F. M. STEFANO TINTI, PRÉSIDENT DU GROUPE INTERGOUVERNEMENTAL DE COORDINATION DU SYSTÈME D'ALERTE AUX TSUNAMIS DE L'ATLANTIQUE NORD-EST ET DE LA MÉDITERRANÉE (GIC/ SATANEM)
Je vais commencer en attendant l'aide d'un technicien. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier, Monsieur le Sénateur, de m'avoir invité à participer à cette réunion ici et permettez-moi de faire des compliments à votre bureau pour cette initiative, tout particulièrement pour ce rapport qui s'intitule Tsunamis sur les côtes françaises , parce que, pour autant que je sache, c'est le seul rapport qui ait été publié par une institution qui fait partie du parlement d'un pays européen ou de la région. C'est un très bon exemple de la façon dont les choses devraient être menées.
Je serai assez rapide, tout particulièrement pour la partie initiale. Je vais commencer et décrire à quelle étape nous en sommes pour les activités de la COI, la plupart de ses organes ont été mis en place en 2005 pour les Caraïbes et l'océan Indien. Puis, pour le SATANEM, nous avons eu depuis le démarrage une réunion de l'assemblée générale par an dans différentes villes - vous voyez qu'elles sont mentionnées à l'écran. Et à l'automne 2009, nous serons à Istanbul. Nous avons essayé de recueillir le plus de remarques possibles. Les États membres ont compris qu'il s'agissait d'un effort régional qui devrait impliquer tous les pays de la région. Il y a une structure pour ce GIC avec un président, un vice-président et des groupes de travail. L'idée est de créer différents groupes de travail sur différents sujets et intérêts, mais avec des présidents et des vice-présidents qui viennent de différents pays de la région pour souligner la totale implication de la plupart des pays de la région à ce projet. Nous nous sommes rendu compte après la première année que nos espoirs d'avoir un système en place qui fonctionnerait bien, et cela en un temps très bref, étaient trop ambitieux. Nous nous sommes rendu compte que les efforts à fournir étaient sans doute bien plus importants que nous ne l'avions pensé au départ. En plus des autres groupes de travail, nous avons mis en place une équipe spéciale, avec la participation de François Gérard, : cette équipe devait travailler sur la définition de l'architecture du SATANEM, avec des centres régionaux d'alerte aux tsunamis avec leurs domaines de responsabilités bien définis pour qu'il n'y ait pas de redondance. Il nous fallait identifier ces redondances et traiter des sujets fondamentaux dans l'évaluation des risques.
Permettez-moi de souligner que tout d'abord nous ne nous pouvions pas, à cause de l'expertise variée de la région et des intérêts divers des différents pays, établir un système unique. Ce système doit être un système de systèmes qui devrait être constitué d'un certain nombre de centres d'alertes aux tsunamis. C'est une formule qui a déjà été adoptée par consensus. Bien sûr, il doit aussi y avoir des centres nationaux établis pour les pays qui sont exposés à la menace des tsunamis. Comme vous le voyez sur cette photo, on songe à créer, outre un système de systèmes, une cartographie des possibilités de tsunamis dans la région et vous constatez qu'il y a bon nombre de zones littorales vulnérables. Vous voyez l'étendue concernée par les tsunamis avec, tout particulièrement, les zones littorales de certaines parties de la Méditerranée. Nous traitons de phénomènes qui ne sont pas équivalents mais qui ont lieu à la même échelle. Ce centre de veille des tsunamis régional permet d'alerter d'autres pays, donc c'est un centre qui devrait couvrir plus d'un seul pays, sinon on ne mettrait en place que des centres nationaux de veille ou d'alerte précoce. C'est donc ce qui a été proposé dans ce système. Vous voyez que certaines solutions n'ont pas encore été adoptées officiellement par le GIC, mais nous savons que ces propositions sont sur la table et il est très probable qu'elles soient acceptées officiellement durant la prochaine réunion qui aura lieu bientôt à Istanbul. En tout cas, c'est ce qui est prévu.
Vous voyez donc qu'un centre a été proposé par le Portugal, un autre doit être mis en place par la France, un par l'Italie, un par la Grèce, un par la Turquie. Il y a aussi un domaine de couverture possible avec certaines redondances ou conflits entre les limites ou les définitions de frontières ou des zones frontalières ou riveraines définies, par exemple entre la Grèce et la Turquie. Cela doit être décidé lors de la réunion de l'assemblée générale du GIC. Nous sommes sûrs que tous ces éléments peuvent être résolus très rapidement. Nous n'en discuterons pas, mais je voulais simplement vous dire que ces systèmes sont tous régionaux.
Ces centres commenceront comme des centres nationaux. Malheureusement, aucun centre ne sera opérationnel en 2009. La Turquie a annoncé qu'elle serait prête à devenir un centre d'alerte national en 2009 et au début de l'année prochaine, elle commencera ses activités comme centre d'alerte régional. Cela signifie que jusqu'à présent, c'est malheureux pour nous, il n'y a pas de système d'alerte aux tsunamis ni national ni régional qui fonctionne dans notre région. Donc s'il y avait un tsunami local ou si un gros tsunami survenait aujourd'hui, il n'y aurait pas de protection pour nos populations dans la région et c'est important à signaler, même après 4 années d'existence de ce GIC.
J'espère que, dans les mois qui viennent, il y aura un système d'alerte aux tsunamis qui existera et couvrira toute la région et toutes les côtes exposées aux tsunamis dans cette région ; c'est un souhait et je suis certain aussi que la situation sera certainement meilleure que celle d'aujourd'hui.
Mais permettez-moi de poursuivre et de vous dire quelles seront les fonctions d'un centre de veille régional. Cela a été mis en place par l'équipe spéciale dirigée par François Schindelé et Trévor Guymer et adopté lors de la dernière assemblée à Athènes en octobre 2008. Voici donc leurs fonctions. Chaque centre devra recevoir et interpréter en temps réel les mesures sismiques et marégraphiques. Il devra déterminer immédiatement les paramètres sismiques, prévoir le temps d'arrivée des tsunamis et le niveau d'alerte et diffuser l'information à chaque point focal spécifié par les États membres.
Il y a d'autres fonctions qui sont importantes : l'échange des paramètres sismiques et d'informations avec d'autres, parce qu'il y a beaucoup de centres de veille régionaux, et avec les centres nationaux de veille, la diffusion des messages de veille et d'annulation. Il y a d'autres fonctions qui devraient être fournies, par exemple là où il n'y a pas de veille, qu'il y ait une activité mensuelle, qu'il y ait un test mensuel du système, des procédures, une documentation. Il est aussi normal de fournir des cours de formation en collaboration avec les centres régionaux de veille sismique et la COI. C'est normal, il n'y a rien de nouveau ici.
Voici donc la liste des besoins : des équipes disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, une salle d'opérations, des capacités de modélisation des tsunamis, une expertise sismique et océanographique directement dans le centre, un accès aux bases de données des tremblements de terre et des tsunamis.
Je voudrais maintenant mettre l'accent, avec une simulation très brève, sur ce que seraient les fonctions et comment identifier les forces et les faiblesses de nos centres de veille nationaux ou régionaux. Toutes les régions ne sont pas affectées par les tsunamis. Les centres régionaux de veille sont là pour rendre compte des grands événements, c'est-à-dire des événements qui peuvent affecter plus qu'un pays ou une grande région. Les lieux générateurs de tsunamis sont bien identifiés : ici en Algérie du nord, ici en Calabre, dans la mer égée, la corne hellénique, au sud de la Grèce, ce sont les zones de génération des tsunamis. On pourrait avoir ici des tsunamis importants qui pourraient être les cibles principales des centres de veille. Je prends par exemple l'Italie, pour être neutre : je pense qu'un grand événement intéressant pour un centre de veille sur les tsunamis pourrait être généré dans le sud de l'Italie, selon un scénario hypothétique. Voici quatre photos de ce qui pourrait se passer.
En 15 minutes, ce tsunami a déjà affecté une partie de la région proche de l'épicentre, donc la faille étant ici, la plus grande partie de cette région a déjà été sujette à de grandes vagues. En une demi-heure, le tsunami s'est propagé et a atteint l'île de Malte, et en 45 minutes, il a commencé à attaquer d'autres pays en plus de ceux qui sont proches sur un plan régional, ici la Grèce et la Libye. Et en une heure, toutes ces côtes ont été attaquées. Ce qui signifie que l'on a très peu de temps pour réagir. Voici donc les maximums et les minimums, les plus grandes vagues qui peuvent être attendues, à proximité de la région source où la plupart des victimes pourraient se trouver. C'est exact aussi pour ce qui s'est passé dans l'océan Indien, où les trois quarts des victimes étaient situées en Indonésie et pas ailleurs. Donc ici, il faut détecter les tsunamis par les systèmes sismologiques, même si ces systèmes ne sont pas tout à fait adaptés pour les tsunamis (il convient donc de les adapter). Le signal est quasiment disponible immédiatement et les stations existantes qui ne sont pas en ligne ne sont pas prises en compte. Il y a des stations qui ne sont pas publiques pour l'instant mais nous espérons qu'elles pourront le devenir.
Avec le système existant, nous sommes certains que, dans la plupart des régions, la situation s'améliorera rapidement. Les plus grands tremblements de terre qui sont importants pour le système sont détectables en quelques minutes après leur déclenchement : nous avons donc une bonne capacité de détection sismique. Mais sur cette base, nous pouvons seulement lancer une alerte sismique. Voilà la matrice de prises de décisions déjà adoptée. A partir de la force, la position, la localisation, la magnitude de ces tremblements de terre estimées grâce à tous ces outils, nous pouvons envoyer un bulletin d'informations (il s'agit d'un petit tsunami, il faut agir de telle façon ; si c'est un grand tsunami, tel est notre conseil, etc.), des alertes, qui peuvent être des conseils, une veille ou autre. Cela peut être fait aujourd'hui si la structure, le suivi et la détection existent. En quelques minutes, ce bulletin peut être fourni, si le système de communication existe, si les points focaux sont désignés, etc.
Mais ce n'est pas suffisant. Vous voyez par exemple ici une diapositive sur laquelle figure la magnitude des tremblements de terre sur cet axe et les dommages (donc les effets) du tsunami. Vous voyez l'importance de l'éventail : les grands tremblements de terre peuvent causer de petits tsunamis, de grands tsunamis, d'énormes tsunamis. La tendance est à avoir d'importants tsunamis dus à de très grands tremblements de terre. Mais dans cette région-ci, celle qui nous intéresse, la région euro-méditerranéenne, affectée par des tremblements de terre de force intermédiaire, l'estimation de l'aléa tsunami à partir de la magnitude de ces tremblements de terre est une donnée difficile à obtenir. Si vous voulez savoir quelle est la force d'un tsunami, il faut un élément supplémentaire. Lequel ? Un marégraphe. Si vous allez sur Internet et sur ce site web inscrit en bas, vliz.be/gauges, vous trouverez les secteurs où se trouvent les marégraphes en temps réel ou quasi temps-réel qui entrent dans nos standards. Il y en a très peu.
Voyons ce qui se passe pour nos grands tsunamis et nos grands tremblements de terre : combien de temps faudrait-il pour qu'une de ces stations détecte un tsunami ? Beaucoup plus de 15 minutes probablement, si vous vous souvenez des propagations précédentes, plus de 30 minutes. Il faudrait donc 30 minutes pour enregistrer le tsunami, alors qu'il y aura un tsunami trois minutes après une alerte ! Telle est la situation actuelle.
L'Italie par exemple (je garde cet exemple pour rester neutre, évidemment) planifie d'avoir beaucoup plus de stations qui communiquent, et les stations actuelles devraient passer en temps réel d'ici un ou deux ans. La plupart de ces stations seront transformées en stations en temps réel cette année, donc, en 15 minutes, cette station détectera le tsunami. Mais une seule station n'est pas suffisante pour être certain qu'il y a un tsunami, il en faut plus et ces deux stations seront donc joignables en 15 minutes. Pratiquement, cela signifie que toute cette zone, qui est de la compétence du système national, détectera le tsunami au bout des 2-3 minutes qu'il aura fallu au sismographe pour détecter un tsunami, auxquelles il faudra ajouter 10 minutes ou plus pour avoir la validation de l'existence d'un tsunami : c'est du temps perdu qui pourrait être gagné par un système pertinent de marégraphes suffisamment dense autour de ces régions déjà identifiées, celles de la génération des tsunamis, événements importants qui doivent être détectés par le centre de veille régional.
Nous avons besoin d'être beaucoup plus rapides ; pour l'être à l'avenir, il faut densifier le réseau dans les régions où se trouvent les sources des tsunamis. Par exemple, si nous voulons densifier un réseau qui est sous la responsabilité du Portugal, cela signifie que le réseau doit être densifié là où sont situés les sources génératrices de tsunami parce qu'avoir 30 minutes pour détecter et confirmer qu'il y a là un tsunami peut être utile pour les côtes françaises - je suis venu en France pour voir ce système. Pour le centre national de veille des tsunamis en France, c'est important, mais pas pour les centres régionaux parce que ces derniers ont la responsabilité d'avertir les gens ici, aux Baléares, ici, en Espagne, ici, en Algérie, ici, probablement, en Sardaigne. Ces côtes seront attaquées avant 30 minutes donc cela ne sert à rien de les avertir si tard.
Il nous faut donc avoir un réseau beaucoup plus dense de marégraphes ou de tsunamimètres ou avoir des marégraphes à certains endroits parce que les tsunamis sont beaucoup plus lents à se propager que les ondes sismiques. Il est donc important d'avoir ici un réseau beaucoup plus dense de marégraphes que de sismographes : les sismographes n'ont pas besoin d'être denses, ou leur densité est pour l'instant suffisante. La densité et les capacités en temps réel des marégraphes ou tsunamimètres est insuffisante, au moins ici, dans cette région, pour le centre de veille régionale des tsunamis.
Il n'est pas seulement question de créer un centre régional de veille aux tsunamis, nous voulons créer des centres nationaux de veille. Il y va de la responsabilité individuelle de chaque État. Combien y a-t-il d'États dans la région ? Beaucoup. Les pays de la zone méditerranéenne et de la ceinture sud de l'Europe (cela inclut aussi la zone atlantique) sont les zones les plus sensibles aux tsunamis, susceptibles d'être attaquées rapidement. Ce plan pour l'établissement des centres nationaux de veille est notre défi le plus important pour l'avenir, notamment pour les pays d'Afrique du nord qui peuvent être affectés par de grands tsunamis : ils ont besoin de l'aide des pays européens sur le plan budgétaire évidemment. C'est un grave problème.
Je voudrais résumer ma position. Les centres régionaux sont gérés sur le plan régional mais les sources des très grands tsunamis sont locales et relèvent donc de la responsabilité des centres nationaux de veille des tsunamis. Les centres régionaux détectent en 5-10 minutes les événements principaux et sont donc prêts à lancer des alertes aux populations. Pouvoir gagner 10 minutes est fondamental pour pouvoir lancer la bonne alerte et avoir la bonne réponse des populations sur les côtes. Les centres nationaux géreront les alertes nationales mais seront responsables des tsunamis locaux, ils doivent être prêts à réagir en très peu de temps, quelques minutes, ce qui signifie que parfois, ce peut être une action automatique lorsqu'on n'aura pas le temps d'avoir de confirmations manuelles. La détection doit être très efficace et très rapide. Les grands tremblements de terre ou les grands tsunamis, qui sont de la compétence des centres régionaux, sont identifiés par notre GIC. Dans la zone qui nous intéresse, les tremblements de terre sont moyens (6.5 et 7 sur l'échelle de Richter, notre seuil pour ceux qui ont été identifiés en Méditerranée).
En outre, nous n'avons pas de systèmes opérationnels pour l'instant capables de couvrir des événements qui ne sont pas générés par des tremblements de terre. Nous savons que la France est attaquée par des tsunamis générés par des activités volcaniques, pas dans la zone métropolitaine mais à l'extérieur, ou, comme par le passé, par des mouvements gravitaires. Que faire pour l'instant ? Nous ne nous en sommes pas occupés à l'échelle du GIC mais une détection rapide du tsunami par des marégraphes, de son lieu de génération, peut aider à la gestion des tsunamis générés par des mouvements gravitaires. Se fonder seulement sur la magnitude des tremblements de terre peut mener à sous-estimer ou parfois à surestimer le tsunami. Il y a sous-estimation quand le tremblement de terre est petit ou intermédiaire et déclenche un glissement de terrain, qui génère de graves tsunamis ; il faut donc être capables de détecter ce genre de tsunami (c'est le cas dans la Mer Ligure).
Voici donc les idées liées aux problèmes qui sont encore devant nous. Il faudrait obtenir, lors de la prochaine assemblée de novembre à Istanbul, un engagement formel des gouvernements à l'égard de ces centres de veille régionaux afin qu'ils soient non seulement projetés mais aussi désignés comme centres nationaux. Cela ne s'est pas produit pour l'instant mais nous espérons que les offres de la France et de l'Italie seront formalisées.
Deuxième point très important : il s'agit de l'engagement des pays de l'Afrique du nord, donc la partie sud de la Méditerranée, principalement pour ces pays très proches des grandes sources, comme l'Algérie ou tous ces pays qui ont un réseau sismographique très important comme la Libye. Il faut absolument avoir toutes les données sismographiques et les partager en temps réel car elles ont un rôle important pour les centres régionaux de veille des tsunamis. Il ne s'agit pas d'un problème de second ordre car la réalité nous dit qu'il est très difficile d'avoir accès à certaines données et informations ; pour l'instant, la partie la plus lente dans l'instauration d'un système d'alerte était la mise en place d'un système de marégraphes en temps réel.
Merci beaucoup de votre attention.
M. Roland COURTEAU
Merci à vous, Monsieur Tinti, c'était particulièrement complet.
Dernier intervenant : je vais donner la parole à Madame Frédérique Martini, chef du bureau des risques météorologiques et littoraux au Service des risques naturels et hydrauliques, représentant la France. Vous avez la parole, Madame Martini.