C. VERS UNE DIPLOMATIE À VOCATION MONDIALE
L'un des faits marquant de la présidence Lula aura été de dépasser l'horizon régional traditionnel pour déployer une diplomatie à vocation mondiale. Cette orientation se traduit par le resserrement des liens avec les grands pays émergents, par une intensification des actions diplomatiques hors des zones d'intérêt traditionnelles, par exemple le Moyen-Orient, et par des prises de position plus affirmées sur la gouvernance mondiale et les grands dossiers internationaux, en cohérence avec l'aspiration à des responsabilités internationales renforcées, et en premier lieu un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Très active ces dernières années, la diplomatie brésilienne prend cependant soin de ne pas paraître pêcher par excès d'ambition. Dans un récent entretien 3 ( * ) , le conseiller diplomatique de Mme Rousseff précisait que le Brésil n'entendait pas mener une diplomatie globale comparable à celle des Etats-Unis et avait « simplement essayé, à certains moments, de prendre des initiatives sur des questions qui n'avaient jamais été au coeur de la politique étrangère brésilienne », comme le Moyen-Orient, tout en ayant « recommencé à agir sur certains fronts qui avaient été délaissés », comme l'Afrique.
1. La multiplication des partenariats
La recherche de partenariats hors du continent américain a pris une ampleur nouvelle au cours de ces dernières années.
Les relations avec les « grands émergents » : les BRICS et l'IBAS
L'acronyme « BRIC », regroupant le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, a été « inventé » par un économiste de la banque Goldman-Sachs en 2001. Les dirigeants brésiliens ne manquent pas de le rappeler, en soulignant que le concept utilisé par les analystes ne revêt pas nécessairement une réalité politique.
Pourtant, les BRIC se sont réellement constitués en forum politique de consultation à Ekaterinbourg en juin 2009, et lors de leur dernier sommet tenu à Sanya, en Chine, au mois d'avril 2011, en présence de Dilma Rousseff, ils ont accueilli un cinquième membre, l'Afrique du Sud, devenant désormais le groupe des BRICS .
Ces cinq pays ont en commun leur croissance économique soutenue, le poids de plus en plus important qu'ils représentent dans l'économie mondiale et leur volonté affichée de refonder l'ordre international en faveur des grands pays émergents.
Ils peuvent se retrouver sur des convergences ponctuelles et peser sur certains débats.
Mais on peut se demander si, au sein de ce groupe, les intérêts divergents ne sont pas plus forts que le désir affiché de coopération.
Ainsi, le modèle économique brésilien diffère profondément de celui de la Chine, et l'expansion des échanges entre les deux pays s'effectue de manière déséquilibrée au détriment du Brésil. La croissance russe s'appuie largement sur l'exportation d'hydrocarbures et de matières premières.
De même, la coordination politique systématique entre les BRICS aux nations unies ne semble pas à l'ordre du jour.
On peut remarquer que lors du sommet des BRICS d'avril 2011, Dilma Rousseff n'a pas obtenu la moindre avancée sur le cours du yuan, alors qu'elle faisait de cette question l'un des points majeurs de ses préoccupations à l'égard de la Chine.
La relation Brésil-Chine est en effet marquée par la combinaison d'une interdépendance croissante et d'une vive concurrence.
De 2000 à 2008, les exportations du Brésil vers la Chine ont été multipliées par quinze en valeur. Le commerce bilatéral est passé de 2 milliards de dollars en 2000, à 56 milliards de dollars en 2010. Cette même année 2010, la Chine est devenue le 1 er partenaire du Brésil, avant les Etats-Unis.
Toutefois, ces échanges apparaissent de plus en plus déséquilibrés. Plus de 80 % des exportations brésiliennes proviennent de trois produits : le pétrole, le fer et le soja. L'industrie brésilienne se sent menacée par l'invasion de produits chinois à bas coûts et se plaint de ne pouvoir accéder au marché chinois.
De même, les autorités brésiliennes manifestent une certaine préoccupation face au flux soutenu des investissements chinois au Brésil, dans des secteurs comme l'agriculture, les mines ou le pétrole.
Au sein des BRICS, le Brésil et la Chine apparaissent ainsi tout autant partenaires que concurrents.
On peut relever qu'avant l'institutionnalisation des BRICS, le Brésil avait participé à la création en 2006, avec l'Inde et l'Afrique du Sud, du forum IBAS . Sans doute ce groupe est-il porteur de convergences plus fortes, notamment au plan politique.
Le renforcement des relations sud-sud
Le président Lula a voulu faire de l' Afrique l'une des priorités de sa politique étrangère. L'une des manifestations les plus visibles de cette orientation aura été l'ouverture de 18 ambassades brésiliennes dans des pays africains en 2 ans.
La politique africaine du Brésil possède des fondements anciens, au-delà des relations traditionnelles avec les pays lusophones. Lula a souhaité la relancer pour renforcer la cohésion interne de la société brésilienne, en valorisant l'héritage africain du Brésil, qui compte 76 millions d'afro-brésiliens, pour assoir la légitimité de son pays comme acteur international global et pour offrir de nouveaux débouchés aux produits brésiliens. Ainsi, de 2000 à 2007, le volume des exportations brésiliennes vers l'Afrique a été multiplié par six, les investissements brésiliens en Afrique s'étant élevés à 10 milliards de dollars en 2009, notamment au travers des grands groupes pétroliers et miniers.
Ces objectifs économiques s'accompagnent d'une politique d'aide au développement mettant l'accent sur l'expertise brésilienne en matière de développement agricole en zone tropicale.
Le Brésil a également cherché à développer ses relations avec le monde arabe et le Moyen-Orient . Il a oeuvré à la réunion de sommets entre les pays sud-américains et ceux de la Ligue arabe.
Le Brésil a reconnu l'Etat palestinien fin 2010.
Il a noué une relation forte avec le Liban et il s'est rapproché de la Turquie.
Brasilia et Ankara ont pris en 2010 une initiative commune sur le dossier nucléaire iranien, qui a toutefois été contestée par les pays occidentaux et prise en porte-à-faux par le vote de la résolution 1929 du Conseil de sécurité des Nations unies, en juin 2010.
Il y a dans cette politique active en faveur des liens sud-sud des motivations politiques : accroître l'influence du Brésil et contrebalancer celle des grandes puissances occidentales. Il y a également un objectif commercial, puisque 56 % des exportations brésiliennes vont vers des pays émergents ou en développement.
* 3 Politique internationale n°131 - printemps 2011