E. LES CINQ CAPS POSSIBLES DE LA DAMB FRANÇAISE
Une feuille de route indique la direction de l'objectif et la distance qui l'en sépare du point de situation. Quelles sont, en matière de DAMB, les caps possibles pour la France et, dans chaque direction, la distance que nous souhaitons parcourir ?
1. Le cap militaire : prendre en compte la menace
Suivre un cap militaire commande de s'intéresser à la menace, sa forme et sa probabilité d'occurrence. Cette question est dimensionnante car de la physionomie de l'attaque dépend l'architecture de la défense.
a) Quelle menace ?
L'analyse de la menace montre que le seul pays disposant d'une capacité balistique et de la volonté de s'en prendre aux intérêts occidentaux est l'Iran. Aujourd'hui, l'essentiel de son arsenal balistique semble être composé de missiles d'une portée inférieure à 1.500 km, même s'il développe des missiles de portée supérieure (Sejil-2 - 2.200 km, et Saheen - 2.500 km). Quel sera cet arsenal à terme ?
Et que quel sera le régime iranien susceptible de l'employer ? Est-ce que dans dix ans, les dirigeants iraniens seront-ils toujours aussi inamicaux vis-à-vis de l'Occident qu'aujourd'hui ? Est-il fou de penser que le régime iranien pourrait être à la veille d'un changement, à l'instar de ceux qui se sont produit en Tunisie, en Egypte ou au Yémen ? Sommes-nous sûrs qu'il n'y aura pas un automne perse après le « printemps arabe » ? Si cela devait arriver, un système de DAMB conçu pour parer la menace iranienne deviendrait inutile, de la même façon que l'eût été un système pour parer la menace irakienne ou la menace libyenne, pourtant définies comme principales menaces balistiques au début des années 2000 44 ( * ) .
A rebours, on ne peut exclure que d'autres régimes du Moyen-Orient, ou d'ailleurs, aujourd'hui amicaux, ne deviennent inamicaux et se dotent d'un arsenal balistique. Lesquels ?
A supposer que le régime iranien reste le même, la question de savoir quand il sera en mesure de disposer d'une capacité balistique susceptible d'atteindre le territoire national ne dépend pas exclusivement de facteurs techniques mais aussi de la détermination de ses dirigeants et de la capacité de l'appareil d'Etat à développer une expertise nationale ou de l'acquérir auprès de proliférateurs. Cela dépend aussi des efforts internationaux pour ralentir la prolifération balistique.
Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique iranien est un régime complexe dans lequel les pouvoirs s'équilibrent et parfois se paralysent. C'est le cas en particulier entre le guide suprême et le président élu. Mahmoud Ahmadinejad, qui a été d'une rare virulence à l'égard d'Israël, des Etats-Unis et de l'Occident en général, atteindra la fin de son mandat en 2013. Aux termes de la constitution iranienne il ne pourra se représenter. Est-ce que son successeur sera animé des mêmes intentions belliqueuses ?
A supposer que ce soit le cas, la diplomatie est la première arme pour dissuader la menace. Son coût est sans rapport avec celui d'une défense antimissile. De ce point de vue, tout n'a peut être pas été tenté. Si l'on admet que l'Iran est une dictature et qu'il utilise la contrainte extérieure pour justifier la répression intérieure, alors pourquoi ne pas essayer de desserrer la contrainte extérieure pour alourdir la pression intérieure pesant sur ses dirigeants ? N'auront-ils pas davantage de mal à justifier la répression, si l'Occident leur tend la main ? N'y a-t-il aucune corrélation entre le discours de « Norouz » du Président Obama du 21 mars 2009 et les émeutes qui ont secoué l'Iran à la suite des élections truquées de juin 2009 ?
Écartons ces réserves et faisons l'hypothèse que le régime iranien reste durablement inamical. Faisons l'hypothèse par ailleurs, qu'il ait fabriqué d'ici cinq ans un engin nucléaire. Disposera-t-il pour autant de la technologie nécessaire pour en faire un corps de rentrée ? C'est peu probable, compte tenu de ce que l'on croit savoir des différents programmes militaires iraniens. C'est une chose de construire des missiles balistiques à longue portée, capables de satelliser des objets, c'en est une autre de construire des têtes de rentrée, capables de délivrer une charge avec précision et de pénétrer les défenses adverses.
Or, la maîtrise des techniques de vectorisation et de fabrication des corps de rentrée suppose des sauts technologiques supplémentaires afin de faire construire les sous-systèmes isolément et les faire fonctionner de façon coordonnée. Ces sauts technologiques exigent plus de temps et plus d'argent, sauf à ce que ce que l'Iran bénéficie de l'aide de proliférateurs. Enfin, l'Iran, comme tous les proliférants adaptera vraisemblablement ses forces à la défense mise en place. Déjà en 1999, le centre national du renseignement américain déclarait : « Nous sommes certains que les pays qui développent des missiles balistiques, incluant l'Iran et la Corée du Nord développeront également des réponses aux défenses antimissiles balistique américaines de théâtre ou de territoire ». 45 ( * )
Que deviendrait la DAMB en cas de prolifération des missiles de croisière, voire de simples missiles à courte portée, mais à tête manoeuvrantes ? Si l'on écarte tout cela, et que l'on souhaite néanmoins se prémunir contre la menace balistique que faire ? Quel niveau d'ambition faut-il avoir pour sa défense ?
* 44 Voir notamment, pour une analyse européenne de la menace, le rapport établi par le ministère de la défense du Royaume-Uni en 2002 (Missile Defence : a public discussion paper p. 10) : « la menace balistique future : nous estimons qu'il n'y a pas de menace balistique significative pour le Royaume-Uni. Mais nous croyons que l'Irak, la Corée du Nord, l'Iran et la Lybie sont en train de chercher d'acquérir des missiles balistiques à longue portée avec la capacité de cibler le Royaume-Uni ou nos forces déployées. »
* 45 Propos rapportés par Robert G. Gard in Missile Defense Update 2011 : question remain Center for Arms control and non Proliferation