2. Le difficile pari de la départementalisation de Mayotte
a) La volonté de rester au sein de la Nation française
Située à l'entrée du Canal du Mozambique, à mi-chemin entre Madagascar et l'Afrique, Mayotte est distante d'environ 1 500 kilomètres de La Réunion et de 8 000 kilomètres de la métropole . Archipel composé de deux îles (Grande-Terre et Basse-Terre), il forme lui-même la partie orientale des Comores.
Mayotte dans l'archipel des Comores
Source : Sénat
Depuis la cession de l'île en 1841 à la France par un sultan malgache, Mayotte a connu une lente évolution institutionnelle intrinsèquement liée au devenir de l'archipel des Comores. Passant successivement du statut de colonie, de protectorat, puis de province de la colonie de « Madagascar et dépendances », l'archipel des Comores se transforme, en 1946, en territoire d'outre-mer (TOM) disposant d'une autonomie administrative et d'un chef-lieu (la ville de Dzaoudzi).
Dès la fin des années 1950 s'impose la question de l'autonomie, puis de l'indépendance des îles de l'archipel, avec la volonté des Mahorais de rester français . La rupture entre Mayotte et le reste des Comores s'effectue pour la première fois en 1958. Ainsi, tandis que l'Assemblée territoriale des Comores choisit le statut de territoire français d'outre-mer (TOM), un peu plus de 80 % des électeurs à Mayotte préfèrent le statut de département français d'outre-mer (DOM).
« Mayotte française », le combat des Chatouilleuses Dans la volonté de Mayotte de rester au sein de la Nation française, les femmes mahoraises ont joué un rôle déterminant. Dans leur combat, elles ont usé d' une « arme » pour le moins originale : les chatouilles . Dès les années 1960 , plusieurs d'entre elles se sont ainsi engagées pour « Mayotte française ». Leurs noms résonnent encore sur l'île : Zaïna Méresse, toujours vivante et figure emblématique de ce mouvement, mais aussi Zaïna M'Déré, Coco Djoumoi, Boueni M'Titi... Leur méthode d'action consistait à mener des « opérations commando » contre les représentants des autorités venant de la Grande Comore, en les harcelant de chatouilles pour les repousser. Tenues aux marges du système politique d'alors et souffrant d'une position d'infériorité par rapport aux hommes (polygamie, part successorale, capacité testimoniale...), elles redoutaient les conséquences d'une rupture avec la métropole . Elles voyaient notamment dans cette perspective se dessiner un avenir sombre pour leurs enfants (impossibilité de suivre une véritable scolarité, de poursuivre des études supérieures...) et le risque de voir partir leurs époux fonctionnaires du côté d'Anjouan et de la Grande Comore (où ils auraient pu fonder une nouvelle famille et les abandonner définitivement). Zaïna Méresse raconte : « Des ministres, des membres du Gouvernement, toutes sortes de notables censés s'occuper de nos affaires venaient régulièrement à Mayotte, jusqu'à trois ou quatre fois par semaine. Cependant, comme il ne se passait rien ici, que nos revendications ne trouvaient pas d'écho, nous nous demandions « Que viennent-ils faire ? ». Ces gens ne voulaient pas nous aider, ils coupaient les bourses d'études à nos enfants qui ne pouvaient pas partir en métropole [...]. Nous, nous voulions les empêcher de venir nous narguer. Nous n'osions pas frapper des personnalités... Nous étions à la recherche d'une solution qui nous éviterait les sanctions de la justice. C'est ainsi que peu à peu, entre sérieux et plaisanterie, l'idée a germé et s'est affirmée : « On va les chatouiller : ils ne vont plus venir ! ». Aucune peine de prison n'était prévue contre la chatouille... »*. Lors de l'examen des conclusions de votre rapporteur spécial par votre commission des finances, notre collègue Michèle André a d'ailleurs rappelé que, lorsqu'elle était secrétaire d'Etat aux droits des femmes, elle avait rencontré Mme Zaina M'Déré. Elle a expliqué que les femmes appartenant à ce mouvement avaient bien conduit dans les années 1960 une action politique emblématique afin de préserver l'appartenance de Mayotte à la France. A l'origine de l'un des premiers mouvements politiques féminins dans le monde du XX ème siècle , ces femmes mahoraises ont ainsi joué, grâce à l'efficacité de leur action hors du commun, un rôle incontestable dans le maintien de Mayotte au sein de la Nation française. * Témoignage tiré de l'ouvrage « Jana na Leo » d'Elisabeth Delaygue Cheyssial |
En décembre 1974, est organisé un référendum sur l'indépendance des îles des Comores. A l'issue du décompte des suffrages, qui se fait île par île, Mayotte est la seule des quatre îles des Comores où la volonté de rester dans la Nation française est majoritaire (avec 63,8 % des suffrages exprimés).
Un second référendum est organisé, le 8 février 1976, et il fait apparaître un désir encore plus marqué de maintien dans la Nation française, avec 99,4 % des voix. Le Parlement prend alors acte de ce résultat en adoptant la loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976 relative à l'organisation de Mayotte qui dispose, dans son article premier, que « Mayotte [...] constitue une collectivité territoriale de la République française ».
Par la suite, la loi n° 79-1113 du 22 décembre 1979 relative à Mayotte réaffirme que « l'île de Mayotte fait partie de la République française et ne peut cesser d'y appartenir sans le consentement de sa population ». Elle ne règle toutefois pas la question du statut de l'île et se contente de disposer que « dans un délai de cinq ans, à compter de la promulgation de la présente loi, la population de Mayotte sera consultée, après avis du conseil général, sur le maintien du statut défini par la loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976 ou sur la transformation de Mayotte en département ou éventuellement sur l'adoption d'un statut différent ».
Le 27 janvier 2000, un Accord sur l'avenir de Mayotte est signé entre l'Etat, le conseil général et les principaux partis politiques de l'île (MPM-RPR-PS). Cet accord se propose de fixer les objectifs communs de l'Etat et de la Collectivité, ainsi que des orientations statutaires.
Conformément aux engagements pris, la population de Mayotte est consultée, le 2 juillet 2000 , sur l'avenir institutionnel de son île : 72,94 % des électeurs se prononcent en faveur de cet accord.
b) La consécration du département de Mayotte
La loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte dote l'île du statut de « collectivité départementale » et réaffirme dans son article premier que Mayotte fait partie de la République. Elle stipule, en outre, que l'exécutif, alors exercé par le préfet, sera transféré au président du conseil général en mars 2004, et qu'un caractère exécutoire de plein droit sera conféré aux actes de la collectivité départementale après le renouvellement du conseil général de 2007. Ce nouveau statut doit ainsi permettre à Mayotte d'adopter une organisation juridique, économique et sociale se rapprochant le plus possible du droit commun et adaptée à l'évolution de la société mahoraise.
Mayotte continue d'être ancrée au sein de la République française par son inscription à l'article 72-3 de la Constitution à l'occasion de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 3 ( * ) . Cet article 72-3 fait de Mayotte une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution.
La loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer a ensuite largement modifié le statut de Mayotte. En particulier, son article 3 fait entrer Mayotte dans le régime de l'identité législative, applicable aux départements d'outre-mer, sauf dans certains domaines spécifiques.
Cette évolution s'inscrit dans la perspective d'une l'éventuelle transformation de Mayotte en département d'outre-mer, qui fait l'objet d'une demande forte de la population mahoraise . L'article 3 de la loi précitée précise que : « à compter de la première réunion qui suit son renouvellement en 2008, le conseil général de Mayotte peut, à la majorité absolue de ses membres et au scrutin public, adopter une résolution portant sur la modification du statut de Mayotte et son accession au régime de département d'outre-mer ».
Lors du conseil des ministres du 23 janvier 2008 , le Gouvernement propose d'aller vers une départementalisation adaptée et progressive, en fonction du choix fait par les Mahorais à la suite d'une consultation. Cette départementalisation devra tenir compte des spécificités de la société mahoraise ainsi que de l'évolution économique et sociale de l'île. Il conviendra d'aboutir à un juste équilibre entre le respect de l'identité de Mayotte, le rythme d'évolution de ce territoire et le choix de la forme départementale.
Le 18 avril 2008 , le conseil général de Mayotte vote à l'unanimité une résolution demandant que Mayotte soit soumise au statut de département et de région d'outre-mer.
Lors de la consultation du 29 mars 2009 , les électeurs mahorais s'expriment à 95 % en faveur de la création d'un département de Mayotte, régi par l'article 73 de la Constitution.
La loi organique n° 2009-970 du 3 août 2009 relative à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte introduit alors dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) l'article L.O. 3446-1 qui dispose que « à compter de la première réunion suivant le renouvellement de son assemblée délibérante en 2011, la collectivité départementale de Mayotte est érigée en une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution, qui prend le nom de « Département de Mayotte » et exerce les compétences dévolues aux départements d'outre-mer et aux régions d'outre-mer ».
Le principe de la création à Mayotte d'une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution ayant été ainsi posé, la loi n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte a défini l'organisation et le fonctionnement institutionnel de la nouvelle collectivité et en a tiré les conséquences sur l'applicabilité des lois et des règlements à Mayotte.
Au final, la collectivité départementale de Mayotte est devenue, le 31 mars 2011, le cent-unième département de France et son cinquième département d'outre-mer. Ce cadre institutionnel conditionne désormais l'organisation et le fonctionnement des services de l'Etat, dont en particulier ceux de l'institution judiciaire au sens large (justice judiciaire, administration pénitentiaire et PJJ).
* 3 Cf . loi constitutionnelle précitée du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.