaires, les premières régions qui connaîtront des difficultés seront celles où les produits phytosanitaires sont un outil annexe. J'ai récemment acheté un tracteur dans une région d'élevage. L'un des carreaux de la cabine était cassé. L'exploitant ne se préoccupait donc pas d'inhaler des produits phytosanitaires du matin au soir. Une telle attitude n'est pas responsable.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En Île-de-France, les exploitations sont situées à proximité de l'habitat périurbain. Comment pouvez-vous être certain de ne pas retrouver des résidus de produits près des habitations ?
M. Christophe Hillairet . - Le code rural fixe un certain nombre de règles en matière de pulvérisation, notamment par rapport au vent. Je suis d'ailleurs en train d'équiper ma circonscription de stations météo tous les quinze kilomètres pour que les agriculteurs puissent consulter l'anémomètre.
La proximité avec l'habitat m'a cependant posé un problème en lien avec la chrysomèle . Nous avons été contraints d'arrêter la production de maïs parce que les riverains n'acceptaient plus les traitements aériens. Pourtant, le ministère de l'agriculture nous demandait de traiter pour éviter un problème sanitaire. Sous la pression des habitants, nous avons été obligés de renoncer à faire pousser du maïs dans certaines zones. Je précise que nous ne sommes pas responsables de la prolifération de la chrysomèle puisqu'elle est venue par les aéroports. Il faudrait éduquer les riverains aux réalités de l'agriculture car, au-delà de la question de la pulvérisation, ils n'acceptent plus l'agriculture proprement dite.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Existe-t-il une distance réglementaire entre les habitations et les champs cultivés ?
M. Christophe Hillairet . - Non.
M. Joël Labbé . - Je crois qu'il faut faire la part des choses. En effet, certaines personnes n'acceptent aucune activité agricole, mais il faut faire une différence entre les moissons et les pulvérisations aériennes. Ne faudrait-il pas recréer du lien entre l'urbain et le rural ?
M. Christophe Hillairet . - Je suis tout à fait d'accord mais nous avons besoin d'aide.
J'aimerais revenir sur l'agriculture biologique . J'y suis tout à fait favorable puisque je développe en ce moment un projet de pépinière d'agriculture biologique à Bretigny-sur-Orge. Cependant, trouvez-vous normal que, faute d'élevage, en Île-de-France, nous soyons obligés d'alimenter nos élevages en matière organique depuis la Bretagne ?
M. Joël Labbé . - La polyculture doit retrouver sa place en Île-de-France.
M. Christophe Hillairet . - Je suis d'accord, en théorie, mais nos concitoyens refusent l'élevage. Par ailleurs, est-il pertinent de mettre en place des parcelles d'agriculture biologique entre deux autoroutes ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des dérogations sont-elles accordées en matière d'épandage aérien ?
M. Christophe Hillairet . - Nous ne faisons plus d'épandage aérien en Île-de-France. Les dernières dérogations ont été accordées il y a sept ou huit ans pendant la crise de la chrysomèle .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que cultivez-vous à la place du maïs ?
M. Christophe Hillairet . - Nous sommes limités à des systèmes de monoculture. Les exploitants alternent blé, colza et betterave. Notez d'ailleurs qu'il est aujourd'hui impossible de lancer des cultures biologiques de betterave faute de filière sucrière.
M. Joël Labbé . - Que pensez-vous de la vente libre de pesticides en jardinerie ?
M. Christophe Hillairet . - C'est une aberration d'utiliser ces produits sans formation. Je sais, par exemple, que certains agents des collectivités locales utilisent des pesticides sans formation ni protection. Pour les jardiniers amateurs, il faudrait peut-être améliorer le système de dosage. Vendre le produit tout formulé permettrait d'éviter des surdosages.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il est bien indiqué sur les étiquettes que ces produits sont dangereux. De nombreux agriculteurs souffrent d'ailleurs de maladies graves , certains sont même décédés. Considérez-vous que ce sont des cas isolés ou que le sujet est global et doit être approfondi pour protéger les agriculteurs ?
M. Christophe Hillairet . - Je pense vraiment que c'est un problème dramatique et qu'il faut se pencher sur le sujet, notamment en évitant tout contact avec les produits. Cependant, je ne suis pas pour leur interdiction.
Mme Sophie Primas , présidente . - La solution serait-elle de prendre des mesures immédiates de protection des utilisateurs et, parallèlement, de mobiliser la recherche agronomique pour, à terme, remplacer une grande partie des produits phytosanitaires ?
M. Christophe Hillairet . - Oui, c'est exactement ce que je demande.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les firmes n'ont cependant pas intérêt à ce que des alternatives agronomiques soient identifiées.
M. Christophe Hillairet . - Les firmes pourraient, par exemple, se consacrer à l'amélioration des végétaux et à l'identification de génomes résistants. Ceci étant dit, n'oubliez pas que nos maisons sont pleines de produits dangereux. L'essentiel est de les utiliser à bon escient et avec la plus grande innocuité possible.
M. Joël Labbé . - Partagez-vous les interrogations sur la fiabilité des expertises avant la mise sur le marché ?
M. Christophe Hillairet . - Certains produits qui posaient problème sur le plan sanitaire ou environnemental ont été retirés du marché. Cela me semble tout à fait normal. En revanche, je regrette que des produits soient retirés du marché simplement parce que les firmes n'ont pas suivi la démarche d'homologation . Ces retraits placent en effet certains exploitants dans des situations délicates.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pouvez-vous nous dire de la fraude ?
M. Christophe Hillairet . - A ma connaissance, il n'existe pas de fraude dans notre région. Il faut simplement prendre garde à la complexité du marché et à la possibilité que des produits soient en toute légalité réétiquetés en Belgique avant d'arriver en France. Lorsque je travaillais pour une firme américaine, un produit était formulé pour partie au Brésil puis transporté en France pour y être finalisé. Les firmes contournent ainsi les réglementations environnementales.
M. Joël Labbé . - Seriez-vous favorable à une législation européenne des produits phytosanitaires ?
M. Christophe Hillairet . - Absolument.
Pesticides, santé et prévention des risques professionnels - Table ronde (3 juillet 2012)
http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video13531.html
http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video13530.html
Mme Sophie Primas , présidente . - Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous remercier d'avoir accepté de participer à la deuxième table ronde de notre mission sénatoriale d'information. Ouverts au public et à la presse, nos travaux de cet après-midi figureront sous forme de vidéo sur le site du Sénat.
Constituée à la mi-février 2012, la mission commune d'information sur l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement a débuté ses travaux au début du mois de mars 2012. Elle devrait les achever à la fin du mois de septembre ou, au plus tard, au début du mois d'octobre 2012. Cette mission a été créée à l'instigation de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, alertée par plusieurs agriculteurs victimes de pesticides, dont M. Paul François, aujourd'hui président de l'association Phyto-Victimes.
La mission sénatoriale a souhaité orienter ses premiers travaux en direction des personnes directement en contact avec les substances et les produits pesticides, qu'il s'agisse des fabricants ou des utilisateurs : les agriculteurs, les épandeurs professionnels, les agents des collectivités territoriales, les jardiniers amateurs, les employés d'entreprises utilisant ces substances, les riverains de l'industrie ou de l'agriculture, les habitants des collectivités territoriales et les familles de ces personnes.
Il est tout de suite apparu impossible à la mission, dont j'ai été élue présidente et Mme Nicole Bonnefoy rapporteur, de traiter l'ensemble du sujet qui lui était confié. C'est pourquoi il a été envisagé que les questions liées à l'alimentation et à l'environnement soient traitées dans un second temps, éventuellement dans le cadre d'une mission d'information complémentaire.
Une mission commune d'information a la particularité d'être composée de sénateurs membres de chacune des commissions permanentes du Sénat. Tous les groupes politiques y sont représentés. Pour les vingt-sept sénateurs membres de cette mission, il s'agit d'abord de s'immerger dans un sujet extrêmement technique et vaste pour parvenir ensuite à une analyse partagée de la situation et à des préconisations. La table ronde d'aujourd'hui s'inscrit dans le cadre d'une soixantaine d'auditions déjà réalisées au Sénat et de quatre déplacements en province : en Charente, dans le Lot-et-Garonne, en Bretagne et dans le Rhône, pour des journées de visites et d'auditions. L'ensemble représente déjà à ce jour un dialogue avec plus d'une centaine de personnes qui sera retranscrit dans un second tome de comptes rendus. Les auditions des ministres, des administrations, des agences de recherche, de chercheurs à titre individuels, des principales parties prenantes (industrie chimique, industrie phytosanitaire, industrie du jardin et des plantes, syndicats de salariés, associations de victimes, monde agricole dans sa diversité), les visites de terrain ainsi que la lecture des documents remis par les personnes entendues, d'articles et d'ouvrages de référence permettent, en quelques mois, d'approfondir la question posée.
Je souhaite que la présente table ronde permette aux membres de cette mission d'enrichir encore leurs connaissances à votre contact et de recueillir à travers nos échanges le supplément de sagesse et de clairvoyance indispensable à l'élaboration de nos recommandations.
Au nom de la mission commune d'information, permettez-moi de vous remercier à nouveau pour votre contribution à nos travaux.
Un questionnaire assez large vous a été adressé préalablement à cette réunion. Je vous propose de faire un tour de table afin de nous donner successivement vos points de vue sur la question de la prévention des accidents et des maladies professionnelles.
Comment évaluez-vous les conditions de travail des personnes que vous représentez ? Comment ces conditions évoluent-elles dans le temps ? Comment la notion de risque industriel ou sanitaire est-elle prise en compte ? Que pensez-vous des comités locaux d'information et de concertation (CLIC), de leur efficacité et de leur mode de fonctionnement ? Quel est votre point de vue sur les équipements de protection individuels (EPI) ?
Nous serons intéressés par vos appréciations sur le rôle des différents partenaires : syndicats, comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), médecin du travail, organismes de conseil et industriels. Enfin, nous serons attentifs à vos avis sur le problème de la reconnaissance des maladies professionnelles, de la suspicion à la détection, jusqu'à l'inscription au tableau des maladies professionnelles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je voulais avant tout vous remercier d'avoir répondu favorablement à notre invitation à participer à cette table ronde. Nous avons tenu à vous rassembler aujourd'hui de manière à favoriser un échange qui enrichira notre réflexion. Nous sommes extrêmement intéressés par votre expérience et par les améliorations que nous pourrions apporter à la réglementation ou à la législation sur le sujet qui vous préoccupe.
M. Pierre Berthelot secrétaire général chargé des conditions de travail, Confédération Française Démocratique du Travail, Fédération Générale de l'Agroalimentaire (CFDT-FGA). - Je représente la CFDT mais je suis, par ailleurs, militant à la Fédération générale de l'agroalimentaire, dans laquelle se retrouvent des salariés des coopératives qui distribuent les produits, des salariés de la production et des salariés des exploitations agricoles qui utilisent ces produits.
Il faudrait mettre en place des techniques de production qui limitent la fréquence et le volume des traitements avec des pesticides. En effet, avec moins d'exposition, le risque est plus faible. L'INRA doit pouvoir réfléchir à des modes de production permettant de diminuer l'exposition des acteurs de la production agricole.
Par ailleurs, les équipements de protection industrielle (EPI) ne sont pas totalement satisfaisants. Il faut aller plus loin dans la recherche de leur efficacité. Il existe aujourd'hui une grande carence dans la protection des opérateurs eux-mêmes.
Quant à la survenue d' accidents , nous proposons d'inscrire sur les produits pesticides un numéro d'appel vers une ligne permettant à la fois de déclarer des accidents d'utilisation de pesticides et d'obtenir des conseils post-accident.
En ce qui concerne les instances de représentation du personnel (IRP) , les entreprises agricoles emploient généralement moins de cinq salariés. Il n'existe pas d'IRP sur site ; en revanche, des commissions paritaires et des CHSCT sont organisés au niveau départemental. Néanmoins, ces instances fonctionnent difficilement car, souvent, les salariés ne peuvent pas se libérer. Or, pour les très petites entreprises (TPE), ces instances constituent le lieu adéquat pour promouvoir la prévention.
A noter qu'il reste des progrès à faire en matière d' études épidémiologiques afin de mieux apprécier l'impact des pesticides sur la santé des opérateurs et des populations environnantes.
Nous voulons insister également sur les dangers de l'exposition des salariés, hommes et femmes , par rapport à leur capacité de reproduction, ainsi que sur la protection des enfants à naître. Il est en effet difficile de savoir quand et comment opérer par prévention un retrait du travail des femmes qui, au début de leur grossesse, ne savent pas forcément qu'elles sont enceintes. Si l'enfant à naître est affecté en raison du travail de la femme enceinte, est-ce bien à l'assurance maladie de prendre en charge cet enfant alors qu'il s'agit d'une conséquence liée au travail ? Ne serait-ce pas plutôt aux caisses d'accident de travail maladie professionnelle (ATMP) de prendre en charge ce qui relève d'une conséquence du travail ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Connaissez-vous des cas précis de telles affections ?
M. Pierre Berthelot (CFDT-FGA) . - Non, je n'ai pas de cas d'accident à présenter mais dès lors qu'un produit chimique cancérogène ou mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR) est utilisé, il existe un risque. La question se pose de savoir quand opérer le retrait par prévention de femmes enceintes d'un travail qui les expose à ces produits CMR, et de déterminer qui paie en cas de conséquence sur l'enfant à naître.
M. Gautier Bodivit, Syndicat National des Cadres d'Entreprises Agricoles (SNCEA/CFE-CGC) . - Je suis chargé du développement du SNCEA. Ma première remarque concerne les utilisateurs qui veulent faire remonter de l'information quand ils ont été contaminés par des produits pesticides. En 2004, la SNCEA avait mis en place un numéro vert pour faciliter les signalements en cas de contamination. Nous avons remarqué par le biais de ce dispositif que, lorsque les salariés ou les exploitants ont été contaminés, une grande partie ne fait pas remonter les informations parce qu'il apparaît souvent que l'accident résulte d'une négligence de leur part . Pour éviter de se faire mal voir par leur entreprise, ils préfèrent ne rien dire. Peut-être faudrait-il réfléchir à d'autres outils pour aider ces personnes à faire remonter ces informations ?
Mon deuxième point concerne la mise en place des CHSCT . Actuellement, ces comités paritaires sont présents dans la moitié des départements. Nous souhaitons développer ces structures dans l'ensemble des départements, leur donner davantage de moyens et développer les liens avec les médecins du travail et les chercheurs pour créer une synergie et bénéficier d'avis d'experts supplémentaires.
Concernant les équipements de protection industrielle (EPI) , nous nous référons au rapport publié en janvier 2010 par l'AFSSET concernant les normes de protection des EPI. Ce rapport indique clairement que les classes de protection telles que définies dans les normes harmonisées ne permettent pas de juger du niveau ni de la durée de protection offerts par les combinaisons de types 3 et 4 . Un travail est en cours sur ce sujet, notamment par l'ANSES, et nous comptons considérablement sur ces travaux pour centraliser les informations et formuler des propositions.
S'agissant des maladies professionnelles , le dernier tableau établi concerne la maladie de Parkinson et nous réfléchissons à l'élaboration d'un tableau sur les hémopathies . Les syndicats de salariés sont plutôt favorables à l'allongement de la liste des maladies professionnelles mais la question du financement se posera inévitablement.
Mme Sophie Primas , présidente . - La question n'est-elle pas d'abord sanitaire ?
M. Gautier Bodivit (SNCEA/CFE-CGC) . - Tout à fait, le problème est sanitaire mais dans une logique de réparation. Vient ensuite le problème de la connaissance scientifique.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Connaissez-vous des personnes ayant déposé des dossiers de demande de reconnaissance de maladie professionnelle ?
M. Gautier Bodivit (SNCEA/CFE-CGC) . - Pas personnellement.
M. Pierre Berthelot, CFDT-FGA . - Plusieurs personnes se sont vu opposer des refus de reconnaissance de maladie professionnelle et interpellent à nouveau la MSA en raison de la publication du tableau sur la maladie de Parkinson.
M. Gautier Bodivit (SNCEA/CFE-CGC) . - Pour terminer, la France est, selon moi, le pays le plus avancé dans l'Union européenne en matière de prévention et est prise comme modèle par plusieurs pays européens.
M. Francis Orosco, Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC), président de la Fédération CFTC Chimie, Mines, Textiles et Energie . - Je représente la CFTC et je suis président de la Fédération CFTC Chimie, Mines, Textiles et Energie.
Pour nous, il est important de pouvoir augmenter le nombre d'inspecteurs du travail . La formation spécifique des membres des CHSCT à l'utilisation et à la manipulation des produits pesticides est également importante. Par ailleurs, il faut améliorer le confinement et le stockage des produits dans les établissements, ainsi que l'efficacité des EPI , en partenariat avec les CHSCT mais aussi avec les élus du personnel des opérateurs qui utilisent ces EPI. Il faut aussi amplifier le rôle des CLIC en intégrant non seulement les riverains à risque mais l'ensemble de la population. Par ailleurs, il serait souhaitable que les médecins du travail ne soient pas salariés des entreprises fabriquant les produits pesticides . Cette neutralité est importante. Créer une coordination entre les chercheurs et les médecins du travail afin d'apporter de l'information spécifique aux salariés serait également intéressant.
Mme Sophie Primas , présidente . - De quoi avez-vous peur ?
M. Francis Orosco (CFTC/Chimie) . - Nous n'avons peur de rien mais l'information sur les risques est parfois biaisée. Pour rappel, il avait été assuré à la population que le nuage radioactif de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière française. Aujourd'hui, des produits dangereux sont utilisés mais les salariés qui les fabriquent ou qui les utilisent ne sont peut-être pas totalement informés des risques qu'ils encourent. Les entreprises se doivent d'informer et de protéger leurs salariés mais elles ne sont pas contraintes d'évaluer les risques à long terme sur la santé de ceux-ci. Cette réflexion fait écho à la nécessité de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles . Certaines entreprises ont parfois des réticences à reconnaître leurs torts, comme ce fut le cas pour l' amiante .
M. Michel Costes, Confédération Générale du Travail (CGT) - Fédération de la Chimie. - Nous représentons la CGT et je suis personnellement membre de la Fédération de la Chimie. Le questionnaire que vous nous avez envoyé est très intéressant mais il y manque la dimension du statut des travailleurs . Or toutes les questions que vous posez sont liées au statut des travailleurs. Sans statut, les salariés ne peuvent pas adhérer à un syndicat, ils ne disposent pas de CHSCT, ils ne s'inquiètent pas des maladies professionnelles, etc. Nous ne pouvons pas avancer à la place des salariés. Il faut que ces derniers s'organisent, ce qui nécessite un statut. Avec un grand nombre d'intérimaires et de saisonniers dans les entreprises, les CHSCT tournent à vide.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Quelles sont les proportions d'intérimaires et de saisonniers dans les entreprises ?
M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie . - Cela dépend des entreprises. Les entreprises d'exploitation emploient de nombreux intérimaires et saisonniers. Les entreprises productrices de pesticides emploient également de nombreux intérimaires et, en outre, sous-traitent, ce qui pose le problème de la formation des sous-traitants, de leurs moyens, etc. La mise à disposition et l'utilisation d'EPI sont également conditionnées par le statut des salariés. De même, les syndicats ne peuvent pas être pérennes si les salariés qui le constituent ne le sont pas non plus. Face aux produits pesticides, les CLIC n'apporteront rien. Les questions qui nous intéressent n'y sont pas abordées. En ce qui concerne la reconnaissance des maladies professionnelles, nous avons de nombreux doutes. Les pathologies des travailleurs ne sont pas forcément connues ni déclarées. Ces questions dépassent largement le cas des pesticides.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le statut des salariés que vous appelez de vos voeux permettrait-il de suivre les salariés dans le temps ?
M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie . - Un statut permettrait surtout aux salariés de s'organiser pour réfléchir à leurs conditions de travail et de protection. Les salariés précaires ne s'organisent pas parce qu'ils risquent de perdre leur travail à chaque instant.
M. Joël Labbé , sénateur . - Nous savons que les exploitations agricoles emploient des intérimaires saisonniers par nécessité mais vous évoquez également le cas des sociétés de production de produits pesticides. Ce fait est-il confirmé par les représentants des sociétés présents ?
M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie . - La présence d'intérimaires chez les fabricants est moindre que chez les exploitants mais elle existe, notamment chez les sous-traitants de ces fabricants.
Mme Jacqueline Alquier , sénateur . - Nous avons visité l'une de ces entreprises et le problème de l'emploi de saisonniers et de main d'oeuvre étrangère s'y était posé, ainsi que le problème de la formation. Le coût de cette formation pour une entreprise dont la production est saisonnière est très élevé et il semble difficile de pérenniser ces emplois de saisonniers ou d'étrangers tout au long de l'année. Vous êtes-vous également posé cette question relative à la formation ?
Mme Sophie Primas , présidente . - L'entreprise qui nous a reçus nous a clairement expliqué qu'une partie non négligeable du temps de ces salariés en contrats à durée déterminée est passée en formation.
M. Noël Ballay, responsable industriel de la société Bayer CropScience en France . - Je suis ingénieur de formation et responsable industriel de la société Bayer CropScience en France. Au sujet des intérimaires, je voudrais mentionner la différence qui existe entre les deux étapes de fabrication des produits. Pour la première étape de synthèse de la matière active , les entreprises fonctionnent généralement en continu toute l'année sous un régime le plus souvent de type 5 x 8. La loi interdisant l'intérim toute l'année, ces entreprises emploient très peu d'intérimaires .
La seconde étape de la fabrication , celle de la formulation associée au conditionnement, permet de passer de la matière active à un produit fini et commercialisé, à travers différents distributeurs et coopératives, aux agriculteurs. Cette étape suit complètement la demande et la charge de travail est plus élevée au printemps, au moment où les ventes de produits sont les plus importantes. Il est courant d'avoir des doublements ou des triplements de la charge de travail au cours de l'année, ce qui nécessite l'adaptation des ressources humaines au moyen du recours à des intérimaires. Ces intérimaires représentent environ 15 % à 20 % du personnel de ces entreprises , soit une proportion gérable. Il est capital de former cette main d'oeuvre et de prévoir une durée de contrat permettant à ces intérimaires de s'adapter à leur fonction et de jouer un rôle vraiment efficace.
Les entreprises de sous-traitance pour la fabrication de produits phytosanitaires suivent la même saisonnalité et emploient donc, à peu près, les mêmes proportions d'intérimaires. Ces intérimaires suivent plusieurs jours de formation et leurs tâches sont clairement définies. Il leur est généralement attribué les tâches les moins qualifiées et les moins exposées aux produits chimiques parce que leur formation restera toujours partielle. Cette proportion d'intérimaires chez les fabricants n'a rien à voir avec celle que l'on peut trouver dans l'agriculture au moment des récoltes.
M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie . - La formation est également liée au statut. Dans l'intérim, la sous-traitance de maintenance emploie de plus fortes proportions d'intérimaires , soit entre 30 % et 40 % .
M. Joseph d'Angelo, CGT . - Fédération de l'Agroalimentaire . - Il existe un grand problème d'information des salariés. De nombreux salariés n'ont pas forcément conscience des risques qu'ils encourent du fait des produits qu'ils manipulent. Ce constat général est particulièrement vrai dans l'agriculture. Ensuite, les élus au CHSCT bénéficient actuellement d'une semaine de formation qui peut être renouvelée au bout de quatre ans. Cette formation est notoirement insuffisante , surtout dans les industries qui manipulent des produits chimiques.
J'ai eu l'occasion de participer à des colloques durant lesquels des experts discutaient de molécules. Il en ressortait une contradiction entre les experts sur la nocivité ou l'absence de nocivité d'un produit. Il est donc absolument nécessaire de poursuivre les recherches pour établir des certitudes.
Enfin, trop peu de maladies professionnelles sont déclarées . Les statistiques de la CNAMTS et de la MSA font état d'un nombre de cas dérisoire qui ne peut pas refléter la réalité.
M. Eric Beynel, secrétaire national de l'Union syndicale Solidaires, en charge des questions de santé et de conditions de travail . - Je suis chargé, au niveau de l'Union syndicale Solidaires, de suivre toutes les questions de santé et de conditions de travail. Je n'appartiens ni à l'agriculture, ni à la chimie.
J'interviendrai à deux niveaux, à savoir ce qui peut être fait au plus proche des salariés et ce qui peut être fait au niveau général, avec, notamment, les autorisations de mise sur le marché. D'abord, je voudrais rappeler que la meilleure des préventions est l'absence de risque.
Solidaires et les associations Générations futures et Phyto-Victimes ont organisé, il y a quelques mois, un colloque pour essayer de faire le point sur les conséquences pour la santé de l'exposition aux pesticides. Mon avis sera donc très critique.
Cela étant, les pesticides sont aujourd'hui largement utilisés. Certains sont autorisés et d'autres sont interdits ou ont vu leur autorisation de mise sur le marché retirée mais ils circulent toujours malgré tout. Nous avons assuré la défense de salariés qui ont été exposés à des produits normalement retirés du marché et ayant provoqué des conséquences dramatiques sur la santé de ces salariés. Le renforcement des contrôles et des moyens de l'inspection de travail constitue l'un des points importants sur lequel il conviendrait d'insister. Par ailleurs, de nombreux salariés ne disposent pas d'IRP. Je ne pense pas que les commissions paritaires départementales constituent une solution satisfaisante au vu des difficultés qu'ont déjà les organisations syndicales qui siègent aux CHSCT pour faire avancer les questions liées aux conditions de travail. Pour les salariés, notamment ceux des très petites entreprises qui participeront à des élections de représentativité à la fin de l'année, aucune instance ne sera issue de ces élections. Nous pensons qu'il serait intéressant de constituer des IRP au plus près des salariés , non pas au niveau départemental mais au niveau d'un bassin d'emploi, avec des représentants spécialisés en matière de risques des produits phytosanitaires. Enfin, Solidaires estime que la réforme récente des services de santé au travail (SST) n'a pas réglé le problème de la démographie médicale ni celui de l'indépendance des médecins du travail. Il existe de grandes marges de progrès pour accroître la reconnaissance des maladies professionnelles , notamment en favorisant la confiance des salariés dans ces services de santé.
De nombreux articles de presse sont parus sur le fonctionnement de l'ANSES. Nous devons agir face à cette question importante de l'exposition aux produits pesticides et de l'autorisation de la mise sur le marché. Dans nos conclusions, nous proposerons une réforme importante du système d'autorisations de mise sur le marché. Il est aberrant de transférer à l'État la responsabilité des altérations de la santé des travailleurs qui auront lieu. Il revient aux fabricants de pesticides d'assumer cette responsabilité et de s'assurer que les équipements de protection industrielle pour se protéger des produits qu'ils fabriquent existent bien.
M. Pierre Carrie . - En abordant les EPI, nous oublions souvent de mentionner l'engin qui épand le produit. Or, lorsque l'agriculteur a fini d'épandre le produit, il enlève son masque mais il reste au volant de son tracteur sans le décontaminer. Il existe un défaut de formation à ce sujet.
Mme Sophie Primas , présidente . - La formation Certiphyto ne répond-elle pas à cette exigence ?
M. Pierre Carrie . - Non, pas vraiment.
Dr Patrick Levy, médecin conseil de l'Union des Industries Chimiques (UIC) . - Je suis plutôt un généraliste de la prévention des risques chimiques et pas forcément un spécialiste des produits phytosanitaires. Je parlerai du processus d'évaluation des risques au sens large, de la toxicologie et, enfin, de différents points qui ont trait aux impacts sanitaires, à la réparation et au fonctionnement de la médecine du travail.
Les substances actives dont il est aujourd'hui question font partie des substances les mieux évaluées au monde en termes d'impacts sanitaires et environnementaux. Cette réglementation a cinq ou dix ans d'avance sur toutes les autres réglementations. La richesse de cette réglementation permet l'acquisition de connaissances en amont sur les dangers des substances, qui sert à l'ensemble du processus d'évaluation des risques, de la phase de formulation de la substance active à celle de l'utilisation finale. Grâce à ces données, les substances actives et les mélanges sont accompagnés d'informations pertinentes (fiches de sécurité, notices d'information, étiquetages, etc.) permettant une information appropriée à chaque niveau de la chaîne.
Au stade de la fabrication des substances actives et des mélanges , l'employeur porte la responsabilité de l'évaluation des risques qui est réalisée sur la base de méthodes quantitatives et qualitatives. Cette évaluation des risques a longtemps servi de modèle au développement de méthodes d'évaluation des risques chimiques, tous secteurs confondus.
Quant à la maîtrise des risques sur les lieux de travail , elle fait appel à la hiérarchisation des moyens de maîtrise, d'abord le remplacement des molécules présentant des profils de danger élevés (en particulier les CMR), ensuite le confinement avec des moyens techniques permettant de contenir les risques d'exposition à la source, puis la protection collective et enfin, en dernier recours, la protection individuelle.
À cela s'ajoute la mise en place progressive de la traçabilité des expositions professionnelles qui relève du code du travail et qui impose à l'employeur d'élaborer le document unique et la fiche de prévention des expositions. Cette fiche permet de tracer les expositions aux risques durant toute la vie professionnelle d'un salarié et de lui remettre une attestation d'exposition. Cette traçabilité a été mise en place en 1993 pour les produits cancérogènes et elle a été élargie, en 2001 , pour les CMR et, en 2003 , pour l'ensemble des agents chimiques . La fiche d'exposition vient d'être transformée en fiche de prévention des expositions qui prend en compte d'autres risques, tels que le bruit, qui font partie des facteurs de pénibilité. Au départ à la retraite, cette fiche permet la remise d'un document pour faciliter, le cas échéant, la mise en place d'une surveillance médicale post-professionnelle appropriée pour les anciens salariés qui le souhaitent. Durant la vie professionnelle, la médecine du travail prend en charge les salariés mais, à leur départ, notamment en retraite, leur suivi médical est financé par la sécurité sociale. Il appartient à l'ancien salarié de déclencher le processus et de se signaler.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce signalement entraîne-t-il des examens spécifiques ?
Dr Patrick Levy (UIC) . - Il existe de nombreuses familles de produits chimiques. Un arrêté précise, pour certaines substances chimiques, les examens complémentaires à réaliser dans le cadre d'une surveillance médicale post-professionnelle. Dans les autres cas, il appartient au médecin traitant ou au médecin spécialiste désigné de réaliser les examens complémentaires qu'il juge nécessaires.
M. Joël Labbé , sénateur . - Vous émettez des affirmations en tant que médecin. Nous aurions besoin de connaître votre statut, de savoir si vous êtes indépendant ou lié à l'industrie chimique.
Dr Patrick Levy (UIC) . - J'ai ma propre entreprise qui assure des prestations de conseil auprès de l'Union des Industries Chimiques et j'agis en tant que médecin conseil en charge des questions de santé et de sécurité au travail et, par ailleurs, de santé environnementale. Je suis lié à l'UIC par un contrat.
M. Joël Labbé , sénateur . - Vous affirmez que les substances dont nous parlons sont les mieux évaluées au monde et que l'évaluation des risques est extrêmement pertinente. Au cours de nos auditions, au sujet des autorisations de mise sur le marché, nous avons recueilli des éléments en contradiction avec ce que vous avancez.
Estimez-vous que les EPI soient suffisamment éprouvés ? Combien faut-il d'EPI dans une exploitation classique pour que ne soit pas engagée la responsabilité de l'employeur ? La reconnaissance de maladies professionnelles est extrêmement difficile et renvoie à une question de financement. Ne faut-il pas que la société qui met un produit sur le marché atteste de l'existence de l'EPI pour se protéger contre ce produit ?
Dr Patrick Levy (UIC) . - D'une façon générale, les préconisations qui sont faites par les metteurs sur le marché auprès de leurs clients les engagent car elles résultent d'une évaluation des risques qui conduit ou non à recommander l'utilisation d'EPI selon les circonstances. La responsabilité est bien assumée par le metteur sur le marché à ce niveau. Maintenant, il est évident que l'utilisateur porte aussi sa responsabilité au niveau de l'utilisation de l'EPI. Lorsqu'il est question d'EPI, il faut réfléchir au choix de l'EPI, à l'adéquation avec l'opérateur, au stockage et à la gestion individuelle.
En ce qui concerne l'expologie , la responsabilité de l'employeur est évidente mais pour aller vers l'épidémiologie et avoir suffisamment de puissance pour conclure, il faut des effectifs extrêmement importants qui ne sont généralement pas à la portée d'un établissement. Il s'agit d'une organisation extrêmement lourde qui nécessite le recours à l'InVS pour lancer des études épidémiologiques . Or, pour faire de l'épidémiologie de qualité, il faut collecter les informations relatives aux expositions mais aussi les informations relatives à l'état civil, au cursus des opérateurs. Ces informations ne sont pas toujours disponibles pour réaliser des études de base. Il reste des efforts à accomplir en termes de traçabilité.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Vous avez parlé de la mise en place dans l'industrie chimique d'une traçabilité des expositions du salarié, y compris post-professionnelle. J'imagine que cette traçabilité a été mise en place parce que la dangerosité des produits est connue. Ne pensez-vous pas que cette traçabilité devrait être également réalisée auprès de ceux qui utilisent ces produits au quotidien (agriculteurs, etc.) ?
Dr Patrick Levy (UIC) . - En effet, la traçabilité des expositions devrait accompagner le produit durant tout son cycle de vie .
M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie . - La vraie vie ne ressemble pas du tout à celle décrite par le Dr Patrick Levy. Les dirigeants des entreprises ne sont parfois même pas informés des dangers relatifs aux produits qu'ils fabriquent. Comment voulez-vous qu'ils relayent cette information aux salariés par la suite ? Le Dr Patrick Levy est expert pour l'UIC et non médecin du travail.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il n'existe aucune ambiguïté, nous avons invité le Dr Patrick Levy en sa qualité de consultant de l'UIC mais il est néanmoins médecin.
Mme Isabelle Delpuech, responsable corporate stewardship , sécurité utilisateurs et agriculture durable de Syngenta, adhérent de l'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) . - Je suis agronome de formation. J'ai travaillé dans la recherche et, depuis vingt-cinq ans, je travaille dans des sociétés phytosanitaires comme agronome dans différents domaines (R&D, affaires règlementaires, marketing, communication, relations avec les industries de l'agroalimentaire, etc.). Depuis huit ans, j'exerce le métier de stewardship , à savoir l'accompagnement des pratiques pour mieux gérer la manière dont sont utilisés nos produits en termes d'incidence sur l'environnement et la santé des utilisateurs. Je travaille dans l'entreprise suisse Syngenta mais j'interviens aujourd'hui en tant que membre de l'UIPP.
Les produits phytosanitaires mis sur le marché sont évalués d'une manière très pointue. Avant la mise sur le marché d'une nouvelle substance dans le cadre d'une formation, nous mesurons la quantité de matière active à laquelle est exposé un agriculteur en tenue de travail - c'est-à-dire avec une cote de travail, à mains nues, sans équipement normé - au cours de son activité professionnelle. Cette quantité de matière active est comparée à des valeurs toxicologiques de référence comme la dose d'exposition acceptable pour un utilisateur (AOEL) pour qu'il n'existe aucun risque sur sa santé. Nos molécules ne sont autorisées à être mises sur le marché que lorsque l'agriculteur de la vraie vie est exposé à des valeurs inférieures à ces seuils toxicologiques.
Il existe des mesures de sécurité à imposer au niveau des mains essentiellement avec le port de gants . Le texte du ministère de l'agriculture et de la MSA fait un point très étayé sur l'exposition des agriculteurs. Il est très clairement indiqué qu'il n'est pas possible de parler d'exposition de façon générale. Il faut regarder les phases de travail qui sont les plus exposantes. Or, pour l'agriculteur, la phase la plus exposante correspond au moment où il manipule le produit très concentré, soit le chargement de son pulvérisateur. Cette phase compte pour deux tiers des contacts avec le produit. Ce sont essentiellement les mains qui sont exposées. Nous devons réussir à faire passer cette information très importante, à gagner la bataille des mains.
Je me suis permis de vous apporter un emballage de nos produits : l'un des principaux domaines de progrès pour sécuriser les pratiques concerne véritablement le produit et son conditionnement. Il est vrai que la meilleure façon de sécuriser consiste à réduire le danger, soit potentiellement le produit phytosanitaire. Les emballages sont aujourd'hui sécurisés. Ils n'ont rien à voir avec ce qui existait dans les années 1950 et 1960. En interrogeant les agriculteurs sur le terrain, nous nous sommes rendu compte que le premier contact avec le produit intervenait au moment où l'agriculteur retirait l'opercule thermo-scellé de l'emballage. Ces opercules thermo-scellés sont en train de disparaître de nos emballages. Par ailleurs, ces emballages sont très importants en termes d'information. Il faut que l'agriculteur sache à quel produit il a affaire. Les étiquettes de nos produits sont ainsi de véritables documents d'informations utiles pour les agriculteurs, sur lesquels il faut probablement communiquer au niveau de la profession.
Mme Sophie Primas , présidente . - Peut-être cette information scientifique présentée sur les emballages est-elle trop riche ?
Mme Isabelle Delpuech, Syngeta et UIPP - Cette information dense est traduite en français et un paragraphe spécifique sur la sécurité de l'applicateur mentionne toutes les précautions de bon sens auxquelles l'utilisateur doit penser. Faire connaître ces étiquettes et pouvoir y travailler avec les utilisateurs serait intéressant.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les nombreux scientifiques que nous avons auditionnés nous ont affirmé que la dose ne faisait pas le poison et que des doses très faibles de pesticides pouvaient être inhalées ou au contact des utilisateurs à certains moment, ce que les autorisations de mise sur le marché ne testent pas. Par ailleurs, ces autorisations de mise sur le marché n'évaluent pas non plus les maladies chroniques qui apparaissent tardivement, ni les adjuvants et les effets cocktail.
Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP . - S'agissant des doses, dans les années 1950-1960, les produits organochlorés ou organophosphorés présentaient une toxicologie intrinsèque bien plus significative que celle des produits aujourd'hui sur le marché. Ces produits étaient en outre utilisés à des dosages importants, soit 1 à 2 kg de matière active par hectare, mélangé(s) à 200 ou 300 litres d'eau. Ils étaient sous forme de poudre et conditionnés dans des fûts métalliques ou des sacs en papier difficiles à refermer.
Des efforts ont été réalisés en relation avec les utilisateurs pour essayer d'améliorer toutes ces facettes des produits. Aujourd'hui, la famille de molécules la plus représentée sur le marché est celle des pyréthrinoïdes , issue de la copie des fleurs de pyrèthre qui étaient utilisées depuis longtemps. En outre, ces pyréthrinoïdes sont utilisés à des doses de 100 ml par hectare, toujours mélangés à 200 à 300 litres d'eau. Il ne s'agit plus de poudres mais de solutions aqueuses et de granulés solubles conditionnés en microcapsules. La manipulation et le contact avec le produit ont été considérablement réduits.
Dans le cadre des autorisations de mise sur le marché et de l'évaluation préalable, à savoir la mesure de l'exposition et la comparaison de la mesure par rapport à un seuil toxicologique de référence, seuls trois produits sur les cent que commercialise Syngenta mentionnent sur leur étiquette le port obligatoire d'un équipement individuel de protection (EPI) de type normé . Tous les autres produits sont utilisables sans EPI de type normé. Dans l'industrie de fabrication de ces substances, il faut porter des EPI de type normé mais pas forcément dans le monde de l'agriculteur. Aucun de nos produits ne requiert de tels EPI, sauf pour la protection des mains.
M. Henri Tandonnet , sénateur . - A la suite des autorisations de mise sur le marché, suivez-vous l'évaluation de ces produits dans le temps pour savoir s'ils n'induisent pas d'effets pervers ? Suivez-vous leurs utilisateurs ?
Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP . - Nous suivons bien sûr la façon dont les produits sont utilisés mais nous ne sommes pas habilités à assurer la traçabilité de nos produits. Nous suivons les évolutions de la mise en oeuvre des produits, en particulier au niveau des machines, pour les mettre en relation avec les modèles qui nous permettent de travailler sur les expositions lors de l'évaluation du risque.
M. Joël Labbé , sénateur . - Plusieurs scientifiques nous ont affirmé que la dose ne fait pas le poison. Vous êtes extrêmement rassurante. Pour les autorisations de mise sur le marché, les évaluations préalables sont réalisées par les fabricants eux-mêmes et l'organe qui délivre ces autorisations de mise sur le marché ne dispose pas des moyens de contrôle nécessaires ni de tous les éléments d'information, notamment sur les secrets de fabrication. Le Dr Patrick Levy mentionnait la lourdeur de la conduite des études épidémiologiques mais certains tests sont aujourd'hui réalisés sur des animaux. Il faudrait que ces tests soient communiqués à des scientifiques qui devraient être neutres pour mener des études comparatives. Sinon, comment pouvez-vous nous affirmer qu'il ne s'agit pas de produits hautement toxiques ? Certes, aujourd'hui, les produits n'ont plus l'air aussi dangereux qu'il y a quarante ou soixante ans, mais n'est-ce pas plus pervers ? Nous ne maîtrisons pas les doses d'exposition sur la durée, non plus que l'effet cocktail et les adjuvants. Ces éléments font naître des doutes qui, normalement, devraient conduire à faire jouer le principe de précaution.
M. Gérard Le Cam . - Les nouveaux pouvoirs du CHSCT lui permettent de demander à la direction d'une entreprise de financer des études et des expertises par des consultants externes. Ces pouvoirs sont-ils utilisés ? Il semble qu'une première étude ait été menée sur l'empoussièrement des ateliers chez Bayer .
M. Noël Ballay, responsable industriel de la société Bayer CropScience en France . - Effectivement, la loi permet aux CHSCT de faire réaliser des études pour les éclairer sur les risques identifiés dans la société. Je n'en ai pas connaissance chez Bayer mais elles existent.
Mme Jacqueline Alquier , sénateur . - Il a été question de la pulvérisation des produits sur des grandes cultures de plein-air. Dans les cultures sous serre , notamment maraîchères, quel est le niveau de protection des salariés saisonniers qui, le lendemain de la pulvérisation, manipulent les plantes ? Sont-ils informés des conséquences de leur exposition ?
Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP . - Nous sommes d'accord avec vous sur la nécessité de travailler de manière plus approfondie et partenariale sur certains usages. Ces interventions en culture doivent se faire après le respect d'un délai de ré-entrée. En culture sous serre, ce délai doit être prolongé. Nos produits sont principalement à voie de pénétration cutanée. Nous devons faire progresser la protection par le port de manches longues, d'un pantalon et de gants et une hygiène stricte consistant à changer de vêtements après l'exposition. La prise de conscience fait partie des éléments sur lesquels nous accueillons avec beaucoup d'intérêt et de satisfaction la création du Certiphyto. Il s'agit plus d'aspects d'hygiène que de stricte sécurité.
M. Wahib Ouazzani, ingénieur affaires techniques et réglementaires au département solutions pour la protection individuelle du groupe 3M et président de la commission « protection respiratoire » du Syndicat National des Acteurs du Marché de la Prévention et de la protection (SYNAMAP) . - Je suis ingénieur de formation et j'appartiens à la société 3M qui fabrique, entre autres, des équipements de protection industrielle (EPI). Nous savons que les utilisateurs de pesticides s'exposent à un danger. Pour se protéger, contrairement à l'environnement industriel qui est contrôlé et dans lequel la protection collective peut être facilement adaptée, dans le milieu agricole la protection collective ne semble pas suffisante. Il est impératif d'utiliser des EPI. Or, aujourd'hui, encore, trop d'utilisateurs de pesticides ne portent pas d'EPI . Ce constat souligne une lacune en matière d'information et de sensibilisation aux risques auxquels un utilisateur de pesticides est exposé. Pour ceux qui souhaitent se protéger, il manque également une certaine connaissance pour déterminer l'EPI à acheter.
Deux documents ont été édités par le ministère de l'agriculture sur l'utilisation des EPI en milieu agricole. L'un concerne l'utilisation de vêtements et de lunettes de protection et l'autre concerne l'utilisation de masques de protection respiratoires. Néanmoins, il existe un vrai défaut de sensibilisation des utilisateurs aux dangers de leur exposition et un manque d'information sur la manière d'utiliser les protections.
Partant de ces différents constats, nous proposons d'augmenter la sensibilisation des agriculteurs aux risques auxquels ils peuvent être exposés lorsqu'ils utilisent des produits pesticides, en amplifiant le rôle des MSA qui sont en contact avec les agriculteurs. Le SYNAMAP travaille par ailleurs avec des réseaux de distribution pour le milieu agricole sur des documentations pour simplifier le discours technique de protection. Quant à la bonne utilisation des EPI, nous recommandons de rendre obligatoire une formation, dans laquelle seraient expliqués le choix d'un EPI et la bonne manière de l'utiliser . En ce qui concerne l'utilisation, nous recommandons l'obligation de porter des EPI en cas d'utilisation de pesticides.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il est souvent reproché à cette industrie l'important nombre de produits d'importation, la difficulté à mettre ces EPI et surtout à les supporter longtemps. Quelles améliorations pouvez-vous apporter ?
M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP . - Nous sommes bien conscients de ces remarques. En ce qui concerne les produits d'importation, il revient à la répression des fraudes de vérifier la conformité des EPI commercialisés en France . Il est évident que le port d'EPI n'est pas naturel et provoque une gêne pour l'utilisateur. Le rôle des fabricants consiste à limiter au maximum cette gêne en travaillant non seulement sur l'efficacité mais également sur le confort des EPI.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Comment contrôlez-vous l'efficacité des EPI ?
M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP . - Avant leur commercialisation, les EPI sont contrôlés par des laboratoires notifiés indépendants et agréés par la Communauté européenne (CE) . Il s'agit d'une obligation légale. Ces EPI sont testés par rapport à un échantillon de produits et de molécules représentatifs des produits utilisés dans le milieu de l'industrie et dans le milieu agricole.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment travaillez-vous avec les industriels ?
M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP . - Les industriels utilisent les EPI pour se protéger contre les produits pesticides sur lesquels ils travaillent. Ils sont sensibilisés à la nécessité de se protéger grâce au port d'EPI.
Mme Sophie Primas , présidente . - Travaillez-vous avec des CHSCT, des représentants des ouvriers de l'industrie, des agriculteurs ?
M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP . - Pour qu'un EPI soit porté, il faut que l'utilisateur l'accepte. Quand nous développons un produit, nous réalisons des tests d'essai auprès des utilisateurs avant la mise sur le marché. Cette étape est propre à chaque fabricant car le confort n'est pas normalisé.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Combien de temps un EPI peut-il protéger un utilisateur ?
M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP . - Cela dépend de l'utilisation. En milieu agricole, nous pouvons travailler sur des types d'activité pour essayer d'estimer des durées de vie moyennes des EPI utilisés. Il existe des indicateurs pour informer l'utilisateur qu'il doit changer d'EPI. Certains EPI sont jetables après une seule utilisation et d'autres sont réutilisables mais ces derniers ne sont pas forcément recommandés pour le milieu agricole.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Ne peut-on craindre que des agriculteurs achètent des EPI réutilisables et les lavent ?
M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP . - Certes, il existe un vrai défaut de connaissance par rapport à l'usage adéquat des EPI.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le SYNAMAP a-t-il été intégré dans la formation Certiphyto ?
M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP . - Oui.
Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP . - Toutes les difficultés ici évoquées sont à l'origine du préalable très clairement exposé qu' un produit phytosanitaire n'est autorisé sur le marché que dans le cas où un agriculteur sans EPI au sens normé est exposé à une quantité de produit qui ne le met pas en danger . En effet, il faut prendre conscience de la difficulté du port d'EPI dans la vraie vie. L'aspect jetable d'une combinaison normée heurte complètement une valeur fondamentale du monde agricole, à l'exception des gants. Un travail a été réalisé en commun entre Syngenta et un fabricant d'EPI, avec l'appui d'un groupe d'agriculteurs et de conseillers de la MSA, pour fabriquer un EPI qui soit avant tout un outil de sensibilisation et de communication vers l'utilisateur. Ce tablier de protection permet de faire passer de l'information aux agriculteurs en rappelant les grandes mentions de l'étiquette.
Mme Michèle Guimon, responsable du pôle risques chimiques, département expertise et conseil technique de l'Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) . - L'INRS a pour objectif d'assurer la santé et la sécurité de l'homme au travail. Nous avons pour mission d'identifier les risques et les dangers, d'analyser leurs conséquences sur la santé et la sécurité de l'homme au travail et de développer et promouvoir des moyens pour maîtriser les risques. L'INRS est géré par un conseil d'administration paritaire composé de représentants d'organisations de salariés et d'organisations d'em ployeurs. Il est financé par des cotisations provenant du fonds accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale. De par son appartenance et son mode de financement, l'INRS exerce son action au profit des entreprises du régime général de la sécurité sociale. Les entreprises et salariés agricoles relèvent, eux, de la MSA.
Dans le domaine des phytopharmaceutiques, les secteurs professionnels qui relèvent du régime général de la sécurité sociale sont ceux de la fabrication des produits phytosanitaires, de leur distribution et de l'entretien des espaces verts. L'INRS est agréé par les ministères du travail, de la santé, de l'agriculture et de l'environnement pour enregistrer les compositions de certains produits chimiques mis sur le marché français. Ces produits chimiques sont classés très toxiques, toxiques, corrosifs. Les produits phytopharmaceutiques sont aujourd'hui exclus du champ d'application des déclarations obligatoires. L'INRS n'a pas connaissance des compositions de ces produits ni de leur danger. Ces produits sont soumis à une autorisation de mise sur le marché par le ministère de l'agriculture après examen par l'ANSES.
La fabrication des produits phytopharmaceutiques comprend deux étapes : la synthèse chimique puis la formulation. Cette fabrication relève du secteur de la chimie, dans lequel tous les risques professionnels sont pris en compte, y compris le risque de sous-traitance et de travail intérimaire. La nature des risques est très variable puisqu'elle dépend de la molécule de base, des intermédiaires et des procédés mis en oeuvre. La prévention des risques chimiques repose sur une évaluation des risques précise et rigoureuse. Il s'agit d'éviter les risques en les supprimant, de les évaluer, de substituer ce qui est dangereux par ce qui ne l'est pas, ou moins, de mettre en place, en priorité, des mesures de protection collective puis des mesures de protection individuelle, de former et d'informer les salariés quant aux mesures d'hygiène et de sécurité. Le code du travail compte des dispositions très précises sur la prévention du risque chimique. Plus un produit ou procédé est dangereux, plus les règles à respecter pour protéger le salarié sont strictes.
S'agissant des EPI, comme les produits phytopharmaceutiques sont très complexes, il est difficile pour l'utilisateur de trouver l'EPI adapté. Une des solutions consisterait à ce que le fabricant de produits phytosanitaires donne à l'utilisateur des indications précises sur les EPI conseillés.
M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie. . - Deux corps de métiers n'ont pas encore été abordés aujourd'hui, celui des douaniers et celui des dockers . Pourtant, ces professionnels sont également exposés à des produits chimiques et à des pesticides, dont certains sont interdits en France.
Mme Virginie Garcia, responsable qualité NUFARM SAS, pour l'Union des entreprises pour la Protection des Jardins et espaces publics (UPJ) . - Dans le monde de l'industrie, des progrès très importants ont été réalisés au niveau de la réglementation avec un cadre règlementaire conséquent et ciblé. Les autorités visitent les sites industriels plusieurs fois par an.
Nous avons des comptes à rendre à ces autorités en termes de suivi de l'exposition du personnel, avec les fiches d'exposition par molécule . Nous travaillons beaucoup à l'amélioration du poste de travail pour éviter le contact du personnel avec le produit. Dans les ateliers de NUFARM où sont manipulées des molécules cancérogènes ou mutagènes, aucune femme ne travaille afin de protéger, de manière préventive, les femmes enceintes . La réglementation a vraiment évolué en termes de mise en place de mesures de prévention et d'information des salariés avec notamment les CHSCT qui se réunissent chaque trimestre et visitent les ateliers. En termes d'information, le fabricant doit informer l'utilisateur final via les emballages, les étiquettes, etc. Néanmoins, il existe un décalage entre le monde industriel, aujourd'hui très réglementé et qui assure la sécurité des employés, et les utilisateurs finaux pour lesquels nous ne parvenons pas au même degré de sécurité.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Nous retrouvons notamment ce manque d'information et de sensibilisation au niveau de la vente de ces produits en grande surface , par exemple, où ils sont exposés à côté d'autres produits de consommation courante. Ce type de commercialisation n'est pas forcément propice à une sensibilisation au port d'EPI pour l'utilisation de ces produits.
Mme Virginie Garcia, UPJ . - Il existe effectivement une marge de progrès dans ce domaine. L'information est disponible mais la sensibilisation à la relativité du danger du produit fait défaut au niveau des utilisateurs finaux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Aujourd'hui, rien n'empêche un particulier de déverser cinq litres de désherbant sur 3 m² de pelouse.
Mme Virginie Garcia, UPJ . - Certes, rien ne l'en empêche. Le fabricant doit communiquer une recommandation mais il n'est pas possible de vérifier l'utilisation par un individu particulier dans la vraie vie.
M. Joël Labbé , sénateur . - Quelle est votre clientèle ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Nous couvrons les jardins amateurs et les jardins publics.
M. Joël Labbé , sénateur - Pour le « jardinier du dimanche », l'emballage du produit est-il explicite quant aux doses à utiliser ? Les représentants des pouvoirs publics recommandent aux jardiniers amateurs d'éviter d'utiliser des produits reconnus comme toxiques. En ce qui concerne les collectivités territoriales, nombre d'entre elles n'utilisent plus de produits phytosanitaires. En effet, il a été prouvé que ces produits ne sont pas forcément nécessaires et qu'il existe des alternatives.
Mme Virginie Garcia, UPJ . - Les recommandations et les produits ne sont pas les mêmes pour les jardiniers amateurs et pour les usages professionnels. Il faudrait réfléchir à un passage d'information différent parce que de nombreuses informations ne sont actuellement pas assimilées par les utilisateurs .
M. Jean-Nicolas Moreau, directeur du cabinet Res-Euro Conseil . - Notre cabinet s'occupe à la fois de stratégie de régulation sociale et de santé au travail. Nous formons à longueur d'année des élus et des présidents de CHSCT. La difficulté de ces discussions a trait au fait que produire, transporter et utiliser représentent des situations très différentes vis-à-vis des pesticides. Il s'agit, pour le premier cas, de l'industrie chimique, pour le deuxième cas, du transport spécialisé, et pour le troisième cas, des utilisateurs variés, avec des statuts de salariés complètement différents d'un secteur à l'autre et des manières de gérer le travail réel au quotidien extrêmement diverses.
L'ensemble des inquiétudes exprimées par les représentants du personnel remontent jusqu'à nous lors des formations CHSCT : la sous-déclaration des maladies professionnelles, les valeurs limites d'exposition professionnelle qui ne sont pas suffisamment indiquées sur les produits, les valeurs limites d'exposition biologique, etc. Les élus de CHSCT sont parfois sollicités par les familles de personnes qui sont décédées peu de temps après leur départ de l'entreprise. Une question se pose sur le suivi de ces salariés. Personnellement, je pense qu'il n'entre pas dans la mission de l'élu de CHSCT d'assurer un suivi individuel des salariés sortis de l'entreprise. Il existe un secret médical et le droit pour tout citoyen de ne pas être sollicité par quiconque, sauf par son médecin, sur son état de santé. Maintenant, si un élu CHSCT est sollicité par une famille, il lui revient, bien entendu, d'aider cette famille à monter le dossier juridique.
La formation initiale , en particulier dans le milieu agricole, est insuffisante. Il faudrait vérifier que ces formations initiales soient bien généralisées. Il est également nécessaire de généraliser ces formations dans les écoles d'ingénieur, en particulier en chimie, afin d'apprendre aux élèves ce qu'est un CHSCT et de leur faire appréhender la santé au travail pas uniquement comme une réponse procédurale à une réglementation juridique. La directive de 1989 et la loi de 1991 sur la santé au travail nous ont fait passer d'une approche mécaniciste à une approche dynamique de la santé au travail. Le document unique donne souvent lieu à des centaines de procédures et seul l'ingénieur de sécurité s'y repère. Or selon la directive de 1989 et la loi de 1991, cette évaluation des risques doit être pluridisciplinaire, participative et favoriser le dialogue social.
De nombreux éléments ont porté sur les fiches de données de sécurité (FDS) et sur la relation entre ces fiches et l'adaptation des EPI. En ce qui concerne les espaces verts, peut-être faut-il reprendre l'idée de la loi de modernisation sociale sur la formation des délégués du personnel à la sécurité. Le site www.travaillermieux.gouv .fr commence à avoir une certaine aura en matière de mise à disposition d'éléments utiles pour la santé au travail mais il nécessite une amélioration quant aux produits phytosanitaires.
M. Noël Ballay, Bayer CropScience . - Il est intéressant de considérer les usines de production comme une espèce de laboratoire par rapport à ce qui se pratique en agriculture. Si un agriculteur manipule au plus une centaine de kilogrammes de pesticides par an, dans les usines qui les fabriquent, les salariés en manipulent chaque année plusieurs centaines de tonnes chacun. Or l'accidentologie dans l'industrie chimique est environ cinq fois inférieure à la moyenne des autres métiers en France et l'industrie des pesticides se situe dans le premier quartile de l'industrie chimique avec une accidentologie beaucoup plus faible. En France, pas une seule maladie professionnelle n'a été déclarée en lien avec les pesticides. On ne peut en déduire que les personnes n'osent pas les déclarer alors qu'ils n'hésitent pas à demander une reconnaissance de maladie professionnelle pour les troubles musculo-squelettiques (TMS). Ces bons résultats viennent en partie d'un engagement généralement très fort des directions de l'industrie chimique qui a probablement créé une certaine culture depuis des années. Le point difficile concerne la formation.
Le CHSCT et le médecin du travail ont des rôles très importants. Il faut que le CHSCT se serve de ses nombreuses prérogatives. Malheureusement, il se pose souvent un problème de formation. Le mandat des CHSCT ne dure que deux ans , soit à peu près le temps nécessaire pour que ses membres soient correctement formés. Peut-être faudrait-il allonger leur mandat ?
Quant au débat entre médecin interne et médecin externe , nous avons une usine avec un médecin salarié et une autre avec un médecin externe. Nous travaillons aussi bien avec l'un qu'avec l'autre, avec des avantages et des inconvénients dans chaque cas. Le médecin externe présente l'avantage de voir d'autres usines et de pouvoir faire des comparaisons pour nous aider sur certains aspects tandis que le médecin interne a une très bonne connaissance de l'entreprise et va rapidement au coeur du sujet. Il n'existe pas de compromission du médecin interne lié au fait qu'il est salarié de l'entreprise.
Enfin, les CLIC se sont concentrés jusqu'à maintenant sur les plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Je ne pense pas qu'elles soient le meilleur organe pour régler ce problème.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Vous parlez de la formation des agriculteurs mais je parlais également de la formation de vos réseaux commerciaux.
Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP . - Dans le cadre d'Eco-phyto 2018 et de l'axe 4 de Certiphyto, toute personne qui vend doit être formée par Certiphyto .
M. Pierre Berthelot, CFDT-FGA . - Le secteur de la production agricole comprend principalement des très petites entreprises qui n'ont pas de document unique. Le risque phytosanitaire est tabou chez les exploitants agricoles qui sont farouchement opposés à l'établissement du tableau professionnel de la maladie de Parkinson et de l'exposition aux produits phytosanitaires. Nous devons faire des efforts pour pénétrer le milieu, sachant qu'ils nous voient souvent comme une opposition à leurs méthodes techniques de travail. Par ailleurs, les exploitants agricoles n'ont pas de médecine du travail et leur assurance d'accidents de travail est encore très récente , ce qui peut expliquer qu'ils déposent très peu de demandes de reconnaissance de maladie professionnelle. La conceptualisation de la santé au travail des exploitants agricole est encore neuve. Un travail de fond est nécessaire pour sensibiliser les exploitants et inverser la tendance. Enfin, une vraie question se pose sur la protection des travailleurs des départements d'outre-mer , notamment dans l'industrie de production de la banane.
M. Joseph d'Angelo, CGT - Fédération de l'Agroalimentaire . - La partie patronale nous a décrit un monde du travail idyllique. Quand un salarié déclare un trouble musculo-squelettique (TMS), il est souvent arrivé à un point auquel il ne peut plus travailler, ce qui n'est pas le cas pour les salariés confrontés à des produits chimiques qui ne sont pas forcément malades tout de suite. Dans le métier de paysagiste , l'impératif économique a toujours primé sur l'impératif de santé. Les missions des ouvriers dans les parcs et jardins sont généralement très courtes et l'installation de toilettes, de lavabos et de vestiaires est souvent trop coûteuse par rapport à la durée du chantier. Très souvent, ces ouvriers déjeunent dans leur véhicule avec les produits chimiques à proximité. Ils n'ont pas la possibilité de se laver les mains, etc.
M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie . - Je ne peux pas laisser M. Nicolas Moreau définir les limites des compétences des élus du CHSCT . Si les élus du CHSCT décident d'accompagner les salariés en déclaration de maladie professionnelle, ils le feront.
M. Jean-Nicolas Moreau, Res-Euro Conseil . - Il existe une loi qui, par sagesse, n'a pas confié au CHSCT de mission d'accompagnement médical. En revanche, je suis entièrement d'accord avec vous pour affirmer que si une famille demande à un élu de CHSCT de l'aider à monter un dossier médical en vue d'une reconnaissance de maladie professionnelle, l'élu ne peut pas refuser.
M. Eric Beynel, Union syndicale Solidaires . - Dans un avis de septembre 2011 pour l'autorisation de mise sur le marché d'un herbicide classé irritant pour l'oeil , l'ANSES préconise le port de gant et d'un EPI de catégorie 3 (combinaison de type 5-6), sachant que les EPI de catégorie 3 protègent contre les risques graves ou mortels. Or, la recommandation du port d'une combinaison de catégorie 3 de type 5-6 est dénuée de sens car il s'agit d'un EPI prévu pour protéger des particules solides alors que l'herbicide concerné est liquide. En outre, la combinaison de type 6 prévue pour la protection contre des liquides n'offre qu'une faible protection en cas d'éclaboussure accidentelle légère. Or, l'utilisation de cet herbicide est recommandée par le biais d'un pulvérisateur à rampe ou à dos. L'utilisateur est donc exposé à des risques d'éclaboussures et de coulures. L'avis de l'ANSES met en danger les utilisateurs.
Tant que le problème du pesticide n'aura pas été traité à la source, à savoir au moment de la mise sur le marché, nous n'avancerons pas. Il s'agit d'un problème de compétences et de moyens. Souvent, l'ANSES émet des avis à partir des analyses que lui transmettent les fabricants de produits ou d'EPI mais il ne s'agit pas d'avis indépendants.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je souhaite vous remercier pour la sincérité de l'ensemble des prises de parole. Je suis désolée de la brièveté du temps imparti pour vos interventions. Vos contributions écrites sont les bienvenues.
Audition de M. Patrick Lorie, président de la Fédération Nationale des Métiers de la Jardinerie (FNMJ) et de M. Christian de Luzy, délégué FNMJ des établissements Truffaut, responsable du groupe « distribution des produits phytopharmaceutiques » (10 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre mission commune d'information a été créée à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, élue de Charente, au début de cette année. Elle regroupe vingt-sept sénateurs de toutes tendances politiques et appartenant à chacune des commissions du Sénat. Dans un premier temps, nous nous sommes donné pour objectif d'étudier les conséquences des pesticides sur la santé des utilisateurs.
A ce titre, nous avons déjà entendu des médecins, des chercheurs, des agriculteurs et des industriels... La séance d'aujourd'hui est consacrée aux utilisateurs non agricoles, notamment aux « jardiniers du dimanche », si vous autorisez l'expression.
Nous avons donc souhaité entendre votre fédération, notamment pour mieux comprendre comment vous organisez la commercialisation des pesticides dans les magasins de votre réseau.
M. Patrick Lorie, président de la Fédération Nationale des Métiers de la Jardinerie (FNMJ) . - Créée initialement, il y a vingt-cinq ans, pour gérer la convention collective applicable aux pépiniéristes, notre fédération regroupe aujourd'hui la majeure partie des grandes enseignes ( Truffaut, Jardiland, Delbard, Côté nature , etc.), soit 600 à 700 magasins spécialisés dans le commerce des végétaux et des plantes, ou 85 % du chiffre d'affaires global des quelque 1 200 jardineries dénombrées en France . Notre spécificité provient de l'adaptation progressive de notre outil aux produits que nous commercialisons, c'est-à-dire aux végétaux. Cela suppose de disposer d'infrastructures particulières comme les serres pour respecter la plante et préserver ses qualités naturelles. Les produits naturels ou vivants représentent 65 % de notre chiffre d'affaires (45 % pour le végétal et 20 % en animalerie). Le reste provient de la vente de produits manufacturés améliorant les sols et préservant la qualité des végétaux, les pesticides ne représentant que 10 % de l'ensemble .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui sont vos fournisseurs de pesticides ? Les industriels vous démarchent-ils pour vendre leurs produits ?
M. Patrick Lorie . - Depuis près de trente ans, nous travaillons avec des grands groupes qui font référence sur le plan national pour certains produits.
M. Christian de Luzy, délégué FNMJ des établissements Truffaut responsable du groupe « distribution des produits phytopharmaceutiques » . - Il convient de préciser que l'on parle ici uniquement des produits phytosanitaires, ce qui exclut du champ d'analyse les biocides. Nos magasins fonctionnent avec les dix grandes firmes qui pèsent sur le marché et dont les marques bénéficient d'une certaine notoriété ( Bayer , BASF , etc.)
M. Gilbert Barbier . - Etes-vous amenés à élaborer vous-même certaines molécules pour répondre à des demandes spécifiques de vos clients ?
M. Patrick Lorie . - Non. Nous nous bornons à acheter des produits finis en fonction de deux critères : l'efficacité des molécules et la notoriété de la marque.
M. Christian de Luzy . - Aujourd'hui nous n'achetons plus que des produits finis, mais, il y a quelques années, Truffaut avait déposé des brevets sur certains produits. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, les procédures d'homologation des produits et les exigences de sécurité étant trop lourdes. En revanche, certains produits élaborés par les industriels restent vendus sous notre marque.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les grands groupes industriels vous démarchent-ils pour vendre leurs produits ?
M. Patrick Lorie . - On ne peut pas parler de démarchage à proprement parler, les liens commerciaux avec les grandes entreprises étant établis depuis longtemps. Certains groupes sont vraiment référents sur certains produits. En revanche, nous sommes davantage sensibles aux tendances. Je pense, par exemple, aux magasins Botanic qui ont choisi d'exclure de leur gamme les produits non « bio ».
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment sélectionnez-vous vos produits ? Vous ne pouvez pas vraiment tester leur efficacité ?
M. Christian de Luzy . - Non, nous ne la testons pas. Nous nous fions aux informations que les industriels nous donnent sur l'efficacité et aux références des produits.
M. Patrick Lorie . - Il peut nous arriver de tester a posteriori les produits sur le végétal lorsque l'on met en culture, comme pour les coloris des tulipes. Mais c'est rare.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle part de marché représentez-vous pour les industries phytosanitaires ?
M. Patrick Lorie . - Les jardineries représentent 3 % ou 4 % du marché national, la FNMJ représentant 15 % de ce total.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les fabricants vous proposent des gammes adaptées aux jardiniers amateurs, différentes des gammes professionnelles. Les industriels réalisent certainement un effort important en termes de marketing et de présentation, alors que vous ne pesez que 3 % à 4 % du marché. J'imagine donc que les produits sont excessivement margés ?
M. Christian de Luzy . - La grande distribution représente de plus grands volumes en termes d'unités vendues, mais elle vend surtout des prêts-à-l'emploi à faible valeur marchande. A l'inverse, les jardineries vendent de petites quantités de produits plus techniques. C'est pourquoi les particuliers préfèrent venir chez nous, plutôt qu'en grandes surfaces, pour bénéficier de conseils.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne pesez-vous donc pas suffisamment pour imposer des tendances aux fabricants et négocier des tarifs sur les volumes ?
M. Christian de Luzy . - Nous parvenons à négocier quelques tarifs.
M. Patrick Lorie . - Ce type de produits procure 30 % à 40 % de la marge totale de nos adhérents et 10 % de leur chiffre d'affaires. Globalement, la marge des jardineries est proche de 3 % des ventes réalisées.
M. Christian de Luzy . - Mais nous réalisons les plus fortes marges sur la vente des végétaux et des produits de jardin, qui constitue notre métier de base.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Faites-vous de la publicité pour les produits phytosanitaires ?
M. Patrick Lorie . - Non. Les produits sont généralement promus par les fabricants eux-mêmes ou dans les grandes surfaces qui connaissent la plus grande affluence.
M. Christian de Luzy . - C'est ce qui fait la notoriété des marques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pouvez-vous réellement sensibiliser et former vos salariés à la dangerosité des produits si vous ne connaissez pas leur composition ?
M. Patrick Lorie . - A la base, nos employés ont généralement suivi des formations de pépiniéristes, de maraîchers, de marchands de terreaux ou de graines, d'agriculteurs ou d'horticulteurs du niveau BTA ou BTS agricoles. La vente de produits phytosanitaires est conditionnée par l'obtention de l'agrément DAPA (distribution et application de produits antiparasitaires) , dont sont titulaires la plupart de nos vendeurs. Depuis la création du Certiphyto, nous avons mis en place, il y a trois ans, une pré-formation Certiphyto via « e-learning », en partenariat avec l'Ecole supérieure d'Angers et la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'agriculture. 2000 personnes en ont bénéficié.
M. Christian de Luzy . - Les produits phytosanitaires ne sont pas tout à fait en libre service : ils sont placés dans des rayons bien identifiés avec des vendeurs formés à Certiphyto et disponibles pour donner des conseils. Les vendeurs doivent être capables d'identifier les maladies des plantes et de conseiller le consommateur pour lui recommander le traitement adapté. En revanche, nous avons refusé la vente en circuit fermé, contre l'engagement d'assurer la disponibilité d'un vendeur formé dans un rayon identifié .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels types de conseils le vendeur donne-t-il ? Des indications relatives aux quantités, aux doses nécessaires, à la manipulation du produit ?
M. Christian de Luzy . - En fonction du problème à traiter et dans la mesure du possible, le vendeur oriente prioritairement le consommateur vers des méthodes alternatives douces, de préférence au traitement phytosanitaire . Il ne conseille un pesticide qu'en dernier ressort. La connaissance des méthodes « bio » et des modalités d'application des traitements phytosanitaires fait partie intégrante du programme de formation en « e-learning » que nous avons mis en place. La sensibilisation au respect de la nature et à l'agriculture biologique est largement développée dans la formation que nous dispensons à nos employés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les vendeurs-conseils sont-ils affectés à un rayon en particulier ou peuvent-ils conseiller les clients dans plusieurs rayons ?
M. Patrick Lorie . - Chaque vendeur est normalement affecté à une zone définie du magasin. Les vendeurs associés au rayon des produits phytosanitaires sont spécifiquement formés pour délivrer des conseils relatifs aux traitements. En cas d'absence dans le rayon, ils sont appelés.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vos vendeurs sont-ils intéressés au chiffre d'affaire du rayon phytosanitaire ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment sont-ils rémunérés ? Perçoivent-ils des primes en sus d'un salaire fixe ?
M. Christian de Luzy . - Ils peuvent percevoir des primes, liées au résultat global du magasin, au montant du « panier moyen », pas seulement au montant des ventes réalisées dans tel rayon en particulier.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les solutions alternatives « bio » sont-elles plus onéreuses que les traitements phytosanitaires ?
Mme Jacqueline Alquier . - Traitez-vous les plantes que vous exposez ?
M. Patrick Lorie . - Les plantes exposées dans les magasins ne sont que très rarement traitées, car elles ont vocation à être vendues rapidement. En cas de traitement, elles sont écartées de la vente, car elles ne sont pas présentables en l'état, avec des pucerons par exemple.
M. Gilbert Barbier . - Ne vendez-vous que des produits phytopharmaceutiques sous clé ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La FNMJ n'est-elle pas opposée à la vente fermée ?
M. Christian de Luzy . - Nos produits sont vendus dans des rayons spécifiques avec des vendeurs-conseils. Nous sommes opposés à la vente fermée. De plus, nous ne vendons que des produits dont le risque est mesuré, ayant la mention EAJ (emploi autorisé dans les jardins) . Cette mention a été créée en 2004 par le ministère de l'agriculture pour différencier les produits utilisés par les jardiniers amateurs et limiter les risques. En effet, les particuliers n'ont souvent pas conscience de la dangerosité des produits et ont tendance à surdoser. C'est le rôle du vendeur-conseil de prévenir les surdosages et les accidents liés à une mauvaise utilisation.
M. Gilbert Barbier . - Les produits phytopharmaceutiques que vous vendez sont-ils toujours présentés dans des emballages fermés ou sont-ils parfois vendus en vrac ?
M. Christian de Luzy . - Oui, bien sûr. Il n'y a pas de vente en vrac.
M. Gilbert Barbier . - Les vendeurs ne sont donc pas en contact direct avec les produits ?
M. Christian de Luzy . - Non. Pour les produits qui présentent un certain danger, tels que les insecticides, les bidons ont des bouchons de sécurité. S'agissant des autres produits, la plupart sont conditionnés en uni-doses ou en sacs prêts à l'emploi.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous du problème posé dans les grandes surfaces par le mélange des produits dans le chariot ou le panier de la ménagère ? Comment faire pour éviter que les pots de yaourts soient à proximité du Roundup ?
M. Christian de Luzy . - Il faudrait que les magasins alimentaires isolent les rayons propres aux pesticides des autres rayons et prévoient un encaissement à part. Cela parait préférable !
M. Patrick Lorie . - Faut-il aller jusqu'à prévoir un encaissement distinct ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La coexistence dans le même chariot des produits phytosanitaires et alimentaires laisse croire que les premiers sont inoffensifs.
M. Patrick Lorie . - Le nombre de paquets vendus en hypermarché est supérieur à celui des jardineries, mais le chiffre d'affaires est proportionnellement moindre. La grande distribution arrive à négocier des prix plus bas auprès des fabricants tout en maintenant les marges. Alors que ce n'est pas leur coeur de cible, les grandes surfaces écoulent des plantations et des produits phytosanitaires en grandes quantités. Elles représentent une concurrence rude pour les jardineries.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vos vendeurs-conseils délivrent-ils également des recommandations relatives au dosage, aux équipements de protection nécessaires lors du traitement, au recyclage du bidon de pesticides vide ? Jusqu'où va le conseil ?
M. Patrick Lorie . - La formation dispensée via le « e-learning » va assez loin dans ces différents domaines.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Au-delà de la formation, y a-t-il un suivi des recommandations données ?
M. Patrick Lorie . - Nous n'avons pas encore mis en place de véritable suivi, le dispositif de formation étant relativement récent et concernant les quelque 4 000 vendeurs de notre réseau de magasins.
M. Christian de Luzy . - C'est le Grenelle 2 qui été le moteur de notre initiative en faveur du « e-learning » pour mettre en place la certification, en partenariat avec la direction générale de l'enseignement de la recherche (DGER). Nous avons apporté notre expertise et avons également insisté pour que des contrôles soient faits en aval et qu'ils puissent se traduire par la suspension de la certification. Mais un suivi sera effectif à compter du 1 er octobre : des certificateurs vérifieront alors le travail de nos vendeurs-conseils.
M. Patrick Lorie . - Pour répondre à votre inquiétude sur les surdosages, il convient de préciser que, le plus souvent, les firmes prévoient des doses uniques, prêtes à l'emploi , ce qui limite les incidents.
M. Henri Tandonnet . - Encore faut-il que les doses soient adaptées à l'usage qui en est fait, ce qui n'est pas toujours le cas ! Nous avons rencontré des cultivateurs en serre qui ont signalé l'inadaptation des doses aux petites surfaces.
M. Patrick Lorie . - Les cultivateurs utilisent des gammes professionnelles et nous ne vendons dans nos jardineries que des produits portant la mention « emploi autorisé dans les jardins d'agrément ». Il demeure que le surdosage est dangereux.
M. Christian de Luzy. - Pour les amateurs, les doses ne sont pas les mêmes. Un arrêté définit les quantités maximales et le conditionnement est fait de telle sorte que l'utilisateur ne puisse pas être en contact direct avec le produit : la pochette se dissout seule.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et que penser des opérations promotionnelles sur des gros bidons de Roundup placés en tête de gondole, très souvent hors du rayon réservé aux produits phytosanitaires et donc sans vendeur-conseil à proximité ? Par ailleurs, que recommandez-vous pour les emballages vides ?
M. Christian de Luzy . - Concernant l'élimination des emballages , des indications figurent généralement sur le bidon lui-même. La mention DDS, déchets diffus spécifiques , correspond à une cartographie des lieux où l'on peut déverser les produits non utilisés. Les informations sont disponibles sur Internet sur le site de la FNMJ et des brochures sont à disposition dans les magasins de notre réseau.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'indication est plutôt discrète...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce sont les collectivités qui gèrent les déchetteries.
M. Henri Tandonnet . - Cela coûte d'ailleurs fort cher aux intercommunalités. Ne devrait-on pas instituer une participation pour aider les collectivités ?
M. Christian de Luzy . - Une redevance est prévue, je crois, pour financer les surcoûts des centres de tri. Le consommateur la paye et nous la reversons aux collectivités.
M. Henri Tandonnet . - Dans mon département, il m'a semblé que certains produits vendus en jardinerie ne sont pas autorisés en usage professionnel pour les producteurs de légumes par exemple. Est-ce une réalité ?
M. Christian de Luzy . - Cela n'existe pas, car la loi nous oblige à ne vendre que des produits qui ont l'agrément « emploi autorisé dans les jardins d'agrément » (EAJ). Le décret n'est pas encore paru. Il devait paraître avant les élections. Les formules vendues devront au préalable avoir reçu l'autorisation de mise sur le marché réservées aux jardiniers amateurs. Il y aura alors une séparation complète entre le monde professionnel et le monde amateur. La date butoir de mise en oeuvre de la directive « pesticides » est prévue au 1 er janvier 2013, me semble-t-il. A l'inverse, pour se procurer des produits professionnels, il faut être en mesure de présenter la carte professionnelle Certyphyto.
M. Henri Tandonnet . - Il semble que des molécules actives interdites pour les usages professionnels puissent être autorisées à la vente aux amateurs...
M. Christian de Luzy . - C'est l'ANSES qui est responsable des règles applicables au secteur amateur. Nous sommes, il est vrai, dans une période transitoire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - S'agissant du plan Ecophyto et de l'objectif de réduction de 50 %, quelles actions avez-vous mises en oeuvre ?
M. Christian de Luzy . - Nous nous sommes beaucoup engagés sur le développement du bio-contrôle . Des consignes ont été données aux vendeurs-conseils pour qu'ils orientent prioritairement notre clientèle vers ce type de méthodes alternatives. C'est une nouvelle philosophie du jardinage, hélas dépourvue d'indicateurs d'efficacité.
M. Patrick Lorie . - On observe déjà cette tendance dans les gammes de produits offertes dans nos magasins, qui font une place de plus en plus grande aux produits « bio » . Il en découle forcément une diminution de la consommation de pesticides. Sur cinq mètres de rayons, au moins deux mètres sont réservés désormais aux produits « bio ». Cela a forcément un impact.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais constatez-vous, d'ores et déjà, une diminution de la consommation des produits phytosanitaires ?
M. Christian de Luzy . - Nous n'avons pas les moyens aujourd'hui d'avoir des données chiffrées sur ce point. Nous aurions besoin de créer avec la DGAL un indicateur global à partir des références NODU (nombre de doses unités) et IFT (indice de fréquence de traitement) qui permette de quantifier l'usage des produits phytosanitaires. Il conviendrait également de distinguer les quantités de produits vendues aux professionnels et aux amateurs, en créant un NODU spécifique pour le secteur amateur et les produits portant la mention EAJ . Cela devrait pouvoir se faire à partir des codes APE (activité principale exercée). Une réunion est organisée sur ces sujets avec la DGAL dès la rentrée de septembre. Mais je pense que le bio-contrôle est la voie à suivre et qu'il va se développer.
Mme Sophie Primas , présidente . - Combien représentent les produits « bio » dans votre chiffre d'affaires ?
M. Christian de Luzy . - C'est difficile à dire de façon précise, mais indéniablement la tendance est à la hausse. Cela dépend aussi beaucoup de la météorologie, notamment pour les fongicides et les insecticides. C'est pourquoi l'évolution doit être observée sur une période de deux à trois ans. Pour l'instant, les chiffres sont stables. Mais il faut communiquer dans la durée. Ce travail de longue haleine portera progressivement ses fruits. Il s'agit d'abord de limiter les excès et de changer les mentalités. Par exemple, nous pourrions inciter les particuliers à utiliser le paillage plutôt que les désherbants .
Mme Sophie Primas , présidente . - La part du chiffre d'affaires réalisée sur les ventes de produits « bio » augmente-t-elle ?
M. Christian de Luzy . - Je vous invite à visiter les rayons « bio » de Jardiland et de Truffaut. Les ventes de ces types de produits présentent des taux d'augmentation à deux chiffres !
Toutefois, il faut éviter les confusions. Les produits dits « bio » d'après le règlement de 2007 ne sont pas tous anodins. La bouillie bordelaise , par exemple, bien qu'elle soit un produit dit « naturel » n'est pas sans conséquence sur la nature et l'environnement, notamment en Charente, où rien ne pousse plus. Il faudrait qu'il existe pour les produits « bio » une batterie de tests comparable à celle qui prévaut pour les produits chimiques, pour identifier et isoler les produits dangereux.
Il est des produits naturels dangereux. La nicotine , par exemple, est naturelle mais dangereuse. Pour faire évoluer les amateurs, il faut utiliser leur langage.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Avec les publicités diffusées par les fabricants et la grande distribution, il est à craindre que les méthodes n'évoluent que très lentement et que la conversion des consommateurs au paillage ne soit pas immédiate... Comment acheminez-vous les produits vers vos espaces de vente ? Devez-vous respecter des conditions spécifiques de transport et de stockage ?
M. Christian de Luzy . - Vous avez malheureusement raison. Les produits de paillage étant issus du monde agricole, la force de frappe publicitaire est plus faible que celle des industries phytosanitaires. Il faudrait sans doute réfléchir aussi au positionnement de ces produits dans les rayons, où ils voisinent souvent avec des sacs de terreaux, alors qu'il serait plus pertinent de les placer à proximité des désherbants comme méthode alternative de désherbage.
Concernant les règles de transport , nous n'avons pas de contrainte particulière.
Concernant le stockage , il convient d'isoler certains produits et de les placer dans un endroit défini dans la réserve ; hors du contact des produits consommables ou des animaux. Une circulaire est en cours d'élaboration à la DGAL sur ces points.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En revanche, ils peuvent cohabiter dans les chariots...
M. Christian de Luzy . - Je souhaitais revenir sur les « promotions girafe » qui consistent à offrir au consommateur une part de produit plus importante pour un prix identique. La FNMJ souhaite les supprimer mais elle se heurte aux groupes de pression des industriels. Nous avons besoin de votre aide sur ce point.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'UIPP s'est pourtant dotée d'une charte sur la publicité. Est-elle insuffisante ?
M. Christian de Luzy . - En tant que jardineries, nous travaillons davantage avec l'UPJ sur ces sujets. De même, nous sommes hostiles aux mélanges qui associent deux types de produits (un insecticide avec un herbicide par exemple) avec des actions combinées aux effets incertains. Nous avons signalé ce problème à la DGAL, mais attendons encore la réponse.
Audition de M. Philippe Joguet, directeur développement durable, responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et questions financières de la Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), de Mme Giulia Basclet, conseillère environnement de la FCD et de Mme Sandrine Lanfrit, responsable qualité exploitation non alimentaire de Carrefour France (10 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. L'objectif de la mission commune d'information consiste à analyser l'impact des pesticides sur la santé. Nous nous intéressons prioritairement à la santé des utilisateurs directs, qui peuvent aussi être des jardiniers amateurs. Nous venons d'entendre les représentants des jardineries et sommes intéressés par le témoignage de distributeurs généralistes de pesticides pour jardiniers amateurs, car cette pratique nous préoccupe. Nous sommes également désireux d'entendre vos éventuelles recommandations.
M. Philippe Joguet, directeur développement durable, RSE et questions financières de la Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD ). - Tout d'abord, nous vous remercions pour votre invitation.
La FCD est un syndicat professionnel soumis à la loi de 1884. Elle regroupe la quasi-totalité des enseignes de grande distribution généraliste, à l'exception d' Intermarché et de Leclerc . Ses adhérents représentent une part significative des ventes de produits phytopharmaceutiques destinés au grand public, soit 38 % des volumes vendus et 25 % du chiffre d'affaires. Les jardineries spécialisées assurent près de la moitié des ventes, les enseignes de bricolage environ 20 %.
Pour compléter votre information, je précise que les produits phytopharmaceutiques à destination non agricole représentent seulement 5 % du marché total. Sur cette part, environ deux tiers sont destinés aux jardiniers amateurs. Au total, la FCD ne représente donc que 1 à 1,5 % de la distribution totale des produits phytopharmaceutiques en France. Mais nous estimons cependant jouer un rôle important auprès du consommateur final pour conseiller un produit et la manière de l'utiliser.
Mme Sandrine Lanfrit, responsable qualité exploitation non alimentaire de Carrefour France . - Les acheteurs se renseignent beaucoup par Internet et assez peu auprès de nos vendeurs en rayon. ; ils privilégient l'achat d'un produit déjà connu. Nos clients préfèrent nettement les conditionnements prêts à l'emploi plutôt que des produits à diluer plus compliqués pour eux. Cette tendance permet de limiter les risques liés aux manipulations.
Mme Sophie Primas , présidente . - Cela vous posera-t-il un problème si la commercialisation des produits phytopharmaceutiques destinés aux jardiniers amateurs était restreinte aux seuls produits prêts à l'emploi ?
Mme Sandrine Lanfrit . - L'offre n'est pas toujours disponible sous cette forme.
M. Gérard Bailly . - De tels produits sont-ils plus dilués ?
M. Philippe Joguet . - En effet.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les clients ne risquent-ils pas de penser que la dilution diminue l'efficacité ?
Mme Sandrine Lanfrit . - Non, ils préfèrent cette présentation.
M. Jean-François Husson . - Le « prêt à l'emploi » ne comporte-t-il pas un risque de surdosage ? Globalement, le dosage de l'application des pesticides est plus compliqué pour les amateurs que pour les professionnels qui utilisent des pulvérisateurs bien réglés.
M. Philippe Joguet . - Vous avez raison, mais le produit amateur est moins nocif. Les modes d'emploi ne sont cependant pas toujours bien suivis par les jardiniers amateurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Constatez-vous une baisse - souhaitable - du volume des ventes de pesticides pour amateurs ?
M. Philippe Joguet . - Le plan Ecophyto 2018 tend à réduire de 50 % l'usage des produits phytopharmaceutiques, tous usages confondus. On n'observe rien de tel de la part des jardiniers amateurs, notamment parce que la mode du jardinage accroît la demande .
En revanche, Ecophyto 2018 a amené une évolution qualitative de l'offre. Certaines enseignes comme Carrefour ont retiré de leurs rayons les produits classés cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) et ont développé l'offre compatible avec l'agriculture biologique.
Par ailleurs, les produits phytopharmaceutiques sont vendus en hypermarchés et dans les plus gros supermarchés mais pas dans les enseignes de proximité.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment effectuez-vous le référencement des produits proposés à la vente dans vos magasins ?
M. Philippe Joguet . - Je souhaite préciser à titre liminaire que les marques de distributeurs (MDD) sont quasiment absentes en matière de produits phytopharmaceutiques avec 3 % du marché. Les enseignes adhérentes à la FCD distribuent des produits de marques.
Mme Sandrine Lanfrit . - Les distributeurs comme Carrefour disposent de personnel spécialisé - dont un ingénieur qualité - pour les achats, qui sont effectués par appel d'offres répondant à un cahier des charges précis . Le service qualité formule des exigences commerciales et réglementaires - dont l'existence d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les fournisseurs peuvent également être audités par le distributeur.
Une fois les produits achetés, leur transport et leur stockage doivent respecter les conditions inscrites sur leur fiche de données de sécurité (FDS) . La grande distribution est habituée à gérer ce type de contraintes qui s'imposent également pour d'autres produits, comme les aérosols ou l'eau de Javel.
M. Philippe Joguet . - En ce sens, notre qualité de généralistes de la vente constitue un atout. Il n'existe au demeurant pas de réglementation spécifique au transport et au stockage de produits phytopharmaceutiques, sauf lorsqu'ils sont classés « dangereux ». Ainsi, la présence d'une substance cancérogène impose la présentation dans une armoire fermée à clé. Tout ce qui est dangereux doit être séparé de l'alimentation humaine ou animale. Les FDS donnent toutes les indications et la base Quick-FDS est consultable en ligne.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne trouvez-vous pas curieux de retrouver ensuite dans le même chariot ces produits à côté du steak ou du yaourt ?
M. Philippe Joguet . - Les emballages des produits sont étanches. Aucun problème n'a été signalé. Chez lui aussi, le consommateur sait faire la différence.
Mme Sandrine Lanfrit . - La grille du chariot permet à nos clients de séparer leurs achats.
Mme Sophie Primas , présidente . - Devrait-on aller jusqu'à des zones de vente fermées spécifiques aux pesticides ?
M. Philippe Joguet . - On y vient. Les enseignes anticipent la nouvelle réglementation en mettant en place, à des distances éloignées, des espaces réservés aux produits dangereux, en stockage comme en rayon. Pour les produits classés CMR, lorsque les enseignes ne les ont pas retirés de la vente, des logos obligatoires figurent sur les étiquettes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ne devriez-vous pas inciter tous les distributeurs à retirer de la vente les produits classés dangereux ?
Mme Sandrine Lanfrit . - Les enseignes et la FCD effectuent une veille réglementaire permanente permettant de suivre l'évolution des molécules et des produits. Nous disposons aussi d'une expertise sur les pesticides grâce à notre métier d'acheteurs de fruits et légumes, en traquant les résidus. Chez Carrefour, nous réagissons vite, notamment en retirant de la vente les produits pour éviter les mises sous clé.
M. Philippe Joguet . - Il est difficile pour les enseignes de mettre en place un dispositif de mise sous clé des produits proposés à la vente. Nos adhérents préfèrent donc souvent mettre fin à la commercialisation. Très absorbée, ces deux dernières années, par la mise en place, avant octobre 2013, de la nouvelle réglementation sur les produits phytopharmaceutiques, la FCD n'a pas souhaité retenir de normes plus strictes. Les bonnes pratiques s'échangent entre enseignes adhérentes à la FCD, mais chacune garde sa liberté.
Mme Sandrine Lanfrit . - En qualité de présidente du comité non alimentaire de la FCD, je confirme notre pratique d'échanges permanents.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A-t-on besoin de personnel spécialement formé en rayon pour vendre les pesticides ?
M. Philippe Joguet . - Bien sûr. Le Grenelle de l'environnement a imposé la certification obligatoire , ce qui a modifié la donne : il nous fallait autrefois disposer d'environ une personne formée pour dix présentes en rayon. Avec la réforme, il faudra assurer la présence continue d'un vendeur détenteur du certificat, valable cinq ans. L'arrêté du 21 octobre 2011 a défini la formation, sur trois jours, nécessaire pour obtenir le certificat et les modalités d'actualisation des connaissances.
Mme Sandrine Lanfrit . - Pour Carrefour, 300 points de vente sont concernés et 1 200 personnes sont actuellement en formation dans toute la France en vue d'obtenir le certificat. Identifiés par un badge, les vendeurs devront conseiller les acheteurs en les dirigeants d'abord vers des pratiques respectueuses de l'environnement et en promouvant des méthodes alternatives.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vu le coût induit par ces nouvelles contraintes, estimez-vous encore intéressant de vendre des pesticides pour jardiniers amateurs ?
M. Henri Tandonnet . - J'imagine que vos conseillers étant mieux formés, ils sont mieux payés. Que dit la convention collective ?
Mme Sandrine Lanfrit . - C'est à vérifier. En fait, les salariés détenant le certificat étaient habituellement des vendeurs qualifiés possédant le certificat de qualification pour les distributeurs et applicateurs des produits antiparasitaires à usage agricole. Ce diplôme ne suffisait pas à justifier une meilleure rémunération.
Mme Sophie Primas , présidente . - Auriez-vous des recommandations à suggérer ?
M. Philippe Joguet . - Il faut inciter à l'utilisation de méthodes alternatives , comme la binette, le paillage ou le désherbage thermique, mais il n'en existe pas pour toutes les cultures. Le consommateur aurait aussi besoin d'une base de données consacrée aux méthodes alternatives.
Mme Sandrine Lanfrit . - Les industriels n'ont pas forcément intérêt à une telle évolution, à l'inverse des distributeurs, qui vendent aussi des binettes, du paillage, etc.
M. Jean-François Husson . - A l'aune des déchets dangereux que l'on retrouve dans les déchetteries, les consommateurs ne semblent pas disposés à prendre de nouvelles habitudes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ne pourriez-vous pas vendre des stages d'apprentissage de méthodes alternatives ?
M. Philippe Joguet . - Nous n'y avions pas pensé. Cependant, nous travaillons à leur popularisation, notamment via l'initiative « Jardiner autrement » dans le cadre du plan Ecophyto 2018.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le slogan publicitaire contestable attaché à cette initiative « L'abus de pesticides est dangereux » suggère que les pesticides en général peuvent ne pas être dangereux !
M. Philippe Joguet . - C'est le ministère de l'agriculture qui a choisi le slogan, pas la FCD.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous vous remercions pour les informations apportées.
Audition de M. Philippe de Saint-Victor, directeur du pôle développement et prospective de SNCF-infra et de M. François Lauzeral, expert technique « géométrie de la voie et maîtrise de la végétation » (10 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Créée en février 2012, la mission commune d'information sur les pesticides s'est focalisée sur l'incidence sanitaire de ces produits pour ceux qui les fabriquent, les transportent, les commercialisent ou les épandent, sans omettre les familles des intéressés, ni les riverains des zones traitées.
Après avoir amplement auditionné des représentants du corps médical et des acteurs de l'agriculture, nous ne pouvions négliger une grande entité comme la SNCF compte tenu de la superficie considérable qu'elle désherbe.
Le petit questionnaire que vous avez reçu peut servir de guide à votre intervention. Nous éprouvons un intérêt marqué pour la veille technologique mise en place par la SNCF et RFF.
M. Philippe de Saint-Victor . - Je suis en charge du développement durable au sein de la branche « infrastructures » de la SNCF ; M. François Lauzeral s'occupe de la maîtrise de la végétation.
Pourquoi désherbons-nous la voie et les pistes ? Pour des raisons de sécurité des circulations.
Une plate-forme de voies ferrées comporte en premier lieu le ballast, qui serait déstabilisé si des poches d'humidité se formaient. Or, les plantes peuvent provoquer l'apparition de telles poches, d'où la nécessité d'éviter toute végétation.
De part et d'autre du ballast, deux pistes permettent la circulation des agents d'entretien. Le cas échéant, ces mêmes pistes servent à évacuer les voyageurs d'un train en panne. Là encore, l'absence totale de végétation est impérative pour des raisons de sécurité du personnel.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il m'est arrivé de voir de l'herbe pousser sur les voies. Cela ne me gêne d'ailleurs pas...
M. Philippe de Saint-Victor . - Moi, si ! Nous faisons circuler des trains vérifiant la géométrie des voies, car les rails doivent être parallèles et au même niveau. L'apparition d'humidité sous le ballast, qu'elle soit imputable à la végétation ou à la nature du terrain, crée un risque.
J'en reviens à la structure des voies ferrées. Chaque piste de circulation est longée par une bande large de deux à trois mètres, où l'existence d'une végétation contribue à maintenir la plate-forme, mais en évitant toute exubérance, afin de ne pas cacher les panneaux et feux de signalisation. Cette même précaution améliore la visibilité des automobilistes aux passages à niveau.
Enfin, les abords font l'objet d'une surveillance et d'interventions dont le but principal est d'éviter que des branches d'arbres ne viennent au contact des caténaires, notamment en cas d'intempéries.
Comment désherbons-nous ? Le désherbage chimique coûte environ 15 millions d'euros par an ; le débroussaillage mécanique et le fauchage de l'herbe reviennent à 75 millions d'euros chaque année.
Le désherbage chimique est assuré à 95 % par des trains désherbeurs. Ceux dits « à grand rendement » circulent à 70 km/h, alors que les trains régionaux ne dépassent guère les 30 km/h. Exclues lorsqu'il y a du vent, ces opérations ont un statut de travaux. Aucun train commercial ne peut donc circuler pendant qu'elles ont lieu, d'où l'intérêt des trains à grand rendement, qui n'empêchent la circulation que pendant une durée plus brève.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Lorsqu'il passe dans une gare, un train désherbeur continue-t-il à pulvériser des pesticides ?
M. François Lauzeral . - Pas lorsqu'il y a des voyageurs sur les quais. D'où, peut-être, l'herbe que vous avez pu observer sur certaines voies.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais n'y a-t-il pas quasiment en permanence des gens dans les gares ?
M. François Lauzeral . - Pas en permanence.
M. Philippe de Saint-Victor . - Il y a, en général, une à deux heures par jour sans passagers sur les quais. Les trains régionaux peuvent donc intervenir sur les voies des gares, avec une vitesse pouvant techniquement atteindre 50 km/h.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelle est la fréquence de ces traitements ?
M. Philippe de Saint-Victor . - La voie, et les pistes des voies principales du réseau sont traitées par les trains à grand rendement une fois chaque année. Les trains régionaux interviennent avec la même fréquence en gare et ils réalisent aussi le désherbage sélectif des abords proches, tous les trois à cinq ans environ.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quid des voies situées à proximité d'habitations ?
M. Philippe de Saint-Victor . - La question ne se pose pas : la proximité devrait être véritablement immédiate.
Mme Bernadette Bourzai . - Est-ce le cas des maisons des gardes-barrières ?
M. Philippe de Saint-Victor . - Les passages à niveau sont traités de façon mécanique.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur . - Est-on certain qu'il ne peut y avoir de dérive des produits épandus ?
M. François Lauzeral . - Étant les seuls à utiliser ce type de matériel, nous sommes dépourvus d'éléments de comparaison pour apprécier la dérive, mais nous avons constaté que la vitesse du train n'empêchait pas les herbicides de rester au sol... sauf lorsqu'il y a du vent ! Et nous ne traitons pas lorsque le vent souffle.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Le débit d'herbicides est-il calibré ?
M. François Lauzeral . - Le dosage est proportionnel à la vitesse du train, pour arriver à une quantité constante d'herbicides par hectare. Bien sûr, la largeur traitée est prise en compte.
Je précise en outre que les produits épandus à faible vitesse sont surmouillés afin d'obtenir des jets formés.
Nous utilisons des buses de gros calibre permettant d'obtenir des grosses gouttes peu sensibles à la dérive lors des traitements à vitesse élevée.
Vers 1925, les premiers désherbants utilisés étaient à base de chlorate de soude . Depuis le milieu des années 1970, nous n'utilisons plus que des herbicides de synthèse.
Généralisés vers 1985 sur les trains à grand rendement, l'injection directe et le dosage proportionnel intégral équipent l'ensemble des matériels d'application.
À l'étranger, ces opérations sont fréquemment sous-traitées : les Anglais utilisent des trains hongrois ; les Allemands ont recours à des trains désherbeurs appartenant, entre autres, à la société Bayer . Les Russes font comme nous.
Mme Sophie Primas , présidente . - On nous a dit qu'il n'y avait pas de désherbage des voies ferrées au Luxembourg.
M. François Lauzeral . - Cela m'étonne.
M. Philippe de Saint-Victor . - Toutefois, l'épaisseur du ballast utilisé sur les voies modernes, comme celles du TGV, rend son désherbage sans objet.
M. François Lauzeral . - Ainsi, le ballast des lignes à grande vitesse n'est jamais traités.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Prenez-vous des précautions pour ne pas polluer les eaux ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Les sources captées sont protégées par des arrêtés préfectoraux définissant des périmètres autour des points d'eau. Les conducteurs de train disposent de feuilles de route indiquant les périmètres de protection des eaux.
Nous expérimentons plusieurs systèmes de localisation afin de fiabiliser le respect de la réglementation. Le dispositif d'asservissement des trains à grand rendement leur permet d'automatiser cette fonction. Des expérimentations sont en cours sur les trains régionaux. Nous avons néanmoins subi quelques déboires sur des points d'eau.
M. François Lauzeral . - En Bretagne, région pilote sur ce point, un GPS déclenche une alarme sonore aux abords des points d'eau, un peu comme les GPS d'automobilistes signalent les radars. Pour la généralisation, nous pensons plutôt à un GPS de précision métrique permettant d'asservir les pompes.
Toutefois, cela imposera l'obtention de bases de données fiabilisées de la part de l'ensemble des agences régionales de santé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment la ligne à grande vitesse desservant Angoulême sera-t-elle désherbée ?
M. Philippe de Saint-Victor . - Nous ne pouvons vous répondre, car nous ne connaissons pas le cahier des charges du concessionnaire. La SNCF n'est pas concernée.
M. François Lauzeral . - RFF réfléchit à des plates-formes qui ne s'enherbent pas. Les Suisses utilisent une technique de grave-bitume, comme une route réalisée sous le ballast, protégeant de façon définitive le ballast et les pistes de circulation contre toute apparition végétale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels produits et techniques mettez-vous en oeuvre ?
M. Philippe de Saint-Victor . - Nous utilisons des produits destinés aux professionnels et agréés pour les usages non agricoles par le ministère de l'agriculture, en excluant ceux classés « toxiques » .
M. François Lauzeral . - Le désherbage total est assuré grâce à des produits destinés aux professionnels. Nous les achetons par appel d'offres. À terme, nous devrons mettre en oeuvre, selon les cas, des préparations homologuées « désherbage total des voies ferrées » pour les voies et les pistes ou « entretien des zones herbeuses » pour les abords.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces désherbants sont-ils livrés en conteneurs ?
M. François Lauzeral . - En conteneurs de 1 000 l, en bidons, mais aussi en camions-citernes pour les trains à grand rendement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment protégez-vous les personnes qui opèrent sur des trains désherbeurs ?
M. François Lauzeral . - Les opérateurs des trains n'ont pas de contact direct avec les produits lors des traitements et il n'est pas prescrit de protection particulière. En revanche, le risque est élevé lors des opérations de remplissage/vidange des réservoirs à produit et de dépannage. Les opérateurs sont alors équipés des protections individuelles indispensables.
Au demeurant, chacun de nos six trains désherbeurs n'est chargé qu'une fois par an, au mois de février. Il n'y a pas de réassort jusqu'à la fin de la campagne, en juillet.
L'opération d'épandage ne laisse que des traces de produits sur les trains.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Y a-t-il eu des accidents ?
M. François Lauzeral . - Les trains ne déraillent guère.
M. Philippe de Saint-Victor . - Quelque trois cents personnes travaillent, à temps plein et à temps partiel, au désherbage chimique, dont l'activité s'étale de mars à juillet.
Notre personnel est suivi par un médecin du travail , une cellule toxicologique formule des recommandations. Nous n'avons eu aucun signalement d'accident du travail ni de maladie professionnelle , ni sur le plan institutionnel, ni de la part des partenaires sociaux.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quid du suivi de la santé des personnels après la fin de leur travail à la SNCF ?
M. Philippe de Saint-Victor . - Nos salariés restent habituellement à la SNCF jusqu'à leur départ en retraite. Ils sont donc médicalement surveillés après la fin de leur participation au désherbage, mais aucun suivi longitudinal n'a été mis en place pour les retraités .
Mme Sophie Primas , présidente . - Les pesticides peuvent provoquer l'apparition de pathologies quinze, vingt voire vingt-cinq ans plus tard.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Etes-vous partenaire du plan Écophyto 2018 ?
M. Philippe de Saint-Victor . - Nous avons contribué à sa mise au point, nous avons signé un accord avec l'État et RFF .
S'agissant de l'objectif à l'horizon 2018, nous avons mis en place notre système de mesure, en attendant l'élaboration de normes ministérielles. Une application logicielle est en cours d'installation. Au demeurant, notre consommation de pesticides a déjà baissé de 30 % depuis 2008 .
M. François Lauzeral . - Nous avons supprimé le traitement de la partie ballastée des voies récentes où le potentiel d'enherbement est très faible. Historiquement, nous utilisons des doses inférieures à la réglementation . Ainsi, lorsque le glyphosate était homologué pour huit litres par hectare, nous n'en utilisions que six ; la dose maximale actuelle est de cinq litres par hectare, nous appliquons donc cette dose.
En conséquence de ces deux points, nous avons diminué la quantité mise en oeuvre.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous des méthodes thermiques ?
M. François Lauzeral . - Les méthodes à chaleur directe brûleraient les fils électriques ! Quant au désherbage à la vapeur, il est très consommateur d'eau et d'énergie fossile. Les Allemands ont expérimenté un « train usine à vapeur » qui s'est avéré peu efficace et très coûteux. A titre indicatif, nous évaluons à 13 m d'eau et 1 000 litres de fuel la consommation nécessaire au désherbage d'un kilomètre de voie ferrée. A 60 km/h, vitesse de nos trains de travail, cela représente la puissance de deux tranches de centrale nucléaire, ou de 350 locomotives diesel à pleine puissance !
La binette n'est guère envisageable, puisque son emploi obligerait à empêcher toute circulation sur les voies pendant quatre heures d'affilée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce serait une façon de résorber le chômage ! Il faudrait en parler au Premier ministre !
Mme Bernadette Bourzai . - Avez-vous trouvé un produit de substitution à la créosote pour le traitement des traverses de chemin de fer en chêne, dont ma région est largement productrice ?
M. Philippe de Saint-Victor . - L'utilisation de cet insecticide et fongicide sera très probablement interdite en 2018 , mais nous n'avons pas encore trouvé par quoi la remplacer. Les sels de bore ou l' huile posent problème. Le remplacement par des traverses en béton coûterait trop cher.
M. François Lauzeral . - Les propriétés insecticides et fongicides de la créosote nous sont très utiles.
M. Philippe de Saint-Victor . - Pour en revenir au plan Écophyto 2018 , nous avons divisé par trois la consommation d'herbicides en trente ans et par deux cette consommation en quinze ans . En augmentant l'épaisseur du ballast et grâce à la maîtrise de l'asservissement, nous espérons atteindre l'objectif de -50 % de pesticides utilisés à l'horizon 2018 .
M. François Lauzeral . - Nous gérons directement le pilotage des pompes, mais il reste à asservir le traitement à la présence de végétation, même si l'on ne peut raisonnablement envisager de traiter exclusivement 3 dm² à 70 km/h. Malgré les déboires techniques rencontrés à ce jour dans la mise au point de cet asservissement, nous espérons qu'il sera opérationnel au cours des prochaines années, ce qui permettra de diviser par deux les produits consommés à l'horizon 2018.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'y a-t-il pas un risque de traiter également les plantes situées chez les riverains des chemins de fer ?
M. François Lauzeral . - Ce cas de figure est rare, car nous connaissons les zones dangereuses pour le traitement. Bien sûr, le désherbage sélectif des talus peut accidentellement occasionner des dégâts chez les riverains, qui sont alors indemnisés .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quid du nettoyage des trains ?
M. François Lauzeral . - C'est un élément de l'accord-cadre de 2007. Il est à la charge de RFF. A ce jour, seuls deux ou trois sites sont convenablement équipés afin de supprimer tout rejet d'effluents vers l'environnement.
M. Philippe de Saint-Victor . - Avouons-le : nous ne savons pas ce que nous aurions fait à la place de RFF.
M. François Lauzeral . - Le retour prochain à un gestionnaire d'infrastructure unifié devrait améliorer la situation dans quelques années.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment le matériel utilisé est-il ensuite retraité ?
M. François Lauzeral . - Les bidons sont repris par Adivalor , avec qui nous avons pu rencontrer des difficultés ponctuelles pour être désignés point de collecte car, dans la mesure où nous achetons directement aux fabricants, les distributeuirs locaux n'acceptent pas toujours de reprendre des emballages de produits qu'ils n'ont pas vendus.
M. Philippe de Saint-Victor . - Au demeurant, nous n'avons guère le choix, puisque la réglementation des marchés publics interdit de les segmenter pour s'approvisionner auprès des PME.
Globalement, presque tout est repris par Adivalor , mais les containers de 1 000 litres consignés repartent vers les producteurs et le traitement des camions-citerrnes est de la responsabilité du transporteur spécialisé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourrez-vous me renseigner sur le traitement de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux ?
M. Philippe de Saint-Victor . - Nous devons vérifier ce qu'il en est.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne peut-on éviter complètement d'utiliser les pesticides ?
M. Philippe de Saint-Victor . - La seule solution durable consiste à construire des plates-formes empêchant toute arrivée d'herbes , car toutes les solutions curatives reposent sur des traitements chimiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie.
Audition de M. Jean-Marc Bournigal, président de l'Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA), et de M. Pierrick Givone, directeur général délégué recherche innovation (10 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie d'être là ce soir devant cette mission d'information, souhaitée par Mme Nicole Bonnefoy, et consacrée à l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement. Nous nous sommes concentrés d'abord sur la santé de ceux qui utilisent les pesticides, donc beaucoup sur le monde agricole.
Votre institut a-t-il été sollicité pour appuyer la réduction de l'utilisation des pesticides ?
M. Jean-Marc Bournigal, président de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) . - Depuis un décret de février 2012, l'Institut national de la Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA), a succédé au Centre de Machinisme Agricole, du Génie Rural, des Eaux et Forêts (CEMAGREF), dont il a repris les thématiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourriez-vous aborder les évolutions technologiques et, dans le cadre d'Ecophyto 2018, l'action de votre institut pour diminuer l'usage des pesticides.
M. Jean-Marc Bournigal . - Je ne suis président de l'IRSTEA que depuis trois mois. Auparavant, je travaillais au ministère de l'agriculture. Je me suis un peu occupé des pesticides dans le passé. M. Pierrick Givone, directeur délégué en charge notamment de la partie scientifique, pourra compléter mes propos.
Le champ de compétence de l'IRSTEA n'est pas directement lié aux pesticides mais plutôt à l'eau, à la gestion des risques naturels, à la gestion des territoires et aux écotechnologies, dont l'assainissement et les compétences en matière de machinisme agricole. C'est à ce dernier titre que l'institut est appelé à s'occuper des pesticides. En revanche, l'IRSTEA n'a pas de compétences agronomiques ; l'Institut est impliqué dans le plan Ecophyto 2018, pour ce qui concerne son domaine de compétence.
Nos compétences en machinisme agricole nous ont conduits à étudier les pulvérisateurs , ainsi que d'autres types de machines, en accordant une attention particulière à l'ergonomie des machines agricoles.
Nous nous sommes donc préoccupés de la sécurité des travailleurs et de l'expologie des agriculteurs . D'où le travail conduit sur les pulvérisateurs pour prendre en compte l'exposition potentielle complète de l'agriculteur depuis le remplissage du pulvérisateur jusqu'au nettoyage du matériel , en passant par l'étanchéité des cabines de tracteurs, les caractéristiques du pulvérisateur au sol sans omettre les moments où l'agriculteur descend du tracteur pour déployer les rampes d'épandage, nettoie avec ses mains les buses qui se bouchent, ni la phase de nettoyage final du matériel.
Ce bilan expologique va intéresser les industriels et le ministère de l'agriculture.
L'IRSTEA a été aussi saisi, par le ministère de l'agriculture, de l'épandage aérien sur les bananeraies en outre-mer , qu'il s'agisse du traitement aérien lui-même ou du travail préalable de cartographie imposé pour pouvoir appliquer l'arrêté de 2004 sur le respect des zones de cinquante mètres entre les bâtiments ou les cours d'eau permanents et l'épandage.
Nous avons aussi testé les matériels commercialisés - notamment toutes les buses - pour limiter la dispersion, mais également les rampes, aussi bien sur les avions que sur les hélicoptères. Nous avons enfin élaboré un logiciel de traçabilité à partir d'un repérage GPS, après avoir établi des cartographies.
Ce système a été mis en oeuvre parallèlement à un travail sur le développement de méthodes alternatives au sol , qui a conduit à tester tous les matériels existants, dont les canons au sol et les lances, peu ou pas du tout performants, notamment par comparaison avec les descriptions des catalogues (capacités, distances, répartition des doses, expologie).
Un nouveau système de traitement au sol, mis au point par l'IRSTEA, avec une nouvelle tête de pulvérisateur est en train d'être testé. Ce prototype préindustriel sera capable de gravir des pentes relativement importantes et de passer entre les bananeraies avec une perche qui monte à sept mètres.
Notons que la chlordécone n'est jamais épandue de façon aérienne, mais au pied des bananiers.
Quant aux équipements de protection individuelle, ils ne sont pas testés par l'IRSTEA, car cela n'est pas dans mon champ de compétences.
En termes d' expologie , l'ANSES s'est autosaisie de l'efficacité des équipements de protection individuelle. Dans le cadre de la première partie de cette étude, l'IRSTEA a recensé l'ensemble des équipements de protection individuelle commercialisés sur le marché. Il a mené une enquête auprès des agriculteurs pour savoir comment ils utilisaient ces protections. Ce rapport sera rendu fin juillet ou début août 2012.
A titre d'exemple, les mauvaises pratiques suivantes ont été relevées : les combinaisons - à usage unique - ne devraient être utilisées qu'une demi-journée. En réalité, les agriculteurs les utilisent plusieurs fois, ou ne les utilisent pas assez ou pas au bon moment. Ils sous-estiment les risques de contamination, notamment par la peau, lorsque la buse se bloque ou lorsqu'il faut plier ou redéplier les bras de la rampe d'épandage. Parfois, une cigarette est allumée sans ôter des gants souillés.
Une seconde phase de l'étude, non confiée à l'IRSTEA, tendra à évaluer l'efficacité des équipements de protection, de leurs textiles . L'efficacité des combinaisons n'entre pas dans le champ de compétence de l'IRSTEA.
Comme il a déjà été indiqué, l'IRSTEA a précisé l'expologie à travers l'ergonomie des machines, notamment en apposant des patches sur tout le corps des utilisateurs. La même méthode peut être appliquée aux équipements de protection.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Auriez-vous des recommandations à exprimer ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Des améliorations de matériel à suggérer ?
M. Pierrick Givone, directeur général délégué recherche innovation de l'IRSTEA . - Au sujet du traitement aérien , l'optimisation des systèmes en place a été atteinte en termes de rampe de pulvérisation, de traçabilité et de capacités des buses à développer une dérive minimale avec coupure automatique si l'avion ou l'hélicoptère pénètre sur une zone où il ne doit pas traiter.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Avant d'accorder une dérogation pour un épandage aérien, peut-être faudrait-il s'assurer qu'une cartographie a bien été établie ?
M. Pierrick Givone . - Dans le cas des bananes en Martinique et en Guadeloupe, l'IRSTEA a optimisé la chaîne complète, allant de la cartographie à la traçabilité, pour que les buses impliquent une dérive minimale. Il incombe ensuite à l'administration de vérifier la bonne application de l'arrêté de 2004 quant à la zone de cinquante mètres, en fonction du dossier préalable déposé.
Le travail dans les départements d'Outre-mer a été compliqué par le fait que la situation cadastrale ne rendait pas compte de l'état réel du bâti, ce qui nous a obligé à retourner sur le terrain, avec l'aide de la profession, pour compléter les photos satellites les plus récentes disponibles. Cela ne serait sans doute pas le cas pour le territoire métropolitain.
L'utilisation d'une carte et du GPS permet, au retour, de constater de visu si les zones traitées sont bien celles prévues.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'épandage aérien dépend-il de la situation météorologique ?
M. Pierrick Givone . - Les avions et les hélicoptères sont contraints par les conditions météo incluant une température et un vent spécifiques. S'ils ne respectaient pas ces conditions, la dérive des produits à répandre serait excessive. Il incombe aux préfets de vérifier. En général, cela est respecté puisque le traitement aérien s'effectue rapidement : il est inutile de se mettre en situation difficile pour gagner deux heures, au prix d'un traitement peu efficace.
Les recommandations de l'IRSTEA ne valent que pour la Martinique et la Guadeloupe, et seulement pour les bananiers , non pour le maïs ou le riz en Camargue, ni le polder en Guyane.
Même avec un traitement aérien optimisé, les zones d'exclusion liées à la présence de cours d'eau ou à celle d'habitations représentent au moins 20 % à 30 % des surfaces à traiter. D'où la nécessité de trouver une méthode terrestre alternative.
En Martinique et en Guadeloupe, il faut pouvoir travailler sur des pentes atteignant 45 % et dans des conditions climatiques nécessitant des aménagements. Un mât très élevé peut garantir une dérive minimale et le porteur au sol doit être adapté. Ce qui a été assez compliqué, d'autant qu'il faut assurer la stabilité du mat alors que le porteur cahote sur un sol non préparé.
Mme Sophie Primas , présidente . - Y aurait-il encore des améliorations à apporter sur les pulvérisateurs, ou sur d'autres matériels ?
M. Pierrick Givone . - Seules les buses ont été testées de manière systématique, mais sur un banc d'essai et non en situation, pour déterminer celle qui limiterait au mieux la dérive. Mais ensuite, les buses se montent sur une très large gamme de machines et il est impossible de toutes les tester en situation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles sont alors vos recommandations d'emploi ?
M. Pierrick Givone . - Le classement des buses est effectué à partir d'essais en site avec du vent pour déterminer les coefficients de dérive.
Quand on traite les bananiers avec des fongicides, l'excipient est de l'huile, qui produit, lors de la pulvérisation, une taille et un poids de gouttes tout à fait différents que si le même produit était dilué dans l'eau. Il faut donc non seulement tester en situation vis-à-vis de la dérive , mais aussi utiliser les buses avec le type de produit générant un certain type de goutte , d'où l'impossibilité d'avoir une réponse générale sur tel ou tel type de matériel.
Autre exemple, si les gouttes sont de très petite taille et pèsent très peu et si la chaleur entraîne une vitesse ascensionnelle, la goutte ne retombe pas immédiatement sur la plante et risque de repartir.
Des tests en vraie grandeur sont nécessaires, mais difficiles à réaliser : il faudrait déposer des milliers de boîtes de Pétri pour étudier les effets du passage de l'avion. De tels tests ont été effectués sur la banane ; les généraliser serait hors de portée de l'IRSTEA.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'en est-il des buses ?
M. Pierrick Givone . - Les buses ont été testées, mais leur efficacité dépend du climat, de l'air, chaud et froid, de la hauteur de passage de l'avion. D'où la nécessité d'intégrer ces résultats dès la conception des machines pour prendre en compte la sécurité, comme l'efficacité, très en amont, afin d'éviter au maximum le contact avec les produits.
Il faut également prévoir de ne pas manipuler à mains nues le produit quand on remplit les pulvérisateurs, puis d' éviter tout contact par la suite grâce à des systèmes mécaniques évitant l'intervention humaine : automatiser au maximum le déploiement des rampes, tester les buses pour éviter qu'elles ne se bouchent en les dotant de systèmes de nettoyage.
L'important est que les fabricants de machines intègrent les risques dès la conception de celles-ci.
Ces producteurs travaillent en liaisons avec l'IRSTEA, puisqu'ils récupèrent les méthodes mises au point.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces machines sont-elles produites par beaucoup de fabricants français, européens ?
M. Pierrick Givone . - Des fabricants de pulvérisateurs, il y en a un peu partout. C'est un marché assez pointu. Les fabricants de tracteurs sont sans cesse moins nombreux en France.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les pulvérisateurs très sécurisés coûtent probablement plus chers. Cela n'est-il pas dissuasif pour les agriculteurs ?
M. Jean-Marc Bournigal . - Si. D'ou la nécessité d'actions de sensibilisation, faisant prendre conscience aux agriculteurs des risques qu'ils courent.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne leur a-t-on pas laissé croire pendant longtemps qu'il ne s'agissait pas de produits dangereux ?
M. Jean-Marc Bournigal . - Les étiquetages des produits phytosanitaires existaient déjà il y a vingt ans.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les agriculteurs faisaient confiance aux vendeurs...
M. Jean-Marc Bournigal . - Les étiquettes étaient relativement claires quant aux risques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Elles ne sont pas toujours faciles à lire ...
M. Jean-Marc Bournigal . - Il n'est pas nécessaire de lire la liste de toutes les molécules mais seulement les mesures de sécurité à prendre.
Le Certiphyto a pour mérite de forcer les agriculteurs à se former, à mieux connaître le risque applicateur.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les jeunes agriculteurs sont-ils bien formés à cette fin ?
M. Jean-Marc Bournigal . - Normalement, dans les lycées agricoles comme dans les écoles de l'enseignement supérieur, cette dimension est intégrée dans les cours.
M. Pierrick Givone . - Il faut former les agriculteurs à manipuler les pesticides, en ayant bien à l'esprit les conséquences éventuelles de contacts avec la peau et les muqueuses.
Ainsi, dans les enquêtes d'expologie , filmer en continu d'un point de vue général le comportement des gens permet de détecter un grand nombre de comportements à risque. D'une manière générale, les ouvriers agricoles se protègent mieux que les responsables d'exploitations qui font les choses plus vite et dans l'urgence.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'en est-il de la sécurité des cabines de tracteurs ?
M. Pierrick Givone . - Les cabines de tracteurs sont classées de 1 à 4 et sont testées avant d'être certifiées. La catégorie 1 correspond à la présence d'une cabine ; la catégorie 2 à une cabine protégeant de la poussière ; la catégorie 3 à une protection contre les poussières et les aérosols ; la catégorie 4 une protection contre les poussières, les aérosols et les gaz.
Pour la production de bananes, une cabine de classe 4 s'impose pour que les gens à l'intérieur ne soient pas tenus de mettre un équipement de protection. Dans ces cabines, des règles de comportement extrêmement strictes doivent être adoptées : ne pas sortir du tracteur avant la fin du traitement, car ces cabines sont en surpression ; démonter et mettre au sec les filtres spéciaux après la pulvérisation, changer ces filtres tous les six mois ou tous les deux ans ; Les comportements sont parfois décalés par rapport aux notices...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-on certain de la protection offerte par les équipements de protection individuelle ?
M. Jean-Marc Bournigal . - Ils ont été testés, mais tout dépend de leur utilisation effective... Normalement, la combinaison ne doit pas servir plus d'une demi-journée ; il ne faut surtout pas la remettre .
Mme Sophie Primas , présidente . - Faudrait-il modifier la formation Certiphyto ?
M. Pierrick Givone . - S'agissant des bananeraies, l'IRSTEA a apporté des éléments pour que les formations des conducteurs d'engins prennent en compte l'ensemble des préconisations. Des milliers d'agriculteurs ont été rencontrés. Ces éléments sont ensuite tenus à disposition des organismes en charge de Certiphyto.
En réalité, il faut éliminer le décalage entre les préconisations et la pratique . Par exemple, il ne faut ni fumer, ni enlever ses gants et les remettre.
Il faut donc à la fois concevoir les outils pour réduire les risques inhérents au comportement humain et obtenir une bonne utilisation de ces outils. Le système ultime consiste à automatiser les traitements au maximum .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi ne pas éliminer ces traitements ?
M. Jean-Marc Bournigal . - Je ne sais pas très bien ce qu'il nous resterait à manger...
Dans les années 1960, il y avait sans doute très peu de protection.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment mieux former ?
M. Pierrick Givone . - Pour les bananeraies, il a été nécessaire de filmer les personnes qui enlevaient leur combinaison pour leur montrer qu'ils se recontaminaient, alors qu'il y avait d'autres façons de faire. C'est comportemental : il faut toujours se mettre en situation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment faire comprendre qu'il faille se protéger d'un produit qui va dans l'environnement et se retrouve dans l'alimentation ?
M. Jean-Marc Bournigal . - Il s'agit tout de même de biocides. Il existe des règles strictes pour leur commercialisation, leur utilisation et leur application ! Les gens ne peuvent s'exonérer de la totalité de leurs responsabilités alors qu'ils doivent avoir un local spécifique fermé à clé pour ranger les pesticides, respecter les conditions d'utilisation, tenir un registre...
Ces produits particuliers nécessitent des règles de comportements adaptées.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pendant des années, les agriculteurs ont produit toujours davantage comme on le leur demandait, avec les excès que cela comporte ; ils ont fait confiance...
M. Jean-Marc Bournigal . - Sans porter de jugement sur le passé, près des deux tiers des molécules ont été interdites depuis au niveau communautaire et, pour les molécules CMR restantes, la substitution est obligatoire dès qu'elle est possible. Les produits sont aujourd'hui de meilleure qualité, les méthodes de traitement ont été améliorées, l'utilisateur est mieux informé et l'effet des molécules sur l'environnement n'est plus négligé.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le danger n'est pas toujours consécutif à un accident du travail : on constate des maladies provoquées par vingt ans de pratique. Très peu de contaminations surviennent par action massive, hormis des réactions allergiques.
M. Jean-Marc Bournigal . - Il y a peu de risques aigus.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'IRSTEA a-t-il travaillé sur les serres ?
M. Pierrick Givone . - Oui, pour étudier l'exposition et la qualité de la pulvérisation.
Mme Sophie Primas , présidente. - Avez-vous élaboré des recommandations particulières ?
M. Pierrick Givone . - Ce milieu confiné impose des protections individuelles accrues, des précautions spécifiques, notamment pour les délais de ré-entrée, qui sont allongés.
À Montpellier, un tunnel sert à effectuer ce genre de tests, non avec des pesticides mais avec des fluides : on simule ce qui se passe dans une serre pour caractériser la dérive, la régularité...
Mme Sophie Primas , présidente . - Quels pourraient être les matériels agricoles alternatifs ?
M. Pierrick Givone . - On pourrait songer à un développement de machines intégrant, le plus en amont possible, des systèmes de vision identifiant les mauvaises herbes, associées à un dispositif d'élimination . Beaucoup a été fait dans la vision automatique, mais il reste très compliqué d'identifier les mauvaises herbes à partir d'une reconnaissance automatique de forme.
Une autre alternative testée est l'électrocution des mauvaises herbes , sans produits chimiques. Une reconnaissance excellente permettrait aux automates d'intervenir de manière très ciblée à partir de la cartographie de la parcelle.
Les emplacements des traitements par engrais sont déjà repérés grâce à un logiciel qui permet d'intervenir à bon escient.
Mais cela reste une vision d'avenir. Des chercheurs y réfléchissent, mais ils sont loin du stade industriel, d'autant que, par nature, les plantes poussent et changent d'apparence.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Allons-nous vers des robots dans les champs ?
M. Pierrick Givone . - L'avenir pour les risques applicateurs, c'est la robotisation. Déjà des producteurs de Champagne sont intéressés car leurs rangs de vignes sont très étroits. Des robots pourraient être pilotés du haut du champ...
L'absence de toute possibilité de contact avec les pesticides réglerait le risque de contact. Ce serait un gain net. Tous les gains nets doivent être recherchés, d'autant que le matériel agricole coûte cher et la main-d'oeuvre encore davantage.
Il existe, aujourd'hui, des tracteurs couplés entre eux ; c'est déjà le stade industriel du développement de la robotisation. Par ailleurs, les CUMA permettent aux agriculteurs d'acheter du matériel à plusieurs.
Autre exemple, le traitement aérien mutualisé permet un traitement rapide de la totalité de la sole bananière en quelques jours, sur alerte, dans des parcelles sentinelles. Retrouver l'équivalent en traitement terrestre nécessite de déployer une très importante flotte d'engins pour éviter des traitements préventifs systématiques.
Enfin, nous vous transmettons les réponses écrites au questionnaire adressé par la mission.
Table ronde juridique (17 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Mesdames et Messieurs, je vous accueille avec beaucoup de plaisir et vous remercie d'être présents à cette troisième table-ronde organisée dans le cadre de notre mission d'information. Le thème d'aujourd'hui est la règlementation, le commerce et le contrôle des pesticides.
Je rappelle que cette mission, constituée en février 2012, s'intéresse à l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement. Nous avons débuté nos travaux en mars 2012 et devrions les achever au cours du mois d'octobre, avec la remise de notre rapport. Cette mission a été créée à l'instigation de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, qui a été alertée par plusieurs agriculteurs victimes de pesticides dans son département, notamment M. Paul François, président de l'association Phyto-Victimes.
La mission a orienté ses travaux en direction des personnes en contact proche avec les produits phytosanitaires : fabricants, utilisateurs, riverains de l'industrie ou de l'agriculture, habitants des collectivités territoriales et leurs familles. Cette mission a la particularité d'être composée de vingt-sept sénateurs membres de chacune des commissions permanentes du Sénat et tous les groupes politiques y sont représentés. Elle doit s'immerger dans un sujet technique et vaste, afin de formuler une analyse et des préconisations susceptibles d'être concrétisées ultérieurement.
La table-ronde d'aujourd'hui suit près de quatre-vingts auditions organisées au Sénat et en province à l'occasion de quatre déplacements - en Charente, dans le Lot-et-Garonne, en Bretagne et dans le Rhône - incluant des visites et des auditions. Les comptes rendus de l'ensemble de ces auditions figureront dans le second tome du rapport.
La mission va entendre aujourd'hui même Mme Marisol Touraine, ministre de la santé. Nous avons également entendu des administrations, des agences de recherche, des chercheurs et les représentants des principales parties prenantes du secteur, notamment l'industrie chimique, l'industrie phytosanitaire, l'industrie du jardin, les coopératives, le négoce, et la grande distribution.
J'espère que cette table-ronde permettra d'approfondir nos connaissances et de recueillir un supplément de sagesse et de clairvoyance.
Au cours de nos auditions, nous avons été alertés à de nombreuses reprises sur les fraudes et sur l'existence de circuits de commercialisation parallèles de produits phytosanitaires, dont des produits parfois interdits en France. Il nous a donc semblé utile de vous réunir aujourd'hui pour mieux appréhender la nature du trafic, son ampleur, ses mécanismes et recueillir vos recommandations.
Au nom de la mission d'information, je vous remercie de votre présence.
Mme Annaïck Le Goff , magistrat, vice-présidente chargée de l'instruction au Pôle de santé publique du Tribunal de grande instance de Marseille . - Il existe deux pôles de santé publique en France : le pôle de santé publique de Paris, constitué d'un parquet et de quatre cabinets d'instruction ; le pôle de santé publique de Marseille constitué d'un parquet et d'un cabinet d'instruction. Nous nous partageons le territoire français, à savoir deux tiers pour le pôle de Paris et un tiers - la Corse, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Languedoc-Roussillon et Rhône-Alpes - pour le pôle de Marseille. Ces pôles ont vocation à traiter les dossiers de sinistres avec des préjudices sériels, c'est-à-dire des victimes multiples , en France ou à l'étranger. J'instruis actuellement trois dossiers de trafic de produits phytopharmaceutiques : les deux premiers présentent des points communs très importants ; le troisième est sans lien avec les autres.
Colonel Bruno Manin , directeur de l'office central des atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) . - L'office central des atteintes à l'environnement et à la santé publique a une compétence nationale. Il comprend deux divisions. Celle consacrée à l'investigation réunit un groupe spécialisé sur les produits phytopharmaceutiques. Je développerai ultérieurement ses missions.
Mme Catherine Collinet , inspectrice en chef de la santé publique vétérinaire, directrice de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) . - Je suis venue avec M. Dominique Julien et M. Maurice Boureau, enquêteurs de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires. Nous travaillons dans une structure relativement légère, directement placée auprès du directeur général de l'alimentation. La structure a été créée en 1992 avec une compétence nationale pour lutter contre l'utilisation des anabolisants chez les animaux. En 2002 , sa compétence a été étendue aux produits phytosanitaires .
Plus particulièrement chargés de combattre la délinquance organisée, nous assurons le lien entre l'inspection classique et les autorités de justice. En effet, nous conduisons un travail de recherche d'infractions sur le terrain , pour comprendre les mécanismes de la délinquance économique. Nous apportons les dossiers aux acteurs de la police judiciaire, notamment l'OCLAESP et les pôles santé publique des tribunaux. Nous assurons d'autres missions, telles que la lutte contre le trafic de chiens, mais, dans nos effectifs, trois équivalents temps pleins sur dix sont consacrés à la lutte contre le trafic de produits phytosanitaires au sein de notre structure.
M. Frédéric Vey , direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux . - Le bureau que je dirige est en charge de l'organisation, du pilotage et du suivi des contrôles de la distribution et de l'utilisation des produits. Ces contrôles sont réalisés par les services régionaux de l'alimentation, situés au sein des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt. Nous réalisons un peu plus de 6 000 contrôles annuels pour nous assurer que les produits sont utilisés conformément à leur autorisation , dans des conditions conformes aux impératifs règlementaires.
Me Bernard Fau , avocat, chargé de cours à l'Université Paris II - Panthéon Assas . - Venu avec mon confrère, Me Jean-François Funke, je suis à la tête d'un cabinet qui est spécifiquement orienté vers l'assistance aux personnes publiques, voire aux corps intermédiaires. Cette spécificité l'a conduit à intervenir depuis plus de quinze ans dans la plupart des grands dossiers de santé publique et d'environnement. Nous avons également acquis une expérience unique sur le territoire national en droit administratif et pénal des produits phytopharmaceutiques .
Tous les membres du cabinet ont été auditeurs de l'Institut National des Hautes Études de la Sécurité nationale et de la Justice (INHESJ), placé sous l'autorité du Premier ministre. Me Jean-François Funke et moi-même avons participé à des groupes de travail qui ont rendu des rapports sur ces questions. Personnellement, j'ai été rapporteur sur la sécurité sanitaire et alimentaire. A cette occasion, je me suis intéressé au rôle de l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) et au rôle des agences nationales. Me Jean-François Funke a participé au groupe de travail sur le principe de précaution. Mme Catherine Troendle, sénateur, élue du Haut-Rhin, a présidé le groupe de travail sur le diagnostic de sécurité. Nous avons donc une expertise ancienne et complète sur ces questions. Tous les membres de mon cabinet sont également des universitaires.
Mme Annie Ortet , adjointe au bureau chargé du contrôle des marchés des produits végétaux et d'origine végétale, des boissons et des vins, DGCCRF . - La DGCCRF intervient pour contrôler deux éléments, en commençant par les taux de résidus de pesticides dans et sur les produits d'origine végétale. Tous les ans, nous réalisons environ 5 000 contrôles conformément aux obligations communautaires. Nos prélèvements portent essentiellement sur des fruits et des légumes frais, des céréales et certains produits transformés d'origine végétale. Par ailleurs, nous contrôlons les produits phytopharmaceutiques mis en vente : nous vérifions principalement l'étiquetage et la conformité à l'autorisation de mise sur le marché .
M. Roger Veillard , directeur des services douaniers au bureau E2 de la direction générale des douanes . - Le bureau E2 est chargé des règlementations atypiques et dérogatoires au principe de libre circulation des marchandises. Il s'agit, par exemple, du matériel de guerre, des organismes génétiquement modifiés, des produits sanitaires ou phytosanitaires. Pour ce qui est des pesticides, la douane doit uniquement veiller à ce que les produits importés des pays tiers ou exportés vers eux soient bien accompagnés de l'autorisation de mise sur le marché. Le code des douanes nous permet de rechercher des infractions à l'importation et à l'exportation , ainsi que de les sanctionner. Je suis venu avec deux collègues qui vous présenteront leur activité dans le domaine des pesticides : Mme Jacqueline Plantier, chargée de la politique de contrôles et Mme Laurence Larhant, du service national des douanes judiciaires.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nos premières questions portent sur le trafic de produits phytosanitaires, sa nature et son ampleur. Qui sont les trafiquants ? S'agit-il s'un trafic organisé ? Pourriez-vous brosser un tableau des infractions ?
Mme Annaïck Le Goff, pôle santé publique de Marseille . - Sans trahir le secret de l'instruction des affaires instruites au sein de mon cabinet - je pense notamment à deux énormes dossiers qui concernent les mêmes protagonistes - je peux mentionner qu' il existe actuellement des trafics organisés à l'échelle internationale, dans toute l'Union européenne, avec des ramifications à l'étranger , jusqu'en Afrique du Sud ; le même personnage se trouve à la tête de deux réseaux. Or, il continue de trafiquer en toute impunité, car les autorités judiciaires nationales qui pourraient travailler sur ce type de trafics ne voient pas l'intérêt de travailler avec les autorités françaises, notamment parce que l'un de leurs ressortissants se trouve à la tête du réseau. Des considérations économiques donc priment sur la sécurité sanitaire.
Nous observons dans ces deux dossiers un dévoiement total de la réglementation sur les importations parallèles , qui consiste à accorder à une personne l'autorisation d'importer puis de réexporter un produit qui a son équivalent dans le pays d'origine et dans le pays destinataire. Lorsqu'une autorisation est délivrée, le contrôle à l'entrée se limite nécessairement à un contrôle documentaire. Il est interdit, dans ces situations, de procéder à des analyses. La traçabilité des produits n'est pas vérifiée au nom du principe intangible de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence. Cependant, certains trafiquants utilisent cette règlementation pour faire entrer sur le territoire des produits dont on ignore l'origine et faussement étiquetés comme des produits autorisés. Il s'agit parfois de produits retirés du marché puis remis en vente avec un faux étiquetage et une fausse appellation pour éviter les frais de destruction, très élevés.
Nous connaissons parfois l'origine de ces produits parce que nous avons découvert l'identité de leur formulateur, qui était installé en France. Il fabriquait des produits censés provenir d'autres pays. Cependant, il existe également des produits dont nous ne connaissons absolument pas l'origine. Nous avons réussi à endiguer la fraude sur le territoire français pour ces deux dossiers mais sans parvenir à couper la tête du réseau protégée par les dysfonctionnements de la coopération judiciaire internationale . En effet, l'intéressé prend garde à ne pas commettre d'acte délictueux dans son pays, l'Allemagne, où l'on ne voit donc pas l'intérêt de prendre des mesures à son encontre.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment les fabricants de produits phytosanitaires en Allemagne réagissent-ils au vu de cette situation ?
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Les entreprises connaissent cette réalité, puisqu'elles sont parties civiles dans le dossier. Néanmoins, elles participent fort peu à la procédure pénale et sont réticentes lorsque nous les contactons pour obtenir des informations complémentaires, craignant sans doute de communiquer des éléments sensibles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le volume de produits concerné est-il important ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Lorsque j'ai pris la direction de la brigade en 2005, la direction générale de l'alimentation (DGAL) s'intéressait à l'importation parallèle. Un collègue dénonçait un système de blanchiment de produits appartenant à des firmes. La cellule phytosanitaire fut créée deux ans plus tard. L'ampleur du phénomène était telle que nous avions besoin de trois ou quatre personnes à temps plein sur ce sujet. Pour comprendre la logique du marché nous avons rencontré trente à quarante distributeurs par an. Nous avons donc pu faire le tour du dossier, recouper les éléments et les transmettre au pôle de santé publique de Marseille. Ces enquêtes ont permis de comprendre un certain nombre de mécanismes : quatre ou cinq réseaux coexistent en Europe, imbriqués les uns dans les autres. Ces délinquants ont été chassés de l'hexagone mais l'importation parallèle se poursuit ailleurs en Europe.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les grands réseaux que vous évoquiez n'exercent donc plus en France ?
Mme Annaïck Le Goff . - Les personnes impliquées ont été mises en examen et contrôlées. Cependant, elles continuent leurs activités de blanchiment ailleurs.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Le climat français a refroidi les trafiquants. S'agissant des firmes, nous nous heurtons au secret de fabrication. Nous avons averti les groupes des risques qu'ils encouraient s'ils venaient à être confondus. Les actions menées en 2007 ont suffi à les dissuader de revendre leurs restes de produits.
Mme Sophie Primas , présidente . - Faites-vous allusion à l'ensemble des entreprises de la chimie ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Les entreprises avaient parfois recours à l'importation parallèle pour écouler leurs fins de stocks. Elles ont mis un terme à ces pratiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - S'agissait-il de produits interdits ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Non. Les entreprises commercialisaient leurs propres produits, mais en vrac. Nous avons donc estimé que le produit qui faisait l'objet d'une importation parallèle devait être mis sur le marché français avec un double étiquetage et dans son emballage d'origine.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les produits provenaient-ils des firmes elles-mêmes ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Oui, mais ils étaient vendus en vrac. Les industries phytopharmaceutiques fabriquent du volume conditionné et étiqueté pour le marché final dans tel ou tel pays. En France, il était initialement impossible de mettre sur le marché un produit qui n'était pas conditionné dans son emballage d'origine. Les produits étaient ré-étiquetés en France. Les contrôles ont poussé les entreprises à vendre les produits dans leur emballage. Les personnes qui font de l'importation parallèle et qui trichent n'achètent pas leurs produits conditionnés chez les firmes. Elles fabriquent les produits et imitent les emballages. C'est de la contrefaçon.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Vous avez employé le terme de « blanchiment ». Qu'entendez-vous par là ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - L'importation parallèle consiste, par exemple, à vendre en France un produit Bayer allemand sous le nom de Bayer . Il s'agit du même produit, qui bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) en Allemagne et d'une autre en France. Au titre de la libre circulation, ce produit est ré-étiqueté en France pour que l'étiquette soit lisible. Les trafiquants utilisent ce mécanisme commercial autorisé pour faire de la contrefaçon. Ils prétendent ainsi vendre un produit Bayer .
Mme Sophie Primas , présidente . - Une contrefaçon bien faite ne nécessite-t-elle pas une véritable industrie ?
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Dans l'un des dossiers que j'instruis, le formulateur qui travaille pour ces trafiquants est également celui des grandes firmes comme Bayer . Il s'agit du meilleur et du seul formulateur en France. Nous avons procédé à des analyses toxicologiques de ses produits. Nous avons trouvé quelques impuretés, mais rien de significatif. Cependant, les produits sont des contrefaçons dès lors qu'ils ne sont pas fabriqués par la firme, ni à sa demande.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Lorsque nous évoquons des contrefaçons, nous faisons allusion à des copies. Les entreprises phytopharmaceutiques sont venues, à notre demande, nous expliquer leurs secrets d'étiquetage. Cela nous a permis d'identifier les fraudes. Venir à la brigade d'enquêtes phytosanitaires leur est plus facile que rencontrer les représentants du pôle de santé publique.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Les firmes ne veulent pas dévoiler ce type de secrets dans le cadre de l'enquête judiciaire, car les informations données sont consignées dans des dossiers portés à la connaissance des personnes appréhendées. Ces dernières pourraient alors utiliser ces informations à l'occasion de fraudes ultérieures. C'est pourquoi les entreprises sont réticentes à nous communiquer certaines informations.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Nous nous sommes rendus à la direction générale santé et consommateurs (DG SANCO) pour exposer les difficultés que nous rencontrons dans l'exercice de nos fonctions. Nous y avons été chaleureusement accueillis. De nouveau, nous avons évoqué la nécessité de disposer de laboratoires d'analyses à l'échelle communautaire, sachant que ces derniers doivent être performants et coûtent cher . Par ailleurs, un représentant de la DG SANCO a suggéré qu'il était inutile de mobiliser des moyens pour lutter contre des copies bien faites... Or, nous ne pouvons jamais être certains que les copies soient de qualité. En outre, les sociétés phytopharmaceutiques, qui ont une image à défendre, dédommagent d'éventuelles victimes, alors que les réseaux qui effectuent des copies n'assument aucune responsabilité.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Dans le dossier que j'évoquais, nous avons eu affaire à une erreur. L'étiquetage correspondait à un produit fongicide, alors que l'emballage contenait le principe actif d'un insecticide. Les précautions d'usage rapportées sur l'étiquette ne correspondaient donc pas à la substance vendue. Ces produits sont fabriqués dans des laboratoires clandestins dont nous ignorons parfois les pratiques.
Mme Sophie Primas , présidente. - Si je comprends bien, il existerait des trafics de « vrais produits » étiquetés par d'autres acteurs que celle d'origine, et des trafics de « faux produits » ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Certains produits contiennent des résidus plus importants que la quantité autorisée, et sont par conséquent plus toxiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le formulateur dont vous avez parlé est-il conscient de participer à de la contrefaçon ?
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Oui, mais il n'en dit rien. Il est reconnu au niveau national et international.
Colonel Bruno Manin, OCLAESP . - Nous observons le même fonctionnement dans des firmes chinoises ou indiennes. Leur formulateur fabrique des médicaments tant pour la vente réglementée que pour la contrefaçon.
Mme Laurence Larhant, service national des douanes judiciaires (SNDJ). - Je travaille dans un service douanier de police judiciaire spécialisé dans certains domaines économiques et financiers. Son champ de compétences recoupe la thématique environnement et santé publique. Nous avons traité plusieurs affaires qui nous avaient été transmises par les pôles de santé publique, mais également par d'autres tribunaux de grande instance. Nous avons été saisis en matière de pesticides, la plupart du temps à la suite de constats administratifs réalisés par la BNEVP.
Je souhaite formuler quelques observations tirées de l'expérience du service douanier de police judiciaire. La technicité et la complexité de la règlementation sont réelles, mais les personnes physiques ou morales mises en cause n'invoquent jamais la méconnaissance du droit applicable. Vous avez posé une question sur les quantités concernées. Les dossiers de pesticides que nous avons traités couvraient deux thématiques : l'étiquetage ou la contrefaçon de marque . Les quantités sont très variables. Dans les dossiers d'AMM et de double étiquetage, elles varient entre quelques kilogrammes et plusieurs tonnes Dans l'affaire de contrefaçon issue du tribunal de grande instance de Bordeaux, nous étions confrontés à 1 million de litres de produits en provenance d'Afrique du Sud et d'Allemagne.
La question de la qualité des produits va de pair avec celle des analyses et leur prix. Je me souviens d'un dossier dans le cadre duquel, suite à l'enquête préliminaire, les enquêteurs judiciaires soupçonnaient des infractions qui méritaient d'être confirmées par des analyses. Il me semble que le parquet a renoncé à y procéder pour des raisons de coût.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Les analyses coûtent environ 3 000 euros et peuvent constituer des machines à perdre. Dans un dossier d'AMM, seules les impuretés au-delà d'1 % sont prises en compte dans l'évaluation de la toxicité. Les firmes savent que certains produits ne sont pas issus de leurs usines, car elles procèdent à un important travail de purification. Mais les choses sont en train d'évoluer, puisque les firmes inscrivent désormais des marqueurs précis dans les dossiers d'AMM.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les produits vraiment autorisés sur le marché ont-ils un étiquetage sécurisé et des marqueurs spécifiques ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - C'est le système vers lequel nous tendons.
Mme Sophie Primas , présidente . - N'avez-vous pas la possibilité financière de procéder aux analyses ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Le dossier déposé auprès de l'ANSES doit préciser que le marqueur correspond au produit.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Si vous deviez formuler des recommandations, préconiseriez-vous la création d'un laboratoire d'analyse communautaire ?
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Je suggèrerais également que les firmes prévoient des marqueurs déclarés auprès des agences d'évaluation , soumises au secret professionnel.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Il faudrait mettre en place un enregistrement qui permettrait de faire foi, comme cela se fait en matière de brevets ou de marques. Nous pourrions alors avoir accès à l'enregistrement et vérifier si les produits litigieux sont conformes à l'enregistrement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pourquoi les firmes ne s'inquiètent-elles pas outre mesure de la contrefaçon ?
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Les firmes sont réticentes vis-à-vis de la procédure judiciaire car elles ne veulent pas livrer certaines informations.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le secret industriel est-il le seul facteur de réticence ?
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Oui.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Nous avions envisagé de solliciter les secrets d'étiquetage des firmes dans le cadre d'une réunion de l'UIPP, mais nous nous sommes heurtés à une fin de non-recevoir. Les secrétaires des firmes nous ont indiqué que les firmes n'accepteraient que des rendez-vous en tête à tête.
Mme Laurence Larhant, service national des douanes judiciaires (SNDJ) . - Je souhaite revenir sur les difficultés de la coopération judiciaire internationale . Elle est parfois longue, difficile et hasardeuse mais le SNDJ a eu des expériences heureuses en la matière, notamment à l'occasion d'une commission rogatoire internationale délivrée aux autorités belges. Des enquêteurs, officiers de douane judiciaire, se sont déplacés. Nous avons probablement bénéficié de la conjonction d'éléments intéressants : la détermination du juge d'instruction et les efforts de la douane judiciaire pour envoyer des enquêteurs sur place. Ces éléments ont permis d'établir l'implication de plusieurs personnes physiques en France et ailleurs en Europe.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - J'insiste également sur la détermination des enquêteurs de l'office, qui se sont déplacés à chaque fois, notamment aux Pays-Bas, en République tchèque - où ils ont été très mal accueillis -, en Suisse, à Monaco, et au Luxembourg. Certains pays ne coopèrent pas, notamment pour des questions de procédure.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - N ous travaillons très bien avec les Slovaques pour combattre les trafics de chiens. La coopération avec les Hollandais est plus délicate.
Mme Sophie Primas , présidente . - Lorsque ces produits sont en France, qui les achète, comment, par quels circuits de distribution ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment s'organise la vente de ces produits ?
M. Frédéric Vey . - A l'occasion de contrôles réalisés chez les utilisateurs, nous avons appris que les agriculteurs habitant près des frontières les franchissent pour aller s'approvisionner hors de France. Par ailleurs, des opérateurs effectuent des commandes groupées depuis la France et distribuent ensuite les produits chez les agriculteurs.
M. Maurice Boureau, BNEVP . - Ces opérateurs sont des groupements d'agriculteurs. Ils peuvent être des groupements d'intérêt économique mais également des groupes informels. Les achats sont réalisés directement par les utilisateurs.
S'agissant de la distribution à proprement parler, il convient de distinguer plusieurs catégories de distributeurs sur le territoire. Ces derniers recherchent des prix qui leur permettent d'avoir un avantage concurrentiel. Ils s'approvisionnent donc auprès des sociétés qui proposent des produits d'importation parallèle mais lorsque les produits ne sont pas les bons, ces acheteurs se font rouler. Ces acheteurs, coopératives ou négociants ayant pignon sur rue, recherchent un avantage concurrentiel à tout prix.
Mme Sophie Primas , présidente . - En cas d'importation parallèle, n'existe-t-il aucune obligation d'analyse ?
M. Maurice Boureau, BNEVP . - Non, nous n'avons pas le droit de procéder à des analyses.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Les textes recommandent d'éviter les analyses.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A qui les négociants achètent-ils ces produits ?
M. Maurice Boureau, BNEVP . - A des sociétés d'import-export spécialisées dans l'importation parallèle. Elles se situent en Allemagne, en Angleterre, parfois en France.
Mme Sophie Primas , présidente . - Si une infraction est constatée, les distributeurs n'ont-ils aucune responsabilité à assumer?
M. Maurice Boureau, BNEVP . - Peu de jugements ont été prononcés pour l'instant. Nous verrons comment se dérouleront les audiences de l'année prochaine. Nous pouvons supposer que les distributeurs se verront attribuer certaine responsabilité, mais il y a fort à parier qu'elle restera modeste.
Colonel Bruno Manin, OCLAESP . - Ces trafics sont attractifs, car de minimes prises de risques procurent des gains immenses. Les trafiquants encourent au maximum 75 000 € d'amende alors que le trafic leur permet de gagner des centaines de milliers d'euros.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je résume vos propos : il existe des sociétés d'import-export connues et spécialisées dans le commerce parallèle. Des distributeurs et des négociants connaissent ces sociétés et leur achètent des produits parce qu'ils sont moins chers. Peu leur importe en outre d'être appréhendés par la justice, les amendes étant dérisoires au regard des gains espérés.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - L'importation parallèle est légale. Dans ce cas, seul le contrôle documentaire est possible lors de l'introduction des produits. Nous n'analysons rien et ne vérifions pas l'identité du fabricant. Mais les distributeurs nous disent : pourquoi voulez-vous que nous vérifiions ces produits si l'administration elle-même s'en abstient ?
Mme Jacqueline Plantier, direction générale des douanes (DGD) . - Pour un douanier, le terme d'importation peut être assez impropre. En 2011, 185 000 tonnes de pesticides ont été introduites sur le territoire national . La libre circulation des produits interdit à la douane de contrôler les introductions, c'est-à-dire les produits provenant d'un Etat de l'Union européenne. Quant aux importations représentent 32 000 tonnes de produits, soit 15 % des volumes entrés sur le territoire national.
Mme Laurence Larhant, SNDJ . - Les introductions proviennent des Etats de l'Union européenne, tandis que les importations proviennent des pays tiers. De même, la règlementation distingue les expéditions et les exportations.
Mme Jacqueline Plantier, DGD . - Que fait la douane à l'importation , c'est-à-dire pour 15 % des flux ? L'importation nécessite une déclaration en douane de la part d'un déclarant. Le déclarant effectue cette déclaration via un code produit, initialement créé pour simplifier la taxation à l'importation. Dans ce cadre, le déclarant peut signaler qu'il est, ou non, soumis à la règlementation phytopharmaceutique. Les douanes peuvent alors vérifier l'AMM et la conformité de l'étiquetage par un contrôle physique et documentaire.
Lorsque nous réalisons des analyses, celles-ci ont vocation à vérifier que le produit est bien taxé. Par ailleurs, il convient de noter qu'un produit ne peut pas entrer sur le territoire national tant que l'analyse n'est pas terminée. Le coût de stockage s'ajoute donc au prix de l'analyse.
Pour autant, nous avons effectué 354 contrôles à l'importation (documentaires ou physiques) en 2011. En outre, nous avons procédé à 82 analyses et relevé 29 non conformités douanières. Jusqu'à présent, aucune non-conformité liée à la règlementation des produits phytopharmaceutiques n'a été constatée .
Mme Sophie Primas , présidente . - Les produits importés sont-ils donc susceptibles d'être analysés, contrairement aux produits introduits ?
Mme Jacqueline Plantier, DGD . - La DGDDI ne peut contrôler que les importations en provenance de pays tiers. Les analyses demandées par les bureaux des douanes sont réalisées par le service commun des laboratoires, rattaché conjointement à la DGDDI et à la DGCCRF. Dans le cas des introductions, c'est la DGCCRF qui intervient.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - Aujourd'hui, la quasi-totalité des matières actives importées provient d'Inde ou en Chine . Les 15 % de produits évoqués sont à notre avis des produits stables. Les copies sont fabriquées à partir de la matière active importée via l'Allemagne ou la Hollande sous forme de produits chimiques, non de pesticides. Les produits ne sont donc pas contrôlés comme pesticides. Cette matière active ne sert à rien tant qu'elle n'est pas formulée.
Les copieurs formulent en Allemagne, en Angleterre et en Belgique ; ils reproduisent les produits Bayer BASF à partir de la matière active qui est légalement entrée sur le territoire européen. Nous ne pouvons pas demander aux douaniers de contrôler des produits qui ne peuvent pas l'être.
Les copieurs , qui avaient l'habitude de formuler et d'étiqueter au même endroit, ont trouvé une nouvelle technique. Ils se fournissent en matière active, par exemple, à Rotterdam, la font formuler en Belgique, conditionner en France, puis, éventuellement, étiqueter en Angleterre pour obtenir un produit d'importation parallèle destiné à la Lituanie. Ainsi, nous n'avons pas toujours les moyens d'agir sur le réseau.
Mme Bernadette Bourzai , sénateur . - Je suis surprise parce que vous n'avez pas du tout évoqué le cas de l'Espagne , un pays dont les personnes auditionnées nous ont beaucoup parlé.
M. Dominique Julien, BNEVP . - La règlementation est en train d'évoluer ; je crois que les agriculteurs ont anticipé ce changement. Ils peuvent désormais aller acheter leurs produits à titre personnel en Espagne. Cette possibilité nécessite des conditions bien précises : le produit doit être issu d'une importation parallèle et la matière active et les usages doivent être autorisés en France.
Cette possibilité fait beaucoup de bruit parce que l'Espagne est liée au Sud de la France. Certains produits vendus en Espagne n'ont pas d'AMM en France. Certaines matières actives sont interdites en France, mais autorisées en Espagne. D'autres sont interdites au niveau communautaire. La différence de prix explique le trafic. Cette différence est notamment liée à la redevance sur la pollution diffuse (RPD) , calculée au prorata de la dangerosité du produit et qui peut représenter près de 40 % de différence pour les produits classés « T+ ». Enfin, on franchit aisément la frontière.
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - La situation décrite ne correspond pas à un trafic. Dans le cas de l'Espagne, les agriculteurs vont eux-mêmes chercher des produits. Il n'y a pas d'organisation délinquante susceptible de préoccuper le pôle de santé publique.
Colonel Bruno Manin, OCLAESP . - Vous avez raison. Cependant, les petits ruisseaux font les grandes rivières. Au final, les volumes sont conséquents.
Me Bernard Fau . - Le trafic entre l'Espagne et la France a été le premier à l'origine d'un contentieux judiciaire. Instruit au tribunal de grande instance de Saint-Gaudens, puis à la cour d'appel de Toulouse, il n'impliquait pas seulement des individus agriculteurs. En effet, l'instruction a mis en évidence deux structures organisées qui avaient leur siège sur le territoire national, s'approvisionnaient en gros en Espagne et distribuaient les produits sur le territoire français. Les profits étaient importants pour les raisons évoquées.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle était la nature de ces structures ?
Me Bernard Fau . - L'une était une société commerciale, l'autre était un groupement associatif d'agriculteurs. Les deux brassaient des volumes très importants. Le trafic avec l'Espagne est consistant , car la frontière avec ce pays est l'une des plus faciles à franchir. Par ailleurs, le marché phytopharmaceutique dans le Lot-et-Garonne et la région toulousaine est potentiellement considérable. L'intervention musclée des juges d'instruction a permis d'éradiquer provisoirement ce trafic.
Cependant, le résultat judiciaire, qui peut constituer un signal à destination des délinquants, a été désolant : les sanctions prononcées n'ont été que de petites peines d'amendes, les plus élevées avoisinant 2 000 €. Une seule peine d'emprisonnement avec sursis a été prononcée à l'encontre de l'un des délinquants, qui avait refusé de comparaître. Le signal judiciaire est dérisoire et l'exemplarité médiocre au regard de l'importance des atteintes à l'environnement ou à la santé.
M. Henri Tandonnet . - Les visites effectuées dans le Lot-et-Garonne nous ont rassurés car nous avons rencontré des professionnels compétents. Ayant eu à connaître d'affaires d'importation en tant qu'avocat, je me souviens de la grande incertitude qui planait sur l'origine des produits.
Les grandes entreprises de produits chimiques ne souhaitent probablement pas mettre en place des marqueurs, parce qu'elles trouvent un intérêt à vendre leurs produits dans différents pays, sous des marques différentes et à des prix très différents. De la sorte, nous ne savions jamais d'où venaient les produits vendus en Espagne, s'ils provenaient du Brésil ou d'Allemagne.
Me Bernard Fau . - Je pense que le signal judiciaire que j'évoquais plus tôt est important à plusieurs titres, et tout d'abord d'un point de vue social. En effet, il est important que les autorités judiciaires montrent que ce type d'infractions est grave. Le législateur a d'ailleurs classé ces infractions parmi les plus graves et institué des peines d'emprisonnement importantes et des amendes lourdes.
Un signal faible est néfaste pour le fonctionnement de l'administration, car les fonctionnaires en charge de la constatation des faits sur le terrain et ceux chargés de l'instruction des dossiers administratifs préalable s à la saisine des parquets sont désolés de voir qu'un travail souvent considérable aboutit à un résultat inconsistant. Il en va de même pour les quelques magistrats instructeurs qui ont connu ces dossiers. Il y a là un défaut de conscience des parquets concernant la gravité de ces infractions, leurs conséquences sur la santé humaine ou animale et sur la protection de l'environnement.
Mme Laurence Larhant, SNDJ . - La problématique des sanctions recoupe celle de la responsabilité.
Clarifions d'abord le type d'infraction dont nous parlons. En matière de pesticides, de nombreux codes peuvent être appliqués : le code rural, ceux de l'environnement, de la consommation, de la propriété intellectuelle et celui des douanes pour les infractions de contrebande mais aussi pour les contrefaçons. Ainsi, une multiplicité d'ensembles juridiques peut apparaître dans une même affaire. Les sanctions encourues sont variables et peuvent aller de quelques mois de prison ou de faibles amendes pour des infractions au code rural, à dix ans d'emprisonnement pour une infraction de contrebande commise en bande organisée.
Les responsabilités doivent également être distinguées : un individu est-il responsable de détenir, de vendre, d'avoir acheté, d'avoir importé des produits illicites ?
Colonel Bruno Manin, OCLAESP . - Tous les tribunaux de grande instance peuvent être confrontés à des affaires de produits phytosanitaires. Cependant, tous ne veulent pas traiter ces affaires ou n'en seront pas capables. Dans certaines régions rurales, les tribunaux craignent les conséquences d'une affaire susceptible de nuire à l'activité agricole locale. Dépayser les affaires en les transférant à des pôles de santé publique permet d'avoir les coudées plus franches.
En outre, il faut trouver un lien de cause à effet entre les formulations et les pathologies , prouver que tel produit a bien causé la maladie de tel agriculteur. L'exercice est souvent difficile, car nous sommes fréquemment confrontés à des cocktails de produits. Il devient alors impossible d'incriminer un produit précis. L'agriculteur, victime, ne saura vers qui se tourner, d'autant plus s'il n'a pas utilisé d'équipement de protection !
La BNEVP travaille actuellement sur le carbofuran , un produit interdit depuis 2008 mais encore utilisé. Il est responsable de l'empoisonnement de plusieurs animaux. Trois vautours sont morts en Ariège.
Mme Bernadette Bourzai , sénateur . - Des chiens ont été empoisonnés dans la région d'Égletons.
Colonel Bruno Manin, OCLAESP . - Il convient de distinguer l'empoisonnement du trafic de produits phytosanitaires, qui se retrouvent dans l'assiette du consommateur.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - Nous sommes peu nombreux à être spécialisés en santé publique. Nous nous formons souvent sur le tas, faute de formation continue pointue sur le sujet.
Nous sommes une quinzaine de magistrats à travailler sur ces dossiers. Le dossier que j'évoquais tout à l'heure compte treize tomes et n'est pas terminé. Il renvoie également à une règlementation complexe. La seule juridiction de jugement spécialisée se trouve à Paris. Les affaires de Marseille sont traitées par la chambre financière.
Me Bernard Fau . - Au cours des années à venir, le législateur devra unifier les normes pénales relatives à la santé publique et à l'environnement.
S'agissant des produits phytopharmaceutiques, le législateur a établi dans l'article L. 253-17 du code rural, à l'instigation de la directive européenne d'origine (directive 91/414), une déclinaison exhaustive de toutes les hypothèses de méconnaissance du droit des AMM, de la circulation, de la commercialisation et de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Les peines vont jusqu'à plusieurs années d'emprisonnement. D'autre part, le droit pénal est également applicable aussi aux personnes morales. Selon ces textes, nul besoin d'établir un lien de causalité entre un dommage et une faute. La faute commise suffit à motiver la sanction pénale.
Cependant, il faut être conscient du problème de lisibilité touchant ces normes de sanctions ; on peut comprendre le désarroi du magistrat face à un corpus de règles immense et peu familier. Il se raccroche donc en définitive aux infractions du droit pénal qu'il connaît. Les conséquences sont dommageables pour le système judiciaire, soit parce que l'infraction ne peut pas être poursuivie, soit parce que le dossier aurait nécessité une expertise qui aurait ruiné le tribunal.
La complexité de la législation pénale est difficile à appréhender pour des non spécialistes. L'ensemble ne contribue pas à l'efficacité du système.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle serait votre préconisation d'organisation ?
Maître Bernard Fau . - Tout d'abord, il faudrait réunir au sein d'un corpus unique des règles lisibles et accessibles à tous les professionnels . Ce corpus pourrait constituer un supplément au code pénal.
Les gardes des Sceaux précédents ont créé la spécialisation des juridictions et les pôles de santé publique de Paris et Marseille. Cette spécialisation des pôles doit être renforcée. Je ne suis pas certain de la nécessité de multiplier les pôles, la dilution entraînant la déspécialisation.
Enfin, je préconise d' introduire dans les enseignements dispensés aux magistrats un cours pratique du droit de la santé publique et de l'environnement . Les magistrats auront ainsi le réflexe de poursuivre, de rechercher et de trouver les instruments du droit qui leur sont utiles. En bout de chaîne, ils pourront sanctionner.
La sanction est essentielle. Lorsque le jugement est rendu avec une sanction banale, les magistrats qui ont instruit le dossier repartent désolés en pensant à ce résultat modeste. La question est celle de l'adéquation de la sanction à la gravité de la faute, au regard du référentiel de peines prévu par le législateur.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le risque économique pris par le trafiquant entre-t-il également en jeu ?
Me Bernard Fau . - Alors que nous pensions avoir rencontré toutes les situations possibles au cours des quinze dernières années, nous venons de faire face à un cas inouï.
Vous savez que le droit pénal de l'environnement et de la santé publique est, par excellence, le domaine permettant la mise en cause pénale des personnes morales. Or, une société vient de dissoudre l'une de ses filiales cinq jours après l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction afin de mettre un terme à l'action publique. Le parquet a réagi avec vigueur en demandant au tribunal correctionnel de surseoir à statuer le temps que le procureur de la République demande au tribunal de commerce d'annuler la dissolution de la société. Cette situation met en évidence un vide législatif : il n'existe actuellement pas de moyen juridique de parer à la disparition volontaire du prévenu . Il s'agit-là d'un cas unique. La jurisprudence de la Cour de cassation assimile la disparition d'une société à la mort du prévenu, ce qui met un terme à l'action publique.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ne peut-on remonter jusqu'à la maison mère ?
Me Bernard Fau . - Pas après la fin de l'instruction pénale. Dans un souci d'apaisement, le juge d'instruction n'avait pas souhaité mettre en cause la personne physique du dirigeant. Les magistrats du parquet de Paris en charge du dossier sont très remontés. Ils ont décidé qu'il n'y aurait plus de mise en cause d'une personne morale sans mise en cause d'une personne physique.
Mme Annie Ortet, DGCCRF . - Les contrôles de la DGCCRF dans le domaine phytopharmaceutique n'appréhendent pas la fraude telle qu'évoquée aujourd'hui, dans le cadre de circuits organisés. La DGCCRF doit vérifier la fidélité de l'étiquetage des produits à l'AMM délivrée pour leur usage. Dans certains cas, cette fidélité n'est pas respectée. Un produit peut, par exemple, être présenté, d'après son étiquetage, comme un engrais ou comme un stimulateur de croissance, alors qu'il est phytopharmaceutique. Ainsi, le produit n'est pas présenté comme dangereux, ni pour les plantes, ni pour l'utilisateur.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Les firmes valident-elles ces étiquettes ?
Mme Annie Ortet, DGCCRF . - Absolument. Les étiquettes ne sont pas toujours extrêmement explicites, mais elles suggèrent que le produit dispose de certaines propriétés.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle est la nature de l'amende prévue pour ce type de fraude ?
Mme Annie Ortet, DGCCRF . - Les mentions de l'étiquetage peuvent être considérées comme de la publicité induisant le consommateur en erreur. Si nous prouvons que l'induction en erreur est intentionnelle, nous pouvons considérer que la firme est coupable de tromperie. Nous pouvons retenir trois possibilités graduées d'infraction.
Quant à l'étiquetage des produits phytopharmaceutiques, la DGCCRF contrôle également le respect de la règlementation relative aux substances dangereuses et la présence de pictogrammes de danger . Si la firme n'a pas apposé les pictogrammes correspondant au danger, les consommateurs n'ont pas conscience de la dangerosité des produits. Or, les jardiniers du dimanche sont de plus en plus nombreux.
Mme Sophie Primas , présidente . - Effectuez-vous des contrôles sur le stockage de ces produits ? Constatez-vous de nombreuses infractions ? En outre, il est nécessaire de compter du personnel formé dans les magasins qui vendent ces produits. Cette règle est-elle toujours respectée ?
Mme Annie Ortet, DGCCRF . - Nous vérifions que le distributeur dispose bien d'un agrément et qu'il tient à jour le registre des ventes des produits phytopharmaceutiques et les conditions de stockage de ces produits. Nous constatons fréquemment, pour la vente au détail, que la rotation de certains produits n'est pas rapide. De ce fait, certains produits mis en vente sont trop anciens et ne sont donc plus conformes aux AMM .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Disposez-vous des moyens nécessaires pour réaliser les contrôles qui s'imposent ?
Mme Annie Ortet, DGCCRF . - Nous réalisons des contrôles au niveau des directions départementales de la prévention et de la protection (DPP) ou des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DCSPP). Je pense que nous réussissons à nous faire une idée des produits offerts à la vente de détail et que nous appréhendons la plupart des grandes enseignes qui vendent ce type de produits. Lorsqu'un magasin d'une grande enseigne est épinglé, les autres font davantage attention.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles seraient vos recommandations ?
M. Frédéric Vey, direction générale de l'alimentation du ministère en charge de l'agriculture, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux . - Il faut mentionner le dispositif d' agrément des distributeurs , que nous avons longuement évoqué. Ce dispositif, qui existe depuis 1992, ne concernait jusqu'alors que les distributeurs de produits classés T, T+ et CMR. Or, il vient d'être rénové et concerne désormais tous les distributeurs de produits et les conseillers à l'utilisation des produits.
Les conditions d'obtention de l'agrément ont également changé. Il fallait jusqu'alors qu'une personne sur dix soit certifiée dans l'entreprise, mais aussi que l'entreprise détienne une assurance responsabilité civile. Désormais, l'entreprise doit également être certifiée par un organisme tiers. Pour obtenir cette certification, 100 % du personnel doit disposer d'un certificat individuel, obtenu après une formation ou un test.
Mme Annaïck Le Goff, pôle de santé publique de Marseille . - En tant que magistrat, je constate les dégâts induits par la libre circulation des produits . Si un minimum de contrôles était réalisé en amont, il serait plus difficile pour les trafiquants d'introduire des produits frauduleux sur le territoire français. Il serait souhaitable d' obtenir au minimum une traçabilité du produit d'importation parallèle , qui doit être fabriqué par la firme d'origine, une société sous licence ou une société contractante.
L'idée de sensibiliser les importateurs et les distributeurs à ce type de fraudes mérite également d'être développée. Il convient de leur rappeler les dangers encourus par les utilisateurs finaux et les problèmes de santé publique en jeu. Il faut faire de l'information et de la pédagogie auprès des distributeurs, pour qui ces produits à bas prix constituent une aubaine.
Colonel Bruno Manin, OCLAESP . - J'évoquerai brièvement la fraude par Internet , où certains proposent des produits plus ou moins légaux. Il existe également des forums, sur lesquels les agriculteurs doivent trier les informations. Le pire, ici, côtoie souvent le meilleur. Nous avons mis en place un service de cyber veille et de cyber lutte contre ces dérives.
Enfin, nous avons évoqué la possibilité de consolider le corpus juridique. En matière de médicament, nous avons créé le Médiguide. Résultat d'un travail interministériel, ce guide comporte tout ce qu'il faut savoir sur la prévention et la répression des trafics de médicaments. Nous pourrions réaliser le même type de guide pour les produits phytosanitaires .
Mme Catherine Collinet, brigade nationale d'enquêtes phytosanitaires . - La traçabilité est importante. Nous préconisons également la connaissance des lieux de fabrication et de formulation des produits. Il convient de mettre en place des sanctions et de sensibiliser les juges. Il faut mettre en place un réseau de deux ou trois laboratoires communautaires , quitte à créer une redevance pour financer les analyses post homologation et les analyses de fraudes .
Les firmes pharmaceutiques que nous avons consultées sur le sujet sont plutôt d'accord. Enfin, il existe un réseau d'alerte qui fonctionne bien dans le domaine alimentaire ou dans le domaine du médicament. Un tel système pourrait être mis en place dans le domaine des pesticides.
Me Bernard Fau . - La modification de la législation doit être le moteur d'une action renforcée des pouvoirs publics. Les dossiers que nous avons évoqués n'existent déjà plus. Nous sommes sous l'empire du règlement de 2009 qui établit la libre circulation totale des produits phytopharmaceutiques dès lors qu'ils sont autorisés dans l'un des État de l'une des trois zones définies par le règlement. La France se situe dans la zone sud, avec la Bulgarie, la Grèce, Chypre, l'Espagne, le Portugal et l'Italie. Par ailleurs, l'article 49 du règlement prévoit la libre circulation des semences traitées sans notion de zone. Leur circulation pourra donc s'effectuer sans contraintes. Corrélativement à la libéralisation de la circulation des marchandises, les pouvoirs publics doivent être renforcés pour veiller à ce qu'une certaine régulation s'établisse malgré tout sur le territoire.
Mme Annie Ortet, DGCCRF . - Nous essayons de voir comment nous pourrions faire travailler l'ANSES et le service commun des laboratoires (SCL) pour réaliser des analyses sur les produits tels qu'ils sont déposés. L'idée est que nos laboratoires puissent mieux appréhender ces formules et réaliser des analyses plus fréquentes et plus précises.
M. Roger Veillard, direction générale des douanes . - La douane à l'importation agit également sur les pesticides dans le cadre de la règlementation sur les produits chimiques avec l'interdiction absolue d'importer certains produits sur le marché communautaire. Par ailleurs, le code des douanes ne permet pas de sanctionner ni de rechercher des infractions dans les zones intracommunautaires .
Mme Laurence Larhant, SNDJ . - A mon tour, j'insiste sur les implications de la libre circulation des produits phytosanitaires dans l'espace communautaire. J'ignore s'il est nécessaire de constituer un corpus juridique unique, mais je crois beaucoup aux guides thématiques, à la constitution d'un vademecum . Par ailleurs, je me demande si l'information juridique est suffisante.
Mme Jacqueline Plantier, DGD . -La traçabilité est très importante, car elle permet de s'assurer que les produits présentés en douane correspondent bien à un produit bénéficiant d'une AMM. La douane oblige les fraudeurs à imaginer des dispositifs qui passent par d'autres États de l'Union européenne. Couplée à un contrôle en laboratoire, la traçabilité est à la base d'un bon fonctionnement du dispositif.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je retire de nos échanges que la libre circulation ne devrait pas exclure le contrôle.
M. Frédéric Vey, direction générale de l'alimentation du ministère en charge de l'agriculture, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux . - J'insiste sur l'importance du démantèlement des réseaux le plus en amont possible.
Cependant, il ne faut pas oublier l'importance des contrôles effectués chez les agriculteurs ou les utilisateurs de produits , même si le taux de ces contrôles est faible (1 % à 2 %). Les sanctions doivent être lisibles et fortes.
Enfin, il demeure compliqué d'identifier les producteurs, notamment dans l'arboriculture, les cultures légumières, la viticulture et la culture fruitière. Il est donc difficile, pour le contrôleur, d'agir de façon efficace et ciblée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci de votre participation. Les sénateurs présents ont beaucoup appris. La table ronde a mis en lumière la nécessité d'une harmonisation des AMM dans l'Union européenne.
Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé (17 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Madame la Ministre, soyez la bienvenue dans cette mission d'information et merci d'avoir répondu à notre invitation. Il nous a semblé important d'entendre l'avis du ministre de la santé sur les pesticides. Ayant entendu environ 170 personnes depuis le début du mois de mars et réalisé quatre déplacements en région, nous commençons à avoir une vue assez précise du sujet et serions heureux d'entendre votre avis, notamment sur les autorisations de mise sur le marché (AMM), qui suscitent encore quelques questionnements.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Merci. Je suis heureuse de pouvoir participer à vos travaux. Le Gouvernement est à la disposition du Parlement et des sénateurs pour contribuer à la réflexion générale et partager les pistes d'orientation. Mon ministère est disposé à poursuivre cet échange au-delà de cette audition.
Votre mission est passionnante et très utile, car nous évoquons depuis quelques années la nécessité de mieux établir le lien entre les enjeux de développement, de l'environnement et de santé. Des problématiques plus précises ont été abordées au cours des dernières années, notamment celle des perturbateurs endocriniens à travers le bisphénol A . Cette première étape a mis en avant des questions précises.
Je veux saluer votre travail, car nous avons besoin d'aller au-delà des positions générales, d'avancer pour identifier des risques spécifiques ou en écarter certains. Je le dis aussi : nous ne pouvons pas entrer dans une démarche où tout serait facteur de risque pour la santé. En l'absence d'éléments précis, d'études ou de débats politiques, il existe une tentation de faire de chaque facteur environnemental un facteur de risque pour la santé, appelant à des mesures de précautions.
Vous avez choisi de travailler sur les pesticides. Premier pays agricole de l'Union européenne, en surfaces agricoles et en production, la France est directement concernée. Elle est l'un des premiers utilisateurs de pesticides, avec 80 000 à 100 000 tonnes de pesticides consommées chaque année. Environ 90 % de ces produits sont utilisés dans le domaine agricole, ce qui ne veut pas dire qu'il faille se désintéresser des 10 % restants. Je sais que l'utilisation des pesticides est un enjeu. Je sais aussi que les agriculteurs ont réalisé, au cours des dernières années, des progrès significatifs dans le respect des contraintes environnementales.
Les risques liés à l'exposition aux pesticides comportent plusieurs dimensions : ils ont un impact sur l'environnement et peuvent affecter la santé de nos concitoyens de façon directe ou indirecte.
Pour le ministère dont j'ai la responsabilité, le premier enjeu est la réduction de l'exposition aux pesticides . A l'échelle communautaire, la France doit être à l'initiative d'une plus large mobilisation et doit réfléchir à la révision des AMM , qui semblent aujourd'hui insuffisamment précises et protectrices. Je pense également à l'instauration d' un cadre commun communautaire permettant une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Ces enjeux, à l'échelle communautaire, sont également portés et traités par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Ils ont un impact sur les travailleurs qui manipulent ces produits et sur les personnes exposées. Avec Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, nous avons exprimé l'intention d'avoir une action mieux concertée sur ces questions.
La réduction de l'exposition aux pesticides se joue largement au niveau communautaire mais également à l'échelon national, dans plusieurs plans d'actions centrés sur la santé. Pour l'ensemble des plans, j'identifie un point de vigilance : la mise en oeuvre effective des volets sanitaires nécessite une coordination et une implication plus marquée des politiques de santé. Il existe une série de plans où les pesticides n'apparaissent que ponctuellement. L'idée est donc de renouer les fils et de conférer une cohérence d'ensemble à ces éléments disparates. Je serai attentive à ce que l'exposition aux pesticides soit abordée dans le troisième plan cancer, dont le lancement a été promis par le Président de la République.
Le deuxième enjeu pour le ministère de la santé est de préciser les liens entre l'exposition aux pesticides et l'apparition de certaines pathologies professionnelles. A cette fin, la direction générale de la santé (DGS) a saisi l'INSERM en novembre 2009 afin de réaliser une expertise collective portant sur l'impact des pesticides sur la santé . Parmi les axes de travail de cette expertise, j'accorde une attention particulière aux femmes enceintes et aux enfants. Les conclusions de cette expertise doivent permettre d'identifier les lacunes de la règlementation. Depuis le 6 mai 2012, un décret reconnaît officiellement le lien entre les pesticides et la maladie de Parkinson. Cette pathologie a été inscrite dans le tableau des maladies professionnelles pour les agriculteurs. Je me félicite de cette avancée. Les résultats de l'expertise collective aideront à mieux caractériser les maladies professionnelles liées aux pesticides dans la filière agricole.
Le troisième enjeu, pour le ministère de la santé consiste à mieux caractériser l'exposition de la population aux pesticides et ses effets sanitaires. J'attache une attention particulière aux travaux portant sur les perturbateurs endocriniens. L'exposition aux pesticides a des impacts directs en milieu professionnel, mais aussi des conséquences environnementales et, par ricochet, sanitaires pour toute la population. Nous devons prendre en compte la présence des pesticides dans l'eau et dans l'air, leur utilisation domestique avec le regain d'intérêt pour le jardinage.
Je terminerai en évoquant trois sujets auxquels j'attache une importance particulière. Les perturbateurs endocriniens doivent être examinés au niveau européen. L'ANSES a été chargée en 2012 de produire une évaluation globale des expositions et des risques induits par ces substances complétant les travaux de l'INSERM. Je souhaite également replacer la santé au coeur de la gouvernance des plans et expertises qui traitent des risques liés aux pesticides. Enfin, je souhaite établir une plus grande cohérence entre les différents plans et programmes mis en place (le plan national santé, le plan national santé-environnement, le plan national travail, le plan Ecophyto 2018) car leurs objectifs sont parfois redondants. Une remise à plat permettrait sans doute de mieux visualiser les résultats obtenus et de dégager des orientations communes pour préserver la santé de nos concitoyens.
Nous devons donc repenser l'utilisation des pesticides, encourager l'évolution des pratiques agricoles et préserver les usagers, sans les affoler. La connaissance dont nous disposerons devra permettre de mieux faire connaître les risques et de mieux les prévenir. Je ne doute pas que les résultats de votre mission permettront d'avancer dans cette direction. Je serai très attentive à vos préconisations.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les autorisations de mise sur le marché (AMM) nous préoccupent beaucoup. Avez-vous des idées sur les actions à mener ou sur le financement de certaines recherches ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Aujourd'hui, les AMM sont délivrées par le ministère de l'agriculture, le vôtre est seulement associé à la procédure. Quelles sont vos pistes sur ce sujet ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Vous avez raison : la situation n'est pas satisfaisante. L'arrêté relatif à la mise en oeuvre de la consultation des ministres de l'agriculture, de la santé et du travail doit être réactualisé pour que le ministère de la santé soit mieux associé à la prise de décision, plus particulièrement pour ce qui concerne la population non professionnelle.
Le ministère de la santé a une double exigence : il veut être associé à l'évaluation du risque du produit et il entend être consulté pour la population non professionnelle, prioritairement pour les femmes enceintes et les enfants. Le délai de quinze jours laissé à la concertation interministérielle doit être allongé afin de nous donner le temps de rédiger des avis circonstanciés. Nous devons travailler davantage de façon interministérielle sur les pesticides de substitution, ce qui permettrait de restreindre les autorisations d'emploi de certaines molécules. Il faut également finaliser un protocole de gestion interministérielle.
En la matière, le droit communautaire repose sur une confiance très forte envers les fabricants . Pour progresser, nous devrons définir des moments clés avec des vérifications strictes en amont de ce qui fondera ensuite les AMM. Enfin, les contrôles a posteriori doivent être suffisants. C'est à ces deux conditions que la santé de nos concitoyens pourra être protégée. Aujourd'hui, les études réalisées dans le cadre des procédures d'AMM sont financées par les pétitionnaires, ce qui peut constituer un point de fragilité. Des garanties sont apportées et les études sont basées sur des protocoles expérimentaux précis validés par les instances européennes et internationales. Les expertises doivent répondre à des critères de qualité et sont approfondies par les autres États membres mais le fait que le demandeur des études soit leur financeur pose question . Nous devons donc travailler à l'échelle interministérielle et communautaire pour sécuriser au maximum l'autorisation de mise sur le marché.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des procédures de reconnaissance de maladies professionnelles sont en cours. Cependant, les dispositifs sont compliqués, les procédures longues et difficiles. Nous observons en outre une sous-déclaration importante. La MSA est d'ailleurs critiquée par les agriculteurs qu'elle est censée protéger. Pensez-vous simplifier les procédures, donner plus d'informations aux agriculteurs pour faciliter le traitement des dossiers ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Ce problème important comporte plusieurs dimensions. Je me suis réjouie tout à l'heure de l'inscription de la maladie de Parkinson dans le tableau des maladies professionnelles, qui reste pourtant très limité. Le groupe de travail sur les hémopathies poursuit sa réflexion. .
L'expertise collective de l'INSERM, dont nous attendons les résultats pour septembre 2012, devrait permettre de clarifier le lien entre l'exposition aux pesticides et d'autres pathologies. Elle facilitera l'inscription des pathologies dans le tableau des maladies professionnelles.
Le problème de la sous-déclaration est commun à tous les secteurs professionnels. La MSA précise que quarante-sept cas de maladies professionnelles liées aux produits phytosanitaires ont été reconnus entre 2002 et 2010, la plupart étant consécutifs à des intoxications aigües. Ce chiffre est ridiculement faible. Nous devons donc porter une attention renforcée à ce sujet. Enfin, j'insiste sur le rôle des médecins traitants, eux-mêmes mal informés des conséquences sanitaires de l'exposition aux pesticides alors qu'ils constituent la porte d'entrée dans le système. Nous devons mieux développer les formations de médecins sur les pathologies liées au travail et à l'environnement . Il existe des programmes ministériels concernant le développement des formations au niveau des régions.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Votre ministère envisage-t-il de créer un registre des cancers dans chaque département ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Voilà qui mérite réflexion. Le plan cancer prévoit d'améliorer le dispositif de surveillance par le recueil de données complémentaires dans les registres existants, la mise en place d'un système d'information national. Doit-il s'agir d'une compilation des registres départementaux ou d'une extrapolation des registres existants ? Nous pourrions élaborer une analyse nationale à partir des analyses régionales, importantes pour développer des politiques de prévention et de prise en charge. Ma réflexion sur ce point n'est pas aboutie. Nous devons la poursuivre dans la perspective du prochain plan cancer.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'une des difficultés à laquelle se heurtent médecins et chercheurs est l'absence de registres, mais également d'études épidémiologiques concernant le cancer. Vu la faible proportion des agriculteurs dans la population, il est très difficile de mettre en avant les liens de causalité entre expositions et pathologies. Peut-on envisager une amélioration significative du recueil des informations portant sur des pathologies autres que le cancer ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Nous pouvons réfléchir à la question. Nous nous orientons de plus en plus vers des dispositifs de surveillance sanitaire renforcée. Le suivi médical de la population active relève du ministère du travail. Pour ce qui nous concerne, l'amélioration de la surveillance épidémiologique passera par le renforcement d'outils au niveau de l'InVS. Cet institut coordonne déjà la politique de toxico-vigilance sur les produits phytopharmaceutiques et un programme de bio-surveillance humaine sur certaines substances chimiques, dont les pesticides. J'ai déjà mentionné l'expertise collective sur les pesticides conduite par l'INSERM.
Ainsi, l'idée d'une surveillance épidémiologique renforcée doit être exploitée. La question est : comment multiplier les tests de vigilance sans créer des lourdeurs excessives ? J'ajoute que le ministère a mis en place, en coordination avec d'autres administrations, un site Internet qui met en avant des éléments de prévention pour certains produits pesticides.
Mme Laurence Cohen . - Suite à cette étude de l'INSERM, envisagez-vous de réaliser une cartographie des maladies liées à l'exposition ? Je comprends la nécessité de ne pas multiplier les dispositifs afin d'éviter les effets contre-productifs mais, dans le cadre des missions de santé, le recours aux agences régionales de santé (ARS) ne serait-il pas utile ? Enfin, il me semble important de renforcer les contrôles a posteriori .
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Lorsque je dis que nous devons veiller à ne pas mettre en place un système trop lourd, je ne veux pas dire que nous ne devions rien faire, car la situation est loin d'être satisfaisante. Nous avons eu tendance, au cours des années précédentes, à répondre à des questions sanitaires plus ou moins précises par l'élaboration de plans. Dans ces plans, nous trouvons des réflexions éparses sur les risques liés à l'exposition aux pesticides.
L'expertise collective de L'INSERM poursuit trois objectifs : compléter l'état des lieux épidémiologique fourni par l'InVS pour identifier les risques liés à l'exposition aux pesticides ; cibler les recherches sur les femmes enceintes et les enfants ; présenter une argumentation scientifique en faveur d'une meilleure intégration de l'exposition aux pesticides comme facteur de maladie professionnelle.
Les ARS doivent être des acteurs régionaux de premier plan. Les plans régionaux de santé élaborés, ou en cours d'élaboration, permettent de décliner au niveau local les objectifs nationaux de santé publique en fonction des spécificités locales. Nous allons aussi réfléchir à la mise en place d'un « portail des vigilances », qui se déclinerait au niveau des ARS afin de recueillir des informations et constituer un outil de communication en direction des populations.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La volonté affichée du plan Ecophyto était de réduire l'utilisation des pesticides de 50 % avant 2018. Nous en sommes encore loin. Quel jugement portez-vous sur le Certiphyto , notamment en matière de prévention ? Pensez-vous que la santé soit suffisamment mise en valeur dans le Certiphyto ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Je ne suis pas certaine que nous soyons capables, aujourd'hui, de porter un jugement définitif sur un dispositif qui a démarré en janvier. Le dispositif de certificat individuel a été généralisé auprès de tous les professionnels. Environ 800 000 personnes sont concernées. Une première expérimentation a déjà permis à 140 000 personnes de bénéficier d'une formation adaptée et d'obtenir le certificat. L'idée est de se donner un an et de produire une évaluation en 2013. Dans ce cadre, nous demanderons une évaluation spécifique du volet santé. Nous verrons alors si nous devons faire évoluer le dispositif.
Mme Sophie Primas , présidente . - Lors de notre déplacement en Bretagne, nous avons saisi votre ministère concernant le comportement d'une coopérative face à la santé de ses salariés. Nous n'avons toujours pas reçu de réponse à ce sujet.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Je ne suis pas certaine que la question relève de mon ministère. Nous vous adresserons une réponse indiquant formellement que le sujet relève du ministère de l'agriculture. Les questions d'environnement impliquent systématiquement trois, voire quatre ou cinq ministères (santé, écologie, travail, agriculture ou industrie). Avec la ministre de l'écologie, nous souhaitons adopter une démarche commune pour faire en sorte que ces questions soient mieux portées politiquement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Nous pensons d'ailleurs que le ministère de la santé a un rôle majeur à jouer concernant les AMM.
Par ailleurs, j'aurais voulu connaître votre réflexion sur les équipements de protection industrielle (EPI) et sur leur capacité réelle à protéger les professionnels.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Des travaux en cours visent à définir une norme d'application. L'ANSES s'est autosaisie du sujet et conduit des travaux pour identifier les meilleurs équipements de protection. Les pouvoirs publics ayant tardé à se saisir de cet enjeu sanitaire, nous ne disposons pas d'éléments permettant d'apprécier la qualité des différents produits disponibles à ce jour.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Lorsque nous constatons la façon dont les salariés de l'industrie chimique sont protégés, nous sommes en droit de nous demander pourquoi une approche du risque plus sérieuse pour les produits mis sur le marché n'est pas adoptée.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Il existe de nombreuses dissonances et incongruités en la matière. Par exemple, les salariés qui travaillent dans les pressings ne sont pas protégés alors que les personnes qui habitent aux alentours sont considérées comme vivant dans une zone à risque. Nous sommes dans un champ en construction.
M. Henri Tandonnet . - Ce n'est qu'au niveau européen que nous obtiendrons des résultats sérieux. Nous avons vu, en début d'après-midi, que la libre circulation des produits phytosanitaires devait s'accompagner de l'harmonisation des règles entre États membres, sous peine d'observer des incohérences. Par ailleurs, les normes sont sévères lorsque les produits sont utilisés par les agriculteurs, mais ne le sont plus lorsqu'ils sont utilisés par les ménages. Je pense notamment aux produits vétérinaires autorisés sur les animaux domestiques, mais interdits pour les agriculteurs. Ainsi, les enfants sont exposés aux colliers antipuces des chiens et des chats. Il me semble donc que le ministère des affaires européennes est également concerné par ces sujets.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - J'ai évoqué tout à l'heure l'étude conduite par l'ANSES sur les usages domestiques. En effet, nous finissons par considérer comme banale l'utilisation domestique de produits considérés comme dangereux pour les professionnels . Les enfants sont exposés, alors que les agriculteurs ont appris à se protéger.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pensez-vous que l'ANSES ait les moyens nécessaires et l'organisation adéquate pour répondre à tous les enjeux ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . -L'ANSES a beaucoup de travail. Il me paraît nécessaire de renforcer les moyens de vigilance et de définir des priorités. De ce point de vue, l'étude sur les pesticides constitue une priorité pour nous .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - De nombreuses critiques ont été émises à l'égard de l'ANSES. Que faut-il en penser ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Nous les analyserons mais je rends hommage à ceux qui travaillent et qui ont permis de donner l'alerte sur un certain nombre de sujets. Nous devons améliorer le système sans « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Un audit interne de l'ANSES a été engagé par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), mais nous ne pensons pas que tout soit mauvais.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir eu la gentillesse de répondre à nos questions. Je tiens à préciser que la lettre que nous vous avons adressée visait seulement à vous informer de l'alerte lancée par la mission d'information.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - Merci à vous, je reste à votre disposition.
Audition de M. Michel Griffon, conseiller scientifique de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), président de l'Association internationale pour une agriculture écologiquement intensive, et de M. André Guillouzo responsable du programme « Contaminants et environnements » à l'ANR (17 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir accepté cette audition dans le cadre de notre mission d'information qui a débuté ses travaux en mars, à l'instigation de ma collègue Mme Nicole Bonnefoy, sensibilisée à l'impact des pesticides sur la santé par l'affaire Paul François, qui a créé l'association Phyto-Victimes. Après avoir entendu environ 170 personnes nous arrivons bientôt au terme de ces auditions.
M. Michel Griffon . - Merci de votre invitation et de votre accueil. Une partie des travaux de recherche de l'ANR s'oriente vers les alternatives aux pesticides ; l'autre s'intéresse aux aspects sanitaires. Le concept d'agriculture écologiquement intensive (A.E.I.) est né pendant le Grenelle de l'environnement, dans le bureau du ministre, M. Jean-Louis Borloo, qui, ayant entendu évoquer une agriculture à la fois vertueuse et productive, cherchait un nom pour la désigner. Suite à une séance de brainstorming , nous avons retenu « haute valeur environnementale » et « agriculture écologiquement intensive ». L'oxymore a remporté un grand succès. A un moment où le mot « intensif » est devenu détestable pour de nombreuses personnes, l'agriculture écologiquement intensive repose sur l'utilisation des fonctionnalités naturelles, comme le cycle d'accumulation de la matière organique dans les sols.
La photosynthèse fabrique de la biomasse, qui se décompose et s'humidifie, donnant de la matière organique, qui se décompose à son tour sous l'effet de la faune du sol. Cette décomposition produit des minéraux ensuite réassimilés par la plante. Nous pouvons intensifier, c'est-à-dire amplifier, ce grand cycle. La gestion de l'eau est un autre exemple de fonctionnement naturel. Platon avait déjà observé que les pentes sur lesquelles on ne trouvait plus d'arbres ne filtraient plus l'eau. L'écologie intensive vise à repenser les hydro-systèmes pour que les paysages absorbent l'eau. Enfin, il existe un équilibre naturel qui provient de la chaîne trophique et des interactions écologiques, qui constituent des systèmes. Certes instable, l'équilibre évite que certaines espèces ne pullulent. Dans le cadre d'une monoculture intensive, l'arrivée de n'importe quel envahisseur devient catastrophique et les traitements chimiques s'imposent comme unique solution.
Nous misons sur l'amplification des phénomènes naturels, sur leur intégration et leur complexification. Par exemple, certains agriculteurs reconstituent des chaînes trophiques pour ne pas utiliser de pesticides. Leurs initiatives procèdent de la bio-inspiration, car l'imitation de phénomènes naturels par la science et la technique est porteuse de grandes promesses. Nous savons que toutes les plantes ont des capacités de résistance à des insectes ou à des parasites . Dans le cas contraire, elles n'existeraient plus, non plus que leurs parasites. Ces mécanismes sont cependant si ténus qu'ils sont inefficaces dans de grands champs de monocultures. Nous essayons donc de localiser ces mécanismes dans le génome des plantes, afin de les transférer sur des plantes voisines. Cela s'appelle de la transgénèse, de la fabrication d'OGM. Mais il s'agit ici d'offrir un mécanisme naturel déjà existant. Ainsi, nous intégrons certains OGM dans le concept d'écologie intensive .
Ce terme rencontre un grand succès dans l'Ouest de la France, particulièrement en Bretagne, où l'on me demande une conférence pratiquement chaque semaine. L'approche plait, car elle ne constitue pas un cahier des charges. Les agriculteurs apprécient une démarche de progrès qui leur accorde une grande confiance. Ils sont également séduits par la transition vers une situation plus vertueuse du point de vue de l'environnement et plus économe en intrants (engrais ou produits phytosanitaires). De nombreux agriculteurs commencent à craindre les pesticides et sont bouleversés à l'idée d'avoir empoisonné leurs enfants.
Dans ce contexte, le plan Ecophyto 2018 tend à réconcilier la productivité et l'écologie. En Bretagne, certains agriculteurs se disent qu'ils peuvent devenir de véritables défenseurs de l'écologie. La transition permettrait d'évoluer vers une situation apaisée entre le monde de l'écologie militante et le monde agricole. L'association internationale pour une agriculture écologiquement intensive a été créée à la demande d'un certain nombre de coopératives. Son conseil d'administration réunit des personnes comme Mme Christiane Lambert de la FNSEA, Mme Marie-Hélène Aubert, qui travaille maintenant pour le Président de la République, ou encore des représentants de France Nature Environnement (FNE). C'est le prototype de ce que le Grenelle de l'environnement avait de meilleur pour proposer des solutions techniques innovantes.
L'agriculture écologiquement intensive n'est pas l'équivalent de l'agriculture raisonnée , bien qu'elle lui emprunte certaines pratiques : l'agriculture raisonnée constitue un premier pas qui reste insuffisant. En effet, plus les doses de pesticides diminuent, plus le risque s'accroît. Or, ce risque pèse sur le revenu des agriculteurs. Ainsi, les pesticides apparaissent comme des assurances pour les revenus agricoles. Si un progrès scientifique permet de réduire l'utilisation de pesticides tout en maintenant la productivité, la connaissance fonctionne comme un deuxième mécanisme d'assurance.
L'agriculture biologique se fixe pour contrainte de ne pas utiliser de produits issus de la chimie de synthèse. Cependant, les travaux et expertises donnent aux scientifiques des idées intéressantes pour l'avenir. L'agriculture biologique a permis de développer l'idée selon laquelle les agriculteurs peuvent être innovants. Elle crée néanmoins une plus grande incertitude sur les volumes de production, car l'environnement reste instable. Ainsi, les récents épisodes climatiques ont provoqué le développement d'épidémies fulgurantes de mildiou dans toute la région du Nord. Il n'y aura donc pas cette année de tomates issues de l'agriculture biologique. Les changements climatiques induisant une grande variabilité des milieux, l'agriculture biologique aura plus de difficultés à s'adapter que l'agriculture conventionnelle , au demeurant obligée par le plan Ecophyto 2018 de renoncer à l'utilisation de certains pesticides. Pour des raisons de croyances ou pour des motifs règlementaires, ou en raison d'angoisses suscitées par un certain nombre de maladies, un mouvement de transition est à l'oeuvre. Je compatis à la difficulté intellectuelle de cette transition. Le monde agricole a besoin d'être rassuré, ce qui peut offrir un nouveau rôle à la recherche.
Existe-t-il des alternatives aux pesticides ? Les herbicides constituent une assurance extraordinaire pour le rendement. N'oublions pas que le labour, vieux de mille ans, permet de tuer les mauvaises herbes. Toutefois, l'utilisation des tracteurs deviendra hors de prix avec l'accroissement des tarifs de l'énergie. D'où l'idée de renoncer au labour. Beaucoup disent que les herbicides constituent une solution pour développer la biologie des sols. D'autres souhaitent une solution alternative. L'agriculture biologique a souvent recours au labour mais, ce faisant, elle détruit l'écologie du sol et émet des gaz à effet de serre. Elle n'est donc pas si exemplaire.
Une troisième option consiste à utiliser des paillages issus de plantes , étalés en des couches épaisses, puis détruites et métabolisées par les microorganismes présents dans le sol. Lorsque l'expérience est répétée, le sol s'enrichit en matière organique.
Les plantes de couverture constituent une autre solution. Celles-ci permettent de favoriser le ruissellement, alimentent le sol lorsqu'elles meurent et empêchent les mauvaises herbes de pousser, puisqu'elles monopolisent le rayonnement solaire.
Il est également possible de faire de faux semis, c'est-à-dire de semer des plantes et de les arracher en même temps que les mauvaises herbes.
On peut aussi faire un labour très superficiel et, dans certains cas, faire brouter les animaux. La production de riz de Camargue est réalisée grâce à des canards dressés qui apprennent, génération après génération, à manger les mauvaises herbes.
Enfin, nous pouvons signaler la technique de l'allélopathie . Certaines plantes produisant une toxine spécifique éliminent d'autres plantes situées à leur proximité. On peut imiter ce mécanisme naturel. L'Inde est très en avance en ce domaine. Si nous parvenons à imiter le fonctionnement de ces plantes au moyen de processus industriels ou chimiques, nous serons en possession d'une autre solution d'herbicide. Cela ne signifie pas que le processus ne sera pas dangereux pour l'environnement, car ce qui est naturel peut être très dangereux. En dernier recours, les herbicides à petite dose peuvent être dilués dans l'environnement.
A signaler également qu'il est possible de faire varier les largeurs d'occupation du sol dans un peuplement , car la densité conserve une humidité qui peut favoriser le développement de champignons. Il est aussi envisageable de surveiller l'arrivée de maladies en cultivant des plantes plus sensibles . En outre, nous pouvons renforcer l'immunité des plantes aux champignons à l'aide d' éliciteurs . Nous ne manquons pas de solutions alternatives aux solutions chimiques. Parmi ces voies de haute technologie, certaines sont d'application immédiate, d'autres seront développées dans le futur, notamment la synthèse de molécules imitant les structures naturelles. L'important est d' éviter d'adopter une technique unique, qui trouverait toujours son antagoniste dans la nature . C'est une des grandes lois de l'écologie.
A l'ANR, nous essayons de stimuler fortement nos comités de pilotage, mais il est difficile d'être incitatif intellectuellement. Nous avons du mal à persuader les chercheurs de répondre à la demande sociale.
Je ne connais pas l'état des pratiques de lutte biologique . L'ANR ne voit que ce qu'elle finance. Je suggère de poser cette question à l'INRA, qui dispose d'une vision synoptique de la lutte biologique. Cependant, nous enseignons la lutte biologique depuis quarante ans et le sujet n'a jamais constitué une grande priorité pour la recherche . La forte demande sociale n'émerge qu'aujourd'hui.
Nous avons évoqué la dangerosité de produits naturels . Le poison dépend de la dose. Des pesticides actuels pourraient être acceptables s'ils étaient très dilués dans l'environnement et si leur usage était occasionnel. Toutefois, nous renoncerions à la démocratie si nous devions contrôler les faits et gestes des agriculteurs. Nous sommes dans une société de défiance vis-à-vis des agriculteurs. La coordination de tous les agriculteurs d'une région pour une utilisation concertée des produits dangereux paraît illusoire.
Quelque vingt à vingt-cinq projets visant à limiter l'emploi des pesticides ont été reçus par l'ANR entre 2005 et 2011. Leur coût moyen s'établit à 500 000 euros pour l'ANR, mais il est difficile de procéder à des calculs exacts. Environ 30 millions d'euros ont dû être dépensés au total. En accord avec le ministère de l'agriculture, le plan Ecophyto 2018 a été embarqué par l'ANR dans le programme agro-biosphère . Dans les nouvelles versions nous orienterons les recherches vers les éliciteurs et les alternatives . La recherche financée par le ministère de l'agriculture est tout aussi importante, mais beaucoup plus appliquée.
A la demande de certains fonctionnaires de Bruxelles, nous nous interrogeons sur la possibilité de financer l'innovation chez les agriculteurs qui prennent des risques . Je ne comprends pas pourquoi nous avons des difficultés à attirer des chercheurs sur ces sujets alors que des agriculteurs prennent des risques, parfois considérables, pour leur exploitation et leur famille afin de produire du bien public . Ces personnes mériteraient au moins une rétribution en cas de catastrophe, sous forme contractuelle avec la PAC.
M. André Guillouzo, responsable du programme « Contaminants et environnements » à l'ANR . - Que deviennent les 70 000 tonnes de pesticides utilisées chaque année en France ? Le programme ANR ne regroupe pas toutes les études financées par l'ANR sur les pesticides et contaminants, même si l'essentiel se retrouve dans le projet CESA (contaminants, écosystèmes, santé et adaptabilité) . Le projet, créé en 2005, s'appelait initialement le SEST (santé-environnement, santé-travail). Il est devenu le CES (contagions, écosystèmes, santé), puis CESA pour souligner l'importance de s'adapter aux contaminants.
Le programme, qui avait été suspendu, a été rétabli cette année. Déjà 104 dossiers ont été reçus, sachant que quatre ou cinq équipes travaillent sur chacun. Le programme vise à caractériser et à quantifier les contaminants, mais il s'intéresse également à leur devenir, dans les écosystèmes et chez l'homme, qui consomme des animaux et des végétaux contaminés. Les mécanismes d'action et les pathologies humaines seront étudiés en priorité. Ce programme transversal permet d'avoir une idée globale de l'action des contaminants à tous les niveaux. Je centrerai aujourd'hui mon propos sur les pesticides.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous nous concentrons, dans cette partie de la mission, sur l'impact de l'exposition aux pesticides sur la santé de ceux qui les utilisent.
M. André Guillouzo, responsable du programme « Contaminants et environnements » à l'ANR . - Deux catégories de population peuvent être distinguées : les applicateurs, qui sont les plus exposés, et ceux qui fabriquent les pesticides dans les usines. L'usage domestique peut également avoir des effets sur la santé.
S'agissant des expositions professionnelles , les pesticides ont été mis en cause dans des hémopathies malignes. Une expertise de l'INSERM a été mise en place en 2008 pour étudier les principaux cancers associés aux contaminants de l'environnement. La population agricole a été prise en considération dans ces études. Il semblerait que les pesticides soient impliqués dans les tumeurs cérébrales et les cancers hormono-dépendants des agriculteurs ou de leur conjoint. Parmi les cancers hormono-dépendants, on trouve principalement les cancers de la prostate, du sein, des testicules et de l'ovaire . S'agissant des usages domestiques, une étude en partie financée par l'ANR a montré que l'utilisation d'insecticides par la femme enceinte est un facteur aggravant pour la survenue de leucémie chez l'enfant , avec un facteur 2.
Il n'est pas très facile d'établir les liens entre l'exposition aux pesticides et la survenue de pathologies . Tout d'abord, la population agricole n'est pas homogène et n'emploie pas les mêmes pesticides. Ensuite, les pathologies font suite à des expositions au long cours, simultanément ou successivement à plusieurs pesticides.
La première cohorte a été mise en place aux États-Unis d'Amérique (Iowa et Caroline du Nord) dans les années 1990 : 50 000 agriculteurs - dont 5 000 applicateurs professionnels - et 30 000 conjoints ont fait l'objet d'une étude. Certains cancers sont plus fréquents chez les agriculteurs, notamment les hémopathies, leucémies, cancers du système nerveux central et cancers hormono-dépendants. Cependant, les taux ne sont pas très élevés. Par ailleurs, alors que certaines études mettent en évidence de fortes corrélations entre un produit et une pathologie, d'autres soulignent que cette corrélation est faible. Pour un pesticide donné, les études peuvent donc être contradictoires. Les doses et les mélanges doivent également être pris en compte. Un individu n'est jamais exposé à un seul pesticide à la fois , ce qui cause des interactions comme avec les médicaments. Enfin, il convient de prendre en compte les facteurs génétiques et la capacité des individus à neutraliser les polluants.
Prenons l'exemple de la chlordécone utilisée, de 1973 à 1993, pour tuer les charançons qui attaquaient les bananiers. Nous nous sommes aperçus que la chlordécone était toxique. L'ANR a financé quatre études sur le sujet. Nous avons mis au jour une corrélation entre la concentration plasmatique de chlordécone et la survenue du cancer de la prostate, mais nous nous sommes aperçus que le facteur génétique était très significatif. En effet, certains individus métabolisent la chlordécone moins bien que les autres. Que s'est-il passé lors des grossesses ? Une étude démarrera bientôt sur 1 000 enfants. Il convient de multiplier les études pour clarifier les effets.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les études peuvent aller dans le même sens ou se contredire. Pour autant, la dangerosité des produits est toujours là ! Et il reste très difficile d'interdire certains pesticides.
M. André Guillouzo, responsable du programme « Contaminants et environnements » à l'ANR . - Absolument. Certains pesticides ont une persistance importante, parfois de cinq cents ans. En outre, des produits non autorisés dans l'Union européenne sont utilisés en Inde ou au Brésil et polluent l'atmosphère. Vous voyez pourquoi il est difficile d'établir des liens de cause à effet entre un pesticide particulier et une pathologie donnée. Néanmoins, il est néanmoins démontré que certains pesticides sont des perturbateurs endocriniens. J'ai comptabilisé au total trente-six projets de recherche sur les effets des pesticides , sur une base de 400 000 € par projet. Ces études couvrent tous les domaines : il existe des études épidémiologiques, des études sur les mécanismes d'action, des études de caractérisation, des études sur le développement de nouveaux tests pour mesurer les lésions de l'ADN (génotoxicité) et des cellules (cytotoxicité). En utilisant des embryons de poissons zèbres qui ont la particularité d'être transparents, il a été démontré que tous les perturbateurs endocriniens ont des effets sur les cellules du cerveau.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La diminution de l'utilisation des pesticides ne suit-elle pas le plan Ecophyto 2018 ?
M. André Guillouzo, responsable du programme « Contaminants et environnements » à l'ANR . - Il ne faut toutefois pas remplacer les pesticides par des produits aux effets également délétères.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci infiniment d'avoir répondu à nos questions.
Audition de M. François Toussaint et de M. Jean-Luc Ferté, membres de la Coordination Rurale (17 juillet 2012)
M. François Toussaint . - La Coordination rurale s'est créée lors du blocage de la PAC.
Elle regroupe uniquement des agriculteurs et récolte 20 % des voix lors des scrutins professionnels agricoles. Nous sommes le premier groupement d'agriculteurs en France métropolitaine, le second sur l'ensemble du territoire national. En Meurthe-et-Moselle, nous obtenons 30 % des voix. Pourtant, nous ne sommes pas représentés dans les groupements interprofessionnels où la FNSEA siège seule alors qu'elle représente 50 % des agriculteurs.
Nous sommes déçus face à ce pourcentage car nous essayons d'être constructifs, notre seul souci étant le bien-être des agriculteurs. Nous ne sommes associés à aucune coopérative, à aucun groupe de pression, à aucun laboratoire. Nous défendons non les filières mais les agriculteurs. Cependant, nous avons été quelque peu marginalisés, notamment par les propriétaires et les grands exploitants.
M. Jean-Luc Ferté . - Nous sommes le plus jeune des syndicats agricoles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je suis sénateur, élue de Charente. J'ai demandé la création de cette mission d'information à la suite de l'affaire Paul François et de l'émoi qu'elle a suscité. Le Sénat a accepté de créer cette mission, dont suis rapporteur. La présidente vous prie de l'excuser mais elle a dû nous quitter du fait d'un engagement antérieur. Nous avons volontairement centré nos investigations sur la filière professionnelle, de la fabrication à l'utilisation par les agriculteurs, par les collectivités et les jardiniers du dimanche, en passant par les mises sur le marché. Le rapport comportera un point sur le plan Ecophyto. Au-delà de l'état des lieux qu'il permettra d'établir, il sera force de propositions : ses recommandations influeront sur des règlementations, voire la législation dans les domaines de l'agriculture et de la santé. A ce jour, nous avons réalisé plus de quatre-vingts heures d'audition. Nous avons entendu le monde agricole, les scientifiques, les médecins, les chercheurs et des acteurs de l'industrie chimique. Nous souhaitions donc vous entendre sur cette problématique.
M. François Toussaint . - Nous nous sommes vu imposer une utilisation des pesticides que nous ne recherchions pas. Je donnerai l'exemple d'une ferme normale du nord est, dans laquelle on trouvait 20 % de jachère, 20 % de luzerne et 40% de céréales. Ce type de ferme cultive désormais uniquement des céréales. Nous avons commencé à supprimer la luzerne, qui n'était pas rentable. Or, sa culture évite tout intrant pendant quatre ans. Ainsi, les agriculteurs ont été obligés de suivre les coopératives .
La technique du baby boeuf (boeuf de dix-huit mois) a été imposée aux agriculteurs, qui attendaient auparavant quatre ans avant d'abattre leurs animaux ; un délai qui ne permettait pas de faire vivre toutes les filières et toutes les coopératives. Avec l'argent ainsi gagné, les agriculteurs ont acheté du maïs, l'ont planté et l'ont traité. Auparavant, les boeufs broutaient dans les prés. Les politiques agricoles ont encouragé la consommation de pesticides. Les techniciens préconisaient de semer le blé à raison de 200 kilogrammes par hectare. Or, une telle densité est davantage propice aux infections fongiques. Aujourd'hui, nous semons plutôt 140 kilogrammes par hectare. Les risques d'infections fongiques seraient encore moindres si les agriculteurs semaient trois graines différentes. Cependant, cette solution n'intéresse personne, car les coopératives qui vendent les graines commercialisent aussi les pesticides .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - J'imagine que les techniciens dont vous parlez sont ceux des coopératives. Continuent-ils à préconiser de semer pareilles quantités ?
M. François Toussaint . - Oui. La coopérative agricole d'Ardèche ne ramasse pas les cerises qui n'ont pas été traitées la veille. Si le paysan ne traite pas ses cerises, la coopérative ne les lui achète pas. Il y a là conflit d'intérêt.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les coopératives comptent pourtant des agriculteurs, qui pourraient essayer de modifier cette politique néfaste.
M. François Toussaint . - Les coopératives avaient initialement vocation à économiser les produits ; les pesticides avaient vocation à empêcher les maladies. Cependant, le système est comme un puits sans fond. Nous sommes obligés de traiter les limaces, sous peine d'avoir une production nulle. Aujourd'hui, nous sommes pris dans un engrenage. Les agriculteurs n'en sont ni plus riches ni plus heureux, mais ils ne peuvent plus se passer de certains pesticides.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pensez-vous qu'une prise de conscience ait eu lieu parmi les agriculteurs ? Est-ce qu'ils changent leurs pratiques ?
M. Jean-Luc Ferté . - Les agriculteurs ne sont pas sourds, ils ont pris conscience du problème. Ils essaient d'utiliser le moins de produits possible et n'utilisent que les doses qu'ils jugent nécessaires.
M. François Toussaint . - Certains suivent des cours pour utiliser moins de pesticides : ils mélangent les fongicides au cola ou à du produit pour la vaisselle. Cependant, personne ne nous conseille vraiment dans ce sens. Aucune coopérative n'est félicitée pour avoir vendu deux fois moins de pesticides d'une année sur l'autre.
M. Jean-Luc Ferté . - Les coopératives sont normalement dirigées par des agriculteurs. Cependant, les gestionnaires oublient parfois leurs origines.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les coopératives sont devenues de grandes entreprises.
M. Jean-Luc Ferté . - Les personnes qui gèrent les coopératives ont perdu de vue le monde agricole.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quels liens les coopératives entretiennent-elles avec les industries chimiques ?
M. Jean-Luc Ferté . - Les coopératives s'occupent à la fois de collecte et d'approvisionnement. Or, l'approvisionnement concerne les produits phytosanitaires. Les dirigeants concluent donc des contrats avec les grandes firmes chimiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-ce que les commerciaux sont récompensés en fonction des volumes vendus ?
M. François Toussaint . - Ayant un ami qui travaille chez Bayer , je sais que la firme récompense les bons commerciaux. Le même système était à l'oeuvre pour la vente d'antibiotiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que vous inspire le plan Ecophyto , qui prévoit une diminution de 50 % de l'utilisation des pesticides pour 2018 ? Que pensez-vous du Certiphyto ?
M. François Toussaint . - Ces initiatives partent d'un bon sentiment, mais il faudra bientôt être pharmacien pour commander des produits .
Nous sommes favorables à la diminution des doses. Si l'on nous propose un produit plus écologique, moins cher et plus efficace, nous l'utiliserons. L'agriculteur n'est pas toujours conscient de la dangerosité des produits, mais il est conscient du montant de la facture.
M. Jean-Luc Ferté . - Initialement, les coopératives ont été créées pour maîtriser les coûts. Aujourd'hui, les agriculteurs ne contrôlent plus rien.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pensez-vous que les chambres d'agriculture sensibilisent les agriculteurs aux questions de santé, qu'elles les encouragent à utiliser des méthodes alternatives ?
M. François Toussaint . - Les chambres d'agriculture réalisent un travail de sensibilisation, notamment sur la protection des professionnels.
M. Jean-Luc Ferté . - Elles prodiguent également des conseils pour appliquer les produits au bon moment, en utilisant le moins de doses possible.
M. François Toussaint . - A Nancy, la représentante des coopératives est là, de même que la chambre d'agriculture, le centre de gestion, ou un représentant de la FNSEA ou de Groupama. Ainsi, les chambres proposent finalement de nouveaux produits plus chers, dont on ne sait pas s'ils sont moins toxiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Connaissez-vous des agriculteurs malades ?
M. Jean-Luc Ferté . - Je connais un apiculteur dont la femme a la maladie de Parkinson. Il établit une relation entre la pathologie et l'environnement agricole.
M. François Toussaint . - Cette pathologie a été la première maladie professionnelle officiellement imputée à l'utilisation de pesticides
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La FNSEA n'a-t-elle pas voté contre sa reconnaissance comme maladie professionnelle ?
M. François Toussaint . - On dénombre actuellement 80 000 cas de maladies de Parkinson à la MSA. L'année dernière, quatorze cas ont été transmis aux commissions régionales, qui en ont reconnu la moitié. Les commissions régionales ont traité 474 dossiers. L'incidence de la maladie de Parkinson est 1,8 fois plus élevée dans le monde agricole que dans le reste de la population. Très peu de cas sont officiellement reconnus comme maladies professionnelles agricoles.
S'agissant des hémopathies , sept cents cas ont été déclarés alors que les commissions n'en ont étudié que quatorze .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'y a-t-il pas une importante sous-déclaration des maladies professionnelles ?
M. François Toussaint . - En effet. Il convient en outre de souligner que les maladies des salariés sont mieux reconnues que celles des non-salariés . Par ailleurs, nous ignorons tout des critères de refus. Pour la maladie de Parkinson, dix ans d'exposition ont été demandés. Cependant, des pressions ont été exercées pour que la maladie ne puisse plus être reconnue comme une maladie professionnelle plus d'un an après la fin de l'exercice professionnel.
Pourtant, M. Pierre Le Bailly a présenté un excellent exposé sur les cohortes d'agriculteurs à la commission « pesticides » du 24 avril. Ses résultats recoupent ceux des études américaines déjà réalisées. Quelques heures après avoir appliqué un produit pesticide, le génome est attaqué sur les chromosomes 14 et 18, sur les fréquences 32 et 21. Le pesticide est donc responsable du myélome . Cependant, le facteur explicatif reste partiel. Les corrélations avec l'activité professionnelle restent donc difficiles à établir. D'autres facteurs doivent être pris en compte. Par ailleurs, les pesticides semblent impliqués dans le cancer de la peau, une pathologie plus fréquente parmi les agriculteurs que chez les maçons. Les études sont bien faites et vont à peu près dans le même sens.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - De nombreuses études sont réalisées. Pourtant, la sensibilisation sur la dangerosité des produits ne progresse pas très rapidement.
M. François Toussaint . - La Cosmap a traité le cas des maladies liées au goudron de houille et à ses produits dérivés, même si ces produits ne représentent qu'un cas ou deux par an dans le monde agricole.
En revanche, la commission des pesticides n'envisage pas de traiter le cancer de la peau . Je ne sais pas quoi faire.
Il faudrait que les commissions se réunissent plus souvent et que des experts puissent rédiger des rapports sur différents sujets. Un très bon rapport a été rédigé sur le lymphome . Enfin, il n'est pas toujours aisé de lier la pathologie au produit. Dans le cas de la maladie de Parkinson, nous avons réussi à recréer la maladie à partir du produit.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ceux qui fabriquent les pesticides prennent beaucoup de précautions. Les EPI des ouvriers sont sophistiqués, les sites de production sont classés dangereux. Or, la règlementation relative aux protections est moins sévère lorsque les mêmes produits sont mis sur le marché. Pourtant, les agriculteurs manipulent ces produits et sont au contact des résidus suite à l'épandage. Comment expliquer la différence entre les précautions prises dans l'industrie chimique et dans le monde agricole ?
M. François Toussaint . - Les analyses sanguines et génétiques ont mis en évidence que la protection jouait un rôle essentiel. Avec de bonnes protections, les résultats des analyses étaient presque classiques. A la limite, un promeneur qui passerait près d'un champ le lendemain d'un épandage serait plus exposé que l'agriculteur qui applique le produit avec sa combinaison. A 95 %, les intoxications aux pesticides se font par inhalation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous des EPI ? Est-ce que les agriculteurs les utilisent ?
M. François Toussaint . - Oui, la plupart des agriculteurs sont bien équipés. Une prise de conscience a réellement eu lieu. Les analyses montrent l'importance des équipements pour la protection.
M. Jean-Luc Ferté . - Le travail de sensibilisation doit être constant.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Auriez-vous des recommandations à suggérer ?
M. François Toussaint . - Étudier davantage les maladies dont nous savons qu'elles sont liées à l'exposition aux pesticides La Cosmap n'a pas voulu interférer avec votre commission.
M. Jean-Luc Ferté . - L'autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a formulé des recommandations sur les études préalables à l'AMM . Les apiculteurs soutiennent ces recommandations et demandent qu'elles soient appliquées. D'importantes lacunes sont observées dans les AMM. Les essais sont effectués sur une poignée d'abeilles, alors qu'ils devraient porter sur des colonies et dans la durée.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Êtes-vous satisfaits de l'interdiction du colza imposée par le ministre ?
M. Jean-Luc Ferté . - Oui, mais nous n'avions pas observé d'hécatombes d'abeilles. Les doses utilisées se rapprochant de plus en plus des doses toxiques, nous avons de plus en plus de craintes. Cependant, tous les produits ne sont pas aussi toxiques que ceux dont nous parlons. Le colza est nectarifère et il est présent sur l'ensemble du territoire. Si un problème devait affecter cette plante, cela causerait un désastre majeur. Le problème ne se pose pas pour le maïs, qui n'est pas nectarifère.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-ce que votre syndicat informe ses membres des dangers des pesticides ? Les sensibilise-t-il ? Les accompagne-il vers des démarches alternatives plus respectueuses de la santé et de l'environnement ?
M. François Toussaint . - Oui, nous avons développé des guides et avons organisé des réunions pour dispenser des conseils, par exemple utiliser moins de pesticides ou faire des mélanges de trois graines pour avoir des maturités décalées. Nos moyens financiers sont cependant limités.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Observez-vous des résultats ?
M. François Toussaint . - Les agriculteurs sont sensibilisés. Certains se forment ou suivent des formations pour diminuer les doses. Les personnes échangent ensuite entre elles. Un groupe d'agriculteurs de la Meuse est très compétitif s'agissant des micro-doses. Nous publions une revue tous les mois, mais nous n'avons pas de moyens pour réaliser une communication nationale.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les firmes annoncent des chiffres d'affaires en augmentation.
M. François Toussaint . - Les maladies et les problèmes sont de plus en plus nombreux. Les cultures de souches sensibles ont été encouragées pour toutes les espèces. Or, ces cultures nécessitent d'être traitées. Dans la vallée, les céréales sont de plus en plus souvent traitées.
M. Jean-Luc Ferté . - Il ne faudrait pas imputer aux pesticides tous les problèmes de mortalité des abeilles qui est multifactorielle. D'après les enquêtes de l'Institut de l'abeille, la mortalité est identique, voire supérieure dans les régions moins exposées aux produits. Les abeilles se heurtent aussi à de « grands stresseurs » dont l'homme fait partie.
M. François Toussaint . - Tous les produits ont des effets bénéfiques et d'autres délétères. Il convient de tout examiner.
Audition de M. Pierre Pernot (Airparif) (18 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci de venir devant cette mission, créée à l'initiative de notre rapporteur, Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de la Charente, qui a été sensibilisée aux effets des pesticides sur la santé par l'affaire Paul François. Nous aimerions en savoir davantage sur la mesure des résidus de pesticides dans l'air en milieu urbain, qui est du ressort d'Airparif.
M. Pierre Pernot, responsable du service surveillance air ambiant à Airparif . - Je vous remercie de me recevoir. Airparif, créée en 1979, est une association agréée pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA). Elle accomplit cette mission à la demande du ministère de l'environnement dans toute l'Ile-de-France. Comme toutes les AASQA, elle met en oeuvre des outils de caractérisation de l'air : des observations, des campagnes de mesures, un réseau de stations permanentes et des outils de modélisation. Dotée d'un statut d'association de la loi de 1901, elle diffuse les bulletins quotidiens sur la qualité de l'air en région parisienne et, lorsque certains seuils sont dépassés...
M. Henri Tandonnet . - ... Vous lancez les alertes pollutions.
M. Pierre Pernot . - En liaison avec la préfecture de police. Si besoin est, cette dernière peut décider des actions de réduction de vitesse des véhicules ou de diminution des activités industrielles.
Les polluants réglementés sont définis par des arrêtés ministériels et des directives européennes. Les pesticides dans l'air ambiant n'appartiennent pas à cette catégorie.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - D'après vous, est-ce une bonne chose ?
M. Pierre Pernot . - Bonne question ! Les polluants réglementés regroupent des polluants dont la valeur limite dans l'air est fixée par des directives européennes pour protéger la santé des personnes. En cas de dépassement, l'État membre risque un contentieux avec l'Union européenne. Il s'agit, entre autres, des particules en suspension et, bientôt, du dioxyde d'azote.
Certains polluants non réglementés sont également mentionnés dans les directives qui, sans fixer d'obligation de valeur cible, recommandent le suivi de leur concentration dans l'air. C'est le cas du mercure, de quelques hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Les pesticides ne relèvent ni de la première catégorie ni de la seconde.
Je ne suis pas un spécialiste de la santé. En tout état de cause, il est difficile de quantifier l'impact des pesticides par la voie aérienne sur la population générale. Nous n'avons pas de valeur toxique de référence et, donc, de seuil réglementaire.
Cela dit, suivre les concentrations des pesticides dans l'air mettrait en lumière la variation des pratiques . Du fait du plan Ecophyto 2018 ou encore de la révision de la réglementation européenne, des produits phytosanitaires sont interdits, remplacés ; les tonnages évoluent. Comment ces changements se traduisent-ils dans l'air ? Voici la question.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Suivre les concentrations de pesticides dans l'air pourrait être une recommandation de notre mission. Nécessite-t-elle une modification de la réglementation française ou européenne ?
M. Pierre Pernot . - Actuellement, ni l'une ni l'autre ne prévoit ce suivi.
Mme Jacqueline Alquier . - Pour avoir présidé l'Observatoire régional de l'air en Midi-Pyrénées (Oramip), l'AASQA de ma région, je connais le fonctionnement de ces associations. Elles vivent des subsides de l'État et, surtout, des industriels locaux, ceux qui polluent. Vous auriez besoin d'une commande pour effectuer ce suivi et disposer des moyens correspondants.
M. Pierre Pernot . - Au sein des conseils d'administration des AASQA siègent effectivement l'État, les collectivités territoriales et les industriels régionaux, qui sont nos financeurs, aux côtés d'un collège composé des associations de défense de l'environnement et de personnalités qualifiées.
Pour le moment, la volonté de travailler sur les pesticides est plutôt locale : ce sont les régions, les départements et les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) qui financent ponctuellement ces études. L'hétérogénéité est très forte : l'AASQA de la région Centre réalise, chaque année depuis 2001, des mesures sur les pesticides ; d'autres régions n'y parviennent pas, faute de financements.
Comment, au-delà de l'homogénéisation technique, qui concerne les experts, généraliser le suivi des pesticides dans l'air sur tout le territoire ? Les AASQA possèdent déjà le savoir-faire métrologique : depuis le début des années 2000, elles ont effectué plus de 2 300 prélèvements sur les pesticides et établi plus de 100 000 résultats. En revanche, l'évaluation de l'impact sur la santé est un autre métier, elle n'est pas de notre ressort.
Mme Jacqueline Alquier . - Les pesticides dans l'air font-ils partie de l'étude longitudinale française depuis l'enfance (ELFE) ?
M. Pierre Pernot . - A ma connaissance, ce n'est pas son objectif. En plus, son volet air, qui concerne les AASQA, a posé certaines difficultés. Il est au point mort.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les études quantitatives des AASQA sur la présence de pesticides dans l'air ont-elles servi de support à une analyse sanitaire par d'autres structures ?
M. Pierre Pernot . - Oui, il y a eu des études dans les régions Centre, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes et Languedoc-Roussillon. A chaque fois, on s'y heurte à l'absence de valeur toxique de référence pour interpréter les données d'un point de vue sanitaire .
M. Henri Tandonnet . - Ces analyses sont-elles difficiles et coûteuses ?
M. Pierre Pernot . - Difficiles, non, car nous avons développé le savoir-faire technique. En revanche, l'exploitation d'un site de mesure des pesticides dans l'air coûte environ 25 000 € par an, à quoi il faut ajouter les analyses chimiques, qui sont extrêmement coûteuses.
L'ozone, le dioxyde d'azote ou les particules en suspension font l'objet de mesures en temps réel. Pour les pesticides, nous recherchons des niveaux de concentration très faibles, des traces qui se mesurent au nanogramme par m3 . Cela nécessite de faire passer dans un piège des volumes d'air très importants, de l'ordre de 168 m 3 , et de manière correcte. L'opération peut prendre une semaine en centre-ville. Les filtres sont envoyés en laboratoire où ils sont analysés selon des procédures assez complexes en chimie analytique comme la chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. On utilise des méthodes de prélèvement plus courtes, d'une demi-heure, pour les mesures à la limite des parcelles lors des traitements.
Outre le coût des installations et des analyses chimiques, il faudrait également inclure celui des techniciens... Bref, ces analyses sont onéreuses.
Quels sont leurs résultats ? Les concentrations hebdomadaires sont de l'ordre de plusieurs centaines de nanogrammes par m 3 lors des traitements et en zone de culture. On trouve des traces de pesticides partout, en Beauce comme en plein Paris. Les pesticides qu'utilisent les particuliers et les services municipaux pour l'ornement se retrouvent plus facilement en ville, ceux pour les cultures en zone agricole. C'est logique... Les concentrations varient également selon les périodes : elles sont plus fortes au printemps.
Mme Jacqueline Alquier . - Constate-t-on des évolutions au fil des années ?
M. Pierre Pernot . - Oui, les évolutions d'usage sont très fortes. Pour m'en tenir à quelques cas, aujourd'hui dans l'air il n'y a plus de trace d' atrazine , un produit interdit, alors qu'on en trouvait encore dans les eaux au milieu des années 2000. Tout au long des années 2000, l'air contenait de la trifluraline en quantité, plusieurs centaines de ng/m 3 , y compris en hiver. Elle a été interdite en 2008 et on n'en trouve plus les traces dans l'air en 2011. En revanche, les concentrations de chlorothalonil , un fongicide utilisé dans les grandes cultures et l'ornement, ne cessent de progresser.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Peut-on conclure que ce produit est davantage utilisé ?
M. Pierre Pernot . - Il faudrait approfondir les enquêtes d'usage pour se prononcer.
Autre exemple, le lindane , interdit en 1998 en tant que pesticide, se trouvait encore dans l'air dans les années 2000 à des concentrations assez faibles mais à des fréquences plutôt élevées. Parce qu'il appartient aux pesticides organochlorés, il a mis plus de temps à décroître.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous n'en trouvez plus ?
M. Pierre Pernot . - On en relève encore des résidus dans d'autres régions que Paris, mais de moins en moins. Sa persistance s'explique sans doute par des effets de volatilisation à partir du sol, qui sert de réservoir, ainsi que par l'utilisation du produit comme biocide, autorisée jusqu'en 2006.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les niveaux de concentration de pesticides dans l'air sont-ils plus élevés aux abords des usines de fabrication de produits phytosanitaires ?
M. Pierre Pernot . - A ma connaissance, aucune mesure n'a été réalisée. On ne s'attend pas à trouver des niveaux de concentration plus importants puisque ces produits sont, théoriquement, fabriqués dans des laboratoires confinés. Des prélèvements ont été faits à Béziers lors du démantèlement d'une usine qui avait brûlé. Les résultats étaient proches en termes de taux de concentration des résultats habituels au printemps. En tout état de cause, on se situait en-dessous des taux de concentration constatés en limite de parcelle après traitement.
M. Joël Labbé . - Réalisez-vous des mesures lors des épandages aériens ?
M. Pierre Pernot . - L'application des pesticides passe souvent par le vecteur aérien, quel que soit l'épandage. D'après l'INRA, 25 % à 75 % des pesticides appliqués se retrouvent dans l'atmosphère.
Concernant l'épandage aérien , l'Oramip a réalisé des mesures dans le cadre de la lutte contre la pyrale du maïs et l'InVS a interprété les résultats obtenus. L'épandage aérien n'entraînerait pas de concentrations significativement plus fortes que l'épandage par tracteur. Ces conclusions sont à prendre avec précaution : on recherchait des substances actives, les solvants associés aux substances ont pu fausser les résultats.
Une étude est en cours en Aquitaine, pilotée par la cellule interrégionale d'épidémiologie en liaison avec l'université de Bordeaux, pour étudier les effets aigus de l'épandage sur la santé de la population générale. L'enquête sanitaire porte sur six cents personnes. Ses conclusions seront connues à la fin de l'année 2012.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les agriculteurs sont les premiers exposés aux pesticides. Ils devraient se protéger lors des épandages. Nous savons que ce n'est pas toujours le cas. Que savez-vous des dangers que courent les agriculteurs ?
M. Pierre Pernot . - Les AASQA s'intéressent plutôt à la population générale, d'où des mesures aux limites des parcelles pour les riverains . Les niveaux de toxicité sont différents pour les professionnels.
Mme Jacqueline Alquier . - Pour autant, les études des AASQA sont publiques, les agriculteurs peuvent les consulter sur Internet.
M. Pierre Pernot . - Effectivement, la transparence est une condition de l'agrément des AASQA.
Pour avoir travaillé dans une région plus agricole, je sais les agriculteurs fortement sensibilisés aux pesticides : la nature est leur lieu de travail, leur intérêt est que les pesticides se fixent sur les cultures, pas sur les bronches. En même temps, ils vivent parfois ces études comme une contrainte supplémentaire qui vient s'ajouter aux normes sur l'eau.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et l'exposition des riverains ? Quels types de produits retrouve-t-on dans l'air ? Dans quelles régions ?
M. Pierre Pernot . - Les concentrations sont plus fortes près des zones traitées. Cela dit, pour évaluer l'exposition des personnes, il reste à bâtir des valeurs toxiques de référence. Aujourd'hui, nous sommes seulement capables de construire, à partir des concentrations, des doses journalières admissibles, les DJA. L'étude Phytorive vous intéressera certainement, puisqu'on y compare deux communes, dont l'une est soumise à une forte pression phytosanitaire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il faudrait, nous dit-on, établir une distance entre cultures et riverains . Cette idée vous paraît-elle intéressante ?
M. Pierre Pernot . - Cette distance est difficile à déterminer, l'air étant un milieu ouvert. Toutefois, elle serait utile pour diminuer les pics de concentration lors de l'application des produits et, en raison du phénomène de volatilisation, lors de la post-application . Pour apprécier cette distance, il faudrait conduire des études fines au niveau des parcelles en fonction des types de produits utilisés et des conditions météorologiques.
On demande souvent aux AASQA ce type d'étude pour les polluants plus classiques, avant l'installation d'une crèche ou d'un stade à proximité d'une route.
Mme Jacqueline Alquier . - La pulvérisation de nuit est-elle une solution ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Le vent serait moins fort...
M. Pierre Pernot . - Moins de vent signifie moins de dérive lors de l'application. Mais cela n'élimine pas la volatilisation post-application .
Mme Sophie Primas , présidente . - L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), l'ancien Cemagref, travaille sur la sécurité des matériels agricoles. Collaborez-vous avec cet organisme ?
M. Pierre Pernot . - Oui, dans le cadre du comité d'orientation pour des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement (CORPEN), qui dépend des ministères de l'écologie et de l'agriculture. Il s'agissait de préparer des recommandations limitant la dérive des produits phytosanitaires lors de leur application. Encore une fois, nous avons plus vocation à regarder ce qui se passe pour la population.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Avez-vous un dispositif d'alerte aux abords des cultures et des entreprises de production ?
M. Pierre Pernot . - Non, et pour la raison technique que je vous indiquais tout à l'heure : il n'y a pas de seuil pour les pesticides. Ensuite, avec la méthodologie actuelle, nous ne pouvons pas prétendre à un suivi en temps réel.
Néanmoins, nos données sont publiques. Un numéro d' Aiparif Actualité a été consacré aux pesticides dans l'air francilien . Il avait eu un bon retentissement médiatique. D'autres AASQA ont également diffusé ce type de documents.
M. Henri Tandonnet . - Quels sont les produits les plus dangereux ? Comment évaluez-vous la dangerosité des molécules ?
M. Pierre Pernot . - Un produit comme le lindane est classé dans le groupe 2B des produits possiblement cancérogènes pour l'homme. Pour les autres, nous croisons plusieurs données : le tonnage, la capacité à aller vers le compartiment atmosphérique ou encore les effets sur la santé via la DJA. Actuellement, nous réfléchissons à une liste socle nationale pour autoriser des comparaisons, sachant que l'agriculture n'est pas homogène sur le territoire français.
M. Henri Tandonnet . - Et pour les polluants classiques ?
M. Pierre Pernot . - Si des valeurs limites sont fixées pour des produits, cela signifie qu'ils ont des effets sur la santé. Les PM10, ces particules aux effets cardio-vasculaires considérables, sont responsables de 400 000 morts en Europe, dont 40 000 en France.
M. Joël Labbé . - Étudiez-vous l'impact des pesticides sur la biodiversité et les insectes pollinisateurs ?
M. Pierre Pernot . - Airparif focalise ses travaux sur la population générale. Un travail a été mené en Midi-Pyrénées sur les substances actives et les abeilles.
Mme Jacqueline Alquier . - C'était une commande de la Charente.
M. Pierre Pernot . - Nous possédons également des relevés lors du traitement des semences, qui sont délicats à interpréter pour les raisons que je vous ai indiquées. Ils constituent néanmoins un élément important dans nos discussions avec le monde de la santé. Nous devons fournir des éléments de mesure pour défendre l'idée de valeurs toxiques de référence ; c'est un processus très itératif.
Pour vous donner une idée, les AASQA ont trouvé 100 molécules sur les 170 recherchées dans l'air depuis 2001. Toute la question est celle du financement du suivi et de l'homogénéisation de ce suivi. Aiparif a mené une première campagne sur les pesticides en 2007. Nous peinons à trouver des financements pour en financer une deuxième , sans doute à cause du contexte économique actuel.
Mme Sophie Primas , présidente . - En fait, il faudrait une mesure pérenne.
M. Pierre Pernot . - Tout à fait. Nous avons ces éléments pour le lindane et le chlorothalonil en région Centre.
Dans le plan Ecophyto 2018, on cherche à mettre en place un indicateur pour le compartiment aérien à partir de mesures agrégées. Encore faut-il dégager des moyens pour suivre cet indicateur... En tout cas, il reflétera l'évolution des usages des produits phytosanitaires.
Mme Jacqueline Alquier . - La santé n'est pas la priorité des AASQA, l'industrie prime.
M. Pierre Pernot . - Cela dépend énormément des régions. Aiparif, bien que situé dans la première région industrielle de France, travaille beaucoup sur le trafic routier.
Mme Jacqueline Alquier . - Il y a aussi la problématique de l'air intérieur .
M. Pierre Pernot . - Effectivement, et elle rejoint celle des pesticides. Je pense à tous les biocides à usage vétérinaire, antiparasitaire, pour le traitement des charpentes et des piscines . L'Observatoire des résidus de pesticides (ORP) a travaillé sur l'exposition de la population générale à ces produits-là. En tout cas, il reste des marges de manoeuvre pour faire travailler davantage les AASQA et leurs partenaires sur les pesticides.
Mme Sophie Primas , présidente . - Mesurez-vous la présence simultanée de différentes molécules et des effets du trafic routier ? Dans notre mission, il est souvent question de l'effet cocktail.
M. Pierre Pernot . - Le niveau d'information diffère selon les polluants. Pour les pesticides, l'information est hebdomadaire. Pour d'autres polluants, nous sommes capables de mesurer la concentration, heure par heure, en tout point du territoire francilien grâce à la modélisation et à la cartographie.
Notre volonté est de disposer de multisites afin de mesurer simultanément les particules, l'ozone, le dioxyde d'azote et les pesticides et de parvenir à une vision globale de la pollution atmosphérique à un endroit. En revanche, je l'ai indiqué, le traitement des données est un autre travail, l'évaluation de l'effet cocktail encore plus.
M. Henri Tandonnet . - Contrôlez-vous les pollens ?
M. Pierre Pernot . - Certaines AASQA s'en occupent ; en Ile-de-France, c'est le Réseau national de surveillance aérobiologique qui en est responsable, Aiparif diffusant directement les résultats sur son site Internet.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Un organisme national centralise-t-il toutes les données des AASQA ? Par exemple, le ministère de l'agriculture ou celui de la santé.
M. Pierre Pernot . - Oui, le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air . Pour les pesticides, la construction d'une base de données est théoriquement en cours ; là encore, un problème de moyens se pose.
Dans un souci de mutualisation, les AASQA ont déjà mis en place la base Alpha qui regroupe les données jusqu'à 2009.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour cet exposé limpide et clair, contrairement à l'air de Paris...
Audition de M. Sébastien Picardat, Fédération du négoce agricole (FNA) (18 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - La Fédération du négoce agricole (FNA) est, aux côtés des coopératives, un grand acteur de la distribution de pesticides. Comment appréhendez-vous le plan Ecophyto 2018 ? Promouvez-vous des solutions alternatives à l'utilisation des pesticides ? Je vous poserai également quelques questions perfides sur le commerce transfrontalier de produits phytosanitaires entre l'Espagne et la France.
M. Sebastien Picardat, directeur général de la Fédération du négoce agricole . - J'évoquerai ce dossier avec plaisir, il n'y pas de tabou. D'abord, merci d'auditionner la FNA. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Christophe Viger, son président, qui profite du beau temps pour récolter ses graines dans le Maine-et-Loire.
Je m'efforcerai d'être concret et objectif. La FNA regroupe 400 négociants agricoles répartis dans toute la France. Leurs activités, leurs clients, leurs fournisseurs, leurs salariés sont les mêmes que ceux des coopératives ; seul le régime du droit du travail diffère. Les coopératives dépendent de la Mutualité sociale agricole (MSA), non du régime général.
Nos adhérents sont des petites et moyennes entreprises familiales, transmises de génération en génération. Il n'est pas rare que le nom de leur fondateur soit encore inscrit au fronton de l'entreprise. Environ 70 % de nos entreprises comptent moins de vingt salariés. Nous travaillons au quotidien avec les agriculteurs, sur l'ensemble des filières, en amont comme en aval, de l'engrais aux semences en passant par les produits phytosanitaires jusqu'à la commercialisation. Les coopératives détiennent globalement 60 % du marché français ; nous, 40 %, avec des variations locales. Nous représentons 80 % du marché dans une région à culture spécialisée comme le Languedoc-Roussillon.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien de personnels employez-vous pour le conseil et la vente de produits phytosanitaires aux agriculteurs ?
M. Sebastien Picardat . - Dans l'ensemble de nos entreprises, 2 600 techniciens-conseils et préconisateurs sont à l'oeuvre.
M. Joël Labbé . - Vous adressez-vous aussi aux collectivités territoriales et aux particuliers ?
M. Sebastien Picardat . - La FNA s'adresse aux utilisateurs professionnels. Donc, également aux collectivités territoriales et aux entreprises paysagères.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Êtes-vous présents dans les jardineries ?
M. Sebastien Picardat . - Dans nos dépôts, des libres-services sont ouverts aux particuliers. Cette activité sera soumise à agrément à partir du 1 er octobre 2013.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous êtes donc en tout point semblable aux coopératives...
M. Sebastien Picardat . - Pas sur le plan du capital ni sur le plan fiscal : les coopératives bénéficient d'exonérations ; nous, non.
Mme Sophie Primas , présidente . - Utilisez-vous des pesticides pour le stockage des céréales ?
M. Sebastien Picardat . - Oui, les chefs de silos en sont responsables.
M. Henri Tandonnet . - Les coopératives ont des filiales de droit commun. Sont-elles adhérentes à la FNA ?
M. Sebastien Picardat . - L'adhésion à la FNA est volontaire. Depuis quelques années, ces filiales la quittent, sans doute pour des raisons fiscales.
La FNA compte dix permanents, financés exclusivement par les cotisations.
M. Joël Labbé . - Votre statut est donc moins avantageux que celui des coopératives...
M. Sebastien Picardat . - Le code général des impôts introduit une distorsion de concurrence pour des activités de même nature qui s'approvisionnent auprès de fournisseurs identiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - D'après les coopératives, ce statut ne vous empêche pas de leur prendre des clients !
M. Sebastien Picardat . - Pour répondre à une question que vous nous avez adressée par écrit, nous soutenions le nouveau dispositif d'agrément avant le Grenelle. Les exigences seront désormais les mêmes pour la distribution de produits phytosanitaires aux professionnels et la vente au grand public. Un agrément, et c'est une nouveauté, est aussi prévu pour le conseil indépendant.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Indépendant de quoi ?
M. Sebastien Picardat . - Indépendant de la vente et de l'application, comme celui effectué par les chambres d'agriculture, par exemple.
Comme je le disais, l'entrée en vigueur de l'agrément est prévue pour le 1 er octobre 2013. Aux côtés de l'agrément collectif, qui repose sur des référentiels, des Certiphyto sont délivrés à titre individuel. Or, le négoce agricole représente 10 000 collaborateurs, dont 2 600 techniciens-conseils et préconisateurs ainsi que 2 800 agents de dépôt, magasiniers et chefs de silos.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vos techniciens-conseils rencontrent-ils les agriculteurs ?
M. Sébastien Picardat . - Les techniciens commencent par l'observation au champ et, s'ils constatent la présence d'une maladie, ils posent un diagnostic. Toutes les solutions disponibles sont ensuite présentées à l'agriculteur.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Y compris les solutions alternatives aux pesticides ?
M. Sébastien Picardat . - Bien sûr ! Des extraits d'algues pas exemple. Nous nous engageons à mettre à disposition de l'agriculteur toutes les solutions pour lutter contre la maladie. L'agriculteur peut ensuite décider en toute connaissance de cause. Nous suivons en cela les préconisations du Grenelle et des textes règlementaires qui ont suivi. Si l'agriculteur choisit une solution phytosanitaire, nous lui proposons divers produits et tout le processus est enregistré par des personnes certifiées.
M. Joël Labbé . - Le conseiller indépendant est quand même votre salarié et l'agriculteur achète vos produits dans votre boutique !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Le vendeur a-t-il un intérêt financier à vendre des produits alternatifs ?
M. Sébastien Picardat . - Vous touchez un point clé. Le technicien est détenteur de son certificat individuel conseil. Le conseil est identifié, avec des fiches de mission, et enregistré par écrit. Enfin, le technicien conseil n'est pas rémunéré au chiffre d'affaires ni au volume de vente. Et tout cela est certifié par un organisme indépendant.
Mme Sophie Primas , présidente . - Est-il rémunéré en fonction du résultat de l'entreprise ?
M. Sébastien Picardat . - Il peut l'être dans le cadre de la participation aux résultats comme dans toute entreprise qui met en place un tel dispositif pour son personnel.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le système pervers est donc en place.
M. Henri Tandonnet . - Comment le conseil indépendant est-il rémunéré ?
M. Sébastien Picardat . - Il perçoit des prestations de service.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'agriculteur bénéficie-t-il de ristournes en fonction des volumes achetés ?
M. Sébastien Picardat . - Cela arrive, comme dans toute relation commerciale.
Nous vendons aussi des méthodes alternatives qui ont été préalablement testées dans nos parcelles d'expérimentation.
M. Joël Labbé . - Qu'en est-il des autorisations de mise sur le marché ?
M. Sébastien Picardat . - Elles ne concernent que les produits phytosanitaires. Nous distribuons des solutions homologuées et autorisées. Ensuite, nous délivrons les produits aux agriculteurs dans nos silos ou dans la cour de la ferme. Nous avons 2 800 chefs de silos et agents de dépôt qui interviennent pour informer les agriculteurs afin qu'ils lisent les étiquettes et notamment la fiche de données de sécurité (FDS), qu'ils se protègent grâce à nos équipements de protection individuelle (EPI), qu'ils participent à Adivalor et qu'ils récupèrent les emballages vides.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment les équipements individuels de protection sont-ils référencés ?
M. Sébastien Picardat . - C'est un vrai sujet : il faut avoir le bon EPI pour le bon produit.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cette adéquation ne pourrait-elle incomber au fabricant ?
M. Sébastien Picardat . - Les produits phytopharmaceutiques ne peuvent être remis qu'après l'ouverture d'un compte client identifié vérifiant le certificat de l'agriculteur. Nous avons récemment conçu un guide qui rassemble toutes les exigences du chapitre 6 du référentiel en matière de protection, de stockage et de récupération des emballages vides.
Mme Sophie Primas , présidente . - Privilégiez-vous dans vos référencements des conditionnements plus protecteurs des agriculteurs ?
M. Sébastien Picardat . - Nous n'avons pas ce type de demandes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les agriculteurs sont-ils plus sensibilisés à la dangerosité des produits ? Demandent-ils plus souvent des produits alternatifs aux pesticides ?
M. Sébastien Picardat . - Les messages de protection sont diffusés depuis plusieurs années et ils montent en puissance depuis deux ans. Le retour est positif. Il reste cependant encore beaucoup à faire pour transformer le sentiment en actes concrets.
La directive sur les profils de toxicité des différentes matières actives a été révisée et les a fait passer de près de 1 000 à 268. Cela relève de la responsabilité des metteurs en marché.
Il est logique que la redevance pour pollution diffuse (RPD) varie en fonction du degré de toxicité des molécules, mais son application pose des problèmes. Les taux ont doublé en trois ans pour financer le plan Ecophyto. Quand elle a été instituée, en 2006, les distributeurs agréés, coopératives et négoce, y étaient assujettis. Nous faisions le chèque à l'agence de l'eau. Nous intégrions dans le prix de nos produits la redevance au même titre que les autres charges. Comme nous devions informer les agriculteurs par la facture, ils ne connaissaient le coût de la taxe qu'après l'achat. L'objectif de la loi sur l'eau n'était donc pas atteint, puisqu'il s'agissait d'orienter les agriculteurs vers des produits moins polluants.
La loi de finances pour 2009 nous a permis de sortir du prix le montant de la redevance : des produits sont donc distribués par des distributeurs français avec une matière active qui vaut, par exemple, 6 € le litre et qui supporte 2,55 € de redevance. Les importations de produits étrangers homologués se multiplient dans les zones frontalières, puisqu'ils n'acquittent pas de redevance. Dans le pire des cas, on importe des produits chimiques non identifiés - voyez sur ce sujet le reportage de France 24 ou l'article du Parisien . Ces produits viennent d'Ukraine ou de Chine et ils entrent en France en toute impunité, malgré les douanes. Dans les zones frontalières, notre chiffre d'affaires a diminué de 25 % à 30 %. En matière environnementale, le risque est majeur. Une étude d'une Agence régionale de santé (ARS) montre la présence de résidus sur les zones de captage : sur les dix premières matières actives, huit sont interdites.
Mme Sophie Primas , présidente . - Est-il exact que, en raison de la redevance, des sociétés de négoce auraient créé des filiales de droit espagnol afin d'importer des produits sans payer la redevance ?
M. Sébastien Picardat . - Il s'agit de la liberté d'entreprendre. Si le droit est respecté, il n'y a pas de problème, d'autant que les agriculteurs doivent tenir un registre pour retracer l'achat de produits phyto à l'étranger. Ils paieront la redevance sur leurs achats à partir de 2013 . Mais, dans le cas des produits chimiques non identifiés, il s'agit de fraude.
Mme Sophie Primas , présidente . - Une étiquette rédigée en espagnol peut-elle renseigner l'agriculteur français sur les dangers ?
M. Sébastien Picardat . - Les étiquettes doivent être écrites en français, même pour les produits importés. Mais la distorsion de concurrence est très mal vécue par les entreprises françaises qui investissement deux millions par an pour former leur personnel sans être aidées par l'Etat. La loi doit être appliquée et des contrôles effectués.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cela me gêne toujours terriblement de voir écrit : « substances toxiques, très toxiques, cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction », comme s'il suffisait de payer une redevance élevée pour avoir le droit de polluer. Cela ne devrait pas exister et ce droit à polluer me pose question.
M. Sébastien Picardat . - Nous avons recopié la formule de la loi de finances pour 2009.
M. Joël Labbé . - Que faites-vous d'un produit qui est interdit, comme le Cruiser ?
M. Sébastien Picardat . - Une négociation commerciale s'engage avec notre fournisseur pour qu'il reprenne le produit. Sinon, il est intégré dans la filière Adivalor.
M. Henri Tandonnet . - Est-ce que les coopératives , elles, bénéficient d'aides à la formation ?
M. Sébastien Picardat . - A cet égard, l'équité a bien été respectée entre les coopératives et le négoce, comme elle l'est sur les dossiers techniques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous avez parlé de stockage des céréales et de traitement des grains par insecticides. Comment incitez-vous vos adhérents à avoir recours à des méthodes alternatives telles que l'aération ou la réfrigération ?
M. Sébastien Picardat . - En tant qu'employeur, nous devons bien sûr respecter le code du travail et fournir l'ensemble des protections individuelles nécessaires. Dans le cadre de la désinsectisation, nous nettoyons et ventilons le grain tout au long du stockage. En outre, nous avons une obligation contractuelle de livrer du zéro insecte vivant. Il n'y a plus, depuis l'interdiction du dichlorvos , de traitement choc avant chargement, mais nous pouvons traiter avec la phosphine , un gaz qui ne laisse aucun résidu, mais présente un risque important pour les utilisateurs .
Pour ce qui concerne les risques liés à l'utilisation de nos produits dans les silos, j'ai récupéré les statistiques de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) pour notre branche d'activité privée. Pour le commerce de gros des céréales et du tabac, nous déplorons, en 2010, quatre accidents du travail résultant d'une intoxication liée aux gaz, vapeurs et poussières , mais aucune invalidité permanente et aucun décès pour 20 000 employés.
Mme Sophie Primas , présidente . - On arrive bien à identifier les accidents directs, mais pas les maladies chroniques.
M. Sébastien Picardat . - Ouvrir le dossier ne pose aucun problème : à l'exception des chefs de silos, nos entreprises transportent et stockent des produits conditionnés : nos salariés n'ont donc pas de contact direct avec les pesticides, contrairement aux agriculteurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Utilise-t-on des produits phytopharmaceutiques dans les silos ?
M. Sébastien Picardat . - Tout à fait et chez tout le monde : avant la récolte, tous les silos sont nettoyés et ventilés, mais il reste des endroits inaccessibles, d'où une désinsectisation préalable. Nos salariés assurent le traitement ou bien nous faisons appel à un prestataire agréé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vos salariés sont-ils protégés ?
M. Sébastien Picardat . - Bien évidemment.
Quand le grain arrive, il est passé dans un grand tamis pour le nettoyer, sans produit chimique, et il est stocké. Du fait de la réglementation, seuls les grains de céréales à paille peuvent être désinsectisés , ce qui n'est pas le cas pour les oléagineux, comme le tournesol ou le colza.
Tout au long de la campagne, le grain est donc ventilé pour réduire la température et éviter le développement d'insectes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quand un agriculteur vous livre du grain avec des insectes, le prix payé est-il inférieur ?
M. Sébastien Picardat . - C'est du pur commercial. On ne dit pas non à un client, on lui trouve une solution. Nous facturons le nettoyage du grain, après accord de l'agriculteur. Une fois suffit. Puis, lors de l'expédition, s'il y a eu un incident, une nouvelle désinsectisation a lieu, pour que le lot ne soit pas refusé.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qu'en est-il du personnel administratif ?
M. Sébastien Picardat . - Nous sommes tenus par la règlementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) d'éloigner les bureaux administratifs des silos.
M. Henri Tandonnet . - Lorsque vous expédiez les grains au loin, n'êtes-vous pas obligés de les traiter de façon préventive avant le voyage pour éviter toute contamination ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ou pendant le voyage ?
M. Sébastien Picardat . - Pour de longs transports en bateau vers des pays tiers, les exportateurs procèdent à des fumigations à l'intérieur des cales. Ce gazage ne laisse pas de résidu sur les grains .
M. Henri Tandonnet . - Je suis exploitant agricole et j'ai récemment reçu une lettre circulaire de la coopérative me rappelant de bien nettoyer mes silos et d'envisager un traitement du grain lors de leur remplissage.
M. Sébastien Picardat . - L'agriculteur gère son stockage comme il l'entend, mais le distributeur a une obligation de conseil avant toute vente et cela engage sa responsabilité. Votre coopérative aurait dû présenter la panoplie des solutions disponibles, dont les produits phytopharmaceutiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les agriculteurs qui font du bio doivent avoir les mêmes problèmes d'insectes. Comment font-ils ?
M. Sébastien Picardat . - Il y a des insecticides autorisés , que nous distribuons.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ils sont donc arrosés d'insecticides agréés. Sont-ils plus chers que les autres ?
M. Sébastien Picardat . - En fonction de la gamme.
M. Henri Tandonnet . - Les produits bio sont-ils moins dangereux ?
M. Sébastien Picardat . - Je n'ai pas l'expertise technique pour vous répondre.
M. Henri Tandonnet . - Vous avez une obligation de conseil.
M. Sébastien Picardat . - Sur des matières actives destinées à des usages autorisés, à charge pour nous de nous assurer que le conseil que nous délivrons est donné pour des usages adaptés.
Mme Sophie Primas , présidente . - Y a-t-il une séparation entre les silos bio et les silos non bio ?
M. Sébastien Picardat . - Pour minimiser les risques de contamination croisée, il y a des cellules séparées .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les céréales dont vous nous avez parlé sont-elles destinées à l'alimentation humaine ou animale ?
M. Sébastien Picardat . - Il s'agit de toutes les céréales, mêmes celles destinées à un usage non alimentaire.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Lorsque ces céréales arrivent à destination, peuvent-elles subir d'autres traitements, avant d'être transformées ?
M. Sébastien Picardat . - Pour ce qui est des industriels, je ne saurais vous répondre. Si un lot comporte des insectes, il est refusé à l'entrée de l'usine.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que faites-vous alors ?
M. Sébastien Picardat . - Il y a une négociation commerciale : nous pouvons procéder à un nettoyage mécanique.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour cette discussion franche et documentée.
Audition de Mme Nathalie Gouérec, coordonnatrice du Centre d'étude pour une agriculture durable plus autonome (Cédapa) et de M. Frédéric Darley (18 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous vous remercions de participer à cette audition menée par la mission commune d'information sur les pesticides.
Je vous suggère de présenter l'activité du Cédapa. Le questionnaire que nous vous avons fait parvenir pourrait éventuellement servir de support à cette présentation.
M. Frédéric Darley . - Le Cédapa est une structure technique apportant une assistance aux agriculteurs, dans le cadre d'un régime associatif. Due à M. André Pochon, sa création s'est faite avec le concours de l'Institut national pour la recherche agronomique (INRA).
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Existe-t-il une structure nationale ?
M. Frédéric Darley . - Non. Son organisation est départementale, avec toutefois un « réseau agriculture durable » couvrant la France entière.
Mme Nathalie Gouérec . - En pratique, le Cédapa est présent surtout dans le Grand-Ouest et un peu dans le Sud-Ouest.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment est-il financé ?
Mme Nathalie Gouérec . - Nous percevons les contributions des agriculteurs, augmentées de subventions départementales ou régionales, sans oublier l'aide apportée par l'agence de l'eau. Un groupe d'agriculteurs participe à Écophyto 2018 ; certains financements sont procurés par d'autres actions environnementales, comme celle centrée sur la qualité de l'eau.
M. Joël Labbé . - Avez-vous élaboré un projet européen ?
Mme Nathalie Gouérec . - Pas aujourd'hui, mais nous en avons eu autrefois.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles sont vos activités en matière de pesticides ?
Mme Nathalie Gouérec . - Nous intervenons principalement sur les élevages de bovins, d'ovins ou de caprins. Nos adhérents utilisent principalement des prairies temporaires, car leurs bêtes se nourrissent avant tout d'herbe ; ils réduisent ainsi les intrants tout en assurant une alimentation équilibrée aux ruminants, qui mangent peu de soja. L'idée est de gagner plus en réduisant les charges.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'initiative revient donc aux éleveurs. Comment la développer ?
M. Frédéric Darley . - Les agriculteurs membres du réseau ont élaboré un cahier des charges national validé par l'INRA .
Mme Nathalie Gouérec . - Notre vérité provient de l'expérience agricole. Loin de relever d'un positionnement théorique, le cahier des charges agro-environnemental est le seul issu des pratiques du terrain. Il n'a pas été conçu dans des bureaux.
M. Joël Labbé . - Que pense M. André Pochon de la prairie permanente ?
M. Frédéric Darley . - Elle n'est pas éternelle.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Combien votre réseau compte-t-il d'éleveurs ?
Mme Nathalie Gouérec . - Environ 3 000.
M . Henri Tandonnet . - La filière lait est-elle adossée à votre démarche ?
Mme Nathalie Gouérec . - Le lait d'herbage a des propriétés intéressantes pour la santé, notamment via les Oméga 3 et les Oméga 6. Certains éleveurs ont tenté de créer une filière de laiterie paysanne à destination de la restauration collective, mais l'initiative était sans doute prématurée. En novembre dernier, nous avons nommé un chargé de mission qui doit proposer des mesures à même d'améliorer la transformation et la valorisation du lait herbager. En ce domaine, l'obstacle à surmonter est simple : l'économie favorise les systèmes intensifs.
M. Joël Labbé . - Au fond, quelle est la différence entre votre pratique et celle de l'agriculture bio ?
M. Frédéric Darley . - Nous n'excluons pas le levier chimique en dernier recours. L'agriculture durable intervient sur le même marché que l'agriculture conventionnelle, avec des marges et des productivités semblables.
Mme Nathalie Gouérec . - Les fermes laitières herbagères produisent autant de lait à l'hectare, mais leurs vaches mangent moins de maïs et plus d'herbe, qui pousse bien dans nos régions.
M. Frédéric Darley . - Sur le plan économique, notre modèle est d'autant plus performant que l'énergie et les intrants coûtent cher.
Mme Nathalie Gouérec . - Nous utilisons l'indice de fréquence des traitements (IFT). Sa valeur en Bretagne s'établit à 2 en moyenne, contre 0,2 à 0,3 chez nos adhérents. Comment avons-nous pu diviser par sept le nombre de traitements ? Grâce à la rotation des cultures , qui réduit les besoins en intrants.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'IFT n'est-il pas élevé dans la mesure où l'absence de traitement accroît les risques ?
M. Frédéric Darley . - C'est ce qu'avancent les vendeurs de produits phytopharmaceutiques. Or, je préconise une autre approche que le rendement maximal. Recherchons plutôt un optimum de rendement réduisant autant que faire se peut l'emploi de produits phytopharmaceutiques. Comparables en valeur à celles obtenues par l'agriculture conventionnelle, nos marges brutes sont aussi régulières, car nous utilisons des espèces naturellement résistantes. Et donc les années difficiles, lorsqu'on a utilisé tout de même des pesticides, on a enregistré malgré tout des pertes de récolte.
M. Joël Labbé . - Êtes-vous hostiles à la nouvelle règlementation concernant les semences ?
M. Frédéric Darley . - Les semences ne sont pas un gros poste de dépense mais nous voulons reprendre la maîtrise du vivant, ce que ne permet pas cette règlementation.
M. Gérard Le Cam . - Le maïs est très consommateur d'intrants. Pensez-vous qu'il faille sortir de la dépendance au maïs ?
M. Frédéric Darley . - Le maïs peut être cultivé avec peu d'intrants s'il s'intègre dans une rotation. Ce qui rend nécessaire l'emploi de produits chimiques, c'est la spécialisation des exploitations.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les ventes de produits phytopharmaceutiques augmentent malgré l'existence de solutions alternatives.
M. Frédéric Darley . - Il est difficile de changer ses pratiques agricoles. En outre, la chimie simplifie la tâche. Son emploi croissant est très cohérent avec la réduction du nombre de personnes qui s'activent sur les exploitations : la productivité à l'hectare diminue, mais la productivité du travail augmente.
Mme Nathalie Gouérec . - Nos agriculteurs gagnent au moins aussi bien leur vie que ceux pratiquant l'agriculture conventionnelle. La confusion entre chiffre d'affaires et revenu reste fréquente.
Mme Sophie Primas , présidente . - Même parmi les jeunes ?
Mme Nathalie Gouérec . - Oui !
On sélectionne actuellement des vaches sur leur capacité à produire du lait, alors que l'important est leur fertilité. Or, ces deux objectifs sont contradictoires. En Nouvelle-Zélande, on sélectionne des vaches pouvant se contenter d'une seule traite par jour. Les signaux réglementaires donnés en France sont incohérents.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pourriez-vous citer un exemple ?
Mme Nathalie Gouérec . - Les normes applicables aux vaches laitières prennent en compte les rejets d'azote, mais le plan « algues vertes » incite à laisser les vaches dans les champs.
Mme Sophie Primas , présidente . - Dans chaque cas, la démarche semble fondée.
Mme Nathalie Gouérec . - Oui, mais une norme unique limite fixant 170 kg d'azote par hectare est laxiste pour le maïs et excessivement restrictive pour l'herbe, car elle prend en compte les rejets en négligeant la valorisation. Si l'on disait que le coût de l'énergie et des intrants allait augmenter, les agriculteurs réduiraient l'emploi des pesticides... à condition que tous les signaux indiquent la même direction.
Mme Sophie Primas , présidente. - Le diable est-il dans les détails ?
Mme Nathalie Gouérec . - En effet. Les agriculteurs sont des acteurs économiques rationnels et intelligents, à même d'aller dans le sens voulu par la société, pourvu qu'elle s'exprime clairement.
M. Frédéric Darley . - Malheureusement, le milieu agricole est fermé sur lui-même.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Parmi les agriculteurs qui s'installent, certains proviennent de couches sociales autres qu'agricoles.
Mme Sophie Primas , présidente . - La profession va s'ouvrir.
Mme Nathalie Gouérec . - Souhaitons-le. Dans les écoles, on parle de plus en plus agriculture durable, mais l'intérêt pour le machinisme l'emporte. La culture dominante est celle du rendement. Toute interdiction de produit phytopharmaceutique est vécue comme une contrainte, alors que les agriculteurs sont les premières victimes des pesticides !
M. Frédéric Darley . - Le syndicat majoritaire, la F.N.S.E.A, porte l'agriculture vers l'agrandissement des propriétés, vers l'utilisation accrue de la technologie pour surmonter les problèmes de pollution. Ce n'est pas nécessairement le retour à l'agronomie.
Mme Sophie Primas , présidente . - J'ai été frappée par la technicité des agriculteurs bio rencontrés par la mission, qui utilisent beaucoup de techniques, sont extrêmement modernes et pratiquent la sélection.
M. Frédéric Darley . - Prenons l'exemple du lisier de porc : le syndicat majoritaire oriente l'activité vers la mécanisation avec une filière « lisier », plutôt que vers la restructuration de la filière porcine.
Mme Nathalie Gouérec . - La FNSEA privilégie l'adaptation des pratiques, non l'évolution du système.
La rotation entre maïs et blé est incompatible avec la réduction des produits phytopharmaceutiques. En revanche, on peut en diminuer l'usage en repensant le système d'exploitation, avec une rotation plus longue faisant alterner la luzerne - pendant trois ou quatre ans d'affilée - avec le maïs et le blé. Le mélange d'espèces ouvre également des perspectives intéressantes, bien que notre connaissance des interactions entre céréales et légumineuses soit purement empirique. Envisager le désherbage mécanique dans le cadre actuel reviendrait à s'engager dans une impasse. Ce que nous faisons n'a rien d'un retour en arrière. C'est moderne et stimulant.
M. Joël Labbé . - Votre logique n'est pas celle de l'agriculture raisonnée, c'est celle de l'agriculture intensive. Votre réseau est-il principalement familial ?
M. Frédéric Darley . - Nos adhérents sont surtout des exploitants familiaux.
M. Gérard Le Cam . - L'élevage de porcs nécessite beaucoup de céréales.
M. Frédéric Darley . - Théoriquement, on peut envisager un assolement collectif : tel producteur de porcs laisserait un éleveur de vaches utiliser une surface pour faire pousser de l'herbe, mais cette pratique se heurte à l'attachement quasi viscéral éprouvé par un paysan pour sa terre.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que pensez-vous du Certiphyto ?
M. Frédéric Darley . - Cette formation dure deux jours, ce qui est en soi une belle performance. Elle fait prendre conscience du risque sanitaire direct induit par l'emploi des pesticides, mais le volet agricole de la réduction se limite à une initiation. La formation n'est pas très poussée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Grâce à cette formation, les agriculteurs accordent donc un peu plus d'attention aux risques que font peser les pesticides.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Toute la société en parle ! Certains agriculteurs sont gravement atteints. C'est notoire.
M. Frédéric Darley . - On sait qu'il y a de nombreux cas. La maladie de Parkinson semble ainsi corrélée aux produits phytopharmaceutiques. Mais on manque encore de données pour relier les pathologies aux pesticides .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - C'est officiellement reconnu.
M. Gérard Le Cam . - Nous en avons vu de tristes exemples en Bretagne.
Mme Nathalie Gouérec . - Dans les champs, certains agriculteurs traitent sans protection. Nous avons un groupe d'agriculteurs engagés dans le plan Écophyto. Il est possible de diviser immédiatement par deux l'usage de produits phytopharmaceutiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Une expérience réalisée par l'INRA prouve que l'on peut réduire de 30 % des intrants utilisés.
Mme Nathalie Gouérec. - Oui. Pour aller au-delà, il faut faire évoluer le système. Le Cémagref et l'INRA l'ont démontré.
Depuis cinq ans, le réseau d'agriculture durable s'est engagé dans l'élaboration d' un cahier des charges pour les grandes cultures . Nous réfléchissons globalement sur l'exploitation, avec un double objectif : maintenir les revenus des agriculteurs et diminuer l'usage de produits phytopharmaceutiques. Mais la réduction des pesticides ne peut se concevoir isolément . L'emploi d'azote est également réduit, des protéagineux sont réintroduits dans les assolements. Ce cahier des charges permet de réduire les utilisations de pesticides de manière spectaculaire.
M. Henri Tandonnet . - Pensez-vous que des taxes peuvent dissuader de recourir aux produits phytopharmaceutiques ?
M. Frédéric Darley . - Ce qui fera évoluer les pratiques agricoles, c'est le prix excessif des produits chimiques. L'action sur les prix est efficace, mais il est regrettable de recourir à ce levier. En outre, toute hausse artificielle des prix encourage l'approvisionnement parallèle .
Mme Nathalie Gouérec . - À mon sens, le prix exprime un signal politique plus qu'un enjeu économique. Changer de système est logique, car il faut penser autrement son exploitation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Une telle évolution mettrait-elle en cause la rentabilité des investissements déjà réalisés ?
M. Frédéric Darley . - Ces dernières années, les revenus nets des céréaliers sont identiques aux primes PAC perçues. Il faudra donc verdir la politique agricole commune.
Mme Nathalie Gouérec . - Le matériel utilisé pour le travail du sol n'a pas besoin d'être changé. En revanche, la reconversion d'une exploitation exige un grand investissement immatériel .
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment changer de système ?
M. Frédéric Darley . - Lorsqu'un agriculteur s'engage dans un système fourrager économe en intrants (SFEI), le Cédapa l'accompagne.
Mme Nathalie Gouérec . - Toutes les étapes sont suivies. Il faut plusieurs années pour qu'un rendement accru de l'herbe permette de réduire l'usage du maïs. Pendant ce temps, l'accompagnement individuel se conjugue avec une participation à des rencontres entre agriculteurs. Ainsi, l'expérience est partagée.
M. Henri Tandonnet . - Bénéficiez-vous d' aides ?
Mme Nathalie Gouérec . - Il y a le dispositif agroenvironnemental . Nous avons un projet sur les grandes cultures économes en intrants, avec un cahier des charges.
Audition de M. Jean-Luc Bindel (FNAF-CGT) et M. Roger Perret (IRESA) (18 juillet 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci d'avoir accepté d'être entendus. Notre angle d'attaque sur le sujet des pesticides est celui de leur impact sur la santé de ceux qui sont directement exposés quelles que soient leurs fonctions, fabricant ou utilisateur.
M. Jean-Luc Bindel . - Notre organisation est présente dans l'ensemble du monde agricole. Pour l'élection au collège des salariés dans les chambres d'agriculture, notre organisation est la première avec 38 % des voix, devant la CFDT (27 %) et FO (15 %). Le sujet des pesticides nous intéresse fortement : nous menons chaque année une campagne sur les conditions de travail et demandons à « arrêter le massacre ». En matière de pesticides, nous sommes en présence d'une bombe à retardement pour les salariés, qui explosera dans les années futures. Notre organisation participe à l'Institut de Recherche et d'Etudes des Salariés Agricoles (IRESA), qui associe scientifiques et chercheurs pour analyser les évolutions du travail agricole et des conditions de travail.
M. Roger Perret . - Le monde des salariés agricoles est souvent ignoré. Or la part du travail effectué dans les exploitations par les salariés est importante : elle s'élève à presque 30 % des unités de travail annuel (UTA) et, compte tenu des évolutions structurelles de l'agriculture, devrait croître dans les années à venir. Or, le travail agricole salarié est marqué par l'importance de la précarité : 50 % du travail salarié agricole est du travail saisonnier . Par ailleurs, on constate une progression de la part des femmes dans le travail salarié agricole , qui s'élève à 30 % environ aujourd'hui.
L'état des mentalités en agriculture conduit à sous-estimer les risques : cela est vrai pour les salariés mais aussi pour les exploitants eux-mêmes. Cette négation de la réalité des risques est liée à une conception productiviste de l'agriculture. Toutefois, les mentalités commencent à changer : ainsi, les tribunaux sont désormais saisis pour faire reconnaître des maladies professionnelles.
Un des aspects qui nous préoccupe aujourd'hui, à propos la sécurité au travail des salariés agricoles , concerne la mise sur le marché des machines agricoles, en particulier celles servant à l'épandage. Beaucoup de machines ne respectent pas les normes les plus évidentes et, d'ailleurs, l'inspection du travail a été amenée à constater un grand nombre d'infractions.
Un autre aspect concerne les conditions des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques : on présuppose que ces produits seront utilisés avec des équipements de protection, mais nulle part les types de protection ne sont précisés . En outre, les équipements de protection sont inadaptés à la réalité du travail agricole . Nous pensons que si les pesticides sont dangereux, il ne faut pas autoriser l'exposition des salariés et donc interdire purement et simplement ces produits : c'est cela la prévention primaire !
Nous remarquons également que si, depuis le décret de 2001, un document unique d'évaluation des risques (DUER) doit organiser la prévention primaire en présentant au salarié l'ensemble des risques auxquels il peut être exposé, ce document est souvent inexistant dans les exploitations agricoles .
Il nous semble donc que nous devrions changer d'approche en réduisant l'exposition des salariés aux risques, y compris en retirant des produits du marché. Les fabricants devraient aussi mieux informer des risques auxquels leurs produits exposent et des moyens de s'en protéger. Trop souvent, les combinaisons proposées sont trop anciennes, plus aux normes, et ne sont pas adaptées . En outre, l'information agit sur les comportements : si vous voyez des opérateurs en combinaison pulvériser un champ, le lendemain, vous aurez du mal à acheter un produit venant de ce champ !
Mme Sophie Primas , présidente . - Des informations ne figurent-elles pas sur les bidons contenant les produits ?
M. Jean-Luc Bindel . - Certains salariés ne savent pas lire , en particulier ceux recrutés par la voie de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).
Mme Sophie Primas , présidente . - Il nous semble que s'il y a trop d'informations, cela ne sera pas lisible.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - En pratique, les saisonniers sont-ils amenés à épandre les pesticides sur les cultures ?
M. Roger Perret . - Non, mais ce ne sont pas forcément ceux qui épandent qui sont les plus exposés. Les études de dangerosité effectuées - que l'UIPP ignore, en continuant à faire croire que les pesticides autorisés ne sont pas dangereux - montrent que ceux qui vont tailler la vigne ou travailler dans les champs de maïs après épandage sont les plus exposés . Les risques ne se réaliseront que longtemps après l'exposition, et pourront se transmettre sur plusieurs générations, les produits concernés ayant des effets de perturbateurs endocriniens.
Il est curieux que la législation reconnaisse que certains produits soient causes de maladies professionnelles, pour les salariés du régime général, alors qu'ils ne sont pas considérés comme causant de telles maladies, lorsqu'ils sont utilisés en agriculture. La reconnaissance des maladies professionnelles en agriculture a pris du retard.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comment expliquez-vous que certains syndicats agricoles aient été hostiles à la reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle ?
M. Roger Perret . - C'est une position étonnante, que l'on peut regretter. Au demeurant les exploitants sont exposés de la même manière que les salariés et doivent être traités de la même manière face au risque professionnel ?
M. Jean-Luc Bindel . - Certains agriculteurs ont un intérêt direct à la production de pesticides , notamment ceux qui sont très impliqués dans les coopératives, qui sont aussi des distributeurs. Certaines pratiques posent problème : j'ai vu de l'enrobage de semence effectué dans une bétonnière ! En outre, il n'est pas étonnant que les exploitants soient réticents à la reconnaissance de davantage de maladies professionnelles car cette reconnaissance fait grimper leur taux de cotisation à la MSA .
M. Roger Perret . - Désormais, la maladie de Parkinson est reconnue dans le régime agricole comme maladie professionnelle, alors qu'elle ne l'est pas dans le régime général. Pour la plupart des autres maladies, nous connaissons la situation inverse. Mais un travail est effectué pour reconnaître les hémopathies . Nous préférons faire évoluer les tableaux pour avoir une certaine homogénéité dans les conditions de reconnaissance des maladies professionnelles ; en effet, il y a trop de différences de traitement des demandes au cas par cas présentées devant les commissions régionales de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) .
Nous souhaitons évoluer en deux temps : dans un premier temps, les maladies professionnelles liées aux pesticides reconnues dans le régime général devraient l'être dans le régime agricole et, dans un deuxième temps, un travail de fond devrait être engagé pour réduire l'exposition aux pesticides. Les produits utilisés ont un effet différé. Il faut donc un suivi à long terme des salariés exposés aux risques , pour mieux repérer les causes des maladies des salariés, quelques années plus tard.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les carnets d'exposition existent pour les salariés des entreprises de la chimie ; cela n'existe pas en agriculture ?
M. Roger Perret . - Non, le seul outil utile est la visite effectuée à la médecine du travail à l'âge de cinquante ans, permettant de retracer la carrière de l'intéressé. Mais la médecine du travail a été réformée et la visite à cinquante ans est loin d'être systématique en raison du manque de moyens. En outre, l'espacement entre les visites ne facilite pas le suivi des salariés.
J'ajoute deux points : le plan Ecophyto 2018 vise à réduire de 50 % l'utilisation des pesticides. Mais la consommation est très dépendante des conditions climatiques. Et calculer un tonnage ne suffit pas . Le plan doit évoluer.
Mon second point a trait à la recherche : nous souhaitons qu'il y ait un développement de la recherche publique sur les pesticides et que cette recherche se démarque du productivisme pour s'intéresser vraiment à la santé.
Les salariés agricoles ne profitent pas longtemps de leur retraite, c'est une réalité ! Les agriculteurs commencent d'ailleurs à s'en apercevoir et à protester contre les risques que leur font courir les produits qu'ils emploient.
Je souhaiterais une centralisation dans une banque de données des connaissances et recherches sur la santé dans le secteur agricole. La base Agrican ne suffit pas. Et la communication autour d'Agrican a été biaisée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce n'est pas ce que dit le Dr Pierre Lebailly.
M. Roger Perret . - Je n'attaque aucunement le Dr Pierre Lebailly qui accomplit un travail important mais la communication de la MSA est à revoir.
Pour conclure, je dirais qu'en agriculture, les changements ne se produisent pas spontanément. C'est toujours au travers des interrogations sur la consommation qu'on a abordé les problèmes de santé causés par les pesticides, comme cela a été le cas pour la chlordécone . Comme il y a d'énormes retards dans les conditions de travail en agriculture, pour la reconnaissance des maladies professionnelles ou encore au sujet des documents de prévention, il faut inverser les responsabilités : ce ne sont pas les agriculteurs qui doivent être en première ligne. Les textes doivent n'autoriser que des produits sans danger. De ce fait, si l'agriculteur ne respecte pas la réglementation, il n'y aura pas de conséquence dommageable. D'une manière générale, en agriculture, il faut des textes qui contraignent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle est votre vision sur le développement des méthodes alternatives ?
M. Roger Perret . - Il n'est pas possible de se satisfaire uniquement de communication. Le durable ne doit pas être astuce de communication. Les exploitations grandissent et il faudra toujours traiter les champs. Nous sommes sceptiques sur la capacité du milieu agricole à réduire spontanément leur consommation de pesticides , car les agriculteurs craignent que cela menace la production. Il faut promouvoir un autre modèle agricole. Nous ne sommes pas pessimistes car il y a une pression des associations de défense de l'environnement ou du consommateur. Certains agriculteurs se rendent aussi compte que le modèle productiviste touche à ses limites. Mais la lourdeur des habitudes exige une action énergique de l'État pour provoquer le changement.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est le niveau de formation des salariés saisonniers ? Reviennent-ils sur les exploitations d'une année sur l'autre ?
M. Jean-Luc Bindel . - Pendant longtemps, les salariés sont revenus année après année. Mais les pratiques sont parfois contestables : certains employeurs demandent de l'argent pour signer un contrat pour l'année suivante, certains aussi ne payent pas les heures supplémentaires effectuées, notamment par les travailleurs immigrés. Une nouvelle tendance se développe aujourd'hui : on fait venir des salariés sud-américains, relevant de sociétés de prestation de services de droit espagnol, dont les papiers sont donc en Espagne. L'inspection du travail ne peut donc pas faire de contrôles efficaces. Dans ces conditions, les salariés ne reviennent pas. Ce sont les moins protégés de tous.
Pour le reste, des efforts de formation sont à effectuer. Parfois, les salariés manipulent les produits sans savoir ce qu'ils font. Dans les vergers , il est inacceptable que les hélicoptères passent pour traiter alors que les salariés travaillent au sol .
Certains agriculteurs emploient aussi des clandestins comme salariés saisonniers.
M. Roger Perret . - Une technique de rémunération était particulièrement perverse : le paiement à la tâche. Certains employeurs trafiquaient la pesée pour qu'apparaisse un poids inférieur au poids de récolte effectif, permettant de payer moins les tâcherons.
D'une manière générale, les saisonniers sont des précaires, mis en situation d'infériorité, mais qui souhaitent revenir l'année suivante. Ils ne peuvent pas se plaindre. Là aussi, il faut inverser les responsabilités et demander à l'employeur de prouver que le salarié n'est pas en danger .
En ce qui concerne l'enseignement agricole , il faut que la question de la santé fasse partie du cursus de formation car cela participe de la prévention.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment un agriculteur peut-il devenir un mauvais employeur ? L'appât du gain explique-t-il tout ?
M. Jean-Luc Bindel . - A partir du moment où le produit agricole est un produit comme les autres, on expose l'agriculteur à la concurrence internationale. C'est aberrant et cela pousse au productivisme. Les agro-carburants poussent aussi à la production. On se pose peu la question des effets des intrants. Or, les plantes s'adaptent et deviennent résistantes aux traitements. Ce modèle agricole va vers l'abîme. Le bio et le développement durable ne peuvent pas marcher si l'on ne change pas le cadre global.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'agriculture alternative est-elle donc impossible ?
M. Jean-Luc Bindel . - Non, mais qui va sur les marchés bio ? Les bobos parisiens ! Les autres vont acheter dans le hard-discount .
M. Roger Perret . - Imaginez un agriculteur plein de bonne volonté qui reçoit un conseiller de la chambre d'agriculture : il suivra ce que l'on lui dit pour s'assurer de la meilleure production. Or, les pesticides doivent être achetés. Cela a une répercussion sur le coût de production. On parle toujours du coût des salaires mais jamais de celui des intrants, qui est pourtant déterminant.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous avez produit un rapport sur les pesticides et la santé , pouvez-vous nous en parler ?
M. Roger Perret . - Oui. La question de la santé en agriculture est difficile. L'objet de ce document était de sensibiliser les salariés et les responsables syndicaux à cette question compliquée par un document de vulgarisation. Les responsables sont souvent plus focalisés sur les questions de salaire et les autres aspects sont moins connus. Nous attendons aussi que des chercheurs et étudiants s'intéressent à la question. Nous travaillons déjà avec l'Université de Bordeaux. Notre action ne se limite pas à la santé mais porte aussi sur la sociologie : nous avons réalisé une étude sur la participation des salariés aux fêtes agricoles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Avez-vous pu constater un nombre important d' accidents du travail liés aux pesticides ?
M. Roger Perret . - L'essentiel des maladies professionnelles reconnues relèvent des troubles musculo-squelettiques. En ce qui concerne les accidents du travail, il existe quelques exemples, notamment d'accidents dans les silos. Les silos posent aussi des problèmes d'expositions aux pesticides avec des particules en suspension dans l'espace lors des manipulations. D'une manière générale il y a des réticences à déclarer les accidents. Les salariés hésitent aussi à les déclarer car ils craignent de perdre leur emploi. Notre travail de responsables syndicaux consiste à faire émerger les problèmes. Nous regrettons que la MSA conteste systématiquement la reconnaissance de maladies professionnelles . L'année dernière, nous avons fait réaliser une étude sur les recours devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale, constatant que, en conciliation, les salariés n'avaient satisfaction qu'à hauteur de 50 % des montants demandés et de 30 % au niveau des tribunaux administratifs.
M. Jean-Luc Bindel . - Le problème vient du fait que le Conseil d'administration de la MSA est composé majoritairement de représentants des employeurs. La reconnaissance des maladies professionnelles est un calvaire pour les salariés. La question de l'établissement de la preuve est fondamentale.
M. Roger Perret . - Pour conclure, nous espérons que le législateur aidera à changer les mentalités en agriculture.
Effets des pesticides sur la santé des utilisateurs, de leur famille et des riverains : regards croisés - Table ronde (24 juillet 2012)
http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video13981.html
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Mme Sophie Primas , présidente . - Mesdames et Messieurs, je vous remercie de participer aujourd'hui à la quatrième table ronde de notre mission d'information qui a pour thème les impacts des pesticides sur la santé des fabricants, des utilisateurs, de leurs familles et des riverains. Nous avons besoin de vos regards croisés. Cette mission d'information a été constituée en février 2012. Elle devrait achever ses travaux par la parution d'un rapport en octobre 2012. Cette mission a été créée par Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, alertée par plusieurs agriculteurs victimes des pesticides.
Dès le début de notre mission, il nous est apparu impossible de traiter, dans sa globalité, le sujet des pesticides qui inclut les risques professionnels et la rémanence dans l'alimentation et l'environnement. Nous avons donc choisi de nous orienter vers la première partie de cette thématique concernant la santé.
Cette mission d'information a la particularité d'être composée de sénateurs membres de chacune des commissions permanentes du Sénat. Tous les groupes politiques y sont représentés. J'appelle de mes voeux un rapport final qui recueille le consensus le plus large sur ce sujet sanitaire.
La table ronde d'aujourd'hui s'inscrit dans le cadre de près de quatre-vingt-dix auditions menées au Sénat et en province depuis le début du mois de mars, ce qui représente, à ce jour, un dialogue avec près de cent-quatre-vingt personnes. Ce dialogue sera retranscrit dans un second tome de comptes rendus qui compte près de six cents pages. Nous nous rendrons également à Bruxelles en septembre pour comprendre l'articulation du droit communautaire avec notre droit national.
A l'issue de la présente table ronde, le ministre de l'agriculture nous fera l'honneur d'être entendu par cette mission d'information. Nous avons également entendu le ministre de la santé, ainsi que des administrations, des agences, des chercheurs et les principales parties prenantes (industrie chimique, phytosanitaire, industrie du jardin et des plantes, coopératives agricoles, négoce, grande distribution, syndicats de salariés, associations de victimes, riverains, etc...).
La présente table ronde réunit des représentants du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), de l'ANSES, de l'association Henri Pézerat, santé, travail, environnement, du Laboratoire Santé, Travail Environnement (LSTE) de l'Université de Bordeaux et de Bayer CropScience .
Avant tout, les membres de la mission souhaitent recueillir des informations complémentaires, notamment sur la toxicologie, l'ergo-toxicologie, l'expologie et l'épidémiologie concernant les pesticides et sur les évolutions récentes des connaissances dans ces domaines face aux dangers et risques de ces produits.
Cette mission traite d'un sujet très technique et très scientifique. Nous avons besoin aujourd'hui de la confrontation de vos différentes opinions, qui ne sont pas toujours convergentes, car nous aimerions, à l'issue de cette table ronde, avoir progressé dans nos recommandations.
Nous serons également intéressés par votre avis sur l'état des coopérations entre vos différentes spécialisations et par vos recommandations, à titre individuel, pour assurer la santé de nos compatriotes et le respect de la vocation agricole de notre pays.
La mission d'information vous souhaite la bienvenue et vous remercie pour vos contributions à ses travaux.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je vous remercie pour votre présence aujourd'hui au Sénat. Un questionnaire vous a été adressé. Il s'agit d'une trame pour introduire nos débats.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous demanderai de vous présenter en quelques mots.
M. Robert Baan , chercheur en toxicologie génétique et directeur adjoint de la section monographies du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) . - Je travaille au Centre International de Recherche sur le Cancer de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à Lyon. Je suis le directeur adjoint de l'unité des monographies du CIRC. Cette unité livre des études encyclopédiques sur les substances cancérogènes.
M. Gérard Lasfargues, directeur général-adjoint de l'ANSES . - Je suis le directeur général adjoint scientifique de l'ANSES. J'ai une formation universitaire en médecine et santé au travail avec une spécialisation en toxicologie industrielle et épidémiologie. J'ai déjà été entendu par votre mission et j'ai pris en charge de nombreuses missions sur les pesticides, les produits phytosanitaires et les biocides dans le cadre d'évaluations réglementaires, post-AMM ou d'évaluations scientifiques sur les thématiques santé au travail, santé-environnement et santé et alimentation.
Mme Annie Thébaud-Mony, directeur de recherche honoraire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et présidente de l'association Henri Pézerat, santé, travail, environnement . - Directrice de recherche honoraire à l'INSERM, je suis chercheur associé au groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle. J'anime également l'association Henri Pézerat sur les questions de santé au travail et santé-environnement.
M. Alain Garrigou, maître de conférences en ergonomie à l'IUT Hygiène sécurité et environnement, laboratoire santé, travail environnement (LSTE) de l'Université Bordeaux 2 . - Je suis enseignant-chercheur en ergonomie. Depuis six ans, je fais partie du laboratoire santé, travail, environnement de l'Université de Bordeaux 2 qui est une équipe pluridisciplinaire en santé publique. Je représente le versant expologie. A partir d'analyses de terrain, je me penche sur le regard qu'on peut apporter sur la question de la contamination.
M. Frédéric Schorsch , docteur vétérinaire, pathologiste toxicologue, Bayer CropScience . - Toxicologue et médecin vétérinaire, je suis responsable du laboratoire de pathologie pour Bayer CropScience où je m'occupe du développement des molécules mises sur le marché. J'ai été responsable du laboratoire de toxicologie de l'INERIS pendant cinq ans après avoir été enseignant à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort. Président de la Société française de pathologie toxicologique (S.F.P.T) de 2007 à 2012, je suis actuellement président de la Société européenne de pathologie toxicologique (E.S.T.P).
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie. Pour lancer le débat à partir du questionnaire qui vous a été remis, pourriez-vous nous faire part de votre opinion sur les efforts déployés par l'industrie, les effets d'un certain nombre de molécules et la qualité de nos avis toxicologiques et épidémiologiques ? J'invite M. Robert Baan à prendre la parole en premier.
M. Robert Baan, CIRC . - Je suis un spécialiste du cancer. En matière d'effets sur la santé, l'unité de monographies du CIRC s'occupe principalement des cancers. De ce point de vue, nous avons évalué les effets cancérogènes de certaines expositions notamment aux pesticides et herbicides. Depuis 1974, notre unité a régulièrement évalué la base de données existante dans la littérature publiée pour un grand nombre de pesticides. La classification 3 du CIRC signifie qu'il n'existe pas suffisamment de données pour tirer une conclusion. La classification 2B signifie « potentiellement cancérogène ».
En 1986, le groupe de travail a examiné les expositions professionnelles aux chlorophénols et chlorophénoxy-herbicides . Il a été constaté que les travailleurs exposés à ces substances ont un risque accru de développer certains cancers. Cette exposition a donc été classée dans la catégorie 2B. La plus récente monographie (53) de 1991 fait état des expositions professionnelles aux insecticides et à quelques pesticides. Des données indiquent que les expositions professionnelles pendant les applications d'insecticides provoquent un risque élevé de cancer . L'évaluation générale montre que ce type d'exposition est probablement cancérogène, d'où la classification 2A. Depuis 1991, le CIRC n'a pas examiné de nouveau ce type de sujets.
Une revue, publiée récemment, montre que les expositions aux substances chimiques dans toutes les catégories de pesticides (insecticides, herbicides, fongicides et fumigants) ont une association significative, sur le plan statistique, avec certains types de cancers . Dans de nombreux articles épidémiologiques, des substances chimiques spécifiques contenues dans plusieurs catégories de pesticides sont associées aux cancers (insecticides avec du chlore, organophosphates, carbamates, phénoxyacides, triazines) .
Une revue rédigée par Alvanja & Bonner reprend plusieurs publications sur l'épidémiologie parmi les travailleurs dans le milieu agricole qui sont en contact avec les pesticides, herbicides et fumigants.
Environ vingt pesticides ont été associés à certains cancers. Des études ont également pris en compte les facteurs qui peuvent perturber l'interprétation des résultats, notamment le tabagisme pour le cancer du poumon. Les auteurs de cette revue ont indiqué que les observations en épidémiologie doivent être confirmées par d'autres études en toxicologie et des études expérimentales sur les animaux afin de tirer des conclusions sur les effets cancérogènes des pesticides pris isolément.
A ce jour, il n'existe pas de pesticide classé en groupe 1 (connu pour être cancérogène) par le CIRC. En effet, il est très difficile d'avoir des études épidémiologiques où l'homme est exposé à une seule substance.
S'agissant des expositions professionnelles , le CIRC a souvent procédé à une évaluation des substances non pas isolément mais dans une certaine situation professionnelle. Une réévaluation de l'exposition aux pesticides par un groupe de travail composé d'experts semble nécessaire pour mettre à jour notre ancienne évaluation de 1991.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Lorsque l'exposition mêle plusieurs substances, le risque devient plus important je suppose.
M. Robert Baan, CIRC . - On ne peut le savoir a priori . L'interaction des substances peut aggraver la situation ou bien avoir l'effet inverse.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Que faudrait-il faire pour avoir une plus grande certitude en la matière ?
M. Robert Baan, CIRC . - Il faudrait mener des expériences avec des substances séparées dans un laboratoire ainsi que des expériences de toxicologie et également sur les animaux pour renforcer les études épidémiologiques.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces études n'ont-elles pas été réalisées ailleurs et ne peuvent-elles être croisées ?
M. Robert Baan, CIRC . - Notre groupe de travail rassemble des toxicologues ayant mené des expériences avec des substances séparées. Les connaissances sur les effets toxicologiques et géno-toxicologiques peuvent renforcer les données d'une étude épidémiologique. Une donnée forte sur la toxicologie d'une substance dans le mélange peut accréditer l'idée que cette dernière est la substance clé dans les effets cancérogènes.
Mme Sophie Primas , présidente . - C'est donc ce travail qui manque aujourd'hui à la science pour avoir plus de certitudes.
M. Robert Baan, CIRC . - Dans nos groupes de travail, nos épidémiologistes ont étudié des mélanges mais n'ont pu aboutir à des conclusions en raison du manque de données en toxicologie .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Nous avons pourtant le sentiment que les données sont nombreuses mais que nous n'avançons pas dans les constats, dans la mesure où ces données ne sont pas centralisées et croisées.
M. Robert Baan, CIRC . - Concernant les pesticides et les substances produites par l'industrie chimique, de nombreuses données sur la toxicologie sont confidentielles. Or, le CIRC ne peut baser ses évaluations que sur les données publiées dans la littérature et accessibles à tous.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous donnerons la parole aux industriels ultérieurement pour qu'ils puissent nous éclairer sur le sujet.
M. Gérard Le Cam , sénateur . - L'ANSES a-t-elle accès aux données confidentielles des industriels ?
M. Robert Baan, CIRC . - La situation en France n'est pas plus grave que dans les autres pays européens mais elle est différente. La France est la championne de l'utilisation de pesticides en Europe. Elle est également un grand producteur agricole. S'agissant des produits pour la protection des plantes, plus de 30 % des fongicides sont utilisés par la France pour la production du vin. La France, l'Italie et l'Espagne consomment, à eux trois, plus de 80 % des fongicides employés dans l'Union européenne. Enfin, plus du quart des vermicides utilisés en Europe le sont par la France.
M. Gilbert Barbier , sénateur . - Parvenez-vous à discerner les formes histologiques spécifiques de certains cancers (poumon, prostate) touchant les professionnels utilisateurs de pesticides ?
M. Robert Baan, CIRC . - Je ne suis pas épidémiologiste mais je crois qu'il serait très intéressant de voir s'il existe une empreinte dans l'histologie des cancers qu'on pourrait associer à une exposition à une substance. Cela étant, j'ignore si ces données existent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je donne maintenant la parole à l'ANSES.
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - S'agissant du lien qui peut être établi entre certaines classes de pesticides et des pathologies, il existe un niveau de preuve qu'il est important de prendre en compte. Celui-ci peut être très différent selon les pathologies et les expositions.
Concernant la thématique santé et travail, l'ANSES a réalisé un travail de recherche dans les laboratoires de l'agence ainsi qu'un travail de soutien à la recherche grâce au programme national de recherche environnement, santé au travail financé par les ministères du travail et de l'environnement, le plan Ecophyto et l'INSERM. L'ANSES peut donc financer un certain nombre de travaux notamment sur les pesticides et les cancers, les multi-expositions ou les effets perturbateurs endocriniens.
Le travail d'expertise de l'Agence est divisé en deux. Il regroupe l'évaluation réglementaire des dangers des substances avant l'octroi de leur AMM par le ministère de l'agriculture en France. Cette évaluation est encadrée au niveau européen par un règlement qui a évolué. Lancé lors de la présidence française de l'Union européenne en 2008, un nouveau règlement a été adopté en 2009 et est entré en vigueur en juin 2011. Ce dernier renforce l'évaluation des pesticides au niveau européen. Aujourd'hui, 75 % des pesticides utilisés il y a vingt ans sont interdits. Les études du CIRC sur la monographie de 1991 s'intéressaient à des expositions à un certain nombre de produits qui n'existent plus aujourd'hui mais dont certains peuvent être rémanents dans l'environnement.
Avec l'épidémiologie actuelle, les critères d'exposition et les évaluations d'expositions doivent être renforcées par des méthodes modernes, notamment l'utilisation de bio-marqueurs (biologiques, sanguins, urinaires), de systèmes d'information géographique pour établir des cartographies d'exposition aux produits phytosanitaires et mis en relation avec des pathologies au niveau régional. La mise en oeuvre de ces nouvelles méthodes dans les études épidémiologiques constitue un véritable enjeu pour disposer de connaissances plus solides et de niveaux de preuve plus précis sur le lien entre des pathologies et des expositions aux produits phytosanitaires.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ces nouvelles méthodes n'existent-elles pas à ce jour ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Nous finançons de nombreuses équipes sur ce sujet. L'épidémiologie, comme toute discipline, progresse. Les outils d'évaluation des expositions et l'expologie représentent donc un enjeu important notamment dans le domaine santé et travail. Par conséquent, il est important de faire travailler ensemble des modélisateurs, des statisticiens, des épidémiologistes et des acteurs de terrain tels que des ergo-toxicologues qui sont capables de déterminer les éléments de l'environnement de travail susceptibles de moduler le niveau des expositions professionnelles.
Mme Sophie Primas , présidente . - Ce travail conjoint n'existe-t-il donc pas ou peu aujourd'hui ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Ce travail coopératif se pratique de plus en plus. Le programme de l'agence favorise le travail multidisciplinaire dans ses études pour disposer du meilleur apport possible sur les expositions et les pathologies.
M. Joël Labbé , sénateur . - Vos méthodes de travail évoluent mais, en attendant, les molécules obtiennent des autorisations de mise sur le marché. Il serait intéressant de nous rappeler le processus de fabrication avant la mise sur le marché. Avez-vous accès aux données confidentielles des industriels pour connaître le processus de fabrication et de tests ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Le processus d'évaluation réglementaire est basé sur un nouveau règlement . Celui-ci contient des critères d' exclusion d'un certain nombre de substances jugées dangereuses : les CMR 1A et 1B, les produits très persistants dans l'environnement et les produits qui présentent un certain nombre de propriétés repro-toxiques (perturbateurs endocriniens) . Le règlement introduit également des critères pour permettre l'identification de substances candidates à la substitution pour les produits phytosanitaires les plus dangereux.
La France est plutôt moteur en Europe pour l'évolution des méthodologies a priori d'évaluation des pesticides. Cette évaluation est organisée par zones. La France, qui est classée dans la zone Sud, a en charge l'évaluation d'un certain nombre de dossiers.
Mme Sophie Primas , présidente . - L'industrie chimique choisit-t-elle le pays dans lequel elle va être évaluée ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Oui. Les industriels n'ont pas intérêt à ce que l'AMM soit contestée. Ils recherchent donc les pays où l'évaluation est la plus stricte. La France qui est assez dynamique en la matière reçoit, par conséquent, de nombreux dossiers par rapport à d'autres pays de la zone Sud. Des développements méthodologiques sont en cours. Nous avons ainsi commencé à évaluer les multi-expositions et les effets cumulés dans l'évaluation réglementaire. Nous tentons d'obtenir des données sur ce sujet dans les dossiers des industriels. En effet, nous sommes en droit de demander des données complémentaires et, à défaut, de rendre un avis défavorable sur la substance avant son évaluation pour la mise sur le marché.
M. Joël Labbé , sénateur . - Avez-vous accès à tous les documents des industriels ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Nous avons accès à un certain nombre de documents soumis au secret industriel. Le format des dossiers soumis par les industriels au niveau européen contient un certain nombre de tests exigés qui répondent à une méthodologie précise. Nous sommes chargés de vérifier si la méthodologie a bien été suivie par les industriels. En cas de doute, nous n'hésitons pas à réclamer des données supplémentaires.
Tous nos avis sont rendus publics et mis en ligne dans le site de l'ANSES. Nous avons également signé un accord avec le directeur général du CIRC afin d'échanger des informations et de faciliter les évaluations. Des scientifiques de l'agence sont systématiquement invités à participer aux groupes de travail du CIRC sur les monographies en qualité d'observateurs.
S'agissant des perturbateurs endocriniens, un certain nombre de substances ont déjà été interdites du fait de la réglementation européenne notamment la vinclozoline et la procymidone qui sont très utilisées.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quand ces substances ont-elles été interdites ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Ces deux substances ont été interdites il y a plusieurs années. Des données de repro-toxicité dans les dossiers peuvent nous alerter et nous conduire à émettre des avis défavorables sur les substances. Un travail important est en cours pour harmoniser la définition des perturbateurs endocriniens au niveau européen afin que ce critère soit pris en compte de façon beaucoup plus systématique dans les dossiers d'évaluation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment parvenez-vous à tester ces perturbateurs endocriniens sachant qu'il s'agit de maladies chroniques qui peuvent apparaître chez les générations suivantes ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Vous mettez en avant la limite de l'évaluation a priori pour les effets différés de manière générale (cancers, maladies neuro-dégénératives) . Les pathologies auxquelles vous faites référence surviennent, en effet, avec un temps de latence très long. Or, nous avons souvent un manque de traçabilité des expositions passées dans les études. Des actions sont donc à mener en termes de traçabilité pour disposer d'études d'évaluation de l'exposition plus solides.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles seraient vos recommandations ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - La loi actuelle sur la réforme de la médecine et de la santé au travail, la réforme des retraites et les dispositifs qui se mettent en place sur le suivi post-professionnel et post-exposition contiennent des éléments sur la traçabilité des expositions à des agents chimiques cancérogènes subies par les travailleurs. Vous pourriez, à ce titre, auditionner M. Daniel Lejeune qui a rédigé, en 2008, pour l'Inspection générale des affaires sociales, un rapport sur la traçabilité des expositions professionnelles. Le manque d'informations sur l'exposition passée fait souvent défaut dans les études épidémiologiques. Tout un système d'évaluation post-AMM et de toxico-vigilance doit donc être mis en place pour compléter l'évaluation a priori.
M. Joël Labbé , sénateur . - Cela signifie qu'on accorde aux molécules le bénéfice du doute.
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - On exclut tous les CMR 1A, 1B et les perturbateurs endocriniens si les tests de danger se révèlent positifs. L'AMM ne pourra donc être délivrée par le ministère pour des produits ayant ces effets.
M. Joël Labbé , sénateur . - Concernant les substances actuellement sur le marché, des données scientifiques sont nécessaires pour confirmer leurs effets néfastes sur la santé. Cependant, ces études sont menées a posteriori . Le principe de précaution n'est donc pas appliqué.
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Toutes les substances actives seront réévaluées avec les nouveaux critères du règlement européen y compris celles qui sont sur le marché actuellement. L'évaluation a posteriori est très importante car il peut subsister sur le marché un certain nombre de substances actives et de produits phytopharmaceutiques qui auraient des effets néfastes. Nous savons que les pesticides utilisés pour leur efficacité ont forcément des effets négatifs sur l'homme et les espèces animales. C'est pourquoi, nous nous sommes autosaisis à propos de l'évaluation des risques pour les travailleurs. Par ailleurs, une expertise collective de l'INSERM sur les effets différés des pesticides (cancers, maladies neuro-dégénératives) est en cours. Les résultats sont attendus pour la fin de l'année 2012.
M. Gilbert Barbier , sénateur . - Travaillez-vous sur les qualités spécifiques du récepteur ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - L'expertise réglementaire s'effectue à partir des dossiers soumis par les industriels qui contiennent un certain nombre de données expérimentales.
M. Gilbert Barbier , sénateur . - L'effet « dose » peut-il entrer en ligne de compte ?
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - Le principe de l'évaluation réglementaire consiste à observer des doses sans effet et à extrapoler les risques (évaluation quantitative du risque). Cet exercice a ses limites. Des études complémentaires sont donc nécessaires. Deux études sont parues sur le Cruiser indiquant le degré de toxicité pour les abeilles en fonction de critères autres que ceux pris en compte dans l'évaluation réglementaire, notamment le retour des butineuses dans la ruche. Ce critère de comportement est important car il peut être lié à la mortalité. En effet, les abeilles qui ne peuvent retourner à la ruche sont condamnées à mourir. Ces études ont donc été prises en compte pour donner un avis et financer des recherches afin d'introduire ce critère dans l'évaluation réglementaire européenne. Par conséquent, il est important de consulter les études publiées en dehors du cadre de l'évaluation réglementaire pour compléter notre évaluation et renforcer les critères d'évaluation au niveau européen.
M. Joël Labbé , sénateur . - Vous tenez compte des études a posteriori sur le Cruiser pour rendre un avis, ce qui est positif. Cependant, l'on reste dans l' a posteriori . Le bénéfice du doute fonctionne donc encore à mon sens au bénéfice des produits.
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - En parallèle de l'évaluation des risques, un travail considérable de l'ANSES est en cours sur les catégories d' équipements de protection individuelle (EPI) afin d' identifier leur niveau de protection par rapport aux différentes classes de pesticides . Ce travail devrait être rendu par nos prestataires à la fin de l'année 2012. Nous pourrons donc émettre un avis sur cette étude au premier semestre de l'année 2013 . Actuellement, pour l'évaluation d'un dossier de produit phytosanitaire, on prend en compte un facteur d'abattement pour être certain que le travailleur sera protégé. Il faut donc s'assurer que les équipements de protection individuelle portés sont en mesure d'apporter ce facteur d'abattement. Pour l'instant, cette donnée n'est pas fournie par les industriels dans leurs dossiers .
Je suis rapporteur du groupe de travail de la commission des maladies professionnelles dans le régime agricole pour la création des tableaux de maladies professionnelles liées aux pesticides . Un premier tableau sur la maladie de Parkinson et les pesticides a été créé. Une réflexion est en cours sur la création de tableaux pour différents cancers en particulier les hémopathies malignes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous avez souvent parlé de travailleurs salariés mais jamais d'exploitants agricoles.
M. Gérard Lasfargues, ANSES . - La notion de travailleurs agricoles englobe les exploitants agricoles mais également les travailleurs agricoles salariés et saisonniers.
Mme Sophie Primas , présidente . - La parole à Mme Annie Thébaud-Mony.
Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat . - J'évoquerai brièvement l'enquête G-SCOP du groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle car elle répond peut-être à certaines questions. Je reviendrai ensuite sur l'analyse de l'enquête AGRICAN et répondrai à quelques questions du questionnaire de la mission.
L'enquête G-SCOP qui se fonde sur les connaissances produites par les disciplines de la santé publique (épidémiologie, sciences sociales) mais également sur la toxicologie et la biologie montre que le cancer est un processus et une histoire. Pour un individu donné, la rencontre avec un agent cancérogène peut jouer un rôle. A l'heure actuelle, nous n'avons pas de données permettant de dire que le cancer de tel individu est lié à son tabagisme, à son exposition à l'amiante ou aux pesticides. La thèse la plus probable est que tous ces cancérogènes joueront un rôle.
Cette étude a servi de base scientifique à une enquête menée au début des années 2000. Celle-ci avait pour objectif de partir de la maladie comme événement sentinelle en reconstituant le parcours professionnel de tous les patients de certains services volontaires dans trois hôpitaux (Avicenne, Montfermeil et Aulnay-sous-Bois). Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur un guide des métiers qui a été progressivement enrichi par les informations fournies par les patients. Chaque parcours professionnel reconstitué est analysé dans le cadre d'une expertise mensuelle avec un groupe pluridisciplinaire qui comporte des médecins du travail, des ingénieurs de prévention, des toxicologues et des secrétaires de CHSCT ayant une expérience dans l'activité professionnelle exposée aux cancérogènes.
Cette enquête nous a permis de constituer une base de données avec deux résultats majeurs sur le plan de l'exposition : entre 84 % et 86 % des patients ont été exposés à des cancérogènes et notamment à des cocktails de cancérogènes (plus de trois), pour la plupart d'entre eux sur une durée moyenne supérieure à vingt années (60 % à 70 % des cas) . Nous effectuons également un suivi de la reconnaissance en maladie professionnelle des patients éligibles à cette déclaration.
Le groupe de travail a proposé au ministère du travail de créer un tableau de maladies professionnelles sur la multi-exposition aux cancérogènes . Nous devons avoir conscience que la poly-exposition est la règle et la mono-exposition l'exception dans les activités professionnelles exposées aux cancérogènes .
Mme Sophie Primas , présidente . - Y-compris pour l'amiante ?
Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat . - L'amiante est un peu l'arbre qui cache la forêt. L'amiante est un terrible cancérogène dont nous percevons quotidiennement les effets au travers de cette enquête. Cependant, avec le mode de fonctionnement du système de réparation, on se focalise sur l'amiante. J'attire votre attention sur ce point car le problème de la poly-exposition se pose beaucoup pour les travailleurs agricoles (exploitants ou salariés).
L'enquête AGRICAN pose un certain nombre de questions dont j'aurais souhaité débattre avec M. Pierre Lebailly s'il avait été présent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il a été invité mais n'a pu être présent.
Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat . - Toute la preuve repose aujourd'hui sur l'épidémiologie. Les toxicologues s'interrogent sur cette polarisation de la preuve sur l'épidémiologie.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui est à l'origine de cela ?
Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat . - Un ancien directeur du CIRC, M. Lorenzo Tomatis, a expliqué que la participation croissante d'experts de l'industrie dans les groupes de travail sur les monographies a rendu nécessaire l'apport de preuves épidémiologiques et de preuves certaines de l'action d'un polluant sur les humains pour le classer en catégorie 1. M. Lorenzo Tomatis montre qu' il n'existe pas d'étude prouvant avec certitude qu'un cancérogène pour les animaux ne l'est pas pour l'homme. Or, le principe de précaution inscrit dans la Constitution prévoit que la précaution s'impose en situation d'incertitude. Mais, aujourd'hui, on attend la probabilité que des personnes soient atteintes de cancers ou en décèdent.
Ce niveau de preuve est très insatisfaisant pour les chercheurs en santé publique. A partir du moment où l'on a accumulé de l'expérimentation animale et des éléments d'expérimentation in vivo et in vitro sur la cellule et que l'on dispose d'un faisceau d'arguments toxicologiques, pourquoi ne pas inverser la charge de la preuve en demandant aux industriels de prouver qu'ils sont certains qu'il n'y aura pas déclenchement du cancer a posteriori ?
Un certain nombre d'organismes ont aidé à entretenir le doute le plus longtemps possible sur l' amiante . Aujourd'hui, 100 000 morts sont attendus suite à l'exposition à l' amiante et nous ne savons pas actuellement comment gérer l' amiante restante. Des études récentes du ministère du travail montrent que les niveaux d'empoussièrement sont beaucoup plus préoccupants que ceux estimés au départ. Par ailleurs, en France, nous comptabilisons 80 kg d' amiante par habitant. Comment doit-on procéder ? Le coût de la déconstruction de l'usine de broyage d' amiante d'Aulnay-sous-Bois s'établit à plus de sept millions d'euros en raison de la présence d' amiante dans le sol.
L'enquête Agrican pose question car elle est décontextualisée. La population agricole en France est extrêmement hétérogène du point de vue de l'exposition aux pesticides. Si cette enquête vise à identifier des points qui nécessitent une prévention, je m'interroge sur son apport. Le questionnaire a été adressé à près de 568 000 agriculteurs. Le recensement agricole de 2010 faisait état de 970 000 personnes qui participaient régulièrement au travail des exploitations agricoles, notamment les exploitants, leurs conjoints et familles, les salariés permanents (17 %) et les saisonniers (11 %). Quelle part représentent les 180 000 répondants au questionnaire Agrican dans la population des agriculteurs ? Comment peut-on s'assurer qu'ils sont représentatifs d'une population exposée aux pesticides ? Ce groupe de 180 000 travailleurs agricoles mélange des personnes exposées et des non-exposées, d'où l'impossibilité de tirer des conclusions sur l'incidence du cancer.
On part du postulat que les agriculteurs connaissent les noms des produits qu'ils ont utilisés, ce qui est faux d'après notre expérience en Seine Saint-Denis. Ces derniers ne connaissent que des noms de marque. Je citerai le cas emblématique de M. Paul François qui a été gravement intoxiqué par un produit dont il ne connaissait que le nom de marque : le Lasso . Ce produit a reçu un avis de retrait par le Conseil supérieur d'hygiène en Belgique en 1985 puis a été interdit en 1990. Cependant, il n'a été interdit en France qu'en 2007. Or, il contenait deux molécules actives très toxiques : l' alachlore qui est un cancérogène et le chlorobenzène qui est un dépresseur du système nerveux central et est responsable d'atteintes hépatiques et rénales.
De mon point de vue, le questionnaire Agrican n'est pas construit pour permettre une bonne traçabilité des expositions . Les questions posées sont de trois types. Nous trouvons notamment des questions relevant des comportements individuels (tabagisme, comportement alimentaire...). Cependant, l'expertise INSERM montre que l'augmentation du risque de cancer du poumon associée à une exposition à l' amiante est identique chez une population de fumeurs et non-fumeurs. La polarisation sur le tabac mélange donc les deux types de risques. De même, on sait que l'exposition à des perturbateurs endocriniens peut entraîner des modifications dans la régulation de l'appétit et favoriser l'obésité par des changements métaboliques.
Enfin, en santé publique, la mortalité est un bon indicateur pour une maladie létale dans l'année. En revanche, l'indicateur de référence pour le cancer est l'incidence (nombre de nouveaux cas survenant chaque année dans une population). L'enquête AGRICAN est réalisée dans des départements comportant des registres de cancers. Cependant, je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas fait évoluer ces registres en prenant en compte l'histoire professionnelle et résidentielle ainsi que tout autre type d'exposition importante, notamment alimentaire, ce qui leur permettrait de jouer leur rôle d'événement sentinelle.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il n'existe pas de registre des cancers dans tous les départements.
Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat . - En effet. Ces registres comptabilisent les cas et fournissent une répartition géographique, ce qui n'est pas inintéressant mais il est très dommage de ne pas bénéficier des informations que les patients atteints de cancer peuvent apporter sur le lieu où ils ont exercé leur activité professionnelle et leurs modalités de travail afin d'avoir une représentation de l'exposition professionnelle aux cancérogènes. En Italie, une politique de registre de cancers a été développée pour attirer l'attention sur les points qui posent problème.
S'agissant de l'évaluation des effets des pesticides sur les abeilles, un rapport de l'EFSA cité par Le Monde du 10 juillet, montre de nombreux problèmes sur les protocoles de tests de toxicité , ce qui est très préoccupant. En effet, ces tests sont extrêmement importants car ils sont pris en compte dans l'évaluation. Par comparaison, ayant travaillé dans une usine de fabrication de vitamine A de synthèse pour l'alimentation animale, j'ai constaté que les études toxicologiques qui, à un moment donné, auraient pu apporter un complément d'information scientifique importante n'ont pas été menées.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous nous alertez sur les protocoles utilisés. Lors de votre première audition, vous nous aviez déjà fait part de vos doutes et réserves sur ces protocoles. Je donne maintenant la parole à M. Frédéric Schorsch.
Dr Frédéric Schorsch, docteur vétérinaire, pathologiste toxicologue, Bayer CropScience . - Les propos tenus par mes collègues experts sont exacts. Toutefois, il convient de bien comprendre que le produit agro-chimique est un produit chimique parmi d'autres ; mais, pour autant, il ne faut pas le confondre avec les autres catégories de produits chimiques. Le produit agro-chimique est très largement testé au niveau toxicologique, c'est-à-dire pour la santé humaine, autant, sinon plus, qu'un médicament.
J'ai travaillé sur l' amiante . Les tests la concernant sont réalisés selon des modalités différentes et n'étaient pas imposés, à l'époque, par la réglementation. A l'inverse, l'évaluation du danger du produit agro-chimique fait l'objet de la réglementation la plus lourde . Les données sont produites par l'industriel et échangées à l'échelle internationale. Elles sont évaluées dans des agences. Un industriel comme Bayer déposera ainsi son dossier dans de nombreux pays (Europe, États-Unis d'Amérique, Japon, Brésil, ...). Ces données sont rendues publiques une fois qu'elles sont remises aux autorités.
Le produit agro-chimique est donc testé en ce qui concerne l'évaluation du danger pour la santé. Nous savons s'il produit des cancers ou autres pathologies sur l'animal, ce qui le différencie très nettement des autres catégories de produits qui n'ont pas forcément fait l'objet de tels tests.
Je voudrais approfondir certaines thématiques nouvelles qui ont été abordées, notamment la perturbation endocrinienne , l'effet des faibles doses et les mélanges. Tous les experts qui se penchent sur l'exposition aux produits chimiques s'intéressent à ces thématiques car elles constituent les recherches actuelles et la réglementation évolue régulièrement avec l'ajout de tests pour prendre en compte l'évolution des connaissances et des observations. Les produits mis sur le marché dans les années 1970 n'étaient pas évalués de façon aussi pouseé qu'aujourd'hui. A cette période, il n'existait pas d'évaluation toxicologique.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les substances jugées dangereuses sont-elles retirées du marché ?
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - Oui. Cela a été précisé par mon collègue de l'ANSES.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce retrait est-il immédiat ?
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - Les produits dangereux sont retirés du marché lors du processus de réévaluation. Aujourd'hui, des tests sur la perturbation endocrinienne nous sont demandés par l'EPA ( Environmental Protection Agency ) ou par l'AESA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments) - ou EFSA . Ces informations sont donc partagées au niveau européen et international.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il n'existe donc pas de produits dangereux sur le marché.
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - Nous avons des tests qui caractérisent le danger. Les produits dangereux sont retirés du marché suite aux tests qui permettent d'identifier les effets toxiques (critères d'exclusion). De nombreux produits sont concernés car, sur 1 000 molécules, une seule sera mise sur le marché.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Faites-vous référence aux nouvelles molécules ?
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - Des processus de réévaluation sont prévus pour toutes les molécules existantes sur le marché. Les agences nous demandent d'effectuer à nouveau des tests pour des substances anciennes si les études précédentes ne sont pas correctement réalisées.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il n'existera donc plus de produits dangereux sur le marché ?
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - Tout développement de substances actives est arrêté aussitôt qu'une toxicité avérée pour la santé est mise en évidence lors des essais expérimentaux , in vitro ou in vivo (substances ayant des propriétés carcinogènes, mutagènes ou encore de toxicité pour la reproduction). Nous testons également les substances intermédiaires de synthèse car nous devons protéger nos travailleurs dans les usines de production.
Concernant les thématiques nouvelles évoquées précédemment, de nombreux travaux de recherche sont effectués. La caractérisation est actuellement réalisée pour la perturbation endocrinienne . Celle-ci se détecte au travers des tests réglementaires. La réglementation européenne ajoute des tests in vivo et in vitro plus sensibles qui permettent d'identifier des perturbations endocriniennes faibles non décelables par les tests classiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Depuis quand utilisez-vous ces nouvelles méthodes d'expérimentation ?
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - Ces tests existent depuis plus de dix ans. La recherche a commencé il y a vingt ans. Aujourd'hui, ces tests in vitro et in vivo figurent dans la réglementation américaine et européenne. Il faut bien avoir conscience que le produit agro-chimique est en avance sur toute autre classe de produit chimique, notamment le médicament, car ce type de tests n'est réalisé que dans l'industrie agrochimique pour la mise sur le marché des substances.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle est votre opinion sur les propos tenus précédemment, à savoir l'inversion de la charge de la preuve ?
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - Aujourd'hui, on ne peut tester le produit agro-chimique chez l'homme. L'industrie souhaite mettre des molécules sûres sur le marché. Quelques tests chez l'homme ont été réalisés sur ces produits par le passé. Aujourd'hui, ces tests sont interdits. L'extrapolation des données de l'animal à l'homme pose forcément une difficulté. Cependant, la plupart des exemples montrent que les substances non détectées dans les tests de cancérogénèse des produits agro-chimiques sont plutôt des substances à la toxicité faible.
Il faut également arrêter de parler du danger des pesticides de manière générale. J'ai travaillé sur une molécule développée par l'industrie agro-chimique qui est utilisée aujourd'hui comme médicament. Pour les produits agro-chimiques, on nous demande de caractériser le mécanisme d'action des molécules. Celui-ci est différent selon la molécule. Il faut donc s'intéresser, de plus en plus, à ce mécanisme pour éviter les amalgames.
M. Joël Labbé , sénateur . - Vous tenez un discours extrêmement rassurant comme tous les représentants des industriels auditionnés avant vous. Avez-vous les moyens, dans vos firmes, d'affirmer que vos produits sont mieux testés que les médicaments ?
Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience . - La prise en compte du risque pour la substance agro-chimique et le médicament est totalement différente. S'agissant de la caractérisation du danger , je maintiens que les tests sur ces substances sont au moins aussi poussés que ceux menés sur les médicaments, du moins dans les études expérimentales. Les tests chez l'homme ne peuvent être réalisés pour les produits agro-chimiques contrairement aux médicaments qui font l'objet d'études cliniques. Pour y remédier, nous prenons donc en compte la dose sans effet, que l'on déterminera à partir des essais expérimentaux, et nous y appliquons des facteurs de sécurité importants (au moins 100) pour garantir la sécurité chez l'homm e.
Nous réalisons aussi un grand nombre d' études d'exposition en milieu naturel dans tous les pays pour tenir compte des différentes pratiques agricoles et des climats pour faire l'évaluation du risque.
L'évaluation scientifique est complètement différente pour le médicament car, pour le médicament, on se permettra d'élaborer un rapport coût-bénéfices en prenant en compte la gravité de la maladie alors que, pour le produit agrochimique, ce dernier ne doit pas avoir d'effet pour la santé chez l'homme.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je donne maintenant la parole à M. Alain Garrigou.
M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2 . - Je vous propose le point de vue de l'ergonomie en général qui s'intéresse aux situations d'activité et d'usage de pesticides. Je suis incapable de dire si ce que j'observe sur le terrain portera atteinte à la santé à l'avenir. Mon travail consiste à montrer si les agriculteurs se contaminent avec les pesticides utilisés et à identifier les déterminants des situations où les personnes sont exposées. Les modèles représentent un état de la connaissance à un instant T. Quelles sont les limites de ces modèles et quel écart existe-t-il entre eux ?
Il existe une sorte de pré-requis affirmant que les agriculteurs ne respectent pas les prescriptions pour leur protection. Les actions longtemps menées par les préventeurs concernent les agriculteurs. Elles ont pour objet de transformer leur représentation des risques et pas forcément de les rendre acteurs du processus de prévention. Notre position consiste à ne pas attendre de savoir si un produit est dangereux ou non mais d'identifier des marques de contamination qui mettent en évidence un risque potentiel. Nous nous intéressons donc, non pas au produit en tant que tel, mais à la situation d'usage du produit et aux fabricants de matériels permettant l'épandage ou la pulvérisation.
L'usage des pesticides en France résulte d'un transfert de technologies entre des milieux pointus de la recherche en chimie. Cependant, ce transfert est mal maîtrisé. En prévention, nous tenterons de décliner différentes formes : la prévention primaire qui consiste à supprimer, à la source, les produits dangereux et la protection collective ou, à défaut, individuelle.
L'homologation fait appel à un certain nombre de modèles européens qui existent depuis la fin des années 1980. Ceux-ci ont été révisés mais, dans leur construction interne, ils soulèvent un certain nombre de questions par rapport à la réalité de terrain. Dans ces modèles, on considère que les combinaisons qui protégeront les opérateurs sont efficaces à 90 % ou 95 %. Par ailleurs, ces modèles sont adaptés à de grandes exploitations agricoles qui disposent d'une organisation, d'un matériel de dernier cri et de surfaces regroupées mais ils ne seront pas pertinents pour des petites exploitations dans les régions de polyculture avec des espaces éclatés sur différents territoires. Il existe aujourd'hui une faiblesse des modèles pour appréhender la réalité des situations des petites exploitations. Dans les modèles, on se focalisera également sur un produit ou un mélange de matières actives. Cependant, dans la réalité, les agriculteurs mélangeront des produits de différentes firmes pour gagner du temps et réduire les coûts de gas oil .
Aujourd'hui, les industriels ne savent filtrer que des grosses particules et ne sont pas capables de fabriquer des systèmes de filtration pour des fines particules ou des aérosols. Or, les techniques de pulvérisation actuelles vont produire des particules et des aérosols qui ont quasiment un comportement physico-chimique de gaz. Un agriculteur qui achètera une cabine avec un système de filtration sera davantage protégé que sans cabine mais sera néanmoins contaminé à terme.
Par ailleurs, la conception des matériels agricoles n'intègre pas les différents éléments (tracteurs, filtration) en amont. Certains systèmes techniques sont donc des aberrations . Pour des matériels dont le coût avoisine 80 000 € ou 100 000 €, des problèmes importants d'accessibilité aux cuves sont constatés. Un des problèmes majeurs identifiés est la contamination cutanée, en particulier celle des cuisses.
Mme Sophie Primas , présidente . - Que pensez-vous des travaux de l'ex-CEMAGREF, l'IRSTEA ?
M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2 . - Ce travail est important car il permet de croiser les exigences de l'activité et des fabricants. En région Aquitaine, j'ai essayé de travailler avec un fabricant du Lot-et-Garonne. Cependant, la sécurité des utilisateurs était le dernier de ses soucis. Des marges de progrès très importantes ont donc été identifiées pour la conception du matériel.
M. Gilbert Barbier , sénateur . - Cette démarche s'est-elle généralisée en Europe et aux États-Unis ?
M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2 . - Il faudrait examiner l'organisation de la profession des fabricants, ce qui nous amènerait loin.
A présent, je souhaiterais revenir sur les combinaisons qui ont été conçues pour l'industrie chimique mais qui ne sont pas adaptées aux matières actives des produits phytosanitaires. Pour la plupart d'entre elles, elles n'ont jamais été testées avec des matières actives de produits phytosanitaires. Or, la relation entre la matière active et la matière de la combinaison est déterminante pour assurer le rôle protecteur d'une combinaison.
Il n'existe pas de combinaison qui protégerait de toutes les matières actives. Il faudrait donc que les firmes qui connaissent leurs matières actives donnent des informations sur la matière de la combinaison susceptible d'assurer cette protection. Or, les notices d'utilisation des produits indiquent seulement que l'agriculteur doit porter l'équipement adapté. Par ailleurs, si l'agriculteur change de matière active, il devrait changer de combinaison. La charge de la connaissance repose donc sur l'agriculteur. En outre, il sera responsable des risques encourus par ses salariés alors qu'il ne dispose pas de tous les éléments pour porter un jugement adéquat.
Les combinaisons de type 3, qui sont protectrices, se révèlent très inconfortables en matière de thermorégulation. Il existe donc un problème majeur de pénibilité physique. La conception du matériel est une véritable urgence. Le législateur devra, par conséquent, allouer des moyens sur ce sujet. A ce jour, il n'existe pas de combinaison qui assure une protection contre toutes les substances. Pour certains produits, il n'existe pas de combinaison efficace du tout. Dans l'alerte que nous avons lancée et qui a été reprise par la direction générale du travail (DGT) et par l'ANSES, le passage du produit au travers de la combinaison était constaté après dix minutes d'usage. Les produits s'accumulent donc à l'intérieur de la combinaison durant la saison.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'en est-il pour les gants ?
M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2 . - Les caractéristiques des gants sont meilleures. Cependant, l'agriculteur contaminera tous les éléments du tracteur (volant, systèmes de commandes), ce qui posera problème lorsqu'il ne portera pas de gants par la suite.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'en est-il des masques incluant des cartouches ?
M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2 . - 90 % à 95 % de la contamination est cutanée et non respiratoire. L'équipement à privilégier est donc la combinaison et ensuite le masque, dans certains cas.
On se focalise beaucoup sur les personnes qui réaliseront la préparation de l'épandage. En revanche, toutes les actions de réentrée sont laissées de côté. Pourtant, certains agriculteurs consacreront trois mois à l'effeuillage, notamment un grand nombre de femmes dans la viticulture. Les risques encourus par cette population sont fortement sous-estimés.
Enfin, le taux de rotation dans les ministères est très important. Dans certains endroits, il n'existe plus de personnes informées de l'historique technique des dossiers. De ce fait, dans les réunions des groupes internationaux, la plupart des agences gouvernementales n'ont pas le niveau de connaissances requis pour discuter ou infléchir un certain nombre de décisions.
Il faut travailler avec les firmes car c'est, par exemple, lors d'une collaboration avec une firme que l'hypothèse de la perméation est apparue. Il faut naturellement conserver son intégrité mais il faut veiller à ne pas diaboliser les firmes qui ont des années d'avance en termes de connaissances. Un partage responsable d'un certain nombre d'éléments de méthodologie et de questionnements me semble donc important.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie tous vivement pour cette participation à notre table ronde. Si vous avez des éléments complémentaires à nous communiquer, n'hésitez pas à nous faire part de vos contributions écrites que nous serons heureux d'intégrer à nos réflexions.
Audition de M. Stéphane Le Foll, Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (24 juillet 2012)
http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video13987.html
Mme Sophie Primas , présidente . - Monsieur le Ministre, permettez-moi au nom de la mission d'information de vous remercier d'avoir accepté de venir devant nous à la suite de notre quatrième table ronde. Cette mission s'est réunie aujourd'hui pour aborder des problèmes pointus de toxicologie et d'épidémiologie sur lesquels nous avons besoin d'un grand nombre de connaissances.
Cette mission d'information a été constituée en février 2012. Elle rendra ses travaux à la fin octobre 2012. Elle a été créée à la demande de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, alertée par plusieurs agriculteurs victimes de pesticides dont M. Paul François qui est président de l'association Phytovictimes. La mission sénatoriale a orienté ses travaux en direction de la santé des personnes en contact avec les pesticides, à savoir les fabricants ou les utilisateurs, notamment les agriculteurs, les agents des collectivités territoriales, les jardiniers, les riverains, les habitants des collectivités et les familles de ces personnes.
Nous aurons l'occasion de vous entendre sur l'ensemble de ces problématiques. Votre audition s'inscrit à la fin d'une série de près de quatre-vingt-dix auditions au Sénat et en province incluant quatre déplacements en Charente, dans le Lot-et-Garonne, en Bretagne et dans le Rhône. Les journées de visites et d'audition représentent un dialogue avec près de cent-quatre-vingt personnes qui sera retranscrit dans un second tome de comptes rendus. Celui-ci représente d'ores et déjà environ sept cents pages. Nous disposons donc d'un grand nombre d'informations.
Un nombre non négligeable de sénateurs a participé à la quasi-totalité des auditions. Cette mission est assez remarquable de ce point de vue.
Nous avons également auditionné des ministres, vous-même aujourd'hui ainsi que Mme Marisol Touraine, ministre de la santé et des administrations, des agences de recherche, des chercheurs et les principales parties prenantes (industrie chimique, phytosanitaire, industrie du jardin et des plantes, coopératives, négoce, grande distribution, syndicats de salariés, syndicats agricoles, associations de victimes et de riverains). Par ailleurs, nous avons, effectué des visites sur le terrain.
A ce stade de ses travaux, la mission d'information est préoccupée par l'ampleur de l'impact des pesticides sur la santé des agriculteurs et d'autres catégories de la population. L'importance de cet impact ne saurait être minorée et sera à l'origine de la proposition d'un certain nombre de recommandations. Un questionnaire vous a été adressé pour faciliter votre intervention. Nous recevrons avec intérêt des réponses écrites en complément de vos propos liminaires.
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, d'avoir accepté ce dialogue avec la mission d'information.
M. Stéphane Le Foll . - Je vous remercie, Madame la Présidente, ainsi que Mesdames et Messieurs les Sénatrices et les Sénateurs. Vous avez indiqué que cette mission a déjà réalisé un long travail d'auditions, de rencontres et de collecte d'informations qui vous permettra de finaliser un rapport sur les pesticides dont l'utilisation en agriculture et dans le jardinage peut avoir des conséquences néfastes voire dangereuses pour la santé humaine.
Le ministre de l'agriculture ne vous communiquera pas des éléments de réponse au rapport que vous rendrez dans quelques mois. Je tente de m'inscrire dans une démarche globale et ne dispose pas d'autant d'éléments que ceux collectés par votre mission. Je suis en train de construire ma propre documentation et analyse car, depuis le 16 mai, des actions ont dû être menées. Par ailleurs, cette question qui est liée à l'actualité, avec notamment les épandages aériens, a surgi brutalement. Je n'ai donc pas pu l'anticiper.
Je me situe dans la perspective du Grenelle avec le plan Ecophyto 2018 qui fixait des objectifs ambitieux, à savoir la diminution de l'utilisation des pesticides à hauteur de 50 %. Ce qui m'importe aujourd'hui, c'est de partir d'un bilan pour envisager l'avenir. Nous avons réussi à diminuer de près de 87 % le recours à des molécules actives jugées dangereuses (cancérogènes, mutagènes, etc...). En revanche, je constate que le recours aux produits phytosanitaires stagne. Nous serons donc dans l'incapacité d'atteindre l'objectif de réduction de 50 % fixé. D'où vient le problème ?
Si je me penche sur les résultats du Grenelle, je note que pour la surface agricole utile (SAU) en agriculture biologique , nous avions fixé un objectif extrêmement ambitieux : 20 % en 2020 et 12 % en 2009. Nous n'avons réussi à atteindre que 3,5 %. On se donne souvent des objectifs ambitieux qui servent beaucoup à la communication mais ceux-ci ne se traduisent pas forcément en actions. J'ai envie de fixer des objectifs moins ambitieux mais d'avoir une action effective. Je souhaite assurer cette transition vers une agriculture à la fois performante économiquement et écologiquement. Des modèles conventionnels ont été mis en oeuvre, il y a trente ou quarante ans. Aujourd'hui, on doit réfléchir à l'évolution de ces modèles.
Après en avoir parlé avec les services, on constate un problème de diffusion avec le plan Ecophyto 2018. Des actions ont été menées sur les mises en marché. Des résultats ont été obtenus pour les réseaux de fermes testés et par la formation des agriculteurs avec Certi-Phyto. Cependant, cela ne concerne pas l'ensemble de la population. Une communication sera donc élaborée et des messages sur les bonnes pratiques seront diffusés.
Comment expliquer les raisons de ce blocage ? Tant que nous ne réfléchirons pas, en premier lieu, à l'évolution des modèles de production, nous pourrons toujours fixer des objectifs et durcir les normes mais nous ne parviendrons pas à lancer la dynamique nécessaire pour réussir. Nous pourrons consentir des efforts et obtenir des résultats positifs, ce qui est le cas pour la fin de l'utilisation d'un certain nombre de molécules dangereuses, mais nous ne parviendrons pas à l'objectif de diminution du recours à ces substances qui posent problème pour l'écologie et la santé humaine. Des maladies ont été identifiées comme étant directement liées au recours à un certain nombre de molécules, notamment la maladie de Parkinson.
Cette mission sénatoriale d'information est importante car elle dressera un bilan, mais pour faire évoluer les choses, une approche beaucoup plus systématique sera nécessaire pour aboutir à des réductions significatives des recours à l'ensemble des produits phytosanitaires.
Vous avez posé un certain nombre de questions techniques sur l'organisation des autorisations. Comme vous le savez, un changement de règlement sur les perturbateurs endocriniens interviendra à la fin 2013. Nous travaillerons sur ce sujet pour anticiper, autant que possible, le retrait des substances dangereuses afin de ne pas faire courir des risques aux utilisateurs.
Dans quelles conditions les pesticides doivent-ils être utilisés ? Celles-ci doivent être indiquées par le fournisseur sur l'emballage. En outre, l'autorisation d'un produit devra également intégrer les conditions de son utilisation.
Des questions d'actualité doivent également être réglées. Les épandages aériens sont en principe interdits. Les dérogations accordées sont liées aux conditions topologiques (difficulté d'accès pour les tracteurs...). Des dérogations spécifiques sont accordées pour certaines matières et sur des surfaces avec des rotations limitées. Comme je l'ai indiqué à France Inter, l'objectif est d' éviter de manière définitive le recours aux épandages aériens . Je pense que l'on peut et que l'on doit trouver des alternatives. Certaines existent déjà et nous en trouverons d'autres.
Entre les décisions prises en 2009 et aujourd'hui, on observe une réduction très nette (-22 %) des surfaces sur lesquelles nous avons eu recours à l'épandage aérien. Nous devons poursuivre cet effort pour ne plus y avoir recours, sauf cas exceptionnel. Nous avons ainsi sollicité les instituts de recherche pour éviter au maximum le recours à ce système d'épandage.
Durant la phase de transition, nous devons gérer de manière plus cohérente les orientations données car j'ai constaté que certains départements signaient des dérogations plus facilement que d'autres. Ces sujets ne peuvent faire l'objet de décisions à géométrie variable car ils engagent la santé. Nous travaillerons donc pour que les dérogations soient plus strictement encadrées afin de réduire davantage les surfaces concernées.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie Monsieur le Ministre pour ces propos liminaires. On perçoit, au travers des auditions menées jusqu'à présent, la nécessité absolue d'une harmonisation européenne notamment pour les autorisations de molécules. Certaines sont autorisées en Europe du Nord et non en Europe du Sud. La France est un pays plus restrictif en matière d'autorisations mais nous sentons le besoin d'une harmonisation européenne pour lutter contre le phénomène des fraudes. Des autorisations différentes entre la France et l'Espagne ou d'autres pays frontaliers créent des problèmes de trafic de pesticides. Comment pouvez-vous vous engager, au niveau européen, pour résoudre ces problèmes ?
M. Stéphane Le Foll . - Concernant l'interdiction du Cruiser OSR sur le colza , certains pays ont pris des décisions avant nous. De nombreux pays examinent la décision prise par la France et hésitent à faire le même choix. Le commissaire a saisi l' EFSA qui rendra un avis en fin d'année. Nous craignons que des recherches supplémentaires soient demandées pour s'assurer que la décision prise par la France a des conséquences sur le retour des abeilles à la ruche, ce qui ne nous aidera pas car nous serons dans un jeu de non-position.
La position que nous retenons contribue à faire évoluer la situation. L'Espagne s'est ainsi excusée de la position un peu radicale prise par rapport à la décision française sur le colza et le Cruiser . A l'échelle de l'Europe, il faut que nous travaillions à l'harmonisation. Les réformes en cours au niveau de l' EFSA , l'harmonisation des règles d'évaluation et les protocoles d'évaluation au niveau scientifique apportent des réponses mais nous avons besoin d'une harmonisation. Le gouvernement français et le ministère de l'agriculture feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour y parvenir.
Je ferai tout pour lutter contre les fraudes mais je me heurterai à certaines limites notamment quant aux moyens à déployer. La détermination politique ne manque pas sur ce sujet qui a des implications lourdes en matière de santé. Nous coordonnerons au maximum les moyens de lutte contre les fraudes (direction générale de l'alimentation, DGAL) avec nos propres moyens pour lutter contre ces fraudes. Nous devrons être vigilants sur ce point dans un marché où les marchandises circulent librement. On ne peut, en effet, laisser ces systèmes de contrebande fonctionner sans réagir. Il faudra également poursuivre, à l'échelle de l'Europe, la coordination qui a été lancée au niveau des services pour gérer au mieux ces phénomènes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous formulerons probablement une recommandation sur le durcissement des sanctions dans notre rapport. En dépit de l'excellent travail mené par les services de l'État, des trafiquants sont parfois identifiés, arrêtés et condamnés à verser une amende de l'ordre de 2 000 € mais à aucune peine de prison.
M. Stéphane Le Foll . - Je soutiendrai cette proposition.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La procédure d'AMM des pesticides comporte des points communs avec celle des médicaments. Les industriels réalisent et fournissent eux-mêmes les études qui servent de base à la décision d'autorisation. Des pistes d'amélioration peuvent-elles être envisagées compte tenu des récents scandales en matière d'AMM pour les médicaments ?
M. Stéphane Le Foll . - Les moyens de contrôler ces AMM existent. Comment faire pour que l'information remonte aux autorités, et à l'ANSES en particulier, car ce n'est pas toujours le cas actuellement ? Un rapport de l'ANSES formule des préconisations pour traiter ce point. Je suis d'avis de suivre ces recommandations.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les AMM se basent sur les études des firmes dont une partie est couverte par le secret industriel.
M. Stéphane Le Foll . - Nous aurons peut-être des choix à faire. La substitution des études faites par une entreprise par des études réalisées par une agence publique pose la question des moyens humains et budgétaires.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ne peut-on demander à l'industrie de financer un fonds ?
M. Stéphane Le Foll . - Il pourrait être envisagé de financer un fonds qui permettrait d'avoir des études contradictoires mais pour ce faire, nous devons considérer que ce qui est proposé n'est pas suffisamment contradictoire. En outre, si des études publiques sur chaque molécule proposée sont nécessaires pour avoir des éléments contradictoires, nous nous heurtons à des difficultés importantes car nous ignorons les délais nécessaires pour le faire et l'organisation à mettre en place pour y parvenir. Nous devons donc améliorer le système au niveau du contrôle a posteriori par l'ANSES .
En outre, pouvons-nous créer, au travers d'un processus nouveau, des procédures plus contradictoires ? Je pense que nous devons suivre cette orientation mais nous devons trouver les outils nécessaires. Des instituts scientifiques pourraient intervenir de manière indépendante. Le financement de ces travaux par les firmes serait ainsi une obligation pour obtenir l'AMM. Il s'agit d'une piste intéressante qu'il faut creuser.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le renforcement des moyens de l'ANSES grâce à un fonds abondé par les industriels permettrait-il d'obtenir ces analyses contradictoires ? L'ANSES n'a pas, à ce jour, semble-t-il, les moyens de réaliser ces études même si elle dispose d'un comité d'experts indépendants.
M. Stéphane Le Foll . - L'ANSES peut valider ou invalider des études menées mais il est difficile de demander à l'agence de réaliser des études a priori d'évaluation. En effet, celle-ci ne peut être saisie sur chacun des produits. Toutefois, il faut avoir une garantie de contradictoire en permettant à l'ANSES de valider a posteriori les évaluations.
M. Joël Labbé , sénateur . - Nous avons appris précédemment qu'il n'existait pas d' équipement de protection universel . Il faudrait ainsi quasiment prévoir un équipement adapté pour chaque molécule. Nous pourrions exiger des industriels de tester eux-mêmes leurs équipements de protection individuelle et de mettre un produit sur le marché avec l'équipement de protection correspondant. L'ANSES devrait également disposer de moyens pour réaliser une contre-expertise des tests effectués par les firmes.
M. Stéphane Le Foll . - Nous souhaitons aller dans ce sens. Les autorisations ne seront données que si les conditions d'utilisation sont précisées sur les étiquettes des produits.
Mme Bernadette Bourzai , sénateur . - Je suis satisfaite de vos premières déclarations concernant l'orientation de l'agriculture et la diminution des pesticides utilisés mais cela pose la question des alternatives . Où en est-on au niveau de la recherche de méthodes de production et de produits autres pour limiter l'utilisation des pesticides ? On nous a présenté des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP). Ces méthodes sont employées en Corrèze pour les framboisiers et la truffe. On ne peut également nier l'existence de conditions climatiques qui conduisent à des problèmes pour les cultures qu'il convient de traiter pour ne pas perdre la récolte.
M. Stéphane Le Foll . - Je suppose qu'il doit exister des alternatives aux pesticides avec des matières actives naturelles. Dans son modèle de production, l'agriculteur doit prendre des dispositions qui conduisent à recourir le moins possible aux pesticides. Cependant, comment créer une dynamique chez les agriculteurs qui ne sont pas des militants ? Actuellement, l'agriculteur conventionnel prend un risque en changeant ses méthodes. Il hésite donc à prendre ce risque. Néanmoins, une autre entrée est nécessaire, à savoir la mise en place de nouveaux itinéraires techniques pour assurer, dans le modèle lui-même, la diminution des pesticides. Des techniques sont disponibles (rotation des cultures, variétés intercalaires, renforcement de la matière organique dans les sols...) pour réduire l'utilisation des substances chimiques mais nous ne parvenons pas à les faire admettre car il existe un risque et on ignore qui l'assume.
M. Gilbert Barbier , sénateur . - Je doute que les pouvoirs publics puissent envisager de réaliser des études sur l'efficacité ou la dangerosité des produits. Dans ce domaine, nous aurons toujours un train de retard par rapport à l'industrie. En revanche, il faudrait que l'ensemble des données nécessaires à l'élaboration d'une nouvelle molécule soient mises à la disposition des organismes de contrôle. S'agissant des produits phytosanitaires, nous ne disposons pas d'un système de pharmacovigilance pour les professionnels utilisateurs de ces produits. Qui doit organiser le suivi de ce système de surveillance et d'alerte qui permettra de disposer de données épidémiologiques inexistantes à l'heure actuelle ?
M. Stéphane Le Foll . - Un décret en Conseil d'État est en préparation sur la toxico-vigilance . Nous renforcerons ce processus. Je ne crois pas que la France soit en retard sur ce sujet. Nous organiserons un colloque à Paris, en 2013, pour positionner nos actions et les partager à l'échelle de l'Union européenne. Vous y serez invités pour que nous puissions avancer dans ce domaine. Je pense qu'il est important de renforcer cette veille qui nécessite la mise en place d'un réseau national . En 2013, nous réaliserons un travail de synthèse des actions mises en place à l'échelle européenne qui nous permettra de progresser rapidement.
M. Henri Tandonnet . - Dans vos propos introductifs, vous avez souligné la nécessité de faire évoluer les pratiques. Lors de nos auditions, nous avons ressenti un sentiment d'injustice et de discrimination par rapport à la commercialisation des produits agricoles . En effet, rien ne distingue un produit de France, d'Espagne, du Maroc ou, plus particulièrement, du Lot-et-Garonne, alors que les exigences en matière de produits phytosanitaires sont très différentes.
M. Stéphane Le Foll . - Depuis longtemps, les accords commerciaux favorisent le libre-échange. Quelles sont les contreparties demandées dans ces accords en matière environnementale, sanitaire et sociale lorsque nous ouvrons notre marché ? Jusqu'à présent, nous n'en demandions pas. Il s'agit d'un vrai sujet car le consommateur examine, en premier lieu, le prix et la marque du produit. Tout ramener à l'étiquette devient donc difficile.
Lors des négociations, la Commission européenne doit se donner les moyens de contrôler le respect, par les pays ayant des accords commerciaux avec l'Union européenne, des règles fixées pour les producteurs. Actuellement, elle ne le fait que très peu, ce qui n'est pas acceptable. Le Président de la République a indiqué, lors de la réunion du Conseil, que des clauses de réciprocité seraient intégrées, pour la première fois, dans les accords internationaux. Cependant, nous devons être beaucoup plus vigilants au moment de la négociation. Concernant les conditions d'application des accords, nous devons accorder des moyens supplémentaires à la Commission européenne pour faire respecter les conditions de production.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comptez-vous faire évoluer le contenu et la durée du Certiphyto ? Est-il envisageable d'ajouter une journée supplémentaire à cette formation de deux jours avec un volet santé plus important ?
M. Stéphane Le Foll . - Je suis favorable à toute action susceptible d'améliorer la formation. Cependant, comment faire pour diffuser ces bonnes pratiques et toucher plus largement les agriculteurs qui ne sont pas militants ? Je veux créer des cadres juridiques nouveaux où l'on pourrait avoir des démarches collectives et mutualiser les risques. Mon souci n'est pas uniquement d'améliorer l'existant mais de lancer une dynamique globale dès à présent.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Dans ce cadre, la formation jouera-t-elle un rôle essentiel ?
M. Stéphane Le Foll . - Les enseignants agricoles devront former les futurs agriculteurs à la bonne utilisation des produits phytosanitaires et aux modèles de production les plus économes en produits phytosanitaires.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous souhaitez toucher le maximum d'agriculteurs pour les faire changer de modèle de production. Je crois que les agriculteurs sont très sensibles à l'argument économique. Un des objectifs de l'agriculture depuis quarante ans est d'augmenter la production. Un institut tel que l'INRA dépense environ 3 % ou 4 % de ses ressources pour la recherche de solutions alternatives. Un rééquilibrage des budgets de l'INRA ne pourrait-il être opéré ?
M. Stéphane Le Foll . - Une mission confiée au conseil général de l'agriculture dans laquelle l'INRA sera intégré va réfléchir à la mise en place d'un cadre agronomique nouveau.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les politiques européennes ne consistent-elles pas à donner plus à ceux qui font mieux ?
M. Stéphane Le Foll . - La répartition des aides sera discutée à l'échelle de l'Europe dans le cadre de la nouvelle réforme de la politique agricole commune . Une combinaison doit être possible entre les bonnes pratiques environnementales et économiques. Dans la situation actuelle, nous sommes obligés de maintenir un niveau de production agricole élevé. Il serait, en effet, dangereux de réduire le niveau de production car cela entraînerait des problèmes géopolitiques et de sécurité alimentaire dans des sociétés déjà fragiles.
Nous sommes obligés de penser nos modèles pour les rendre durables, performants économiquement et écologiquement. Des modèles peuvent actuellement combiner ces différents aspects. Il faut donc les promouvoir. Pour parvenir à réduire de 50 % l'utilisation des produits phytosanitaires, il ne suffit pas de lancer un plan Ecophyto 2018 car celui-ci n'a pas fonctionné. Les différentes directives européennes sur l'eau, les sols et les produits phytosanitaires ont conduit à une juxtaposition de normes sans cohérence. C'est la raison pour laquelle nous rencontrons aujourd'hui des blocages.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je pense que le plan Ecophyto a permis une prise de conscience des risques que représentait l'utilisation trop importante de produits phytosanitaires. C'est un problème auquel on se trouve confronté aujourd'hui avec l' omerta des agriculteurs sur leurs propres maladies, omerta qui commence à être levée par des organismes tels que Phyto Victimes, et avec les pressions d'organisations et de mutuelles qui peinent à reconnaître les maladies professionnelles. Dans le cadre de la mission d'information, nous veillerons à ce que les tableaux de reconnaissance professionnelle en matière agricole puissent évoluer rapidement.
M. Stéphane Le Foll . - Je ne nie pas l'effet positif d'Ecophyto mais je constate que nous prenons des décisions mais que nous n'enclenchons pas des dynamiques d'acteurs. Dans les années 1960, l'agriculture a connu un véritable bouleversement car chaque agriculteur était son propre acteur. Nous devons récréer cette dynamique pour l'environnement.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je songe à la dynamique des coopératives actuellement ...
M. Stéphane Le Foll . - Pour les produits phytosanitaires, les prestataires de services et de fournitures sont en même temps décisionnaires. Ce point pose effectivement problèm e et je suppose que vous avez des propositions sur ce sujet. Nous devons également discuter des alternatives pour les prescripteurs et vendeurs de ces produits phytosanitaires.
M. Joël Labbé . - S'agissant du contexte mondial et de la nécessité de maintenir la capacité de production, nous avons nos limites notamment quant-à l'optimisation de l'occupation du sol agricole sur le territoire national et européen. Notre modèle occidental provoque l'accaparement des terres dans les pays du Sud. Il faut donc prendre en compte le contexte mondial qui ne peut pas se résumer à une occidentalisation du monde car l'on court à la catastrophe.
M. Stéphane Le Foll . - Aujourd'hui, l'Europe n'est pas la plus déstabilisante comme cela avait été le cas dans les années 1980. A présent, les Chinois sont ceux qui achètent le plus de terres hors de leur pays. D'importants investisseurs européens achètent des terres en Europe centrale (Ukraine, Russie) mais l'Union européenne n'est plus ce qu'elle a été. Lorsqu'on produisait des excédents dans notre marché, dans les années 1975 à 1980, on demandait des restitutions sur les exportations. Dorénavant, les restitutions ne peuvent plus permettre le développement de notre agriculture. Depuis de nombreuses années, l'Europe s'est laissé emporter par l'idée selon laquelle le commerce permettrait de développer les agricultures des pays en voie de développement. On a également laissé penser que la spécialisation des grandes zones était un choix économiquement performant. L'Union européenne doit donc modifier sa politique de développement en renforçant les investissements dans les infrastructures qui permettent de stocker et de transformer les produits.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La mission d'information formulera des recommandations et des propositions.
M. Stéphane Le Foll . - Le sujet traité par cette mission est important. Vous avez pu avoir connaissance des orientations que nous mettrons en application. Nous suivrons également certaines de vos recommandations.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Ministre, pour cette rencontre intéressante.
Audition de M. Sylvain Maestracci et de Mme Karen Bucher, Secrétariat Général des Affaires Européennes (SGAE) (11 septembre 2012)
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous entamons aujourd'hui notre dernière journée d'auditions. Celles-ci ont été très nombreuses. Nous souhaitions à présent avoir un éclairage européen sur notre sujet, car l'Union européenne est au coeur du processus d'évaluation des substances actives, préludant à l'autorisation de mise sur le marché des produits, sans parler des fraudes qui sont, nous a-t-on dit, considérables. Quel est, par exemple, le rôle de l'Union européenne concernant les protocoles de tests, les équipements de protection individuelle, les douanes, etc ?
M. Sylvain Maestracci, SGAE . - Mme Karen Bucher est notre experte au sein du secteur AGRAP et au SGAE sur tous les sujets sanitaires et phytosanitaires, des OGM aux pesticides. Quant à moi, je suis chef du secteur GRAP, donc ici plutôt sur les aspects plus tarnversaux.
La réglementation européenne repose sur trois textes fondateurs : le règlement n° 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui couvre toutes les procédures d'évaluation et d'autorisation ; le règlement n° 396/2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux ; enfin, la directive européenne 2009/128 sur l'utilisation durable des pesticides.
L'approbation se fait au niveau européen pour les substances actives . Le dossier est déposé par le pétitionnaire, un État membre est désigné comme rapporteur, l'évaluation des risques est conduite par l'Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA ou EFSA ). Après avis des États membres, c'est la Commission européenne qui prend la décision d'approbation de la substance active.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelle forme prend l'avis des États membres ?
M. Sylvain Maestracci . - Chaque État compte un représentant au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPCASA) , qui traite de tous les sujets sanitaires et phytosanitaires. Après négociations, le comité vote sur la proposition de la Commission.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce comité n'est-il composé que de représentants des administrations ?
M. Sylvain Maestracci . - Oui : pour la France, ce sont des membres de la direction générale de l'alimentation (DGAL) ou de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) veille à ce que l'information circule, pour que la position donnée au comité soit bien celle qui a été avalisée par tous les ministères, le cas échéant après arbitrage.
Mme Sophie Primas , présidente . - Aucun scientifique ne siège au CPCASA ?
M. Sylvain Maestracci . - Non, mais les ministères et le SGAE le SGAE s'appuient sur les avis scientifiques de l'AESA pour élaborer la position française. La Commission européenne peut également consulter des scientifiques de manière informelle, en tant que de besoin.
S'agissant des produits phytopharmaceutiques , l'autorisation de mise sur le marché relève des États membres. En France, c'est la direction générale de l'alimentation, au sein du ministère de l'agriculture, qui est chargée de délivrer ces autorisations. Le SGAE ne les voit pas passer.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous n'êtes donc pas informés de l'interdiction de tel ou tel produit dans un autre État de l'Union européenne, en Allemagne, par exemple ?
Mme Karen Bucher, SGAE . - Si ! Il y a un échange d'information au niveau européen sur les produits phytosanitaires interdits par un État membre pour des raisons de santé publique ou de protection de l'environnement. Un exemple récent : lorsque le ministère de l'agriculture a retiré l'autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR dont la substance active est le thiamethoxam , il en a informé la Commission européenne et les autres États membres.
Mme Sophie Primas , présidente . - Comment les choses se passent-elles ensuite?
Mme Bernadette Bourzai . - Cela entraîne-t-il une attitude commune de tous les États membres ?
M. Sylvain Maestracci . - Dans le cas du Cruiser OSR, nous avons également demandé à la Commission de retirer l'autorisation du principe actif, le thiamethoxam , ce qui suppose de passer par la procédure de comitologie.
Mme Karen Bucher . - Si un État membre demande à la Commission de réévaluer une substance active, l'avis de l'AESA est sollicité. C'est le cas pour le thiamethoxam .
M. Sylvain Maestracci . - Pour la mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique, on s'appuie sur une évaluation scientifique : en France, c'est l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui est chargée de donner un avis.
Quant aux limites maximales applicables aux résidus de pesticides dans l'alimentation, elles sont également déterminées au niveau communautaire, sur la base d'une analyse par l'AESA.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est votre avis sur le système d'évaluation de toxicité des matières actives ?
M. Sylvain Maestracci . - Le fonctionnement du dispositif repose sur les avis de l'AESA. Les critères sont revus régulièrement, mais nous restons tenus par des limites techniques ainsi que par des limites de coût. Les autorités françaises sont dans l'ensemble plutôt satisfaites du travail de l'AESA, même si nous préférons nous appuyer sur les avis de l'ANSES pour fonder nos propres analyses.
Mme Karen Bucher . - Les données sont fournies par les industriels pétitionnaires ; les agences n'effectuent qu'un travail de réévaluation : il n'y a pas de recherche, de contre-expertise.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les agences d'évaluation ne font-elles donc que contrôler les données sur dossier ?
Mme Karen Bucher . - Oui. Le règlement n° 1107/2009 fixe aux agences nationales un cahier des charges assez strict, un canevas pour l'évaluation des données scientifiques fournies par les pétitionnaires. Il paraît difficile de revenir sur ce dispositif, qui est identique dans le domaine du médicament vétérinaire.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il est donc d'autant plus important que l'ANSES dispose des données brutes, pour pouvoir les réinterpréter.
Mme Karen Bucher . - En effet.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les perturbateurs endocriniens, les effets cocktail, les mélanges sont-ils pris en compte dans les évaluations ?
M. Sylvain Maestracci . - Les perturbateurs endocriniens sont pris en compte dans le règlement sur la mise sur le marché de pesticides mais pas les effets cocktail ni les mélanges , chaque substance active étant examinée indépendamment. En outre, la réalisation de tels tests poserait problème ; en effet, il faudrait une méthodologie scientifiquement reconnue et validée.
La réglementation européenne fixe la liste des données que les pétitionnaires doivent fournir, ce afin d'uniformiser l'application du droit européen dans les différents États membres. On ne dispose pas d'avis scientifique robuste sur l'effet des mélanges.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cela ne veut pas dire qu'on ne puisse pas en avoir !
M. Sylvain Maestracci . - Aujourd'hui nous n'en avons pas.
Mme Karen Bucher . - La clé d'entrée du dispositif européen demeure l'approche par substance.
M. Sylvain Maestracci . - Il s'agit d'assurer la sécurité du consommateur dans un marché intérieur uniformisé. D'où l'approche « produit », cette compétence étant communautaire. En revanche, le traité européen donne peu de compétences à l'Union en matière de santé humaine, le sujet étant du niveau des États membres . Le prisme communautaire favorise donc une approche par substance active.
Mme Sophie Primas , présidente . - Selon l'ANSES , que nous avons longuement auditionnée, le nombre de demandes d'homologation de produits phytosanitaires effectuées auprès d'elle augmente. La France serait notamment très sollicitée par ricochet en raison des difficultés budgétaires des États du sud de l'Europe. Jouez-vous un rôle de régulateur en la matière ?
M. Sylvain Maestracci . - Absolument pas.
Mme Sophie Primas , présidente . - Estimez-vous que vous devriez en avoir un ?
M. Sylvain Maestracci . - Le rôle du SGAE est de coordonner les administrations françaises, il n'a pas vocation à aller vers les autres États membres, par exemple, pour influer sur la répartition des évaluations entre ceux-ci. Personne n'a demandé à ce que le texte communautaire prévoie qu'un État membre puisse freiner ces demandes d'homologation. Sans doute cela pose-t-il des difficultés pratiques mais il n'y a pas de solution technique, sinon la bonne coopération entre États membres, de gré à gré.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles sont les conséquences du dépassement des délais impartis aux évaluations ?
Mme Karen Bucher . - Dans le cas de la reconnaissance mutuelle, l'État membre receveur s'appuie sur l'évaluation faite par l'État membre d'origine. Il n'existe pas de délai à respecter à ma connaissance.
M. Sylvain Maestracci . - Si l'AESA, qui est en charge de l'évaluation des matières actives, prend du retard, il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre : les délais, s'ils existent, ne sont qu'indicatifs. En revanche, l'examen des autorisations de mise sur le marché est soumis à un délai.
Mme Karen Bucher . - Qui est de douze mois.
M. Sylvain Maestracci . - L'administration a une approche prudente car, en cas de dépassement du délai en matière d'importations parallèles, elle est réputée avoir refusé la demande d'autorisation - ce qui ouvre la possibilité d'un recours. En outre, l'administration a toujours la possibilité de poser des questions, ce qui interrompt le délai.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des délais trop longs ne favorisent-ils pas les fraudes ?
M. Sylvain Maestracci . - Je ne saurais vous répondre. Ces délais doivent être suffisamment longs pour laisser aux agences et à l'administration le temps de travailler.
Mme Karen Bucher . - Un État membre a également la possibilité de délivrer une autorisation provisoire pour faire face à une urgence phytosanitaire comme l'apparition subite d'un nouveau ravageur. Les États ont ainsi la possibilité d'être réactifs.
Mme Sophie Primas , présidente . - Pour les importations parallèles, le délai d'examen est bien de quarante-cinq jours ?
M. Sylvain Maestracci . - Oui.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles protections la Commission européenne prévoit-elle contre les conflits d'intérêts ?
M. Sylvain Maestracci . - A la suite de remous au Parlement européen - à propos de conflits d'intérêts sur un tout autre sujet - l'AESA a durci ses règles . Chaque membre du conseil d'administration, du forum consultatif, du comité scientifique, des groupes scientifiques et des groupes de travail doit désormais fournir une déclaration qui est publiée dans une base de données. Cette publicité assure un contrôle par les pairs et les citoyens. Les instances européennes, notamment la Commission, sont très sensibles à ces questions de transparence et d'information des citoyens, et particulièrement sourcilleuses.
Mme Sophie Primas , présidente . - Peut-on aller jusqu'à révoquer quelqu'un ?
M. Sylvain Maestracci . - Le contrôle intervient plutôt en amont, lors du processus de nomination.
Mme Karen Bucher . - On l'a vu récemment, lors du renouvellement du conseil d'administration de l'AESA : certaines candidatures ont été retirées, pour cause de liens d'intérêts .
Mme Bernadette Bourzai . - L'ANSES s'est également refait une virginité...
M. Sylvain Maestracci . - Elle dispose d'un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le système semble proche. Un membre ne peut siéger lors d'une séance d'un comité que s'il n'a pas de liens d'intérêts dans le domaine concerné.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Venons-en à l'épandage aérien .
M. Sylvain Maestracci . - Aux termes de la directive 2009/218 sur l'utilisation durable des pesticides, l'épandage aérien est interdit, sauf dérogation. La possibilité de dérogations a été réclamée avec insistance par de nombreux États membres ; puis le Conseil européen et le Parlement européen ont élargi la portée du « sauf »...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vous n'avez pas d'informations sur l'application concrète sur le terrain ?
M. Sylvain Maestracci . - Il n'existe pas de base de données européenne, pas de procédure d'information sur les dérogations accordées dans tel ou tel État membre. Aucun État membre ne semble refuser systématiquement les dérogations ; car aucun ne s'était prononcé contre en 2008-2009.
Mme Bernadette Bourzai . - Il n'y a pas eu d' évaluation de la pratique des dérogations ?
M. Sylvain Maestracci . - Non. La Commission n'a pas annoncé de rapport sur ce point.
Mme Karen Bucher . - La directive 2009/128 prévoit la définition d'indicateurs visant à vérifier la bonne application du texte. À ce stade, ils n'ont toujours pas été définis. La mise en oeuvre ou non des dispositions dérogatoires pourrait en faire partie.
M. Sylvain Maestracci . - Cette réglementation a été transposée en droit national par la loi Grenelle II et par un arrêté du 31 mai 2011. Les autorisations sont données au niveau départemental, sous réserve d'une évaluation scientifique par l'ANSES.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quid des fraudes , des trafics de pesticides ?
M. Sylvain Maestracci . - Il n'y a pas, en la matière, de coopération policière et judiciaire systématiques. Il est difficile d'être informé. Quelques commissions rogatoires ont été lancées, quelques saisies effectuées par les douanes . Ces dernières contrôlent les entrées sur le marché européen, c'est-à-dire l'importation de produits phytopharmaceutiques provenant de pays tiers. A l'intérieur de l'Union, le principe est celui de la libre circulation. En cas de doute, c'est la DGCCRF qui est chargée des contrôles. Les douanes, que nous avons interrogées, se disent satisfaites des pouvoirs douaniers actuels . Leur contrôle porte sur les 15 % de produits phytopharmaceutiques importés de pays extracommunautaires.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Prenons, par exemple, le cas de céréales qui proviendraient d'Ukraine et seraient infestées d'insectes : elles pourraient être nettoyées à coup de pesticides, dans le bateau puis, sans doute, à nouveau dans la coopérative où elles seraient stockées... avant d'être transformées pour l'alimentation animale ou humaine. Est-il possible de faire entrer en France de telles céréales de mauvaise qualité et infestées ?
M. Sylvain Maestracci . - Toute denrée destinée à l'alimentation animale ou humaine peut faire l'objet de contrôles.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais ce n'est pas systématique.
M. Sylvain Maestracci . - Le contrôle est orienté, en fonction de l'analyse de risque.
Mme Karen Bucher . - Il y a toujours un contrôle documentaire. Quant au contrôle physique, il s'appuie sur l'analyse de risque, en fonction de la provenance, de la nature du produit, de l'importateur, etc.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Peut-on refouler la marchandise, dans l'exemple que j'ai donné ?
Mme Karen Bucher . - Cela arrive.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-ce exceptionnel ?
Mme Karen Bucher . - Il faudrait interroger les douanes et les points d'entrée communautaires (PEC), qui sont des postes d'inspection frontaliers spécifiques pour les produits végétaux, pilotés par la direction générale de l'alimentation. En cas de non-conformité, le produit est soit détruit sur place, soit refoulé mais cela peut entraîner des difficultés financières.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Des céréales infestées deviennent-elles « conformes » si elles sont nettoyées à coup de pesticides ?
M. Sylvain Maestracci . - Si le ravageur qui infeste le blé est déjà endémique en France, il n'est pas sûr que l'on puisse refouler le produit pour ce seul motif.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Il faut donc le nettoyer ?
M. Sylvain Maestracci . - Je ne peux vous répondre.
Mme Karen Bucher . - Il faudrait vous adresser à la DGAL.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Les céréales que nous exportons doivent pourtant être propres !
M. Sylvain Maestracci . - Lorsqu'un organisme nuisible nouveau est détecté sur un produit importé, nous le notifions à la Commission européenne.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Je retiens qu'un produit infesté de nuisibles connus ne peut être rejeté. Il faut donc le traiter, dans les cales et dans la coopérative !
M. Sylvain Maestracci . - Si le produit est traité dans les cales, il sera soumis au contrôle de limites maximales de résidus de pesticides.
Il n'y aura jamais de systèmes de barrage absolu à l'import : on l'a vu avec le lait contaminé à la mélanine , qui provenait de Chine - même si, en l'occurrence, les contrôles ont permis de retracer les lots et de limiter l'impact sur la santé humaine. Le droit international et les accords de l'OMC prévoient que l'on peut faire obstacle aux échanges à partir de critères sanitaires et phytosanitaires dès lors que les mesures prises sont proportionnées aux risques . Mais nous ne pouvons simplement fermer nos frontières : les accords internationaux limitent nos marges de manoeuvre. Voilà pour la réponse de principe ; le ministère de l'agriculture pourrait vous donner davantage d'informations concrètes.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quelles seraient vos recommandations pour améliorer les procédures d'autorisation de mise sur le marché ?
M. Sylvain Maestracci . - Il est difficile de répondre : le SGAE est avant tout un relais. Les difficultés d'application de la réglementation européenne, les manquements au principe de précaution sont gérés par les trois administrations de contrôle : les douanes, la DGCCRF et la DGAL. Nous n'avons pas été saisis de difficultés majeures. J'ajoute que la directive de 2009 et le règlement concernant la mise sur le marché ont été négociés sous présidence française... Tout en respectant la nécessaire neutralité qu'entraîne une telle présidence, le Gouvernement et les administrations avaient eu à coeur, par l'expression de la délégation française, de promouvoir les intérêts de notre pays.
Mme Karen Bucher . - L'application de cette réglementation ne semble pas poser de difficultés. Les administrations utilisent et maîtrisent les mesures de sauvegarde : le mécanisme est rodé, elles connaissent les rouages pour notifier à la Commission tout problème scientifique relatif à une substance active.
M. Sylvain Maestracci . - C'est ce qui a été fait dans le cas du Cruiser OSR : il est possible, en cas de risque pour l'environnement et la santé, d'interrompre la commercialisation d'une substance, en informant la Commission.
Par ailleurs, pour répondre à une interrogation de votre questionnaire relative aux équipements de protection individuelle (EPI) , le règlement d'application n°547/2011 sur l'étiquetage des produits phytopharmaceutiques comporte une annexe qui prévoit des mesures de sécurités spécifiques pour les opérateurs : les équipements de protection individuelle sont bien pris en compte dans les textes règlementaires.
Une autre de vos questions demandait si les évaluations étaient de nature à garantir l'innocuité des substances et produits pesticides pour la santé.
L'impact sur la santé humaine fait partie des critères d'évaluation de l'AESA et de l'ANSES : c'est ce qui a conduit à l'interdiction de l'épandage aérien. Mais l'approche européenne demeure une approche par produit, non par utilisateur .
Mme Sophie Primas , présidente . - S'agissant des équipements de protection individuelle, les règles instaurées vous paraissent-elles efficaces ?
Mme Karen Bucher . - Les services de la DGAL et de la DGCCRF effectuent des contrôles à différents stades de la chaîne, du grossiste à l'utilisateur. Un rapport a récemment été publié par l'Office alimentaire et vétérinaire (OAV) , qui est l'autorité de la Commission chargée de s'assurer que les États membres font bien respecter la réglementation.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Auriez-vous des propositions, des recommandations à suggérer à la mission ?
M. Sylvain Maestracci . - Nous ne sommes guère bien placés pour en faire. Le dialogue entre les institutions françaises et communautaires se passe bien. Des garde-fous, des alertes existent pour protéger au mieux la santé humaine et l'environnement, par exemple les abeilles. La réglementation européenne laisse une certaine latitude aux États membres, ce qui leur permet d'avoir une approche prudentielle adaptée à leur territoire.
Mme Sophie Primas , présidente . - La France est-elle plus ou moins active que les autres États ? Des réformes relatives aux pesticides sont-elles en vue au niveau européen ?
M. Sylvain Maestracci . - Il n'y a aucune réforme en vue. Nous sortons à peine de celle de 2009. La Commission est censée produire, en 2014, un rapport sur l'application du règlement concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques : ce sera sans doute l'occasion de revoir la réglementation. La Commission est censée publier, en 2015, un rapport sur le règlement concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides , qui conduira également sans doute à une révision.
Mme Sophie Primas , présidente . - En connaît-on déjà les orientations ?
M. Sylvain Maestracci . - Non, aucune orientation n'est décelable.
Mme Karen Bucher . - Ces rapports sont communiqués au Parlement européen et au Conseil. Ceux-ci adoptent des recommandations. Lesquelles peuvent se traduire dans une réforme... C'est une perspective de long terme !
M. Sylvain Maestracci . - Nous sommes encore en train d'absorber la dernière réforme. Du point de vue des procédures, les choses fonctionnent bien. Quant à la réalité du terrain, nous ne la voyons guère, ni en amont, ni en aval...
La France fait sans doute partie des États les plus mobilisés : elle dispose des capacités administratives et scientifiques nécessaires pour suivre tous les sujets, d'autant qu'elle est concernée par toutes les productions. Les États du Nord de l'Europe sont sans doute ceux qui se préoccupent le plus de l'environnement.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et par rapport à l'Allemagne, en particulier ?
M. Sylvain Maestracci . - Il est difficile de vous répondre. De manière générale, la France n'est jamais extrémiste, et s'inscrit dans l'équilibre communautaire. Son opposition découle toujours d'une analyse raisonnée.
Audition de M. Daniel Roques, président de l'Association des Utilisateurs et Distributeurs de l'Agro-Chimie Européenne (AUDACE) et de M. Stéphane Delautre-Drouillon, secrétaire général (11 septembre 2012)
Mme Sophie Primas , présidente. - Pourriez-vous d'abord nous présenter votre organisation ?
M. Daniel Roques. - AUDACE a été créée en 1998 : je constatais depuis plus de vingt ans des dysfonctionnements relatifs aux produits phytopharmaceutiques en France. De nombreux États membres avaient pris des dispositions pour organiser la libre circulation, mais les fabricants français et la direction générale de l'alimentation s'y opposaient fermement. J'ai donc attaqué la France et ai eu satisfaction car le décret du 4 avril 2001 a régularisé les importations, dites parallèles, de produits phytosanitaires . Très vite, des organisations agricoles telles que la Coordination rurale ont estimé que nous défendions l'intérêt général de l'ensemble des utilisateurs et nous ont demandé d'élargir notre action aux médicaments vétérinaires, aux semences et à d'autres intrants ainsi qu'à tous les sujets qui constituent la vie quotidienne des entreprises agricoles.
L'association a rapidement acquis une représentativité auprès des institutions européennes. Tous les États membres, la Commission européenne, et même la FAO nous consultent. Nous intervenons partout dans le monde, jusqu'en Inde ou en Chine, pour présenter la réglementation communautaire sur les produits phytosanitaires, et celles des différents États membres - car il n'y a pas d'harmonisation complète.
Du reste, nous souhaitons que la FAO ou l'OMC - hélas compétente en matière de productions agricoles, l'Europe en sait quelque chose, je songe aux protéines végétales destinées à l'alimentation animale - travaillent à l'instauration de normes internationales très strictes de fabrication, d'utilisation et d'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
Depuis 1999, AUDACE demandait la révision de la directive cadre 91/414 d'harmonisation des AMM. Le programme de révision a été accepté par la Commission et, aux termes de dix années de travail, un nouveau règlement n°1107/2009 est entré en application, au 15 juin 2011. Ce ne fut toutefois pas un grand succès pour nous, puisque 10 % seulement de nos propositions ont été retenues. De nombreux dysfonctionnements majeurs, dans la fabrication, la distribution ou l'utilisation, ont perduré.
Mme Sophie Primas , présidente. - Parmi vos propositions non retenues, lesquelles vous semblaient les plus importantes ?
M. Daniel Roques. - Dans le mémorandum que nous avions adressé à la Commission en 2002 - nous vous en transmettrons un exemplaire - figurait un point essentiel sur lequel je voudrais attirer votre attention.
Conserver un système d'AMM nationales est une absurdité et une aberration. Depuis environ quarante ans que je travaille dans ce secteur, j'ai demandé à tous les ministres successifs de l'agriculture, à tous les commissaires européens, de me citer un seul produit phytosanitaire utilisé dans un pays qui ne pourrait pas l'être dans un autre. Il n'y en a pas !
C'est uniquement pour cloisonner le marché communautaire et pouvoir pratiquer des prix différents que les fabricants ont artificiellement multiplié les formulations, certaines plus nocives que d'autres, pour les applicateurs et pour les consommateurs.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur. - Cette division du marché est-elle donc uniquement à visée commerciale ?
M. Daniel Roques. - Absolument.
Mme Sophie Primas , présidente. - Quels sont les arguments invoqués pour la maintenir ?
M. Daniel Roques. - En France, on a longtemps mis en avant la souveraineté des États en matière de mise sur le marché. Jusqu'à la fin du siècle dernier, notre pays se considérait comme un grand pays fabricant - avec, souvenez-vous, un État-actionnaire de Roussel-Uclaf ou de Rhône-Poulenc . Au comité d'homologation de l'INRA, mon idée suscitait des réactions très vives. « La France a ses critères de sécurité alimentaire », disait-on... Le Royaume-Uni et l'Allemagne affectaient la même philosophie.
La France prétendait à tort - et j'ai osé l'affirmer, en 1996 - posséder une administration d'une exceptionnelle compétence, impartialité, indépendance à l'égard de toute action de lobbying . Impossible puisque l'ensemble des demandes était traité par trois personnes ! Leurs locaux du 251, rue de Vaugirard n'avaient pas besoin de murs, les piles de dossiers en tenaient lieu. Dossiers bien sûr ultra confidentiels, exposés à la vue de tous.
Certes, les choses ont changé à partir de 2000-2001, avec la création de la Structure scientifique mixte (SSM) et, surtout, le transfert des compétences à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), devenue l'ANSES.
J'avais également souligné, en 1996, que le système national servait à justifier l'existence de postes de fonctionnaires qui deviendraient inutiles en cas de création d'une AMM européenne. Ces propos étaient mal accueillis.
Mme Sophie Primas , présidente. - Peut-être le seraient-ils mieux aujourd'hui.
M. Daniel Roques. - Oui, avec les restrictions budgétaires...
L'affaire Zera/Montedison a mis en lumière une pratique courante des fabricants : un produit était distribué sous une forme beaucoup plus toxique dans un pays, l'Allemagne en l'occurrence, qu'ailleurs. La Commission européenne a pris une décision sévère et a rappelé la firme italienne à un minimum d'éthique.
Notre mémorandum date de 2002. Des évolutions ont sans doute eu lieu depuis, mais les différences dans la composition des produits demeurent. Non pas dans la substance active mais dans les co-formulants, les adjuvants, les solvants, là où réside l'essentiel des facteurs toxiques.
Mme Sophie Primas , présidente. - Votre combat consisterait donc à obtenir que l'AMM des produits formulés - et non de la seule substance active - devienne européenne ?
M. Daniel Roques. - Tout à fait. Or, on observe, de la part de la Commission ou du Conseil, les mêmes réticences que lorsqu'une administration refuse de reconnaître ses torts. La Commission a décidé de diviser l'Europe en trois zones (sud, médiane et nord) sur la base d'une prétendue unité de climat, de pédologie, de cultures agricoles... Le résultat est bien sûr aberrant. Les différences sont déjà très importantes entre Lille et Marseille ; que dire de celles entre la France et la Grèce, Chypre, Malte ou la Bulgarie !
Sans instituer d'AMM de zone pour autant, la Commission a adopté le principe de la reconnaissance mutuelle obligatoire par zone : une AMM obtenue à Malte s'impose à la France. Or le système d'homologation de Malte, par exemple, n'a rien à voir avec celui de la France.
Mme Sophie Primas , présidente. - Les fabricants semblent préférer une homologation française, si l'on en juge par le nombre des demandes, qui provoque un engorgement à l'ANSES .
M. Daniel Roques. - Oui, car ils savent que la reconnaissance mutuelle, pourtant obligatoire, n'est pas appliquée. L'ANSES ne veut pas en entendre parler ! En cas de demande de reconnaissance mutuelle, elle soumet les produits à des études complémentaires, certes d'un coût moindre : 50 000 € pour une reconnaissance mutuelle contre 200 000 € pour une première homologation, mais tout de même.
Les entreprises ont plutôt tendance à demander la première autorisation en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni , qui représentent 80 % du marché phytosanitaire européen. A lui seul, notre pays en représente 33 %. Il peut y avoir des États co-rapporteurs. Les demandeurs arbitrent entre l'excellence de l'évaluation et le coût ; ils s'adressent aussi à la Belgique, aux Pays-Bas ou aux pays d'Europe du Nord. L'ANSES se considère toutefois comme le phare de l'Europe dans ce domaine.
L'absence d'AMM communautaire nous met en porte-à-faux vis-à-vis d'autres États ayant des réglementations similaires, tels les États-Unis d'Amérique. La directive 91/414 est la traduction presque conforme de la réglementation américaine de dix ans antérieure ! Et la Commission entretient des relations permanentes avec les autorités américaines pour aller vers une harmonisation des critères et des méthodes.
Soit dit en passant, les polémiques relatives aux contrôles réalisés dans le passé sont vaines : il y a encore dix ans, on ne disposait pas d'appareils d'analyse des résidus au niveau du microgramme....
Mme Sophie Primas , présidente. - Est-ce à dire que vous rêvez d' une grande agence d'homologation européenne, voire mondiale ?
M. Daniel Roques. - Une agence européenne, oui.
Au niveau mondial, ce pourrait être le rôle de la FAO qui définit déjà les spécificités techniques à respecter pour les produits phytopharmaceutiques. Ces exigences sont reprises par les normes de l'OCDE. Si une plus grande implication de la FAO est souhaitable, il faut aussi étendre les compétences de l'AESA ( EFSA ) . Elle autorise déjà les substances actives, pourquoi ne serait-elle pas aussi en charge des produits formulés ? On a vu dans des affaires judiciaires récentes que la dangerosité peut provenir de co-formulants tels que le monochlorobenzène .
En général, comme Français, je détesterais l'idée de remettre la santé publique dans des mains autres que françaises ; mais dans ce cas précis, la France participe !
Mme Sophie Primas , présidente. - Au fond, ne souhaitez-vous pas une agence européenne mais à condition qu'elle soit française ?
M. Daniel Roques. - Ce type de préférence existe aussi chez les Allemands : de leur côté, à Hanovre l'an dernier, des représentants du ministère de l'agriculture allemand me confiaient être favorables à la reconnaissance mutuelle, dès lors qu'elle signifiait que les autres États acceptaient leurs décisions...
Plus sérieusement, les États membres participent déjà au comité phytosanitaire permanent institué auprès de la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs (DG SANCO). Rien, absolument rien, ne s'oppose à la création d'une AMM communautaire.
Du reste, elle aurait l'avantage d'améliorer le sort des agriculteurs, aujourd'hui forcés de se muer en bureaucrates. Celui qui a le malheur de pratiquer la polyculture, l'élevage et un peu de maraîchage risque de subir, pour peu que les administrations ne se coordonnent pas, près d'une soixantaine de contrôles par an. L'agriculteur est mieux employé aux champs qu'au bureau.
Une agriculture durable suppose que l'agriculteur se consacre à l'agronomie, se concentre sur la plante, le sol. Dans ses actions de prévention auprès des utilisateurs, AUDACE a de plus en plus de mal à faire passer le message du respect de la réglementation, tant celle-ci est à la fois lourde et changeante. Pas une semaine sans un nouvel arrêté ! Les agriculteurs comprennent de moins en moins pourquoi ils devraient respecter des règles plus strictes qu'ailleurs. Comment oublier que la Cour de Luxembourg a condamné la France, qui bloquait des importations de viande bovine en provenance du Royaume-Uni, à l'époque où l'ESB y faisait rage.
Mme Sophie Primas , présidente. - Quel est votre point de vue sur les importations parallèles et la fraude ?
M. Daniel Roques. - D'aucun considèrent que, dans la mesure où je serais le père des importations parallèles, les fraudes seraient de ma faute. Eh bien, pas du tout !
Certes, je me suis battu pendant vingt ans pour qu'un produit dûment homologué dans un État membre puisse être utilisé dans un autre. Il y a encore dix ans, les différences de prix pouvaient atteindre 40 % d'un pays à l'autre. La France a finalement reconnu ses torts et un décret du 4 avril 2001 a modifié la procédure.
Le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Jean Glavany, m'avait adressé le projet de décret pour recueillir mon avis : le texte me semblait parfait sur la forme, mais sur le fond, nous n'en avions jamais demandé autant ! J'ai, en vain, réclamé des barrières pré-contrôles afin d'éviter les dérives... qui n'ont pas manqué de se manifester, immédiatement.
Les autorisations de mise sur le marché d'importations parallèles (AMMIP) , aujourd'hui rebaptisées permis de commerce parallèle (PCP) , ne donnent pas les mêmes droits que l'AMM. Or, des entreprises mafieuses se sont constituées et ont obtenu, dès 2002, des autorisations nationales grâce à des filiales qui n'étaient que des boîtes postales et ont commercialisé des produits n'ayant fait l'objet d'aucune évaluation . Ces entreprises, à partir d'une substance active homologuée en Europe, et souvent achetée en Inde ou en Chine, font formuler un produit par des formulateurs que tout le monde connaît.
Le seul droit attaché à L'AMMIP est celui de commercialiser un produit fabriqué par le titulaire de l'AMM, certainement pas de fabriquer un produit. Mais tous ces mafieux sont issus des grandes firmes internationales, ils connaissent parfaitement l'aspect que doit avoir le produit et leurs productions sont parfois de meilleure qualité que l'original - ce qui dissuade le groupe lésé d'engager des actions en justice, par peur d'être ridiculisé. Certes si ces produits non autorisés peuvent être de bonne qualité, en revanche, un seul produit de mauvaise qualité peut entraîner des effets calamiteux sur la santé publique. Leur taux de résidus de pesticides est inconnu !
Nous avions prévu cette situation et demandé que les évaluations soient fondées non seulement sur les produits mais aussi sur la qualité des demandeurs. Dans notre secteur, des sociétés boîtes postales ne sont pas acceptables. N'ayant pas obtenu gain de cause sur ce point, nous avons, dès 2002, engagé des poursuites judicaires contre ces sociétés. Le procureur d'Arras m'ayant indiqué que la priorité de ses deux seuls juges d'instruction allait aux affaires criminelles, le dossier fut transféré au pôle de sécurité alimentaire de Paris, avant d'aboutir sur le bureau de Mme Le Goff, procureur de Marseille.
Nous voulions certes, à l'origine, que les importations parallèles deviennent licites, mais nous voulions aussi qu'elles soient encadrées. Or le système actuel laisse toujours porte ouverte aux fraudes. Je regrette que le ministère de l'écologie n'ait pas soutenu fermement nos recommandations quant à la régulation.
Il est bien difficile de faire condamner les entreprises mafieuses : les firmes lésées sont réticentes à engager des procédures pénales, pour ne pas voir leurs secrets industriels dévoilés. Et les parquets n'ont pas les moyens d'évaluer les dangers des produits. Sur une affaire pourtant grave, le parquet a fini par libérer une vingtaine de produits, après deux ans de procédure, au motif que, au vu des analyses chromatographiques, les courbes des produits en question étaient très similaires à celles des produits homologués. Or, de telles analyses ne disent rien de la composition et donc de la toxicité du produit !
Comme je l'ai dit à Mme Le Goff en janvier 2012, il est très difficile d'avancer sans la volonté des industriels. Eux seuls sont capables d'orienter les recherches. Sans leur aide, on est contraint de chercher dans le vague, de procéder par éliminations successives, ce qui peut coûter plusieurs millions d'euros, alors que le parquet de Marseille, le plus pauvre de France, dit-on, peine déjà à financer son fonctionnement quotidien.
Mme Sophie Primas , présidente. - Nous sommes au courant.
M. Daniel Roques. - On a accusé les importations parallèles de tous les maux alors que 95 % des opérateurs sont sérieux. En revanche, les 5 % de fraudeurs représentent 90 % du marché . Nous incitons nos adhérents agriculteurs à se méfier d'un prix trop bas. Une différence de 15 ou 20 % est normale, un écart de un à cinq ne l'est pas !
Mme Sophie Primas , présidente. - Dans certains départements du sud-ouest de la France, les importations parallèles représenteraient 70 % des produits utilisés...
M. Daniel Roques. - Et le ministère de l'écologie est à 100 % responsable de cette situation. Il s'agit ici non de fraudes mafieuses mais d' achats transfrontaliers effectués par les agriculteurs. Oui, en Languedoc-Roussillon, ces importations pourraient représenter 70 % du marché total évalué à 30 millions d'euros. Il s'agit principalement de produits génériques achetés sous le couvert d'une AMM espagnole, qui n'ont pas fait l'objet d'une demande d'homologation en France ou, plus grave, de produits interdits en France mais vendus en Espagne par dérogation obtenue au motif de nécessité locale absolue. Tel a été, pendant des années, le cas de l'arsenic de sodium interdit en France depuis 2002.
Aussi avons-nous proposé que le certificat « distributeur et applicateur de produits antiparasitaires » (DAPA) soit opposable aux agriculteurs. Ceux qui se fourniraient auprès d'un distributeur sans numéro d'agrément seraient donc fautifs. Cela n'est pas possible, nous a-t-on répondu, on ne peut exiger d'un distributeur étranger qu'il soit titulaire du Certiphyto. Faux, a estimé la Commission européenne, si la France l'impose à ses propres entreprises, elle a le droit de le demander aux autres. C'est ainsi que la loi de finances de juillet 2010 prévoit - enfin ! - l'obligation de faire figurer le numéro d'agrément sur tous les documents émanant du distributeur, français ou étranger, en particulier sur les factures.
En revanche, il n'est toujours pas question, de rendre cette obligation opposable aux agriculteurs. Dans le même temps, ces derniers sont soumis au paiement de la redevance pour pollution diffuse , alors qu'elle devrait être payée par les distributeurs. Tout cela est absurde. Lorsque je demande aux agences de l'eau, en charge du recouvrement, combien d'agriculteurs ont déclaré, depuis le 1 er janvier 2011, devoir payer cette redevance pour avoir utilisé des produits importés, elles répondent : aucun ! Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau, à qui j'ai fait part de mes propositions, m'a dit qu'il était trop tard pour les intégrer à la nouvelle réglementation. Pourtant, tous les problèmes liés aux achats transfrontaliers seraient réglés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quelles ont vos relations avec l'UIPP ?
M. Daniel Roques . - A partir de 2001, à l'initiative de son nouveau président M. Bernard Charlot, nous avons normalisé nos relations avec l'UIPP. Nous avons décidé de nous communiquer à l'avance nos positions respectives sur les différents sujets, d'essayer de gommer les désaccords... et de nous affronter uniquement sur nos divergences irréductibles.
AUDACE est la seule organisation professionnelle qui n'hésite pas à intenter des procès contre des entreprises membres de l'UIPP , comme dans l'affaire Paul François. Pour nous, il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur les entreprises du secteur, mais de dénoncer l'absence d'éthique, en l'occurrence de la part de Monsanto . Cette entreprise a prétendu devant le tribunal de Lyon n'avoir jamais connu le moindre problème avec le Lasso . Or elle a eu les pires ennuis aux États-Unis en raison de la mortalité liée à ce produit . Et, en Belgique, son AMM lui a été retirée en 1992 . En outre, les rapports ayant permis l'obtention de la première AMM aux États-Unis dans les années 1970 étaient tronqués, voire mensongers, au point que le directeur du laboratoire a été mis en prison !
Dans d'autres domaines, comme celui des médicaments vétérinaires, les titulaires d'AMM sont soumis à une indispensable obligation d'épidémio-surveillance constante . Ils doivent déclarer tous les effets constatés non intentionnels apparus après la mise sur le marché. Pourquoi ne pas appliquer la même exigence, et au niveau mondial, ici ?
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Mais les firmes nient les incidents...
M. Daniel Roques . - D'où la nécessité de rendre les déclarations obligatoires.
Audition de M. Dominique Bricard, directeur général de Nutréa, de M. Michel Le Friant, responsable des métiers du grain (Caliance), et de M. Joël Pennaneac'h, coordinateur du pôle sécurité (Triskalia) (11 septembre)
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci de participer à une de nos dernières auditions. Nous sommes d'autant plus impatients de vous entendre que nous avons été alertés au sujet d'une affaire qui vous concerne lors d'un de nos déplacements en Bretagne. Sans vouloir nous immiscer dans une ou plusieurs procédures en cours, nous voudrions connaître le point de vue des dirigeants des entreprises concernées, comprendre ce qui s'est passé et les leçons qui en ont été tirées. Nous nous intéressons aussi aux conditions de stockage et de nettoyage des céréales dans les grandes coopératives françaises.
M. Dominique Bricard, directeur général de Nutréa Nutrition Animale (Triskalia) . - Merci de nous recevoir. Vous me permettrez, en préalable, de présenter notre groupe. Je suis directeur général de Nutréa qui employait les salariés que vous avez rencontrés.
M. Michel Le Friant, responsable des métiers du grain Caliance (Triskalia) . - Je suis responsable des activités céréales de Caliance, union de coopérative qui commercialise les céréales de plusieurs coopératives de l'Ouest.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nutréa est-elle aussi une union de coopératives ?
M. Dominique Bricard . - Non, c'est une filiale de Triskalia spécialisée dans la fabrication d'aliments pour bétail.
M. Michel Le Friant . - Triskalia a la particularité d'être une entreprise toute jeune : créée le 1 er octobre 2010, elle a moins de deux ans.
Mme Sophie Primas , présidente . - S'agit-il de l'ancienne Coopagri ?
M. Michel Le Friant . - Pas tout à fait, Triskalia est issue de la fusion de trois coopératives bretonnes concurrentes : Coopagri Bretagne , dont l'histoire a commencé en 1911, Eolys et la coopérative des agriculteurs du Morbihan, la Cam 56 . La collecte de céréales est réalisée par Triskalia et la commercialisation réalisée par une union de coopératives.
Mme Sophie Primas , présidente . - D'où viennent les céréales ?
M. Michel Le Friant . - De Bretagne et de Mayenne.
Mme Sophie Primas , présidente . - Il n'y a pas d'importation ?
M. Michel Le Friant . - Aucune.
M. Dominique Bricard . - Nous importons seulement dans l'alimentation.
M. Michel Le Friant . - Triskalia exerce trois grands métiers : d'abord, l'agriculture, à travers une activité de conseil de vente de produits, ainsi que la collecte des céréales et d'autres produits agricoles (notamment légumes frais, légumes surgelés, légumes pour la conserve appertisée, soit toutes les productions liées aux productions végétales et animales) ; ensuite, l'agro-alimentaire, qui regroupe les productions bretonnes (lait, boeuf, porc, oeufs, légumes frais ou transformés) ; enfin, Triskalia exerce une activité de distributeur grand public avec notamment les enseignes Gamm Vert, Magasin Vert, Point Vert ... Parallèlement à ces trois pôles, elle dispose d'un laboratoire d'analyse, Capinov, qui s'est spécialisé dans la sécurisation des productions de la coopérative : conseil en amont pour les analyses de sol, sécurisation des produits mis sur le marché par les filiales agro-alimentaires. Ce laboratoire mène des analyses très poussées notamment sur les résidus de pesticides.
Mme Sophie Primas , présidente . - Combien de personnes ce laboratoire emploie-t-il ?
M. Michel Le Friant . - Cinquante, essentiellement des scientifiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les analyses sont-elles systématiques ?
M. Michel Le Friant . - Elles sont effectuées en fonction du plan de contrôle des différentes filiales et à la demande des producteurs ; nous intervenons en amont, pour sécuriser la production des agriculteurs, et en aval, lors de la mise sur le marché des produits agricoles.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le contrôle des céréales est-il également effectué pour l'alimentation animale ?
M. Michel Le Friant . - Oui, des contrôles internes et des contrôles externes par Capinov.
Une autre particularité de Triskalia réside dans son fonctionnement très démocratique, avec 400 producteurs élus issus de tous les métiers de la coopérative pour représenter les 18 000 agriculteurs adhérents, et une organisation verticale par filières (animale, végétale...). Chaque section spécialisée possède son propre conseil d'administration : ainsi, le président de la section céréales fait vivre, avec vingt-quatre élus, l'activité céréales. Les 400 élus représentent donc verticalement les filières et horizontalement le territoire. A leur tête, le président de Triskalia, M. Denis Manac'h. L'organisation du groupe doit-elle évoluer ? C'est aux agriculteurs d'en décider.
Concrètement, le groupe Triskalia compte 4 200 salariés équivalent temps plein et représente 300 sites en Bretagne, du petit point de collecte au grand Magasin Vert , sans oublier les sites industriels.
La chance de la Bretagne est sa grande diversité d'activités.
M. Joël Pennaneac'h, coordinateur du pôle sécurité de Triskalia . - La sécurité est un processus totalement intégré au quotidien dans toutes nos organisations. Nous faisons nôtre le principe de l'amélioration continue, type roue de Deming : planification, mise en oeuvre, vérification, éventuellement réaction. Dans notre gestion de risque, nous allons toujours de l'amont jusqu'à l'aval ; si nous ne pouvons supprimer le risque, nous le diminuons, nous l'évaluons pour mettre en place des protections collectives, bien sûr, mais aussi individuelles in fine . En termes d'organisation, chaque cadre ou manager est responsable de la sécurité au sein de son activité. Enfin, il existe un pôle sécurité.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le cadre est donc à la fois responsable de son économie locale et de sa sécurité.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quid des équipements de protection individuelle (EPI) ? Des masques ?
M. Joël Pennaneac'h . - Le pôle sécurité apporte son expertise sur la protection des personnes et des biens. Il dépend de la direction des ressources humaines et de la communication et a mis en place de nombreux partenariats, notamment avec les pompiers. Autre point fort de Triskalia, elle compte cinq CHSCT, un par direction opérationnelle et un pour l'ensemble des fonctions support. Chaque CHSCT est composé de représentants du personnel, d'un représentant de l'inspection du travail, d'un médecin du travail et d'un préventeur de la MSA et est présidé par le directeur de la direction opérationnelle, le CHSCT des fonctions support étant présidé par le directeur des ressources humaines. Les CHSCT s'occupent de protection de la santé et d'amélioration des conditions de travail, par exemple en termes d'environnement, d'aménagement des postes, de durée et horaires du travail. Dans un monde qui va de plus en plus vite, ils s'occupent aussi de l'impact des nouvelles technologies sur nos activités. Ils sont également consultés sur les accidents de travail et sur les projets d'entreprise : chaque année, ils émettent un avis sur le plan d'investissement annuel en termes de sécurité et d'amélioration des conditions de travail.
Nous avons donc trois éléments forts, manager , pôle sécurité et CHSCT, qui travaillent main dans la main. Vous trouverez dans le rapport que je vous ai remis quelques chiffres sur les accidents de travail, en taux de fréquence et en taux de gravité, et sur la formation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Que signifie un taux de gravité de 0,65 ?
M. Joël Pennaneac'h . - Le taux de gravité est le rapport entre le nombre de jours d'arrêts de travail et le nombre d'heures travaillées. Ce chiffre est inférieur à la moyenne nationale des autres industries. Le taux de fréquence calcule le nombre d'accidents avec arrêts de travail par rapport au nombre d'heures travaillées. Nos taux sont bien en deçà des moyennes nationales.
Notre budget formation représente 3,38 % de la masse salariale, le double de l'obligation légale, avec un quart des formations liées à la sécurité . Dans le cas particulier des métiers du grain, dix-huit responsables de silos viennent de recevoir une formation aux bonnes pratiques de conservation des céréales et de sécurité par Coop de France et par des intervenants internes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Si nous comprenons bien la chronologie, Nutréa-Triskalia a racheté une coopérative qui avait des pratiques particulières ?
M. Joël Pennaneac'h . - Coopagri Bretagne était la plus importante des trois coopératives... Ses pratiques ont été généralisées à l'ensemble de Triskalia.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Peut-on revenir sur l'historique de ces coopératives ?
M. Dominique Bricard . - En 2009, il y avait, d'une part, Coopagri et, d'autre part, Unicopa , qui regroupait notamment Eolys et Cam 56 . Coopagri, Eolys et Cam 56 ont fusionné en octobre 2010 pour devenir Triskalia. Dans le groupe Unicopa , les activités aliment du bétail ont été reprises par Coopagri Bretagne et Terrena pour former le nouveau Nutréa , le 1 er janvier 2010.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Quand les incidents rapportés par les salariés rencontrés par la mission ont-ils eu lieu ?
M. Dominique Bricard . - En 2009, et ils ont concerné Eolys pour la partie collecte et UCA pour la fabrication d'aliments.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'un d'entre vous en faisait-il partie ?
M. Dominique Bricard . - Non. Mais nous pouvons en parler, car les salariés concernés ont été transférés dans le nouveau Nutréa .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Qui les a licenciés ?
M. Dominique Bricard . - Nutréa . Ils ont été déclarés inaptes par la médecine du travail à la tenue de leur poste de travail en janvier et février 2011 puis licenciés en juin et juillet 2011, après avoir refusé les postes de reclassement que nous leur proposions, y compris des postes administratifs dans les bureaux sur le site. En septembre 2011, des procédures sociales et pénales ont pris le relais.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ces salariés déclarent avoir dû utiliser des produits non autorisés. Vous êtes-vous interrogés sur une possible contamination des lieux traités avec ces produits ?
M. Dominique Bricard . - Ces salariés n'ont pas manipulé de produits chimiques ; ils étaient chargés de la réception des céréales et c'est à ce moment qu'ils ont été potentiellement indisposés par des poussières pouvant contenir des pesticides. A aucun moment ils n'ont manipulé de pesticides.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce n'est pas, me semble-t-il, ce qui nous a été dit !
M. Dominique Bricard . - Des procédures sont en cours. Encore une fois, ces salariés ex- UCA ont ressenti des troubles lors des opérations de transfert et de réception des céréales.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et les bâtiments dans lesquels vous travaillez ?
M. Dominique Bricard . - Il faut distinguer la partie stockage et la partie usine. La particularité du site de Plouisy est qu'il contient une partie stockage et collecte et une partie fabrication des aliments où travaillaient les deux salariés en question. Cette partie, que je dirige, a fait l'objet de nombreuses transformations que je vous détaillerai, mais je laisse M. Michel Le Friant nous présenter la partie stockage et collecte.
M. Michel Le Friant . - La collecte est réalisée en Bretagne par type de produits (blé, orge, sarrasin...). Les céréales qui nous parviennent peuvent être sèches ou humides. Triskalia collecte au total 750 000 tonnes de céréales auprès de producteurs généralement petits (le producteur moyen apporte à Triskalia 80 à 90 tonnes : 20 tonnes de blé, 30 tonnes de triticale, 5 tonnes de sarrasin...) et doit les répartir en fonction de leur humidité sur les bons silos : si les graines sont humides, le passage au séchoir est nécessaire. Notre métier consiste à placer ces céréales au bon endroit pour les conserver. Nous avons deux cents points de collecte et quarante-huit sites de stockage aux capacités très différentes : vingt-neuf sites de proximité, avec une capacité inférieure à 5 000 tonnes, recueillent 53 000 tonnes et ne disposent que de deux séchoirs ; treize sites, avec une capacité comprise entre 5 000 tonnes et 20 000 tonnes, recueillent 124 000 tonnes et disposent de six séchoirs ; enfin six sites, avec une capacité supérieure à 20 000 tonnes, recueillent 241 300 tonnes et disposent de cinq séchoirs. Mais seuls certains sites sont équipés d'appareils de désinsectisation, les pompes doseuses pour traiter les grains .
Mme Sophie Primas , présidente . - Des arrosoirs à pesticides !
M. Michel Le Friant . - Ces pompes doseuses sont utilisées pour positionner l'insecticide sur le grain.
Mme Sophie Primas , présidente . - Systématiquement ?
M. Michel Le Friant . - J'y viens. On compte sept pompes doseuses pour les vingt-neuf petits sites, autant pour les treize sites de taille moyenne et quatre pour les six plus gros sites.
Le séchoir de l'usine Nutréa du site de Plouisy appartenait à Eolys . Aujourd'hui Plouisy n'est plus équipé et c'est Nutréa qui est prestataire de séchage pour le compte de Triskalia.
En ce qui concerne les débouchés des céréales, 72 % vont à l'alimentation animale, le reste étant soit exporté, soit livré aux industries ou aux meuneries. Une partie de la collecte est directement livrée aux éleveurs adhérents de Triskalia.
Le travail des céréales dépend largement de l'âge et de la configuration de chaque site, qui sont très variables. Aujourd'hui, les opérations de nettoyage constituent la clé de voûte de leur bon fonctionnement. On nettoie les silos lorsqu'ils sont vides ; lorsqu'un site a été pollué, par exemple par des charançons, des sylvains ou des capucins, on le désinsectise à vide. Un prestataire extérieur applique de l'insecticide sur les parois : un mur de béton comporte des petits trous où les charançons peuvent se cacher. Mais toutes les précautions sont prises pendant les opérations de nettoyage, et la désinsectisation n'est réalisée, fin mai ou début juin, qu'une fois le nettoyage effectué .
Mme Sophie Primas , présidente . - Cela signifie-t-il que, lorsqu'on remplit le silo à nouveau, les parois sont pleines d'insecticide ?
M. Michel Le Friant . - Les prestataires extérieurs travaillent en bonne et due forme : les parois ne sont pas pleines d'insecticides. Le produit est pulvérisé, sans utiliser d'arrosoir ! Grosso modo , 95 % de la collecte étant faite à la moisson : les charançons ne viennent donc pas des récoltes.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La ventilation ne peut-elle pas remplacer les pesticides ?
M. Michel Le Friant . - On commence par nettoyer le silo quand il est vide.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien de temps s'écoule-t-il entre la pulvérisation du silo et le stockage ?
M. Michel Le Friant . - Un minimum de quinze jours, car le prestataire intervient en juin et on collecte fin juillet. En moyenne, il s'écoule plutôt un mois.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qui sont vos prestataires extérieurs ?
M. Michel Le Friant . - Cette année, nous avons eu recours à Farago . Ce sont des sociétés spécialisées dans la lutte contre les nuisibles qui ont pignon sur rue.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - A force de pulvériser, n'y a-t-il pas saturation du bâtiment ?
M. Michel Le Friant. - On n'utilise plus de DDT ; les produits actuels sont homologués, utilisés aux doses homologuées, et sans rémanence.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Peut-être n'avez-vous jamais utilisé de produits interdits, mais je crois savoir qu'il n'en a pas été de même pour Eolys ...
M. Michel Le Friant . - C'était du dichlorvos . Au début de l'année 2009, Eolys a utilisé accidentellemnet ce produit, autorisé en 1985, alors qu'il avait été retiré du marché en 2008.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Cela signifie que vous utilisez des bâtiments aspergés naguère de produits interdits : peut-on imaginer que ces lieux de stockage soient, peut-être, contaminés ?
M. Michel Le Friant . - Le dichlorvos agissait par vapeur et son efficacité était immédiate. Il était donc parmi les plus utilisés, notamment parce qu'il pouvait l'être au moment de l'expédition des céréales. Avant 2008, on pouvait consommer les céréales traitées pour l'alimentation animale ou pour l'export au bout de 72 heures.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'existe-t-il aucune réglementation ni aucun contrôle sur la contamination des lieux de stockage ?
M. Michel Le Friant . - Il faudrait que les pesticides soient utilisés à l'excès.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - L'excès ne peut-il résulter de l'utilisation dans la durée ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Année après année, des dépôts ne se forment-ils pas ?
M. Michel Le Friant . - Dans le plan de contrôle que nous réalisons en tant que collecteurs, nous recherchons dans les céréales mises sur le marché les résidus des produits utilisés dans une analyse multi-molécule.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Est-ce votre laboratoire qui procède aux analyses ?
M. Michel Le Friant . - Oui, mais ce pourrait être un autre... Nous avons une confiance totale dans ses résultats. Notre plan de contrôle nous sécurise sur l'absence de résidus.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - N'y a-t-il jamais eu d'accident concernant des animaux ayant ingurgité des pesticides via leur alimentation ?
M. Michel Le Friant . - Pas à ma connaissance. Il arrive seulement qu'on trouve des traces d'un insecticide sur du colza passé dans un silo ayant été traité, alors même que le colza n'a pas d'insecticide référencé. Dans ce cas, les doses sont très faibles, mais c'est la preuve que les graines peuvent être contaminées par contact lors du stockage ou du convoyage .
Mme Sophie Primas , présidente . - Les analyses des céréales sont-elles obligatoires ?
M. Michel Le Friant . - Elles sont demandées par nos clients.
Mme Sophie Primas , présidente . - Cela était-il en place du temps d'Eolys, sur le site, au moment des incidents ?
M. Michel Le Friant . - Je n'ai pas les éléments de réponse à cette question.
Mme Sophie Primas , présidente . - Et qu'en est-il du port des équipements de protection individuelle (EPI) ? Je crois que, du temps d' Eolys , les salariés ne les utilisaient pas systématiquement...
M. Joël Pennaneac'h . - Il est difficile d'en parler car nous n'y étions pas. Aujourd'hui, quand un produit est utilisé, il suffit de consulter sa fiche de données de sécurité qui comporte seize points ; le point 8 signale les équipements de protection individuelle à porter.
Mme Sophie Primas , présidente . - Sont-ils effectivement portés ?
M. Joël Pennaneac'h . - C'est important qu'ils le soient.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Dans un courrier du préfet des Côtes d'Armor, en date du 18 juillet 2012 concernant l'entreprise Nutréa , il est noté que l'inspecteur du travail « a eu l'occasion de constater en 2010 et 2011 l'absence de port d'EPI par des salariés, malgré la consigne donnée par l'entreprise en mai 2009 d'utiliser ces EPI ». Cet inspecteur a également constaté « l'utilisation de masques inadaptés (absence de protection des yeux). Cette constatation a donné lieu à une mise en demeure de l'entreprise de fournir des EPI adaptés et d'établir une consigne d'utilisation de ces équipements ». Il y a quand même un souci avec les EPI !
M. Joël Pennaneac'h. - Des audits ont constaté que les EPI étaient disponibles et utilisés.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Ce qui est relaté dans ce courrier serait-il faux ?
M. Joël Pennaneac'h . - Je ne m'exprime qu'au sujet de Triskalia à compter d'octobre 2010.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Et ces faits seraient antérieurs ?
M. Dominique Bricard . - Il n'existe pas de risque pesticides en tant que tel, mais un risque poussières. En 2011, les consignes ont été rappelées aux salariés. Certains salariés, c'est vrai, ne portent pas d'EPI , désagréables à porter ; de plus, ils réceptionnent des céréales, pas des produits chimiques...
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - D'où viennent les céréales pour les animaux ?
M. Dominique Bricard . - En majorité de Bretagne, mais elles peuvent aussi être importées, d'Ukraine par exemple.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Arrivent-elles propres ?
M. Dominique Bricard . - Oui, elles arrivent directement par bateau.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Passent-elles dans votre laboratoire ?
M. Dominique Bricard . - Non. Elles font l'objet de plans de contrôle, mais on n'y a pas trouvé trace de produits interdits depuis deux ans.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Elles arrivent donc propres.
M. Dominique Bricard . - Oui, sur la base des contrôles effectués conformément à la réglementation.
Mme Sophie Primas , présidente . - Voilà une réponse ambiguë !
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Comportent-elles des insectes ?
M. Dominique Bricard . - Dans ce cas, elles sont refusées.
M. Michel Le Friant . - Tous les acheteurs les refusent.
Mme Sophie Primas , présidente . - Quels sont les ports concernés ?
M. Michel Le Friant . - Lorient, Brest, Saint-Malo...
Mme Sophie Primas , présidente . - Les ports traitent-ils les céréales ?
M. Dominique Bricard . - Non : le traitement a lieu dans les pays exportateurs. Il existe aussi dans les bateaux un système de protection par gaz.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . -Vous pouvez donc refuser un produit si vous découvrez des insectes après avoir ouvert la cale ?
M. Dominique Bricard . - Oui, mais les contrôles portuaires sont collectifs. C'est l'association Qualimat regroupant les fabricants d'aliments qui a mis en place des procédures de contrôles.
Mme Sophie Primas , présidente . - Tous les bateaux sont-ils contrôlés ?
M. Dominique Bricard . - Oui.
M. Michel Le Friant . - Grâce à nos pompes doseuses, nous avons les moyens de traiter 56 % de la collecte de Triskalia . En fait, en 2012, nous n'avons traité que 95 900 tonnes, soit 23 % des céréales stockées. Si la céréale passe au séchoir - la température élevée joue le rôle d'insecticide -, il ne sert à rien de la désinsectiser. Si le produit rentre dans un site dangereux, avec un historique de pollution, on désinsectise à titre préventif lors de la réception des céréales.
Sur le site de Plouisy, les céréales sont systématiquement désinsectisées , à l'exception de celles envoyées à notre prestataire séchoir, Nutréa.
La clé de voûte du système est la ventilation. Les céréales arrivent après la moisson, à une température de 20° à 30°C et à moins de 15 % d'humidité. L'objectif est de les amener, le plus vite possible, en dessous de 12°C, pour éviter la propagation ou le déplacement des insectes. En Bretagne, nous avons un handicap : les hivers sont doux. Il est plus facile d'abaisser la température des céréales en Mayenne ! Pour détruire les insectes, l'idéal est d'atteindre 5°C.
Mme Sophie Primas , présidente . - Qu'est-ce qui a changé sur le site de Plouisy depuis la reprise de la coopérative ?
M. Dominique Bricard . - Grâce aux procédures Triskalia, les pratiques de collecte et de stockage ont évolué. On ne traite plus les céréales en urgence en sortie. Les traitements sont préventifs, à la réception. Ce qui s'est passé à Plouisy est lié à cette problématique. Concernant Nutréa , j'ai eu connaissance des événements mi-2010 alors que nous étions en pleine réorganisation. Néanmoins, nous avons mis en place un groupe de travail pour comprendre ce qui s'était passé et fait appel au bureau Véritas. L'objectif était de réaliser un arbre des causes et de mieux évaluer les risques à gérer.
Pour nous, il s'agit d'un risque poussières, pas nécessairement poussières de pesticides , mais poussières au sens large : poussières de céréales, poussières de protéines, poussières de minéraux, poussières de mycotoxines... Ce risque peut être supprimé en amont en mettant en place des cahiers des charges sur la qualité des céréales à la réception, ou réduit grâce à des investissements.
C'est ce que nous avons fait à Plouisy où plus d'1 million d'euros ont été investis en 2012 pour refaire les automatismes et l'électricité afin d'éviter au maximum la présence de salariés en zone sensible. Des mesures de poussières et d'exposition ont été réalisées à la réception et à l'expédition des marchandises, avant et après les travaux. Des bureaux ont été déplacés, le poste commande de la partie réception a été mis en surpression, les cannes-sondes sont systématiquement utilisées pour échantillonner les camions avant le déchargement, les vestiaires ont été déplacés, des zones de ventilation ont été mises en place à la réception... Tout devrait être terminé en octobre.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Y a-t-il des arrêts de travail liés à des contaminations ?
M. Dominique Bricard . - Pas depuis 2010. Les salariés touchés à cette époque sont suivis.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Pas de maladies chroniques ?
M. Dominique Bricard . - Non. Nous avons bien sûr également pris des mesures de protection lors des opérations de nettoyage . Et nous avons mesuré, toujours avec Véritas, le taux de charge des poussières. A condition de porter le masque, ce taux est inférieur aux normes. Un gros effort de formation a également été réalisé. Il a été insisté sur l'obligation de porter le masque.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Vos céréales servent-elles essentiellement à l'alimentation des animaux ?
M. Dominique Bricard . - Nous en vendons surtout pour les poules pondeuses ; nous commercialisons environ un milliard d'oeufs, sur les quatorze milliards d'oeufs consommés en France. Nous fabriquons également des aliments pour les porcs, les volailles de chair, les ruminants et les lapins, mais aussi pour d'autres animaux, dont ceux de compagnie.
Mme Sophie Primas , présidente . - Vous avez beaucoup investi ; le site était-il en retard ? D'autres sites présentent-ils les mêmes risques ?
M. Dominique Bricard . - Depuis le 1 er janvier 2010 et avant la fin de 2012, nous avons investi 10 millions d'euros dans l'ensemble de nos usines, et principalment à Plouizy et à Languidic ; nos sites seront à niveau à la fin de l'année 2012.
Mme Sophie Primas , présidente . - La mission sécurité existait-elle dans les coopératives fusionnées ?
M. Joël Pennaneac'h . - La répartition des tâches était différente.
Mme Sophie Primas , présidente . - D'où, peut-être, une sous-estimation des risques ?
M. Dominique Bricard . - Lors du démarrage de Nutréa , il a fallu assurer la survie de l'entreprise, tout en se préoccupant, bien sûr, de la sécurité des produits et des salariés. Maintenant, l'un de nos objectifs, est de rendre nos sites exemplaires en matière de risque .
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Recevez-vous des produits bio ?
M. Dominique Bricard . - Moi, non.
M. Michel Le Friant . - Moi, oui : nous collectons des produits bio et nous les commercialisons auprès de fabricants d'aliments spécialisés dans le bio.
Mme Sophie Primas , présidente . - Y a-t-il des charançons dans ces produits ?
M. Michel Le Friant . - En bio, le principal insecticide, c'est le séchoir. En revanche, il nous arrive d'avoir recours à des insecticides homologués par la filière bio, mais qui contiennent du pyrèthre : c'est arrivé récemment à Loudéac.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci de préciser que ce n'est pas parce que c'est bio que ce n'est pas traité.
M. Michel Le Friant . - Oui, mais en suivant les préconisations et les cahiers des charges de la filière.
Audition du Dr Vincent Peynet de Kudzu Science (11 septembre 2012)
Dr Vincent Peynet . - Merci de me recevoir.
Notre entreprise, créée en 2010, effectue des analyses de pesticides à partir des cheveux. C'est le concept du Home testing : il suffit de commander un kit d'analyse sur Internet. Les prélèvements effectués sont envoyés à notre laboratoire qui procède aux analyses dans les quinze jours et les rend disponibles sur Internet. Notre objectif est de rendre accessible au plus grand nombre des méthodes qui étaient jusqu'à présent réservées aux seuls professionnels. Ces analyses coûtent assez cher, car les appareils qui permettent d'y procéder sont onéreux. Divers laboratoires et certaines professions agricoles ont fait appel à nous. Nous souhaitons développer ces outils afin de prévenir les risques professionnels. Les pesticides sont présents dans la nourriture, l'eau, les produits de jardinage, les insecticides mais aussi les épandages agricoles : ils sont absorbés par inhalation, contact cutané ou ingestion. Lors de nos analyses, nous recherchons quarante-trois composés.
Pourquoi chercher des pesticides dans les cheveux ? Les composés chimiques absorbés par l'organisme sont véhiculés par le système sanguin et les cheveux incorporent les composés chimiques présents dans le sang. Les cheveux poussant d'un centimètre par mois, il est possible de retracer sur une durée d'environ trois mois l'exposition de l'organisme aux composés chimiques, qu'il s'agisse d'une exposition chronique ou ponctuelle. L'avantage de cette méthode par rapport à un prélèvement sanguin est qu'elle n'implique pas la présence d'un personnel médical qualifié. De plus, la conservation et le transport des échantillons sont aisés. Enfin, la présence de toxine dans les cheveux est presque illimitée puisque l'on a pu déceler l'intoxication à la cocaïne de momies mayas ou encore celle à l' arsenic de Napoléon.
Nos kits se vendent de plus en plus et nous en proposerons un conçu pour les viticulteurs en décembre. Nous espérons qu'il sera proposé par les médecins et par la MSA.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - La MSA va-t-elle financer ces kits ?
M. Vincent Peynet . - Nous n'en sommes pas là. Un kit coûte 99 € pour un particulier et 169 € pour un professionnel. Si une personne veut être suivie sur une année complète, il suffit de procéder à quatre prélèvements. Il va de soi que nos tarifs diminueraient si nous passions des accords avec la MSA ou la médecine du travail.
Chaque kit est rattaché à un identifiant unique pour préserver l'anonymat et les résultats sont disponibles une dizaine de jours après l'envoi de l'échantillon.
Mme Nicole Bonnefoy , rapporteur . - Combien de clients avez-vous ?
M. Vincent Peynet . - Notre kit a été commercialisé à partir d'avril 2011 ; nous comptons un millier de clients, surtout des particuliers. L'analyse se passe de la manière suivante : les cheveux sont découpés en segments de un à deux millimètres. Après centrifugation, le surnageant est prélevé pour être analysé par chromatographie couplée à une détection par spectrométrie de masse.
En outre, nous avons procédé à une campagne de mesure : plus de quatre-vingts prélèvements ont été effectués en métropole et en outre-mer pour rechercher les quarante-trois composés. Nous avons trouvé du Dicamba , qui est un herbicide, dans 83 % des échantillons, avec une concentration importante. De même, de l' acide nonanoïque et du MCPA , qui sont tous deux des herbicides, ont été retrouvés dans, respectivement, 86 et 61 % des échantillons. Cette étude a permis aussi de trouver dans près de 78 % des cas du pentachlorophenol - interdit, cancérogène possible et perturbateur endocrinien -, utilisé comme insecticide et fongicide, du mecoprop et du fipronil dans 58 % et 75 % des échantillons.
Tous ces composés ont des effets variables sur la santé : ils peuvent être cancérogènes, perturbateurs endocriniens, reprotoxiques ou mutagènes. La plupart des données sur les pesticides proviennent des producteurs eux-mêmes et sont assez anciennes, mais nous commençons à disposer de données plus récentes et indépendantes.
Cette campagne de mesure, qui n'était pas anonyme, nous a permis de constater la présence de pesticides dans tous les prélèvements - urbains et ruraux confondus - la médiane se situant à onze, le minimum à un et le maximum à vingt-trois. Notre étude n'a porté que sur quarante-trois pesticides dont 25 % ont été retrouvés et nous ne saurions dire si elle reflète la réalité ou si elle ne montre que la partie émergée de l'iceberg. Nous souhaiterions la poursuivre, notamment pour la chlordécone outre-mer.
Notre société met en place une base de données qui recense les produits utilisés par chaque profession , ce qui nous permettra de savoir s'il y a des différences d'intoxication entre les professionnels et les particuliers.
Notre projet Batitox sur les pesticides dans les habitations est financé par la région Alsace et la communauté urbaine de Strasbourg : nous proposons une méthodologie simple pour évaluer et prévenir l'exposition aux polluants. De même, nous avons noué un partenariat avec le Dr Eric Benbrik, responsable de l'unité de consultation de pathologies professionnelles et environnementales (UCPPE) du CHU de Poitiers.
Nous souhaiterions lancer une campagne test avec la MSA , mais nous ne sommes pas parvenus à nouer de contacts jusqu'à présent : le milieu professionnel agricole semble avoir du mal à franchir le pas.
Nos rapports comportent trois parties : d'abord, un bilan, avec la liste des substances qui ont été décelées ; ensuite, des fiches détaillées pour chacune des substances trouvées lors de l'analyse ; enfin, des conseils pour minorer l'exposition future aux pesticides, comme de laver les fruits et légumes au vinaigre blanc afin de mieux dissoudre les substances toxiques. Nous sommes bien conscients que ces rapports sont anxiogènes.
Pour établir un bilan annuel de l'exposition aux pesticides , deux méthodes sont disponibles : la nôtre, avec quatre prélèvements pour un coût total de 400 €, ou bien cinquante-deux prélèvements sanguins, chacun coûtant entre 60 € et 80 €, soit un coût total supérieur à 3 000 €.
Mme Sophie Primas , présidente . - Avez-vous des concurrents ?
M. Vincent Peynet . - Nous sommes les seuls sur ce marché.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour cette présentation.
ANNEXE I - BIBLIOGRAPHIE
Date de l'audition |
Personnalité(s) entendue(s) |
Références des principaux documents remis à la mission |
6 mars 2012 |
Axe environnement |
« Les solutions phyto-environnementales » . Axe environnement - Edition 2011-2012 |
M.S.A |
« Les maladies professionnelles - Guide d'accès aux tableaux du régime général et du régime agricole de la Sécurité sociale ». INRS, 2010. |
|
22 mars 2012 |
ANSES |
- « Etude de l'alimentation totale française (tome 1) - Contaminants inorganiques, minéraux, polluants organiques persistants, mycotoxines, phyto-estrogènes ». ANSES, 2011. |
- « Etude de l'alimentation totale française (tome 2) - Résidus de pesticides, additifs, acrylamide, hydrocarbures aromatiques polycycliques ». ANSES, 2011. |
||
- « Recommandations et perspectives pour une surveillance nationale de la contamination de l'air par les pesticides (Synthèse et recommandations du comité d'orientation et de prospective scientifique de l'Observatoire des résidus de pesticides, ORP) - Rapport scientifique ». ANSES, 2010. « Exposition de la population générale aux résidus de pesticides en France (Synthèse et recommandations du comité d'orientation et de prospective scientifique de l'observatoire des résidus de pesticides, ORP) - Rapport scientifique ». ANSES, 2010. |
||
M. Pierre LEBAILLY |
- « Enquête AGRICAN (AGRIculture et CANcer) - Premiers résultats/Doubs ». Juin 2011. |
|
U.P.J |
- Plaquettes et brochures relatives à l'UPJ |
|
- « Guide Phytopharmaceutique et des bonnes pratiques en ZNA (espaces verts, golfs et terrains de sport) et cultures ornementales ». UPJ. Edition 2011-2012. |
||
- « Accord-cadre relatif à l'usage des pesticides par les jardiniers amateurs ». UPJ. Avril 2010. |
||
- Accord-cadre relatif à l'usage professionnel des pesticides en zone non agricole ». UPJ. Septembre 2010. |
||
ARVALIS |
- « Produire plus et mieux. 53 solutions concrètes pour réduire l'impact des produits phytosanitaires » Guide pratique. ARVALIS, 2012 (Edition Centre). |
|
- « Maîtriser les risques liés aux produits phytopharmaceutiques sur le site de l'exploitation : les solutions pratiques ». ARVALIS Infos, octobre 2008. |
||
- « Aménagement d'un site phytosanitaire ». ARVALIS, 2007. |
||
- « Remplissage du pulvérisateur ». ARVALIS, 2003. |
||
« Stockage des produits phytosanitaires ». ARVALIS, 2003. |
||
3 avril 2012 |
M. André CICOLELLA |
- « Evaluation des risques et perturbateurs endocriniens : le changement de paradigme ». André Cicolella. |
- « Evaluation du lien entre environnement chimique, obésité et diabète (projet ECOD) ». André Cicolella (conseiller scientifique à l'INERIS), Gilles Nalbone (directeur de recherche émérite INSERM), Sylvie Laot-Cabon (chargée de mission à la HAS). Edition Réseau Environnement Santé, 2012. |
||
- Publications scientifiques dans « Endocrinology », " Research "... |
||
- « Alertes santé ». André Cicolella et Dorothée Benoit-Browaes. 2005 (Editions Fayard). |
||
- « Impact sanitaire de l'épandage aérien de produits anti-parasitaires - Rapport du groupe d'experts ». INERIS-AFSSE, 2004. |
||
Première table ronde |
||
10 avril 2012 |
ANSES |
- « Mise en place d'une évaluation des risques liés à la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques par aéronef ». Avis de l'ANSES (saisine n°2011-SA-149) 2 décembre 2011. |
- Code de déontologie, méthodologie de l'expertise, principe fondamentaux de l'expertise. ANSES |
||
GIP PULVES |
« Synthèse des contrôles de pulvérisateurs en 2011 ». GIP Pulvés. Notice 2012 |
|
Union Nationale de l'Apiculture Française (UNAF) |
« Epandages aériens ». UNAF. Notice informative. Avril 2012. |
|
INRA-CEMAGREF |
« Pesticides, agriculture et environnement - Réduire l'utilisation des pesticides et en limiter les impacts environnementaux Expertise scientifique collective » (INRA-CEMAGREF). Décembre 2005. |
|
COOP de France |
Charte du conseil coopératif - Synthèse nationale 2010. |
|
17 avril 2012 |
Mme Annie THEBAUD-MONY |
« Santé au travail. Approches critiques » sous la direction de Annie Thebaud-Mony, Véronique Daubas-Letourneux, Nathalie Frigul, Paul Jobin. 2012 (Editions La Découverte. Collection Recherches). |
M. André PICOT |
Notes, documents et dossiers de l'Association Toxicologie-Chimie (ATC). |
|
24 avril 2012 |
A.P.C.A |
Tableau sur le poids des pesticides dans les comptes d'exploitation des fermes. |
15 mai 2012 |
Confédération Paysanne |
- Publications et documents de la Confédération paysanne. |
- « Réduction de l'emploi des pesticides ». Actes du colloque des 23 et 24 novembre 2010. |
||
- « Conflits indigestes ! Une décennie d'influence industrielle à l'EFSA ». Corporate Europe Observatory (CEO) , février 2012. |
||
ASPRO-pnpp |
Notes et publications de ASPRO-pnpp. |
|
21 mai 2012 |
TGI d'Epinal |
Note sur le fonctionnement de la Commission d'Indemnisation des Victimes et Infractions (CIVI). |
22 mai 2012 |
IRABE |
- « Etude, mise au point et expérimentation de méthodes et de procédés naturels permettant la conservation durable de fruits séchés naturellement sous les arbres sans aucune intervention technique ». Rapport présenté au ministère de l'agriculture (direction régionale de l'agriculture et de la forêt. Provence-Alpes-Côte d'Azur). 2002. |
- « Une nouvelle agriculture pour mettre un terme à notre autodestruction ». Dominique Florian dans « L'écologie au secours de la vie. Une médecine pour demain » de Philippe Saint-Marc et du Dr Jacques Janet 2004 (Editions Frison-Roche). |
||
- « Etude des corrélations entre l'état d'un sol, son mode de fertilisation et la qualité des fruits obtenus sur ce sol ». Rapport présenté au ministère de l'agriculture (direction régionale de l'alimentation). 1999. |
||
- « Répercussions des pesticides sur la biochimie et la résistance de la plante ». Francis Chaboussou. Communication à l'Académie d'agriculture de France. 1977. |
||
23 mai 2012 |
Forum Phyto |
Document sur la protection phytosanitaire (remis à la mission lors de son déplacement dans le Lot-et-Garonne). |
29 mai 2012 |
INRA |
- « Ecophyto 2018 à l'INRA, De l'étude à l'action ». Agriculture INRA. Février 2012. |
- « Ecophyto 2018 en région ». INRA, 2011. |
||
- « L'année 2011 dans les régions métropolitaines et dans les départements d'outre-mer ». Ministère de l'agriculture, 2011. |
||
- « Ecophyto R&D - Quelles voies pour réduire l'usage des pesticides ? ». INRA. Janvier 2010. |
||
- « Pesticides, agriculture et environnement - Réduire l'utilisation des pesticides et en limiter les impacts environnementaux Expertise scientifique collective (INRA-CEMAGREF). Décembre 2005. |
||
- « Les variétés végétales tolérantes aux herbicides. Expertise collective » (INRA-CNRS). |
||
VIVEA |
- « Plan stratégique triennal 2010-2012 ». VIVEA. |
|
- « Formation Certiphyto - Validation des acquis et changements de pratiques ». VIVEA, 2011. |
||
- « Rapport annuel ». VIVEA, 2010. |
||
- « Réduire les risques liés à l'utilisation des produits phytosanitaires par la formation des agriculteurs et des salariés agricoles ». Synthèse des travaux du groupe de travail piloté par l'APCA, 2008. |
||
InVS |
« Exposition de la population française aux substances chimiques de l'environnement ». InVS, 2011. |
|
Pr Gilles-Eric SERALINI |
Publications scientifiques, principalement sur les perturbateurs endocriniens, dans Advances in Medecine and Biology , Chemical Research in Toxicology , Environmental Health Perspectives , Environmental Sciences Europe, Journal of Applied Toxicilogy, Journal of Occupationnal Medecine and Toxicology , Réflexions en gynécologie obstétrique, Toxicology . |
|
5 juin 2012 |
ITAB |
- Document de présentation de l'ITAB. |
- Documents sur la qualité et la sécurité des produits de l'agriculture biologique (de 2001 à 2011). |
||
Générations Futures |
- Document de présentation de Générations futures. GF, 2012. |
|
- « Cahier de doléances et de propositions ». Dossier GF, juin 2012. |
||
- « Des agricultures, différences entre agricultures raisonnée et intégrée ». Dossier GF, juin 2012. |
||
- « Dérogation, homologation, évaluation des pesticides ». Dossier GF, juin 2012. |
||
- « Equipement de protection individuelle, quelle efficacité ? ». Dossier GF, juin 2012. |
||
- « Information ou désinformation ? ». Dossier GF, juin 2012. |
||
- « Pesticides et santé : aperçu de la littérature scientifique ». Dossier GF, juin 2012. |
||
- « Plan Ecophyto 2018 ». Dossier GF, juin 2012. |
||
- « St ratégies de réduction de l'utilisation des pesticides en Europe » (six études de cas). Dossier GF, juin 2012. |
||
- « Etude de la cohérence entre les modes d'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et les pratiques agricoles de la France métropolitaine de 2010 : vers une caractérisation pertinente de l'exposition de l'opérateur ». EHESP-CEMAGREF. Note de synthèse. Caroline Le Borgne. Octobre 2010. |
||
- « Pesticides. Révélations sur un scandale Français ». Fabrice Nicolino et François Veillerette. 2007 (Editions Fayard). |
||
- « Pesticides. Le piège se referme ». François Veillerette. 2002 (Editions Terre vivante). |
||
- « Les plantes malades des pesticides ». Francis Chaboussou. 1980, 2011 (Editions d'Utovie). |
||
Direction générale du travail (DGT) |
Présentation de la DGT |
|
13 juin 2012 |
Documents reçus lors du déplacement en Bretagne |
- Biolait : document de présentation. |
- Association BVB : document de présentation du marché de la viande bio en 2012. |
||
- « Utilisation à titre professionnel des produits phytopharmaceutiques. Exploitation agricole. Formation préparatoire au Certificat individuel ». Revue de l'ASFONA-La Formation Continue Agricole, mars 2012. |
||
- Revue de l'Observatoire de l'Oust. Bilan 2010. |
||
20 juin 2012 |
INSERM |
« Pesticides et santé : les principaux effets documentés ». INSERM, juin 2012. |
28 juin 2012 |
UIPP |
- « Enquête sur les démarches de prévention des risques liés aux produits et des accidents du travail ». Documents de l'UIPP. 2012 |
- Note sur « La réglementation spécifique relative à la publicité des produits phytopharmaceutiques ». UIPP, juin 2012. |
||
FNE |
« Réduction de la place des pesticides en France. Point d'étape sur le plan Ecophyto 2018 et propositions de FNE ». Note FNE. |
|
3 juillet 2012 |
Deuxième table ronde |
|
INRS |
- Document présentant les recommandations de l'INRS sur la fabrication des pesticides et la prévention. |
|
- « Les maladies professionnelle - Guide d'accès aux tableaux du régime général et du régime agricole de la Sécurité sociale ». INRS, 2010. |
||
SNCEA/CFE-CGC |
Information sur les comités paritaires d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ; analyse sur la fiabilité des équipements de protection individuelle ; texte sur les responsabilités juridique dans l'utilisation des produits phytosanitaires. |
|
UIPP |
- « Code de déontologie ». UIPP. |
|
- « Les démarches de progrès de l'UIPP auprès de ses adhérents ». UIPP, 2012. |
||
- Rapport d'activité 2011-2012. UIPP. |
||
10 juillet 2012 |
Fédération Nationale des Métiers de la Jardinerie |
- Secteur de la jardinerie. Plaquette de présentation. |
- Présentation spéciale de la FNMJ pour la mission. |
||
- « L'eau, une ressource précieuse pour le jardin ». FNMJ, 2012. |
||
Troisième table ronde |
||
17 juilllet 2012 |
DGDDI |
« Rapport annuel performance 2011 ». Douanes et droits indirects. Ministère de l'économie et des finances, 2011. |
18 juillet 2012 |
CEDAPA |
- Plaquette de présentation du Centre d'étude pour un développement agricole plus durable (CEDAPA). |
- Présentation spéciale du CEDAPA pour la mission. |
||
- « Construire et conduire des systèmes de cultures économes ». Cahiers techniques de l'agriculture durable. Cahier n°9. CIVAM. |
||
- « Accompagner des groupes d'agriculteurs vers des systèmes de culture économes ». CIVAM. |
||
FNA |
« Mon livret phyto ». Fédération du Négoce Agricole (FNA), novembre 2011. |
|
AIRPARIF |
« Des pesticides dans l'air francilien ». Airparif actualité n°29. Juin 2007. |
|
Quatrième table ronde |
||
24 juillet 2012 |
ANSES |
« Des troubles musculo-squelettiques aux nanoparticules : risques d'aujourd'hui en santé environnement du travail » Les rencontres scientifiques de l'ANSES, mai 2011. |
M. Alain GARRIGOU |
« L'usage des pesticides en France : un transfert de technologie mal maîtrisé ? » 47ème Congrès international de la Société d'ergonomie de langue française, 2012. |
|
11 septembre 2012 |
TRISKALIA |
Présentation de Triskalia, Nutréa et Caliance. 2012. |
KUDZU Science |
« Rapport d'analyse des pesticides recherchés dans les cheveux ». KUDZU Science. 2012. |
Documentation de la mission d'information
- « Les perturbateurs endocriniens : le temps de la précaution » par M. Gilbert Barbier, sénateur. Les rapports de l' OPECST . (n°765, Sénat). 2011.
- « Pesticides et santé » par M. Claude Gatignol, député, et le Pr Jean-Caude Etienne, sénateur. Les rapports de l' OPECST . (n°421, Sénat). 2010.
- « Les pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d'évolution » par M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur. Les rapports de l' OPECST . (n°487, Sénat). 2009.
- « Risques chimiques au quotidien : éthers de glycol et polluants de l'air intérieur. Quelle expertise pour notre santé ? » (deux tomes) par Mme Marie-Christine Blandin, sénateur. Les rapports de l' OPECST (n°176, Sénat). 2008.
- « L'application de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme » par M . Claude Saunier, sénateur. Les rapports de l' OPECST (n°185, Sénat). 2005.
- « L'état des sols de France ». Groupement d'intérêt scientifique. Edition 2011.
- « Synthèse sur l'état des sols de France ». Groupement d'intérêt scientifique. Edition 2011.
- « Les marchands de doute ». Naomi Oreskes et Erik M. Conway. 2010 et, en français, 2012 (Editions Le Pommier).
- « Notre poison quotidien. La responsabilité de l'industrie chimique dans les maladies chroniques ». Marie-Monique Robin. 2011 (Editions La Découverte/ARTE Editions).
- « Pour des agricultures écologiquement intensives ». Michel Griffon. 2010 (Editions de l'Aube).
- « La société du risque ». Ulrich Beck. 1986 et, en français, 2001 (Editions Flammarion).
ANNEXE II
PESTICIDES : VERS LE RISQUE
ZERO
Mission commune d'information sur les pesticides et leur
impact sur la santé
Rapport d'information de Mme Nicole BONNEFOY, rapporteur
Rapport n° 42 (2012-2013)
I. Le travail de la mission |
- Alertée sur les dangers des pesticides par un agriculteur de Charente, M. Paul François, président de l'association Phyto-Victimes, votre rapporteur a souhaité prêter une attention plus grande à la question de l'usage de ces produits dont la France est une grande consommatrice. Il lui est vite apparu que l'accident dont a été victime l'agriculteur charentais n'était pas un fait isolé car, dans plusieurs départements français, des agriculteurs étaient victimes d'accidents, d'intoxications aiguës, mais également de maladies chroniques dont la cause, souvent lointaine, semblait résider dans l'utilisation de pesticides.
- Constituée le 15 février 2012, à la demande du groupe socialiste, la mission commune d'information sur les pesticides comprend vingt-sept sénateurs , membres de chacune des sept commissions permanentes et de chacun des groupes politiques.
La mission a choisi de concentrer sa réflexion sur l'impact des pesticides sur la santé des fabricants, agriculteurs, épandeurs professionnels, personnels des silos de stockage, paysagistes, familles de ces personnes et riverains des activités de fabrication, de transport, de stockage et d'épandage des pesticides.
- Entre mars et la mi-septembre 2012, la mission a procédé à 95 auditions , et entendu 205 personnes , notamment lors de quatre déplacements en province : en Charente, dans le Lot-et-Garonne, dans le Morbihan et dans le Rhône. Elle s'est également rendue au siège de l'ANSES, à Maisons-Alfort.
Table ronde du 24 juillet 2012
au
Sénat sur les effets
des pesticides sur la santé des
utilisateurs,
de leur famille et des riverains
- Les comptes rendus des auditions (environ 600 pages) figurent dans le tome II du rapport . Ils contiennent des témoignages et des analyses de représentants de l'industrie, de l'agriculture, des syndicats, de la recherche et du monde médical, des agences d'évaluation, de malades, de juristes et de l'administration. La mission a conclu ses travaux par l'audition des ministres en charge de l'agriculture et de la santé.
- Le rapport et sa centaine de propositions, adoptés à l'unanimité par la mission le 10 octobre 2012, feront l'objet d'un débat en séance plénière en janvier 2013 .
II. Les constats |
Au terme de sept mois de travaux, la mission dresse cinq constats :
- Premier constat : les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués. Certaines manifestations d'effets sanitaires potentiellement lourds et à long terme ne peuvent actuellement être recensées et semblent être appelées à se multiplier.
- Deuxième constat : la mise en vente de produits pesticides dépend de l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché (AMM), valable dix ans. Les effets de ces produits sur la santé se manifestent parfois plusieurs dizaines d'années après leur utilisation. Le suivi des produits après leur mise sur le marché n'est qu'imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et l'effet des perturbateurs endocriniens est mal pris en compte . Il est donc nécessaire d'améliorer la procédure d'autorisation de mise sur le marché des pesticides (AMM) et le suivi post-AMM.
Le mot « pesticide » se compose du suffixe commun -cide, du latin caedo, caedere, qui signifie tuer, et du mot -pestis, qui désigne un animal nuisible, un fléau . Les pesticides sont des tueurs de parasites (herbicides contre les adventices, insecticides ou encore fongicides contre les champignons).
Ce terme générique désigne
l'ensemble des produits chimiques, naturels ou de synthèse,
destinés à repousser ou détruire les nuisibles, (microbes,
animaux ou végétaux)
, durant la production, le stockage
ou la commercialisation de produits agricoles, de denrées alimentaires,
ou de bois. Ils servent également à combattre les
différents vecteurs de maladies humaines ou animales.
|
? Troisième constat : les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques, que ce soit lors de leur conception, de leur fabrication, de leur commercialisation ou de leur utilisation. Les matériels d'épandage des pesticides et les équipements de protection individuelle ne protègent pas toujours efficacement l'utilisateur.
? Quatrième constat : conçues après la Seconde Guerre mondiale pour produire et vendre toujours davantage, les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n'intègrent pas suffisamment la préoccupation de l'innocuité pour la santé du recours aux pesticides. Il convient donc de mieux cerner les limites de ces pratiques et de faire évoluer ce modèle.
- Cinquième constat : le plan Ecophyto 2018 , qui prévoit de réduire de 50 % la quantité de pesticides utilisés en France à l'horizon 2018, doit être renforcé. En effet, quatre ans après son lancement, l'usage de pesticides a augmenté au lieu de se réduire.
III. Les principales recommandations de la mission |
Les conclusions de la mission se déclinent en une centaine de recommandations classées selon dix-huit thématiques liées aux pesticides et aux dangers de leur production et de leur utilisation :
1. Connaissance des risques sanitaires liés aux pesticides
• Accentuer les actions d'information et de prévention destinées aux femmes enceintes et aux jeunes enfants et celles consacrées aux risques, aux bonnes pratiques d'utilisation des pesticides et à la compréhension des étiquettes.
• Développer la recherche pluridisciplinaire sur les liens de causalité entre exposition aux pesticides et maladies.
• Renforcer le contrôle des nouvelles substances et produits et introduire, au niveau européen, le critère de perturbateur endocrinien en plus des CMR, sans attendre 2014.
• Pratiquer la prévention primaire en procédant au retrait du marché des substances chimiques à risque .
• En application du principe de précaution , classer un produit considéré comme cancérogène dès la reconnaissance de ses effets chez l'animal sans attendre les résultats d'études épidémiologiques chez l'homme et retirer et substituer les produits pour lesquels le consensus scientifique indique qu'ils sont des perturbateurs endocriniens.
• Éliminer tous les produits anti-poux contenant du lindane et ceux contenant des substances dont l'usage est proscrit pour les animaux.
• Renforcer les obligations de remontée et d'harmonisation des informations sanitaires de terrain par les réseaux existants et centraliser les informations collectées (à l'InVS, par exemple) en un lieu où les alertes puissent être données et les décisions prises (InVS et/ou ANSES).
• Généraliser les registres des cancers dans tous les départements et en centraliser les données.
• Réaliser des études de suivi des pesticides, indépendantes et financées par les industriels au moyen d'un fonds non géré par eux.
• Instituer l'obligation pour les pétitionnaires, les distributeurs de pesticides, les conseillers et les formateurs de signaler tout incident ou accident - y compris, pour les pétitionnaires, ceux survenus à l'étranger - et sanctionner tout manquement à cette obligation.
• Etendre toutes les études de santé aux personnes qui ne sont plus en activité, aux travailleurs saisonniers agricoles et aux intérimaires dans l'industrie.
• Enseigner aux professionnels de la santé les spécificités des maladies liées aux pesticides.
2. Reconnaissance des maladies professionnelles
• Faire de tous les organismes de protection sociale agricole de véritables (AMEXA, MSA...) acteurs de la prévention .
• Favoriser la reconstitution des expositions professionnelles des patients aux pesticides , en étendant les consultations de pathologies professionnelles dans les CHU ou en développant des actions associant l'AMEXA ou la MSA.
• Réduire les délais de classement en maladie professionnelle en y procédant dès la réunion de fortes présomptions sans attendre la preuve d'un lien de causalité avéré.
• Créer de nouveaux tableaux en cas de conséquences sanitaires : multi-exposition aux cancérogènes...
• Simplifier l' accès des victimes au système de réparation de maladies professionnelles (facilitation des démarches de reconnaissance des maladies, meilleure prise en compte des avancées scientifiques, etc.).
• Éviter les disparités entre les caisses régionales de la MSA des taux de reconnaissance de maladies et d'incapacité permanente .
3. Prévention des risques d'exposition professionnelle pour les salariés des fabricants de pesticides
• Dans les établissements classés Seveso seuil haut : rendre obligatoire la formation aux règles de sécurité et de prévention , y compris pour les salariés intérimaires et les intervenants extérieurs ; tenir un registre des expositions répertoriant, pour chaque salarié, les matières dangereuses auxquelles il a été exposé au cours de son activité ; inciter à la mise en place d' actions de prévention des risques professionnels par les directions en y associant davantage le CHSCT et le médecin du travail.
• Inciter les fabricants de pesticides à rechercher la réduction des risques d'exposition des salariés aux toxiques présents dans les ateliers en considérant les valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) comme des objectifs minimaux plutôt que comme des valeurs maximales à ne pas dépasser.
• Revenir à un examen médical annuel pour la surveillance médicale renforcée.
• Interdire l'emploi de femmes en âge de procréer sur les postes de travail exposés aux pesticides, les effets des perturbateurs endocriniens étant particulièrement sensibles en début de grossesse.
• Multiplier les visites sur place de la médecine du travail pour améliorer la sécurité sur les postes de travail.
Rencontre avec l'Association Phytovictimes lors du déplacement en Charente
4. Prévention des risques d'exposition professionnelle pour les agriculteurs et leurs salariés
• Formuler les produits sous forme liquide plutôt qu'en poudre pour réduire le risque d'exposition aux poussières.
• Instaurer, dans toute exploitation agricole, la tenue d'un registre des expositions professionnelles aux pesticides de l'exploitant et de ses salariés.
• Multiplier les visites sur place de la médecine du travail pour améliorer la sécurité des postes de travail.
5. Procédure d'autorisation de mise sur le marché des pesticides
• Garantir l' indépendance des études d'impact sur la santé, avant AMM, en créant un fonds abondé par les industriels pour les financer, les laboratoires étant choisis par les agences d'évaluation.
• Mener toutes les études relatives à la santé sur la vie entière des mammifères testés.
• Rendre publiques les études et analyses relatives à la santé , notamment celles précédant une AMM.
• Mener une étude sur la commercialisation en France de produits agricoles traités dans d'autres pays avec des pesticides interdits en France ; harmoniser les procédures d'AMM entre États européens et renforcer la coopération transfrontalière intra-européenne contre la fraude.
• Encourager le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) en adaptant la procédure d'AMM (minoration de leur coût, etc.).
• Inclure dans les avis d'AMM des indications contraignantes sur le conditionnement et l'étiquetage des produits, les caractéristiques des matériels d'épandage, les équipements de protection individuelle et les délais de réentrée.
• Contrôler la validité des AMM des pesticides au bout de cinq ans, à partir d'un rapport d'étape qui serait réalisé par un laboratoire choisi par l'ANSES et financé par le titulaire de l'autorisation.
• Redonner au Conseil d'État sa compétence en premier et dernier ressort concernant les contentieux liés aux AMM pour accélérer les délais de jugement.
• Améliorer le conditionnement des pesticides (étiquetage lisible et explicite, produits prêts à l'emploi ou format standard transparent, non doté d'un opercule thermo-scellé, pourvu d'un bouchon normalisé et d'un clapet anti-inhalation, d'un poids non excessif, etc.).
• Mentionner sur l' emballage des pesticides le nom de tous composants du produit ainsi que sa classe et un code-barre lisible par un téléphone portable pour doubler et/ou compléter cette information.
• Adopter une loi sur les conflits d'intérêts (définition des conflits et des liens d'intérêt, conséquences à tirer en cas de conflit avéré).
• Le conseiller en pesticides , qui donne une prescription écrite, propose en priorité des techniques alternatives et signale tout incident sous peine de perdre son agrément, ne saurait être le distributeur.
• A terme, séparer, la prescription et la vente de pesticides (par exemple, en vendant à prix coûtant les pesticides dans les coopératives).
6. Statut de l'alerte
• Accorder une protection légale aux lanceurs d'alerte .
• Autoriser les actions collectives dans le domaine de la santé pour obtenir réparation de préjudices matériels, corporels ou moraux.
• Inscrire dans la loi la notion de préjudice d'angoisse , reconnue par la jurisprudence en cas de risque de contamination lié à l'exposition professionnelle à des pesticides.
7. Statut de l'expertise
• Élaborer des textes types de déontologie pour l'ensemble des agences d'évaluation françaises et européennes et les harmoniser sur la base des exigences les plus élevées.
• Recruter des experts de l'AESA (ou EFSA ) pour des missions à durée déterminée, rémunérées et non simplement défrayées.
• Améliorer la crédibilité des comités d'experts : sélection transparente, indépendance, absence de conflits d'intérêt, multidisciplinarité, caractère contradictoire de l'expertise, publication des avis minoritaires, etc.
• Désigner un ministère chef de file parmi les cinq ministères de tutelle de l'ANSES : le ministère de la santé pour l'impact des pesticides sur la santé.
• Autoriser l'ANSES à recruter, si nécessaire, en s'affranchissant du plafond d'emploi qui lui est appliqué.
• Soumettre la nomination du directeur général de l'ANSES à l'avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée.
• Présenter chaque année au Parlement un rapport des agences sur l'évaluation et le suivi de l'impact des pesticides sur la santé.
• Assurer l'indépendance de l'expertise et de l'alerte au moyen d'un contrôle des agences d'évaluation par un comité interministériel d'évaluation dont les avis seraient publics.
Visite de l'entreprise De Sangosse à Pont-du-Casse
8. L'évaluation des risques
• Accélérer le processus d' élimination des substances et produits dangereux au niveau européen et intensifier l'application du principe de substitution des produits dangereux.
• Garantir la mixité des équipes d'évaluation et former des toxicologues dans les facultés de médecine et de biologie.
• Réactualiser régulièrement les méthodes d'analyse et de contrôle ; dans l'immédiat, adopter une méthode d'évaluation des perturbateurs endocriniens .
• Accomplir tous les tests sur chacune des substances et sur le mélange constituant le produit comprenant les coformulants, les adjuvants et les solvants avec obligation de communiquer les résultats de tous les essais effectués relatifs à la santé.
9. Formation et recherche sur les méthodes alternatives et sur les pesticides
• Former des agronomes et des entomologistes aux techniques alternatives à l'emploi de pesticides.
• Améliorer la formation des conseillers en pesticides sur les techniques alternatives et sur les pesticides ainsi que celles dispensées par les lycées agricoles et par les écoles d'agronomie.
• Accentuer les efforts de recherche en agronomie et sur les produits de biocontrôle et relever substantiellement la part des moyens de l'INRA consacrés à la recherche en agriculture biologique.
• Orienter les recherches de l'INRA vers la résistance aux insectes et aux maladies, les alternatives aux pesticides, les semences adaptées au terroir, la productivité des semences en tenant compte de la qualité et des quantités produites.
• Renforcer l'application du Plan Ecophyto 2018 .
• Renforcer la formation Certiphyto en insistant sur les techniques alternatives, les dangers des pesticides et en y incluant des travaux pratiques.
• Affecter au financement de la formation Certiphyto la moyenne des montants annuels alloués, jusqu'à présent, par les industriels à des actions analogues.
• Mettre en place des pôles régionaux de conversion à l'agriculture biologique avec les chambres d'agriculture, les coopératives, les groupements d'agriculteurs « bio ».
Epandage aérien sur un champ de maïs
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10. Modifications des pratiques agricoles et agro-alimentaires actuelles
• Ne traiter que les zones infectées des cultures plutôt que l'ensemble du volume de la serre ou l'intégralité de la surface cultivée.
• Mettre fin aux dérogations à l' interdiction européenne de l'épandage de pesticides par aéronefs . Sans attendre le respect effectif de cette interdiction : mailler les zones d'épandage d'un réseau d'anémomètres ; doubler les distances de sécurité (100 mètres au lieu de 50), interdire toute présence de travailleurs dans les champs durant la pulvérisation, distinguer, dans les avis de l'ANSES, les types d'aéronefs (avion, hélicoptères, U.L.M), développer des techniques de pulvérisation pour les zones d'accès difficile (chenillette à mat télescopique...), renforcer les contrôles et les sanctions .
• Limiter les prescriptions des cahiers des charges de l'agro-alimentaire à la qualité des produits agricoles livrés ; toute clause relative à la liste et aux quantités des pesticides à utiliser étant réputée non écrite.
• Orienter davantage les aides publiques vers l' agriculture biologique , favoriser la structuration des filières bio et augmenter la redevance pour pollution diffuse.
• Renforcer les contrôles par les agences régionales de santé des zones d'alimentation de captage des eaux (supervision des cahiers des charges des agriculteurs cultivant ces zones).
11. Équipements de protection collective
• Revoir les tests d'efficacité de la protection filtrante des cabines de tracteurs .
• Fixer le montant de la sanction applicable au défaut d'entretien d'un pulvérisateur (135 euros) à un niveau supérieur au coût d'une visite d'entretien.
12. Équipements de protection individuelle
• Revoir la méthodologie des tests d'efficacité et de détermination de classe des EPI , inclure dans les demandes d'AMM les résultats de ces tests et adapter les procédés de fabrication et les recommandations des EPI.
• Renforcer la coopération entre fabricants de pesticides et fabricants d'EPI pour permettre, à terme, la conception conjointe du pesticide et de l'EPI correspondant .
• Améliorer l'efficacité et le confort des EPI pour surmonter les réticences des professionnels à les acheter et à les utiliser.
• Mettre en place un réseau d'approvisionnement en EPI .
• Renforcer le rôle de conseil des distributeurs et des coopératives pour aider au choix de l'EPI adapté en cas de pulvérisation simultanée de plusieurs produits .
• Veiller au port des EPI pour toutes les activités et à tous les stades d'exposition aux pesticides, de la préparation du mélange à la période post-traitement.
• Généraliser à l'ensemble du territoire les opérations de collecte des EPI usagés avec une filière spécifique pour les combinaisons.
13. Industrie
Prévenir et éviter toute situation de conflit d'intérêts des fabricants (procédures d'AMM, financement d'études concernant l'impact des pesticides sur la santé, formation des professionnels aux modalités d'utilisation des pesticides).
14. Vente de produits pesticides aux professionnels
• Proscrire la vente de semences contraignant à l'acquisition d'un produit de traitement auprès du même fabricant.
• Ne pas lier la vente d'un pesticide à un circuit de commercialisation mais permettre de se fournir librement même auprès du circuit qui n'a pas vendu les semences des cultures à traiter.
• Interdire tout lien entre la rémunération ou la gratification des conseillers et le volume de pesticides vendu.
• Favoriser l' acquisition d'équipements de protection individuelle adaptés lors de tout achat de pesticides en la subordonnant à la production de la facture d'achat ou en vendant les équipements avec le produit.
15. Vente de produits phytosanitaires aux particuliers
• Interdire la vente des produits biocides contre les parasites des animaux contenant des substances CMR ou des perturbateurs endocriniens.
? Interdire, à terme, la vente de produits phytosanitaires aux particuliers , à l'exception de ceux autorisés en agriculture biologique.
• Interdire toute vente de pesticides dans les supermarchés alimentaires ou privilégier la vente en « circuit fermé » et, au minimum, imposer une distinction claire des rayons de pesticides.
• Garantir dans les rayons de pesticides des jardineries la présence permanente d'un vendeur-conseil formé.
• Interdire les promotions « girafe » qui sont contraires aux objectifs du plan Ecophyto 2018 et présentent des risques de surexpositions graves suite à des surdosages.
16. Méthodes alternatives à l'emploi des pesticides
• Inciter les collectivités territoriales à ne plus utiliser de pesticides au terme des cinq prochaines années.
• Promouvoir la généralisation des écoles, terrains de sport et jardins publics sans pesticides.
17. Information et sensibilisation du public face au danger des pesticides
• Sensibiliser les enfants, dès leur plus jeune âge, aux méthodes alternatives en créant des jardins de la biodiversité dans les écoles .
• Dans les espaces publics non traités , apposer des panneaux soulignant cette absence de traitement.
18. Gestion des déchets de produits pesticides vendus aux particuliers
Mettre en place, dans les jardineries et la grande distribution, un système de collecte des emballages vides et des produits non utilisés similaire à celui existant pour les professionnels.
Ce document
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Site de la mission commune d'information : http://www.senat.fr/commission/missions/pesticides/index.html |
Présidente de la mission
Sénateur (UMP-Yvelines)
Membre de la commission
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Rapporteur de la mission
Sénateur (Soc-Charente)
Membre de
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ANNEXE III - CONFÉRENCE DE PRESSE DU 23 OCTOBRE 2012
http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video14848.html
http://videos.senat.fr/video/videos/2012/video14828.html
MISSION COMMUNE D'INFORMATION
SUR LES PESTICIDES ET LEUR
IMPACT
SUR LA SANTÉ
Paris, le 23 octobre 2012
Présentation à la presse du rapport et de ses recommandations |
Le mardi 23 octobre 2012, la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé, présidée par Mme Sophie Primas (UMP-Yvelines) et dont le rapporteur est Mme Nicole Bonnefoy (SOC-Charente), a présenté à la presse son rapport et ses recommandations.
Le rapporteur a rappelé que, alertée sur les dangers des pesticides pour la santé par un agriculteur de Charente, elle avait sollicité du président du groupe socialiste la création d'une mission commune d'information.
La présidente de la mission a précisé que, après avoir travaillé durant sept mois , procédé à 95 auditions et entendu 205 personnes, au Sénat comme en province, la mission a adopté le rapport et sa centaine de recommandations à l'unanimité .
Le rapporteur, Mme Nicole Bonnefoy (SOC-Charente), a rappelé les cinq constats effectués par la mission :
- les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués ;
- le suivi des produits après leur mise sur le marché n'est qu'imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et les effets des perturbateurs endocriniens sont mal pris en compte ;
- les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques ;
- les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n'intègrent pas toujours suffisamment la préoccupation de l'innocuité pour la santé du recours aux pesticides.
Le rapporteur a ensuite présenté quelques-unes des principales recommandations relatives à l' application du principe de précaution pour les pesticides considérés comme cancérogènes chez l'animal ou ceux qui sont des perturbateurs endocriniens, au renforcement de la toxico-vigilance qui suppose une nette amélioration de la collecte des informations sanitaires de terrain, de leur traitement et leur centralisation en un lieu où les alertes puissent être données et les décisions prises.
Elle a aussi insisté sur la nécessité de pouvoir mener, après cinq années de mise sur le marché d'un produit pesticide, des études complémentaires en cas de remontée d'effets sanitaires et sur celle d'obtenir la publicité des études sur la santé pré et post-autorisation de mise sur le marché . Elle a relevé que seuls des tests sur les effets à long terme sur la santé de l'ensemble des substances contenues dans un produit et sur les effets synergiques, ou cocktails, pouvaient assurer une évaluation complète.
Le rapporteur a proposé des améliorations des conditionnements des pesticides (bidon, bouchon, étiquetage...) et, sur le terrain, la tenue d'un registre d'exposition professionnelle aux pesticides dans les usines de fabrication et dans les exploitations agricoles ainsi qu'un changement radical dans la conception des équipements de protection individuelle (EPI) grâce au travail conjoint des industriels des pesticides et des fabricants d'équipements.
M. Henri Tandonnet (UCR-Lot-et-Garonne), vice-président, a d'abord montré l'importance de mettre fin aux fraudes relatives aux pesticides dans l'Union européenne puis il a présenté la recommandation novatrice de la mission relative à l' instauration d'une action collective dans le domaine de la santé pour obtenir réparation de préjudices matériels, corporels ou moraux et l'inscription dans la loi du préjudice d'angoisse .
La présidente, Mme Sophie Primas (UMP-Yvelines) a souligné la nécessité de renforcer la formation et la recherche . D'abord la formation au sein de tous les établissements d'enseignement agricole sur les précautions d'emploi des pesticides et les pratiques nouvelles , alternatives à leur utilisation. Formation continue également en assurant de façon pérenne le financement d'Ecophyto . Formation enfin d' agronomes , d' entomologistes , de toxicologues ... En nombre insuffisant aujourd'hui, ils devront permettre de mieux évaluer les risques, d'orienter les travaux vers la recherche de produits de substitution ( bio contrôle par ex.), les méthodes alternatives , et bien entendu de mener des travaux en matière de sélection variétale en collaboration avec le privé.
M. Joël Labbé (ECOLO-Morbihan), vice-président, a évoqué la perspective pour les collectivités territoriales, de ne plus utiliser de pesticides au terme des cinq années à venir, soit en 2018 . Il a insisté sur les risques que présentent les utilisations de pesticides par les particuliers .
Mme Bernadette Bourzai (SOC-Corrèze) a d'abord rappelé la nécessité de respecter les principes de base de l'agronomie , la vie du sol, les rotations de culture, la présence de haies puis elle a indiqué qu'il était nécessaire d'encourager le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) notamment en poursuivant l'adaptation de la procédure d'autorisation de mise sur le marché à leurs spécificités, par exemple en minorant le coût de ce type d'autorisation qui demeure extrêmement élevé pour des produits naturels.
M. Gérard Le Cam (CRC-Côtes d'Armor) a insisté sur les perspectives offertes par une agriculture plus durable et a rappelé les problèmes de santé que peuvent rencontrer les salariés de sites de stockage de grains .
Le rapporteur, Mme Nicole Bonnefoy (SOC-Charente) a conclu en insistant sur l'aide à apporter aux malades des pesticides lors des démarches en vue de la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie.
http://www.senat.fr/commission/missions/pesticides/index.html
ANNEXE IV - ECHOS DE PRESSE A LA SUITE DE LA PUBLICATION DU TOME I DU RAPPORT DE LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION
Presse télévisuelle
- Public Sénat :
23 octobre 2012 « Le 19 H » « Pesticides : le rapport sans appel » Michel Grossiord
Presse radiophonique
- RFI :
« Priorité santé »
Eve Freitas s'entretient par téléphone avec Mme Nicole Bonnefoy (en fin de seconde partie de l'émission) 24 octobre 2012, à 11 h 50
http://www.rfi.fr/radiofr/podcast/Podcast_SAN.xml
- RTL :
« C'est notre planète »
chronique de Virginie Garin 25 octobre 2012, RTL Petit matin, à 6 h 44
http://www.rtl.fr/emission/c-est-notre-planete/ecouter/le-senat-reconnait-le-danger-des-pesticides-7753869602
Presse écrite quotidienne
- AFP-Journal Internet :
« Pesticides : les sénateurs dénoncent les risques pour les utilisateurs » Elizabeth Zingg 23 octobre 2012
- La Charente Libre :
« Les risques des pesticides sont sous-évalués »
Laurence Guyon 31 octobre 2012 (pages 1 et 3)
http://www.charentelibre.fr/2012/10/31/les-risques-des-pesticides-sont-sous-evalues,1122253.php
- charentelibre.fr :
« Pesticides : Nicole Bonnefoy tape du poing sur la table »
22 octobre 2012
http://www.charentelibre.fr/2012/10/23/pesticides-nicole-bonnefoy-tape-du-poing-sur-la-table,1120820.php
- Les Echos.fr :
« Pesticides : le Sénat tire la sonnette d'alarme »
Joël Cossardeaux 23 octobre 2012
http://www.lesechos.fr/economie-politique/politique/actu/0202344075211-pesticides-le-senat-tire-la-sonnette-d-alarme-503351.php
L'Est Républicain - estrepublicain.fr
« Pesticides : le Sénat au rapport »
Patrice Costa 7 novembre 2012
http://www.estrepublicain.fr/actualite/2012/11/07/pesticides-le-senat-au-rapport-yqco
« Denis et son combat »
7 novembre 2012
http://www.estrepublicain.fr/actualite/2012/11/07/denis-et-son-combat-msyz
- Le Monde :
« Le Sénat appelle à mieux évaluer les risques liés aux pesticides. Un rapport souligne les faiblesses des études d'épidémiologie et de la procédure d'autorisation de mise sur le marché »
Laurence Girard 24 octobre 2012 (page 8)
http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/10/23/le-senat-appelle-a-mieux-evaluer-les-risques-lies-aux-pesticides_1779652_3244.html
« Pesticides : les raisons d'une addiction française. Les coopératives dont dépendent les agriculteurs pour écouler leurs récoltes portent une part de responsabilité »
Martine Valo 28-29 octobre 2012 (page 7)
« Moins de phytos, c'est une affaire de portefeuille »
Laurence Girard 28-29 octobre 2012 (page 7)
- Le Quotidien du Médecin : lequotidiendumedecin.fr
« Mission pesticides au Sénat : les industriels sommés de jouer cartes sur table »
David Bilhaut 23 octobre 2012
http://www.lequotidiendumedecin.fr/actualite/environnement/mission-pesticides-au-senat-les-industriels-sommes-de-jouer-cartes-sur-table
« Un rapport du Sénat sur les pesticides. Besoin de transparence »
25 octobre 2012
http://www.lequotidiendumedecin.fr/actualite/environnement/besoin-de-transparence
- Reuters économique :
« France - La vente des pesticides en grande surface déconseillée » Marion Douet 23 octobre 2012
- Sud-Ouest : sudouest.fr
« Haro sur les pesticides »
Aude Boilley 1 er novembre 2012
http://www.sudouest.fr/2012/11/01/haro-sur-les-pesticides-867130-4720.php
- 20 minutes.fr :
« Pesticides : les sénateurs dénoncent les risques pour les utilisateurs » 23 octobre 2012
http://www.20minutes.fr/article/1028428/pesticides-senateurs-denoncent-risques-utilisateurs
« La vente des pesticides dans les grandes surfaces déconseillée par les sénateurs »
23 octobre 2012
http://www.20minutes.fr/ledirect/1028438/vente-pesticides-grande-surface-deconseillee-senateurs
« Les pesticides dans le collimateur des sénateurs »
Audrey Chauvet 23 octobre 2012
http://www.20minutes.fr/article/1028414/pesticides-collimateur-senateurs
Presse écrite Hebdomadaire
- Le Canard Enchaîné :
« Le pesticide, drogue dure dépénalisée et encouragée »
J.-F.J. 31 octobre 2012 (première page)
- Le courrier des maires : courrier des maires.fr
« Pesticides : les sénateurs dénoncent les risques pour les utilisateurs »
9 novembre 2012
- La France agricole :
« Le traitement de choc des sénateurs »
Florence Mélix n°3458 26 octobre 2012 (pages 14 et15)
SKMBT
http://www.lafranceagricole.fr/Print/actualite-agricole/phytos-et-sante-aller-vers-le-risque-zero-senateurs-63755.html
- lagazette.fr - La gazette des communes :
« Pesticides : un rapport du Sénat incite à faire sans »
V. Fauvel 25 octobre 2012
http://www.lagazettedescommunes.com/135946/pesticides-un-rapport-du-senat-incite-toutes-les-collectivites-a-faire-sans-dici-5-anspesticides-un-rapport-du-senat-incite-toutes-les-collectivites-a-faire-sans-dici-5-anspesticides-un-rapport-du/print
- Vie charentaise. Hebdomadaire agricole et rural :
« Rapport du Sénat. Les dangers des pesticides sous-evalués » et « Interview de Paul François : le constat est flagrant »
Fabienne Lebon 8 novembre 2012 (première page, pages 4 et 5)
Presse écrite mensuelle
- Phytoma : phytoma.ldv
« Pesticides et santé. Les sénatrices ont travaillé »
2 novembre 2012
- Santé magazine.fr :
« Pour le Sénat, la dangerosité des pesticides est sous-évaluée »
23 octobre 2012
http://www.santemagazine.fr/actualite-pour-le-senat-la-dangerosite-des-pesticides-est-sous-evaluee-2720.html
Presse électronique
- Actu Environnement. L'actualité professionnelle du secteur de l'environnement :
« Un rapport du Sénat dénonce la sous-évaluation des risques liés aux pesticides »
Laurent Radisson 23 octobre 2012
http://www.actu-environnement.com/ae/news/pesticides-risques-sante-rapport-mission-information-Senat-16877.php4
- Agrisalon.com :
« Le Sénat veut renforcer l'évaluation des risques à l'usage des produits phytos »
23 octobre 2012
http://www.agrisalon.com/fr/permalien/article/6996929/Le-Senat-veut-renforcer-l-evaluation-des-risques-a-l-usage-des-produits-phytos.html
- Association Santé-Environnement France :
« Pesticides : le Sénat dénonce leur toxicité »
Jennifer Malherou 24 octobre 2012
http://www.asef-asso.fr/mon-jardin/pesticides/1504-pesticides-le-senat-denonce-leur-toxicite
- Association Santé-Environnement en Rhône-Alpes :
« Un nouveau rapport du Sénat sur les pesticides »
23 octobre 2012
http://www.sera.asso.fr/?s=s%C3%A9nat+pesticides
- Bioaddict.fr - Toute l'info pour un monde plus bio :
« Santé : pour le Sénat, la dangerosité des pesticides est sous-évaluée » Olivia Montero 24 octobre 2012
http://www.bioaddict.fr/article/sante-pour-le-senat-la-dangerosite-des-pesticides-est-sous-evaluee-a3542p1.html
- Forum Phyto :
« La mission sénatoriale sur les pesticides présente son rapport »
26 octobre 2012
http://www.forumphyto.fr/2012/10/26/la-mission-senatoriale-sur-les-pesticides-presente-son-rapport/
- Le Journal de l'Environnement :
« Pesticides : quand le Sénat contredit l'OPECST »
Valéry Laramée de Tannenberg 23 octobre 2012
http://www.journaldelenvironnement.net/article/pesticides-quand-le-senat-contredit-l-opecst,31282
- Localtis.info - le quotidien d'information en ligne des collectivités territoriales et de leurs partenaires:
« Pesticides : quelles alternatives pour un risque zéro ? »
Morgan Boëdec 23 octobre 2012
http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250264361085
- Plein champ. com - Votre site d'expertise agricole :
« Sénat : les dangers et risques des pesticides sont sous-évalués »
S.C. 24 octobre 2012
http://www.pleinchamp.com/plein_champ/home/actualites-generales/actualites/senat-les-dangers-et-risques-des-pesticides-sont-sous-evalues
- Terre-netmedia :
« Pesticides : vers le risque zéro. Le Sénat veut renforcer l'évaluation des risques à l'usage des produits phytos »
23 octobre 2012
et vidéo :
« Sophie Primas, présidente de la mission commune d'information sur les pesticides, explique quelles recommandations elle juge prioritaires »
- La Vigne, le magazine du monde viticole, de la viticulture et du vin :
« Pesticides : l'alerte de la mission sénatoriale »
Christelle Stef 23 octobre 2012
http://www.lavigne-mag.fr/actualites/pesticides-l-alerte-de-la-mission-senatoriale-63739.html
Autres échos : sites de professionnels
- ASPRO-pnpp :
La plaquette du Sénat résumant les travaux et les recommandations de la mission est en ligne sur ce site
- UIPP : uipp.org
Communiqué : « Mission « Pesticides et santé » du Sénat : l'UIPP souhaite davantage de visibilité et de cohérence dans les plans d'action »
23 octobre 2012
http://www.uipp.org/Actualites/Communiques/Mission-pesticides-et-sante-du-Senat-L-UIPP-souhaite-davantage-de-visibilite-et-de-coherence-dans-les-plans-d-action
* 1 Au mois de juillet 2012, Mme Annie Thébaud-Mony a refusé d'être décorée de la Légion d'honneur. Elle a explicité ainsi son refus : « Dans le contexte de grave crise européenne, la santé des travailleurs et les questions environnementales sont plus que jamais rendues invisibles par les autres préoccupations du moment présent. Ma démarche se veut un appel à la mobilisation citoyenne, mais aussi parlementaire et gouvernementale, pour le respect des droits fondamentaux à la vie, à la santé, à la dignité . »