IV. LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE (PJJ) : DES SERVICES GLOBALEMENT EN ORDRE DE MARCHE
La PJJ constitue le troisième maillon de la chaîne de la justice à La Réunion et Mayotte . Comme sur l'ensemble du reste du territoire national, ses services et ses personnels sont engagés dans le processus de réforme de cette administration, initié en 2007. La rationalisation des moyens va de pair avec le nécessaire effort d'adaptation aux problématiques locales, en particulier le défi posé par le nombre croissant de mineurs isolés à Mayotte.
A. LA RATIONALISATION DES MOYENS À LA RÉUNION
Sur une île qui n'est pas épargnée par la crise économique et les tensions sociales, la PJJ poursuit aujourd'hui sa mue . Le recentrage de ses missions et la recherche d'une optimisation de ses moyens ne vont certes pas sans difficultés : la conduite du changement n'est jamais un chemin aisé à emprunter. Le dynamisme des équipes à La Réunion et leur implication au quotidien incitent toutefois à un optimisme raisonnable pour l'issue de ce processus.
1. La conduite de la réforme
Pour la PJJ, la RGPP se décline depuis quatre ans dans le cadre de la mise en oeuvre de son premier projet stratégique national (PSN) . Défini dès 2007, ce projet peut se définir comme une programmation stratégique sur la période 2008-2011. Il s'est notamment traduit par une réduction du nombre de directions régionales, celles-ci passant de quinze à neuf. L'évolution des services de la PJJ à La Réunion s'inscrit naturellement dans cette importante réorganisation.
a) L'organisation et les relais de la PJJ à La Réunion
La direction territoriale (DT) de la PJJ à La Réunion est chargée de la mise en oeuvre de la politique de prise en charge de la jeunesse délinquante ou en danger, de la gestion des moyens du secteur public de la PJJ, du contrôle et de l'activité des services sur La Réunion (et aussi sur Mayotte). Elle est responsable de la mise en oeuvre opérationnelle des décisions des magistrats.
Son action est placée sous l'autorité d'une direction inter-régionale (DIR) : la DIR Ile-de-France / Outre mer . Cette direction est elle-même compétente en matière d'animation et de contrôle du secteur public de la PJJ. En outre, elle habilite et contrôle les structures et les services du secteur privé prenant en charge des mineurs confiés par la justice.
Dans cette organisation territoriale, un troisième niveau de responsabilité, placé cette fois-ci sous le contrôle de la DT de La Réunion, correspond aux divers établissements et services concourant à l'exercice de la mission de la PJJ. Sur décision judiciaire, un mineur peut en effet faire l'objet d'un placement dans un établissement de placement éducatif (EPE) ou un centre éducatif fermé (CEF) et/ou faire l'objet d'un suivi en milieu ouvert. S'il est condamné à une peine d'emprisonnement, il est incarcéré soit en établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM), soit en quartier des mineurs en maison d'arrêt.
Les deux cartes ci-après présentent la répartition de ces établissements et de ces services sur l'île.
FAE : Foyer d'action éducative
SEAT TGI : Service éducatif auprès du tribunal
DDPJJ : Direction de la protection judiciaire de la jeunesse
CAEMO/UHD : Centre d'action éducative en milieu ouvert et unité d'hébergement diversifiée
STEMO : Service territorial éducatif de milieu ouvert
STEMOI : Service territorial éducatif de milieu ouvert et d'insertion
EPEI : Etablissement de placement éducatif et d'insertion
UEHC : Unité éducative d'hébergement collectif
UEAJ : Unité éducative d'assistance de jour
UEMO : Unité éducative en milieu ouvert
GIED : Groupement d'interventions éducatives diversifiées
AEJR : Association pour l'éducation de la jeunesse réunionnaise
AASSPIF : Association d'action sociale et sanitaire pour la prévention, l'insertion et la formation
AREL : Association réunionnaise d'entraide aux libérés
Dans cette organisation, la DT de La Réunion peut ainsi s'appuyer non seulement sur le secteur public mais aussi sur le secteur associatif habilité (SAH) . Au sein de celui-ci, on distingue traditionnellement les services d'hébergement (GIED Félix Potier, Centre éducatif fermé de Sainte-Anne ou Centre éducatif renforcé de la Plaine des Cafres, par exemple) des services de milieu ouvert .
Lors de son déplacement, votre rapporteur spécial a pu visiter l'UEAJ de Saint-Denis et s'entretenir non seulement avec l'équipe l'animant mais aussi avec les jeunes qui y sont pris en charge .
Cette unité éducative travaille sur un « module d'acquisitions » d'un certains nombre de connaissances ainsi que de savoir-être élémentaires. Elle a mis en place différents ateliers : « éducation nationale », « atelier pédagogique de restauration », « atelier de sécurité routière », « atelier de chantier d'insertion », « atelier sur des supports culturels et sportifs ».
L'ensemble des structures d'accueil sont en étroite interdépendance , en fonction du parcours suivi par les jeunes pris en charge.
Au-delà, la PJJ noue également, autant que faire ce peut, des partenariats . Parmi ses partenaires, on peut notamment citer les Missions locales, la préfecture, l'office national des forêts (ONF), l'éducation nationale, le conseil général ou le conseil régional.
A cet égard, lors de son audition par la mission commune d'information sur la RGPP 41 ( * ) , Jean-Louis Daumas, directeur de la PJJ, a souligné qu' « en ce qui concerne la mission de l'enfance en danger, la loi de 1986 42 ( * ) et les deux lois de 2007 43 ( * ) ont transformé radicalement les relations entre l'Etat et les départements » . Il a précisé que « pour la PJJ, le département est devenu la structure de proximité qui prend en charge la personne humaine depuis le petit âge jusqu'à la fin de vie ».
Lors de ses échanges avec votre rapporteur spécial, Christiane Tetu-Wolff, directrice territoriale, a fait part de certains progrès accomplis au cours des dernières années en matière de travail en commun entre la PJJ de La Réunion et le conseil général . Elle a ainsi cité, par exemple, le contrôle conjoint sur les maisons d'enfants, mis en place depuis 2009, et diverses autres missions de contrôle et d'audit conjointes 44 ( * ) .
Elle a néanmoins aussi regretté un certain manque d'allant du conseil général à oeuvrer de concert avec la PJJ . Elle a ainsi déploré, par exemple, l'absence d'un observatoire de la délinquance à La Réunion.
Ce constat ne surprend guère. Il renvoie, plus généralement, aux difficultés éprouvées par les collectivités territoriales dans l'exercice de compétences transférées . Ces difficultés trouvent sur le terrain de l'aide sociale à l'enfance, de la protection de l'enfance en danger et de la prise en charge des mineurs délinquants ou en danger, une illustration aussi concrète que problématique.
b) Le défi du pilotage des ressources humaines
Tout changement d'organisation s'accompagne de l'impératif d'une gestion adaptée des ressources humaines, et cela d'autant plus lorsque cette restructuration se double d'une réduction des effectifs . Or, tel est le cas aujourd'hui au niveau de la PJJ.
Sous l'effet de la RGPP, la réorganisation de cette administration est conduite de front avec une suppression de postes .
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, votre rapporteur spécial avait souligné que « les suppressions d'emplois [au sein de la PJJ] ne concernent que les fonctions support » 45 ( * ) .
Il avait toutefois aussi considéré qu' « un seuil a probablement été atteint et qu'il est désormais difficile d'aller encore au-delà en matière de réduction des effectifs de la PJJ » .
Dans ce contexte, le cas de La Réunion représente un bon exemple des tensions auxquelles donne lieu la mise en oeuvre de la RGPP au sein de la PJJ .
Il existe un réel sentiment de frustration et d'inquiétude parmi les personnels de ces services. A l'origine de ce malaise se trouvent l'insuffisance des effectifs ou le sentiment qu'ils sont insuffisants pour mener à bien les missions confiées. Parmi les difficultés remontées à votre rapporteur spécial, on peut notamment citer le manque d'un chef de service pour chaque UEAJ, la difficulté à dégager du temps pour traiter tous les partenariats et conduire toutes les réunions/négociations nécessaires, le non-renouvellement d'un contractuel, le retrait programmé des éducateurs de la PJJ des classes relais où ils intervenaient jusqu'à présent...
Certaines expressions utilisées sont révélatrices du malaise traversé : « On est dans la marche forcée », « On ne peut plus faire le travail de qualité qui était le nôtre auparavant » , « On a de moins en moins de temps pour faire de l'éducatif réel », « On n'en peut plus ». Pour résumer cet état d'esprit, Christiane Tetu-Wolff, directrice territoriale, a ainsi indiqué à votre rapporteur spécial : « Je n'ai plus que des personnels dans la plainte ».
Ce climat, qui ne nuit toutefois pas à la sérénité d'ensemble des équipes dans leur travail au quotidien, ne doit pas être sous-estimé . Il témoigne d'un certain désarroi et appelle une réponse de la part de la direction de la PJJ.
Cette réponse peut passer par des mesures budgétaires, mais pas uniquement. Il est en effet apparu à votre rapporteur spécial que nombre des personnels de la PJJ à La Réunion y étaient depuis fort longtemps. Certains de ces agents ont d'ailleurs pu être attirés par l'outre-mer du fait du système de sur-rémunération accordée sur ces postes. En dépit de la bonne connaissance de l'île et de son environnement socio-culturel qu'ils y ont développée, faut-il pour autant se satisfaire du manque de mobilité de certains personnels ? L'immobilisme professionnel ne peut satisfaire ni l'administration, ni le fonctionnaire lui-même. Il rime trop souvent avec rigidités, « enkystement » et absence de perspectives motivantes.
Dans cette perspective, votre rapporteur spécial estime que la direction de la PJJ doit travailler sur les parcours de ses agents afin de les rendre aussi mobiles que possible, en particulier dans les départements d'outre-mer .
Il considère également que les plaintes exprimées par les agents de la PJJ de La Réunion, loin d'être anodines, doivent être prises en compte en vue d'éventuels ajustements dans le cadre de la mise en oeuvre de la RGPP au sein du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » .
* 41 Cf . rapport d'information précité.
* 42 La loi n° 6-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d'aide sociale et de santé a transféré aux présidents de conseils généraux les compétences de l'aide sociale à l'enfance, dont la prévention spécialisée est l'une des missions. Celle-ci est précisée dans les articles L. 121-2 et L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles qui stipule que le département a « une mission de prévention de la marginalisation et d'aide à l'insertion dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale ».
* 43 Il s'agit des lois n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
* 44 Un corps de 170 auditeurs a d'ailleurs été créé au sein de la PJJ. Il est proposé aux départements pour conduire des audits conjoints de certains établissements de protection de l'enfance.
* 45 Sénat, rapport spécial n° 111 (2010-2011) - Tome III - annexe 16.