Audition du Médecin-Chef des services Luc GUILLOU, Délégué aux réserves du service de santé des armées, le 16 mars 2010
Le médecin-chef des services a tout d'abord fait remarquer que de toutes les réserves, la réserve du service de santé des armées est la plus touchée par le phénomène de double, voire de triple appartenance de ses membres à d'autres réserves ou services d'urgence. Cette situation peut s'avérer particulièrement dommageable en cas de crise. En effet, les médecins, dentistes, pharmaciens, infirmiers ou vétérinaires qui la composent peuvent servir dans d'autres réserves, notamment sanitaire et communale. Cependant, il a précisé qu'en droit, le réserviste qui serait employé dans plusieurs réserves devrait répondre prioritairement à l'appel de la réserve militaire, mais que dans la pratique, il était difficile de savoir si la règle serait respectée.
Il a précisé que la réserve opérationnelle volontaire (c'est-à-dire les réservistes ayant souscrit un CESR) compte 3 700 personnes, dont 1 300 médecins, 250 pharmaciens, 250 chirurgiens-dentistes, 310 personnels des services techniques et administratifs et 90 vétérinaires. L'objectif pour 2015 a été revu à la baisse : de 5 020, il est tombé à 4 100 réservistes. Le service de santé des armées compte au total 16 000 hommes, dont 10 000 militaires et 6 000 civils. Le taux de féminisation est d'environ 40 % dans l'active, et de seulement 17 % dans la réserve.
En ce qui concerne la répartition catégorielle de la réserve du service de santé des armées, on compte 1 200 sous-officiers (infirmiers, etc.) et 300 militaires du rang (brancardiers, etc.).
En 2009, le taux d'activité annuel moyen s'élevait à 19,6 jours par réserviste et par année civile, ce qui est inférieur à la moyenne de la réserve militaire dans sa globalité, hors gendarmerie. Il a précisé que la cible pour 2012 en termes d'activité est de 24 jours ouvrés par an et par réserviste, soit 96 000 journées ouvrées. En 2009, l'activité de la réserve du service de santé des armées s'élevait en volume à 70 000 journées, nombre qui a doublé par rapport à celui de 2005. Sur le plan de l'activité, on peut estimer que 7 réservistes représentent 1 ETP.
En outre, il a souligné que la réserve du service de santé des armées était peu composée d'anciens de l'active : la directive de 1999 relative à la réserve militaire entendait que la réserve du service de santé provienne davantage de la société civile. Il a également insisté sur le fait que le service national, point de rencontre avec l'armée pour les dernières générations, constituait un véritable vivier pour cette réserve puisqu'aujourd'hui 50 % des réservistes ont effectué le service national.
Afin de maintenir le nombre de réservistes et d'assurer le recrutement, le médecin-chef a mis en avant l'importance des directions régionales du service de santé des armées. Il en existe actuellement six sur le territoire métropolitain et 5 outre-mer. Elles effectuent un travail de sensibilisation et d'information auprès des facultés de médecine et des écoles de pharmacie. Des cours de médecine militaire ont été mis en place dans une dizaine de facultés. Des visites des locaux sont également organisées par le service à destination des étudiants. De plus, le bouche-à-oreille s'avère être un vecteur puissant.
900 réservistes sont ainsi recrutés chaque année dans le service de santé des armées, ce qui permet de remplir les objectifs d'effectifs du ministère. La courbe du recrutement demeure donc ascendante.
Toutefois, le médecin-chef a noté une fragilité dans ce dispositif de recrutement : la motivation de l'individu peut basculer sur un affichage défavorable ou des mauvaises communication et réputation.
Dans une telle perspective, le médecin-chef des services Luc Guillou a évoqué les attraits principaux de la réserve du service de santé des armées. C'est l'emploi qui apporte au réserviste un sentiment d'utilité. Servir dans la réserve de ce service constitue une période de variété (OPEX...) dans la vie professionnelle parfois routinière d'un professionnel de santé. L'aventure humaine (amitié, camaraderie, expérience) fait également partie des motivations pour s'engager dans la réserve. Le médecin-chef des services a indiqué que l'aspect « ouverture » compte beaucoup pour les candidats à la réserve 117 ( * ) , plus que l'appât du gain. En effet, un infirmier réserviste reçoit au maximum 80 euros par jour ouvré, alors qu'une étude de l'EPRUS estime que la rémunération plancher est de 82 euros par jour ouvré. La réserve militaire n'est pas du tout concurrentielle sur le plan des rémunérations. Enfin, ce sont l'esprit du service et un réel patriotisme qui peuvent motiver les réservistes.
Les activités dans le cadre de la réserve sont réalisées de manière volontaire, sur le principe du gré à gré, et jamais sous la contrainte, qui ne semble pas pouvoir fonctionner. Ainsi, lors de l'établissement du plan prévisionnel d'activité annuelle, couplé avec une affectation dans une unité, le réserviste indique ses desiderata en ce qui concerne son rythme de travail. Ce plan prévisionnel d'activité annuelle est considéré comme un contrat d'objectifs et il est validé lors d'un entretien annuel systématique.
Les réservistes ont besoin d'un délai d'organisation pour effectuer leurs périodes de réserve. En outre, la loi oblige l'employeur à libérer le réserviste seulement 5 jours par an. Or dans la plupart des cas, le médecin est son propre patron. Il s'autorise alors lui-même et doit lui-même trouver des remplaçants pour reprendre son cabinet. Une telle anticipation et gestion sont lourdes à assumer, sans compter les difficultés pour payer le remplaçant. Le médecin-chef a évoqué l'exemple d'un médecin généraliste réserviste, parti en Bosnie. Ce dernier éprouva des difficultés pour payer son remplaçant dans la mesure où sa rémunération en tant que réserviste ne suffisait pas à couvrir cette dépense, et lorsqu'il revint en France il dut attendre deux années avant de voir sa clientèle se reconstituer.
En situation de crise, le dispositif d'appel aux réservistes n'est pas contraignant. La réserve opérationnelle volontaire ne s'inscrit plus dans la perspective de mobilisation brutale. Elle entend plutôt s'inscrire dans la durée et permettre aux forces de l'active de « souffler ».
Il a également indiqué que la réserve du service de santé des armées intervient sur des évènements liés à des catastrophes naturelles ou des opérations extérieures (OPEX).
L'intérêt de la réserve du service de santé des armées est aussi de bénéficier de compétences spécifiques peu représentées dans l'armée (pédiatre, légistes...).
Pour venir en aide au peuple haïtien, des unités de sécurité civiles, composées de plusieurs réservistes urgentistes, ont été envoyées sur le terrain, ainsi que des réservistes légistes afin de procéder à l'identification des corps. Au total, une dizaine de réservistes ont été envoyés à Haïti. Aucun réserviste en revanche n'a été envoyé pour répondre à la crise provoquée par la tempête Xynthia.
En Afghanistan, l'armée avait envoyé des réservistes spécialisés afin de venir en aide et d'apporter leur compétence particulière aux forces de l'active. Toutefois, le médecin-chef des services a remarqué que le problème concernant l'Afghanistan, sur le plan de l'envoi de réservistes, réside dans la durée des missions de six mois. Le réserviste ne peut effectuer, dans le cadre normal, que 150 jours d'activités pour la réserve par année. Une dérogation exceptionnelle de l'EMA pour des emplois de portée internationale peut permettre de porter cette durée à 210 jours.
Le médecin-chef des services Luc Guillou précise que le SSA apporte couramment son soutien aux populations civiles des pays en guerre mais que « l'humanitaire » ne constitue pas sa vocation. Mais la finalité principale du service de santé des armées est en effet le soutien des forces. De plus, le service de santé des armées s'attache à garder des distances avec l'humanitaire afin de ne pas compromettre les ONG auprès de la population, et vis-à-vis des mouvements terroristes. Par exemple, le médecin-chef a expliqué ainsi le retrait des logos de la croix rouge des véhicules sanitaires car ils constituaient une cible privilégiée pour les terroristes, qui ne souhaitent pas laisser les Occidentaux jouir d'une image positive auprès de la population.
Il a indiqué que le réserviste est à la fois un élément peu coûteux mais très lourd à gérer. En effet, il est payé seulement au jour ouvré, les week-ends ne sont donc pas rémunérés. Si le réserviste travaille au moins 14 jours de manière continue, alors il a le droit à 2 jours de permission, sinon il n'a pas droit à des congés rémunérés. Toutefois, les procédures de convocation, de formation, la fabrication et l'envoi des documents de paiement et défraiement constituent un travail administratif lourd.
En ce qui concerne la connaissance que peut avoir le service de santé de ses réservistes dans la société civile, il existe une liste de compétences et emplois contenus dans un système informatisé de ressources humaines, qui recueille également les coordonnées de chacun des réservistes. Les appels ou les convocations des réservistes à servir se font par mail ou par téléphone pour assurer une meilleure information.
Revenant sur l'organisation, le médecin-chef a indiqué que le service de santé des armées sur le territoire national est structuré par région. Les appels à besoin se font auprès de la sous-direction « ressources humaines » de la direction centrale du service de santé des armées.
Sur le territoire national, c'est la logique de « facture régionale » qui prime. Par exemple, la répartition des besoins se fait en fonction des régions sur un temps et un terrain donnés. Lorsque les régions n'ont plus la ressource nécessaire pour assurer leur mission, le service de santé fait appel à d'autres régions pour venir compléter le dispositif.
Depuis 2005, les directions d'armée (marine, air terre) qui existaient auparavant ont été rassemblées en six directions régionales interarmées dont le territoire de compétence est calqué sur celui des zones de défense.
Le médecin-chef des services a apporté quelques éléments sur la réserve sanitaire. Elle n'a pas encore été testée à grande échelle. Néanmoins, elle peut se montrer très utile, forte de sa composante d'intervention et de sa composante de renfort. En effet, les professionnels, de par une initiative citoyenne, devraient être préparés à agir en situation dégradée, en attendant que l'appareil d'Etat reprenne ses fonctions et que les renforts arrivent. Notons aussi que dans son contrat dans la réserve sanitaire, le réserviste doit signaler son appartenance à une autre réserve si tel est le cas.
Le médecin-chef des services souligne que depuis la fin de la conscription et de la réserve de mobilisation qu'elle alimentait (1997), la réserve opérationnelle, créée par la loi de 1999, ne constitue plus un outil de montée en puissance massif et immédiat. Elle constitue désormais une réserve dont la mission est de permettre aux membres des services actifs de prolonger leur action dans la durée. Il a estimé qu'il serait illusoire de songer à augmenter les mesures de contraintes à l'égard du personnel médical comme l'illustrait le peu de résultat des mesures de réquisition préfectorale lors de la campagne de vaccination. Il a aussi évoqué la nécessité d'envisager des mesures plus directives pour les « disponibles » (recherche des coordonnées, convocation à des examens d'aptitude médicale pour savoir s'ils sont opérationnels). Enfin, il serait selon lui souhaitable d'identifier l'appartenance des professionnels de santé aux différentes réserves afin d'avoir une vision claire de leur réelle disponibilité en cas de crise.
* 117 Par exemple, concernant l'arrivée des femmes dans la réserve du service de santé, le médecin-chef a cité l'exemple d'une ancienne médecin du travail qui, à la retraite, vient d'intégrer la réserve.