III. UNE ÉVALUATION DONT LA MÉTHODE DISCUTABLE A RENDU LE PRIX DE LA VENTE SUJET À DÉBAT

Il est frappant que, dans les échanges pourtant vifs qui ont eu lieu entre le ministère de l'agriculture et celui du budget au sujet de la cession de l'hippodrome de Compiègne, seule la question de la légalité de la procédure suivie a été en cause, et jamais le niveau du prix demandé à l'acquéreur. Il y a pourtant lieu qu'on s'arrête un moment sur cet aspect du dossier, car le prix de la vente a été déterminé par une évaluation de France Domaine dont la méthode s'avère, à tout le moins, discutable .

A. LA MÉTHODE D'ÉVALUATION MISE EN oeUVRE PAR FRANCE DOMAINE

1. Description

Le service déconcentré de France Domaine dans l'Oise, lorsqu'il a dû procéder à l'évaluation de l'hippodrome du Putois, en juillet 2009, pour donner à son administration centrale l'« ordre de grandeur » que celle-ci lui demandait 23 ( * ) , s'est heurté à l' absence de précédent : la cession d'un hippodrome, manifestement, est une rareté ; il n'existe pas de marché actif. L'agent évaluateur ne disposait donc pas de prix de marché de référence .

Aussi, pour fonder son évaluation, cet évaluateur a utilisé les données du marché des terrains de golf en Île-de-France ou à proximité (dans l'Ain, l'Oise, la Seine-et-Marne, le Val d'Oise et les Yvelines), sur les vingt années précédentes (depuis 1990). Il a effectué une moyenne arithmétique des prix enregistrés pour huit ventes (Baillet-en-France, Feucherolles, Guyancourt, Lésigny, Le Tremblay-sur-Mauldre, Monthieux, Raray, Vineuil-Saint-Firmin), parvenant ainsi à un prix moyen du mètre carré de 4,5 euros .

En appliquant ce prix moyen à la surface de l'hippodrome (57,1 hectares), l'évaluateur est parvenu à une estimation de la valeur du bien de près de 2,57 millions d'euros , somme qu'il a « arrondie » à 2,5 millions .

2. Discussion

La méthode précitée prête à quatre critiques.

a) Le défaut d'éléments de comparaison directs sur le marché

En premier lieu, comme il vient d'être indiqué, l'évaluateur a été contraint de se fonder sur des éléments de comparaison approximatifs : les précédents relevés sur le marché des golfs, faute de marché des hippodromes. Il est vrai que l'hippodrome de Compiègne est aménagé en golf, mais cette activité est accessoire, les courses hippiques constituant la vocation première du site.

b) Le caractère grossier du calcul d'un prix moyen

En deuxième lieu, pour déterminer un prix moyen du mètre carré, l'évaluateur a intégré dans son calcul, sans aucune mesure de pondération :

des terrains très divers : en particulier, sur certains se trouvaient des hôtels (à Guyancourt et à Vineuil-Saint-Firmin), pas sur les autres ;

des dates de vente étalées dans le temps : sur la période d'une vingtaine d'années, les prix ont naturellement évolué ;

des circonstances de vente variées : les ventes recensées se sont souvent négociées de particulier à particulier, mais des cessions entre collectivités publiques figuraient aussi dans la liste (l'établissement public d'aménagement de Saint-Quentin-en-Yvelines et la communauté d'agglomération de Saint-Quentin pour le golf de Guyancourt, la Caisse des dépôts et consignations et le département de la Seine-et-Marne pour le golf de Lésigny).

Les prix relevés, de fait, s'étalaient d'un euro du mètre carré (à Lésigny, en 1997) à 7,8 euros du mètre carré (au Tremblay-sur-Mauldre, en 2000).

Les ventes de terrains de golf prises en considération par France Domaine pour estimer la valeur de l'hippodrome de Compiègne

(en euros)

Golf

Année de la vente

Prix du mètre carré

Baillet-en-France (Val d'Oise)

2000

2,50

Feucherolles (Yvelines)

2003

3,07

Guyancourt (Yvelines)

2004

7,19

Lésigny (Seine-et-Marne)

1997

1,00

Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines)

2000

7,80

Monthieux (Ain)

1999

2,30

Raray (Oise)

1990

4,50

Vineuil-Saint-Firmin (Oise)

2000

7,70

Source : France Domaine

Certes, la « commande » passée à l'évaluateur par son administration centrale était celle d'un « ordre de grandeur » seulement, pour la définition duquel un calcul relativement grossier pouvait paraître suffire ce qui peut justifier, d'ailleurs, un arrondi de 2,57 millions d'euros à 2,5 millions, plutôt qu'à 2,6 millions. Toutefois, c'est cet « ordre de grandeur » qui, en octobre 2009, est devenu le prix exact demandé par le ministère du budget à la Société des courses de Compiègne pour l'acquisition de l'hippodrome.

c) La non-prise en compte du bâti de l'hippodrome

En troisième lieu, l'évaluateur n'a expressément estimé que la valeur du terrain d'assiette de l'hippodrome du Putois, et non celle des bâtiments qui s'y trouvent. Le service France Domaine justifie ce choix en faisant valoir que ces bâtiments, à la date de l'évaluation, constituaient la propriété de la Société des courses de Compiègne, non celle de l'Etat.

Cependant, votre rapporteure spéciale relève que la convention d'occupation de 2003, révisée en 2006, qui liait l'Etat et l'association, ne conférant à cette dernière qu'une autorisation précaire et révocable, prévoyait que, si elle devait se trouver résiliée, le bâti devenait la propriété de l'Etat .

d) L'absence d'expertise complémentaire

Somme toute, on peut juger que cette évaluation n'a pas lésé les intérêts patrimoniaux de l'Etat , et qu'elle reflète peu ou prou la valeur réelle de l'hippodrome du Putois, si l'on considère, non seulement la moyenne précitée du prix de vente de terrains de golf en Île-de-France et à proximité, mais encore que le montant de 2,5 millions d'euros représentait plus de cinquante années de la redevance (43 300 euros en 2009) exigée de la Société des courses de Compiègne pour occuper le site. Le prix auquel la cession de l'hippodrome a été conclue, en dernière analyse, n'est ni manifestement trop faible, ni manifestement trop élevé.

Il reste que la méthode de l'évaluation, prêtant à discussion, rend le prix ainsi déterminé sujet à caution lui-même. Aussi, il est regrettable que France Domaine n'ait pas sollicité l'avis d'un consultant extérieur , expert professionnel de l'immobilier, comme cela était possible au service.

Cette démarche avait pourtant été recommandée dans la note du directeur général des finances publiques au ministre chargé du budget, déjà citée, datée du 1 er septembre 2009, en lien avec l'hypothèse d'une cession sans mise en concurrence : « l'éventualité de la vente du bien à l'amiable de gré à gré rend d'autant plus indispensable de recourir à une expertise privée pour établir la valeur de ce bien afin de ne pas confondre les fonctions de vente et d'évaluation. Cette expertise n'interdit pas au contraire qu'elle intervienne en complément de l'expertise qui sera demandée par le service local du domaine. » Mais l'option n'a pas été retenue .


* 23 Cf. supra , I.

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