II. ACTES DES TABLES RONDES DU 17 FÉVRIER 2010

A. TABLE RONDE N° 1 : ENJEUX DE L'APPLICATION DE LA CONTRIBUTION CARBONE POUR LES INDUSTRIES SOUS QUOTAS

M. le Président - Mesdames, Messieurs, Mes chers collègues, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue aux tables rondes organisées par la commission des finances sur la contribution carbone et le marché européen des quotas de CO 2 .

En 2009, la commission a eu l'occasion de se forger une expertise propre de ces questions, grâce aux investigations conduites par notre groupe de travail sur la fiscalité environnementale, placé sous la présidence de notre collègue Fabienne Keller, puis grâce aux travaux menés par le rapporteur général sur le projet de loi de finances pour 2010.

Néanmoins, la censure de la contribution carbone par le Conseil constitutionnel, notamment fondée sur sa contrariété aux principes d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques, nous invite aujourd'hui à remettre l'ouvrage sur le métier.

Chacun le sait, cette censure a été largement motivée par l'exonération des industries soumises au système communautaire d'échanges de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE), au motif que ces quotas sont aujourd'hui alloués gratuitement.

La première table ronde que j'ai le plaisir d'ouvrir devrait donc nous permettre d'approfondir cette question, en mesurant l'impact qu'une contribution carbone pourrait avoir sur l'industrie lourde française et sur sa compétitivité internationale. Elle nous permettra également de « tester » auprès des industriels ici représentés l'idée d'allouer dès à présent certains quotas de carbone à titre onéreux, au lieu et place de la création d'une fiscalité nouvelle dont les contours s'annoncent « méandreux ».

Pour évoquer ces questions, je remercie donc de leur présence :

- M. Bruno Bensasson, directeur de l'économie et des prix à la direction de la stratégie de GDF-Suez ;

- M. Hervé Bourrier, directeur général d'ArcelorMittal France ;

- M. Xavier du Colombier, directeur des affaires européennes de Rhodia ;

- M. Philippe Huet, directeur général adjoint d'EDF ;

- M. Olivier Luneau, directeur du développement durable et des affaires publiques de Lafarge.

Je salue également la présence de nos collègues de la commission de l'économie, à qui nous avons souhaité ouvrir ces débats.

Afin de favoriser l'interactivité de nos échanges, je vous propose de nous dispenser de propos liminaires et de procéder par jeu de questions-réponses.

Que vous inspire la décision du Conseil constitutionnel relative à la contribution carbone du point de vue de l'analyse économique ? Peut-on considérer qu'une allocation gratuite de quotas équivaut à une absence de contraintes pour les opérateurs ?

M. Bruno Bensasson - S'agissant de la lutte contre le changement climatique, les industriels reçoivent déjà un signal économique pertinent pour réduire leurs émissions. Pour le reste des considérants, c'est-à-dire pour l'égalité de traitement devant l'impôt, les économistes ne prétendent pas répondre à la question de l'équité.

M. Xavier du Colombier - Toute la logique et la cohérence de l'approche communautaire du SCEQE incitent les entreprises, non seulement à ne pas dépasser les allocations de quotas, mais aussi à se préparer au système prévu après l'accord sur le paquet « énergie-climat ».

Il est difficile de mesurer la valeur incitative du SCEQE sur le fondement de son seul périmètre actuel. Il faut le faire dans le cadre de ses objectifs de long terme, et notamment du passage à la phase III, dont l'élaboration a tenu compte des critiques formulées sur la phase II, notamment à propos des volumes de quotas alloués.

L'anticipation de la phase III a eu un coût, qui peut se comparer à une taxe, ce que n'ont pas manqué de relever et de critiquer le Parlement européen ou certaines organisations professionnelles.

M. Philippe Huet - Mettre en place une contrainte révèle une valeur d'opportunité. Le mécanisme est donc efficace en ce qu'il va diriger les décisions d'investissements. Les concepteurs du SCEQE avaient bien à l'esprit que le système devait produire ses effets dans le temps, et sa progressivité est censée accompagner des décisions d'investissements qui, elles-mêmes, ont un effet différé dans le temps. Les marges de manoeuvres laissées aux industriels au début du SCEQE sont donc censées leur permettre de préparer l'avenir.

En outre, l'objectif de la taxe carbone était de compléter les quotas pour les émissions diffuses. Un cumul de la taxe et des quotas constituerait une double pénalité, voire une confusion des signaux envoyés aux acteurs économiques.

M. Olivier Luneau - Lafarge, dans le SCEQE, est sous contrainte depuis le début de 2005, le CO 2 ayant une valeur dans l'Union européenne alors qu'il n'en avait pas auparavant. S'il n'existait aujourd'hui aucune contrainte, le CO 2 ne vaudrait rien. Le prix prouve la contrainte.

En second lieu, les investissements destinés à faire baisser nos émissions nécessitent un processus long, continu et planifié. Nous avons baissé nos émissions de plus de 15 % en valeur absolue en France et de 20 % en intensité. Pour ce faire, il a fallu investir en équipements et en recherche et développement. Nous n'allons donc pas attendre le 1 er janvier 2013 pour agir, la phase III nous obligeant à diminuer nos émissions de 21 % dans l'absolu, ce qui n'est guère aisé à obtenir.

M. Hervé Bourrier - ArcelorMittal est engagée dans le système européen des quotas depuis 2005. Il s'agit d'un système qui fonctionne, puisque la contrainte qu'il nous impose nous a conduits à réduire nos émissions de 20 %. Je ne vois pas en quoi une contrainte carbone supplémentaire nous permettrait de réaliser des réductions significatives supplémentaires par rapport à ce qui a été fait, et ce compte tenu de la technologie disponible dans notre secteur.

M. le Président - Que faites-vous de vos quotas non-utilisés ?

M. Philippe Huet - EDF est déjà « courte » et nous sommes acheteurs de 2 millions de tonnes chaque année depuis la phase II.

Nous avons lancé un plan d'investissement assez massif de renouvellement de nos moyens émetteurs avec la construction de cycles combinés à gaz en remplacement de centrales au charbon ou au fioul. Elles vont réduire de moitié l'émission de CO 2 . Nous avons lancé la construction d'une centrale hydraulique en Corse et d'une installation hydraulique sur le continent, sur le site du Gavet. C'est la démonstration que cette contrainte carbone est active et dicte nos décisions d'investissements.

M. le Président - Il ne serait donc pas équitable de dire que, au motif que vous êtes exonérés de contribution carbone, vous n'êtes pas engagés dans un processus économique qui vous astreint à des investissements et à des charges spécifiques pour réduire vos émissions.

M. Xavier du Colombier - Il faut rappeler que l'article 16 de la directive « quotas » précise que les installations qui n'ont pas restitué les quotas à hauteur de leurs émissions sont soumises à une pénalité de 100 euros par quota manquant. Les contraintes en volume ont donc une incidence sur les prix et sur les investissements mis en oeuvre.

Il n'est pas question de remettre en cause la solidité juridique de la décision d'une cour suprême, mais il existe un consensus européen pour dire que la décision peut apparaître contestable, compte tenu de l'interprétation que l'on peut faire de la contrainte que représente pour les entreprises la limitation des volumes liée aux quotas.

Mme Fabienne Keller - Il s'agit d'une situation singulière et paradoxale : c'est à l'occasion de la mise en place d'une taxe conçue comme un complément du SCEQE que l'on envisage aujourd'hui un dispositif supplémentaire pour les entreprises assujetties au SCEQE.

Pour la clarté de nos débats, il faut rappeler qu'il existe trois phases dans le système européen des quotas. Le SCEQE atteindra sa maturité en 2013, lorsque l'industrie devra acheter aux enchères une partie de ces droits d'émissions.

Le système actuel vous permet-il d'anticiper correctement des investissements de réduction de vos émissions ?

Par ailleurs, Philippe Marini, Jean Arthuis et moi-même avons proposé d'anticiper dès la phase II l'allocation payante de tout ou partie des 10 % des quotas autorisés par la directive. Qu'en pensez-vous ?

M. le Président - D'autres pays allouent déjà une fraction de quotas à titre onéreux, comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Autriche.

M. Bruno Bensasson - Le système fonctionne ; le seul point de perfectionnement du système, selon nous, est une meilleure visibilité sur les horizons de moyen ou long termes. Par ailleurs, en tant que contributeur et collecteur de la taxe carbone, nous plaidons pour un système simple. A cet égard, la solution que vous proposez nous paraît très intéressante, sans préjudice des compensations qu'il conviendrait d'imaginer.

M. Philippe Marini, rapporteur général - Pouvez-vous développer ces arguments, ce qui nous aiderait à développer notre analyse ?

M. Bruno Bensasson - C'est aujourd'hui, et de loin, la solution la plus simple qui soit évoquée. Un exemple : selon le document de concertation, la taxation varierait en fonction de l'exposition à la concurrence internationale mais le secteur électrique ferait l'objet d'un traitement spécifique, plus pénalisant, alors qu'il est exposé à une concurrence intracommunautaire au sens des critères proposés par le ministère lui-même... Cette complexité n'est pas satisfaisante.

M. Hervé Bourrier - La réduction des gaz à effet de serre préoccupe ArcelorMittal depuis trente ans. Nous avons réduit nos émissions de 50 % depuis 1975. Le système des quotas européens présente l'avantage d'être progressif et prévisible. Nous nous y adaptons depuis 2005, avec une contrainte de plus en plus importante. S'agissant de votre proposition, le fait de changer les règles en cours de route pour rendre payante une partie des quotas nous préoccupe donc.

Mme Fabienne Keller - La question est de savoir si vous préférez une taxe ou des quotas.

M. Hervé Bourrier - Ni l'un, ni l'autre !

M. le Rapporteur général - Vous sortez des limites de l'épure !

M. Hervé Bourrier - Le SCEQE est relativement compliqué à mettre en oeuvre, tout comme le sont les discussions européennes relatives à l'élaboration des benchmarks qui vont servir dans le cadre de la phase III. Nous avons le temps de mettre au point un système dont nous espérons qu'il sera efficace. Par ailleurs, le SECQE n'a de sens que si l'Europe a la volonté de rendre ce projet le plus global possible, de manière à protéger l'industrie sidérurgique européenne par rapport à une contrainte que n'ont pas d'autres zones géographiques.

M. le Rapporteur général - Le système des quotas, imaginé par des ingénieurs, est pour moi très difficile à comprendre. On alloue des volumes à vos sociétés. Comment estimer leur valeur, d'un point de vue patrimonial ? Où pourra-t-on trouver, dans les comptes, la valorisation des quotas et les opérations réalisées pour optimiser ces actifs ?

M. Hervé Bourrier - Au niveau du groupe ArcelorMittal, les quotas n'ont de valeur que lorsqu'on les vend. A ce jour, ArcelorMittal n'a pas vendu de quotas alloués par les Etats membres.

Mme Fabienne Keller - Si vous avez le droit de les reporter, c'est qu'ils ont une valeur !

M. Hervé Bourrier - On les reporte en fonction des prévisions de volume et des contraintes futures. Les discussions ne sont pas encore suffisamment avancées pour savoir quel sera l'excédent ou le déficit de quotas que nous aurons à long terme.

M. le Rapporteur général - De quoi cela dépend-il ? J'ai de la peine à croire que ces autorisations, qui ont une valeur permanente, qui s'apparentent à des éléments d'actif, ne soient pas valorisées !

M. Hervé Bourrier - Nous avons la possibilité de faire du banking , c'est-à-dire de reporter les quotas excédentaires. Mais tant que les travaux de comitologie ne sont pas achevés, il est délicat de valoriser les quotas car nous ne connaissons pas notre niveau de contrainte future.

M. le Rapporteur général - En payer une partie vous aide à les valoriser ! Il va bien falloir arriver à se référer à des données.

M. Hervé Bourrier - Nous réfléchissons à l'utilisation de ces excédents de quotas -si tant est qu'il en existe durant la troisième période - pour effectuer des investissements d'efficacité énergétique. N'ayant pas pour le moment de certitudes sur les négociations à venir, nous restons très prudents sur ce sujet.

M. le Président - Quelle est votre appréciation sur le fait que l'Allemagne alloue une fraction de quotas à titre onéreux ?

M. Hervé Bourrier - 95 % des émissions sont liées à la production de l'acier par la voie fonte ; ce procédé est utilisé à Fos, Dunkerque et Florange. Il existe des sites de proximité en Allemagne, Belgique, Espagne, en concurrence avec les sites français. Le fait d'avoir une contrainte supplémentaire en France nous amènerait à privilégier la production localisée dans ces trois autres pays.

M. le Rapporteur général - Doit-on comprendre que les installations allemandes sont beaucoup moins consommatrices de quotas que les françaises ?

M. Hervé Bourrier - Aucune contrainte sur les quotas ne pénalise notre production en Allemagne.

Mme Fabienne Keller - Cela signifie-t-il que le volume de vos allocations gratuites suffit à couvrir la production allemande, compte tenu de la crise ?

M. Philippe Huet - Il existe bien un dispositif d'enchères, mais il a été ciblé sur le secteur électrique.

M. Xavier du Colombier - Le système actuel s'impose à tous ; nous le pratiquons depuis 2005. Nous l'avions anticipé et nous devrons y souscrire jusqu'à 2020, quelles que soient les suites de Copenhague. En tant qu'entreprise, nous préférons une approche de marché à une approche fiscale ; un prix carbone européen et demain mondial nous paraît apporter plus de garanties d'équité, car il sera moins dépendant des évolutions de la fiscalité dans tel ou tel pays, souvent moins guidées par des objectifs environnementaux que par des contraintes liées à la situation des finances publiques.

Cela étant, le SCEQE est perfectible. Nous avons largement apporté notre contribution aux progrès du marché des quotas. Un certain nombre de défauts, qui ont peut-être justifié le raisonnement du Conseil constitutionnel, ont été corrigés dans la perspective de la phase III. Ces défauts ont pu concerner le niveau absolu des allocations, au terme de 27 négociations nationales. La phase III imposera une approche sectorielle homogène à tous les secteurs que nous représentons.

Par ailleurs, le prix du carbone se déterminera de plus en plus en fonction des lois du marché. Ceci explique qu'une partie des industriels aient du mal à accepter le fait qu'un marché s'impose à des industriels qui réalisent des investissements dans les turbines ou la cogénération, sans que ceux-ci aient une idée de ce que cela va leur coûter à terme.

Enfin, s'agissant de votre proposition, nous préférions évidemment la version initiale de la contribution carbone, comprise comme un mécanisme complémentaire des quotas, adapté au secteur diffus. Il s'agit donc, désormais, de minimiser la double peine. On ne sait pas encore si votre proposition le permettra, mais elle apporte a priori plus de garanties pour que le système cesse fin 2012, ce qui n'est pas le cas de la taxe. En effet, le paradoxe de l'interprétation du système européen de quotas faite par le Conseil constitutionnel est que, après 2012, les entreprises françaises les plus vertueuses en émissions carbone pourraient être assujetties à une taxe carbone française du simple fait qu'en respectant les niveaux de performance européens, elles n'auraient pas à acheter de crédits carbone. Nous adhérons donc aux attendus de votre tribune parue dans Le Monde .

Nous pensons toutefois que votre proposition est perfectible et doit être plus précise sur le niveau de prix à appliquer. Pour les sites les plus importants, on est sur de très grosses sommes et cela va conditionner les décisions d'extension de capacités. En deuxième lieu, nous devons définir ce que seraient les compensations associées à cette allocation payante et préciser le sort des exemptions liées à la directive sur la taxation de l'énergie. Nous avons des propositions à faire dans ces domaines. Enfin, nous vous recommandons de déduire du périmètre de taxation les quotas liés à des mécanismes de développement propre, dans le cadre des accords de Kyoto.

M. le Rapporteur général - Il faudrait parvenir à une estimation mondiale consolidée, société par société, pour les groupes ayant leur siège en France et dégager un solde net.

M. Xavier du Colombier - Il s'agit plutôt de conserver à votre projet la flexibilité et la cohérence avec le futur marché mondial du carbone.

Mme Fabienne Keller - C'est de toute façon prévu.

M. Xavier du Colombier - Oui, mais cela permettrait de préciser l'articulation de votre proposition avec le marché mondial du carbone.

M. Philippe Huet - Selon nous, le système actuel de quotas est satisfaisant, même s'il est perfectible et nous nous félicitons que le Gouvernement ait mis en place la commission Prada pour améliorer le fonctionnement actuel de ce marché.

S'agissant de l'avenir, pour les producteurs d'électricité que nous sommes, la messe est dite. A partir du 1 er janvier 2013, nous paierons 100 % des quotas qui nous seront alloués. Compte tenu des spécificités du marché électrique, qui veut que le prix de l'électricité dépende de la dernière centrale appelée, imposer un système qui aboutit à une surcharge par rapport au système européen revient à défavoriser la production domestique au bénéfice des producteurs non soumis à cette taxation, sans aucun effet sur les émissions de CO 2 .

Pour ce qui est de l'avenir, votre proposition est dans la ligne du SCEQE et du Protocole de Kyoto. Elle nous paraît bien plus à même de répondre aux critiques. Le signal-prix doit toutefois être envoyé à ceux qui produisent, mais également à ceux qui consomment. Il faut donc étudier l'équation entre le tarif de l'électricité et la problématique CO 2 . Si l'on veut tirer parti d'un instrument que le monde entier nous envie, à 95 % décarboné, et en faire le moteur d'une économie verte, il va bien falloir que le consommateur constate dans les prix la conséquence de ses choix. C'est ce qui distingue notre situation par rapport à celle de nos concurrents étrangers : nous n'avons pas de liberté de manoeuvre pour répercuter le coût de la pointe sur le concommateur.

M. Olivier Luneau - Tous nos investissements passés et en cours dans le domaine du CO 2 en Europe vont nous aider à être le plus près possible du futur benchmark avec deux principes essentiels : réduire nos émissions et préserver notre compétitivité.

Or, votre proposition va-t-elle nous obliger à acheter des quotas deux ans et demi avant l'échéance à partir de laquelle on va aller l'acheter ? Cela revient pour nous à débourser des dizaines de millions d'euros sur la période. Cette sortie de cash va-t-elle diminuer nos émissions, accélérer nos investissements et préserver notre compétitivité ? Ce que nous paierons aujourd'hui pour acheter des quotas sera cela de moins que nous investirons pour préparer la phase III. Le transfert aura lieu de l'industrie vers l'Etat sans accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre !

M. le Rapporteur général - Avez-vous calculé le gain à attendre de la réforme de la taxe professionnelle ?

M. Olivier Luneau - Je ne suis pas sûr que cela soit le sujet, et je ne dispose donc pas de cette information.

M. le Rapporteur général - C'est pourtant la même société. Il s'agit pour nous de disposer d'ordres de grandeur.

M. Olivier Luneau - Je maintiens mon commentaire.

M. le Président - Le paiement d'une partie des quotas n'est-il pas un moindre mal comparé à une taxe carbone ?

M. Hervé Bourrier - Les premiers calculs associés à votre proposition nous amènent à plusieurs dizaines de millions d'euros d'impact. Nous serions plus favorables à un système permettant de réduire l'assiette de la taxe, puisqu'une une bonne partie de nos émissions sont des émissions de process , incompressibles. Nous sommes en concurrence directe avec les autres sites européens d'ArcelorMittal.

Mme Fabienne Keller - Pouvez-vous préciser quelles sont vos émissions de process ?

M. Hervé Bourrier - 95 % de nos émissions totales proviennent de la voie fonte. Ces émissions sont de process : on utilise le carbone dans un procédé de réduction qui permet de produire le fer. Nous sommes donc obligés d'utiliser le carbone provenant du coke.

M. Bruno Bensasson - La taxe carbone à taux plein représenterait pour GDF SUEZ un prélèvement de l'ordre de 160 millions d'euros par an ; pour ce qui est de la réforme de la taxe professionnelle, nous sommes à peu près à l'équilibre, à plus ou moins 5 millions d'euros près.

Si l'on veut aller plus loin, il faut insister sur l'idée avancée par Rhodia de ne pas perdre de vue les questions de compensation, ni les voies ouvertes par le Conseil constitutionnel sur les exonérations. M. le Rapporteur général avait soutenu une exonération des réseaux de chaleur, qui sont au chauffage ce que le transport collectif est aux transports.

M. le Rapporteur général - C'est en lien avec la problématique concernant les émissions diffuses, le cas particulier des réseaux de chaleur n'ayant pas été correctement traité dans le texte qui nous a été soumis. Ceci présente le risque de difficultés sociales réelles et insuffisamment analysées.

M. Bruno Bensasson - Les installations de combustion industrielle présentent également des spécificités. Le projet actuel envisage de taxer différemment des installations de combustion industrielle selon qu'elles seront exploitées par un fournisseur de chaleur, réputé non soumis à concurrence internationale, ou par son client industriel, réputé soumis à une telle concurrence. Votre solution http://www.senat.fr/senfic/marini_philippe92035t.html est, sur ce point aussi, plus simple et évite ces distorsions de concurrence.

M. Xavier du Colombier - On se demande comment résoudre l'impasse dans laquelle la décision du Conseil constitutionnel nous a tous placés mais on parle peu des problèmes de concurrence. L'intérêt du système européen limite les disparités de traitement entre les sites. On est arrivé à un compromis, avec le paquet « énergie-climat », où les entreprises les plus exposées ne sont soumises aux achats de carbone qu'à partir du moment où elles n'atteignent pas un certain niveau de performance, les plus vertueuses pouvant au contraire tirer le bénéfice des efforts qu'elles ont déjà réalisés.

Ce qui nous gêne, ce sont les risques de fuites de carbone en Europe. En Allemagne, dans le domaine de la chimie, les leaders mondiaux et européens sont allemands. Notre débat constitue une très bonne nouvelle pour eux : même avec votre projet, la chimie française, dans les deux années à venir, supportera une surcharge de coûts qu'ils ne connaissent pas.

Quant à l'allocation payante pratiquée en Allemagne, il s'agissait surtout pour le Gouvernement allemand de tester le marché des enchères et de résoudre la situation de certains énergéticiens.

Nous voudrions vous soumettre l'idée de rattacher les solutions, même à court terme, au cadre européen. Le nouveau commissaire à la fiscalité et à l'Union douanière a fait une priorité de son agenda la révision de la directive sur la taxation de l'énergie. Aujourd'hui, tout le secteur diffus est traité par les Etats par des systèmes différents. On est donc très loin de la cohérence communautaire qui existe pour les grands émetteurs, grâce au SCEQE ! La présidence belge voudrait également inscrire cette révision à son agenda. Nous appelons donc les pouvoirs publics à tenir compte de ces éléments de calendrier. Il serait dommage d'élaborer un compromis français susceptible d'être totalement remis en cause par la révision du droit communautaire.

Cela ne résout pas le problème à court terme mais nous demandons de prendre le temps de réaliser davantage d'études d'impact et de mesurer la cohérence avec les projets européens en cours.

M. Olivier Luneau - Nous rejoignons Rhodia sur ce point. Quant à la contribution carbone française, il conviendrait de développer les incitations. Les entreprises investissant plus lourdement pour préparer la phase III devraient bénéficier d'une neutralité fiscale. Cela permettrait également d'accélérer la reprise de l'économie.

M. le Président - Pour réduire les émissions de CO 2 , vous disposez de quotas que vous pouvez mettre sur le marché. N'est-ce pas une façon de rentabiliser l'investissement ?

M. Olivier Luneau - Non, puisqu'on les achèterait chez vous alors qu'ils sont aujourd'hui gratuits !

M. le Rapporteur général - Pour comprendre les contreparties économiques, il faudrait pouvoir valoriser ces quotas et les considérer comme des actifs, susceptibles de s'échanger sur un marché transparent !

M. le Président - Quelles sont les pratiques et votre perception de ce qu'il faudrait faire pour que l'Europe se dote d'un marché régulé ?

M. Olivier Luneau - La commission Charpin a beaucoup travaillé sur ce sujet. Nous adhérons à l'idée d'une plate-forme commune, d'un système d'enchères unique en Europe et d'enchères fréquentes, de façon que le marché primaire soit bien contrôlé et peu sujet à spéculations.

M. le Rapporteur général - Ne faudrait-il pas des opérateurs et des courtiers agréés ?

M. Olivier Luneau - Bien sûr. Le marché secondaire est aujourd'hui très actif. Il subit malheureusement les aléas d'un marché jeune. Avec une autorité de marché, il deviendra beaucoup plus liquide et permettra à tous les intervenants de pouvoir se financer.

M. le Rapporteur général - Est-il aujourd'hui possible de prendre position par anticipation, de réaliser des opérations conditionnelles ou à terme ?

M. Olivier Luneau - Oui.

M. le Rapporteur général - Les pratiquez-vous ?

M. Olivier Luneau - Non, la société Lafarge n'intervient pas sur les produits dérivés de ces marchés. C'est une politique de l'entreprise.

M. le Rapporteur général - Cette politique est-elle partagée par les autres entreprises ici présentes ?

M. Bruno Bensasson - Nous nous couvrons sur des horizons à moyen terme et pratiquons des achats-ventes sur des périodes de trois à cinq ans. Autant il nous paraît important que le marché soit bien régulé, autant nous avons le souci de pouvoir valoriser le CO 2 . Nous ne sommes pas certains que ce soit en interdisant l'accès du marché à certains acteurs « preneurs de risques » que nous améliorerons la liquidité à moyen et long termes. Sans vendeurs de CO 2 à l'horizon 2019, on aura du mal à acheter. Or, j'ai compris de la discussion précédente que tout le monde n'était pas prêt à vendre du CO 2 à de tels horizons.

Mme Fabienne Keller - C'est une question de prix !

M. Bruno Bensasson - Notre souci est de sécuriser nos investissements. S'il n'y a pas de marché, il n'y a pas de prix. Des acteurs prêts à prendre des positions ne sont pas nécessairement des industriels.

M. Philippe Huet - Je partage largement ce que vient de dire M. Bensasson. Je pense que la commission Prada étudie les déficiences du marché du CO 2 en Europe. Elles sont, pour beaucoup, dues à l'absence de régulation pertinente en fonction des objectifs de marché.

M. le Rapporteur général - Il faut que cela débouche sur des normes ; or, elles sont ici en retard sur le marché, qui doit être structuré. C'est une problématique qu'il est urgent de résoudre au niveau national et communautaire.

M. Philippe Huet - Les choses sont perfectibles et les moyens existent. Nous avons besoin de visibilité à long terme. Nos investissements d'aujourd'hui apparaîtront après 2015 ; or, nous sommes dans l'inconnu pour ce qui se passera au-delà de 2020.

Par ailleurs, nous demandons un peu d'équité et que les producteurs d'électricité soient traités de la même façon que les autres. Nous sommes également soumis à la concurrence et avons des contraintes de marges vis-à-vis de nos clients.

M. le Rapporteur général - Vous n'avez jamais été maltraités par le Parlement français !

M. Xavier du Colombier - Evitons de diaboliser un outil qui s'avère assez vertueux s'il est bien organisé et gardons la valeur du travail considérable réalisé par le groupe de travail présidé par M. Charpin, dont les conclusions semblent avoir significativement influencé les travaux de la Commission européenne !

Notre discussion d'aujourd'hui ayant déjà eu lieu dans le cadre de ce groupe de travail, je ne suis pas sûr qu'on vous apporte grand-chose en l'ouvrant à nouveau. Le problème qui reste à arbitrer par la Commission est celui de la plate-forme unique ; certains pays (Allemagne, Espagne, Pologne) continuent à vouloir récupérer le bénéfice d'une plate-forme nationale, alors que d'autres, comme la France, militent pour une plate-forme européenne.

M. le Rapporteur général - Il ne faut pas confondre les règles du marché et l'entreprise de marché ! La plate-forme n'est qu'un outil technique destiné à gérer des transactions. Ce qui est essentiel, c'est de disposer des principes d'organisation et de régulation du marché ! On peut fort bien imaginer qu'il y ait compétition entre plusieurs plates-formes.

M. Xavier du Colombier - Si les Etats on trop de latitude pour organiser les enchères en fonction de leur spécificité locale, toute l'harmonisation recherchée sera perdue ! Nous appelons donc à la prudence. Etre soumis, après 2013, à une taxe nationale avec un système d'enchères différent en Allemagne, en Espagne et en France constituerait pour nous un réel problème à l'horizon de 2020.

M. le Président - Pour vous, la mise aux enchères et la répartition doivent provenir d'une plate-forme unique européenne.

M. Xavier du Colombier - En tout état de cause, nous recommandons l'harmonisation, la clarification, l'homogénéité et la cohérence des règles européennes. Dans le cas contraire, ce sont les groupes de pression nationaux qui vont décider de l'installation des cimenteries ou des usines chimiques dans tel ou tel pays. Vous avez travaillé à une résolution sur les fuites de carbone. On risque, si on n'y prend garde, de multiplier les risques de fuites de carbone en Europe et nos concurrents ne nous feront pas de cadeaux !

M. le Rapporteur général - La plate-forme unique européenne n'est qu'un outil technique ; avant de le faire fonctionner, il faut définir les principes du marché. La question de la plate-forme est finalement assez accessoire !

M. le Président - Ne peut-on faire une distinction entre l'offre de quotas et la mise aux enchères ? Qui met aux enchères et qui en perçoit le produit ?

M. le Rapporteur général - Qui crée la valeur ?

M. le Président - Est-ce une ressource nationale ?

M. le Rapporteur général - Cela vaut mieux ! On en a besoin...

M. le Président - Chaque Etat contribuant au budget de l'Union européenne, ce pourrait être la première des grandes ressources à pouvoir être de nature européenne.

Nous arrivons au terme de cette première table ronde. Le Conseil constitutionnel nous donne bonne conscience en nous permettant de débattre à nouveau de cette contribution climat-énergie, ce dont nous n'avions pas eu le temps, tant nous avons été mobilisés par la réforme de la taxe professionnelle ! Il faudrait donc que cette nouvelle copie soit lisible, compréhensible et qu'elle ne porte pas préjudice à nos intérêts fondamentaux. C'est pourquoi nous nous sommes permis une contribution au débat que nous souhaitions auprès de vous.

Vous avez exprimé des réserves ; j'ai cru comprendre qu'il y avait plutôt de la sympathie pour cette orientation -mais nous ne préjugeons en rien de ce qui sera décidé. Merci.

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