3. Les pollutions par les nitrates et les phosphates
a) La nécessité du traitement des eaux usées
Les rejets de nitrates et de phosphates dans les milieux marins résultent soit de ruissellements des terrains agricoles amendés, soit de certains rejets industriels. Mais la principale source de contamination par ces nutriments est l'insuffisance d'épuration des eaux domestiques usées .
Les stations dédiées à cette épuration comportent divers degrés de traitement combinant les procédés physico-chimiques et les procédés biologiques :
- un prétraitement : dégrillage, dessablage, déshuilage ;
- un traitement primaire de décantation avec récupération des boues ;
- un traitement secondaire qui combine des procédés physico-chimiques (aération et brassage suivis d'une nouvelle décantation) et des procédés biologiques aérobiques et/ou anaérobiques qui utilisent des bactéries pour absorber les nitrates et les phosphates ;
- et un traitement tertiaire (chlorification ou ozonification pour éliminer les germes pathogènes et variation du ph de l'eau pour décanter certains métaux lourds).
Si le traitement biologique secondaire qui réduit les termes en nitrate et phosphate n'est pas mis en place, l'excès de rejets de nutriments peut avoir des conséquences délétères sur les biotopes.
En particulier, des poussées d'eutrophisation qui se caractérisent par des efflorescences de phytoplancton (algues) toxiques ou non qui accaparent l'oxygène indispensable au détriment de la flore et des espèces locales 32 ( * ) .
En Méditerranée, ce phénomène peut avoir une incidence particulière du fait de la température élevée de l'eau. En effet, l'oxygène se dissout environ deux fois moins dans l'eau lorsque la température est de 24°C que lorsque la température est de 5°C.
D'où l'importance, d'un bon fonctionnement des stations d'épuration (STEP) pour éviter la contamination des milieux marins côtiers par les nutriments.
L'exemple de la ville d'Athènes traduit cette nécessité.
Avant 1996 les effluents y étaient rejetés sans traitement par un émissaire superficiel. La mise en service d'une station d'épuration et le rejet des eaux traitées par un émissaire implanté à 170 m de profondeur 33 ( * ) a diminué les niveaux d'eutrophisation et abouti à une amélioration de la qualité écologique des eaux :
b) La situation des stations d'épuration en Méditerranée
(1) Le bilan général
L'enquête menée sur 10 ans par le MEDPOL sur l'état de l'assainissement dans les villes de plus de 2 000 habitants montre des situations très contrastées.
A l'échelon méditerranéen, 40 % des villes de plus de 2 000 habitants (673 sur 1699) ne sont pas desservies par des stations d'épuration.
Ce pourcentage diminue à 31 % si on considère les villes de plus de 10 000 habitants.
Au niveau régional, il existe une différence marquée entre la rive Nord 34 ( * ) et la rive Sud. Au Nord, seules 11 % des villes de plus de 10 000 habitants n'ont pas de réseaux d'épuration, au Sud ce pourcentage atteint 44 %, la situation de l'Algérie paraissant particulièrement préoccupante :
Répartition des stations d'épuration des eaux usées sur le littoral méditerranéen
Source : MEDPOL, Plan Bleu
Ces résultats sont loin d'être satisfaisants mais ils masquent une situation de fait beaucoup plus dégradée sur la rive Sud :
- faute de financements réguliers (cf. infra les problèmes du prix de l'eau), un fort pourcentage des stations d'épuration y sont en mauvais état de fonctionnement ;
- beaucoup de ces stations ne sont équipées que pour les traitements primaires, ou secondaires sur la base des seuls procédés physico-chimiques, ce qui exclut la destruction des nitrates et des phosphates par des procédés biologiques ;
- et, le plus souvent, le littoral est mieux pourvu en STEP que l'intérieur dont la plupart des eaux usées arrivent également à la mer.
Au total, la plupart des personnes entendues sur ce point estiment que 60 à 80 % des habitants de la rive Sud du Bassin, soit ne sont pas reliés à des réseaux d'assainissement, soit sont desservis par des systèmes d'épuration incomplets ou au fonctionnement intermittent.
(2) Les missions effectuées en Tunisie et en Égypte
Sur la base de ce premier constat, votre rapporteur a essayé de déterminer avec plus de précisions la situation de l'épuration des eaux usées sur la rive Sud.
Les missions qu'il a effectuées à ce titre en Égypte et en Tunisie ne lui permettent pas de présenter un inventaire complet de la situation sur la rive Sud mais fournissent des éléments conduisant à une appréciation plus nuancée de ces situations .
La Tunisie
Indépendamment du regard que l'on pouvait porter à l'automne 2010 sur l'état de la démocratie dans ce pays, l'organisation de la protection de l'environnement en général, et le maillage des STEP urbaines sont apparus très satisfaisants.
Une des raisons de cet état de fait résulte de la rareté de la ressource en eau mais aussi de l'ancienneté des préoccupations environnementales et d'assainissement dans ce pays.
A la suite de poussées de choléra à Tunis au début des années 70, la Tunisie a créé un Office national d'assainissement de l'eau en 1974 (ONAS). Après plus de 30 ans d'activités, le bilan de cet office est impressionnant. La Tunisie possède 106 STEP (par comparaison, le Maroc 3) et 14 000 km de réseaux.
En 2009, 232 milliards de m 3 ont été épurés, ce qui correspond à 96 % de l'eau collectée par le réseau. Cette action sur les eaux domestiques est relayée par un programme visant les effluents industriels (il existe environ 1 000 installations industrielles polluantes). Dans ce cadre, le principe pollueur-payeur a été institué et des procédures mises en place pour traiter à part ces effluents, ce qui permet d'éviter qu'ils ne dégradent les STEP consacrées aux eaux usées domestiques.
L'ONAS, par ailleurs, accorde un intérêt particulier à la maintenance de ces stations et consacre une partie de ses moyens à l'amélioration des capacités de traitement des plus anciennes.
Deux problèmes demeurent :
- le raccordement aux réseaux des bourgs ruraux de l'intérieur, pour lesquels un programme a été lancé ;
- et, surtout, les rejets de phosphogypses dans le golfe de Gabès par le complexe de fabrication d'engrais de Ghannouch (70 millions de tonnes en 25 ans) qui a un impact très néfaste sur les biotopes :
- recul des herbiers de posidonie au profit de la caulerpe ;
- et diminution de la macrofaune des fonds (perte des deux tiers) associée à ces herbiers.
L'Egypte
Au regard de la Tunisie, il pourrait être tentant de considérer, a priori , l'Égypte comme un contre-exemple :
- eau abondante, celle du Nil, mais dont le cours et le delta concentrent plus de 95 % de la population sur moins de 5 % du territoire ;
- intérêt pour les questions environnementales très récent (c'est seulement en 2004 qu'un système cohérent de gestion de l'assainissement a été mis en place : EPIC dans chaque gouvernorat regroupés dans une compagnie holding qui assure une professionnalisation et une standardisation des procédures) ;
- arbitrage interministériel déficient,
- et, surtout, présence d'une très grande ville (Alexandrie, 4 millions d'habitants dans l'agglomération) et d'une conurbation d'échelle mondiale (Le Caire).
Le bilan que l'on peut tirer de la prise de conscience assez récente des autorités égyptiennes de la nécessité de traiter les eaux usées domestiques est contrasté :
- en dépit de progrès enregistrés (passage à un assainissement de base 35 ( * ) de 54 % à 95 % de la population), le volume des eaux traitées reste faible (8 millions de m 3 /jour contre un volume d'eau fourni de 25 millions de m 3 /jour), ce qui compte tenu des pertes et infiltrations correspond à un taux de traitement des eaux usées de l'ordre de 50 % ;
- à l'opposé, suivi des besoins d'assainissement des très grandes villes grâce à :
la concentration du schéma directeur du Caire sur 3 installations de traitement dont la station de Gabal el Afsah dont la capacité a été portée fin 2010 à 2,5 millions de m 3 /jour (ce qui en fait la plus grande station du monde) ;
et l'amélioration prévue du niveau de traitement (de primaire à secondaire de la rive Ouest) ;
l'amélioration des capacités et des niveaux de traitement des deux stations d'Alexandrie.
Ces efforts n'ont été rendus possibles que par la forte intervention des bailleurs de fonds extérieurs (Agence française de développement, Konzern für Wirschaft, Banque africaine de développement, Banque européenne de développement).
Mais des points noirs importants demeurent :
- la maintenance des différents équipements de traitement ;
- le sous-équipement des « bourgs » ruraux, en particulier ceux du delta du Nil dont certains peuvent être de vraies villes (avec des populations de plus de 10 000 à plus de 50 000 habitants) ;
- la surutilisation d'engrais dans le delta du Nil, les eaux de ruissellement étant récupérées par des drains, déversées vers des canaux puis dans les lagunes, puis enfin dans les eaux littorales.
Il est à noter que, lorsque l'intérêt à protéger les milieux marins renvoie à des intérêts économiques, le déploiement de STEP est facilité. Après s'être aperçu que l'insuffisance d'épuration des eaux usées menaçait les coraux de la mer Rouge qui sont un des principaux supports d'une activité d'observation sous-marine intéressant annuellement 3 millions de touristes, les autorités égyptiennes ont décrété des règles assez strictes pour que les équipements hôteliers qui s'installent sur cette côte comprennent des équipements de traitement des eaux usées.
c) L'inévitable question du prix de l'eau
Les deux exemples qui précèdent et qui n'analysent pas les situations les plus dégradées 36 ( * ) montrent que l'état de l'épuration des eaux usées sur la rive Sud est contrasté suivant les pays et suivant les secteurs d'activités de ces pays.
Une analyse de même type aurait pu être faite en Turquie où de très puissantes régies municipales assurent, dans de bonnes conditions, l'épuration des eaux domestiques mais où les effluents industriels sont moins contrôlés et où les bassins versants déversent leur lot d'eaux de ruissellement chargées d'engrais et de pesticides.
Mais au-delà de cette diversité, il existe une interrogation commune aux pays de la rive Sud dans ce domaine : comment faire payer l'eau à son juste prix, de la captation au traitement, à des populations qui n'ont pas les moyens de le faire ?
On a souvent évoqué le fait que le Coran interdisait de faire payer l'eau 37 ( * ) ou qu'il était difficile de la facturer à une population égyptienne qui vit sur le Nil et son delta et qui ne comprendrait pas pourquoi on lui ferait payer au prix fort une ressource qui semble illimitée.
Mais le niveau du prix de l'eau de ces pays est la conséquence d'une situation économique et de choix politiques.
Les Etats du Sud du bassin, font graduellement face aux besoins en équipements d'épuration 38 ( * ) (réseaux, stations), même dans de très grandes villes comme Le Caire.
Le principal problème réside dans l'exploitation de ces équipements (maintenance, formation des personnels). Les structures semi-publiques, qui gèrent l'accès à l'eau et à l'assainissement des eaux usées domestiques, sont confrontées à la faible solvabilité des usagers.
Il en résulte que l'eau est largement subventionnée et que, par voie de conséquence :
- le retour sur investissement de l'équipement n'est pas envisagé, ce qui limite d'autant de futurs déploiements ;
- des tarifs très bas sont appliqués pour les consommateurs les moins fortunés et assez bas pour les autres,
- et, le coût de l'assainissement n'entre qu'assez peu dans la tarification.
Dans ces conditions, il est illusoire d'espérer que des opérateurs privés ou publics indépendants puissent trouver un intérêt à prendre en charge le secteur de l'épuration, comme c'est le cas sur la rive Nord.
Il en résulte que faute de pouvoir faire payer le coût de l'adduction comme celui de l'épuration, l'état de la maintenance des stations peut laisser à désirer.
Et il est peu probable que les événements politiques de l'hiver 2010-2011 puissent être un facteur d'amélioration de cette situation, car l'on imagine mal, qu'à court terme, des autorités plus démocratiques puissent courir le risque d'une augmentation de la tarification.
* 32 Surtout celles qui n'ont pas de possibilité de migration.
* 33 Il s'agissait prioritairement de libérer les eaux superficielles de baignade de bactéries pathogènes.
* 34 Historiquement, on doit tempérer ce constat en notant que plusieurs états de la rive Nord ont été avertis par la Commission ou condamnés par la Cour de Justice des Communautés Européennes (dont la France en 2004) pour application insuffisante de la directive de mai 1991 sur l'épuration des eaux résiduaires. Une visite auprès de la DG Environnement de la Commission a établi que cette situation était en voie de normalisation dans l'ensemble des pays membres.
* 35 Selon les normes OMS.
* 36 On a précédemment cité le cas de l'Algérie, mais votre rapporteur a dû renoncer à aller en Syrie où il semblait impossible d'obtenir des informations.
* 37 Ce qui n'est que très partiellement exact.
* 38 On a dépassé, sur ce point, ce que certains appelaient le syndrome de la Banque mondiale qui, dans le passé, a implanté au Liban une STEP sans que celle-ci soit reliée à la ville voisine.