2. Des liens économiques privilégiés avec la France
a) Des financements externes nécessaires à la reprise économique
Même si la Tunisie est dans une situation financière moins tendue que d'autres Etats arabes, comme l'Egypte, la détérioration récente de la position extérieure justifie des soutiens internationaux pour préserver le potentiel de croissance économique tunisien, éviter une dégradation économique et sociale et permettre le retour des investissements directs étrangers (IDE).
Le sommet du G8 à Deauville en mai 2011 a confirmé l'engagement de la France, qui fournit 68 % des flux bilatéraux d'aide publique au développement à la Tunisie, laquelle se situe ainsi au premier rang des récipiendaires des prêts de l'Agence française de développement (AFD). L'AFD intervient actuellement, entre autres, dans le financement d'un projet de traitement des eaux en zones rurales, la mise à niveau de quartiers défavorisés pour le compte de l'Union européenne, et l'évaluation de politiques publiques (aménagement du territoire, accompagnement de l'évolution de la politique agricole).
Lors du sommet de Deauville, plusieurs institutions internationales ont aussi confirmé leur appui à la Tunisie : la Commission européenne, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAfD).
Dès le début de l'année 2012, la Tunisie a bénéficié du décaissement de plus de 1,1 milliard de dollars d'aides budgétaires directes , dans le cadre du plan d'appui à la relance décidé en avril 2011.
La loi de finances complémentaire pour 2012 a prévu des ressources extérieures à hauteur de 4 milliards de dinars (2,7 milliards de dollars, près de 2 milliards d'euros), soit un cinquième du budget , comportant notamment :
- 1 milliard d'euros de la Banque mondiale (dont des garanties accordées à des émissions obligataires), dans le cadre de discussions qui restent en cours ;
- des interventions de la BAfD et de l'Union européenne, pour des montants respectivement de 350 millions et 100 millions d'euros ;
- 100 millions d'euros de la deuxième tranche d'aide budgétaire de l'AFD ;
- un emprunt déjà décaissé auprès du Qatar (à hauteur de 500 millions de dollars sur 5 ans, à hauteur de 2,5 %) ;
- une enveloppe de prêts, du même montant et aux mêmes conditions (par ailleurs jugées peu favorables par les ministres tunisiens rencontrés par la délégation de la commission des finances), du Fonds saoudien de développement ;
- un apport en garantie d'émissions obligataires promis par les Etats-Unis (à hauteur de 700 millions d'euros), ainsi qu'un don de 100 millions de dollars, pour lequel une décision restait à prendre par le Congrès américain.
Les entretiens qu'a eus la délégation de la commission des finances ont évoqué notamment un allègement ou une conversion de dette, laquelle semble toutefois peu probable compte tenu de la situation actuelle de solvabilité de la Tunisie.
Une possibilité d'intervention du FMI n'a pas les faveurs des responsables politiques rencontrés, même si les discussions se poursuivent. En termes d'image, il convient d'ailleurs de rappeler que la Tunisie n'a jamais eu à solliciter un rééchelonnement de dette en club de Paris, et qu'elle reste attachée à sa réputation de bon payeur.
b) La France, premier partenaire économique de la Tunisie
Le commerce extérieur était très dynamique avant la révolution : en 2010, les exportations tunisiennes avaient crû de 20,8 %, tandis que les importations progressaient de 23 %. L'année 2011 a marqué une poursuite de cette dynamique, mais à un rythme moins élevé : les exportations (26 milliards de dinars, soit environ 13 milliards d'euros) ont augmenté de 6,7 %, et les importations (d'un montant de 33,7 milliards de dinars) de 5,9 %.
Le secteur « off-shore » 25 ( * ) explique ce dynamisme : il représente les deux tiers des exportations, et sa part croît dans l'ensemble du commerce extérieur tunisien sous l'effet d'une croissance plus dynamique que les autres activités commerciales. En 2011, les taux de progression des échanges off-shore s'élèvent à 14,3 % pour les exportations et 11,1 % des importations, soit des taux de progression pratiquement doubles de ceux de l'ensemble du commerce tunisien.
Les exportations off-shore se concentrent dans quelques secteurs d'industries manufacturières : les industries mécaniques et électriques (8,4 milliards de dinars tunisiens) et le secteur du textile, de l'habillement et du cuir (5,3 milliards de dinars). Elles traduisent un phénomène de sous-traitance de sociétés européennes, où les matières premières sont importées et les produits finis exportés.
Aux objections selon lesquelles le secteur off-shore représenterait une forme de concurrence déloyale pour les entreprises françaises, les interlocuteurs tunisiens de la délégation ont répondu qu'il s'agit bien d'implantations industrielles destinées à l'exportation, se positionnant sur un créneau différent de celui des industries de transformation françaises. Si depuis huit ans les gouvernements tunisiens envisagent régulièrement une fiscalisation partielle des bénéfices (à hauteur de 10 %), celle-ci a toujours été reportée.
Hors secteur off-shore, le premier poste d'exportations (représentant 9 % du commerce extérieur en 2010) est constitué par les phosphates, mais les échanges ont été très fortement affectés par la détérioration de la situation politique et sociale en 2011. Les exportations de phosphates n'ont atteint que 1,3 milliard de dinars en 2011 (contre 2,15 milliards de dinars en 2010). En revanche, les exportations de produits agricoles et alimentaires ont progressé de 24,7 % et atteint 1,9 milliard de dinars, représentant 7,3 % de l'ensemble des exportations.
L'Union européenne a représenté 57,6 % des importations de la Tunisie en 2011. La France est le premier fournisseur de la Tunisie (totalisant 18,4 % des exportations), devant l'Italie (15,8 %), l'Allemagne (7,4 %), la Chine (6,1 %), la Russie (5,5 %), les Etats-Unis (3,7 %) et la Turquie (3,5 %).
Les pays de l'Union européenne sont destinataires de 76,4 % des exportations tunisiennes en 2011, à destination d'abord de la France (30,7 % des importations), de l'Italie (21,6 %) et l'Allemagne (9,1 %). La Libye a représenté 4,4 % des exportations tunisiennes, sous l'effet notamment d'une hausse des importations tunisiennes de produits alimentaires.
c) Une baisse des investissements directs étrangers ayant commencé dès 2009
Entre 2000 et 2010, selon l'Agence tunisienne de promotion de l'investissement extérieur (FIPA), les stocks d'investissements directs étrangers (IDE) en Tunisie ont doublé, pour s'élever à 18,8 milliards d'euros à la veille de la révolution.
Ces investissements ont été réalisés selon une politique de préférence sectorielle accordée essentiellement à l'industrie manufacturière, dans le cadre d'activités off-shore.
Les flux d'IDE avaient commencé à fléchir dès 2009, subissant le contrecoup de la fin de mouvements importants de privatisations. Ils ont atteint 1,14 milliard d'euros en 2010, en baisse de 5 % par rapport à 2009. Ils constituent une source majeure de devises, ayant représenté 38,5 % de l'ensemble des entrées de capitaux étrangers en 2010, et la même année ils ont contribué au financement du déficit courant à hauteur de 71 %.
Les premiers secteurs d'activité recevant des flux d'IDE sont l'énergie (60 % du total) puis l'industrie, laquelle est la plus fortement créatrice d'emplois.
En 2010, les pays de l'Union européenne ont représenté 79 % des flux d'IDE, le Royaume-Uni ayant occupé la première place (20 %), du fait d'investissements dans le domaine énergétique, suivi de l'Italie (15 %) et la France (11,7 % des flux, soit 134 millions d'euros 26 ( * ) ). En dehors de l'Union européenne, les flux d'IDE en 2010 provenaient principalement d'Amérique du Nord (140 millions d'euros) et des pays arabes (121,8 millions d'euros), au sein desquels les premières places étaient occupées par la Libye, le Qatar et le Koweït.
En ce qui concerne plus particulièrement la France, toujours selon la FIPA, la France est le premier investisseur étranger en Tunisie en termes de stock (hors énergie) avec un investissement total de 880 millions d'euros, correspondant à 1 270 entreprises françaises et 114 000 emplois .
Les IDE français en Tunisie concernent principalement les industries électriques et électroniques (135 millions d'euros en stock), le textile et l'habillement (123 millions d'euros) et le tourisme (42 millions d'euros).
S'agissant des opérations parmi les plus significatives, des investissements français sont à l'origine, dans le domaine des télécommunications, de la création d'Orange Tunisie (300 millions d'euros d'investissement envisagé sur 5 ans), de l'extension de Continental Automotive SA (7,5 millions d'euros), de la mise en place d'Aérolia Tunisia SA, spécialisée dans le fuselage d'avion (9,4 millions d'euros), et du réinvestissement de 10 millions d'euros par Air Liquide Tunisie pour l'extension de son unité de production.
Parallèlement, avec des flux d'IDE de 33 millions d'euros en 2010, la Tunisie a été le 23 ème investisseur étranger en France (et le premier au Maghreb). Le développement des investissements tunisiens en France pourrait être une réponse aux critiques d'entreprises françaises sur la concurrence que font porter les sociétés off-shore en Tunisie.
La rencontre des membres de la commission des finances avec les conseillers du commerce extérieur de la France a fait ressortir la diversité du tissu économique des entreprises françaises en Tunisie, également représentées par des entreprises agro-alimentaires (comme Danone), des entreprises de biens de consommation (telles que Picard), et des établissements du secteur de la banque et de l'assurance jusqu'alors handicapé par les entraves que posait l'ancien régime, dans un domaine d'activités dont il avait fait une de ses chasses gardées - en nommant les dirigeants et en limitant les activités de contrôle interne et d'audit externe. Des avantages sociaux garantissaient parallèlement la paix sociale, à un coût élevé - ainsi, le salaire moyen dans cette branche d'activités s'élève à 1 000 dinars (contre une moyenne nationale de 400 dinars).
Le marché bancaire tunisien (qui compte 22 établissements nationaux, disposant de très peu de liquidités) est aujourd'hui constitué, pour près de la moitié, par des banques publiques, pour un tiers par des banques privées tunisiennes, tandis que les banques étrangères représentent moins d'un cinquième du marché. Une restructuration du secteur bancaire devrait certainement être une des priorités du FMI.
D'autres secteurs, comme le BTP, donnent encore lieu à peu d'implantations d'entreprises françaises : celles qui s'étaient installées se sont retirées, en raison d'une corruption trop importante.
* 25 Le secteur « off-shore » désigne des externalisations d'activités, principalement industrielles, dans les zones côtières de la Tunisie. Près des trois quarts des entreprises françaises présentes en Tunisie ont choisi ce mode d'implantation.
Le taux de l'impôt sur les sociétés s'établit comme suit :
- pour les entreprises dont les activités exportatrices ne sont pas prépondérantes (moins de 70 % du chiffre d'affaires réalisé à l'exportation), exonération totale ou imposition au taux de 10 % (en cas d'activité artisanale, agricole, de pêche ou d'armement de bateaux de pêche, ainsi que pour les coopératives de services ou de consommation) ;
- pour les entreprises dont les activités exportatrices sont prépondérantes (au moins 70 % du chiffre d'affaires réalisé à l'exportation), exonération d'impôt sur les sociétés pendant les dix premières années d'activité, puis imposition à hauteur de la moitié du taux normal d'imposition des sociétés en Tunisie (soit 17,5 %).
Les activités dans les zones « off-shore » sont exonérées de charge sociale sur les dividendes. Les bénéfices imposables au titre de l'impôt sur le revenu sont aussi exonérés en cas de réinvestissement dans certains secteurs (comme l'immobilier en Tunisie ou le rachat de petites sociétés).
* 26 Mais, selon la Banque de France, les IDE français en Tunisie sont trois fois plus élevés.