D. UN DROIT EN VOIE D'ÊTRE RÉFORMÉ : UN FOISONNEMENT DE PRÉCONISATIONS
Face à ces critiques lourdes, plusieurs initiatives ont récemment vu le jour pour réformer le droit des campagnes électorales.
Ces initiatives sont de natures très diverses. Il s'agit en effet :
- du rapport établi par un groupe de travail présidé par M. Pierre Mazeaud , ancien député et ancien président du Conseil constitutionnel, à la demande du président de l'Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, et qui formule des « propositions de réforme de la législation sur le financement des campagnes électorales pour les élections législatives » ;
- des propositions formulées par la CNCCFP dans ses rapports d'activité de 2008 et de 2009 ;
- des recommandations de la commission supérieure de codification, saisie de la recodification « à droit mouvant » du code électoral.
Le groupe de travail souligne que la formulation, dans un laps de temps de moins d'un an, d'un tel nombre de recommandations sur la réforme du droit électoral est un phénomène inédit . En effet, la doctrine s'était jusqu'à présent peu investie dans ce secteur du droit -qui devait, aux yeux de nombreux juristes, rester l'apanage des autorités politiques ; le fait qu'elle prenne parti dans ce domaine démontre que la rénovation du droit des campagnes électorales est désormais urgente et nécessaire.
1. De nombreux rapports aux préconisations globalement convergentes
Vos rapporteurs constatent que les travaux récents sont marqués par un consensus sur de nombreux sujets « techniques » , notamment en ce qui concerne le financement des campagnes électorales. Sur ce terrain, le Conseil constitutionnel, la CNCCFP et le rapport de M. Pierre Mazeaud ont ainsi présenté plusieurs préconisations identiques.
a) Un renforcement de l'intelligibilité du droit en vigueur
En premier lieu, tous s'accordent sur la nécessité de procéder à certaines clarifications qui permettraient aux candidats de mieux comprendre le droit en vigueur.
Afin de rendre l'obligation de recourir à un mandataire financier plus effective et d'assurer son respect par les candidats, la déclaration d'un mandataire pourrait devenir une condition de recevabilité de la candidature : concrètement, aucune candidature ne pourrait être enregistrée par les services préfectoraux si elle n'est pas accompagnée d'un document écrit attestant qu'un mandataire a été choisi par le candidat et a accepté d'exercer cette mission.
Corrélativement, le « droit au compte » pour les candidats devrait être renforcé, par exemple au moyen de sanctions financières applicables aux banques qui refuseraient d'ouvrir un compte aux mandataires qui en font la demande 54 ( * ) .
Enfin, la place des experts-comptables pourrait être rationnalisée de deux manières : d'une part, leur rôle devrait être mieux défini (soit par le code, soit par le biais d'un référentiel élaboré conjointement par la CNCCFP et l'ordre des experts-comptables) et, d'autre part, leur intervention pourrait être rendue facultative « quand le montant de leurs dépenses est très inférieur au plafond légal » 55 ( * ) .
b) Des règles de financement plus pragmatiques et mieux adaptées aux contraintes des candidats
Un consensus s'est également dégagé sur plusieurs mesures de simplification du droit en vigueur.
Tout d'abord, le délai couvert par le compte de campagne (et donc pendant lequel les dépenses doivent y être retracées) pourrait être raccourci : plus précisément, il serait porté d'un an à six mois . Le groupe de travail présidé par M. Pierre Mazeaud considérait, dans cette optique, que le « délai d'un an souffre à l'examen de deux défauts : il est très long et pose problème au regard de certains pré-candidats qui annoncent leur candidature, bénéficient des reçus-dons et ne déposent pas de compte de campagne ».
M. François Logerot, président de la CNCCFP, s'est associé à cette proposition lors de son audition par vos rapporteurs : il a ainsi estimé que le délai d'un an n'était pas adapté aux nécessités du contrôle des comptes, puisqu'il était très complexe d'effectuer un suivi des dépenses et des recettes sur une période aussi longue.
Le circuit de traitement des litiges pourrait, lui aussi, être simplifié. Rappelons que, en l'état du droit, les candidats ne peuvent pas former des recours directs contre les décisions de la CNCCFP devant le juge électoral : en effet, le juge administratif n'est saisi par la commission que pour se prononcer sur l'inéligibilité éventuelle du candidat dont le compte a été rejeté 56 ( * ) . En conséquence, il n'a pas compétence pour annuler la décision de la commission qui fixe le montant du droit à remboursement, ni a fortiori pour substituer sa décision à celle de la commission même lorsqu'il constate qu'elle n'a pas statué à bon droit. Le candidat pour lequel le juge électoral considère que la décision de la CNCCFP n'est pas conforme au droit en vigueur doit donc revenir devant la commission pour solliciter une révision du montant du remboursement ; toutefois, celle-ci n'est pas liée par la décision du juge et peut théoriquement maintenir sa décision initiale. Dans ce cas, le candidat doit faire appel, une nouvelle fois, au juge administratif pour contester la décision de la CNCCFP 57 ( * ) .
Pour résoudre cette difficulté, la CNCCFP propose que la décision par laquelle elle arrête le montant du remboursement puisse être considérée comme « un acte détachable pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir », c'est-à-dire d'un recours direct en annulation devant le juge administratif : ceci permettrait aux candidats de saisir plus rapidement et plus facilement le juge électoral.
Enfin, le Conseil constitutionnel, la CNCCFP et le groupe de travail dirigé par Pierre Mazeaud proposent que seuls soient contrôlés, les comptes de campagne des candidats ayant recueilli plus de 1 % des suffrages exprimés ou ayant bénéficié de dons de personnes physiques 58 ( * ) . Comme le soulignait le Conseil constitutionnel, la mise en place d'un tel seuil exclurait « les candidats qui ne sont ni directement ni indirectement à l'origine de charges pour les finances publiques, puisqu'ils n'ont pas droit au remboursement de leurs frais de campagne et que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 11 avril 2003, ils ne sont pas pris en compte pour le calcul du financement public des partis politiques » : il aurait donc le mérite de ne pas astreindre les « petits » candidats à des obligations trop lourdes et de réduire la masse de travail de la CNCCFP, lui permettant ainsi de consacrer plus de temps aux dossiers les plus complexes et les plus sensibles. À titre d'illustration, si cette règle avait été appliquée lors des élections législatives de 2007, elle aurait permis une réduction du nombre de dossiers soumis à la CNCCFP de près de 32 % (soit de 2 421 dossiers).
c) Un contrôle des comptes de campagne mieux proportionné et plus complet
D'autres recommandations -qui font, elles aussi, l'objet d'un accord global, tant parmi les membres de la doctrine qu'entre les institutions chargées du contrôle des comptes- visent à rendre le droit des campagnes électorales plus efficace et plus juste .
Premièrement, un consensus s'est formé sur la nécessité d'étendre la notion de « bonne foi » aux candidats aux élections législatives -ce qui permettrait d'aligner leurs droits sur ceux des élus locaux et ce qui autoriserait le Conseil constitutionnel, juge électoral, à les relever de la sanction d'inéligibilité qu'ils encourent aujourd'hui de manière automatique en cas de rejet de leur compte. Comme vos rapporteurs l'ont déjà souligné, ce consensus est ancien et total : toutes les personnes qu'il a entendues ont d'ailleurs fait état de ce problème et se sont réjouies de l'intérêt récemment suscité par cette problématique.
Toujours dans une optique d'élargissement du champ du contrôle, les dépenses de propagande officielle (dites « dépenses du R. 39 », en référence à l'article R. 39 du code électoral ; celles-ci sont prises en charge directement par l'État pour tous les candidats ayant droit au remboursement public et dans la limite d'un plafond de dépenses) pourraient être incluses dans le compte de campagne. Ceci permettrait à la CNCCFP et au juge électoral de contrôler ces dépenses, notamment afin de s'assurer qu'elles n'ont pas été financées irrégulièrement ou qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un double remboursement (au titre de la propagande officielle, et au titre des comptes de campagne, qui doivent retracer les dépenses liées à d'éventuels suppléments d'impression).
Par ailleurs, les pouvoirs du juge des comptes de campagne devraient être élargis : la CNCCFP et le Conseil constitutionnel estiment ainsi nécessaire d'ouvrir à la Commission la possibilité de mettre en oeuvre des sanctions financières (c'est-à-dire de moduler le montant du remboursement public en fonction de la gravité des fautes commises). Cette nouvelle mission s'exercerait sous le contrôle du juge électoral, devant lequel les décisions de la CNCCFP pourraient, naturellement, être contestées.
d) L'extension de la législation relative aux comptes de campagne aux candidats aux élections sénatoriales
Enfin et surtout, l'extension aux campagnes pour les élections sénatoriales de la législation relative aux comptes de campagne a été proposée par le rapport du groupe de travail présidé par M. Pierre Mazeaud. Ce rapport affirmait ainsi que « l'exclusion des élections sénatoriales du champ de la législation du financement des campagnes électorales apparaît aujourd'hui peu justifié » pour deux raisons principales : en effet, non seulement le coût d'une campagne sénatoriale n'est pas toujours inférieur à celui d'une campagne législative (qui coûte un peu plus de 10 000 euros, en moyenne), mais surtout les campagnes sénatoriales sont, en l'absence de contrôle des dépenses, marquées par une certaine inégalité entre les candidats, dans la mesure où « le candidat qui détient une fonction exécutive dans une collectivité locale peut être amené à disposer d'avantages en nature non-négligeables par rapport à ses adversaires ». La mise en place de véritables comptes de campagne pour les élections sénatoriales et d'un contrôle adapté permettrait, selon M. Pierre Mazeaud, de répondre à ces deux critiques et de restaurer l'égalité entre les candidats aux élections sénatoriales et les autres candidats aux autres élections au suffrage universel, et entre les candidats aux élections sénatoriales eux-mêmes.
Si cette recommandation n'a pas été formellement reprise par la CNCCFP, le président de cette institution, M. François Logerot, a néanmoins marqué son intérêt pour cette réforme : il a ainsi indiqué à vos rapporteurs que, même si cette extension impliquerait de mener une réflexion sur la mise en place d'un plafond de dépenses adapté à la spécificité des campagnes pour les élections sénatoriales -qui ne sauraient, au vu du mode de scrutin universel indirect qui caractérise le Sénat, répondre exactement aux mêmes règles que les campagnes législatives-, elle permettrait de renforcer sensiblement la transparence de la vie politique nationale .
2. La persistance de désaccords sur plusieurs sujets sensibles
Malgré l'existence de ces consensus nombreux et substantiels, des désaccords forts persistent dans plusieurs domaines .
a) Des incertitudes résiduelles sur certaines modifications de la législation relative au financement des campagnes électorales
En dépit de l'existence d'un accord sur la plupart des modernisations envisageables pour améliorer les règles de financement des campagnes, deux points ne semblent pas faire l'objet d'une approche uniforme ni de la part de la doctrine, ni de celle des autorités en charge du contrôle des comptes.
* La prise en compte des dépenses exposées par des tiers
D'abord, le groupe de travail présidé par Pierre Mazeaud a préconisé la prise en compte, dans le compte de campagne des candidats concernés, des dépenses électorales exposées à leur profit par des tiers. Il recommande, à cet égard, de s'inspirer des législations canadienne et britannique, qui reposent sur un système de déclaration des dépenses de communication exposées par des tiers pour promouvoir le programme d'un candidat ; sur cette base, les contribution de tiers sont recensées et soumises à un mécanisme de contrôle (comptabilisation éventuelle dans le compte de campagne, plafonnement, etc.).
Extraits du rapport du groupe de travail
présidé par Pierre Mazeaud :
« Aux termes de l'article L. 52-12 du Code électoral, le candidat ou la tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors campagne officielle, par lui-même ou pour son compte, pendant la période précédant l'élection. Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec son accord, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien. « L'exigence par le législateur en 1995 d'un accord explicite du candidat n'est évidemment pas neutre. Ne sont incluses dans le compte de campagne que les dépenses pour lesquelles le dossier et l'instruction devant la CNCCFP et le juge de l'élection font apparaître qu'elles ont été décidées ou approuvées par le candidat ou qu'il a manifesté en tirer parti. Or comme l'a relevé le Conseil constitutionnel lors de l'élection présidentielle de 1995, l'exigence d'une approbation tacite revient à restreindre les pouvoirs confiés au juge de l'élection en ne lui permettant pas de s'assurer de l'exhaustivité des dépenses qui lui sont soumises. « Si l'on ne peut que rejoindre le Conseil constitutionnel pour doter les organes de contrôle du financement de l'élection des moyens de s'assurer de l'effort financier consenti par toutes les parties intéressées par l'élection d'un candidat, deux options sont possibles : « - revenir à la législation antérieure à 1995 qui visait les dépenses exposées directement au profit du candidat dès lors qu'elles avaient été engagées avec son accord même tacite. Mais on peut craindre que l'exigence d'un accord tacite ne nourrisse un contentieux qui affaiblirait le dispositif retenu ; « - s'inspirer des dispositions relatives aux tierces parties que l'on rencontre dans les législations canadienne et britannique. « La loi électorale du Canada réglemente les « tiers » qui font de la publicité électorale. Un « tiers » peut être une personne ou un groupe. [...] Si un tiers dépense 500 dollars ou plus en publicité électorale, il doit immédiatement s'enregistrer auprès du Directeur général des élections. Le tiers qui fait des dépenses de publicité électorale de plus de 5 000 dollars est tenu de nommer un vérificateur-comptable qui fait un rapport sur ces dépenses. La méconnaissance de ces règles édictées par la loi électorale du Canada est susceptible de poursuites pénales. Un tiers peut engager des dépenses de publicité électorale maximales de 183 300 dollars. [...] « Au Royaume-Uni, les tierces parties sont des groupes faisant campagne ou des organisations associées ou non à un parti politique. Si elles veulent dépenser plus de 5 000 livres en Écosse, au Pays de Galles ou en Irlande du Nord et plus de 10 000 livres en Angleterre, elles doivent avoir été enregistrées à cette fin par la Commission électorale. Une fois reconnues elles doivent transmettre une déclaration de dons et de dépenses à la Commission électorale à l'issue du scrutin, dans un délai de trois mois jusqu'à 250 000 livres ou dans un délai de six mois au-delà de 250 000 livres. Le plafond des dépenses des tierces parties au niveau national est de 793 500 livres pour les élections législatives dans la seule Angleterre, de 27 000 livres en Irlande du Nord, de 108 000 livres en Écosse et de 60 000 livres au Pays de Galles. [...] S'il apparaît que les dépenses de tierces parties peuvent être imputées à un parti politique, elles peuvent être intégrées dans les dépenses du parti soumises à plafonnement. » |
Lors de son audition par le groupe de travail, M. François Logerot s'est fortement opposé à cette proposition dont il a estimé qu'elle revenait à autoriser des personnes morales à contribuer aux campagnes électorales, et donc à remettre en cause l'interdiction posée par le législateur en 1995 alors même que celle-ci a été, et reste, un élément central pour la moralisation de la vie politique.
* Le droit d'accès aux comptes de campagne du candidat élu pour les candidats évincés
Le groupe de travail dirigé par M. Pierre Mazeaud propose, en outre, de donner à ceux qui contestent l'élection un droit d'accès au compte de campagne du candidat élu ou, en d'autres termes, de « permettre au requérant qui conteste l'élection [...] de consulter le compte de campagne déposé par le candidat ». Cette proposition est, selon le rapport Mazeaud, « dictée par le respect de l'égalité des armes » et doit pouvoir être mise en oeuvre dès lors qu'un moyen invoquant l'irrégularité du compte est soulevé devant le juge électoral.
Vos rapporteurs constatent que cette recommandation n'a jamais été évoquée par le Conseil constitutionnel et que, par ailleurs, elle ne recueille pas l'accord de la CNCCFP. Entendu par le groupe de travail, M. François Logerot a ainsi estimé qu'une telle réforme poserait plusieurs difficultés pratiques :
- elle pourrait avoir pour effet pervers de multiplier les contestations électorales, qui seraient introduites uniquement pour « satisfaire la curiosité malsaine du requérant » ou pour donner lieu à « une inquisition à caractère politique » ;
- elle prolongerait le délai de contrôle de la CNCCFP, qui devrait laisser les comptes de campagne à disposition d'éventuels requérants pendant un temps suffisant.
M. François Logerot a également jugé que cette innovation était peu utile , dans la mesure où la CNCCFP peut déjà adresser l'ensemble des informations dont elle dispose sur le candidat au juge électoral -dont le compte est alors versé au dossier contentieux et accessible aux parties.
b) Des controverses importantes sur la portée de la notion de « bonne foi »
La question la plus sujette à controverses est celle de la portée de la notion de « bonne foi » .
En effet, la jurisprudence administrative a retenu une approche stricte de la « bonne foi » : comme le rappelle le rapport du groupe de travail présidé par M. Mazeaud, entre 1996 et 2008, le Conseil d'État n'a retenu cette circonstance que dans 38 cas, ce qui représente 14,6 % des décisions .
Cette vision restrictive peut, selon le président Stirn, être expliquée par plusieurs éléments :
- d'une part, le juge a certainement voulu accompagner la volonté du législateur de « moraliser » la vie politique française ; il a, dès lors, privilégié une vision rigoureuse de l'ensemble des normes mises en place depuis la fin des années 1980 ;
- d'autre part, en posant des règles strictes et en se fondant sur des éléments objectifs pour apprécier la solution à donner aux litiges, il a tenté d'éviter, dans un domaine du contentieux particulièrement sensible, l'irruption d'une trop grande subjectivité du juge .
La jurisprudence du Conseil d'État sur la
« bonne foi » :
Prévue par l'article L. 118-3 du code électoral, où elle a été insérée en 1996 59 ( * ) , la notion de « bonne foi » permet de tempérer les effets de la sanction d'inéligibilité qui est, en principe, systématiquement prononcée à l'encontre des candidats qui ont méconnu la législation relative au financement des campagnes électorales. Cette notion fait toutefois l'objet d'une application restrictive par le juge administratif, celle-ci n'étant reconnue que dans des cas exceptionnels et en fonction de critères objectifs qui laissent peu de place à l'intention du candidat. Ainsi, comme l'a souligné M. Bernard Stirn lors de son audition, la circonstance que le candidat en cause soit un « nouveau » candidat, qu'il connaisse mal les règles électorales, que les sommes en jeu soient faibles ou que le candidat ait rectifié son erreur dès qu'il en a eu connaissance ne suffit pas, le plus souvent, à caractériser la « bonne foi ». Schématiquement, on peut considérer que la « bonne foi » est reconnue dans cinq cas : 1) lorsque les règles applicables sont ambiguës ou imprécises, et qu'elles ne sont pas « substantielles ». Ainsi, la définition légale du « parti ou groupement politique », telle qu'elle résultait de la législation applicable en 1992, a pu être considérée comme « imprécise » par le Conseil d'État : un candidat ayant bénéficié des dons d'une association qu'il avait indûment regardée comme un parti politique a donc pu voir sa « bonne foi » reconnue et n'a pas été déclaré inéligible (CE, Ass., 30 octobre 1996, « Élections municipales de Fos-sur-Mer »). A contrario , le Conseil a estimé que les dispositions suivantes étaient substantielles et dénuées d'ambiguïté, ce qui l'a amené à refuser de reconnaître la « bonne foi » des candidats y ayant contrevenu : - prohibition des dons de personnes morales 60 ( * ) ; - interdiction pour un candidat d'appartenir à l'association de financement électoral qui joue le rôle de son mandataire 61 ( * ) ; - interdiction pour un candidat de régler lui-même les dépenses exposées pour sa campagne 62 ( * ) |
; - obligation de déposer le compte de campagne dans les délais requis 63 ( * ) . 2) lorsque l'administration a fourni des indications erronées au candidat (CE, 18 octobre 1996, « Élections municipales de Cavaillon »). 3) lorsque l'irrégularité n'est pas imputable au candidat, et notamment lorsqu'elle a été commise par des tiers et à son insu. Dans ce cas, le candidat doit ne pas avoir été informé des infractions et ne pas avoir « été en mesure de s'y opposer ni de [les] prévenir » (CE, 8 janvier 1997, « Élections municipales d'Istres »). 4) lorsque l'attitude du candidat démontre manifestement sa « bonne foi ». Ainsi, le fait qu'un candidat ait tenté de s'informer auprès de la CNCCFP avant le dépôt de son compte de campagne, et qu'il ait finalement retenu une solution de comptabilisation qui lui était défavorable, indique sa bonne foi (CE, 15 juin 2009, « M. Tachdjian »). À l'inverse, un candidat dont le compte de campagne n'a pas été correctement présenté par un expert-comptable en raison des erreurs commises par l'expert lui-même, mais qui ne s'est pas assuré que les conditions de présentation de son compte étaient conformes aux prescriptions du code électoral, ne verra pas sa bonne foi reconnue (CE, 27 juillet 2002, « M. Maury »). 5) lorsque l'infraction est justifiée par des éléments objectifs et dénués de tout lien avec le jeu politique. Par exemple, certains candidats aux ressources modestes n'ont pas été déclarés inéligibles bien qu'ils n'aient pas fait appel à un expert comptable pour présenter leur compte de campagne : le juge administratif a alors tenu compte du fait que, bien qu'étant une formalité substantielle, le recours à un expert-comptable coûte cher et n'est pas remboursé aux candidats ayant obtenu moins de 5 % des suffrages (CE, 20 janvier 1999, « M. Alie », pour un candidat chômeur de longue durée ; CE, 18 juin 2008, « Mme Ginette X »). |
Cette jurisprudence est très critiquée par certains juristes -et notamment par le groupe de travail présidé par Pierre Mazeaud-, qui prônent la mise en place d'une vision plus libérale de la « bonne foi ».
Le rapport Mazeaud souligne ainsi que cette approche restrictive de la « bonne foi » remet en cause la pertinence de l'échelle globale des sanctions en matière électorale : en effet, la plupart des candidats ayant commis un manquement, fût-il mineur, aux règles relatives au financement des campagnes électorales seront frappés d'une sanction d'inéligibilité, alors même qu'un candidat reconnu coupable d'infractions plus graves et engageant directement sa moralité -comme la fraude électorale 64 ( * ) ou la transmission d'une déclaration de patrimoine mensongère à la Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTFVP)- risquera simplement, s'il a été élu, de voir l'élection dans laquelle il a été candidat annulée.
Cette critique n'a d'ailleurs rien de théorique : lors des élections municipales et cantonales de 2008, environ 70 candidats élus n'ont pas vu leur « bonne foi » reconnue et ont donc été déclarés inéligibles sur le fondement de la législation relative aux comptes de campagne, provoquant l'annulation de leur élection et leur interdisant de se présenter à l'élection partielle organisée à la suite de cette annulation .
La sanction d'inéligibilité peut donc être injuste, dans la mesure où elle est prononcée par le juge électoral même en cas d'infraction à des règles strictement formelles et où elle est plus lourde que les sanctions appliquées pour des fautes pourtant plus graves.
Ainsi, selon le rapport Mazeaud, la jurisprudence rigoureuse du Conseil d'État est contraire « aux exigences constitutionnelles relatives à la nécessité et à la proportionnalité des sanctions » et conduit le juge électoral à « méconnaître le principe de non-automaticité dans un domaine qui intéresse les libertés publiques ».
Le groupe de travail présidé par Pierre Mazeaud pointe, en outre, l'absence de lien entre la nature des fautes commises (qui sont le plus souvent formelles, et donc non-intentionnelles) et la nature de la sanction prévue, qui a une composante morale forte et est ressentie par les élus comme infâmante . En bref, la vision de la « bonne foi » retenue par le juge administratif serait trop éloignée de l'acception qui est communément faite de cette notion ; elle serait « discutable, car elle laisse peu de place à l'intentionnalité ».
Le rapport Mazeaud propose, en conséquence, de redéfinir la « bonne foi » dans un sens plus libéral : celle-ci serait « établie par l'absence de volonté délibérée de fraude, de manquement grave aux règles de financement des campagnes électorales et d'altération de la sincérité du scrutin ».
En d'autres termes, ne pourraient être déclarés inéligibles que les candidats ayant :
- eu l'intention de commettre une infraction à la législation ;
- commis une infraction grave ;
- commis une infraction ayant eu des conséquences sur l'issue du scrutin .
Cette proposition a suscité une forte opposition de la part de certains juristes : par exemple, M. Bernard Maligner, ingénieur d'études au CNRS et spécialiste du droit électoral, a estimé lors de son audition que cette nouvelle vision de la « bonne foi » équivaudrait à un « enterrement » de la législation sur le financement des campagnes électorales.
* 54 Le rapport de M. Pierre Mazeaud propose ainsi de sanctionner le refus d'ouvrir un compte par une amende de 7 500 euros, sans préjudice d'éventuelles sanctions professionnelles.
* 55 Observations du Conseil constitutionnel sur les élections législatives de 2007.
* 56 Ceci a été confirmé par une décision récente du Conseil d'Etat (6 décembre 2006, « Lefranc », req. n° 294513) : « lorsque la commission saisit le juge de l'élection, cette saisine n'a pas pour objet de faire valider par le juge cette décision de rejet ou de réformation ; [...] il appartient toutefois au candidat, après que le juge de l'élection s'est prononcé sur la saisine de la commission et s'il s'y croit fondé, de former une demande auprès de cette dernière en vue du remboursement de ses dépenses électorales et, le cas échéant, de contester devant le juge administratif la décision prise par la commission sur cette demande ».
* 57 Comme le soulignait M. François Logerot lors de son audition, ce circuit a été complexifié et rallongé par un décret récent qui a mis fin à la compétence directe du Conseil d'État en appel des décisions de la CNCCFP (décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives).
* 58 L'inclusion des comptes des candidats ayant reçu des dons, même s'ils ont obtenu moins de 1 % des suffrages, est en effet rendue nécessaire par le fait que ces dons donnent lieu, pour le donateur, à un avantage fiscal : il serait donc peu opportun que les comptes retraçant ces dons ne fassent l'objet d'aucun contrôle.
* 59 Loi n° 96-300 du 10 avril 1996.
* 60 CE, 15 janvier 1997, « Élections municipales de Villeurbanne ».
* 61 CE, 29 juillet 2002, « M. Marinell »i.
* 62 CE, 29 juillet 2002, « M. Caul-Futy », et CE, 17 juin 2005, « M. Salim ».
* 63 CE, 9 juin 2008, « Élection du conseiller général du canton de Calais-Nord-Ouest ».
* 64 Dans le cas particulier de la fraude électorale, celle-ci ne sera sanctionnée que si l'écart de voix est suffisamment limité pour laisser à penser que les résultats du scrutin auraient pu être inversés si la fraude n'avait pas été commise.