B. DES RÉGIMES DE CROISSANCE DÉSÉQUILIBRÉS
L'excès d'endettement privé était un facteur peu analysé avant la crise, l'accent ayant été mis sur les questions de déséquilibres des comptes publics et des balances des paiements. Pourtant, la croissance de la dette privée est révélatrice de dysfonctionnements sous-jacents.
1. Une inadéquation entre régimes d'offre et de demande...
En plus des questions propres au fonctionnement des marchés financiers dont l'efficience a été radicalement remise en cause par la crise, le surendettement privé pose au niveau de la sphère réelle, la question de l'adéquation entre régimes d'offre et de demande , ce qui incite à une réflexion sur le partage de la valeur ajoutée 8 ( * ) et la dispersion accrue des salaires 9 ( * ) .
Le taux de marge des entreprises, qui représente la part des profits (excédent brut d'exploitation) dans la valeur ajoutée, a sensiblement augmenté aux Etats-Unis et, depuis une dizaine d'années, en Allemagne. Il serait, en revanche, stable en France depuis les années 1990, la part des profits représentant environ un tiers de la valeur ajoutée 10 ( * ) .
En revanche, la France a subi, comme les autre pays, un creusement des inégalités 11 ( * ) , qui alimente le sentiment d'un partage inéquitable des fruits de la croissance. Les très hauts revenus ont progressé beaucoup plus vite que la moyenne entre 1998 et 2005 en France, du fait de la forte croissance des revenus du patrimoine, mais aussi de la croissance des salaires les plus élevés. Cette explosion des hauts revenus est essentiellement concentrée au niveau des foyers du dernier centile, qui voient leur part dans les revenus totaux considérablement augmenter entre 1998 et 2005. En particulier, les ménages appartenant au centile du revenu supérieur ont vu leur revenu réel croître de 42,6 % sur la période, contre 4,6 % pour les 90 % des ménages relevant des premières tranches de revenu. Aux Etats-Unis, l'essentiel de la croissance du revenu a été capté par le premier centile le plus riche, lequel retrouve le niveau relatif qui était le sien au début du vingtième siècle. A l'autre extrémité de l'échelle sociale, les travailleurs les moins qualifiés ont subi la flexibilité accrue du système productif.
Source : Landais, 2007 (précité)
2. ... compensée par une augmentation de la dette intérieure
Il semble, au moins aux États-Unis et dans quelques autres pays européens (Royaume-Uni, Espagne), que le crédit ait constitué un moyen de remédier aux inégalités croissantes , dans un contexte où la consommation constituait le principal moteur d'une économie largement tributaire de la demande des ménages et dont le taux de croissance était devenu, de fait, plus élevé que son potentiel et plus élevé que dans la plupart des pays de l'OCDE.
Telle est une des explications apportées à l'augmentation de l'endettement des ménages dans les pays en cause.
L'endettement des ménages américains s'est, par exemple, accru de manière particulièrement rapide, l'encours de leurs engagements financiers étant passé de 89 % à 139 % de leur revenu disponible entre 1993 et 2006.
Au regard des ménages américains, les ménages français paraissent globalement sous-endettés , en raison notamment du contexte institutionnel et réglementaire. Néanmoins, les crédits à la consommation y ont progressé nettement plus vite (+ 4,1 % en moyenne sur la période 2001-2005) que les crédits aux entrepreneurs individuels (mais moins vite que le crédit habitat, qui a augmenté de 9,5 % en moyenne par an sur la même période) de sorte que l'équivalent en revenu disponible de la dette des ménages français a significativement progressé.
* 8 « Le partage des fruits de la croissance en France », Gilbert Cette, Jacques Delpla, Arnaud Sylvain (CAE, 2009).
* 9 Thomas Piketty et Emmanuel Saez, «The evolution of top incomes: A historical and international perspective» , Working Paper n° 11955, NBER, janvier 2006.
* 10 Ce constat est toutefois entouré d'incertitudes persistantes du fait des problèmes de méthode existants.
* 11 « Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion des inégalités ? », Camille Landais (juin 2007)