DISCOURS DE CLÔTURE
Docteur Christian GAUDIN
Chère Madame la Ministre, chers Mesdames et Messieurs, il est légitime pour le Parlement d'avoir pris sa place dans l'année polaire internationale. Il l'a fait par la voie de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, organisme que vous connaissez bien, Madame la Ministre, et qui a l'avantage de représenter les deux chambres du Parlement.
Ce matin, nous avons ouvert ces deux journées du colloque de clôture de l'année polaire internationale par la voix de nos deux parrains : M. Michel Jarraud, qui est secrétaire général de l'organisation météorologique mondiale, et Madame Catherine Bréchignac, qui est présidente du conseil international pour la science et du CNRS. Nous avons aujourd'hui animé deux tables rondes, une première ce matin sur l'Homme et l'environnement et une seconde cet après-midi sur la gouvernance des pôles. Vous savez combien ce sujet est important, en partant de l'histoire en Antarctique pour en arriver à la problématique qui se présente au Nord. L'articulation de ces deux tables rondes a été animée par l'intervention de Jean Malaurie qui nous a fait part, avec beaucoup de fougue, de sa passion pour le pôle Nord. M. Michel Rocard, nouvel ambassadeur des pôles, nous a rappelé l'histoire de sa participation à la définition du protocole de Madrid.
Nous en arrivons au terme de cette première journée du colloque qui va se poursuivre demain, avec deux nouvelles tables rondes, au collège de France. Je voudrais remercier personnellement Edouard Bard pour tout le temps qu'il a pu passer à la préparation de ces deux journées.
Madame la Ministre, en clôture de cette première journée, en clôture de ces échanges qui ont été d'une grande richesse, nous avons beaucoup d'honneur à vous recevoir. C'est personnellement un grand plaisir de vous recevoir pour clore cette première journée sur les pôles et sur le bilan de la quatrième année polaire internationale. L'année dernière, vous m'aviez nommé auprès de vous par une lettre de mission, pour travailler sur les problématiques de l'Arctique à la préfiguration de ce que pouvait être un observatoire international multidisciplinaire le rôle que la France pourrait y jouer. J'ai eu beaucoup de plaisir à le faire auprès de vous. Vous connaissez ma passion pour les pôles. Je vous invite, Madame la Ministre, à prendre la parole.
A. MADAME VALÉRIE PECRESSE, MINISTRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
M. le président, cher Christian Gaudin, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Madame la présidente du CNRS, Mesdames et Messieurs les professeurs, les chercheurs, Mesdames et Messieurs ; permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui, à l'occasion de ce colloque qui nous permettra de tirer ensemble les leçons de l'année polaire internationale. Année polaire internationale qui s'achève finalement là où elle avait commencé puisqu'en effet, c'était au Sénat qu'elle s'était ouverte. C'est là aussi qu'elle a connu l'un de ses temps forts, puisqu'à la demande du sénateur Christian Gaudin et des sénateurs de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, un débat sur cette même manifestation avait eu lieu dans l'hémicycle de la haute assemblée.
D'emblée, le Sénat a montré son intérêt pour cet événement, exceptionnel à plus d'un titre. Par sa fréquence bien sûr, parce que c'est la quatrième année polaire et que la dernière a eu lieu il y a plus de cinquante ans. Mais aussi et surtout par ses ambitions, puisqu'il s'agit bien pour la communauté internationale de tourner son regard vers les pôles et de prendre la mesure de l'engagement qu'ils exigent de nous. Je ne peux donc que me réjouir de voir que ce colloque de clôture soit placé sous le double patronage du Collège de France et du Sénat.
Dans cette alliance de la représentation parlementaire et de l'excellence scientifique, je vois le signe que nous avons ensemble atteint notre but. Celui de faire du destin des pôles une question d'intérêt public. Permettez-moi par conséquent de remercier ces deux grandes institutions et leurs membres présents ici, qui en alliant leurs engagements aux remarquables forces scientifiques dont dispose le pays, ont permis de donner à l'année polaire internationale l'écho qu'elle méritait.
La France s'est ainsi montrée fidèle à un très bel héritage, celui de Dumont d'Urville qui découvrit l'Antarctique, celui de Charcot qui l'explora et celui de Paul-Emile Victor qui non seulement sillonna les pôles mais fit aussi tout pour les faire connaître. De cet héritage, la France s'est fait une tradition. Une tradition qui fit, fait et fera, sûrement pendant longtemps encore, de l'exploration polaire une aventure à la fois humaine, scientifique et populaire. C'est cette tradition qui explique que la France se trouve aujourd'hui encore aux avant-postes de la recherche en milieu polaire. En effet, sur les 228 projets labellisés, après une sélection scientifique exigeante par le jury de cette quatrième année polaire, près d'une cinquantaine regroupait des scientifiques français et 34 ont bénéficié d'un financement français spécifique. Nous avons également conduit six projets majeurs avec le concours de nos équipes de recherche, au premier rang desquelles figurait celles du CNRS associées aux universités et à des établissements comme le CEA, le CNES, l'IFREMER, Météo France ou encore, le Muséum national d'histoire naturelle.
En intégrant les coûts logistiques et technologiques, naturellement élevés lorsqu'on travaille dans ces régions, ce sont près de 30 millions d'euros qui ont été consacrés à la mise en oeuvre des programmes scientifiques de l'année polaire internationale. La France a donc tenu son rang. Elle figure parmi les plus importants contributeurs de cette quatrième année polaire internationale et reste un leader dans les activités scientifiques en milieu polaire.
Ce beau succès, nous le devons également aux plateformes polaires nationales dont notre pays dispose et dont l'IPEV a la responsabilité. Car cette réussite est aussi celle d'un modèle original que nous avons patiemment construit depuis plusieurs années, celui d'une agence de moyens et de projections de moyens en milieu polaire. Chacune de nos équipes parties sur le terrain sait en effet qu'elle peut entièrement compter sur le soutien de l'IPEV, dont la compétence et l'expertise sont reconnues dans le monde entier et dont je salue ici le directeur Gérard Jugie. Mais cette sécurité est aussi le fruit d'une recherche en milieu polaire, coordonnée entre l'Institut polaire, l'Agence nationale de la recherche et les tutelles des laboratoires. Chacun ayant en effet trouvé toute sa place et démontré toute son efficacité.
C'est pourquoi j'ai décidé qu'en 2009, le budget de l'Institut polaire augmenterait de 9,5 %, après une augmentation de 5 % en 2008. Voilà qui démontre Mesdames et Messieurs que l'Etat est lui aussi au rendez-vous du défi de l'exploration et de la recherche polaire, qui fait partie des priorités scientifiques de notre nation. Loin d'être un domaine isolé ou marginal, la recherche en milieu polaire concerne en effet l'ensemble des disciplines scientifiques. L'année polaire vient de le démontrer à qui pouvait encore en douter. Des sciences humaines et sociales aux sciences biologiques, en passant par les sciences de l'univers qui sont représentées ici, en particulier l'astronomie - toutes les sciences ont participé.
La recherche en milieu polaire se situe en effet au carrefour des principaux défis scientifiques et sociaux de notre temps et je pense en particulier à la glaciologie. C'est en effet dans les glaces des pôles que nos scientifiques ont pu mesurer, avec la plus grande certitude, la radicalité des changements climatiques et révéler l'urgence, qui est la nôtre, d'agir. Je salue Messieurs Bard et Jouzel. Je pense aussi à la perte de biodiversités, qui se fait chaque jour plus alarmante sous l'effet du changement climatique et de l'expansion des activités humaines. Pour relever ce défi majeur, les entreprises et les citoyens ont plus que jamais besoin que les scientifiques, venus de tous les pays et de toutes les spécialités, unissent leurs forces et parlent au monde d'une seule voix.
C'est pourquoi, avec le projet de l'IPBES - la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services économie-systémiques, que la France promeut inlassablement depuis bien des années - nous allons, je l'espère, donner corps à cette communauté scientifique qui nouera le dialogue avec les responsables publics, les Etats et les individus, pour que nous puissions ensemble échafauder des scénarios responsables. Voilà aussi pourquoi la France attachait tant de prix à l'année polaire internationale. Il s'agissait là d'une opportunité unique pour développer le dialogue direct entre les scientifiques et le public. C'est d'ailleurs pour cela que l'Agence nationale de la recherche a fort logiquement décidé d'abonder jusqu'à 5 % les projets labellisés « année polaire internationale », afin de financer des actions de vulgarisation scientifique, confiées pour leur réalisation à l'IPEV.
A mes yeux, il s'agissait là d'une obligation essentielle. L'année polaire est traditionnellement un moment de réflexion collective et cette réflexion débouche toujours sur des actions coordonnées, qui donnent progressivement naissance à une véritable communauté internationale soudée par des enjeux qui sont loin d'être propres aux pôles mais qui concernent l'humanité entière. La précédente année polaire avait conduit à l'installation de plus de cinquante stations permanentes en Antarctique, dont la station française en Terre Adélie ; ainsi qu'au début d'un effort de mesure continue de la concentration de CO 2 dans l'atmosphère. Mieux encore, elle avait conduit à la signature du Traité de Washington qui fait de l'Antarctique, un lieu neutre consacré à la science et à la paix et ouvert à l'ensemble de la communauté internationale. Sans doute ce Traité est-il encore fragile mais il a démontré, de manière éclatante, que les nations du monde pouvaient s'entendre pour explorer et préserver ensemble leur patrimoine naturel commun.
C'est pourquoi, fidèle à cet espoir remarquable, le Président de la République a confié à l'ancien Premier Ministre Michel Rocard une mission tout aussi ambitieuse, celle de protéger l'Arctique en oeuvrant au sein de la communauté internationale pour lui offrir un véritable statut. Nous ne pouvons pas renoncer. Sans doute le réchauffement de la calotte arctique est-il inéluctable ; sans doute devons-nous d'ores et déjà nous préparer à des changements biologiques profonds qui affecteront la faune et la flore, et par voie de conséquent les populations qui y résident. Nous savons, grâce au Pr. Malaurie, ce que nous perdrions si les derniers rois de Thulé venaient à s'éteindre. Il nous est donc interdit d'attendre et de constater les changements à venir sans réagir. Même si nous ne pouvons plus freiner certains d'entre eux, il nous faut pour le moins les accompagner de la manière la plus harmonieuse et la plus durable qui soit, en faisant de l'Arctique, une zone d'intérêt commun pour l'ensemble de l'Humanité.
Tel est le mandat qui a été confié au nom de la France à Michel Rocard et je suis sûre qu'il parviendra à relever ce défi, avec l'aide de tous les parlementaires européens et nationaux. La communauté scientifique est prête à l'aider et je sais que la création de l'observatoire de l'Arctique, qu'a proposée Christian Gaudin, serait un pas supplémentaire dans cette direction. C'est pourquoi, j'ai confié à Catherine Bréchignac, en sa double qualité de présidente du CNRS et de présidente de l'ICSU, la mission de créer cet observatoire international qui rassemblerait l'ensemble de la communauté scientifique. Ce dernier pourrait en effet jouer un rôle, qui fut celui du GIEC, en matière de climat ; celui d'une vigie scientifique, dont la voix forte se ferait entendre de tous et préparerait le terrain à des accords politiques plus ambitieux.
Voilà Mesdames et Messieurs, quel sera le lègue de cette quatrième année polaire internationale et nous pourrons être fiers lorsque nous serons parvenus à conduire à son terme le processus qui est né tout au long de ces derniers mois. Je sais que nous y parviendrons, car la passion et l'engagement de tous les amoureux des pôles ne connaissent pas de limites. Songez un instant à ces hommes et à ces femmes qui, au sein de la station franco-italienne Concordia, vont vivre pendant neuf mois coupés du monde, à 1 000 miles de toute terre habitée - pour citer Saint-Exupéry - seuls sur la calotte glacière. Ils vont vivre dans un monde où le soleil s'est couché pour six longs mois mais dans un monde rythmé d'expériences scientifiques, d'analyses, de réflexions et de découvertes en météorologie, en glaciologie ou encore en astronomie.
Si ce succès n'a été possible que par une communion d'efforts avec nos collègues italiens, il reste, à mes yeux, en partie inachevé. En effet, comment ne pas penser, à l'heure où nous oeuvrons ensemble pour créer l'espace européen de la recherche, où les Hommes et les idées circuleront librement, que ce partenariat franco-italien ne puisse pas être ouvert plus largement à nos partenaires européens volontaires. Je souhaite donc que le directeur de l'IPEV, en accord avec nos partenaires italiens, puisse rapidement me faire des propositions d'évolution des collaborations scientifiques sur la base Concordia. Vous savez bien que nos amis allemands sont très demandeurs.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, le souffle épique et humaniste, qui anima dès l'origine l'exploration polaire, n'est pas perdu loin s'en faut. En effet, c'est lui qui nous a inspirés tout au long de cette année et c'est lui qui nous pousse encore aujourd'hui à faire de la découverte et de la protection des pôles, le ferment de la concorde et de la paix. Il s'agit d'un très bel idéal que nous ne laisserons pas perdre.
Pour conclure ce discours, permettez-moi de vous rappeler, alors que nous achevons l'année polaire, qu'un autre événement tout aussi riche scientifiquement et tout aussi nourri de nobles idéaux, a débuté : celui de l'année mondiale de l'astronomie. Je félicite tout particulièrement l'ensemble des équipes françaises et européennes, qui ont travaillé au lancement, réussi aujourd'hui même, des satellites Herschel et Planck sur une fusée Ariane 5. Une année chasse l'autre et cet événement est un point cardinal de cette année mondiale de l'astronomie. Il représente la réalisation d'un effort conjoint entre les entreprises et les laboratoires publics de recherches, pour mettre l'espace au service de la recherche fondamentale. Avec Herschel et son miroir de 3,50 mètres de diamètre, c'est le processus de formation des étoiles qui devrait être révélé. Avec Planck et son télescope refroidi proche du zéro absolu, nous pourrons remonter aux origines de l'univers en mesurant, avec une précision inégalée, la première lumière émise 380 000 ans après le big-bang. Ces deux satellites qui seront d'ici deux semaines à leur poste, à 1 million de kilomètres de la Terre, représentent un espoir majeur pour la recherche et aussi un rêve pour l'Humanité, à l'image de toutes vos réalisations durant cette année polaire internationale. C'est vous dire si ces années, année polaire et année de l'astronomie, sont des moments un peu spéciaux pour la recherche qui permettent de repousser un peu plus loin les frontières de la connaissance. Je vous remercie.
Dr Christian GAUDIN
Mesdames, Messieurs, merci, nous nous retrouvons donc demain matin au collège de France pour la seconde journée.