III. UN RENFORCEMENT INÉGAL DES DIFFÉRENTES STRUCTURES EN CHARGE DE L'ANTICIPATION
Comment la capacité d'anticipation stratégique a-t-elle été renforcée depuis 2008 ? Comme l'ont parfaitement résumé plusieurs des personnalités entendues dans le cadre de la préparation de ce rapport : « Malgré la volonté politique, indéniable, il n'y a pas eu de réel changement depuis 2008. ». Ce constat recouvre pourtant des réalités un peu plus nuancées.
L'examen des faits amène à poser un diagnostic clair : contrairement à la réforme du renseignement, il n'y a pas eu depuis 2008 de réelle accentuation de l'effort en matière d'anticipation stratégique . Il faut souligner toutefois d'emblée la difficulté qui s'attache à appréhender et à structurer une matière par nature plus « immatérielle » que le renseignement.
A. UNE PRISE EN COMPTE INDÉNIABLE DE CETTE FONCTION AU SEIN DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
1. Le renforcement des capacités du ministère de la défense : consolidation et coordination
Depuis 2008, et dans la lignée de l'impulsion donnée par le Livre blanc, le ministère de la Défense a engagé un processus de consolidation de la fonction de prospective, en réorganisant et accroissant les moyens qui lui étaient dédiés, tout en faisant émerger un réseau entre les différentes entités du ministère, favorisant l'approche multidisciplinaire.
On peut souligner en particulier la création, en 2010, du Comité de cohérence de la recherche stratégique et de la prospective de défense (CCRP).
a) Le CCRP, organe de « gouvernance » de la recherche stratégique de défense
Créé en septembre 2010, le CCRP est un organisme de « gouvernance » de la prospective de défense, qui a pour mission d'animer la recherche stratégique et la prospective et de développer sa cohérence globale. Il tend à renforcer l'intégration des différents travaux du ministère, et agit autant dans le cadre national qu'international.
Ce comité, qui dispose d'un secrétariat permanent assuré par la délégation aux affaires stratégiques, réunit, en sous-comités spécialisés, tous les acteurs concernés du ministère (représentants de la direction des affaires stratégiques, de l'état-major des armées, de la direction générale de l'armement, du secrétariat général pour l'administration et de la direction de l'enseignement militaire supérieur). Il peut consulter, en tant que de besoin, les états-majors de chacune des armées, la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement militaire, la délégation à l'information et à la communication de la défense.
Parmi ses missions figure la coordination des études prospectives du ministère de la défense : identification d'axes annuels prioritaires de recherche, élaboration d'un programme annuel des études prospectives de défense à caractère politico-militaire, économique et social, proposition de partenariats avec les organismes ou institutions en charge d'études politiques et prospectives. Ces orientations stratégiques prennent en compte les besoins spécifiques des différentes parties prenantes (DAS, Etat-major, DGA, Secrétariat général) et traitent tant de l'actualité stratégique que de dossiers de fond : lutte contre la prolifération, terrorisme, PESDC...
Il définit le contrat d'objectifs et de moyens de l'IRSEM et est chargé d'élaborer les positions « défense » en liaison avec le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS).
MISSIONS DU CCRP
Arrêté du 15 octobre 2010 portant création au sein du ministère de la défense d'un comité de cohérence de la recherche stratégique et de la prospective de défense, art. 2 : Le CCRP : - Anime la prospective de défense et veille à la cohérence globale des travaux dans ce domaine ; propose au ministre de la défense la politique générale en matière de réflexion stratégique du ministère de la défense, et notamment la politique générale en matière d'études stratégiques ; - Soumet à l'approbation du ministre de la défense le contrat d'objectifs et de moyens de l'institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) ; - Élabore un bilan annuel des actions réalisées qu'il adresse au ministre de la défense ; - Prépare la position du ministère de la défense auprès du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS) et participe aux travaux interministériels en matière de recherche stratégique et de prospective de défense. |
b) La consolidation des moyens propres de la direction aux affaires stratégiques (DAS) dans le cadre du programme budgétaire 144
S'appuyant sur les préconisations du Livre blanc, qui disposait explicitement que « Les capacités d'analyse stratégique et de prospective du ministère seront accrues et placées sous un pilotage unique, assuré par la délégation aux affaires stratégiques », la DAS a elle-même renforcé ses capacités depuis 2008.
La DAS préside le comité directeur du CCRP ; son directeur est le gestionnaire du programme budgétaire 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » ; elle dispose à ce jour de 132 personnels.
L'action « analyse stratégique » du programme 144 qui regroupe les crédits d'études est dotée de 4,5 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2011, en forte augmentation (3,5 millions d'euros en 2010). Les subventions aux publications de recherche stratégique sont maintenues en loi de finances pour 2011 à 200 000 euros, comme en 2010.
En 2007, la prospective disposait d'un maigre budget et employait 3 personnes seulement ; aujourd'hui une sous-direction entière lui est consacrée. A l'été 2009, une nouvelle sous direction « Politique et prospective de défense » a en effet été créée au sein de la DAS, des personnels ont été recrutés et des moyens spécifiques mis en oeuvre. Cette sous-direction est chargée de conduire des analyses prospectives transverses et thématiques, de participer aux travaux de réflexion et d'anticipation stratégiques, aux travaux capacitaires et technologiques et de développer les échanges avec les futures élites étrangères pour diffuser la pensée stratégique française.
En outre, un effort particulier a été fait pour conduire des réflexions transversales, sur de nouveaux sujets. Ainsi par exemple des experts sectoriels ont été recrutés (Afghanistan, enjeux religieux...), le fonctionnement en réseau a été développé avec les autres institutions de recherche.
Les sujets d'étude ont été élargis , à des sujets globaux comme la crise financière internationale, (résilience des pays émergents, impacts sur l'appareil de défense...), ou à des approches régionales (par exemple sur la zone « Afpak », Afghanistan/Pakistan, « évolution de la relation militaires - civils », « politique étrangère indienne » dans la zone...).
Les réflexions stratégiques à caractère transversal se multiplient sur des thèmes tels que : « La gouvernance mondiale », « La sécurité environnementale », « La résilience », « L'externalisation », etc.... Le but est d'élaborer des documents courts et conclusifs.
Pour rendre plus opérationnelle la recherche stratégique, le document « Perspectives géostratégiques à 30 ans » a été rénové et est désormais nourri d'un éclairage amont, et élaboré avec des outils et des méthodes nouveaux, comme la construction systématique de scénarii, la constitution de laboratoires de travail en groupe, le développement d'outils de veille nouveaux....
Comme les auditions menées par votre rapporteur l'ont révélé, depuis le Livre blanc, les activités ont été réorientées au profit systématique d'une logique d'aide à la décision : les productions sont pensées dès l'origine pour faire l'objet d'une exploitation directe par les décideurs. Dans cette optique, l'accent est mis sur les études plus opérationnelles, à un terme plus rapproché.
La DAS s'appuie sur la commande d'études extérieures à des centres de recherche, cabinets d'experts, instituts, pour un montant de 4,2 millions d'euros en 2011. En 2011, près de 85 études devraient être commandées. En outre la diffusion de ces études fait l'objet d'un soin particulier puisque 200 d'entre elles ont été numérisées et diffusées sur le site Internet de la DAS et en intranet (intradef). La DAS passe également des marchés pour des « Observatoires pluriannuels ».
Enfin, la DAS a renforcé depuis 2008 ses relations avec des partenaires étrangers, en particulier avec les Etats-Unis et le Royaume Uni, et engagé une étude prospective conjointe franco-allemande sur la marine chinoise. Le projet annuel de performances du programme 144 dans le projet de loi de finances comporte d'ailleurs un indicateur relatif au taux de coopération européenne en matière d'études prospectives et stratégiques, dans lequel sont comptabilisées les études « à thématique européenne » menées soit avec un centre de recherche européen, soit avec plusieurs centres de recherche, dont un européen. Selon cette définition, le taux de coopération prévisionnel est de 33 % en 2010, de 35 % en 2011, pour une cible de 39 % en 2013.
c) La création d'un pôle « prospective » auprès du chef d'État-major des armées
Un pôle de prospective stratégique a été créé auprès du chef d'État-major des armées à l'été 2010. Il travaille en réseau avec les autres cellules de prospective du ministère (DAS, DGA, Secrétariat général, etc...). Le CICDE est placé sous sa tutelle. Son rôle est complémentaire de celui de la DAS, en ce qu'il est axé plus particulièrement sur la stratégie militaire et la construction de l'outil de défense.
Cette cellule peut se décrire comme des « phares à longue portée 16 ( * ) » éclairant l'avenir au bénéfice du chef d'État-major des armées.
Il faut aussi citer le rôle du Groupement d'anticipation stratégique , le GAS, qui se réunit tous les 6 mois autour du chef d'État-major les différentes structures en charge de la prospective et passe en revue les sujets pour définir et hiérarchiser les priorités.
Enfin, des cellules d'anticipation stratégique (CAS) peuvent être créées pour suivre telle ou telle crise en particulier et suivre son évolution dans la durée, sur la base de réunions mensuelles (le type de sujets traités peut être par exemple le nucléaire iranien, ou AQMI dans la zone sahélienne...).
d) La montée en puissance de L'IHEDN
En 1948, l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) succède au Collège des hautes études de défense nationale, fondé par l'amiral Castex en 1936. Cet institut a vocation à former de hauts responsables , civils et militaires, aux questions de défense appréhendées dans une vision dépassant le seul cadre militaire et de promouvoir, au sein de la Nation, toutes connaissances utiles en la matière.
Accomplissement d'une démarche menée sous l'égide du concept de défense globale, l'IHEDN est placé sous la tutelle du Premier ministre en 1979. En 1997, l'Institut devient un établissement public administratif, doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière.
S'inscrivant dans la logique nouvelle de sécurité nationale proposée par le Livre Blanc, la réforme de l'IHEDN l'a conduit à fusionner, au mois de janvier 2010, avec le Centre des hautes études de l'armement (CHEAr). L'IHEDN contribue désormais aux formations organisées par le ministère des Affaires étrangères et européennes et s'est rapproché de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).
Conforté dans son identité, le nouvel IHEDN forme, désormais, un pôle "défense-affaires étrangères", lieu de formation, de réflexion et de débats de haut niveau sur les questions de défense et d'affaires internationales, ouvert sur le monde et ancré dans l'espace européen.
Ses missions ont en effet été élargies aux questions de politique étrangère, d'armement et d'économie de défense.
À ce titre, l'Institut réunit des responsables de haut niveau appartenant à la fonction publique civile et militaire ainsi qu'aux différents secteurs d'activité de la Nation, des États membres de l'Union européenne ou d'autres États, en vue d'approfondir en commun leur connaissance des questions de défense, de politique étrangère, d'armement et d'économie de défense.
En outre, il contribue à promouvoir et à diffuser la pensée française sur ses trois champs disciplinaires. À cette fin, il coopère avec les autres organismes chargés de la diffusion des savoirs en matière de défense et de politique étrangère, notamment les universités et les centres de recherches.
Depuis plus de soixante-dix ans, par la diversité de ses formations et de ses auditeurs, civils et militaires, français et étrangers, l'IHEDN est un lieu incontournable de diffusion des savoirs, de sensibilisation et de rayonnement.
Selon leurs champs de compétences, ses formations se déclinent en sessions nationales " Politique de défense " et " Armement et économie de défense ", en sessions régionales, en cours européens et en sessions internationales.
L'Institut organise également des séminaires ciblés qui s'adressent à des publics diversifiés, élus, magistrats, préfets, jeunes de 20 à 30 ans, étudiants des universités et grandes écoles, ... ou thématiques comme l'intelligence économique ou la gestion civilo-militaire des crises extérieures.
Chaque année, l'ensemble des formations de l'Institut concerne environ 2500 auditeurs, et s'appuie sur une pédagogie originale : d'une durée compatible avec l'exercice de responsabilités opérationnelles de haut niveau, les formations reposent sur un partage d'expériences entre hauts responsables issus du service public et de la société civile qui dépasse les segmentations socioprofessionnelles et nationales.
Cette pédagogie se décline en plusieurs axes :
* les « travaux en comités » basés sur la complémentarité des profils des participants ;
* les « conférences-débats » au cours desquelles s'expriment des intervenants de haut niveau ;
* les « visites et missions d'études » sur le terrain qui permettent une approche concrète de l'enseignement dispensé ;
* les exercices de « mise en situation » de prise de décision dans un environnement stratégique et la rédaction collective de « notes de position ».
Les thèmes d'études sont définis à partir des domaines d'actualité traités sous l'angle de la politique de défense, de la politique étrangère, de la politique d'armement et de l'économie de défense.
l'IHEDN a noué des coopérations internationales avec la National Defense University de Washington (NDU), le Royal College of Defense Studies de Londres (RCDS) et la Bundes Akademie für Sicherheit de Berlin (BAKS).
e) L'IRSEM, une vocation fédératrice
Créé au sein du ministère de la Défense dans le cadre de la constitution à l'école militaire d'un « pôle universitaire de défense », l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM), a reçu pour mission de renforcer la recherche stratégique de défense française. L'IRSEM rassemble des structures de recherche existantes (CEREM, C2SD, CEHD et CHEAr 17 ( * ) ). Sa création s'inscrit directement dans le cadre des orientations proposées par le Livre blanc (p.306 et s., « Les instruments de la recherche et de la prospective »).
A cette fin, quatre types d'action sont identifiés comme prioritaires, et sont menés en coordination avec le comité de conduite de la recherche et de la prospective (CCRP) du ministère de la Défense :
a) le renforcement de la recherche française en matière de défense, par la production d'études internes, la proposition de commande et le pilotage d'études externes, au bénéfice de l'expertise du ministère de la défense,
b) l'encouragement aux jeunes chercheurs sur les questions de défense, afin de favoriser l'émergence d'une relève française en matière d'études stratégiques : le programme « jeunes chercheurs » vise à encourager l'émergence d'une relève stratégique. Réunis régulièrement en séminaire, les jeunes experts de I'IRSEM bénéficient de bourses doctorales et postdoctorales, et d'un soutien à la fois financier et logistique pour conduire leurs recherches ;
c) le rayonnement et la diffusion de la pensée stratégique française en Europe et à l'international , ainsi que son inscription dans les réseaux internationaux en la matière, grâce à un renforcement de la relation avec le monde de la réflexion sur les questions de défense : Université, recherche, think tanks, en France et à l'étranger,
d) Le soutien à l'enseignement militaire supérieur
L'IRSEM est constitué d'une équipe de direction, d'une direction des études rassemblant 8 directeurs de domaines d'études et d'un pool de recherche comptant 24 chargés d'études ; le tout soutenu par une équipe d'assistance à la recherche de 9 personnes. A l'horizon 2012, l'IRSEM devrait rassembler 49 personnes dont environ 35 chercheurs.
L'activité recherche de l'institut s'articule autour de 8 domaines d'études : étude des nouveaux conflits ; pensée stratégique et nouveaux concepts ; armement et prolifération ; sécurité européenne et transatlantique ; sécurités régionales comparées ; défense et société ; histoire de la défense et de l'armement ; enjeux juridiques de la défense.
L'IRSEM a été formellement mandaté pour développer les relations avec l'université, en prévision notamment de la création d'une filière ad hoc « relations internationales » ; une chaire « défense » pourrait ainsi voir le jour prochainement, en liaison avec une grande école.
f) Les autres actions menées au sein du ministère de la Défense
Depuis le Livre blanc, les missions du Centre interarmées de concepts et de doctrines et d'expérimentations (CICDE) ont été réorientées au profit de la prospective opérationnelle et ses personnels renforcés (34 personnes, dont 18 officiers supérieurs des 3 armées, des représentants de la gendarmerie et de la DGA, avec un accroissement prévu de 8 personnes à l'été 2012). Cet organisme a pour mission d'établir le corpus doctrinal nécessaire aux forces pour mettre en oeuvre efficacement les capacités militaires, dans le cadre des missions confiées aux Armées, en dehors et sur le territoire national.
La prospective opérationnelle consiste à rechercher les différentes formes que pourraient prendre les engagements militaires futurs. Intégrée à la prospective de défense, elle a pour but d'orienter les choix du présent en éclairant les tendances probables et en imaginant les inflexions possibles de ces tendances (ruptures).
Organisme encore jeune (il a été créé par l'arrêté du 21 avril 2005), le CICDE travaille en étroite collaboration avec les centres de doctrines des Armées de terre, de l'air et de la marine, ainsi qu'avec ses homologues étrangers. Associé aux travaux sur la stratégie générale militaire, il est aussi un acteur de la prospective de défense en lien avec la Délégation aux Affaires Stratégiques (DAS) et avec la Direction Générale pour l'Armement (DGA).
Le coeur de la production du centre est constitué de deux types de documents : les concepts qui répondent à la question « pour quoi faire ?» et les doctrines qui définissent le « comment faire ?».
Il s'agit de préciser les capacités militaires nécessaires pour faire face aux menaces, en se fondant sur le retour d'expérience des conflits et exercices majeurs. Considéré comme une « boîte noire », le CICDE accepte en « entrée » des informations nombreuses, diverses et variées : résultats de recherches stratégiques, données en provenance des travaux de prospective géopolitique, retour d'expérience opérationnelle ... et délivre en « sortie » des concepts exploratoires, des concepts et des doctrines ainsi que des recommandations capacitaires, fruit des expérimentations menées.
Ses travaux en cours concernent par exemple la défense anti-missile balistique ou l'emploi des drones dans les conflits armés. Un effort de diffusion sur Internet des travaux non confidentiels du CICDE a été entrepris.
Comme l'a détaillé le général de division Vincent Lafontaine, directeur du centre, lors de son audition devant la commission des affaires étrangères, le CICDE constitue le point d'entrée national pour les travaux ayant trait aux concepts et doctrines interarmées, ainsi que pour ceux concernant les expérimentations de concepts et doctrines qui sont menés au sein de l'Union européenne (UE), de l'organisation du traité de l'Atlantique-Nord (OTAN), ou chez les principaux alliés de la France.
A ce titre, le CICDE :
- représente la France au sein des instances internationales en charge de l'élaboration des concepts et des doctrines interarmées ;
- contribue à l'élaboration des concepts et des doctrines militaires développés au sein de l'UE et de l'OTAN.
La Direction générale de l'armement (DGA) est quant à elle chargée de la prospective en matière technologique : elle définit les priorités technologiques et les solutions possibles pour l'élaboration des systèmes d'armes, en s'appuyant notamment sur les études « amont ».
2. La volonté de fédérer les efforts publics et privés en matière de recherche
A la suite de la mission confiée à Alain Bauer sur la recherche et la formation aux missions de fonction stratégique, un Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS) a été créé en novembre 2009, sous la forme d'un groupement d'intérêt public réunissant des ministères, des établissements d'enseignement, de formation et de recherche, mais aussi des entreprises privées.
Le CSFRS vise à fédérer et dynamiser la recherche de défense et de sécurité. Il a pour objet le soutien, la coordination, et l'animation des efforts développés en matière de recherche stratégique et de formation dans les domaines de la sécurité et de la défense, de façon à permettre l'élaboration et l'actualisation d'instruments de référence au niveau international. Sa particularité est de lancer des appels à projets thématiques mais également « non thématiques », de manière à favoriser l'émergence de nouveaux sujets de recherche.
Il organise des Assises nationales annuelles de la recherche stratégique (en 2010 sur le thème : « Anticiper les ruptures stratégiques » ; en 2011 sera abordé le thème : « France, Europe, Monde, flux et tensions stratégiques, les États à la croisée des chemins »).
Ses ressources sont composées à parité de contributions publiques et privées (neuf entreprises participent au CSFRS : Sanofi-Aventis, EADS, Euro RSCG, EDF, Total, SNCF, SAFRAN, la RATP, ainsi que la Caisse des dépôts, Veolia environnement ayant fait acte de candidature).
Son rapport annuel pour l'année 2010 fait état d'un coût de fonctionnement annuel de 200 000 € (à noter que du personnel est mis à disposition par les différents ministères et que ses locaux sont situés à l'École militaire) et d'une enveloppe totale pour les études de 900 000 €, qui n'a pas été consommée en 2010, en raison de la relative jeunesse de l'organisme, comme cela est expliqué dans son rapport annuel :
EXTRAITS DU RAPPORT D'ACTIVITÉ DU CSFRS 2009-2010
La répartition des postes de dépenses La dépense couvre trois grands postes : - le fonctionnement (200 000 €) ; - les assises, séminaires et colloques (100 000 €) ; - le budget dédié à la recherche, aux études et aux appels à projets (900 000 €). Les ressources affectées aux études et recherches sont restées intactes jusqu'au dernier trimestre, le CSFRS n'ayant prévu de lancer des appels à projets qu'à partir de juin, les premiers versements intervenant en fin d'année à la fin de la procédure d'examen des réponses reçues et de conventionnement avec les dossiers retenus pour l'aide. |
Source : Rapport d'activité 2009-2010, www.csfrs.fr
Les divers entretiens menés par votre rapporteur n'ont pas encore permis de dégager une vision uniforme et partagée du rôle de ce nouvel organisme, et de sa place exacte dans l'écosystème de la pensée stratégique française. Les éléments manquent pour en juger objectivement, compte tenu de la jeunesse de cet organisme.
Un bilan plus précis serait sans doute utile, dans le cadre des réflexions pour la révision du Livre Blanc.
3. Le développement d'outils originaux : l'exemple de la base de données Osiris
Pour s'adapter à la montée des nouvelles menaces, certaines initiatives particulièrement novatrices ont vu le jour depuis 2008.
Conçu par la CEIS 18 ( * ) (Compagnie européenne d'intelligence stratégique), société française d'intelligence économique fondée par notre ancien collègue député Olivier Darrason, pour la délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, cette application exploite systématiquement toutes les informations (rencontres à haut niveau, échanges technologiques..) disponibles sur les relations entre pays du Sud, notamment dans les domaines clés tels que la défense, la sécurité, l'armement, l'aéronautique ou le nucléaire civil.
La somme d'information disponible est impressionnante : 96 pays sont observés, via 546 sources « ouvertes » 19 ( * ) : médias, ministères, think tanks et blogs. Opérationnelle depuis décembre 2010, cette base de données permet, à l'aide de mots-clés, de visualiser l'information en continu sous forme de cartes, d'histogrammes ou de tableaux.
Osiris fait clairement partie d'une logique de « décèlement précoce ». Cette base a vocation à révéler des tendances sous-jacentes comme par exemple l'intensification des relations entre la Corée du Sud et Abou Dhabi, préalable au rejet du réacteur nucléaire français EPR par les Émirats au profit de la technologie sud-coréenne. Un rapprochement qu'il est plus difficile d'anticiper sans disposer de ce genre d'outil novateur.
L'existence de cette plate-forme d'alerte, de partage de l'information et de la connaissance sur les problématiques de défense et de sécurité entre les pays du Sud pourrait combler un manque évident. Les « émergents » contestent l'ordre et l'équilibre anciens et, parmi les instruments de cette contestation, la relation Sud-Sud apparaît comme un outil utile de leur stratégie de conquête. Ce sont bien des relations Sud-Sud que peuvent survenir les modifications majeures des équilibres régionaux. Leur analyse peut mettre à jour une série de flux susceptibles de contribuer à la prolifération, au contournement des régimes de sanctions, à l'équipement militaire et logistique de forces durablement adverses à nos intérêts stratégiques et géopolitiques.
L'idée de base d' Osiris est bien de détecter des « signaux faibles », avant-coureurs, dans une logique de renforcement de la fonction « connaissance - anticipation ».
* 16 Expression utilisée par le contre-amiral de Oliveira pendant son audition
* 17 Acronymes développés en annexe du présent rapport
* 18 Informations tirées d'un article du quotidien Libération « Osiris tient le sud à l'oeil », mars 2011, http://www.liberation.fr/politiques/01092324690-osiris-tient-le-sud-a-l-il
* 19 Source : Ibid