II. ANALYSE DES PISTES DE RÉFLEXION POUR UNE PÉRÉQUATION RÉNOVÉE
A. QUELS OBJECTIFS POUR LA PÉRÉQUATION DE DEMAIN ?
Force est de constater qu'il n'existe pas de définition claire des objectifs de la péréquation, et qu'une politique rénovée de péréquation ne peut être définie sans qu'un effort de clarification des objectifs ne soit accompli.
1. Garantir un niveau de ressources suffisant pour financer les dépenses obligatoires correspondant aux besoins des citoyens ?
La péréquation doit-elle tendre à garantir un niveau de ressources suffisant pour financer des dépenses obligatoires , ou un peu plus largement pour financer les besoins des citoyens ?
Privilégier cet objectif nécessite de définir le concept de « dépenses obligatoires ».
En effet, cette notion regroupe classiquement l'ensemble des dépenses attribuées par la loi à un niveau de collectivité territoriale. Leur non exécution donne lieu à l'inscription de ces dépenses dans les budgets des collectivités territoriales concernées, par le représentant de l'Etat. Or, de nombreuses dépenses non recensées comme « obligatoires » par le législateur ont acquis, aux yeux des administrés, le caractère de service essentiel (citons à titre d'exemple la police municipale).
Toutefois, il est assez difficile de bâtir une politique de péréquation sur la notion de « besoins des citoyens » tant elle est floue et tant elle varie d'un territoire à un autre. Il apparaît difficile de présenter une définition uniforme de ce concept. On observe en effet que les demandes des citoyens sont différentes selon le territoire et ses caractéristiques économiques, mais aussi selon l'appartenance socioprofessionnelle des citoyens qui n'apprécient pas uniformément le besoin de biens publics.
A cela s'ajoute que la notion de besoin ne peut pas s'apprécier par la mesure des charges budgétaires , puisque ces dernières ne reflètent pas forcément le niveau de besoins d'une population à couvrir. Une étude de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) 10 ( * ) a montré que le montant de l'aide sociale à l'enfance varie de « un à cinq selon les départements ». Mais cette différence « ne s'explique pas par les différences de besoins de la population ». Il ressort de cette étude que le bénéfice de ressources élevées conduit une collectivité territoriale à assumer des dépenses nouvelles, ne répondant pas à une demande des citoyens. Autrement dit, un accroissement de ressources peut entraîner une hausse des dépenses ne correspondant pas à une augmentation réelle des charges de la collectivité.
Les besoins des citoyens nécessitent également de calculer le coût des services correspondant. Or, là encore, ce calcul apparaît difficilement réalisable dans la mesure où il dépend fortement des spécificités du territoire en question. Par exemple, les frais de réalisation d'une route sont très différents selon la topologie des zones concernées.
La définition d'une politique de péréquation par la prise en compte de critères relatifs aux charges assumées par les collectivités territoriales pose donc d'importants problèmes méthodologiques .
2. Garantir à un territoire les conditions économiques de son développement ?
Le choix d'un tel objectif conduirait à un bouleversement fondamental de la philosophie actuelle des dispositifs de péréquation, dans la mesure où il implique de passer d'une logique « de stock » à une logique « de flux » .
En effet, dès lors qu'une collectivité territoriale bénéficierait d'une croissance économique suffisante pour faire face à ses dépenses obligatoires et à la mise en oeuvre des projets définis par ses élus, elle perdrait automatiquement le bénéfice de ces dotations. Autrement dit, toute dotation de péréquation ne devrait plus être considérée comme un acquis, mais uniquement comme un outil destiné à atteindre un niveau de développement économique donné. Autrement dit, il s'agirait d'une aide économique transitoire et non pérenne .
Si cet objectif est intéressant (la question méritant de se poser de savoir s'il faut considérer une dotation de péréquation comme un acquis), il soulève des interrogations au regard de la répartition des compétences entre collectivités territoriales. Toutes ont-elles des compétences portant sur le développement économique de leur territoire ? Est-il souhaitable que la clause de compétence générale soit attribuée dans ce domaine ? Un tel choix n'aurait-il pas des effets contre-productifs ? Si la volonté de responsabilisation des acteurs locaux qui transparaît dans cet objectif est louable et doit être favorisée, elle ne paraît pas simple à décliner en termes de compétence des collectivités territoriales. La réflexion devrait donc être poussée plus avant dans le cadre de l'examen du projet de loi portant répartition des compétences entre collectivités territoriales.
3. Garantir le niveau actuel de ressources des collectivités territoriales ?
Privilégier comme objectif principal de la péréquation le maintien du niveau actuel de ressources des collectivités territoriales comporte le risque de figer, dans le temps, les inégalités actuelles . Vos rapporteurs notent d'ailleurs que les différences de niveau de dotation, à situation apparemment égale, entre collectivités territoriales d'une même strate sont difficilement acceptables. Ceci semble être une voie de réflexion à explorer pour rénover la péréquation.
Par ailleurs, cet objectif de maintien des ressources à leur niveau actuel sous-tend l'idée selon laquelle toute collectivité territoriale qui bénéficierait d'une croissance positive de ses ressources fiscales, du fait de la mise en oeuvre d'une politique économique dynamique, pourrait voir le fruit de ses efforts écrêté. Or, la péréquation ne doit pas pénaliser les territoires dynamiques et une réflexion devra nécessairement conduire à réfléchir au niveau optimal de péréquation .
4. Réduire les inégalités entre collectivités territoriales ?
L'objectif prioritaire des dispositifs actuels de péréquation vise à réduire les inégalités financières entre collectivités territoriales d'un même niveau.
Or, force est de constater que le renforcement financier des dotations de péréquation depuis 1998 n'a pas permis une réduction suffisante des inégalités. Il s'avère même qu'elles ont progressé pour les communes et les départements depuis 2001.
Si cet objectif de réduction des inégalités doit être maintenu, il importe de trouver comment corriger les effets pervers des mécanismes de péréquation existants qui ont conduit à la contre performance des politiques menées. Dans ce cadre, il semble qu'une réflexion sur les critères de répartition des dotations de péréquation devra être conduite comme vous le proposeront vos rapporteurs.
* 10 « Les politiques sociales décentralisées », rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour l'année 2007-2008, paru le 11 décembre 2008, La documentation française.