B. POUR UNE « MAISON DE L'HISTOIRE DE FRANCE » : UN LIEU DE QUESTIONNEMENTS PLACÉ AU CoeUR DE LA RÉFLEXION SCIENTIFIQUE EN HISTOIRE
La connaissance de l'histoire constitue un des éléments fondamentaux constitutifs du lien social à tous les niveaux : la compréhension du vécu des autres et la conscience d'expériences partagées contribuent à la manifestation quotidienne de cette volonté de « vivre ensemble » (Ernest Renan) qui garantit la cohésion de nos sociétés, aussi bien au niveau local, provincial, régional et national qu'au niveau européen et international.
Le public visé doit donc être clairement identifié : la « Maison » constitue, en premier lieu, un espace républicain destiné à accueillir en son sein tous les citoyens français et européens mais aussi tous les visiteurs étrangers désireux de mieux comprendre les processus historiques qui ont présidé à la construction de la France, à son intégration au sein de l'espace européen et à son positionnement sur la scène internationale. La vocation de l'institution est donc avant tout généraliste et citoyenne.
L'ouverture de l'établissement au grand public (qui concrètement se traduira par l'ouverture d'espaces architecturaux d'une qualité exceptionnelle au sein du site des Archives nationales, aussi bien des monuments classés que des cours et des jardins auxquels le grand public s'est pendant longtemps vu interdire l'accès) est un élément constitutif de sa vocation citoyenne.
Parmi les publics français et européens, il convient d'accorder une place spécifique aux scolaires (enseignement primaire et secondaire) qui constitueront une cible prioritaire de l'action éducative de la Maison de l'Histoire.
Proposition n° 3 : Dénommer la future institution « Maison de l'Histoire de France » et créer un label « Maison d'Histoire » afin de mieux identifier le réseau de ses partenaires. |
La future institution chargée d'exposer à Paris des collections permanentes et temporaires à caractère historique devra être dénommée « Maison de l'Histoire de France ». Le terme de « maison » suggère à la fois l' ouverture à tous les publics (en se référant aux portes et fenêtres d'une habitation) et l'inclusion et le rassemblement républicain. Cette dénomination permet de souligner le caractère inclusif et ouvert de l'établissement qui se doit d'être exemplaire :
- dans une approche de l'histoire dans toutes ses dimensions (locale, provinciale, régionale, nationale, européenne et internationale, mais aussi chronologique et thématique) ;
- dans son accessibilité à tous les publics appréhendés dans toute leur diversité (citoyens « ordinaires », nationaux et européens, visiteurs étrangers, scolaires, universitaires, scientifiques, etc.)
- dans l'accompagnement, la diffusion et la médiatisation de la connaissance scientifique en histoire.
Un certain nombre d'historiens avaient plaidé pour les dénominations suivantes :
- « Maison de l'Histoire en France » : il était reproché à l'expression « Histoire de France » de circonscrire le périmètre d'exploration de la future institution à la seule histoire nationale, en excluant l'étude et la mise en valeur aussi bien de l'histoire locale que de l'histoire du continent européen et des relations de la France avec le reste du monde. En outre, l'expression « Maison de l'Histoire en France » permettait de mieux mettre en avant comme priorité la valorisation de la discipline historique, sans la restreindre à l'espace français. Dans une tribune publiée dans Le Monde dans son édition du 26 novembre 2010, l'historien Vincent Duclert déclare que « ce n'est pas d'une « Maison de l'Histoire de France dont ce pays a besoin mais d'un « Musée de l'histoire en France » », en soulignant que « la possibilité d'une histoire nationale [...] se heurtera toujours, pour certains [historiens] , au présupposé que tout cadre national nourrirait forcément des dérives du type de l' « identité nationale ». Repenser le cadre national est donc un impératif scientifique de première importance pour lui permettre de se dégager des instrumentalisations idéologiques ». Toutefois, cette dénomination laisse entendre en filigrane, dans une logique « politiquement correcte », qu'il ne serait plus pertinent de parler d' « histoire de France » ;
- « Maison de l'Histoire » : cette expression vise à réaffirmer la vocation d'un établissement au service de la seule discipline historique. Néanmoins, l'absence de référence à la France suggère également une forme de malaise vis-à-vis de tout discours sur l'histoire nationale. Elle est, en outre, préjudiciable à l'attractivité de la future institution auprès des visiteurs étrangers, le mot « France » constituant en soi une marque prestigieuse qui a fait les preuves de son efficacité aussi bien dans notre pays qu'à l'étranger (certains organismes de presse ou audiovisuels ou émissions audiovisuelles font reposer leur réputation de rigueur et de sérieux sur le mot « France », comme l'Agence France-Presse, Radio France Internationale, France 24 ou encore l'émission France Culture).
La dénomination « Maison de l'Histoire de France » pourra aisément être convertie en un label « Maison d'Histoire » qui sera attribué à chacun des membres qui auront adhéré au réseau des partenaires de la Maison de l'Histoire de France, sur la base de critères définis dans un cahier des charges .
Proposition n° 4 a : Conférer, au début de l'année 2012, à la Maison de l'Histoire de France le statut d'établissement public à caractère administratif par voie réglementaire. Proposition n° 4 b :Prévoir, dans un second temps, à la fin de l'année 2012, la création, par voie législative, d'une nouvelle catégorie d'établissements publics culturels contribuant à la valorisation du patrimoine historique et de la connaissance et de la recherche en histoire, en vue d'harmoniser les règles constitutives des établissements publics existants ayant une vocation de mise en valeur du patrimoine historique (Maison de l'Histoire de France, Centre des monuments nationaux, Cité de l'architecture et du patrimoine, Cité nationale de l'histoire de l'immigration, futur établissement public des Archives nationales, etc.). |
Comme cela a été envisagé par le calendrier présidentiel, la Maison de l'Histoire de France devra se voir conférer le statut d'établissement public à caractère administratif par voie réglementaire. L'association de préfiguration a été autorisée, pour l'heure, à recruter une dizaine de personnes. Dans le cadre de la montée en puissance du futur établissement, entre 30 et 40 personnes devraient être recrutées au cours des prochaines années.
Toutefois, votre commission estime indispensable, à la fin de l'année 2012, de recourir à la loi en vue de :
- créer une nouvelle catégorie d'établissements publics culturels contribuant à la valorisation du patrimoine historique et de la connaissance et de la recherche en histoire, afin d'harmoniser les règles constitutives des établissements publics préexistants et opérant dans ce domaine et de ceux qui pourraient être créés dans les années à venir par voie réglementaire.
L'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer « les règles concernant la création de catégories d'établissements publics ». Dans sa décision n° 79-108 L du 25 juillet 1979 46 ( * ) , le Conseil constitutionnel retient deux critères déterminant l'appartenance d'établissements publics à une même catégorie : le même rattachement territorial, sous une même tutelle administrative, et une spécialité analogue. En outre, dans sa décision n° 2007-548 DC du 22 février 2007 47 ( * ) , le Conseil constitutionnel a estimé que l'intervention du législateur est justifiée lorsqu'elle vise à harmoniser et préciser les règles constitutives d'une catégorie d'établissements publics, alors même que des établissements publics déjà existants pourraient être regardés comme ayant une spécialité analogue.
Or, il n'existe pas, à l'heure actuelle, de règles constitutives communes aux établissements publics destinés à fédérer en leur sein des institutions à finalité muséale disposant de collections historiques et à animer un réseau coopératif d'organismes associés oeuvrant en commun en faveur de la valorisation de la connaissance et de la recherche scientifique en histoire. C'est pourquoi votre commission estime nécessaire de recourir à la loi afin de créer une catégorie d'établissements publics nationaux de médiation culturelle contribuant à la valorisation du patrimoine historique et de la connaissance et de la recherche en histoire. Feront partie de cette nouvelle catégorie les deux nouveaux établissements publics à caractère administratif que seront les Archives nationales et la Maison de l'Histoire de France, ces deux établissements ayant vocation à fédérer en leur sein d'anciens services à compétence nationale dont l'autonomie de programmation scientifique et culturelle devra être rigoureusement respectée. Y figureront également les multiples établissements publics opérant déjà en matière de valorisation du patrimoine historique et de la connaissance en histoire : le Centre des monuments nationaux, la Cité de l'architecture et du patrimoine ou encore la Cité nationale de l'histoire de l'immigration.
Il sera nécessaire de préciser, dans la loi instituant cette nouvelle catégorie d'établissements publics, la composition et les responsabilités respectives du conseil d'administration, du comité d'orientation scientifique et du comité opérationnel de pilotage scientifique de ces établissements.
Proposition n° 5 : Mettre l'accent sur l'exemplarité de la Maison de l'Histoire de France en matière d'accessibilité à tous les publics et de développement des activités pédagogiques et de formation en direction des publics scolaires et du corps enseignant. |
Une des caractéristiques premières de la nouvelle institution résidera dans son ouverture, sa dimension inclusive et donc son accessibilité à tous les publics. L'accent sera donc nécessairement porté sur le développement de tous les moyens susceptibles de faciliter l'accessibilité physique, technique, technologique et matérielle de la Maison ainsi que l'accessibilité de ses contenus (développement de l'accessibilité aux publics handicapés, technologies adaptées en direction des malentendants et des non-voyants, multiplication des niveaux de lecture en fonction de l'âge et de l'expérience des publics concernés, adaptation des discours muséographiques aux publics initiés et non initiés, etc.). L'exemplarité de la Maison de l'Histoire dans ce domaine doit logiquement conduire à l'obtention de labels qui font autorité morale dans le domaine de l'accessibilité aux publics souffrant de handicaps.
Par ailleurs, la vocation prioritaire que devra assumer la Maison de l'Histoire de France résidera dans le développement de supports pédagogiques innovants, la formation des personnels enseignants et l'accueil des publics scolaires . À cet égard, le futur établissement pourra s'appuyer sur l'expérience accumulée les musées nationaux qui constitueront son socle ou ses partenaires. Les moyens de leurs départements d'activités pédagogiques et d'accueil des publics scolaires devront être renforcés de façon significative afin de pouvoir mettre en oeuvre des programmes ambitieux en lien avec les établissements scolaires, sous la coordination de l'établissement-mère, à savoir la Maison de l'Histoire. Dans la même logique, les conventions et partenariats liant la Maison de l'Histoire de France aux musées territoriaux et à d'autres organismes devront systématiquement contenir un volet sur le développement d'activités et de parcours de formation en direction des publics scolaires et des enseignants.
1. Une indispensable remise en perspective de la chronologie dans le cadre d'un parcours permanent : pour une « galerie des temps et des territoires »48 ( * ) qui soit un véritable lieu de questionnements
Proposition n° 6 : Mettre en place une « galerie des temps et des territoires », sur le modèle du parcours permanent envisagé par le projet de refondation du musée de l'histoire de France des Archives nationales, en respectant les quatre conditions suivantes : - pour une galerie chronologique mouvante, régulièrement renouvelée et réactualisée ; - pour une galerie innovante sur le plan technologique et interactif ; - pour un débat et des questionnements tenant compte de la pluralité des écoles historiques et faisant une place à la notion de multiperspectivité ; - pour une installation de la galerie chronologique dans les dépôts Louis-Philippe des Archives nationales, subordonnée à la réalisation des travaux de restauration et d'aménagement nécessaires au respect des conditions de conservation au sein des magasins d'archives. |
Sur le modèle de ce qui avait été envisagé par le projet de refondation du musée de l'histoire de France des Archives nationales, un parcours permanent, intitulé « La galerie des temps et des territoires », doit permettre au visiteur d'appréhender l'histoire de France à l'aide de repères chronologiques. Le parcours permanent mettra également l'accent sur l'évolution de la géographie historique, politique et humaine de la France afin de la replacer systématiquement dans son environnement européen et international.
À ce titre, la Maison de l'Histoire de France devra également mettre l'accent sur la spécificité de l'histoire de nos territoires ultramarins et favoriser les initiatives locales en faveur de la valorisation de leurs patrimoines historiques respectifs . La mission commune d'information du Sénat sur la situation des départements d'outre-mer, présidée par notre collègue, M. Serge Larcher, a clairement plaidé pour une reconnaissance de la diversité culturelle des outre-mer et de l'importance de leur histoire respective, forgée dans le cadre d'une géographie particulière, dans la genèse de leurs identités locales. À cet égard, votre rapporteur tient à rappeler une partie de l'analyse de M. Daniel Maximin restituée dans le rapport de cette mission : « tout ce qui peut contribuer à restaurer dans ses sociétés le lien citoyen local, le sentiment d'appartenance régionale, l'assurance identitaire face aux dérives de l'aliénation, la richesse de leur plurilinguisme, et la conscience historique d'être héritiers des résistances et non victimes éternelles de l'oppression originelle, ne peut qu'assainir et clarifier le dialogue dans tous les domaines » 49 ( * ) .
Condition n° 1 - Pour une galerie mouvante, régulièrement renouvelée : Le contenu du parcours permanent doit faire l'objet d'un réexamen périodique, au moins tous les deux ans, par le comité d'orientation scientifique de la Maison de l'Histoire, afin de tenir compte des apports de la recherche historique et des commentaires et éventuelles critiques adressés par les visiteurs et les professionnels. Un directeur scientifique, personnalité qualifiée reconnue dans le monde de la recherche en histoire, et un conservateur seront chargés conjointement de la gestion du parcours permanent et seront habilités à formuler des propositions auprès du comité d'orientation scientifique en matière de renouvellement du contenu de la galerie. Ils disposeront d'une marge de manoeuvre leur permettant de compléter ponctuellement, en fonction des besoins et de l'avancée des travaux de la recherche en histoire, le parcours permanent par des éléments audiovisuels ou numériques ou par des objets matériels d'une importance exceptionnelle, facilitant la compréhension d'une période historique. Bien que la Maison de l'Histoire de France n'ait pas vocation à disposer en propre de collections historiques, elle pourra s'appuyer sur les ressources considérables des musées nationaux détenant des collections à caractère historique mais aussi d'autres établissements de statuts divers répartis sur le territoire dans des conditions déterminées par voie conventionnelle. La formule des prêts garantira un renouvellement régulier du contenu de la galerie chronologique.
Condition n° 2 - Pour une galerie chronologique innovante : L'accent sera porté sur le développement de montages audiovisuels et numériques innovants aussi bien pour renforcer l'illustration et la compréhension d'une période historique dans toutes ses dimensions (témoignages audiovisuels pour exposer aussi bien la perception et le ressenti de citoyens « ordinaires » que la vision de personnalités célèbres sur une période dont ils ont été les contemporains, recours systématique aux cartes pour illustrer l'évolution géographique de la France, etc.) que pour combler l'absence relative de témoins matériels de certaines périodes de notre histoire.
Condition n° 3 - Susciter le débat et les questionnements en s'appuyant sur une approche multiperspectiviste : Autant que faire se peut, l'approche se devra d'être multiperspectiviste afin de susciter les questionnements. Sur une question controversée, le parcours permanent doit s'employer à offrir une présentation comparatiste des points de vue et des différentes écoles (à titre d'exemple, les points de vue respectifs de Clemenceau et de Ferry sur la colonisation). Un effort particulier sera mis en oeuvre afin d'inciter le visiteur à appréhender l'histoire en adoptant le recul nécessaire, une prise de distance indispensable (comprendre que le point de vue actuel de l'opinion publique ne correspond pas nécessairement à celui de l'époque considérée).
Condition n° 4 - Conditionner l'installation de la galerie dans les dépôts Louis-Philippe à la réalisation des travaux de restauration et d'aménagement nécessaires : Compte tenu des contraintes architecturales et techniques des hôtels de Soubise et de Rohan (monuments architecturaux pour lesquels on ne peut raisonnablement envisager un classement en ERP - établissement recevant du public) et du rez-de-chaussée des dépôts Napoléon III, l'installation du parcours permanent pourrait être envisagée, sur le site parisien des Archives nationales, dans le cadre de la partie des dépôts Louis-Philippe affectée, à l'heure actuelle, à leurs ateliers de restauration si ces derniers seront effectivement déplacés sur le site de Pierrefitte-sur-Seine.
Proposition n° 7 : Aménager des enclaves thématiques au sein de chaque séquence temporelle de la galerie chronologique, sur le modèle du musée historique allemand de Berlin. |
Le parcours permanent doit allier progression chronologique et développements modulaires thématiques. Chaque séquence historique doit être déclinée en un certain nombre d'enclaves thématiques, permettant de mettre en avant une évolution notable du fonctionnement et du comportement de la société au regard de la période donnée (le rôle des femmes au cours de la Grande guerre et ses conséquences sur leur place au sein de la société par la suite, le clivage entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel au cours des siècles, etc.).
* 46 Décision n° 79-108 L du 25 juillet 1979, nature juridique des dispositions des articles L. 330-1 à L. 330-9 du code du travail relatifs à l'Agence nationale pour l'emploi.
* 47 Décision n° 2007-548 DC du 22 février 2007 relative aux règles d'urbanisme applicables dans le périmètre de l'opération d'intérêt national de La Défense et portant création d'un établissement public de gestion du quartier d'affaires de La Défense.
* 48 L'intitulé proposé par le projet de refondation du musée de l'histoire de France des Archives nationales est celui qui correspond le mieux aux objectifs de la galerie chronologique qui doit notamment rendre compte de l'évolution de la géographie historique de notre territoire.
* 49 Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir, rapport d'information n° 519 (2008-2009) de M. Éric Doligé, fait au nom de la mission commune d'information outre-mer, déposé le 7 juillet 2009.