C. LA LOCALISATION EST DÉTERMINANTE POUR LA MUSÉOGRAPHIE ET LA SCÉNOGRAPHIE DE LA FUTURE INSTITUTION
Le choix du site parisien des Archives nationales comme lieu d'implantation de la Maison de l'Histoire de France suppose un grand nombre de contraintes, tenant à la fois au statut de monuments historiques des bâtiments du quadrilatère et au respect des spécificités des activités des Archives nationales, dont il faudra nécessairement tenir compte dans les projets muséographiques et scénographiques de la future institution.
1. Le musée de l'Histoire de France des Archives nationales
Dans son discours d'ouverture du musée des Archives de l'Empire en 1869, M. Léon Gautier rappelle que « toute l'histoire de France est dans nos cartons, mais il ne faut pas qu'elle y reste » 38 ( * ) .
a) Du musée des Archives de l'Empire au département de l'action culturelle et éducative des Archives nationales
Le 19 juillet 1867, était inauguré, au premier étage de l'hôtel de Soubise, le « Musée des Archives ». Il s'agissait, en substance, d'un musée de paléographie, de diplomatique et de sigillographie des Archives de l'Empire dont la conception avait été confiée à une commission missionnée, de 1861 à 1867, auprès du marquis M. Léon de Laborde , à l'époque directeur des Archives de l'Empire 39 ( * ) . Compte tenu de la vocation archivistique des lieux, ce musée entendait exposer au grand public un certain nombre de grands documents historiques hautement symboliques aujourd'hui conservés dans l' « armoire de fer » des Archives nationales, tels que le testament de Louis XVI ou la dernière lettre de Marie Antoinette.
L'institution s'inscrivait résolument dans une démarche de vulgarisation de la connaissance en histoire à partir de la découverte des documents majeurs de l'histoire de France par « une foule intelligente, avide de connaître toutes choses, qui veut à ses heures de loisir se renseigner sur les sciences qu'elle ignore... » 40 ( * ) .
Après avoir connu une époque faste sous l'impulsion du marquis de Laborde qui s'est poursuivie jusqu'à la fin du XIX e siècle, le musée des Archives nationales a fait l'objet de refontes successives qui ont conduit à la réduction sensible du nombre de documents exposés, de 1 800 à seulement près de 600 avant 1914. À la suite de son évacuation pendant la Grande Guerre, le musée n'occupe plus les salons du rez-de-chaussée de l'hôtel de Soubise, et ce jusqu'à la réorganisation de 1938-1939 qui le conduit à réinvestir cette partie des lieux pour y présenter une section d'histoire contemporaine. C'est en 1938 que le musée des Archives prend le titre de « musée de l'Histoire de France ».
M. Guy Putfin rappelle que c'est sous l'égide de Mme Régine Pernoud à partir de 1949, et sous l'autorité du directeur général des Archives de l'époque, M. Guy Braibant, que le musée prend un nouvel essor. Entre 1952 et 1958, un parcours permanent est organisé dans le cadre de salles spécialisées par époque, du Moyen-Âge (grande salle des gardes) à la Révolution et au premier Empire (deux dernières salles de l'appartement de la princesse). À cela s'ajoutent des expositions temporaires qui prennent place dans les dernières salles du musée de l'Histoire de France des Archives nationales, dont la première consacrée à « L'art et la vie au Moyen-Âge à travers les blasons et les sceaux » en 1950 et celle célébrant le « Centenaire du Musée de l'Histoire de France » en 1967. Un certain nombre d'expositions temporaires sont ainsi conçues à partir d'un thème ayant servi également de sujet au concours annuel des jeunes historiens (La belle Époque, Léon Blum, Les débuts du chemin de fer en France, etc.) 41 ( * ) . De grandes expositions temporaires à caractère investissent également les salons de l'hôtel de Rohan.
C'est également sous l'impulsion de Mme Régine Pernoud que les Archives nationales se dotent d'un service éducatif réunissant des professeurs détachés de l'enseignement public afin de concevoir des ateliers pédagogiques en direction des publics scolaires. Dans cette logique, de nombreux services d'archives départementales ont créés en leur sein des expositions temporaires et des services éducatifs.
Toutefois, en raison des risques pesant la conservation de certains documents liés à une exposition trop prolongée à la lumière, un certain nombre de salles du parcours permanent du musée de l'Histoire de France sont démontées. En 1980, la grande salle des gardes du premier étage de l'hôtel de Soubise est investie pour accueillir la présentation permanente d'une fresque de l'histoire de France intitulée « La France du VII e au XX e siècle à travers soixante-et-onze documents ». En 1982, date à laquelle le musée de l'Histoire de France des Archives nationales se dote d'un logo, une autre exposition à caractère permanent est consacrée à la Révolution française.
Néanmoins, depuis 1995, il n'existe plus, dans le cadre du musée de l'Histoire de France des Archives nationales, de présentation permanente de documents sur l'histoire de France. M. Guy Putfin relève, ainsi, que, depuis cette date, peu à peu, toute mention explicite à l'existence d'un musée de l'Histoire de France au sein des Archives nationales est supprimée sur les catalogues des expositions temporaires. Fait notable, les personnels ayant participé à la conception et à l'organisation de ces expositions à caractère historique sont désignées comme appartenant non pas au service du musée de l'Histoire de France, mais au département de l'action culturelle et éducative des Archives nationales.
Cette mise sous silence des activités proprement muséographiques des Archives nationales est sans doute l'expression d'un certain malaise de la part d'une bonne partie des personnels de l'institution qui, soit par conservatisme, soit par indifférence, n'ont jamais véritablement accepté l'existence, en leur sein, d'un musée qu'ils jugent incompatible avec les exigences et les contraintes techniques de leurs activités archivistiques. Il est possible de percevoir chez certains au sein des Archives nationales, en lame de fond, l'idée persistante qu'une activité d'exposition au grand public nierait la noblesse du travail archivistique dont les fruits devraient être prioritairement réservés au milieu scientifique.
b) Le projet de refondation du musée de l'Histoire de France des Archives nationales (2000-2006) : une réflexion fine et ambitieuse, dont il faut impérativement s'inspirer
(1) Un projet ambitieux, extrêmement poussé aussi bien en termes de contenu que sur le plan opérationnel
À partir de 2000, Mmes Marie-Paule Arnaud et Ariane James-Sarasin ont conduit, avec le concours d'autres collègues au sein du département de l'action culturelle et éducative, une réflexion très approfondie en vue d'élaborer un projet opérationnel de renouveau du musée de l'Histoire de France des Archives nationales. L'audition de Mme Ariane James-Sarasin a permis de démontrer que le projet de refondation de ce musée était particulièrement fouillé dans son contenu et avait atteint, dans certaines de ses composantes, un niveau de programmation très avancé voire immédiatement opérationnel, y compris sur les plans immobilier et de l'occupation et de l'aménagement des espaces.
Sous le contrôle d'un comité scientifique présidé par M. Pierre Nora et auquel participaient des historiens de renom et de diverses sensibilités, ce projet de refondation fixait au musée des Archives nationales une nouvelle ambition, à savoir remettre en question les discours historiques et donner au grand public les clés de la compréhension de l'histoire et de la recherche scientifique dans ce domaine. Le parti pris était ainsi clairement historiographique et s'articulait autour de trois axes :
- une galerie intitulée « Temps et territoires » : il ne s'agissait pas d'offrir au public une succession de dates, mais d'illustrer le défilement des siècles en s'appuyant sur des documents symboliques (tels que l'édit de Nantes, le serment du Jeu de paume, etc.) et en recourant également aux documents multimédias (sons, vidéos, etc.). Plusieurs temps de roulement dans le renouvellement de cette galerie étaient envisagés : elle devait être modifiée tous les trois à cinq ans, en privilégiant une scénographie spectaculaire pour attirer régulièrement les visiteurs. Cette galerie était conçue de façon multidimensionnelle, à la fois chronologique et affective et territoriale, en mettant en avant les langues et les cultures locales ;
- la deuxième partie du musée, qui devait changer tous les trois mois, se serait intitulée « Mémoires » . Elle aurait interrogé l'histoire au travers des personnages, des événements, des chansons, des groupes sociaux (bourgeois, maîtresses du roi, etc.), afin d'explorer de grands mythes dans leur contemporanéité, jusqu'à aujourd'hui (tels que Charlemagne, Jeanne d'Arc, Henri IV, Louis XIV, Napoléon, etc.) ;
- enfin, la troisième partie du musée se serait intitulée « La fabrique de l'Histoire » , avec pour ambition de montrer au public comment se construit l'histoire, quelles sont ses sources et ses méthodes, en gardant à l'esprit que l'histoire n'est pas un état de fait, mais qu'il s'agit d'un produit culturel qui varie selon les époques et les points de vue. Il s'agissait donc de donner au public les clés pour se faire sa propre idée de l'histoire et du métier d'historien. Dans cette logique, le musée aurait eu à coeur de montrer qu'un écrivain, un homme politique ou un grand témoin d'un moment historique pouvaient être les héritiers d'une vision particulière de l'histoire de France.
En 2002, les Archives nationales ont alors commandé un rapport, intitulé « Apport », afin de préparer le déménagement d'une partie de leurs fonds sur le site de Pierrefitte-sur-Seine et d'identifier les magasins d'archives qui auraient pu être conservés en l'état et ceux qui auraient dû faire l'objet d'une restauration. Il avait alors été décidé qu'une partie des espaces libérés aurait été consacrée aux activités culturelles et éducatives de l'institution, dont la relance de son musée. Il était ainsi prévu que le musée s'étendrait sur des parties des hôtels de Soubise et de Rohan. Quatre types de visites dans le cadre du musée étaient alors envisagés :
- la visite « patrimoine bâti » (les hôtels de Soubise et de Rohan constituant des chefs-d'oeuvre de l'art rocaille, ainsi que les cours et les jardins, etc.) ;
- le parcours « histoire » qui se serait déroulé dans le cadre des trois axes évoqués précédemment, sur une surface de 4 000 m², logé au rez-de-chaussée et dans l'entresol de l'aile du Parlement de Paris de l'hôtel de Soubise ;
- le parcours « archives » , en offrant, dans une pièce de l'hôtel de Soubise (sur son côté droit) une présentation de l'histoire de l'institution des Archives nationales. Il s'agissait de proposer aux visiteurs en groupe une plongée dans les dépôts les plus célèbres des Archives nationales ;
- le parcours « exposition temporaire » , en aménageant à cet effet un espace au rez-de-chaussée juste avant la chambre du prince. Pour ce parcours, une étude d'implantation d'un ascenseur permettant de monter au 1 er étage et d'investir la grande salle des gardes et le salon d'assemblée avait même été réalisée.
Il était également prévu, dans le cadre du projet de refondation, de créer un auditorium sous les jardins, derrière les ateliers de restauration. À cela s'ajoutait un projet consistant à couvrir la cour de Clisson afin d'ouvrir un café et une librairie. Était également envisagée une remise à niveau des salles pédagogiques et des réserves du musée de l'Histoire de France (grands documents qui forment le Panthéon de l'Histoire de France depuis l'époque mérovingienne jusqu'à la période contemporaine, objets historiques comme la maquette en pierre de la Bastille par Palois, etc.).
Au total, ces opérations de refondation avaient été chiffrées à quatre millions d'euros, hors coût de restauration des locaux des Archives nationales. En plus des 1 800 m² de salons qu'il occupe au sein des hôtels de Soubise et de Rohan, le musée de l'Histoire de France avait vocation, dans le cadre de son projet de rénovation, à voir les locaux des activités muséographiques et de l'action culturelle s'étendre sur une surface totale de 4 400 m².
Le comité scientifique avait vocation, au-delà de la période de préfiguration, à se constituer en observatoire scientifique, chargé d'assister l'équipe de conservateurs du musée dans la définition et le contrôle scientifique du contenu des expositions permanente et temporaires. Il était même envisagé d'aménager de petits logements destinés à accueillir temporairement des universitaires, des artistes, des étudiants, etc.
(2) Les raisons de la mise sous silence de ce projet
En 2004, le ministre de la culture et de la communication de l'époque, M. Renaud Donnedieu de Vabres, annonçait le lancement de la refondation de ce musée. Toutefois, en 2006, ce projet est remis sous les boisseaux par les Archives nationales elles-mêmes alors qu'elles avaient vécu la réflexion sur le projet de refondation de leur musée de manière positive jusqu'à cette date. Des raisons principalement de deux ordres peuvent venir expliquer la mise sous silence de ce projet :
- des résistances culturelles : depuis 1867, une grande partie des personnels des Archives nationales a difficilement admis que leur institution puisse accueillir, en son sein, un musée. Nombreux sont ceux qui ont manifesté et continue de manifester un malaise évident vis-à-vis du principe de l'ouverture du patrimoine archivistique au grand public. Cette résistance constitue un problème culturel au sein des Archives nationales dont il est nécessaire de bien comprendre les raisons, car certaines sont justifiées sur le plan technique de la conservation de documents historiques particulièrement fragiles. De longue date, les conservateurs et les magasiniers estiment que la première vocation de leur institution consiste à conserver à grands frais les documents hautement symboliques de l'histoire nationale dans l'intérêt de la recherche . La perspective de vulgarisation du travail archivistique était parfois interprétée par certains comme une menace pour la noblesse de cette activité, d'où une incompréhension culturelle, voire une certaine méfiance vis-à-vis du principe de l'exposition au grand public. Cette méfiance s'est, du reste, traduite par une opposition quasi systématique de la plupart des services à toute décision interne visant à augmenter le budget du musée des Archives nationales 42 ( * ) . Il n'est pas impossible que cette méfiance explique, en partie, le fait que les cours et les jardins du quadrilatère soient restés aussi longtemps inaccessibles au public. Au cours de la réflexion sur le projet de refondation du musée de l'Histoire de France, les cours et les jardins avaient été ouverts au public pendant un peu plus de six mois, à l'initiative du département de l'action culturelle et éducative, pour ensuite être fermés de nouveau ;
- des raisons conjoncturelles : le projet de refondation a également souffert de la concomitance de l'annonce de la construction du site de Pierrefitte-sur-Seine. À partir de 2006, les Archives nationales se sont montrées plus circonspectes quant à la faisabilité financière du projet de refondation de leur musée de l'Histoire de France, en estimant que le projet de création du site de Pierrefitte-sur-Seine, pour lequel les pouvoirs publics consentaient un effort budgétaire substantiel, devait légitimement être considéré comme prioritaire .
* 38 Léon Gautier, cité in JAMES-SARAZIN, Ariane, « La création du musée de l'Histoire de France aux Archives nationales au XIX e siècle » in Quel musée d'histoire pour la France ? , sous la direction de J.-P. BABELON, I. BACKOUCHE, V. DUCLERT et A. JAMES-SARAZIN, Paris, Armand Colin, Collection « Éléments de réponse », 2011.
* 39 PUTFIN, Guy, « Vous avez dit Musée de l'Histoire de France ? » in Revue de l'Office universitaire de recherche socialiste , n° 52-53, juillet-décembre 2010, L'OURS, Paris, 2010.
* 40 Marquis de Laborde, cité in BABELON, Jean-Pierre, « Le musée de l'Histoire de France - Retour d'expérience » in Quel musée d'histoire pour la France ? , sous la direction de J.-P. BABELON, I. BACKOUCHE, V. DUCLERT et A. JAMES-SARAZIN, Paris, Armand Colin, Collection « Éléments de réponse », 2011.
* 41 Ibidem .
* 42 Le budget de fonctionnement du musée a néanmoins augmenté de façon spectaculaire pendant sa période de refondation conceptuelle, marquée par de multiples expositions événements destinées à conquérir le public du XXI e siècle. Il est ainsi passé de 60 000 euros en 1999 à 179 944 euros en 2003, 464 936 euros en 2006 et 650 000 euros environ en 2008.