TABLE RONDE SUR LA CIRCULATION DES OEUVRES AUDIOVISUELLES
Mme Michèle REISER, membre du Conseil supérieur de l'Audiovisuel
Merci Monsieur le Président. En 2006, le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait mené une première étude sur la circulation des oeuvres qui portait sur l'année 2005. Cette étude, vous le savez, avait alors mis en avant les différents freins à une bonne circulation des oeuvres. Trois ans plus tard, le Conseil, qui est toujours soucieux de la bonne circulation des oeuvres, a souhaité disposer d'une mise à jour de cette étude dans le contexte de montée en puissance des chaînes de la TNT. Cette étude, je tiens à le préciser, est loin d'être terminée. Elle sera publiée à l'automne mais malheureusement les premiers résultats confirment la persistance des freins à une circulation fluide des oeuvres audiovisuelles.
Nous allons voir les premiers constats de cette étude de 2009 qui porte sur l'année 2008. Le premier constat de cette étude est que la situation décrite en 2006 n'a que peu évolué. Malgré l'accroissement très significatif du chiffre d'affaires de huit chaînes de la TNT gratuite diffusant des oeuvres audiovisuelles, les investissements des chaînes hertziennes historiques dans la production audiovisuelle aidée représentaient en 2008, - ce sont les chiffres du CNC -, 93 % du total des investissements contre 95 en 2005 et 68 % du volume horaire contre 72 en 2005. L'investissement dans la production inédite des nouvelles chaînes de la TNT, du câble et du satellite, apparaît comme faible mais il n'est que le reflet, on le sait, de leur niveau global de chiffre d'affaires. Ainsi en 2008, le montant cumulé qu'elles doivent investir au titre de leur obligation de production d'oeuvres EOF est d'environ 50 millions d'euros contre plus de 700 millions d'euros pour les six chaînes hertziennes historiques. Au titre de la production d'oeuvres inédites, l'obligation minimale cumulée des nouvelles chaînes de la TNT, du câble et du satellite, s'établit autour de 15 millions d'euros soit 35 fois moins que les chaînes hertziennes historiques. La surface financière des chaînes gratuites de la TNT est encore limitée, ce qui explique leur faible capacité à produire les programmes qu'elles diffusent et donc, leur forte dépendance à l'égard du second marché des oeuvres audiovisuelles.
Cette situation explique en grande partie la programmation des chaînes de la TNT. Si la majorité de leur programmation est consacrée à la diffusion d'oeuvres audiovisuelles, elle demeure organisée autour d'un faible volume horaire d'oeuvres différentes compte tenu d'une politique intense de rediffusion, sans compter que ces oeuvres ont pour la plupart déjà été diffusées sur les chaînes hertziennes historiques. Les oeuvres inédites présentes dans les grilles sont rarement des oeuvres patrimoniales, elles sont à 65 % des magazines en 2008. L'analyse de la provenance de diffusion des oeuvres acquises sur le second marché des chaînes de la TNT permet de constater la présence de logiques de groupes dans l'approvisionnement en oeuvres qui semblent s'accentuer depuis 2005. Les chaînes indépendantes ont des stratégies d'approvisionnement plus diversifiées. Ce sont majoritairement la coproduction et le prêt-achat qui permettent aux chaînes de la TNT d'avoir accès à des programmes inédits donc différenciants. Leurs capacités financières, qui sont limitées, les incitent à cofinancer des oeuvres initiées par les chaînes historiques, ces dernières pouvant ou non accepter comme cofinanceurs les nouvelles chaînes de la TNT gratuite. L'analyse de la politique des chaînes investissant significativement dans la production, toujours d'après les chiffres sur la production aidée du CNC, pour les chaînes Gulli, NRJ12, France 4 et W9, montre l'existence de liens privilégiés entre les chaînes du même groupe : France 4 et France Télévisions, W9 et M6. Gulli n'a aucune oeuvre cofinancée avec une quelconque chaîne hertzienne historique en 2008 et NRJ12, chaîne indépendante, n'a pas de projets communs avec les chaînes hertziennes historiques, à l'exception d'un documentaire cofinancé sur France 5. En conclusion, mises à part les tentatives de cofinancement et de prêt-achat, ces chaînes doivent toujours recourir de façon massive aux oeuvres initiées par les chaînes hertziennes historiques qu'elles acquièrent bien sûr une fois le cycle de première diffusion achevé. Il est donc primordial, pour le bon équilibre du secteur, que le second marché des oeuvres audiovisuelles soit aussi fluide que possible.
Pourquoi le Conseil estime-t-il indispensable d'améliorer les conditions de circulation des oeuvres ? Il ne peut rester indifférent aux conditions de fonctionnement du marché des droits secondaires. En effet, d'après les termes mêmes de la loi, le Conseil doit veiller à la qualité et à la diversité des programmes, au développement de la production et de la création et au respect par les chaînes des obligations de production et de diffusion d'oeuvres EOF et européennes. Une circulation ralentie des droits de diffusion peut avoir pour effet de rendre difficile le respect par les chaînes de leurs quotas de diffusion d'oeuvres audiovisuelles EOF et européennes. Cela est tout à fait constant et nous sommes confrontés à ce problème de façon continue, en particulier lors de l'établissement des bilans annuels où plusieurs chaînes font part au Conseil des difficultés récurrentes dans l'approvisionnement en droits de diffusion sur le second marché. De même, les obligations de production annuelles, auxquelles l'ensemble des chaînes est soumis et dont une partie respectant et valorisant l'achat de droits de diffusion, seraient difficiles à respecter pour les chaînes ayant massivement recours au second marché. La qualité et le renouvellement des grilles, auxquels nous sommes tous sensibles autour de cette table, peuvent également pâtir de problèmes d'accès aux programmes non inédits. En effet, si la fluidité en approvisionnement en oeuvres n'est pas garantie, les chaînes n'ont comme seule solution pour respecter leurs quotas de diffusion, sur lesquels nous veillons évidemment, de rediffuser les oeuvres sur lesquelles elles ont négocié des droits. Enfin, le produit des ventes de programmes sur le second marché permet aux producteurs qui ont ces oeuvres en catalogue de pouvoir réinvestir les revenus dégagés dans de la production inédite et ainsi de renouveler la création.
Quels sont les blocages et comment peuvent-ils être levés ? Comment pouvons-nous faire sauter les verrous ? Le Conseil a déjà mis en avant dès 2006 l'importance des clauses contractuelles qui nuisent à la fluidité du marché secondaire des droits de diffusion. L'un des objectifs de la réglementation de 2001 était de garantir la circulation des oeuvres. Force est de constater que cet objectif n'a pas été tenu. Le pouvoir de négociation du primo-diffuseur s'est encore accru avec une généralisation de la clause contractuelle de premier et de dernier refus, qui semble pour le Conseil, nuire de manière excessive à la fluidité et à la richesse du marché secondaire, ayant des impacts importants tant en termes de contenu que d'économie et de respect des obligations. Il faut aussi observer que la raison avancée pour cette clause concerne principalement les programmes qui font partie de l'identité de la chaîne. Force est de constater d'une part, que ces programmes ne sont pas les plus nombreux, d'autre part, que cela n'empêche pas leur diffusion dans le cadre de stratégies de groupe et qu'enfin, à l'heure où les contenus sont présents sur tous les supports, cette explication perd de son sens. De la même façon, l'idée que la circulation des oeuvres serait antagoniste avec la constitution des grands groupes d'intérêt, qui est le désir de l'exécutif, doit être nuancée. Dans le cadre de la réflexion sur l'évolution de la réglementation, ce point important doit être débattu. Les questions liées à la maîtrise du catalogue et à sa rémunération doivent faire l'objet d'un examen attentif afin de définir le meilleur équilibre possible entre maintien de la production indépendante, politique de groupe et circulation des oeuvres. Dans ce cadre, la question de la terminaison des droits est centrale et vient même avant celle des fenêtres d'exploitation sur tous les supports. Le Conseil réaffirme donc son souhait que les droits soient libérés à la fin de l'exploitation effective, comme il l'a indiqué dans son avis concernant le cahier des charges de France Télévisions.
Pour conclure, ces réflexions du Conseil, qui sont dans leur première phase, doivent encore se nourrir d'échanges avec tous les professionnels concernés. Cette table ronde, et je vous en remercie Monsieur le Président, constitue une première étape très importante. Le Conseil procédera à la rentrée à des auditions qui nous permettront d'affiner notre analyse avant de publier à l'automne un rapport complet qui associera à l'étude sur la circulation des oeuvres des propositions très concrètes pour faire évoluer la situation actuelle dans le respect des intérêts de tous, c'est-à-dire les diffuseurs, les distributeurs, les producteurs, dans une logique qui tienne à la fois compte des impératifs économiques, de la vitalité de la création qui est le fondement, on le sait, de notre secteur audiovisuel.
Mme Laurence FRANCESCHINI, directeur du Développement des médias
Je salue effectivement, comme vient de le faire Michèle Reiser, votre initiative. C'est un sujet clé car la circulation des oeuvres, et d'ailleurs de tous les programmes en général, est un élément essentiel du dynamisme de l'audiovisuel. De son dynamisme économique tout d'abord, parce que le fait que les oeuvres circulent alimente l'ensemble d'une chaîne de valeurs : les auteurs, les acteurs, les producteurs, les réalisateurs, le diffuseur, bien sûr, qui a participé à la production. La circulation des oeuvres, c'est aussi un élément tout à fait clé de la vie culturelle qui pose la question de la rediffusion. Cette rediffusion, Michèle Reiser l'a très bien dit, est extrêmement importante. Elle est importante compte tenu de la multiplication des diffuseurs et parce qu'au sein de chacun de ces diffuseurs, la multiplication des vecteurs de diffusion possibles s'est accrue ces dernières années, ce qui devrait également s'intensifier avec de nouvelles offres, comme celles de la TMP par exemple. C'est une chance pour l'oeuvre. C'est une chance aussi pour le public qui a la possibilité de voir et de revoir cette oeuvre mais il ne faut pas oublier que c'est une chance à condition de ne pas remettre en cause le modèle économique de financement de l'oeuvre. Si cela allait jusqu'à le remettre en cause, ce serait destructeur de valeurs. C'est en cela que la matinée que vous organisez est extraordinairement intéressante parce qu'elle devrait permettre d'approcher le point d'équilibre que l'on cherche.
Pourquoi les oeuvres ne circulent-elles pas davantage ? C'est une question à laquelle la mission qui a été confiée à Dominique Richard et David Kessler a cherché, et cherche encore à répondre dans sa seconde phase, dans le cadre de l'examen des rapports entre les producteurs et les diffuseurs. Ce que je voudrais dire, c'est que l'on ne peut pas parler des oeuvres de manière totalement uniforme. Il y a un paramètre à prendre en compte. Il y a différents genres qui appartiennent aux oeuvres audiovisuelles (fiction, documentaire, animation) qui ont d'ailleurs des financements intrinsèques qui peuvent être tout à fait distincts. Il y a au sein de ces différents genres des oeuvres audiovisuelles qui sont extraordinairement identifiantes et qui structurent l'identité éditoriale d'une antenne. C'est donc tout l'intérêt du sujet sur lequel vous proposez que l'on travaille. Il n'y a probablement pas de solution qui soit de solution univoque. Il n'y a pas que l'affirmation d'un principe dans une loi qui peut régler ce sujet.
Je voudrais juste rappeler une méthode. Cette méthode, qui a été celle qui a d'ailleurs été mise en oeuvre et qui continue de l'être dans le cadre des accords interprofessionnels, a suivi deux principes simples. Ce sont probablement des principes plus adaptés au monde d'aujourd'hui que les durées de droits. On peut le dire, les décrets de 2001 n'ont pas atteint leur objectif. C'était un pas avec les durées de droits raccourcies qui était quand même un pas en avant mais c'était aussi une autre époque. Faire varier la durée des droits en fonction de la manière dont est financée l'oeuvre est un principe qui a été retenu dans le cadre des réformes des rapports éditeur/diffuseur. Dire que le diffuseur qui participe parfois de manière très forte, notamment dans le domaine de la fiction, au financement de l'oeuvre doit être intéressé par la circulation de l'oeuvre et par la remontée de recettes perçues est également un principe sain et vertueux. Pour certaines oeuvres comme la fiction, je l'ai dit, l'apport d'un diffuseur national est souvent très important. La fiction ne peut donc pas être traitée tout à fait de la même manière que, pour prendre un autre exemple, l'animation. Dans le cadre de l'animation, l'apport du diffuseur est plus faible et je veux dire par là que ce système de proportionnalité mis en place est probablement une piste qui sera peut-être évoquée par les différents intervenants ce matin parce qu'elle paraît assez légitime.
Enfin, pour ne pas excéder le temps de parole que vous avez fort justement fixé, le nouveau cadre pour les chaînes analogiques a été instauré avec le concours de l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel au terme d'une longue concertation. Je crois que c'est une méthode tout à fait adaptée au sujet d'aujourd'hui sur la circulation des oeuvres parce que ce qu'il faut arriver à créer, c'est une sorte de cercle vertueux où personne ne reste au bord du chemin, où l'oeuvre peut vivre et où, aussi bien le diffuseur qui a financé majoritairement l'oeuvre que le diffuseur qui souhaite l'acquérir au bout d'un temps raisonnable peut le faire. Je crois que pour cette fluidité il faut saluer le travail qui est fait par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et je crois que, si le Conseil l'acceptait, il est l'enceinte qui doit continuer à être le baromètre et le lieu d'observation de ces rapports entre les éditeurs et les diffuseurs.
M. Jacques PESKINE, délégué général de l'Union syndicale de la production audiovisuelle
Je comprends que l'on aborde plutôt le premier thème dans un premier temps parce qu'effectivement les précédents intervenants, et c'était utile pour éclairer nos tableaux, ont un peu éclairé les deux questions. Merci d'abord Monsieur le Président à la commission de la culture du Sénat de s'intéresser à ces questions qui sont en effet très importantes pour nos secteurs d'activité, qui sont difficiles, comme l'ont rappelé les deux précédentes intervenantes, et qui font l'objet de tous nos soins mais pas toujours de tous nos succès.
S'agissant du premier thème, d'assez nombreuses questions sont posées. Je ne répondrai que très brièvement à la première question : le soutien des chaînes à la production doit-il obéir à une logique patrimoniale ? Notre sentiment est que oui mais je ne suis pas sûr qu'il faille s'étendre ici. Il y a de nombreuses raisons techniques, et pas seulement des raisons culturelles, pour que la réponse à cette question soit positive.
La deuxième question que vous nous posez est : quelles obligations doivent être imposées aux chaînes de la TNT ? C'est une question qui est en train d'être débattue dans des négociations qui avancent péniblement mais qui avancent un petit peu entre producteurs et chaînes, en présence des sociétés d'auteurs. C'est une question que peut-être Michèle Reiser tout à l'heure n'a pas tout à fait suffisamment éclairée. Les chiffres qu'elle a donnés montrent bien qu'aujourd'hui, la contribution des chaînes de la TNT, - pour des raisons d'ailleurs qui s'expliquent, je ne dis pas cela sous la forme d'une critique - que ce soit d'ailleurs au financement initial de la création audiovisuelle ou au financement des achats de droits, à travers le marché secondaire est très inférieure à leur part de marché publicitaire et encore plus, bien sûr, à leur part d'audience télévisuelle. Il y a des explications techniques à cela. Un des objectifs que nous avons, nous, producteurs et notamment producteurs de programmes patrimoniaux, est d'accélérer la croissance du financement de la création audiovisuelle par ces nouveaux diffuseurs. Cela n'est pas simple et c'est bien sûr l'un des objets de la discussion mais qui, quand même, a quelque chose d'un peu distinct de la question de la circulation des oeuvres. Parmi les moyens pour ce faire, en dehors du quota dont nous discutons actuellement le sous-quota patrimonial qui est un sujet sur lequel on a encore des écarts très importants sur les estimations, on a vu dans l'aboutissement récent des accords avec les chaînes du câble et du satellite que l'on pouvait arriver à des niveaux de contribution significatifs. L'objectif est d'arriver à des niveaux importants, disons de l'ordre de 8 à 10 %, puisqu'il faut qu'elles contribuent significativement à une création et cet objectif, j'espère que nous l'atteindrons par la négociation.
J'en viens rapidement à la troisième question qui, bien sûr, est la principale par rapport à la table ronde d'aujourd'hui. La question est ainsi rédigée : la réglementation en matière de production indépendante nuit-elle à la circulation des oeuvres ? J'estime que nous sommes directement concernés par cette question, j'y répondrais donc un peu plus longuement. D'abord, la réponse est oui, elle est directement concernée et je donnerai un exemple très simple. On n'a jamais vu depuis l'invention de la télévision, sauf peut-être quelques exceptions rarissimes, un programme produit par une chaîne ou sa filiale diffusé sur une autre. Oui, il y a un rapport extrêmement étroit entre la réglementation de la production indépendante et la circulation des oeuvres. Seules circulent les oeuvres produites par la production indépendante d'une manière générale, notamment pour des questions d'identité des chaînes qui ont été soulevées tout à l'heure. C'est un premier point. Il y a une raison simple à cela, c'est que les producteurs n'ont que des avantages à cette circulation. Les diffuseurs peuvent parfois avoir des inconvénients ; ils peuvent penser que le fait qu'un programme auquel ils ont largement contribué ou qu'ils ont financé soit diffusé chez un de leurs concurrents soit mauvais pour eux. Ce sentiment ne peut pas habiter un producteur ; un producteur a toujours intérêt à générer des recettes par l'exploitation des programmes, son opinion là-dessus est absolument certaine, il n'a même pas besoin d'y réfléchir. Par ailleurs, il y a un phénomène économique qu'il faut bien comprendre et qui est le suivant. Dans nos métiers, la concurrence entre les producteurs, qui est très vive car il y a beaucoup de producteurs en face de peu de diffuseurs, est telle qu'au stade de la production, ou au stade primaire comme on dit chez nous, les marges sont nécessairement très faibles parce que les programmes se produisent au prix le plus bas où ils peuvent se produire. En d'autres termes, les producteurs ne peuvent générer de cash-flow qu'avec l'exploitation secondaire. C'est donc à ce stade, et à ce stade seulement, que la production peut générer des ressources qui permettent le développement, l'invention, l'écriture et la recherche. Il est vital à nos yeux, pour des raisons essentiellement culturelles, de contenu, de permettre la génération de ces ressources et donc d'accélérer autant que possible la génération de ressources sur le marché secondaire.
Encore une fois, on a dit cela, maintenant comment est-ce que l'on peut y arriver ? C'est là qu'intervient la question des effets des deux méthodes que ce pays a expérimentées aux cours des années récentes pour faire progresser la machine. La méthode 2001, disons, le décret : réduction de la durée des droits, intervention de l'Etat notamment à notre demande, suppression des parts coproducteurs des chaînes pour améliorer l'autonomie des producteurs en matière d'exploitation secondaire. C'est vrai qu'on peut dire après huit ans que si certains effets de cette réforme ont été atteints, la possibilité dans certains cas de revente des programmes, une plus grande identité financière des producteurs, l'objectif intrinsèque de circulation n'a pas véritablement été atteint. C'est vrai qu'entre-temps est arrivé un autre phénomène qui est celui de la constitution de groupes comme cela a été rappelé tout à l'heure. La deuxième méthode, que le Président de la République et Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, ont mise en oeuvre à partir de la fin de 2007, est une méthode très originale dans notre paysage, même si elle existait déjà dans le domaine du cinéma. Elle consiste à dire aux partenaires de se mettre d'accord. Soyons clairs, quand on nous a dit de nous mettre d'accord avec les chaînes de télévision, on a dit : « on ne va jamais y arriver ». D'ailleurs, certains de nos collègues continuent de penser que c'était une mauvaise méthode. Finalement, après un an et demi d'expérience, nous pensons que c'était une bonne méthode mais qu'elle a ses limites. En effet, le résultat est que, dans certains domaines, on a pu progresser assez sensiblement, et dans d'autres domaines, la durée des droits en fait partie, nous n'avons pu progresser que modestement. La seule autre méthode aurait été que les pouvoirs publics disent, de manière régalienne, que l'on ne peut pas céder des droits de plus de 18 mois. C'était une méthode. Les pouvoirs publics en ayant choisi une autre, il s'est révélé impossible pour nous dans ces négociations d'obtenir de la part de nos interlocuteurs -les chaînes historiques- des réductions significatives de la durée des droits qu'ils acquièrent.
C'est là qu'intervient un fait nouveau qu'il faudrait peut-être réexaminer davantage, cela a peut-être été insuffisamment analysé. Il se trouve que notre organisation a pris très tôt position, et c'est un point de désaccord avec beaucoup de nos collègues, en faveur des accords de groupe. Pourquoi est-ce que nous avons pris position en faveur des accords de groupe ? Nous pensons que les accords de groupe vont faciliter la circulation des oeuvres, non seulement la circulation dans les groupes mais peut-être aussi la circulation en dehors des groupes. La raison est simple. Avant la réforme, qu'est-ce qu'il se passe ? Une chaîne, M6 par exemple, qui a des droits pour 42 mois a après une capacité politique de faire réacquérir des droits pour 42 mois pour W9. C'est une situation qui, en fait, prive l'ensemble du marché pour 84 mois, ou en tout cas 60, de l'accès à ces droits. Probablement, c'est un fait qui fait que pendant les 42 mois de M6, les trois diffusions, qui ne peuvent pas être très fréquentes sur M6, seront très espacées. Quand on est dans le cadre d'un accord comme celui que nous avons conclu avec TF1, TF1 a des droits aujourd'hui, et je prendrai l'exemple d'un documentaire qui est plus frappant puisqu'il y a plus de chaînes dans le groupe dans le domaine documentaire, pour TF1 mais aussi pour Ushuaïa, pour Histoire ou pour Odyssée. Les trois passages pour TF1, même s'il continue de les acheter pour 36 et 42 mois, vont être faits beaucoup plus rapidement puisqu'il est beaucoup plus facile de faire un deuxième passage plus tôt, par rapport au premier passage sur TF1, sur une autre chaîne. Nous pensons que cela sera le cas. Quand on a des discussions avec France Télévisions qui est ici présent, Thierry Langlois s'exprimera certainement beaucoup mieux que moi à ce sujet, on a le même pari. Le fait de vendre des droits - et dans ce cas-là il y a une entreprise unique - qui sont exploitables par le groupe, entre chaînes du même groupe, va accélérer la consommation de ces droits. D'ailleurs, et il faut rendre hommage très fortement à France Télévisions sur ce point : France Télévisions a accepté qu'une fois ces passages exercés, les droits soient restitués au marché même si la fenêtre n'est pas achevée.
On a cherché, et je terminerai rapidement là-dessus avec un dernier point quand même, à trouver des outils, qui ne sont pas aussi efficaces peut-être que la limitation stricte de la durée des droits mais qui nous permettent de faire modestement des progrès. J'ajoute, Madame Franceschini l'a rappelé à l'instant et cela est très important, que les producteurs indépendants ont admis l'argument selon lequel la suppression de l'intéressement des diffuseurs était un facteur supplémentaire qui les incitait à s'opposer à la circulation. C'est pourquoi nous avons accepté, mais là aussi de manière un peu isolée dans le monde de la production indépendante, la réintroduction de l'intéressement des chaînes, à travers un droit à recettes. En effet, au moins, quand un diffuseur ou un groupe accepte que son programme passe ailleurs, il trouve un intérêt, ce qui éventuellement pourrait compenser l'inconvénient qu'il y voit en termes de concurrence.
M. Jérôme CAZA, président du collège « Télévision » du Syndicat des producteurs indépendants
Je partage un certain nombre de points exprimés à l'instant et nous avons aussi évidemment des désaccords. Avant, j'aimerais juste tirer une petite sonnette d'alarme parce que la création audiovisuelle française, à notre sens, se trouve au bord du précipice pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles. On ne l'a pas évoqué ici jusqu'à présent, cela a l'air tellement évident mais je le rappelle quand même. La révolution numérique a des conséquences multiples et encore inconnues. La nouvelle technologie change les modes de consommation, les modes de financement mais également l'arrivée des nouveaux entrants, TNT, les TELCO, les FAI, bousculent le fragile équilibre du modèle français de l'exception culturelle, ne l'oublions pas, c'est un mot qui semble avoir disparu depuis un an et demi. Je ne doute pas que l'entrée dans l'ère du numérique représente d'ailleurs une chance pour la création, je ne dis pas de se voiler les yeux et dire que cela n'existe pas. Faudrait-il encore que dans cette période de transition, dont on ne sait pas combien de temps elle va durer, les créateurs, les producteurs, les auteurs puissent tenir le coup le temps du passage du vieux modèle au nouveau paradigme.
Le timing et le contenu des réformes initiées depuis fin 2007 fragilisent notre secteur. Oui, il fallait lancer les réformes, aménager les décrets Tasca, dont on n'a pas cependant assez dit et souligné les effets positifs. Je prendrai juste deux chiffres : pendant que la production indépendante croissait de 20 % en cinq ans, - ce sont les chiffres du CNC -, les bénéfices avant impôts de TF1 et M6 dépassaient les 4 milliards d'euros. Voilà ce que j'appelle un cercle vertueux, le mot était utilisé tout à l'heure. Dans le même temps, l'exportation des produits audiovisuels français décollait. Grand nombre d'oeuvres remportaient des succès d'audience, des oeuvres parfois difficiles notamment des documentaires, et des prix prestigieux en France voire à Hollywood. Seule, effectivement, la circulation des oeuvres n'avait pas profité des décrets et pour cause, elle en était certainement la grande oubliée ; Avec le Syndicat des entreprises de distribution de programmes audiovisuels (SEDPA), le Syndicat des agences de presse télévisée (SATEV) et le Syndicat des producteurs indépendants (SPI), que je représente aujourd'hui, nous avons créé un comité de liaison pour coordonner nos points de vue et notre action. Oui à la réforme, non au rafistolage. Nous avons dénoncé, et nous le faisons encore aujourd'hui, les arbitrages pris par le gouvernement qui font courir de grands risques au secteur. La suppression de la publicité sur France Télévisions après 20 heures a créé la perte de valeur du produit publicitaire, c'est la réalité le GRP (« point de couverture brute ») est à -20 %. On nous a bien expliqué dans les chaînes privées que le GRP n'était pas près de remonter, cela prendra des années et des années. Les effets d'aubaine de la publicité censés passer de France Télévisions aux chaînes privées n'ont pas eu lieu. Il ne manquerait plus qu'une mauvaise réforme sur la publicité agroalimentaire pour enfoncer le clou et faire fuir définitivement les investisseurs vers d'autres cieux plus cléments. Les conséquences de l'affaiblissement des recettes publicitaires des chaînes seront encore plus dramatiques en 2010 pour la création. Non seulement les investissements des chaînes dans la production vont chuter, c'est le pourcentage de leurs obligations lié au chiffre d'affaires donc c'est normal, mais ce sera une double-peine puisque dans le même temps l'enveloppe du COSIP diminuera elle aussi pour les mêmes raisons. Il faudrait une croissance inouïe des recettes du cinéma pour compenser les pertes de la télévision et de la vidéo. La réforme du financement de France Télévisions pour compenser son manque à gagner est pour nous extrêmement contre-productive, tout comme le nouveau mode de gouvernance de France Télévisions. Cette réforme n'augure rien de bon si ce n'est une dépendance au chiffre d'affaires des concurrents de France Télévisions et au bon vouloir de l'Etat lors des arbitrages budgétaires des années à venir.
Enfin, la dérégulation du système, et je vais répondre comme cela à votre première question, est un système complexe, ingénieux, d'obligation de soutien à la création française. Aujourd'hui, on risque de passer à un cercle vicieux où les plus gros vont dicter leur loi avec peu de garde-fous, étouffant l'une des grandes richesses de la production française qui est sa diversité exceptionnelle. Il y a des petites sociétés à trois personnes, il y a des sociétés à cent salariés. Le soutien à la production doit-il obéir à une logique patrimoniale ? Nous regrettons, vous l'avez deviné, la diminution pour toutes les chaînes du pourcentage du chiffre d'affaires consacré aux obligations et déplorons que les chaînes, à l'exception de M6, aient opté pour un quota exclusivement patrimonial au détriment de la diversité du pluralisme de la filière audiovisuelle. Je vais vous donner un exemple de chiffres. En 2007, TF1 avait dépensé 204 millions d'euros en oeuvres patrimoniales sur la base de leur chiffre d'affaires 2006. Si en 2009 elle faisait le même chiffre d'affaires, on a bien compris que ce n'était a priori pas possible, sa contribution tomberait à 196 millions mécaniquement avec le même chiffre d'affaires. Vous imaginez donc qu'avec un chiffre d'affaires en baisse, sa contribution va être beaucoup plus faible. Alors que l'accord avec M6, qui est le seul signé par tous les syndicats avec des chaînes commerciales, verrait dans le même temps sa contribution passer de 54 millions à l'époque à 60 millions si elle faisait le même chiffre d'affaires. On voit là un accord que j'appelle mieux-disant. Nous pensons que cet accord aurait dû servir de base et de modèle au projet de décret. Malheureusement, d'autres choix ont été faits avec notamment une situation que je ne comprends pas. Je ne comprends pas la proposition sur les 120 heures d'inédits. On a parlé tout à l'heure des inédits, les inédits c'est ce qui fait vivre les entreprises, c'est ce qui force à la création. Aujourd'hui, on nous dit qu'un inédit, c'est une oeuvre qui n'a jamais été diffusée sur un service. Cela veut dire que TF1 va pouvoir remplir ses obligations en prime-time de 120 heures d'inédits avec par exemple « Louis la Brocante » ou « Plus belle la vie », oeuvres diffusées sur France Télévisions. Franchement, cela peut avoir des conséquences dramatiques. Les 120 heures d'inédits représentent sur le budget de TF1 l'équivalent de 80 téléfilms.
Quelles obligations pour la TNT ? Nous demandons que les chaînes de la TNT assoient leur succès sur la création française, cela a été dit, plutôt que sur les catalogues, plutôt que sur les ready-made américains. Bien entendu, il faut accompagner leur montée en puissance mais là-dessus je rejoins la position de Jacques Peskine.
Sur la production indépendante, l'essentiel a aussi été dit sauf que dans le projet de décret, la notion de production indépendante a été réduite à pas grand-chose puisque de nombreux critères ont été abandonnés : la durée de détention des droits de diffusion par une chaîne, l'étendue des droits secondaires et des droits de commercialisation. Concernant les critères qui tiennent aux entreprises elles-mêmes, de nombreux critères ont été supprimés comme la part détenue par l'entreprise de production au capital de l'éditeur de services et la part du chiffre d'affaires pour le volume d'oeuvres réalisé par l'éditeur de services. Voilà pourquoi nous sommes extrêmement inquiets.
M. Frank SOLOVEICIK, président du Syndicat des entreprises de distribution de programmes audiovisuels
Je voudrais en préambule faire très rapidement quatre remerciements. Le premier à vous-même et à votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, merci de nous enseigner la pédagogie en matière de circulation des oeuvres. Oserais-je dire, en paraphrasant un slogan publicitaire connu, nous l'avons rêvé, vous l'avez fait. Vous avez tenu parole en organisant cette journée et je vous en sais gré. Je voudrais souligner le rôle du CSA qui a été extrêmement pionnier dans sa première étude sur la circulation des programmes. Envers et contre tous, ils l'ont fait et ils la poursuivent. Merci aussi à Laurence Franceschini parce que c'est elle qui la première, avec la probité qu'on lui connaît, a pointé le manque qu'il y avait à ce sujet dans les décrets Tasca. Elle a effectivement été très révélatrice en la matière. Je terminerai par la commission animée par David Kessler et Dominique Richard parce qu'ils ont écouté, entendu et dit ce qu'il en était en la matière.
Je voudrais en préambule simplement noter quatre ou cinq paradoxes qui me semblent assez surréalistes dans le bon sens du terme. Comment parler de la hiérarchie des médias et organiser les séquences si le corollaire n'est pas qu'un programme passe d'un média à un autre ? Comment assurer que la maîtrise concertée de la circulation des programmes serait le meilleur antidote à la piraterie et ne pas faciliter effectivement la circulation des programmes ? Comment se battre légitimement pour la juste rémunération des créateurs et du droit à recettes des ayants droit si nous ne favorisons pas la circulation des programmes, étant entendu qu'un programme qui ne circule pas est un programme qui meurt et qui ne rémunère aucune des parties concernées ? Et enfin, comment assujettir tous les nouveaux entrants aux obligations de diffusion de programmes, d'oeuvres d'expression française ou européenne si on ne leur permet d'accéder effectivement à ces catalogues ? Voilà la première série de paradoxes.
La deuxième est beaucoup plus conjoncturelle. Je n'inventerai rien ou je ne surprendrai personne en disant que la production française actuelle connaît une baisse de régime dramatique en termes de volume, tout autant qu'en termes d'apport financier par programme, quand les programmes ne sont pas différés. En même temps, on ne compense pas ce manque cruel de rémunération et de commandes en amont au détriment des producteurs sans leur permettre pour autant, de pouvoir rémunérer en cash-flow pur leurs programmes en aval. J'avoue que ce paradoxe est pour le moins surprenant et il est d'autant plus préjudiciable pour la filière audiovisuelle dont on parle, c'est-à-dire dans la perspective d'un cercle vertueux qui nous intéresse tous. C'est d'autant plus dramatique que moins nous sommes performants sur notre marché national, plus nous serons en difficulté par rapport à la compétitivité à laquelle nous sommes assujettis par rapport à nos concurrents européens et extra-européens. En un mot, moins nous occupons de manière forte notre propre jardin intérieur, plus nous serons vulnérables sur les marchés extérieurs.
J'ai oublié de dire que Mme Christine Albanel et son cabinet ont été extraordinairement courageux dès le premier jour de sa prise de position en soulignant le problème de l'acuité de la circulation, je préfère dire des programmes, et de la fluidité des droits. Effectivement nous attendons, à défaut de nous mettre d'accord nous-mêmes, que les tutelles et les politiques puissent inciter à des solutions qui soient, je dirais, conformes aux intérêts des uns et des autres, parce que je ne crois pas qu'un producteur puisse vivre avec un diffuseur subclaquant mais la réciproque est absolument vraie.
J'oubliais aussi un élément important. J'aimerais bien que dans le triptyque - j'ai dit un jour qu'il fallait parler de mariage à trois dans le face à face producteur/diffuseur - nous n'oubliions pas systématiquement le distributeur. Je sais que c'est le petit télégraphiste de service mais c'est quand même lui qui est au premier chef en matière de circulation des oeuvres et le plus opérationnel.
Nous sommes confrontés aujourd'hui à une problématique sur la circulation des oeuvres. Il ne faut pas que nous nous laissions enfermer par une espèce de faux débat. Il y a le problème de la terminaison des droits une fois que les diffusions contractuelles ont été effectuées, c'est-à-dire qu'il ne faut pas confondre non plus l'usufruit et la propriété, que l'usage a été consommé et il y a le problème de la fenêtre dans la période intra-droits. Celle-ci se négocie forcément au gré à gré avec les diffuseurs et je peux comprendre que les diffuseurs qui ont acquis ces droits demandent le cas échéant s'il y a un amoindrissement de leur exclusivité une compensation. Cela se fera en concertation avec l'ensemble des diffuseurs et bien évidemment les producteurs que nous représentons. Cela est un point absolument fondamental. Quand on aura acté la terminaison des droits trois mois après la dernière diffusion contractuelle, ce qui laisse largement le temps à tout diffuseur pour sa chaîne ou pour son groupe de voir s'il est intéressé à concourir ou s'il permet à un autre entrant de pouvoir avoir accès au programme, nous serons dans un cercle vertueux parce que l'ennemi aujourd'hui n'est pas tant que le primo-diffuseur souhaite préempter le programme. La vraie complexité et la vraie adversité, c'est que nous nous trouvons confrontés à des diffuseurs qui nous disent : « je ne vous réponds pas parce que je ne suis pas obligé de vous répondre si je veux ou si je peux acheter les droits et, en tout état de cause, je ne veux effectivement pas qu'un autre ait accès à ces programmes ». Cette position du « ni-ni » est de loin la plus cynique, la plus pernicieuse, et je dirais la plus destructrice de valeur pour les uns ou les autres. C'est cela le problème auquel on est confronté aujourd'hui. De grâce, ne mélangeons pas tout et, comme disait Laurence Franceschini tout à l'heure, il n'y a pas de réponse unique à la circulation des programmes parce qu'il n'y a pas de problématique unique à la circulation des programmes. Il est donc clair que si déjà, de manière concertée, nous actions la terminaison des droits trois mois après la dernière diffusion contractuelle, nous aurions fait un énorme pas, d'abord au niveau des mentalités, dans une perspective plus convergente et plus partenariale. Je rappelle que 50 % des téléfilms en France ne sont pas rediffusés par les primo-diffuseurs qui les ont commandités. Qu'est-ce qu'il en est ? On laisse en apesanteur une masse considérable de programmes sans que personne ne puisse y avoir accès.
Je voudrais rappeler un propos très simple, je vous dirai de qui après, qui disait : « la rediffusion d'un bon programme gagne toujours en image et en audience » parce que ceux qui l'ont vu et qui l'ont aimé ont très envie de le revoir et ceux qui ne l'ont pas vu mais qui en ont entendu parler ont la frustration de ne pas l'avoir vu et veulent effectivement la compenser. C'est un expert légitime et reconnu en matière de programmation, c'était Jean Stock. Je voudrais juste savoir pourquoi cette vérité ne serait vraie qu'à l'intérieur d'un groupe quel qu'il soit et pas à l'extérieur. Encore une fois, pourquoi ces vérités, on va faire un peu de benchmarking, sont aussi probantes dans tous les pays du monde et notamment en Europe, et serait-ce la France l'unique mais mauvaise exception culturelle et commerciale qui donnerait cette image-là ? Aux Etats-Unis, il est courant que, sur plusieurs supports en même temps, la même saison d'une série ou des saisons différentes cohabitent sans que cela ne pose le moindre problème. Pourquoi serions-nous le vilain village gaulois, une espèce de « Babaorum » ringard et décalé qui interdirait que chacun puisse avoir accès à ces programmes-là ?
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
On voit que les propos deviennent au fil du temps de plus en plus précis et de plus en plus vigoureux. Je crois qu'il est temps maintenant d'entendre les chaînes et je vais donc demander tout de suite qui souhaite ouvrir le feu, on peut employer ce terme-là maintenant.
M. Thierry LANGLOIS, directeur délégué à l'harmonisation, à la programmation et aux acquisitions de France Télévisions
Je voulais d'abord préciser, contrairement à ce qu'a dit Jérôme, qu'il y a un groupe qui a pris des engagements pour augmenter sa contribution à la création, c'est France Télévisions. C'est le seul effectivement mais il y en a un quand même. Je vais revenir sur un certain nombre de points qu'a posés Jacques Peskine. Je pense notamment que cet accord est de nature à améliorer la circulation. Je ne vais pas reprendre chacun des points mais seulement le dernier point qui est la question de la terminaison des droits dont France Télévisions a effectivement accepté le principe. Nous sommes en train de discuter avec le SEDPA pour essayer de transcrire ce que nous avons signé dans le cadre des accords de production dans un accord avec les distributeurs. Nous devrions y arriver assez rapidement. Je pense qu'il faudra qu'on y revienne un peu plus en détail.
Il y a un point que l'on n'a pas fait jusque-là, Laurence Franceschini en a un petit peu parlé, sur la distinction sur le genre de programme, et à l'intérieur du genre de programme sur les unitaires et les séries. Très clairement, un unitaire peut circuler, de notre point de vue, beaucoup plus facilement et rapidement qu'une série qui est porteuse d'image pour une chaîne ou pour un groupe. C'est le premier point.
Le deuxième point, qui me laisse à penser que les choses vont s'améliorer, est l'introduction d'un droit à recettes. Les diffuseurs, à partir du moment qu'ils trouvent un intérêt financier, vont accepter de favoriser la circulation mais avec une circulation qui doit se faire d'abord au niveau du groupe. Tous les groupes ici présents seront d'accord : on est dans une logique de circulation d'abord à l'intérieur de son propre groupe. Frank Soloveicik parlait du régime américain mais nous ne sommes pas dans un régime américain en France. C'est évidemment plus facile d'organiser et d'harmoniser une programmation entre les chaînes d'un même groupe que de travailler en dehors, même si on y arrive et France Télévisions a toujours été plutôt ouvert sur la question des fenêtres. Même si cela est plus difficile, on est relativement souple sur point-là.
Après vient la question du financement du programme. A quel prix ? Si l'on pose quelques chiffres sur la table, entre le coût et l'investissement de France Télévisions dans une fiction de 90 minutes de l'ordre de 1,2 ou 1,3 million d'euros en moyenne et la proposition d'une chaîne de la TNT, on regarde sa capacité mais nous la trouvons nettement insuffisante dès lors que le même téléfilm peut être acheté entre 30 000 et 50 000 euros. On a un problème, on se situe dans cette période transitoire compliquée parce que les chaînes de la TNT contribuent insuffisamment, à la hauteur de leurs capacités financières d'aujourd'hui, et les chaînes historiques contribuent encore très largement à la création.
M. Gérald-Brice VIRET, président du Groupement TNT
Je suis le président du Groupement TNT et le président de NRJ12 et des chaînes du groupe NRJ.
D'abord, je veux dire que les chaînes de la TNT sont un succès et que ces chaînes sont en plein décollage. On l'a dit mais il faut le redire : nous n'avons que quatre ans. A la question de savoir quelles obligations doivent être imposées aux chaînes de la TNT, il est parfaitement normal et équitable que les chaînes de la TNT se voient imposer par la loi, par les décrets, par la convention collective des obligations envers le CSA. Toutes les chaînes ont rempli leurs obligations de production, cela depuis le premier jour, et voire pour certaines, comme NRJ12, surinvesti dans la production. Même si cela n'est pas suffisant, ces chaînes remplissent leurs obligations. Il faut néanmoins accompagner le développement de ces secteurs puisqu'aucune chaîne aujourd'hui, hormis les chaînes rattachées à un grand groupe, ne gagne de l'argent. Nous sommes toujours en période d'identité et d'investissement pour les chaînes de la TNT.
J'en viens à la question : le soutien des chaînes à la production doit-il obéir à une logique patrimoniale ? D'abord, on a créé une frontière entre le patrimonial, qui serait une production audiovisuelle noble forcément intéressante pour le public, et une autre production considérée comme moins noble, non patrimoniale. Les magazines de plateaux, les divertissements font l'originalité et l'identité des nouvelles chaînes de la TNT. Ce sont par eux qu'elles se démarquent, surtout au début, des chaînes historiques. Par ailleurs, ces magazines de plateaux, ces divertissements, représentent, il ne faut pas l'oublier, des milliers d'emplois et des dizaines de sociétés françaises de production qui travaillent sur ces émissions. Notre position actuelle sur ce sous-quota patrimonial est simple, d'ailleurs nous le négocions actuellement : à partir du moment où la définition exclut les magazines de plateaux et les divertissements, ce sous-quota doit rester pour les nouvelles chaînes à des niveaux raisonnables et progressifs, en fonction de l'évolution du chiffre d'affaires. A l'inverse, nous pensons qu'un sous-quota majoritaire tendrait à concentrer toute la production de ces chaînes essentiellement sur la fiction. Un budget de production de six millions d'euros pour NRJ12 représente quatre téléfilms alors qu'il faut remplir 365 jours dans l'année. Il ne sert donc à rien de créer de nouvelles chaînes si cela doit aboutir à diffuser les mêmes programmes. C'est pour cela que nous sommes en train de réfléchir à ce quota progressif.
Autre question, sur la réglementation en matière de production indépendante, nuit-elle à la circulation des oeuvres ? Bien sûr, une réglementation de la production indépendante devrait mécaniquement être très favorable à la circulation des oeuvres. Autoproduites par les chaînes ou par leurs filiales de production, ces oeuvres sont susceptibles d'être re-commercialisées après à d'autres diffuseurs. En fait, c'est tout à fait différent. Aujourd'hui, les accords qui ont été signés permettent à une chaîne comme TF1 d'avoir des droits sur 72 mois et de les racheter après pour une chaîne du groupe. Même si M6 a des droits moins longs, il en va de même pour ce groupe.
Autre question importante : la circulation des oeuvres est-elle plus aisée entre chaînes du même groupe ? La situation actuelle du marché est telle que la question pourrait être posée de la façon suivante : la circulation des oeuvres est-elle possible en dehors des chaînes du même groupe ? Pour la chaîne TMC, 96 % de ces programmes proviennent des catalogues des deux actionnaires TF1 et AB, c'est une étude que nous avons faite sur 2008, pour NT1 85 % de son actionnaire et pour W9 83 %. On voit ainsi clairement que les filiales TNT des groupes historiques ont un accès illimité, à des coûts extrêmement modestes et aléatoires, au catalogue de droits français et européens de leur maison mère. Cette situation pourrait être considérée comme résultant d'une synergie de groupe non critiquable et de pratiques de saine gestion si elle ne s'accompagnait pas parallèlement de pratiques discriminatoires et totalement anticoncurrentielles à l'encontre des autres chaînes présentes sur le marché.
Puis, il est important pour nous de permettre la fluidité des droits. C'est pour cela que nous pensons qu'il convient de limiter la propriété de ceux-ci par les diffuseurs, donc d'actualiser et d'adapter le futur cadre réglementaire. De la même façon que nous l'avons fait pour la publicité dans les années 90 (la loi Sapin a mis fin à l'opacité, aux pratiques anticoncurrentielles et hautement contestables sur le marché de la publicité), la loi française peut demain imposer la transparence, l'équité et le libre exercice de la concurrence sur le marché des droits de programme, ce qui est un enjeu économique, démocratique et culturel. Dans cette hypothèse, nous pensons, nous Groupement TNT, que le CSA devrait se voir confier un rôle non seulement de contrôle de l'exercice de la concurrence sur ce marché mais aussi d'arbitrage des conflits dont il serait saisi. Sans attendre cette révision législative, le pouvoir réglementaire est d'ores et déjà, sur la base du droit actuel, en capacité de fixer par décret une obligation d'identification, de suivi, de traçabilité pour chacune des oeuvres, et notamment celles qui ont bénéficié d'une aide publique à travers le CNC. Pour rejoindre la proposition de Frank Soloveicik, nous pourrions parler de la terminaison des droits. Nous, chaînes de la TNT, sommes capables de nous appliquer un délai de détention des droits d'exclusivité afin que ceux-ci soient remis en circulation après un délai de trois mois suivant la dernière diffusion contractuelle.
Troisième point important : différencier l'inédit et les oeuvres de stock, c'est-à-dire les oeuvres de plus de quatre ans sur lesquelles il nous faut vraiment être plus souples en matière de circulation des oeuvres. Tout le monde sera gagnant : les auteurs, les réalisateurs, les diffuseurs, les distributeurs et au final le téléspectateur. A propos de la série Friends, Claude Berda a tout compris sur la circulation des oeuvres : il a une exclusivité par plateforme. Friends est diffusé sur NRJ12, RTL9, comédie!, AB1. Les audiences sont bonnes sur tous les vecteurs. Et demain sur la TNT ? Et demain sur l'ADSL ? Autre exemple, Plus belle la vie, le succès de France 3, est diffusé sur Foxlife, sur le câble, sur Gulli, sur France 4 et sur France 3. Les audiences de France 3 n'en ont pas pâti, au contraire c'est un succès tous les soirs. Il faut donc bien différencier les plateformes d'exclusivité, il faut réinventer la notion d'exclusivité. Les plateformes de diffusion ont changé, il y a le terrestre analogique et numérique, en 2012 ils vont se confondre, le câble, le satellite, le gratuit et le payant, le web et demain tous les autres vecteurs dont la TNT. Voici donc nos propositions que nous pourrons nous appliquer, nous, chaînes de la TNT.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Voilà un propos d'ouverture. J'ai vu Madame Guilbart qui opinait du chef et qui semblait approuver. Est-ce que vous avez des réflexions complémentaires pour Lagardère Active ?
Mme Emmanuelle GUILBART, directeur général des activités Télévision de Lagardère Active
Je vais juste livrer un témoignage en tant qu'éditeur et opérationnel de deux chaînes de la TNT. Pour compléter ce que vient de dire Gérald-Brice Viret, il est important de préciser que l'accès aux programmes est vital pour nous. Il est vital évidemment pour nos antennes pour rester concurrentiel. Il est vital également d'un point de vue juridique car nous allons prendre des engagements et des obligations que nous voulons être capables de tenir. Je pense qu'il est important de différencier le catalogue d'une part, que l'on pourrait qualifier de programmes qui ont plus de 36 ou 42 mois, et d'autre part les inédits. Il est important de retenir que les chaînes de la TNT ont besoin des deux. On nous caricature souvent en disant que nous ne faisons que de la rediffusion. Certes, le deuxième marché est important pour nous, pour les producteurs et les distributeurs, mais l'inédit est aussi très important. Cela serait une politique totalement court-termiste de penser qu'on ne peut faire que de la rediffusion sur nos chaînes et exister dans le paysage audiovisuel.
L'éclairage que je voulais donner est qu'aujourd'hui, il est très compliqué pour les chaînes de la TNT de faire de l'inédit. Je donnerai juste un exemple. Gulli, au cours des douze derniers mois, s'est vu refuser quinze projets de coproduction pour lesquels nous avions exprimé clairement notre intérêt pour préfinancer le programme. De fait, nous avons dû annoncer il y a un mois que nous allions produire quelque chose tout seul avec des chaînes du câble et du satellite parce que les chaînes analogiques refusent notre présence dans les plans de financement. Ce point est extrêmement important. Nous pourrons faire des actions sur l'inédit mais quantitativement limitées puisqu'investir dans l'inédit représente des sommes et des coûts fixes très importants que nos économies ne nous permettent pas. Nous pourrons le faire une ou deux fois mais pas de manière quantitative et cela mobilise une très grande part de nos budgets.
Autre point que je souhaitais ajouter, contrairement à ce que disait Monsieur Peskine, nous ne sommes pas d'accord quand on dit les nouveaux accords qui ont été signés avec les chaînes historiques favorisent la circulation des oeuvres, bien au contraire. Ce que je vois quand nous faisons les comparatifs entre l'avant et l'après, ce sont des durées de droits plus longues pour certains groupes, des droits de premier et de dernier refus qui n'existaient pas auparavant et la mutualisation au sein des groupes. Certes, la circulation des oeuvres s'améliore mais seulement au sein des groupes déjà existants et pas du tout à l'extérieur. S'il est légitime économiquement d'avoir des durées d'exclusivité plus importantes pour ceux qui investissent plus, il est moins légitime de n'en faire profiter, à coût marginal, que ses propres filiales. Il y a un vrai problème de concurrence et d'éviction qui se pose.
En termes de solution, l'idée de créer une fenêtre de retour sur le marché, sans remettre en cause la durée des droits totale, me paraît être une bonne idée. Je pense qu'il y a aussi un réel problème de transparence. Le CSA et le CNC pourraient jouer un rôle très important pour qu'au moins il y ait de la transparence et moins d'opacité sur les durées de droits et les échéances de droits qui reviendraient sur le marché.
M. Xavier SPENDER, président de l'Association des chaînes conventionnées éditrices de services
Je voudrais compléter les éléments qui viennent d'être indiqués par Emmanuelle Guilbart, au nom de l'ensemble des chaînes du câble et du satellite et des chaînes thématiques.
L'enjeu de la circulation des droits est très structurant pour les producteurs et les distributeurs, il l'est également très fortement pour les chaînes thématiques que ce soit pour entrer dans les plans de financement ou pour accéder aux oeuvres déjà produites. Les chaînes thématiques sont dans une situation compliquée. Vous le savez, les reversements que nous font les distributeurs de télévision sont plutôt à la baisse. Il faut donc se battre pour trouver des recettes additionnelles sur le marché publicitaire, donc faire de l'audience et avoir des produits et des programmes très attractifs. Il est important pour nous de pouvoir avoir accès aux droits de ces programmes. Or aujourd'hui, comme l'étude 2006 du CSA le montre, les chaînes thématiques non liées à un groupe hertzien ont de plus en plus de mal à accéder à ces programmes. Nos grilles risquent de s'appauvrir, nous avons du mal à remplir les obligations de production et de diffusion et la part des programmes étrangers dans les grilles risque d'augmenter, ce qui ne va pas dans le sens que nous souhaitons tous autour de cette table.
On parlait des accords qui ont été signés par les chaînes hertziennes. On constate également qu'à la suite des décrets Tasca, la circulation des droits n'est pas favorisée par les accords signés par les grands groupes hertziens. La situation à venir ne va donc pas s'améliorer, particulièrement pour les chaînes indépendantes, les chaînes du câble et du satellite qui, elles, se battent tous les jours pour pouvoir r entrer dans les plans de financement ou pour pouvoir acquérir sur le second marché ces programmes.
On parlait tout à l'heure de la part d'investissement dans la production aidée. Les chaînes thématiques représentent 4 % de l'apport des diffuseurs, c'est peu de chose. Néanmoins, elles ne pèsent que 5 % des recettes publicitaires de la télévision. Il y a là un certain équilibre.
Pour être très bref, l'ACCeS formule un certain nombre de propositions pour améliorer la circulation des droits : elle souhaite un renforcement du rôle du CSA pour arbitrer les litiges qui peuvent exister entre des éditeurs, des éditeurs indépendants et des détenteurs de droits primaires, voire des producteurs. Elle demande également une actualisation régulière de l'étude menée par le CSA en 2006, ce suivi est important. Nous souhaitons aussi que le CNC puisse suivre l'exploitation des oeuvres qui ont bénéficié d'un soutien public et vérifier que ces oeuvres sont remises sur le marché et sont ouvertes à d'autres diffuseurs. Enfin, il faut réfléchir ensemble à la manière d'inciter un diffuseur primaire à accorder dans sa période de droits une fenêtre à des diffuseurs indépendants, en prolongeant d'autant la durée des droits qu'il pourrait avoir.
Dans tous les cas, nous sommes, à l'ACCeS, très désireux de poursuivre ces discussions et de travailler pour faire en sorte qu'à l'avenir, l'ensemble des diffuseurs, et particulièrement les diffuseurs indépendants, puissent entrer plus facilement en cofinancement des programmes et accéder à des droits en deuxième fenêtre.
Mme Karine BLOUET, secrétaire générale de M6
Merci Monsieur le président d'avoir organisé cette table ronde pour pouvoir entendre les points de vue. On voit d'ailleurs, à écouter les uns et les autres, que la situation est beaucoup plus complexe que ce que certains veulent bien dire. Je parlerai de la circulation des oeuvres et après du patrimonial.
Sur la circulation des oeuvres, si l'on se place par rapport à 2000, avant les décrets de 2001, les chaînes ont moins de droits qu'avant et en plus, elles doivent investir dans plus de genres, et notamment dans les genres patrimoniaux. Les accords que viennent de conclure les chaînes historiques ont plutôt conduit à une meilleure fluidité des droits, comme certains l'ont rappelé, parce qu'on a dans certains cas réduit les droits par rapport à la situation antérieure, je pense à l'animation et aux documentaires, et pour les autres oeuvres, la durée des droits a été maintenue. Les accords prévoient également, ce qui n'était pas le cas avant, la mise en place de droits à recettes pour le diffuseur, soit un droit forfaitaire soit un droit en fonction de la part de financement du diffuseur. Ce droit à recettes, on le voit assez facilement, va contribuer à fluidifier les droits puisque les chaînes auront un intérêt à ce que les oeuvres soient revendues. Troisième point, les accords ont maintenu le dispositif qui existait de droit à préemption qui fait qu'une chaîne, à la fin de la durée des droits, peut exercer un droit de préemption. Si elle ne l'exerce pas, l'oeuvre est sur le marché.
M6 en fait l'expérience au quotidien. Nous achetons un certain nombre de fictions, de documentaires sur le marché extérieur, pour nos chaînes du câble et du satellite et pour nos chaînes numériques. Par exemple Nestor Burma, qui venait je crois du service public, est diffusé sur Paris Première. Nous avons de nombreuses oeuvres que nous avons achetées sur le marché extérieur, ce qui prouve bien que cela est possible. Dans les oeuvres que nous avons financées et diffusées, nous en libérons également un pourcentage très important et je crois que cela est facile à vérifier. Notre politique n'est pas de geler des droits. Je ne vois pas très bien d'ailleurs quel bénéfice nous aurions à en tirer. Nous avons évidemment intérêt à les exploiter, et si nous ne les exploitons pas, à les libérer.
Deuxième point, certains l'ont rappelé, plus on ira vers l'évolution, le numérique, plus l'avenir du secteur audiovisuel résidera dans le contenu. Ce qui fait l'identité d'une chaîne, c'est son contenu. De plus en plus, on le voit avec la multiplication du nombre de chaînes et une étude montre bien ce phénomène, le téléspectateur s'identifie au contenu et choisit ses chaînes en fonction du programme : le programme est identifiant pour une chaîne. Nous avons pris un certain nombre de risques, par exemple sur Caméra Café, Kaamelott, qui à l'époque étaient difficiles à mettre en financement. Aujourd'hui, je crois que les gens identifient ces programmes à M6. Il est donc important pour une chaîne de se réserver la possibilité de racheter les droits ou de se protéger pendant une certaine fenêtre lorsqu'elle a pris tout le risque financier ou l'essentiel du risque financier sur un programme. Oui, Claude Barda est intelligent ; oui, les distributeurs sont formidables mais à ce moment-là, qu'ils viennent en préfinancement sur des oeuvres. Claude Barda, à ma connaissance, n'est pas préfinanceur de Friends. Je pense qu'il est tout de même important, lorsque l'on prend une très grosse partie du financement d'oeuvre, que l'on ait durant 36 ou 42 mois, des fenêtres qui ne sont pas non plus exceptionnellement longues, sur cette oeuvre. Je rappelle que dans l'économie d'une chaîne, il n'y a pas que des succès, il y a des échecs et les succès absorbent les échecs. Évidemment, il est assez séduisant de se dire : « Tiens, il y a un programme qui a marché sur M6, est-ce que je ne pourrais pas le récupérer assez rapidement pour pouvoir le diffuser sur ma chaîne ? » Néanmoins, dans le même temps, nous aurons lancé deux ou trois séries qui auront fait de très mauvaises audiences sur lesquelles nous allons devoir absorber tout le risque financier.
Sur la circulation des oeuvres, je considère que les accords, même s'ils sont sans doute loin d'être parfaits, ont quand même permis de traiter en grande partie le sujet. On a eu une discussion assez longue sur ce sujet avec les producteurs. On a accepté de libérer les droits un peu plus tôt pour que le producteur puisse, le cas échéant, exploiter le programme en VOD au bout d'un délai de 18 mois. On est assez ouvert à la discussion là-dessus.
A propos des genres et des obligations patrimoniales, je me sens tout de même obligée de dire quelque chose puisque M6 a été beaucoup pointé du doigt. On n'a même, je crois, quasiment cité que des programmes de M6 lors de ce débat qui a conduit à ces fameuses obligations patrimoniales. Je considère que le problème n'est pas réglé ou en tout cas qu'il a été mal réglé parce que la fiction, c'est très bien, mais il faut absolument qu'il y ait une grande diversité sur les antennes, même au-delà de ce qui est aujourd'hui une oeuvre. Actuellement la fiction - je n'ai pas les chiffres de 2008 mais ceux de 2007 - doit représenter pas loin des deux tiers des investissements des chaînes. La fiction française est un genre très aidé par les pouvoirs publics, à travers les crédits d'impôt, le compte de soutien à la production audiovisuelle, et dans lequel les chaînes, ne serait-ce que TF1 et France Télévisions, investissent beaucoup parce que cela correspond à leur public. M6 investit d'ailleurs dans la fiction. Nous considérons qu'il est également important de préserver d'autres genres. On en a beaucoup parlé, notamment lors du précédent débat sur la dernière loi audiovisuelle. Il est vrai que lorsque nous avions essayé de débattre des genres, il y a tout de suite eu une bronca contre une certaine ouverture sur les genres. Je considère aujourd'hui qu'il faudrait remettre tout cela à plat et qu'au minimum le Conseil supérieur de l'audiovisuel, et je pense qu'il en a tout à fait la vocation, puisse donner son avis sur ce qui est patrimonial ou pas. Est-ce qu'un magazine culturel, par exemple, doit être exclu d'un accord sur le patrimonial et sinon pourquoi ? Aujourd'hui, un magazine culturel n'est même pas une oeuvre et n'est donc pas concerné par ces dispositions. Est-ce qu'un reportage ou un magazine fait de reportages est une oeuvre patrimoniale ? Pour l'instant, la frontière est un peu floue au regard de la législation actuelle. Or le public nous demande de plus en plus de faire des magazines de reportages et d'information, notamment le public jeune qui est celui qui se dirige le plus vers d'autres modes de consommation de contenu. Il est important de garder ce public et de lui proposer une diversité de genres.
M. Pascal ROGARD, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques
J'ai écouté sagement le discours de M6 sur le patrimonial. Je sais maintenant ce que vaut la signature de M6 quand elle signe des accords, elle est de très grande valeur ! Je sais qu'il y a beaucoup d'émissions qui sont de grande qualité. Je pense que sur le patrimonial, le Parlement a fait un choix et le patrimonial n'est pas que de la fiction. C'est aussi du documentaire de création, la retransmission de spectacles vivants, il y en a d'ailleurs beaucoup sur certaines chaînes du groupe M6 et je félicite Paris Première. C'est aussi la vidéo-musique, donc ce n'est pas simplement la fiction, c'est assez large. S'il y a eu une intervention du Parlement sur le sujet, c'est qu'il y a eu des abus de la petite chaîne qui a cessé de monter.
Je vais essayer de répondre aux questions. L'intérêt des auteurs est extrêmement clair. Les auteurs ont un intérêt majeur à ce que les oeuvres soient diffusées tout simplement parce qu'un auteur veut que son oeuvre soit vue par le public et chaque fois qu'elle est diffusée, il bénéficie d'une rémunération. Simplement, il faut reconnaître que les investisseurs que sont les grandes chaînes ont aussi des droits. On ne peut pas défendre l'idée qu'une oeuvre est patrimoniale si elle ne crée pas d'actifs pour celui qui investit. Il est clair que les grandes chaînes prennent des risques et investissent sur des oeuvres très coûteuses, comme les oeuvres de fiction. Il est normal qu'il y ait des retours. Je trouve que le progrès qui a été fait dans les accords est de redonner aux chaînes de télévision un droit à rémunération au titre de la circulation des oeuvres. C'est extrêmement intéressant car cela veut dire que les oeuvres patrimoniales sont aussi des actifs pour les chaînes. On ne peut pas dire : « Investissez dans le patrimonial et vous n'êtes simplement qu'un entrepôt de dépôt-vente. Vous avez investi et cela ne vaut plus rien ». Il faut à la fois assurer la circulation, parce qu'il est vrai que les nouvelles chaînes ne peuvent respecter des obligations patrimoniales que si elles ont accès aux oeuvres, et donner un certain nombre de droits, ceux sans lesquels les oeuvres n'existeraient pas. Je trouve qu'il y a eu des progrès qui ont été faits sur ce sujet dans le cadre des accords qui ont été conclus. Certains diront qu'ils ne sont pas suffisants, d'autres qu'ils vont trop loin. Ce qui est fondamental pour moi n'est pas que les oeuvres patrimoniales existent. Pourquoi y a-t-il une obligation patrimoniale ? On l'oublie toujours, cela date de 1993 et des négociations du GATT. Les obligations patrimoniales sont au coeur de l'exception culturelle et ce sont elles qui peuvent être concurrencées de façon déloyale par les créations venant d'outre-Atlantique dont le coût peut être abaissé marginalement à zéro pour conquérir le marché. Ce sont donc aussi des règles de protection de la création et de la concurrence.
Dans les accords passés, il y a deux types d'obligations. Il y a les obligations industrielles, quand on veut favoriser les oeuvres audiovisuelles ou les programmes de flux. Je ne vois vraiment pas l'intérêt d'avoir des obligations pour favoriser les programmes de flux et augmenter le prix du mercato. Je trouve qu'il faut concentrer les obligations sur le patrimonial, donc sur le coeur de la création. Dans les accords que nous avons passés, nous avons fait deux types d'accords. Il y a un accord uniquement centré sur le patrimonial, ce sont les accords avec France Télévisions, TF1, Canal + et Orange. Je note que France Télévisions, cela est un effet de la réforme, est le diffuseur qui a les obligations les plus fortes, et nettement les plus fortes, à la fois en termes d'obligations d'investissement et d'obligations de diffusion. Puis, il y a un accord avec M6 qui n'a pas l'air de plaire à M6, ils ont peut-être signé sous contrainte, je ne sais pas. Cet accord prévoit des obligations industrielles et à l'intérieur, une obligation culturelle plus faible. Je préfère l'obligation culturelle à l'obligation industrielle, c'est ma faiblesse, je suis ici pour défendre les créateurs français.
En ce qui concerne les chaînes de la TNT, pour moi cela est extrêmement simple. En 2012, tout le monde sera sur le même terrain de jeu, donc à égalité de concurrence. Les règles devront être les mêmes pour tous, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait pas de montée en puissance ou de nécessité de s'adapter. Il faut tenir compte du fait que, sur le même terrain de jeu, il y aura peut-être des équipes de première division et des équipes de deuxième division, voire de troisième. En ce qui concerne la création, on est plutôt dans l'amateurisme. Je ne parle pas de toutes les chaînes mais de certaines. On a les bilans du CSA, la contribution actuelle de la TNT à la création française patrimoniale est extrêmement faible. Il faut démarrer mais à terme, le système d'obligations doit être identique, ce qui ne veut pas dire que ce sont les mêmes obligations et qu'il n'y a pas de montée en puissance. Pour le moment, j'ai vu vos dernières propositions qui datent d'il y a deux jours, vous avez encore quelques progrès à faire en matière d'investissement dans la création.
Enfin, je répondrai à la dernière question : la réglementation en matière de production indépendante nuit-elle à la circulation des oeuvres ? Non, elle favorise la circulation des oeuvres. Néanmoins, il ne faut pas que les règles de circulation des oeuvres incitent les grands diffuseurs à désinvestir ; c'est-à-dire que si les grands diffuseurs ne se créent pas d'actifs en oeuvres patrimoniales, ils vont essayer de se tourner vers d'autres émissions sur lesquelles ils pourront peut-être avoir des droits plus longs. Il faut donc trouver le juste compromis entre les obligations en investissement patrimonial des chaînes de télévision et la circulation parce qu'elle est un élément déterminant de la création, les auteurs en ont besoin, et aussi pour que les chaînes de la TNT respectent un certain nombre d'obligations. Je trouve que ce qui a été fait en matière de circulation à l'intérieur de groupes est un élément positif. Pour les auteurs, il est totalement neutre que les oeuvres circulent à l'intérieur ou à l'extérieur d'un groupe, cela est complètement égal.
Dernier point que j'ajouterai, nous sommes dans un monde qui change totalement. Avec l'arrivée du numérique, on peut appliquer en matière d'audiovisuel ce qui existe en matière d'édition littéraire, l'exploitation permanente et suivie. Les oeuvres peuvent être totalement disponibles grâce au numérique. On peut progressivement, sous réserve des contrats d'exclusivité, faire en sorte, que ce soit par les DVD ou les offres de vidéo à la demande, que le public puisse à tout moment accéder aux oeuvres. Si l'on veut renforcer notre lutte contre la contrefaçon, il est tout aussi important d'avoir de bonnes lois, je pense que le Parlement va encore s'y pencher bientôt, que d'avoir une offre extrêmement abondante. Je ne dirai rien sur le sujet parce que ce n'est pas la tribune de ce matin mais les propositions du CNC en matière de chronologie des médias ne vont pas dans le sens d'un élargissement de l'offre et d'une lutte efficace contre la contrefaçon numérique.
M. Olivier ZEGNA-RATA, directeur des relations extérieures de Canal +
Je vais dire peu de choses, les débats ont été extrêmement complexes. C'est un domaine qui est largement dans les relations contractuelles qui peuvent exister entre producteurs, chaînes, diffuseurs, distributeurs. Sans doute est-ce très bien ainsi.
Je voudrais ajouter un point qui est fondamental et qu'il faut toujours avoir présent à l'esprit quand on donne certains exemples, comme celui de Friends où l'on prend un système de production très différent comme le système américain. Dans ce système-là, le producteur se finance par la distribution, par la circulation de son oeuvre sur de nombreuses chaînes et supports après sa production. Cela est un point fondamental. On dit que l'oeuvre circule beaucoup plus, bien sûr ! Le producteur a financé très largement l'oeuvre au moment de sa réalisation. Après, il va chercher partout des supports auxquels il va la vendre pour récupérer son argent et éventuellement faire des bénéfices. Il a donc intérêt à une circulation maximale et il est propriétaire de l'oeuvre, qui est à la fois une oeuvre patrimoniale et son patrimoine. Son patrimoine, il l'a constitué puisqu'il a investi pour. Dans la situation française, c'est ce qui nous permet de vivre car nous n'aurions pas un marché pour supporter ce type d'exploitation des oeuvres, qui pourrait attendre après la production le temps long de la rémunération par la distribution et la circulation intense de l'oeuvre. Nous ne pourrions pas supporter notre production, nous avons donc inventé un autre système. Notre système, assez largement répliqué en Europe, pour des raisons d'étroitesse des marchés, est différent dans la mesure où le premier diffuseur intervient énormément dans le financement de l'oeuvre. Il faut le dire très clairement. D'ailleurs Thierry Langlois a donné quelques chiffres tout simples mais on comprend bien. Le premier diffuseur va intervenir, et l'on peut parler de France Télévisions, dans une fiction à hauteur de 1 million, 1,2 million, 1,3 million, soit 80 % du financement. Ce sont des chiffres élevés. Après, l'oeuvre va sur le marché pour une deuxième diffusion, une troisième diffusion, une quatrième diffusion sur d'autres antennes, d'autres supports éventuellement, d'autres chaînes. Là, on paye la diffusion 30 000, 40 000, 50 000 euros. Tout le rapport est là. On ne peut pas considérer qu'une oeuvre de patrimoine, et c'est effectivement un patrimoine qu'on constitue, nous serait immédiatement dessaisie sous le principe de la terminaison des droits alors qu'on a investi. C'est du patrimoine parce que c'est de l'investissement ! On ne peut pas priver celui qui a été le principal poumon financeur du droit de jouir de ce qu'il a contribué pour une grande part à financer, évidemment le rôle du producteur est essentiel. Il est essentiel que le producteur puisse bénéficier le plus tôt possible de la possibilité de diffuser ailleurs et de faire circuler l'oeuvre. Cela est tout à fait clair et évidemment, c'est ce qui va générer un cash-flow qui va lui permettre d'investir dans d'autres oeuvres lui-même. Il ne faut pas oublier cette première phase qui est liée au système de financement de l'oeuvre en France et qu'on ne va pas bafouer en disant : « Ce n'est pas grave, de toute façon ils ont payé, maintenant on va en tirer bénéfice ». Cela est sympathique mais ce n'est pas réaliste. Par exemple, je suis tout à fait favorable à ce que des distributeurs interviennent de plus en plus sur ce marché et en particulier pour travailler à l'exportation des programmes audiovisuels français. C'est essentiel mais le distributeur, à l'heure actuelle, n'entre pas dans le préfinancement, ou quasiment pas. A partir du moment où l'on fait une table ronde pour produire un programme, où on décide de qui paye quoi, c'est à ce moment-là naturellement que le plus de gens possibles peuvent venir. Si les distributeurs veulent venir et investir dans le préfinancement des oeuvres, ils sont évidemment les bienvenus. Le soutien des chaînes à la production doit-il obéir à une logique patrimoniale ? C'est dans ce sens-là que c'est une logique patrimoniale et je voudrais que l'on s'intéresse à ce sens-là aussi du patrimoine. C'est de cette manière-là qu'on doit le comprendre.
Quelles obligations doivent être imposées aux chaînes de la TNT ? Je rejoins Pascal Rogard. A partir du moment où nous allons tous être à égalité, où toutes les chaînes hertziennes seront numériques, diffusées partout et à égalité sur le même marché, les obligations devront être similaires. Ensuite, il y a des systèmes de rattrapage du système général mais à partir du moment où nous jouons tous sur le même terrain, il faut que ce soit avec les mêmes règles.
Enfin, la réglementation en matière de production indépendante nuit-elle à la circulation des oeuvres ? Cela ne nous paraît pas du tout être le cas. Il y a aujourd'hui une possibilité de constituer des catalogues, cela a été longtemps une inquiétude, pour distribuer. La circulation des oeuvres n'est pas, en tout cas, gênée par la réglementation sur l'indépendance.
Sur le mode de calcul de la rémunération des droits voisins, est-il favorable ou non à la circulation des oeuvres ? Cette institution s'est récemment améliorée et je dirais que le problème est là aussi un problème quasiment résolu. Des efforts ont été faits de part et d'autre. Maintenant, les coûts qui étaient liés à une rediffusion, tout simplement de devoir payer des droits très importants à des artistes qui ont participé, étaient un frein. Ce n'est plus le cas, les choses ont été renégociées, je pense que la fluidité est beaucoup mieux assurée. Il faut dire les choses comme elles sont.
La circulation des oeuvres est-elle plus aisée entre chaînes d'un même groupe ? Je voudrais dire que c'est aussi du bon sens. J'ai vécu dans plusieurs groupes, et notamment quand j'étais responsable des chaînes thématiques à France Télévisions, j'avais une sorte de sentiment de révolte quand je voyais telle fiction qui avait bien marché sur France 2 partir sur une chaîne thématique concurrente, par exemple du groupe Canal +. Je la voyais partir et me disais : « C'est idiot ! Cette fiction a une composante historique, on aurait du la mettre sur Histoire ». Évidemment, au sein d'un groupe, quand un grand diffuseur, le plus gros financier, finance largement une oeuvre, les petites chaînes du même groupe ont envie d'en profiter. Cela ne me paraît ni illégitime ni révoltant. Les systèmes qui viennent d'être négociés vont permettre de faciliter ce type de circulation. Cela est très positif puisqu'effectivement, cela permettra de mieux exposer les oeuvres sur de petites chaînes au sein d'un même groupe. C'est déjà un pas. Maintenant, mon expérience à France Télévisions, comme maintenant à Canal +, c'est que de fait, les oeuvres qu'on finance circulent encore plus dans les autres groupes. En fait, nous n'avons pas du tout une politique endogame en la matière. Ce n'était pas le cas à France Télévisions, ce n'est pas le cas non plus à Canal +. Je tiens à dire que cela paraît naturel que les oeuvres circulent mieux au sein d'un même groupe, cela peut permettre une première habitude de fluidité et de circulation mais, de fait, c'est grâce à la fertilisation croisée entre des chaînes de groupes différents que l'on arrive à construire une table ronde autour du financement d'une oeuvre ou d'un programme plus efficace du point de vue des producteurs. La question est à la fois juste et l'expérience montre que le problème n'en n'est pas un. J'ajoute enfin que le rôle des producteurs dans la circulation audiovisuelle est essentiel. C'est grâce à eux que l'oeuvre ensuite a une vie, et une longue vie.
M. Jean-Michel COUNILLON, secrétaire général et directeur des affaires juridiques de TF1
Pour nous, le problème de la circulation des oeuvres est consubstantiellement lié au problème de leur financement. L'état des lieux du paysage audiovisuel français est caractérisé par deux phases de rupture importantes : une phase de rupture industrielle, puisqu'on est passé d'un marché à 6 chaînes il y a trois ou quatre ans à un marché à 18 voire 20 chaînes qui sont maintenant en voie de finalisation de leur optimisation, et une phase de rupture réglementaire. Bien évidemment, dans ces marchés en pleine mutation, il se passe un phénomène assez traditionnel : il y a une asymétrie entre le rôle et le poids des historiques et le rôle et le poids des nouveaux entrants. Cette asymétrie est complètement reconnue au niveau du financement des oeuvres. A partir de là, le problème qui se pose est de savoir comment gérer, pour les historiques, la montée en puissance des nouvelles chaînes qui les affaiblissent et comment permettre à ces chaînes de monter à l'horizon 2012 à un niveau de régulation similaire, peut-être pas égal mais similaire, de façon à ce que les asymétries se gomment et que l'on retrouve, dans l'intérêt du marché, un équilibre dans les financements. Face à ce constat, qui est un constat que l'on pourrait qualifier des années 2007/2008, il y a eu l'intelligence de substituer à une régulation assez aveugle une relation de partenariat pour essayer d'établir des rythmes adaptés aux situations différentes des opérateurs.
Dans ces partenariats, le problème de la circulation des oeuvres a été pleinement pris en compte à trois niveaux. Le premier niveau se constitue des droits à antenne, accordés aux chaînes de télévision en contrepartie de leur financement, les droits d'exploitation, qui sont plus longs sur les récurrents que sur les unitaires. Elles acceptent de baisser leurs droits à antenne sur les unitaires parce que le produit unitaire a plus vocation à tourner, le héros récurrent étant beaucoup plus sédimentant. Quand vous avez une série récurrente, par exemple pour nous Une femme d'honneur, Navarro, R.I.S. ou des produits comme cela, il est clair que la volonté de la chaîne à initier de nouveaux produits est très liée à sa protection sur les anciens. Si vous investissez dans de nouvelles séries de récurrents comme R.I.S. ou Navarro (Navarro est fini mais a été un personnage emblématique de la chaîne) et que d'autres chaînes peuvent vous concurrencer avec le même produit des saisons précédentes, cela enlève un attrait au prix et au risque industriel du nouvel investissement. Cela a été pris en compte par les producteurs et les chaînes pour faciliter l'émergence de nouvelles séries récurrentes qui garantissent à la production des financements assez pérennes et aux diffuseurs des risques assumés. Premièrement, les droits à antenne ne doivent pas forcément être du même niveau entre un unitaire et un récurrent. Deuxièmement, la commercialisation au second marché des héros récurrents doit commencer le jour où l'on arrête d'investir dans de nouveaux récurrents. Sinon, on tue la machine à produire de nouveaux produits, la machine à investir dans la série. Cela est une première idée qui est partagée par le monde de la création et le monde de la diffusion, cela est très important.
Deuxième sujet important, il faut permettre et créer une incentive pour que les oeuvres, lorsqu'elles sont disponibles, soient achetées et vendues, vendues et achetées. Je fais volontairement cette répétition car aujourd'hui sur le marché secondaire, je ne sais pas si c'est une carence d'offres qui existent ou une carence de demandes. Je m'en expliquerai tout à l'heure. C'est dans la production indépendante que le verrou des parcours professionnels n'a pas sauté, il était trop psychologique et nous avons accepté d'y renoncer mais il y a des remontées de recettes et des intéressements en recettes qui font que le diffuseur principal investisseur a intérêt à ce que l'oeuvre tourne. Plus il y a d' incentives sur le patrimonial, plus l'oeuvre tournera.
Troisièmement, dans les droits du diffuseur, il est aujourd'hui fondamental que cela puisse être des droits exploités au niveau groupe. Pourquoi ? Dans la fragmentation qui est en train de s'opérer sur le marché de la télévision, il est important de pouvoir mieux amortir les oeuvres. Puisque les réseaux principaux sont affaiblis, leur capacité financière est affaiblie et leur capacité à amortir les oeuvres sur un seul réseau également. Il y a donc danger sur le système dans sa globalité.
Enfin, il est important qu'il y ait une vraie montée en charge des nouveaux éditeurs pour qu'à l'horizon 2012, on ne soit pas forcément sur un même niveau de règles mais sur un niveau de règles équivalent de façon à ce que cette asymétrie qui est aujourd'hui destructrice de valeurs pour le secteur ne perdure pas au-delà de 2012 et qu'il y ait notamment une part réelle de financement d'inédits dans les investissements à venir de ces nouvelles chaînes. L'objectif est qu'elles-mêmes génèrent, à partir du moment où elles captent une partie de la ressource des historiques, de nouveaux inédits qui vont alimenter la machine. C'était un peu le sens de nos accords. J'ai tendance à dire que le pragmatisme a vraiment fonctionné dans cette approche. On n'en voit pas encore les effets puisque l'année 2009 est la première année d'exercice de ces accords qui n'ont même pas encore été transposés par décret. De ce point de vue d'ailleurs, il y a une relative urgence parce que la plupart des contrats qui sont signés sont déjà prépositionnés dans la logique de ces accords. Cela est très important aujourd'hui. L'année 2009 et les années 2010 et 2011 devront être des années-tests sur des mécanismes qui sont mis en place. J'attire l'attention du marché sur ce phénomène : il est important d'aller vite vers une généralisation d'accords pour que l'on puisse voir leurs effets en 2012 et l'intérêt de telle ou telle disposition ou le danger de telle ou telle autre.
Je me suis fait remonter pour 2007 et 2008 l'état des demandes qui avaient été formulées par certaines chaînes et celles qui avaient été acceptées. Je ne les citerai pas mais ce sont des chaînes de la TNT. En 2007, une chaîne de la TNT a fait 14 demandes de rachat d'oeuvres ; elle en a eu 12 acceptées et 2 refusées. Une autre chaîne a fait 2 demandes en 2007 et elle en a eu 2 d'acceptées. La première chaîne que je vous ai citée a fait 33 demandes pour 2008 ; elle en a eu 15 d'acceptées et 18 de refusées. L'autre chaîne a fait 18 demandes et en a eu 16 d'acceptées. Je crois que cela fonctionne. Néanmoins, ce qui m'inquiète le plus aujourd'hui, et qui est peut-être un problème beaucoup plus grave du second marché, est que quand je compare les prix moyens payés par les chaînes de la TNT aux prix moyens payés par les chaînes du câble et du satellite, ils sont sensiblement identiques, et cela n'est pas normal. S'il y a pénurie d'offres et beaucoup de demandes, les prix montent, c'est classique. Quand dans un marché, l'offre est raréfiée mais que la demande s'intensifie, les prix montent. Or bizarrement, les prix moyens des oeuvres n'ont pas augmenté au cours des trois dernières années, ce qui me pose le problème de savoir si la demande est aussi réelle et aussi intense qu'on le dit.
M. Jean-Yves MIRSKI, délégué général du Syndicat de l'édition vidéo numérique
Mon intervention est en marge et complémentaire de tout ce que j'ai entendu ce matin puisque je représente la vidéo et la VOD. La circulation des oeuvres audiovisuelles est un peu différente mais comme l'a rappelé Pascal Rogard, cela existe et c'est de cela dont je voulais parler rapidement. Le marché du DVD n'est pas que du cinéma, comme on a tendance parfois à le croire, puisque le marché de l'audiovisuel en DVD représente 500 millions d'euros en 2008, c'est-à-dire à peu près 40 % du marché de la vidéo. Ce n'est pas rien. Sur ces 500 millions, environ un tiers représente des oeuvres françaises. Ce qui est aussi intéressant sur ce marché, c'est de voir qu'il y a à peu près deux tiers d'oeuvres de catalogue, donc des oeuvres un peu anciennes, et que la fiction représente la moitié du secteur de la vidéo audiovisuelle. Cela est important car c'était un quart il y a quelques années. On a une très forte progression de tout ce qui est oeuvre de fiction en vidéo ces dernières années et on le constate aussi pour le répertoire enfant, qui est un répertoire important en vidéo, ainsi que pour les répertoires musique et humour.
Je voudrais dire également un mot du marché de la VOD dont on parle beaucoup par ailleurs. Il faut tout de même rappeler que pour 2008, le marché de la VOD en France a représenté 53 millions d'euros. Sur ces 53 millions d'euros, l'audiovisuel représente 5 %, c'est-à-dire 2,5 millions d'euros en 2008. Je crois qu'il faut s'en rappeler. Sur le total de la VOD en France l'année dernière, les séries ont représenté 2 % et les documentaires 0,7 %. Le marché de la VOD est un marché naissant, on verra comment il va évoluer. Nous souffrons beaucoup de la piraterie, on en parle beaucoup par ailleurs donc je ne vais évidemment pas insister dessus. On est aussi dans un domaine où la notoriété des oeuvres audiovisuelles tient beaucoup à la diffusion. Je crois qu'il y a un éparpillement qui nuit peut-être à cette notoriété sachant que les éditeurs sont toujours - et il n'y a pas que les éditeurs vidéo et VOD qui sont dans ce cas-là, un certain nombre de chaînes de télévision le sont aussi - uniquement dans une logique de seconde exploitation. Il est donc impératif de connaître les résultats des oeuvres telles qu'elles ont été diffusées à la télévision. On voit bien là qu'on est dans deux logiques différentes, soit pour des oeuvres unitaires soit pour des séries. Évidemment, on a besoin de savoir comment fonctionne la série avant de pouvoir commercialiser le DVD.
Ce qui est aussi intéressant à savoir, c'est que 50 % des acheteurs de DVD achètent quelque chose qu'ils ont déjà vu que, ce soit pour une oeuvre de cinéma ou une oeuvre audiovisuelle. Cela me paraît, encore une fois, être un débouché important. Il est vrai qu'aujourd'hui la VOD brouille un peu les cartes car le marché de la vidéo est un marché où l'on a essentiellement un achat de support et très peu de location. Aujourd'hui, la VOD telle qu'elle a commencé à se développer en France est à 98 % de la VOD locative, c'est-à-dire que les gens regardent mais ne conservent pas. On est là dans un comportement totalement différent que ce que l'on a connu pour la vidéo jusqu'à maintenant. On voit aussi apparaître - est-ce de la VOD ou pas - la télévision de rattrapage. Je ne vais pas entrer dans les débats juridiques sur ce point. C'est quelque chose de très important, qui a beaucoup de succès et qui, pour les oeuvres audiovisuelles, mérite de se développer.
Pour conclure, je dirais qu'aujourd'hui la multiplication des modes de diffusion, que l'on constate tous, n'a pas conduit pour le moment à une meilleure circulation des oeuvres. Je pense que l'un des problèmes auquel il faut réfléchir concernant plus particulièrement les oeuvres audiovisuelles est, pour la VOD, la problématique du paiement à l'acte. Est-ce adapté ou non quand on voit le succès de la télévision de rattrapage qui pour le moment est essentiellement gratuite ?
M. Frank SOLOVEICIK, président du Syndicat des entreprises de distribution de programmes audiovisuels
Vous permettrez aux distributeurs, points de contact entre les chaînes et les producteurs de dire un mot.
Je me réjouis que M6 se réjouisse de la tenue d'un débat sur la circulation des programmes. Une série que je connais bien a été citée, il s'agit de Nestor Burma, puisque c'est moi qui la vends. J'ai simplement, au-delà du don d'ubiquité, une question à poser. Est-ce que j'entends le groupe qui me demande au détriment de France 2 de lui obtenir des fenêtres pour ses chaînes sur Nestor Burma, ou le groupe qui, quand je lui demande des fenêtres pour des chaînes du câble, du satellite ou de la TNT, me les refuse ? C'est une question importante.
La deuxième question, c'est que j'entends tous les diffuseurs confondus, à l'exception notoire de France Télévisions qui l'a dit et qui l'a acté, qu'aucune des chaînes ne parle de la terminaison des droits. Nous parlons tous du problème des fenêtres ! Je suis ravi parce qu'au Moyen Age on calculait la richesse sur le nombre de fenêtres. Si l'on pouvait transformer des fenêtres de tir en fenêtres d'aération pour nos programmes, cela serait formidable mais personne ne répond sur la terminaison des droits qui est tout de même le point de consensus le plus objectif auquel nous pourrions parvenir.
Quand il s'agit du prix, j'entends que les chaînes évitent le problème du coût et de leur apport au prix de la production, j'en conclus que le problème ne se pose pas pour les achats extérieurs. Il ne se poserait donc que pour les productions commanditées par les chaînes. Cela veut donc dire que les fenêtres sur ces programmes-là, sans mauvais jeu de mot, « ça se discute », et que le problème ne se pose plus pour les achats extérieurs, européens ou extra-européens.
A propos des à-valoir, quand je mets à titre personnel 450 000 euros d'à-valoir pour la distribution d'un documentaire de prime-time, je me demande si cela est de la philanthropie ou si les filiales de chaînes de télévision commerciales ne sont pas suffisamment concernées et impliquées au point de concourir pour permettre un meilleur préfinancement de la production. Si cela est le cas, il faut que les chaînes renoncent à des priorités de mandats de commercialisation entre filiales commerciales. Le problème qui se pose aujourd'hui sur la circulation des programmes, que l'on avait déjà noté sur le câble et qui est en train de compromettre le développement de la TNT, aura naturellement les mêmes répercussions, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, sur les chaînes locales demain qu'elles soient uniques ou syndiquées. Elles auront les mêmes difficultés à s'approvisionner en programmes alors qu'elles seront assujetties aux mêmes problématiques de quotas. C'est le problème qui nous est posé globalement aujourd'hui. Que les chaînes n'oublient pas que si l'on s'inspire des exemples étrangers, il y a un certain nombre de pays (l'Allemagne et l'Angleterre pour ne pas les nommer) où les primo-diffuseurs payent 90 à 120 % du coût de la production auquel cas il est légitime qu'ils en soient les propriétaires et qu'ils aient un droit absolu de vie ou de mort sur le programme. Ce n'est pas le cas en France puisque les apports des chaînes vont grosso modo de 20 % pour le dessin animé à 60-65 % pour la fiction. Cela ne signifie pas qu'il faille appliquer exactement les mêmes schémas parce que la clé de répartition n'est pas la même.
M. Michel THIOLLIÈRE, rapporteur pour avis du budget des médias pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
J'évoquerai peut-être trois points à ce moment du débat. Notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication et le Sénat, en conséquence, ont toujours mis l'accent depuis de nombreuses années sur trois points qui nous paraissent importants.
Le premier point touche à la diversité, la diversité culturelle qui se traduit dans vos métiers par la diversité des oeuvres et la diversité des canaux pour transporter ces oeuvres. Nous avons souvent été à l'origine de révolutions technologiques comme par exemple la TNT. Le Sénat a toujours été, de ce point de vue, en avance. Ensuite, nous avons toujours eu la volonté, nous l'avons souvent dit avec Catherine Morin-Desailly dans le cadre de la loi sur l'audiovisuel public, d'avoir une pérennité de financement et l'assurance d'un financement substantiel pour l'audiovisuel public, justement de permettre à des créations de qualité de voir le jour dans le monde public, et d'accentuer la création chaque fois que cela est possible dans les programmes que vous diffusez les uns et les autres. C'est une sorte de tradition sénatoriale à laquelle nous sommes attachés et je vous remercie, les uns et les autres, d'avoir repris un certain nombre de ces données à travers les différents métiers et organismes ou institutions que vous représentez.
Le deuxième point est le constat que l'on peut faire aujourd'hui du monde audiovisuel dans lequel nous évoluons. Je remarque qu'il y a une tension forte entre une volonté affirmée par les uns et les autres de vouloir défendre ce qui est notre bien le plus précieux, à savoir une vocation culturelle française forte qui passe par la diversité et par une identité que personne ne remet en question, une volonté affirmée de voir circuler ces oeuvres le plus possible en France et à l'étranger et de permettre aux auteurs, comme le rappelait Pascal Rogard d'aller le plus possible et le plus souvent possible au-devant des téléspectateurs. Là, bien entendu, la circulation des oeuvres est indispensable puisque certains ne voient pas les oeuvres lors de leur première diffusion et tant mieux s'ils peuvent les voir au cours de nombreuses rediffusions, non seulement parce que cela coûte cher et parce que cela est bien pour les auteurs mais aussi, et surtout, parce que cela est bien pour les téléspectateurs qui ont intérêt à voir des oeuvres de qualité circuler sur leurs écrans de télévision. Ceci étant, on voit bien qu'il y a cette volonté affirmée par tous mais aussi qu'il y a une tension car nous sommes dans un monde dans lequel l'économie de la création est fragilisée. Elle est fragilisée parce qu'il y a eu une révolution technologique qui a fait qu'il y a de plus en plus de télévisions, et tant mieux encore une fois s'il y a de nombreuses chaînes, mais cela fragilise les anciens équilibres. Il y a une fragilité qui est conséquente à la crise dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Puis, il y a le piratage dont on parlait tout à l'heure et beaucoup de fuites sur les circuits que vous connaissez qui empêchent une juste rémunération des auteurs et de ceux qui produisent des oeuvres. On a donc des budgets contraints à cause de la crise, un émiettement des budgets du fait de l'augmentation du nombre de chaînes et une sorte de fuite permanente des circuits de distribution à cause du piratage.
A partir de là, je me pose la question de savoir comment réussir à avoir des sources plus abondantes. Vous l'avez tous dit jusqu'à présent, si l'on veut des diffusions plus importantes il faut que la source soit elle-même plus abondante, qu'il y ait une meilleure irrigation des chaînes de notre paysage audiovisuel, puis, qu'on endigue le mieux possible et qu'on canalise les oeuvres, non pas pour les contraindre mais pour éviter les fuites qui, à travers le piratage, ne permettent pas une juste rémunération des auteurs.
Ceci étant, comme on est déjà dans une société paradoxale, on veut à la fois lutter contre le piratage, puisque c'est d'actualité, et en même temps accorder le maximum de liberté aux internautes. Notre société ne sait pas bien trancher et trouver le juste équilibre entre ce qui est la volonté collective d'une juste rémunération des auteurs pour une création plus affirmée dans notre pays et en même temps la liberté qui paraît acquise indéfiniment pour les internautes.
Nous avons également sans doute à travailler, avec vous, sur une forme de chronologie des oeuvres télévisuelles. A vous entendre, je pense que la production et la coproduction d'oeuvres audiovisuelles n'ont peut-être pas tout à fait trouvé leur équilibre ou leur format, qui leur permettrait d'avoir un financement adapté, et aussi peut-être une meilleure répartition ultérieure des recettes à travers les diffusions ou rediffusions que vous envisagez. Tout ceci pour dire qu'en fait, si l'on veut augmenter la qualité de la source, ou en tout cas le volume de la source, il faut bien sûr travailler sur les recettes. J'ai bien compris que si nous avons d'une certaine manière pérenniser l'audiovisuel public dans son financement, - même si on peut toujours penser que c'est insuffisant, en revanche, nous avons, notamment grâce à l'augmentation de la redevance et au desserrement de l'étau de la redevance permis une meilleure rémunération du public - il y a un problème de recettes pour le privé. Vous l'expliquez assez largement, vous ne l'avez pas beaucoup fait ce matin mais quand je vous entends par ailleurs, vous nous dites, à juste titre, que les recettes publicitaires sont plus ou moins en chute libre selon les sociétés que vous représentez. Cela va bien entendu se traduire par une raréfaction des moyens destinés à la création. Il faut donc se poser la question, vous et nous, des recettes et de leur affectation à la création. On ne peut pas imaginer durablement un paysage dans lequel vous auriez de moins en moins de recettes publicitaires et donc, de moins en moins de budgets dévolus à la création.
Ensuite, je pense que nous avons essayé de faire bouger les lignes, au moins dans le cadre de la loi sur l'audiovisuel. Je ne suis pas du tout hostile, en ce qui me concerne, à un examen de la définition d'une oeuvre. Le monde change, pourquoi ne pas se poser la question de ce qu'est une oeuvre ? On a essayé, notamment par la loi qu'on a adoptée ici, d'améliorer le principe qui n'était pas entendu jusqu'à présent selon lequel un documentaire inséré dans une oeuvre de flux peut être considéré comme une oeuvre en soi par le CSA. On peut évoluer et on peut faire évoluer les choses, pour peu que chacun, de ce point de vue-là, soit de bonne foi et ne veuille pas dénaturer ce que doit être une oeuvre au bout du compte.
J'aborderai un dernier point en tant que parlementaire, Monsieur le Président. Je devrais dire que la loi devrait tout gérer et je dis exactement le contraire. Je pense qu'il n'y a rien de mieux dans votre métier que les accords contractuels et interprofessionnels et que la loi ne pourra jamais, de mon point de vue, gérer les évolutions de la réalisation des oeuvres, de leur financement parce que ce sont des métiers que vous pratiquez tous les jours et les évolutions sont permanentes. Si la loi est là pour rappeler de façon plus large un certain nombre de règles et d'obligations, au jour le jour il n'y a pas mieux que vous pour traiter de façon contractuelle les accords qui doivent vous régir.
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, sénatrice
Ma question va être assez brève parce que Michel Thiollière a largement abordé beaucoup de points que je pense nous partageons. Je crois que la circulation des oeuvres mérite d'être améliorée aujourd'hui, ne serait-ce que, comme l'a rappelé Laurence Franceschini, chaque acteur en amont en voit tous les bénéfices. D'ailleurs, je comparerai volontiers cette situation à celle du spectacle vivant. Il y a quelques années, le rapport Latarjet disait bien que c'était le manque de circulation et de rediffusion des oeuvres de spectacles vivants qui était aussi générateur de la crise en matière de création. C'est une vraie question qu'il faut se poser pour autant que l'on s'attache à ce que le modèle de financement de l'oeuvre ne soit surtout pas remis en cause.
Ma grande préoccupation à vous entendre c'est de savoir comment vous pouvez concilier une meilleure circulation des oeuvres tout en garantissant dans un monde qui va tendre à s'uniformiser avec la diversification des chaînes une nécessaire identité de chacune des chaînes. C'est quelque chose d'important. Même si on a dit que c'était finalement le téléspectateur qui se faisait son programme, il me semble que l'un de nos impératifs est que chaque chaîne, ou chaque groupe en tout cas, puisse avoir son identité propre.
M. Jack RALITE, sénateur
Il est intéressant d'entendre tous les témoignages, encore qu'au début, ils étaient très parcellaires. Au fur et à mesure du développement de la discussion, ils ont commencé à être horizontalisés, il y a quand même un intérêt. Je ne sais pas qui a employé l'expression de « fertilisation croisée », c'est bien de cela dont il s'agit, mais c'est la chose la plus belle à rêver et la plus difficile à réaliser.
J'ai une question de vocabulaire qui me tricote. Vous avez dit la fertilisation croisée et vous parlez du patrimoine. J'entends le patrimoine au sens sonnant et trébuchant. Pascal Rogard prend les oeuvres patrimoniales au sens des valeurs. Je ne dis pas qu'il ignore le sens financier puisqu'il n'a pas été un petit acteur dans l'accord qu'il a évoqué et qui montre bien que les lignes bougent et que vous essayez de vous rencontrer. Encore que j'ai beaucoup critiqué cet accord car j'ai trouvé qu'on en demandait beaucoup au service public, qu'on concédait pas mal à TF1 et qu'écoutant tout à l'heure M6 avec, j'ai bien noté, l'obligation industrielle et l'obligation culturelle, ce qui n'est pas une double peine mais un double cadeau pour assurer la rencontre. Néanmoins, sur cette base, la rencontre se fait au bas d'un papier mais n'entre pas dans la vie. Il se trouve que c'est cette question qu'il faut résoudre. Ou on parle de valeurs, ou on parle d'argent. Il faut bien parler des deux. Tout à l'heure, notre rapporteur a parlé des lois que l'on vient de voter ou que l'on est en train de voter. Je ne voudrais pas faire de jeu de mots mais j'appelle la loi Hadopi la loi « Hado-pitoyable » parce qu'elle ne règle rien. Même dans la mouture que l'on nous présente aujourd'hui, elle ne réglera encore rien ni pour les internautes, et l'industrie dont ils sont les porte-parole inconscients, ni pour les auteurs, et l'industrie dont ils sont aussi les porte-parole inconscients et parfois un peu prisonniers. Je ressens de plus en plus que nous sommes à un tournant qui est plein d'espérance et aussi plein de vide. Pour le maîtriser, il faut valoriser l'héritage mais ne pas s'y enfermer, autrement on a des retards d'avenir.
Aujourd'hui, on travaille sur cela. Je ne sais pas si dire cela sert à quelque chose. Pour moi, cela est fondamental sinon il n'y aura pas d'entente. Par exemple, quelqu'un tout à l'heure parlait du marché, libre et non faussé mais il faut être franc ! Ce marché-là est entièrement non libre et entièrement faussé. On le voit bien. Comment passe-t-on du monde de la fiction sur le plan des idées au monde de la réalité réelle, ou vice versa ? Je trouve que l'on devrait aller plus loin dans l'affrontement, c'est-à-dire dans la dispute au sens du XVIIIème siècle. Il y a une courtoisie courageuse et une courtoisie un peu lâche. Je voudrais que nous soyons courageux. En ce moment, sur les plans législatif et contractuel, il manque cela. On veut gagner sur l'autre. On met sa différence en avant jusqu'au point où elle devient indifférente à l'autre différence. Quelquefois, on aligne des chiffres, par exemple les fameux 450 millions que mérite bien le service public ne sont toujours pas versés. L'Europe est en train de l'examiner, dit « vous l'aurez » mais pour le moment le service public ne l'a pas. Si on ne dit pas cela dans la conversation, il y a une béance quelque part. Je trouve que l'on devrait faire plus d'efforts sur ces questions de vocabulaire parce qu'on en a vraiment besoin. En plus, je ne suis pas pour faire quantité de lois, on en fait de plus en plus mais les décrets ne sortent pas et on les oublie. D'ailleurs cela peut être aussi une stratégie : faisons des lois dont on sait qu'on ne les appliquera pas, votons des lois qu'on n'appliquera pas ou appliquons des lois qu'on n'a pas encore votées. Le système est un peu cela mais ce n'est pas pour autant que je déifierai le contrat parce qu'on a vu de sacrés contrats qui n'ont pas abouti.
Je m'arrête là mais personnellement je pense qu'il faut partir de la valeur auteur et public. Certains les appellent clients, je les appelle public. C'est là que se fait le véritable « nouage ». Si on n'est pas là-dessus, on se casse la figure. C'est pour cela que je suis inconditionnellement avec les auteurs mais aussi avec les publics en ne les méprisant pas. Voilà le noyau. Regardez toutes les commissions qui sont formées y compris la commission que présidait M. Copé. La télévision est tout de même faite par des gens pour des gens. Cherchez dans toutes les commissions la présence de ceux qui la font et la présence de ceux qui la regardent. Ils ne sont jamais représentés. Comment voulez-vous aboutir ? En disant cela, je ne regrette pas l'industrie mais je ne lui donnerai pas le pilotage. Il faut donc trouver un certain dépassement des choses avec quelques principes qui sont des valeurs sur lesquelles on ne peut pas céder. Je ne sais pas si cela vous dit quelque chose mais j'y suis fortement attaché.
M. Gérald-Brice VIRET, président du Groupement TNT
Je vais répondre à la question de Mme Morin-Desailly concernant l'identité des chaînes, vous avez clairement posé la question. Cela est très important aujourd'hui surtout avec la multiplication des plateformes et des chaînes. L'identité d'une chaîne est l'âme d'une chaîne, de sa production. C'est pour cela que l'on parlait du droit patrimonial parce qu'il est vrai que toutes les chaînes de la TNT, au bout de quatre ans, sont identifiées grâce à certains programmes. Toutes les chaînes ont fait des quotas de production à travers des programmes de flux et des programmes respectables. Je cite souvent Fort Boyard, qui n'est pas un programme patrimonial mais qui est très identifié à France Télévisions. Il est diffusé sur Gulli qui fait d'excellentes audiences et dont il y a une quinzaine de versions dans une quinzaine de pays. Ce n'est pas que le patrimonial nous dérange mais il y a deux vitesses. On ne peut pas encore investir dans un téléfilm à un million d'euros mais on peut investir dans la production quotidienne avec des sociétés de production, plus de quarante en ce qui concerne NRJ12. L'identité, c'est l'âme et la TNT, c'est l'amie de la production.
Deuxièmement, sur la circulation des oeuvres, on a constaté qu'il n'y a aucun problème de circulation des oeuvres au sein des groupes. On l'a bien compris ce matin. En ce qui concerne la TNT, il faut différencier les chaînes qui appartiennent à des groupes, je tiens à dire aux sénateurs que cela est important, NT1 et TMC avec TF1, plus le canal bonus, et W9 avec M6. Pour les indépendants, je parle des groupes Lagardère, Bolloré et NRJ, il est extrêmement difficile d'avoir accès aux oeuvres même s'il y a bien sûr des possibilités. Nous achetons à TF1, à M6 mais cela n'est pas suffisant pour faire nos quotas. On l'a bien vu avec la société Europe Image-M5 et de multiples exemples, certains positifs et d'autres où nous n'avons eu aucun droit. Il faut donc faire attention aussi aux rares indépendants qui restent sur la TNT.
Troisièmement, pour être très positif aussi, je pense qu'il faut être inventif et là je me tourne du côté des producteurs. Nous sommes en train de lancer sur NRJ12 notre première fiction. On a associé une chaîne du câble, Canal Jimmy, on travaille beaucoup avec les chaînes du groupe Canal +, ce qui est une vraie liaison. On fait des co-achats avec eux, avec le groupe Lagardère, on y est obligé. J'aimerais maintenant que l'on coproduise ensemble. On va coproduire une première fiction avec Simone Harari, qui est d'Effervescence où on a associé Canal Jimmy, qui sera le primo-diffuseur (c'est la logique quand on est TNT, il faut d'abord privilégier le payant), NRJ12, une chaîne belge et une chaîne marocaine. On fera notre première fiction, 4 fois 52 minutes. Il faut être inventif aussi entre nous pour pouvoir faire du patrimonial.
M. Jacques PESKINE, délégué général de l'Union syndicale de la production audiovisuelle
Je remercie les parlementaires qui se sont exprimés. Beaucoup de choses importantes ont été dites, notamment par M. Michel Thiollière. Je voulais revenir très rapidement sur trois points centraux qu'il a rappelés utilement pour nous tous.
La première question concerne l'expression tout à fait heureuse qu'il a employée de « sources plus abondantes ». Le principal problème est de savoir comment assurer l'approvisionnement parce que ne circuleront que des oeuvres qui ont été produites, il ne faut tout de même pas l'oublier. On ne le répète pas assez. Aujourd'hui, ceux qui finançaient l'essentiel de la création, les chaînes commerciales, à l'exception de France Télévisions, sont en difficulté économique. Pour elles, l'amortissement est difficile. Nous devons réfléchir aux moyens par lesquels il va leur être possible et économiquement raisonnable d'investir et de financer cette création. Il ne faut pas rêver, il faut aussi que cela soit économique raisonnable même s'il s'agit de valeurs plus profondes que simplement l'argent. Bien sûr, il y a toutes sortes d'outils pour cela mais il faut quand même le rappeler. Si on a travaillé l'année dernière, c'est toujours avec cet esprit qu'il faut faciliter les mécanismes de ces acteurs importants du financement de la création et on continue de le faire. Sacrifier cette dimension initiale est de la folie pour tous les autres puisque c'est de là que vient et viendra durablement le principal volume.
Sur le deuxième point, je suis très content de ce que vient de dire Gérald-Brice Viret. Nos interlocuteurs de certaines chaînes ont tendance à assimiler le patrimonial à de la fiction lourde. Par exemple, on emploie toujours systématiquement l'expression « un million d'euros » mais il existe bien d'autres programmes patrimoniaux que des fictions à un million d'euros. D'ailleurs, M6 l'a montré et on a cité tout à l'heure Caméra Café et Kaamelott. On peut faire de la fiction à bien moins d'un million d'euros l'heure et on peut faire beaucoup d'autres programmes que de la fiction. Le patrimoine est heureusement beaucoup plus large que cette seule idée du téléfilm d'une heure et demie avec Roger Hanin et son gros cachet pour dire les choses un peu crûment. Il y a bien d'autres manières de faire du patrimonial. Heureusement, cela commence à venir et c'est cela qu'il faut faire. Il y a d'autres manières de rendre la source plus abondante.
L'autre expression qu'a employée Monsieur Thiollière est celle d'une « meilleure irrigation du paysage ». Comme le rappelait Frank Soloveicik tout à l'heure, on a grosso modo deux outils : la terminaison des droits et le cofinancement, le co-investissement, les deux sont utiles. Le deuxième est très utile et les producteurs y sont très attachés. Il va avec cette notion de fenêtres mais il faut avoir conscience que dans cette période de crise et de repliement sur soi, cette politique des fenêtres est rendue plus difficile. Il faut maintenir la pression pour qu'elle soit maintenue mais il est vrai qu'elle est plus difficile. Il faut comprendre le comportement un peu régressif de ces acteurs confrontés à une situation difficile. En revanche, pour le coup il n'y a pas de raison d'hésiter, la terminaison des droits, c'est-à-dire la remise sur le marché rapide à l'issue de l'exploitation, de la consommation effective des droits acquis par l'ensemble des opérateurs, est quelque chose de facile, de légitime. Il n'y a aucune raison de ne pas le faire, ce qui ne lèse en aucune manière les intérêts des opérateurs historiques, il faut le dire clairement. S'ils ont opéré ces diffusions, c'est qu'ils y ont trouvé un intérêt. Ils ont amorti leur investissement par ces diffusions accélérées. Ils peuvent d'ailleurs, il n'y a pas de raison de s'y opposer, réacquérir des droits nouveaux mais il ne faut pas que ces droits soient gelés. Je pense que c'est un outil facile, qui ne lèse personne et qu'il ne faut pas hésiter à le mettre en oeuvre.
Le troisième sujet qu'ont effleuré M. Michel Thiollière mais aussi M. Pascal Rogard et d'autres est la question des nouveaux modes de distribution. On parle ici de télévision mais nous savons tous que progressivement la consommation des images par le public se fait sur bien d'autres supports que le support télévisuel. Dans les discussions que nous avons menées l'année dernière avec les opérateurs, l'une de nos volontés que, je crois, nous partageons absolument avec les sociétés d'auteurs et la SACD en particulier, a été de préserver au maximum, d'encourager, de développer et d'agir pour accélérer la présence des programmes français sur ces nouveaux supports. Il faut continuer de le faire, on ne va jamais assez loin ni assez vite. Cela est tout à fait essentiel, notamment sur le plan culturel - car il faut que ces consommateurs et notamment les jeunes adultes auxquels on est particulièrement sensible, continuent de consommer nos programmes car si ce sont eux qui s'éloignent du support télévisuel, ce sont aussi eux qui s'éloignent des programmes français - et aussi bien sûr sur le plan économique. On a du travail. Si on est au bord du précipice, comme le disait Jérôme Caza, on peut marcher au bord du précipice, on n'est pas obligé de marcher vers lui. C'est cela qu'il faut faire. Regardons la vue, qui peut être grandiose, et avançons dans la bonne direction, on peut le faire.
M. Frank SOLOVEICIK, président du Syndicat des entreprises de distribution de programmes audiovisuels
Pour répondre à la question de Madame Morin-Desailly, il est évident que les marques sont les valeurs. La meilleure manière pour une chaîne de la fortifier, c'est de pouvoir à son choix se la construire et accéder aux programmes qu'elle souhaite. Quand Monsieur Ralite parle du lien entre les auteurs et le public, cela ne pourra jamais se faire sans que le programme ne circule. Entre celui qui le crée, celui qui le produit et celui auquel il est destiné, encore faut-il, c'est un truisme, que le programme circule. Je voudrais juste d'abord rendre grâce à des chaînes. France Télévisions, sous l'impulsion de Thierry Langlois, a permis l'ouverture des fenêtres. Au quotidien, TF1, je l'ai vérifié et j'atteste des propos de Jean-Michel Counillon, il y a eu sur des séries comme sur des téléfilms des ouvertures de fenêtres et des anticipations de fin de droits dont la TNT a pu bénéficier. Quand on parle de la TNT, il nous faut nous tous, car nous en sommes comptables et responsables, en fortifier l'essor. Nous avions, nous distributeurs, accepté de bonne grâce la fusion des deux bouquets satellites à condition que nous sortions de cet étau en ne posant pas la question sur le plan juridique ou sur le plan politique mais sur le plan commercial et que la TNT puisse être l'antidote commercial de cette fusion et permette une concurrence en volumes et en montants pour une meilleure circulation des programmes.
J'en termine avec un dernier point en rapport avec ce qu'a dit M. Jean-Michel Counillon. On ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable. Les prix pratiqués par la TNT aujourd'hui ont grosso modo été en un an et demi ou deux ans multipliés par trois. Quand je dis qu'il faut comparer ce qui est comparable, c'est qu'on ne peut assimiler le bassin d'initialisation de la TNT aujourd'hui avec la durée des droits qu'ils demandent, avec le nombre de multi-diffusions qu'ils contractent par rapport à ce qu'il en est de la durée, l'étendue des droits et du nombre de multi-diffusions que font les chaînes primaires aujourd'hui. De plus, la TNT - cela est avéré, je ne suis pas le seul à le dire - a accepté de ne prendre que des droits TNT et de copartager l'exclusivité avec le câble et le satellite, ce qui permet aujourd'hui de pouvoir diffuser des oeuvres mieux-disantes dans certains cas par rapport à des rediffusions de certaines chaînes premium.
La circulation des oeuvres doit, c'est de notre responsabilité collective, ne pas s'analyser à l'aune de ce qu'a été le paysage de l'ORTF et pour autant ne pas tomber dans une vision idyllique à la mode des « Bisounours ». Le paysage audiovisuel a changé. Il faut que la circulation des oeuvres soit la traduction effective des nouveaux modes technologiques.
M. Pascal ROGARD, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques
Je suis content d'être ici au Sénat parce que c'est le Sénat qui défend le financement du service public. Le service public est au coeur de la création française. Si le service public a des problèmes, il y aura vraiment de graves problèmes pour la création française et la création patrimoniale surtout compte tenu du nouveau cahier des charges qui est significativement à des niveaux de contribution beaucoup plus élevés que précédemment, même si cela poursuit une politique initiée par les dirigeants actuels du service public. Bien financer le service public est donc important. Bruxelles qui bloque les 450 millions d'euros, cela représente un téléfilm de moins par mois. C'est quelque chose d'extrêmement grave de voir que le financement du service public est actuellement affecté par des blocages bruxellois.
Sur le problème de la TNT, Jean-Michel Counillon l'a dit, c'est extrêmement simple. On a des chaînes historiques qui connaissent de véritables difficultés. Ce sont elles qui ont les niveaux d'obligation les plus élevés. Ils sont naturellement plus élevés pour TF1 que pour M6, je parle en termes de création patrimoniale et non en termes de création industrielle. Dès lors que la TNT continue à progresser, elle procure des ressources qui ont des niveaux d'obligation plus faibles. Il y a donc moins d'argent qui va vers la création chaque fois qu'il y a un euro de publicité qui n'est plus sur TF1 ou sur M6 et qui va sur les chaînes de la TNT. Cela est extrêmement simple. C'est pour cela qu'il faut que le plus rapidement possible, les niveaux d'obligation de la TNT soient alignés sur ceux des grandes chaînes. Sinon, il y a un gap et moins d'argent pour la création, il ne faut pas l'oublier.
Se pose le rôle important des chaînes de télévision à péage. Canal + a substantiellement sa contribution patrimoniale. Canal + était à un moment donné, je le redis, le plus mauvais élève de la classe patrimoniale. Il est maintenant un bon élève et fait des fictions de très grande qualité qui se différencient des fictions des autres chaînes. Orange a aussi signé un accord important. Quand on globalise le patrimonial - il y a le patrimonial audiovisuel et le patrimonial cinématographique - on a à la fois sur Orange et sur Canal + des niveaux de retour vers la création de financements de la télévision à péage qui sont extrêmement forts.
On n'a eu aucun problème à signer ces accords sur une définition très claire de l'oeuvre patrimoniale. Je suis très surpris qu'il y ait encore une chaîne qui continue de contester les définitions et qui veut sûrement nous remettre des Super Nanny ou d'autres programmes. Je suis désolé de toujours citer les mêmes. Dans les obligations de créations, si une chaîne veut faire des Super Nanny, qu'elle le fasse mais il n'y a aucun intérêt public à obliger des chaînes à produire des Super Nanny.
M. Jérôme CAZA, président du collège « Télévision » du Syndicat des producteurs indépendants
Dans le cadre du Club Galilée, nous avons rencontré le ministre de la relance. Au nom du SPI et du comité de liaison, nous avons fait un certain nombre de propositions. Je souhaite vous en relayer certaines pour aider la production et la création. Certaines vont, à mon avis, vous intéresser particulièrement puisqu'elles concernent notamment la redevance, un sujet sur lequel on sait le rôle que le Sénat a joué dans la bataille du mois dernier.
Pour aider les chaînes privées dans cette période difficile, je pense qu'il serait judicieux de supprimer ou au moins de faire une pause sur la taxe qui leur est imposée pour financer France Télévisions. D'après les chiffres à ma disposition, il s'agissait d'environ 64 millions d'euros, ce qui représenterait une hausse de la redevance de 3 euros pour l'année 2010. Cela me semble tout à fait raisonnable et donnerait une petite marge de manoeuvre aux chaînes commerciales. France Télévisions ne serait pas lésée puisqu'elle verrait ces investissements compensés.
De la même manière, on pourrait - ce serait une bouffée d'air extraordinaire pour le secteur - affecter une partie de la taxe de 0,9 % du chiffre d'affaires des FAI en obligations d'investissement. Nous militions pour que les FAI investissent dans la production. Il nous semble que cela permettrait de créer du contenu et de la valeur plutôt que de compenser le manque de financement de France Télévisions. Là encore, si on coupait la poire en deux, on pourrait imaginer que les 150 millions d'euros qui pourraient aller vers la création seraient compensés par une hausse de la redevance, c'est-à-dire 8 euros de plus.
Vous pourriez - c'est un combat et on sait à quel point il est peu populaire - proposer une hausse de 11 à 12 euros l'année prochaine et drainer directement une partie de cet argent vers la création. Bon courage et bonne chance !
Une mesure concrète que vous pourriez également relayer dans le cadre des arbitrages budgétaires serait d'abaisser le crédit d'impôt pour le documentaire. Nous avons un mal fou en documentaire à utiliser le crédit d'impôts parce que le seuil d'investissement est trop élevé, à 2 333 euros la minute. Si on le baissait à 1 500 euros la minute, on pourrait donner une marge de manoeuvre et faciliter les problèmes de trésorerie des entreprises ainsi que les délais de paiement évidemment. La loi LME, si elle était appliquée au service public, aux organismes comme le CNC, aux aides régionales, nous donnerait une bouffée d'air qui nous éviterait de tomber dans ce précipice que j'ai décrit tout à l'heure.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Merci Monsieur Caza, je vois que vous voulez du bien à cette commission qui est courageuse et qui a entendu votre appel. Elle a déjà fait la démonstration de son courage. Nous inscrivons les problèmes qui viennent d'être évoqués dans le prochain débat budgétaire, soyez-en sûr.
M. Olivier ZEGNA-RATA, directeur des relations extérieures de Canal +
Je veux juste rebondir sur ce qui vient d'être dit par M. Jérôme Caza.
Ce point est assez important car il est vrai qu'avec mes collègues du Club Galilée, nous avons réfléchi à l'impact actuel de la crise sur le secteur et à quelques solutions pour l'améliorer. Elles ont été signées par Jérôme Caza, de ce fait les conclusions qu'il a tirées sur la redevance doivent être séparées soigneusement de la première partie de la réflexion. Cette partie de la réflexion est très importante. La loi sur l'audiovisuel devait se traduire par une stabilité du financement de la production française avec la taxation qui frappait les chaînes privées mais qui était censée frapper un chiffre d'affaires qu'on attendait en forte progression, je tiens à le souligner, qui était dépeint comme allant fortement progresser. L'histoire économique nous met face à une situation bien différente, le chiffre d'affaires n'est pas du tout en forte progression, c'est le moins qu'on puisse dire, il est plutôt en baisse. L'ajout d'une taxe sur ce chiffre d'affaires en baisse contribue à diminuer les moyens dont les chaînes disposent pour investir dans la production. C'est une première chute de financement pour la production et il est vrai que je rejoins Jack Ralite pour dire qu'il faut parler des choses concrètes et claires.
L'autre deuxième chute de financement pour la production cette année est effectivement la non-compensation par l'Etat, à hauteur de 450 millions d'euros - excusez du peu -, de l'arrêt de la publicité sur France Télévisions. Il faut bien quand même que cela soit compensé et c'est comme cela d'ailleurs que la loi a été construite. Je crois qu'on nous dit Bruxelles mais que c'est Bercy. Peut-être qu'au lieu de crier très fort contre Bruxelles, frappons à la porte de Bercy, c'est là que sont les 450 millions d'euros. Je crois qu'il faut qu'ils soient versés à France Télévisions, c'est une nécessité pour la production.
Mme Karine BLOUET, secrétaire générale de M6
Je voudrais dire d'abord qu'il faut une certaine coordination des politiques publiques. On parle de patrimonial, d'obligation des chaînes mais les chaînes privées sont confrontées à la plus grande crise qu'elles n'ont jamais connue depuis vingt ans. Nous perdons énormément de recettes cette année et la crise est susceptible de s'aggraver. Or nous avons cette année, nous M6, à faire face à trois types d'obligations qui n'existaient pas auparavant avec d'abord une taxe mise en place de façon à couvrir soi-disant l'effet d'aubaine créé par la suppression de la publicité sur le service public après 20 heures. Ces effets d'aubaines n'existent pas et n'existeront sans doute pas avant longtemps. Cette taxe nous conduit à payer une dizaine de millions d'euros pour M6 cette année. En même temps, on nous demande de faire davantage de patrimonial, là aussi en investissements d'une dizaine de millions d'euros. On nous demande aussi de financer l'extension de la couverture numérique terrestre et surtout l'extinction de l'analogique avec un coût extrêmement important d'accompagnement de ce processus qui se chiffre là aussi à une dizaine de millions d'euros. On a pris ici et là un certain nombre d'obligations supplémentaires au pire moment de la situation économique. J'attire l'attention là-dessus parce que tout cela ne vient pas forcément ni du même ministère ni des mêmes acteurs mais, pour nous, les contraintes se superposent.
Pour répondre à M. Pascal Rogard sur notre thème favori, ce qui fait l'écart entre M6 et par exemple TF1 sur les investissements dans les oeuvres, n'a strictement rien à voir avec les émissions de divertissement citées mais bien évidemment avec les magazines d'information et de reportages. Les Français en sont de plus en plus friands et je ne vois pas pourquoi on devrait s'en passer, ou en tout cas les faire diminuer, au profit de fictions. Je ne suis pas du tout d'accord avec le partage qui est fait et qui est certes séduisant sur le plan de la rhétorique entre industriel et culturel. Aujourd'hui, beaucoup de fictions relèvent d'une logique industrielle et beaucoup de magazines et de petits reportages sont faits par de petites sociétés de production qui vivotent dans un tissu économique très fragile. En termes d'intérêt pour le téléspectateur - je ne ferai pas de citation - je pense qu'il y a beaucoup de magazines qui sont au moins aussi importants culturellement que beaucoup de fictions. Je pense que le choix du patrimonial est restreint parce qu'une chaîne privée ne va pas faire du clip et du spectacle vivant en prime-time.
M. Jacques LEGENDRE, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Mesdames et Messieurs, nous avons fait aujourd'hui de la formation permanente pour parlementaires. Certains d'entre nous ont littéralement plongé dans un problème dont nous voyons bien combien il est important. Nous aurons l'occasion, mes chers collègues, en septembre d'avoir entre nous un échange de vues sur l'ensemble des éléments que nous avons recueillis aujourd'hui. Je rappelle aussi que nous aurons l'occasion d'en tirer profit pour nourrir notre réflexion dans le débat d'orientation budgétaire. En tout cas, soyez assurés Mesdames et Messieurs, que notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat continuera à être attentive au problème auquel nous avons consacré cette matinée.