N° 493
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 mai 2010 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le bilan de la réforme et l' évaluation de la politique du crédit d' impôt recherche ,
Par M. Christian GAUDIN,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera. |
Mesdames, Messieurs,
Le crédit d'impôt recherche (CIR), créé par la loi de finances pour 1983, a beaucoup évolué depuis son apparition. En particulier, il a été singulièrement renforcé par une importante réforme, adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2008 .
Aux termes de son exposé des motifs, « cette réforme, qui [s'inscrivait] dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, [devait] inciter les entreprises à accroître leurs dépenses de recherche » 1 ( * ) .
Conséquence logique de l'ambition affichée, le CIR a un coût , estimé à environ 4 milliards d'euros par an , ce qui fait de ce crédit d'impôt la deuxième dépense fiscale de l'Etat après le taux réduit de TVA pour les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des logements achevés depuis plus de deux ans (5,2 milliards d'euros).
Le Parlement a donc toujours été attentif aux effets du CIR, ce sont témoigne les demandes régulières de rapports d'évaluation au Gouvernement sur ce sujet. De même, la Cour des comptes et le Conseil des prélèvements obligatoires ont déjà produit plusieurs documents 2 ( * ) au sujet du CIR.
Sans contester l'intérêt de ces travaux, dont il a d'ailleurs parfois rencontré les auteurs, votre rapporteur spécial a jugé nécessaire d'étudier lui-même les premiers résultats de la réforme de 2008. En effet, au-delà de son seul coût budgétaire, le crédit d'impôt recherche est devenu un « pilier » de la politique nationale en matière de recherche. Il représente ainsi environ 20 % des crédits dévolus à la mission « Recherche et enseignement supérieur » et son impact dans le paysage de la recherche est tout à fait comparable à celle du « grand emprunt » autorisé par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010.
Le présent rapport d'information rend compte du contrôle budgétaire mené par votre rapporteur spécial sur le CIR, en application de l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
Si un bref rappel théorique est indispensable, ce document se veut avant tout pratique, à destination des parlementaires qui votent chaque année le budget de l'Etat et des citoyens concernés par les finances publiques.
Intégrant les toutes premières données disponibles relatives à l'année 2009, premier exercice au cours duquel les entreprises ont pu bénéficier des effets de la réforme de 2008, il s'attache à les interpréter, en dépit du double obstacle de la « fraîcheur » de ces données et du contexte économique très particulier de 2009.
D'autre part et surtout, votre rapporteur spécial s'est attaché à « donner de la chair » à ses travaux, en rencontrant de nombreux acteurs concernés par le CIR, en particulier des entreprises, de toutes tailles, de tous secteurs, en Ile de France ou dans d'autres territoires.
Il en ressort que les débuts de la réforme apparaissent encourageants et justifient que les grands équilibres du dispositif soient stabilisés pour plusieurs années.
Toutefois, votre rapporteur spécial formule quelques pistes d'évolution et estime particulièrement nécessaire la mise en place d'une véritable stratégie de contrôle du CIR afin d'apprécier le retour économique de chacune de ses composantes . A cet égard, l'efficacité réelle de la tranche de crédit d'impôt au taux de 5 % dont bénéficient la fraction de dépenses de R&D des entreprises qui dépassent 100 millions d'euros paraît douteuse , alors même que son coût s'est élevé à 588 millions d'euros en 2009.
SYNTHÈSE DES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
- Les dépenses de recherche et développement (R&D) présentent un intérêt pour les territoires, en termes de croissance et en termes de « souveraineté économique » ; - spontanément, les entreprises n'investissent pas autant que ce qui serait nécessaire pour la collectivité, à la fois du fait de l'incertitude du résultat des recherche que du fait qu'en cas de succès, les bénéfices ne profitent pas au seul investisseur ; - les aides publiques à la R&D sont donc justifiées et sont d'ailleurs pratiquées par de nombreux Etats. La France, comme d'autres pays, mêle des aides directes (en particulier, apportées par OSEO) à un soutien fiscal (crédit d'impôt recherche) ; - le crédit d'impôt recherche (CIR) a pris une nouvelle ampleur depuis sa réforme dans le cadre de la loi de finances pour 2008 qui a porté le taux de sa part « en volume » à 30 % 3 ( * ) tout en supprimant sa part dite « en accroissement » ; - le nombre d'entreprises ayant déclaré des dépenses de R&D pour bénéficier du CIR a augmenté de 34 % en 2008 , le nombre total de déclarants s'élevant à 12.949 unités . - le coût du CIR a fortement augmenté en 2009 , passant en un an de 1.682 millions d'euros à 4.155 millions d'euros . Pour sa part, l'assiette du crédit d'impôt a progressé de 143 millions d'euros. Elle s'est élevée à 15.426 millions d'euros en 2008 contre 15.283 millions d'euros en 2007 ; - la part du crédit d'impôt revenant aux PME a augmenté en 2009 , pour atteindre près de 44 % , même si ce constat doit être nuancé lorsque l'on prend en compte les seules PME indépendantes, qui ont reçu 20,3 % du total ; - les industries manufacturières restent les premières bénéficiaires de cet avantage fiscal ; - ces débuts encourageants plaident pour le maintien de l'architecture générale du CIR pour au moins trois ans , afin de stabiliser un dispositif incitatif et destiné à soutenir les dépenses de R&D, que les entreprises planifient à moyen et à long terme ; - le CIR gagnerait toutefois à être recentré sur son objet, certaines dispositions périphériques pouvant être codifiées à part ; - le remboursement immédiat du CIR devrait être pérennisé pour les seules PME indépendantes. En outre, les avances remboursables devraient être réintégrées au sein de l'assiette du crédit d'impôt ; - il convient de sécuriser les entrepreneurs , en formalisant davantage le périmètre des dépenses éligibles et en formant mieux au mécanisme du CIR les interlocuteurs naturels des entreprises (réseaux consulaires, experts-comptables, etc.) ; - une véritable stratégie d'évaluation de l'efficacité du CIR et de chacune de ses composantes doit être mise en place ; - une telle évaluation doit concerner au premier chef la part du CIR au taux de 5 % qui subventionne la fraction des dépenses de R&D dépassant 100 millions d'euros. Son effet incitatif paraît douteux alors même que son coût s'est élevé à 588 millions d'euros en 2009 . Un amendement de votre commission des finances devrait servir de support à ce débat lors de l'examen du prochain budget. En outre, il convient d'assurer que ce seuil de 100 millions d'euros est défini en consolidant les sommes engagées par les différentes filiales d'un groupe afin d'éviter les montages d'optimisation fiscale. |
I. L'INVESTISSEMENT PRIVÉ EN RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT
A. L'IMPORTANCE POUR LES TERRITOIRES DE DISPOSER D'UNE FORTE ACTIVITÉ DE R&D
1. Les dépenses de R&D : un vecteur de croissance
Depuis les années 1980 et les travaux de l'économiste américain Paul Romer, de nombreuses études ont mis en évidence le lien entre les dépenses de recherche et développement (R&D) et la croissance économique à long terme des Nations . Le rapport d'information 4 ( * ) sur les incidences économiques d'une augmentation des dépenses de recherche en Europe que notre collègue Joël Bourdin a écrit, en juin 2004, au nom de la délégation du Sénat sur la planification, a, par exemple, fait un point utile sur cette problématique.
Dans l'analyse classique, l'innovation est un processus linéaire, au départ duquel se trouve la recherche. De la recherche naît l'invention. L'invention engendre ensuite l'innovation. Enfin, l'innovation se diffuse et conduit à de nouveaux produits et de nouvelles techniques.
Depuis lors, plusieurs études ont bien montré qu'il est plus juste de relier la croissance à l'ensemble du processus d'innovation, qui ne saurait se réduire aux seules dépenses de R&D 5 ( * ) . Néanmoins, les enquêtes conduites sur le sujet par le ministère de l'industrie montrent bien que la principale source d'innovation est de très loin la recherche interne à l'entreprise.
Sur de tels fondements, le développement économique à long terme d'un pays ne dépend pas uniquement de facteurs exogènes sur lesquels les pouvoirs publics n'ont pas de prise réelle 6 ( * ) , mais de facteurs endogènes 7 ( * ) . Dans une telle perspective, l'action publique peut avoir un effet de long terme sur la croissance , en agissant sur le rythme d'accumulation des richesses, par exemple au travers du taux d'épargne ou des dépenses de R&D .
Tel est le sens de l'objectif, bien connu, que se sont assignés les dirigeants des pays de l'Union européenne lors du sommet de Barcelone, qui s'est tenu les 15 et 16 mars 2002. Les chefs d'Etats et de gouvernements ont alors considéré que « l'ensemble des dépenses en matière de R&D et d'innovation dans l'Union [devait] augmenter, pour approcher 3 % du PIB d'ici 2010. Les deux tiers de ce nouvel investissement devraient provenir du secteur privé ».
Le graphique ci-après illustre les efforts restant à accomplir par la France au regard de cet objectif, tout en la situant par rapport à d'autres grands pays industrialisés.
* 1 Selon la lettre « Trésor-éco » n° 50 de janvier 2009, éditée par la direction générale du Trésor, la réforme « devrait induire un surcroît de PIB de 0,6 point au bout de 15 ans, ce qui signifie que chaque euro dépensé par l'Etat sous forme de CIR se traduit par une augmentation de PIB de 4,5 euros ».
* 2 Voir, en particulier, le rapport public 2007 de la Cour des comptes et le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur les « prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée » d'octobre 2009.
* 3 Jusqu'à 100 millions d'euros de dépenses éligibles. Au-delà, ce taux est réduit à 5 %.
* 4 Rapport d'information Sénat n° 391 (2003-2004).
* 5 Voir notamment le rapport du Conseil d'analyse économique « Innovation et croissance », par Robert Boyer et Michel Didier, janvier 1998.
* 6 Dans le modèle de Robert Solow, l'intensité du progrès technique et la croissance de la population active.
* 7 Outre Paul Romer, voir le modèle de Philippe Aghion et Peter Howitt, « la théorie de la croissance endogène », 1998.