TRAVAUX DE LA COMMISSION DES FINANCES
AUDITION DE M. LORENTS LORENTSEN, DIRECTEUR DE L'ENVIRONNEMENT À L'ORGANISATION POUR LA COOPÉRATION ET LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES (OCDE)
Réunie le mercredi 6 mai 2009, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de M. Lorents Lorentsen, directeur de l'environnement à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) .
Procédant à l'aide d'une vidéo projection, M. Lorents Lorentsen a tout d'abord indiqué que, selon l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), un système de taxation efficace devrait imposer, d'une part, les « revenus économiques » et, d'autre part, les « externalités » comme, par exemple, la pollution. Les impôts devraient reposer sur une assiette large et il convient donc de limiter les exonérations et les régimes dérogatoires. En outre, il est souhaitable d'éviter d'affecter le produit des impôts à un usage précis et de ne pas accorder de subventions aux effets néfastes pour l'environnement.
Puis il a souligné que les taxes assises sur les émissions de dioxyde de carbone (CO 2 ) présentent, en théorie, le mérite d'inclure le coût de ces émissions dans le prix des produits, ce qui peut se faire sans augmenter la pression fiscale si, dans le même temps, d'autres impôts sont abaissés. De plus, elles permettent de favoriser le développement de technologies peu émettrices. Toutefois, il ne paraît pas possible d'instaurer une « taxe carbone pure » au vu de l'extrême complexité qu'il y a à définir le « coût carbone » réel d'un produit donné. La seule façon réaliste de procéder est de taxer les énergies sur la base des émissions qu'elles engendrent.
M. Lorents Lorentsen a observé que les taxes environnementales représentent, en moyenne, entre 2 % et 3 % du produit intérieur brut (PIB) des pays membres de l'OCDE, les pays scandinaves et la Turquie ayant la plus forte proportion et la France s'inscrivant dans cette moyenne. L'OCDE a constaté une relative stabilité de ce taux entre 1996 et 2006, notamment parce que l'assiette de ces taxes s'est réduite du fait de changements de comportements.
S'agissant plus précisément des taxes assises sur les émissions de CO 2 , il a cité les exemples britanniques et scandinaves. Toutefois, les dispositifs existants comportent des exonérations notables, non fondées sur des objectifs environnementaux, qui en atténuent l'efficacité. Ainsi, au Royaume-Uni, du fait de pressions des industriels concernés, le charbon n'est taxé qu'à hauteur de 16 livres par tonne de CO 2 émise alors que le gaz l'est à hauteur de 30 livres par tonne de CO 2 émise. Une étude réalisée par la Commission européenne dans les pays scandinaves aboutit au même constat : du fait de l'instauration de régimes dérogatoires, il n'y a qu'une faible corrélation entre émissions et paiement de la taxe.
M. Lorents Lorentsen a estimé nécessaire une coordination internationale sur ces sujets afin de répondre aux préoccupations des industriels sans perdre de vue l'efficacité de cette fiscalité. Des mesures de compensation ou d'atténuation sont envisageables, comme des aides publiques ne supprimant pas le « signal prix » du carbone, des allocations gratuites de quotas d'émissions, la conclusion d'accords sectoriels internationaux ou des ajustements fiscaux aux frontières. Cependant, cette dernière solution présente un fort risque de représailles de la part des pays visés et pourrait être incompatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
S'agissant des ménages, M. Lorents Lorentsen a déclaré que l'instauration d'une fiscalité sur les émissions de CO 2 peut avoir un réel impact social, les foyers aux revenus modestes risquant d'être particulièrement affectés. Là encore, les Etats devraient prévoir des mécanismes de compensation des pertes de revenus tout en conservant le signal prix, sous peine de ne pas atteindre les objectifs environnementaux recherchés. En toute hypothèse, la méthode est importante. Ainsi, dans tous les pays ayant mis en oeuvre une telle réforme, le sujet a été débattu au sein de commissions réunissant l'ensemble des acteurs concernés.
En conclusion, M. Lorents Lorentsen a souligné les avantages d'associer une « taxe carbone » avec d'autres outils incitatifs, tels que la création de labels, la production de normes ou l'octroi de subventions ciblées favorisant les technologies limitant les émissions. En revanche, il convient de prendre garde à ne pas aboutir à une « double taxation » des consommateurs, d'une part par le biais des quotas d'émissions échangeables et, d'autre part, par la taxe carbone.
Un large débat s'est ensuite instauré.
Mme Fabienne Keller, présidente du groupe de travail sur la fiscalité environnementale , après s'être félicitée de la qualité du tableau dressé par l'orateur, a mis en exergue ses propos relatifs à la nécessité d'atteindre un consensus social sur le sujet avant de légiférer. En particulier, il apparaît indispensable de régler convenablement la question des pertes de revenus des ménages les moins aisés et d'éviter tout effet de « double taxation » des consommateurs.
M. Lorents Lorentsen a indiqué que la solution généralement retenue pour faire face au problème des ménages aux revenus modestes, à savoir des exonérations de taxe, présente l'inconvénient majeur de supprimer toute incitation à émettre moins de CO 2 et compromet donc l'atteinte de l'objectif de la taxe. Il a de nouveau plaidé pour la mise en place de mécanismes compensatoires d'un autre type. De telles tentations d'instituer un régime dérogatoire en faveur des industries les plus polluantes existent également. L'instauration en Europe d'un système d'octroi à ces industriels de quotas d'émissions qu'ils peuvent s'échanger entre eux a représenté un réel progrès de ce point de vue.
Pour ce qui concerne le risque de double taxation, M. Lorents Lorentsen a jugé possible de faire coexister un marché de quotas concernant les principales industries émettrices et une taxe visant la pollution diffuse des transports, des services ou des ménages.
M. Jean Arthuis, président , et Mme Nicole Bricq ont constaté que les quotas et la taxe sont deux moyens de parvenir à un même objectif. Toutefois, les quotas créent une certitude sur le niveau d'émission des industriels mais une incertitude sur le prix auxquels ils acquitteront leurs émissions. En revanche, la taxe entraîne une certitude sur le prix du carbone mais non sur le niveau des émissions des redevables.
Mme Nicole Bricq a exprimé sa conviction que la fiscalité environnementale doit poursuivre une finalité unique, écologique. Les ajustements économiques et sociaux doivent être effectués par d'autres instruments. Par ailleurs, des industriels ont fait part au groupe de travail de leur crainte que la coexistence d'une taxe carbone et de droits d'émission payants puisse aboutir à faire payer deux fois aux consommateurs le prix du carbone. Comment éviter un tel risque ? Enfin, la gestion par chaque Etat européen du produit des enchères des droits à émissions, qui deviendront payantes à partir de 2013, est regrettable car une gestion communautaire aurait permis à l'Union européenne de disposer de moyens significatifs pour financer des investissements technologiques à l'échelle du continent.
M. Denis Badré , après avoir souligné son accord sur ce dernier point, a déclaré qu'il convient de ne pas mélanger les objectifs financiers et environnementaux. Les Etats doivent choisir entre recette fiscale pérenne et volonté de modifier les comportements.
M. Jean Arthuis, président , a observé que le but d'une telle fiscalité devrait être, en effet, de détruire sa propre assiette.
M. Michel Sergent s'est interrogé sur l'acceptation sociale de la fiscalité du carbone dans les pays scandinaves, relevant que le niveau des prélèvements obligatoires y est déjà traditionnellement élevé.
En réponse à ces interventions, M. Lorents Lorentsen a indiqué :
- que l'objectif d'une taxe carbone doit effectivement être de réduire les émissions de CO 2 mais qu'il existe une forte inertie dans les comportements, ce qui, associé à une augmentation régulière du taux de la taxe, peut lui assurer un rendement constant au moins à moyen terme ;
- qu'il faut éviter que les consommateurs paient deux fois le prix du carbone, les acteurs du marché de quotas d'émissions ne devant pas être assujettis à la taxe ;
- que, les marchés de quotas d'émissions étant un substitut à l'impôt, il est normal que le produit des enchères alimente le budget des Etats ;
- que, dans la conjoncture économique actuelle, l'instauration ou l'alourdissement d'une fiscalité du carbone pourrait éventuellement contribuer au financement des plans de relance nationaux ;
- que des études menées au Royaume-Uni ont montré la faible élasticité à court terme des consommations d'énergie sous l'effet d'une taxe carbone, mais son effet croissant à moyen terme. Ainsi, une augmentation de 10 % du prix de l'énergie aboutit à une baisse d'environ 2 % de la consommation à court terme, mais d'environ 5 % sur dix ans. A un tel horizon, les consommateurs peuvent prendre des décisions telles qu'un changement de voiture ou de système de chauffage.
Mme Fabienne Keller, présidente du groupe de travail sur la fiscalité environnementale , a souhaité obtenir des précisions quant à la possibilité d'instaurer une taxation frappant les importations de pays n'incluant pas le prix du carbone dans leurs produits.
M. Lorents Lorentsen a estimé que de telles mesures peuvent éventuellement être envisagées sur quelques produits, comme l'acier ou l'aluminium mais qu'elles seraient extrêmement difficiles à mettre en place pour des biens plus complexes. En outre, de fortes tensions diplomatiques risqueraient d'en résulter.
M. Jean Arthuis, président , a observé que les autorités françaises réfléchissent à une telle taxe extérieure, M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, s'étant ainsi exprimé en faveur de ce système lors du discours qu'il a prononcé à Nîmes, le 5 mai 2009.
M. Lorents Lorentsen a souhaité qu'un tel débat ne pénalise pas les chances d'obtenir un accord sur « l'après Protocole de Kyoto », lors de la conférence de Copenhague de décembre 2009. En effet, l'Europe ne pourra diminuer seule les émissions de CO 2 de la planète. Il convient notamment d'inclure la Chine et l'Inde dans un traité international afin que le prix de leurs produits traduise également un prix du carbone, ce que la détermination affichée par la nouvelle administration américaine sur cette question devrait probablement faciliter.