2. Clarifier le rôle des collectivités territoriales dans le domaine de l'emploi
a) Clarifier les interventions respectives des différents acteurs par la coordination plutôt que par l'application d'un schéma uniforme
La question de la répartition entre les collectivités de la compétence « emploi », et des différentes actions qu'elle recouvre, ne peut être dissociée du débat actuel et plus général sur la répartition des compétences entre les collectivités, bien que ce rapport n'ait pas vocation à exprimer une position sur l'ensemble de cette problématique.
Les paysages institutionnels locaux en matière de politique de l'emploi sont très variables selon les territoires. La présence ou non d'une maison de l'emploi, son périmètre et le type d'interventions qu'elle déploie, pour ne citer qu'un exemple, ne sont pas uniformes sur le territoire. À cette diversité des interventions des collectivités territoriales s'ajoute une série de facteurs qui peuvent également varier entre les territoires, comme le degré et la nature de l'implication des chambres consulaires, des partenaires sociaux ou des associations dans le domaine de la politique de l'emploi.
Dans ce cadre, il semble peu opportun de vouloir fixer une répartition uniforme des rôles au niveau national et l'appliquer de façon indifférenciée aux territoires. Il ne serait pas justifié, par exemple, de réserver la mission d'anticipation des mutations économiques aux maisons de l'emploi, compte tenu de l'inégale couverture du territoire en la matière.
C'est la raison pour laquelle une clarification opérée par les acteurs eux-mêmes, au niveau local, accompagnée d'une coordination renforcée, semble préférable. La collecte des offres peut par exemple s'effectuer de façon efficace quand bien même plusieurs acteurs y participeraient, au moyen d'un schéma de répartition de la prospective des offres ou de la détermination d'un interlocuteur unique par entreprise, comme cela a été évoqué lors de la table-ronde avec les représentants des organisations patronales.
Par ailleurs, compte tenu de la nécessité d'une approche intégrée des politiques de l'emploi, il convient de ne pas écarter a priori des acteurs qui, sans nécessairement assurer ni revendiquer un rôle phare dans le domaine de la politique de l'emploi, peuvent contribuer à son succès en y étant associés.
Ainsi, le débat sur la répartition des rôles en matière de politiques de l'emploi menées au niveau local pose en fait surtout la question de la façon dont doit s'opérer cette coordination.
b) Donner aux collectivités toute leur place dans le pilotage des politiques de l'emploi menées au niveau local
A l'heure actuelle, de nombreuses instances s'occupent de la coordination entre les acteurs, telles que les réunions du SPER et du SPEL (du SPED dans une moindre mesure), ainsi que les structures mises en place par les collectivités (maisons de l'emploi, missions locales et PLIE dans leur domaine d'intervention spécifique, mais aussi des instances créées ad hoc).
Plusieurs associations d'élus auditionnées ont exprimé le souhait que ce rôle de coordination soit désormais clairement attribué aux collectivités. Jean-Paul Denanot a notamment souligné les limites du copilotage d'instances de coordination, voire de politiques publiques, comme c'est le cas au niveau de la formation professionnelle, par l'Etat et la région.
Votre rapporteure considère que cette piste d'un rôle accru des collectivités en matière de coordination doit effectivement être étudiée avec attention, dans la mesure où les instances de coordination pilotées par l'Etat n'ont pas toujours porté leurs fruits. Cette position est cohérente avec les responsabilités déjà assumées par les collectivités au niveau de la formation et de développement économique. Elle prend acte de l'engagement considérable des collectivités en faveur de l'emploi, dont les apports ont été reconnus. Elle a été saluée à plusieurs reprises lors du débat qui s'est tenu en délégation. André Reichardt a particulièrement insisté sur ses potentialités.
Il convient néanmoins de relever les réserves que cette option a pu susciter. Pour certains, l'Etat ou Pôle emploi seraient davantage en mesure de jouer un rôle d'arbitre dans le cas où la configuration politique du territoire ne faciliterait pas la coordination. Ce risque ne doit toutefois pas être exagéré : l'enjeu que constitue l'emploi est tel que les initiatives qu'il suscite sont fort heureusement rarement freinées par des considérations politiques. En outre, l'Etat et Pôle emploi ne disposent pas nécessairement de davantage d'outils que les collectivités pour résoudre les éventuels désaccords qui pourraient émerger. Enfin, un levier financier pourrait être mis en place afin de dissuader ce type de situation.
S'agissant de la crainte parfois évoquée d'une prise à partie de l'opérateur national par les élus dans certains territoires, au détriment de la poursuite d'objectifs d'intérêts nationaux, elle pourrait être écartée au moyen d'un encadrement adapté de ce pilotage.
Le pilotage des politiques de l'emploi menées au niveau local par les collectivités peut s'envisager de plusieurs manières. À la veille d'une nouvelle étape de la décentralisation, votre rapporteure estime qu'il importe avant tout de recenser les pistes évoquées par les différents acteurs, plutôt que d'arrêter une position figée à ce sujet, compte tenu de l'évolution attendue du cadre dans lequel interviennent les collectivités.
Tout en soulignant la nécessité de préserver les interventions existantes des autres acteurs, les régions ont exprimé le souhait d'assumer la coordination et le pilotage des politiques en matière d'emploi à l'échelle de leur territoire. Comme l'a précisé Jean-Paul Denanot lors de son audition, « il ne s'agit pas d'exclure les autres acteurs, au contraire, mais de faire en sorte qu'il y ait une coordination de l'action en matière de formation professionnelle et en matière d'emploi », compte tenu de « la liaison orientation-formation-emploi ». Les régions souhaiteraient se voir dotées d'un rôle d' « ensemblier de tous les dispositifs existants, alors que les décisions sont aujourd'hui totalement atomisées. »
Par ailleurs, l'ARF a exprimé la volonté de devenir le financeur des missions locales. Jean-Paul Denanot a évoqué à ce sujet l'article 11 du projet de loi relatif aux responsabilités locales déposé en 2004 par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, qui a été supprimé en deuxième lecture. Il disposait notamment que « la région coordonne les actions développées en faveur de l'accueil, de l'information et de l'orientation des jeunes et des adultes, en vue de leur insertion professionnelle et sociale, sous réserve des missions exercées par l'État, les établissements publics et les établissements d'enseignement en direction des élèves et des étudiants. À cette fin, la région peut passer des conventions avec les autres collectivités territoriales et avec les organismes chargés de l'accueil, de l'information et de l'orientation. Ces conventions déterminent, entre autres, les conditions : - d'installation et de fonctionnement des missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes [...] ; - de fonctionnement des permanences d'accueil, d'information et d'orientation ouvertes aux jeunes de seize à vingt-cinq ans ; - d'organisation et d'animation du réseau des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation dans la région. Des conventions peuvent également être signées entre l'État et la région pour coordonner l'exercice de leurs compétences respectives. »
Cette perspective n'est pas sans susciter certaines réserves de la part des acteurs du niveau infrarégional, notamment au sein de l'Alliance Villes Emploi ou du Conseil national des missions locales, qui craignent une « recentralisation » du dispositif et une perte de proximité. André Reichardt a également souligné la nécessité, pour les régions, de conserver un fort ancrage territorial, au niveau du bassin d'emploi.
Ces réserves pourraient par ailleurs être levées par l'émergence d'un autre échelon de coordination, au niveau du bassin d'emploi, qui serait celui des intercommunalités dépassant un certain seuil démographique. La piste d'un pilotage des politiques de l'emploi menées au niveau local par un couple constitué de la Région et des Intercommunalités a notamment été proposée par l'Assemblée des communautés de France et l'Alliance Villes Emploi. Les agglomérations, les communautés urbaines ou les métropoles, en particulier, pourraient assumer ce rôle, dans la mesure où il y aurait une correspondance entre leur périmètre et celui du bassin d'emploi.
L'AdCF propose ainsi d' « unifier, sous une même maîtrise d'ouvrage intercommunale, les actions de développement économique et de soutien à l'emploi dans une logique prospective, d'anticipation des mutations, et de gestion territorialisée des ressources humaines », considérant que « dans une logique de subsidiarité et d'efficacité, les élus locaux doivent être garants de la cohérence des interventions publiques sur le territoire. »
Elle souligne le rôle joué par les intercommunalités dans le domaine du développement économique. 60% des communautés d'agglomération interviennent dans le champ de l'emploi. L'implication des communautés de communes dans ce domaine a progressé depuis 2005 : 31% d'entre elles déclarent agir en ce sens, pour 26% en 2005 54 ( * ) . Ces interventions conduisent l'AdCF et l'Alliance Villes Emploi à plaider « pour une meilleure définition et un meilleur partage d'une compétence emploi-insertion » pour les intercommunalités. François Grosdidier et Antoine Lefèvre ont pour leur part exprimé leur attachement à une augmentation du rôle des intercommunalités dans ce domaine.
Le manifeste de l'Alliance Villes Emploi reprend l'idée d'un pilotage par les régions et les intercommunalités, avec la proposition suivante : « Prévoir que les outils territoriaux d'insertion et d'emploi soient clairement articulés entre les régions et les EPCI, que les MDE et les PLIE jouent pleinement leur rôle d'outils infra régionaux ou infra départementaux. Ils doivent être en lien avec les Services régionaux de formation professionnelle des Régions (proposition de l'ARF) ; Ainsi prévoir que « le couple Régions/ Intercommunalités » soit clairement chef de file dans les domaines du développement économique, de l'emploi et de la formation professionnelle, afin de créer de la cohérence sur les territoires. »
Les propositions de l'ARF et de l'AdCF auraient l'avantage d'opérer une clarification certaine des rôles des collectivités en matière de coordination des politiques de l'emploi, à la condition d'une articulation satisfaisante entre ces deux niveaux d'intervention.
Il conviendrait toutefois de prendre garde à ce que leur mise en place n'entraîne pas de rigidification de la répartition des rôles, alors que l'implication des collectivités en la matière est diverse selon les territoires. Pourrait être prévue à cet effet une possibilité d'y déroger, soumise à une condition d'accord des collectivités concernées.
Si ces solutions étaient retenues, il importerait également d'éviter toute mise à l'écart des communes et des départements, dont l'engagement peut être significatif, de même que la remise en cause de structures qu'elles ont portées et qui ont fait leurs preuves. Le caractère intégré de ces politiques doit être préservé, par une association forte des communes et des départements.
Par ailleurs, il faut s'interroger sur les moyens dont disposeraient les collectivités concernées pour effectuer cette coordination. Georges Labazée a, pour sa part, insisté sur la nécessité de préserver la possibilité de procéder à des financements croisés dans ce domaine. Outre les questions d'ordre strictement financier, les considérations d'ordre juridique, en particulier une conception fort restrictive de la notion de « chef de file », en ont jusqu'à présent trop limité les potentialités. Cette coordination pourrait être adossée à un document-cadre qui répartirait les rôles entre les acteurs, après un diagnostic des forces en présence. Se poserait la question de son caractère prescriptif.
Quant aux éventuels transferts de compétences qui pourraient accompagner cette refonte du pilotage des politiques de l'emploi menées au niveau local, votre rapporteure n'a pas non plus souhaité se prononcer avant même que le débat autour de cette question ait pleinement eu lieu. Or, ce sujet devrait être analysé de façon approfondie à l'occasion des discussions qui se tiendront dans les prochains mois, dans la perspective d'une nouvelle étape de la décentralisation.
Bien évidemment, l'Etat et Pôle emploi auraient toute leur place au sein des instances de coordination pilotées par ces collectivités de même que les acteurs habituels, tels que les chambres consulaires ou les partenaires sociaux. L'association des personnes à la recherche d'un emploi devrait également être renforcée.
En tout état de cause, une orientation claire devra être déterminée à ce sujet, que ce soit à l'occasion de la réforme territoriale à venir, ou dans sa continuité.
Proposition 3 : Refonder les modalités de pilotage des politiques de l'emploi menées au niveau local, par exemple en en confiant la responsabilité aux régions et aux intercommunalités d'un certain seuil démographique |
Quelle que soit l'option retenue, une réduction du nombre des instances de coordination existantes devra être réalisée. Si le choix d'un pilotage par les collectivités est retenu, le maintien des réunions pilotées par le préfet (SPER, SPED et SPEL) ne sera plus nécessairement pertinent, encore moins à une fréquence mensuelle.
S'agissant du CRE et du CCREFP, leur fusion a été envisagée par nombre des acteurs auditionnés ainsi que dans plusieurs rapports, notamment celui de la mission relative à Pôle emploi. Ce dernier précise que « cette mesure simple de rationalisation a été réclamée avec force par les directeurs régionaux de Pôle emploi [...] qui n'en peuvent plus de participer sans cesse à des réunions redondantes. Un rapprochement avec les commissions paritaires interprofessionnelles régionales pour l'emploi (Copire) pourrait être aussi envisagé, si les partenaires sociaux l'acceptent 55 ( * ) . » Dans la mesure où ils interviennent à la même échelle, et que leur configuration est proche, cette fusion se justifierait effectivement. Le CCREFP ayant vocation, comme son nom l'indique, à traiter des questions liées à l'emploi et à la formation au niveau régional, il pourrait ainsi intégrer le CRE. Toutefois, votre rapporteure considère qu'il ne s'agirait là que d'une première étape vers une réorganisation du pilotage des politiques publiques de l'emploi menées au niveau local.
c) Encourager les rapprochements des structures au niveau local afin de simplifier et d'optimiser l'architecture des interventions
Au niveau plus local, les rapprochements entre les différentes instances territoriales que sont les maisons de l'emploi, les missions locales et les PLIE, sont un moyen de renforcer leur coordination et leur partenariat et de simplifier le paysage institutionnel des politiques de l'emploi menées au niveau local. Ces rapprochements peuvent toutefois soulever des difficultés sur le plan comptable, dans la mesure où ils doivent « respecter un principe d'individualisation budgétaire et comptable, grâce au développement d'une comptabilité analytique afin d'assurer la traçabilité notamment des crédits du FSE 56 ( * ) » ou des autres financeurs, comme le relève le cahier des charges des maisons de l'emploi.
Afin de les favoriser, votre rapporteure approuve l'idée, proposée par la mission relative à Pôle emploi, qu'une réflexion soit menée à ce sujet, afin de simplifier le cadre comptable et financier de ces instances regroupées. Elle approuve par ailleurs l'idée d'un encouragement à ces rapprochements de la part de l'Etat, par la voie des subventions qu'il leur verse , tout en insistant sur la nécessité de laisser une marge de manoeuvre aux territoires pour s'organiser.
Par ailleurs, les fusions entre des instances de catégorie similaire, destinées à faire correspondre leur périmètre d'intervention à celui du bassin d'emploi, sont également un moyen de rationaliser le paysage institutionnel local.
Proposition 4 : Simplifier le cadre comptable et financier des structures regroupant plusieurs instances (maisons de l'emploi, missions locales, plans locaux pluriannuels pour l'emploi) |
* 54 Source : AdCF.
* 55 « Pôle emploi : une réforme nécessaire, une dynamique de progrès à amplifier », rapport d'information n° 713 de M. Jean-Paul Alduy, fait au nom de la Mission commune d'information relative à Pôle emploi, tome I (Sénat, 2010-2011), p. 169.
* 56 Arrêté du 21 décembre 2099 portant cahier des charges des maisons de l'emploi.