B. UN CLOISONNEMENT DES PRINCIPAUX ACTEURS DU MARCHÉ

1. Des galeries de taille modeste et pas assez fédérées

L'activité économique des galeries est très peu connue. Comme le soulignait une étude 19 ( * ) du département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) sur les entreprises du commerce du marché de l'art, il existe un problème d'identification et de recensement qui « empêche toute description statistique des activités et des entreprises qui les exercent (galeristes, antiquaires, etc.) à partir des enquêtes sectorielles annuelles, portant sur le commerce, réalisées par l'INSEE. » Cependant une demande spécifique adressée par le ministère de la culture a permis d'obtenir une série d'informations permettant d'observer l'activité commerciale d'environ 15 000 entreprises de commerce d'art qui réalisent un chiffre d'affaires de 1,9 milliard d'euros grâce à cette activité. Les résultats portent essentiellement sur quatre activités :

- le commerce d'oeuvres d'art contemporain ;

- la vente d'antiquités, d'objets d'art et de meubles anciens ;

- la vente d'objets de récupération ;

- la vente de livres anciens et d'occasion.

Sur les 13 505 entreprises exerçant une activité du commerce de l'art comme activité majoritaire, 1 170 sont totalement spécialisées dans les ventes d'oeuvres d'art contemporain représentant un chiffre d'affaires moyen de 315 000 euros.

Toutefois, le DEPS précise aussitôt que les données relatives aux vendeurs d'art contemporain, entreprises classées en commerce d'occasion sont couvertes par le secret statistique .

Une autre étude 20 ( * ) du DEPS montre que les diffuseurs d'art actuel inscrits à la Maison des artistes sont très majoritairement des galeries (92 %) . L'évolution du chiffre d'affaires annuel moyen (+ 28 % entre 2004 et 2006 et + 22 % en 2006) montre clairement une corrélation avec le marché de l'art. Les galeries semblent donc avoir profité de la hausse générale des prix sur le marché de l'art et de l'engouement pour l'art contemporain sensible sur le marché des enchères. Pour autant, une grande proportion de diffuseurs d'art actuel réalise un chiffre d'affaires inférieur à 50 000 euros. L'analyse du ministère de la culture fait ressortir de fortes disparités entre galeries avec des phénomènes de concentration en contraste avec des structures disparates, jeunes, et fragiles économiquement .

RÉPARTITION DES DIFFUSEURS
PAR TRANCHE DE CHIFFRES D'AFFAIRES ANNUEL
(moyenne sur trois ans)

Dans l'ensemble, ces structures sont relativement jeunes : en 2006, les trois quarts d'entre elles avaient été créées il y a moins de vingt ans et une structure sur cinq avait moins de six ans d'exercice. Il existe cependant de fortes disparités économiques entre galeries selon l'ancienneté. Le chiffre d'affaires moyen des structures de moins de cinq ans (94 000 euros) est dix fois moins élevé que celui des structures âgées de 31 à 40 ans (949 000 euros). Mais la fracture principale entre diffuseurs demeure celle de la localisation géographique : 78 % du chiffre d'affaires total de l'activité de diffusion d'art actuel est réalisé par les structures parisiennes. Paris profite de la concentration d'artistes qui y résident puisque c'est le territoire le plus marqué par le phénomène de « localisme » (63 % des artistes français vivants rémunérés par les diffuseurs vivent en région parisienne). En dehors de la capitale, les galeries sont plus jeunes et plus fragiles économiquement.

Un autre élément intéressant souligné par le DEPS est la rentabilité économique moindre des artistes vivants par rapport aux artistes décédés : « se consacrer à la vente exclusive d'oeuvres d'artistes français vivants est économiquement moins porteur que d'intervenir également sur le marché des artistes décédés » . 41 % des galeries dont le travail est exclusivement consacré aux artistes d'aujourd'hui de la scène française ont un chiffre d'affaires faible (inférieur à 50 000 euros). Il existe par ailleurs une corrélation entre la structure de diffusion, le chiffre d'affaires et le type d'artistes vendus : ainsi les associations (5 % des diffuseurs, à 100 % des galeries, implantés en région) sont exclusivement consacrées aux artistes d'aujourd'hui (11,6 artistes vivants rémunérés en moyenne). A l'opposé on retrouve les commerçants d'art (35 % des diffuseurs et à 88 % des galeries) qui rémunèrent la plus faible part d'artistes vivants de la scène française : 7,5 en moyenne. On retrouve enfin les sociétés commerciales mixtes, à 92,5 % des galeries qui rémunèrent globalement environ 10 artistes français vivants. Enfin, l'étude note qu'un peu plus du tiers des ventes d'oeuvres d'artistes français vivants se concentre sur un noyau dur constitué de un à cinq artistes fidèles.

Cette analyse corrobore le témoignage du Comité professionnel des galeries d'art (CPGA), association créée en 1947 qui regroupe 200 adhérents cooptés. Selon leurs représentants, les galeries souffrent de plusieurs phénomènes :


• leur rôle nécessite un très lourd travail de long terme par rapport aux maisons de ventes, dont certaines craignent la concurrence avec l'autorisation du gré à gré. En effet, les SVV servent d'intermédiaires et s'occupent de la vente, mais contrairement aux galeries elles n'achètent pas les oeuvres, n'investissent pas pour la promotion des artistes, etc. ;


• le temps de la vente représente environ 10 % du temps de travail des galeristes dont la mission nécessite également de constituer des dossiers pour exposer leurs artistes, de voyager pour faire leur promotion, de les conseiller au quotidien ;


• les galeries sont des micro-entreprises qui font travailler une dizaine d'artistes, et dont l'assise financière est déterminante pour assurer leur promotion, compte tenu des coûts croissants de production. Or la promotion, notamment dans les grands rendez-vous internationaux, est souvent un obstacle tant les coûts de production artistique sont désormais élevés ;


• les galeries sont très éclatées, et souffrent d'une atomisation de la profession qui ne parvient pas à se fédérer. Elles manquent donc à la fois d'information sur leur secteur - notamment en raison du secret couvrant les données statistiques - mais aussi d'une force de frappe financière qui constitue le principal frein au soutien de la création de leurs artistes, afin de les promouvoir notamment lors des grands événements d'art contemporain ;

Proposition n° 3 : Inciter les galeries d'art à se fédérer et à communiquer les informations susceptibles de mieux prendre en compte leur poids économique, leurs besoins et leur contribution au développement du marché de l'art contemporain.


• enfin les galeries ne sont pas considérées comme un interlocuteur de l'État dans le cadre de la commande publique puisqu'elles sont trop souvent « court-circuitées », les institutions s'adressant directement à leurs artistes pour passer commande. Cette méthode est de surcroît contre-productive dans la mesure où, en fin de chaîne, l'aide des galeries est souvent requise pour finaliser les productions de leurs artistes. Le CPGA réclame ainsi depuis plus de deux ans une circulaire rappelant le rôle que devraient tenir les galeries dans la procédure de commande publique :

« Il est important et primordial de placer la galerie comme l'intermédiaire indiscutable entre l'État et l'artiste ; cette position est indépendante d'une prise éventuelle d'honoraires et a pour but de placer la galerie dans une position de force dans un contexte national comme international.

Pour un artiste français, cela renforce les liens entre la galerie et l'artiste qui sont appelés à se soutenir mutuellement à long terme.

Pour un artiste étranger, cela renforce la perception de la galerie française sur le plan international ; de même, on imagine la réaction d'une puissante galerie étrangère si, en plus de l'absence trop souvent constatée d'artistes et de galeries françaises lors des grandes manifestations internationales, elle avait le sentiment que, même sur notre territoire les achats étaient faits directement auprès des artistes par les musées.

Le risque encouru à moyen terme serait que des galeries étrangères d'importance refusent de voir leurs artistes exposer dans des galeries françaises, contribuant ainsi à l'affaiblissement généralisé des différents acteurs de notre marché.

Sans une reconnaissance des galeries dans leur pays d'origine, il ne peut y avoir d'action internationale d'envergure.

La position du Comité des Galeries d'Art est liée à une revalorisation globale de la scène française à travers chacun de ses intervenants . »

Alerté par le CPGA dès les toutes premières auditions de l'année 2011, votre rapporteur en a aussitôt fait part aux directions générales concernées du ministère de la culture. Il se réjouit de constater que le ministre a intégré, dans ses propositions du 11 octobre dernier, une mesure relative à la commande publique en annonçant la circulaire tant attendue par la profession. Il sera attentif à la mise en oeuvre effective de cette mesure et souhaite l'inscrire avec force dans les propositions du présent rapport.

Proposition n° 4 : S'assurer de la publication d'une circulaire prévoyant, dans la procédure de commande publique, l'information et, le cas échéant, la participation, des galeries d'art.

Le rôle des galeries étant central pour la promotion des artistes de la scène française d'aujourd'hui, il paraît essentiel de prévoir une aide financière qui ne soit pas de la subvention mais un soutien temporaire permettant de trouver la trésorerie financière suffisante pour envisager des projets d'envergure internationale. Parmi les pistes avancées par le ministère de la culture dès le début de l'année 2011 figure une idée qui était déjà évoquée dans les précédents rapports sur le marché de l'art. Il s'agit de la mise en place d'un fonds de production fonctionnant selon une logique d'avances remboursables. Votre rapporteur reviendra sur ce point dans le chapitre consacré au Centre national des arts plastiques (CNAP).


* 19 Ministère de la culture, département des études, de la prospective et des statistiques, « les entreprises du commerce du marché de l'art », avril 2009.

* 20 Ministère de la culture et de la communication, Département des études, de la prospective et des statistiques, « Portrait économique des diffuseurs d'art actuel inscrits à la Maison des artistes », janvier 2011.

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