5. La direction stratégique : décider du périmètre de notre souveraineté
a) Quelle stratégie pour quelle défense ?
D'un point de vue stratégique, la DAMB nous impose de définir ce sur quoi nous pouvons nous en remettre à l'Alliance et sur ce sur quoi, il serait souhaitable que nous assurions notre souveraineté.
Ce choix doit prendre en compte les répercussions possibles sur nos autres systèmes de force, en particulier la dissuasion d'un point de vue technologique et les systèmes de force conventionnels d'un point de vue financier.
Cette question en appelle d'autres : quelles sont les technologies sur lesquelles nous souhaitons garder une maîtrise complète ?
Les technologies d'interception exo-atmosphérique conditionnent la crédibilité de notre force de dissuasion. Il semble donc indispensable que des programmes d'études amont soient développés sur ce type d'interception, même s'ils n'ont pas nécessairement vocation à déboucher sur des intercepteurs à moyen terme.
Autre question, peut-on partager des technologies sensibles avec nos alliés américains et si oui lesquelles ? Nous avons des compétences fortes dans le domaine des capteurs infrarouges utilisés pour l'alerte spatiale. Une coopération est-elle possible ? Est-il envisageable par exemple que les futurs satellites PTSS fassent l'objet d'un appel d'offres ouvert aux industriels européens ?
b) Quel niveau d'ambition stratégique souhaitons-nous conserver ?
(1) Éviter le niveau zéro
Que se passera-t-il si nous ne faisons rien ?
1. Nous ne serions plus maîtres du commandement et de la conduite des opérations de défense antimissile concernant le territoire européen.
En premier lieu, sans contribution européenne, les choix d'architecture de la DAMB seront articulés autour des systèmes d'armes américains, les seuls présents dans la couche haute où se joue la DAMB territoriale.
En second lieu, l'information initiale qui déclenchera la mise en oeuvre des effecteurs proviendra d'une alerte exclusivement américaine et sur laquelle nous n'aurons aucun moyen d'appréciation.
En troisième lieu, la décision de mettre en oeuvre les effecteurs sera largement automatisée. Seuls comptent, au début de la chaîne, la personne qui décide du déclenchement des opérations et à l'autre bout de la chaîne, les systèmes qui remplissent la mission. Les deux seront américains .
Les Européens seront donc absents d'une décision de riposte à une menace visant leur territoire. Le bouclier américain ne perdurera que tant que les contribuables américains accepteront de le financer.
2. Nous pourrions être contraints de financer en espèces l'achat d'armements américains, alors que nos industriels sont capables de développer de tels armements.
Si l'OTAN conserve l'objectif d'une défense antimissile du territoire européen, mais que les contribuables américains n'acceptent plus d'en assumer le financement, il y aura une pression forte et légitime pour que les Européens portent leur part du fardeau.
Cet effort financier pourra prendre deux formes :
- la fourniture d' équipements en nature par les nations européennes au profit de l'Alliance. Ces équipements pourront être issus des productions européennes, résulter de joint venture industrielles du type MEADS, ou bien achetés sur étagère auprès des industriels américains ;
- les équipements de l'alliance, financés en commun , qui pourraient être de la même façon des équipements européens, des équipements développés en commun ou plus vraisemblablement des équipements américains, les seuls disponibles à ce jour. Cette dernière solution serait pour nous la plus mauvaise, puisque nous serions alors amenés à effectuer des dépenses au profit de tiers que nous n'aurions pas jugées nécessaires de faire à celui de nos industriels.
Il semble difficile de penser que les nations européennes pourront limiter leur contribution au financement commun du C2. Elles seront confrontées à la situation soit de renoncer à la protection antimissile et donc d'avoir financé inutilement un C2 de l'OTAN, soit de brancher sur ce C2 des effecteurs qu'elles seront obligées d'acheter sur étagère auprès des industriels américains. Elles devront donc payer.
3. Nous risquerions un décrochage technologique et l'érosion de la crédibilité de notre dissuasion
Ce risque se comprend de façon intuitive. Sans investissement sur les technologies liées à la défense antimissile, nos experts seront moins à même d'évaluer le degré de pénétration de nos capacités nucléaires. Or le meilleur moyen de comprendre comment fonctionne une défense, c'est de savoir comment elle est construite.
Il y a en effet, une forte adéquation entre les technologies « couche haute » de la DAMB et les technologies spatiales et balistiques. Progresser sur les technologies de la DAMB permet de progresser sur une part importante des technologies dont nos industriels auront besoin dans les décennies à venir pour rester au meilleur niveau. L'ensemble des concurrents mondiaux - en particulier américains, japonais, israéliens, bénéficieront d'efforts de R & T que nous refuserons à nos industriels.
Technologiquement parlant, la DAMB décidée à Lisbonne ne s'inscrit pas dans la continuité de l'ALTBMD, mais constitue une rupture qui en change la nature. Ce que l'on appelle DAMB est en fait une nouvelle « frontière capacitaire » à la jonction de la dissuasion et du spatial. Elle participe d'une compétition plus ambitieuse : celle de la maîtrise de l'espace, du déni d'accès et des moyens d'information et d'alerte planétaires du futur. C'est la face cachée de la DAMB. Que nous ayons signé ou non à Lisbonne ne change rien à l'affaire. Ne pas participer à une course, ne l'empêche pas d'exister. Se cacher la tête dans le sable et faire comme si elle n'existait pas, ne fera pas avancer nos intérêts.
Ne rien faire n'est donc pas - du point de vue stratégique - une option à considérer.