3. Le retour progressif des grands contrats français en Libye
a) Des positions traditionnellement fortes de la France
Avant le conflit, la France était au premier rang des partenaires économiques de la Libye :
- en 2010, les importations françaises (soit 4,8 milliards d'euros), constituées à 98 % d'hydrocarbures (la Libye couvrait alors 16 % de nos besoins en pétrole), faisaient de la France le 2 ème client de la Libye, mais entraînant un défit commercial de plus de 3,8 milliards d'euros ;
- toujours en 2010, les exportations françaises (soit 981 millions d'euros), constituées pour plus de la moitié par les grands contrats d'équipement puis par les produits médicaux et alimentaires, plaçaient la France au 6 ème rang des fournisseurs de la Libye ;
- le stock des investissements directs étrangers (IDE) de la France en Libye s'élevait à 1,33 milliard d'euros en 2009 (dont 1,1 milliard d'euros pour Total), les flux d'IDE français ayant atteint 515 millions d'euros pour la seule année 2009 ;
- en 2009, le stock des IDE libyens en France s'élevait à 116 millions d'euros (dont 9 millions d'euros de flux annuels en 2009) ;
- 44 entreprises françaises étaient présentes en Libye, dont une vingtaine de grands groupes.
En dehors des hydrocarbures, la France avait participé à des contrats d'infrastructure et d'équipement (notamment, pour l'aéroport de Tripoli) et à la privatisation de la Sahara Bank , la deuxième banque libyenne, dont BNP Paribas détient 19 % des parts.
Malgré les difficultés administratives multiples posées au développement du secteur privé en Libye, des sociétés françaises ont réussi à s'implanter de manière durable. Par exemple, la société Pondichéry Frères a expliqué aux membres de la délégation de la commission des finances qu'elle était implantée depuis dix ans dans le désert libyen, pour des travaux de maintenance d'un des plus anciens sites de production pétrolière.
Parmi les projets d'infrastructure, la mise en place d'un réseau ferroviaire à été évoquée devant les membres de la délégation de la commission des finances, des contacts ayant été pris dès les années 1980. Ce serait effectivement une base pour la diversification de l'économie, alors que la Libye dispose d'autres gisements de matières premières peu ou pas exploités (comme le fer), en permettant l'acheminement des ressources.
b) Une reprise des investissements français en partie liée au réexamen des contrats signés sous l'ancien régime
En 2011, les exportations françaises vers la Libye ont chuté de 77 % (à 225 millions d'euros) et les importations françaises de 58 % (à 1,9 milliard d'euros).
Fin 2011, un premier grand contrat a été signé pour la phase 2 de l'hôpital BMC de Benghazi. Trois autres contrats ont été signés au premier trimestre 2012, concernant l'impression des billets de banque, la fourniture clés en main par Siemens France de 6 sous-stations GIS et AIS 220/66/30 KV et la réactivation par Alstom Grid de 14 sous-stations KVA clés en main.
Par ailleurs, l'échéancier de fourniture d'avions Airbus A320 devrait être maintenu, des contrats d'assistance technique et des travaux de réparation sur le parc aéronautique complétant les exportations françaises dans le secteur aéronautique.
L'incertitude demeure sur la plupart des contrats, qui doivent être passés en revue par un comité spécial d'examen des contrats suspendus , selon la décision n° 20 (2012) du conseil des ministres. Ce sont au total 1 500 contrats majeurs signés par l'ancien régime qui doivent être examinés au regard de critères économiques et de transparence. Pour la seule période 2009-2012, le montant des contrats signés avait atteint 140 milliards de dinars libyens, sommairement négociés et entachés par de fortes pratiques de corruption et sans qu'aucun soit achevé, selon l'analyse qui a été rappelée aux membres de la délégation par Issa Al-Touejri, ministre du plan.
Les interlocuteurs libyens des sénateurs de la commission des finances ont toutefois clairement dissocié les enjeux politiques et économiques, en observant que la reconnaissance du rôle joué par la France ne conduisait pas à privilégier les offres des entreprises françaises même si, à offres égales, la France bénéficierait d'une préférence.
Lors des échanges de la délégation avec les conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) et les représentants des entreprises françaises présentes en Libye, ces derniers ont souligné la tendance à l'amélioration de la situation, notamment en ce qui concerne la sécurité, les mouvements sociaux et la nomination de nouveaux responsables, tout en observant que le processus de décision était traditionnellement lent en Libye. Ils ont insisté sur la nécessité que le site du ministère des affaires étrangères soit actualisé, pour mieux rendre compte des conditions actuelles d'investissement .
Faciliter les déplacements de Français en Libye est en effet indispensable pour des raisons telles que le suivi opérationnel des équipements fournis. Il est également souhaitable de favoriser l'essor des échanges maritimes et aériens par des liaisons régulières plus nombreuses.
Pour leur part, les membres de la délégation de la commission des finances ont pris bonne note du besoin de diversification de l'économie libyenne , le ministère du plan ayant indiqué qu'une synthèse des travaux était en cours. Mais des obstacles structurels doivent être levés, notamment l'amélioration de la formation et de l'éducation de la main-d'oeuvre, ainsi que l'évolution des mentalités et des pratiques administratives.
c) La question de l'application de la convention fiscale franco-libyenne
Une convention fiscale de non double imposition entre la Libye et la France est entrée en vigueur au 1 er janvier 2009. Il s'agissait de la première convention fiscale signée par la Libye avec un pays occidental.
Si ce texte n'appelle pas d'observations particulières sur le fond, s'inspirant de disposition analogues signées avec de nombreux autres Etats étrangers, des difficultés d'application ont été signalées à la délégation de la commission des finances. La consolidation des institutions libyennes, dans un cadre global garantissant la sécurité des investissements étrangers, devrait permettre de lever les obstacles à sa pleine mise en oeuvre.