MME LAURENCE PARISOT, PRÉSIDENTE DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE, M. ROBERT LEBLANC, PRÉSIDENT DU COMITÉ D'ÉTHIQUE DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE, M. JEAN-MARTIN FOLZ, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES ENTREPRISES PRIVÉES

M. Jean-Jacques HYEST - Madame la présidente, Messieurs les présidents, en octobre 2008, le MEDEF et l'AFEP ont établi de nouvelles règles - plus strictes qu'auparavant - en matière de gouvernement d'entreprise et de rémunération des dirigeants mandataires sociaux. Six mois après la publication de ces règles de conduite, quel bilan peut-on tirer de leur application parmi les sociétés adhérentes ? Compte tenu de l'évolution économique et des annonces gouvernementales récentes, l'autorégulation par les entreprises s'avère-t-elle le seul instrument efficace ? Ce sont des questions brutes, mais vous allez pouvoir les développer. Nous sommes très heureux de vous accueillir ce matin. Nous connaissons l'ampleur de vos tâches et nous sommes très heureux que vous ayez pu vous libérer. Madame la présidente, je vous donne la parole.

Mme Laurence PARISOT, présidente du MEDEF - Monsieur le président, merci beaucoup. Mesdames et Messieurs les sénateurs, je dois vous dire que je suis très contente d'être ce matin aux côtés de Jean-Martin Folz devant vous pour échanger sur la question si souvent publiquement débattue de la gouvernance d'entreprise et de la rémunération des dirigeants. Je tenais tout particulièrement à être avec vous ce matin car il y avait un certain nombre de choses que j'avais vraiment très envie de dire à chacun de vous, le plus directement possible et le plus sincèrement possible. Si vous le permettez, Monsieur le président, je propose d'exposer quelques points qui me semblent les plus importants. Jean-Martin Folz complétera ensuite certainement ces points, mais je crois qu'il est essentiel aussi que nous laissions beaucoup de temps aux échanges et aux questions, sachant qu'évidemment, il n'y a aucune question taboue pour nous.

Pour moi, il était très important d'être devant vous ce matin, pour vous dire que je vous parle au nom du Mouvement des entreprises de France. Le Mouvement des entreprises de France, c'est 800.000 entreprises, ce qui veut dire énormément de TPE et de PME. C'est une autre façon pour moi de vous dire que lorsque nous travaillons sur ces sujets, nous travaillons au MEDEF avec un esprit d'unité entrepreneuriale très fort. Comprenez-moi bien : il ne s'agit pas pour nous de porter la position d'une catégorie d'entreprises plutôt qu'une autre, mais plutôt de trouver ce qu'il y a de commun au sein de toutes les entreprises de France. Et d'ailleurs, je préciserais que dans l'instance suprême du MEDEF, le conseil exécutif, composé de 45 membres, seuls deux membres dirigent des entreprises cotées au CAC 40. Ce point est très important, car il me permettra de souligner l'apport des réflexions des patrons de PME dans le contenu des recommandations AFEP-MEDEF.

Deuxième élément liminaire, si je puis dire, de mon intervention : nous avons toujours été à l'initiative, nous avons toujours été en amont, nous avons toujours cherché, à chaque instant, à chaque moment de la vie économique, à être moteur et à donner des lignes directrices au service des entreprises et des publics concernés par la vie des entreprises. Je ne referai pas l'historique des codes de gouvernance, des codes de recommandations, mais sachez, il faut l'avoir en tête, que cet historique nous fait remonter à 1995. C'est en 1995 que pour la première fois, avant le législateur lui-même, nous avons émis un certain nombre de recommandations.

Troisième élément liminaire : au printemps 2008, il nous a semblé utile d'être à nouveau à l'initiative. C'est au printemps 2008 -très exactement le 20 mars 2008- que j'ai installé un nouveau comité éthique au sein du MEDEF, présidé par Robert Leblanc, qui nous accompagne ce matin. C'est donc avant même toute suggestion gouvernementale, une fois de plus, que nous avons voulu avancer et que nous avons décidé de voir comment il fallait parfaire, améliorer, préciser notre code de gouvernement d'entreprise sur la rémunération des dirigeants. D'emblée, nous avons voulu que le comité éthique du MEDEF soit, dans sa composition, le plus large possible. Ce comité éthique regroupe donc à la fois des chefs d'entreprise de sociétés cotées, des chefs d'entreprise de sociétés non cotées, des chefs d'entreprise de sociétés patrimoniales -certaines faisant partie de l'histoire de notre pays- mais aussi deux anciens présidents du Centre des jeunes dirigeants et de l'association Croissance Plus, ainsi que la présidente d'Ethic. Et tout de suite, nous avons décidé de travailler en étroite collaboration avec l'AFEP et notamment avec son président, Jean-Martin Folz. Ces travaux et réflexions nous ont amenés à mettre au point trois principes que je voudrais vous présenter, qui me semblent être les choses les plus importantes à retenir.

Le premier principe est d'avoir une cartographie la plus objective et la plus lisible possible de la situation en matière de rémunération des dirigeants. Je m'explique : depuis déjà un certain temps, nous avons préconisé la transparence ; et le législateur, souvent, est venu renforcer cette préconisation. Tout ceci nous convient bien. La transparence, il faut néanmoins le savoir, a eu un effet pervers car elle a, à un moment, provoqué une certaine inflation des rémunérations. La transparence, sur le moyen et le long termes, a toujours plus de vertus que d'inconvénients et il nous est apparu que cette transparence était incontestable dans le sens où plus rien n'était caché. Pour autant, les choses n'étaient pas forcément accessibles, claires, lisibles et donc faciles à évaluer, faciles à comparer. Donc le premier point fort -et c'est, de mémoire, le point 5 de nos recommandations- consiste à établir une liste d'indicateurs, de critères et de définitions qui permette désormais d'avoir un tableau exhaustif de tous les éléments de rémunération, un tableau qui doit être utilisé par chacun de la même façon, ce qui permet les mesures et les comparaisons dans le temps - d'une année sur l'autre - et bien sûr, si on le veut, entre différentes entreprises d'un même secteur. C'est le premier point qui, à mes yeux, est peut-être le plus important : il permet d'avoir les moyens de prendre la juste mesure des choses, de la manière la plus objective possible.

Le deuxième point fort de notre code de bonne gouvernance en matière de rémunérations est d'établir le principe qu'une rémunération élevée est possible à condition que celle-ci soit liée à la prise de risque. Tout à l'heure je vous ai dit que le regard des patrons de PME avait joué un rôle dans l'élaboration de ce code ; s'il y a un endroit où on peut l'identifier, c'est bien là. On peut souvent recueillir des témoignages, notamment dans les entreprises patrimoniales, où l'on explique bien que le patron est celui qui prend les risques, y compris celui d'être révoqué. Je dois vous dire que personnellement, c'est un souvenir d'enfance. Un jour, mon père, industriel, m'a dit : « Tu comprends, un jour, si tu es patron, tu n'as parfois plus qu'une chose à faire : tu prends ton crayon, ton cahier et tu t'en vas parce que tu es révocable ad nutum. » C'est sans doute l'un des premiers mots de latin que j'ai appris. Cet esprit-là faisait, dans une certaine mesure, parfois défaut. C'est cet esprit que nous avons voulu rétablir avec le principe selon lequel le mandataire social ou celui qui le devient doit mettre en suspend ou abandonner son contrat de travail pendant qu'il exerce cette responsabilité.

Troisième principe fort : la rémunération doit être en permanence corrélée à la performance. Cela veut dire que la part de rémunération variable doit être la plus importante et que les critères qui la déterminent doivent être repérables, objectifs et doivent définir différents éléments de performance - sachant que la performance ne peut pas se réduire à une seule dimension. Quand on regarde les évolutions de ces dernières années, il apparaît très clairement que les parts fixes des rémunérations sont stables, voire ont tendance plutôt à baisser, notamment depuis 2006-2007, et sont de toute façon déterminées pour de très longues périodes, c'est-à-dire pour plusieurs années. Ce troisième point est également à mes yeux tout à fait important.

Pour revenir à votre question, Monsieur le Président : est-ce que l'autorégulation, c'est bien, et est-ce que cela suffit ? Oui, je pense que c'est bien, mais à une condition : que cette autorégulation évolue en permanence. Si l'on considère que c'est acquis une bonne fois pour toutes, il est probable que ce ne sera pas suffisant ; parce qu'il se passera quelque chose, parce que les conditions économiques auront changé, parce que la réalité des faits va montrer quelque chose qui était imprévisible jusqu'alors. Il est très important de vous dire que le comité éthique qui a été réinstallé, refondé et recomposé en mars 2008 n'a pas vocation à disparaître aujourd'hui ; il a même vocation à continuer de travailler. Et entre l'AFEP et le MEDEF, il y a un partenariat solide, soudé, qui a clairement établi que nous allions surveiller tout ceci de très près et rendre publiques nos informations au fur et à mesure. Au stade où nous en sommes aujourd'hui, que pouvons-nous dire ? Nous pouvons dire que nous sommes satisfaits de voir que toutes les entreprises du CAC 40 et la quasi-totalité des entreprises du SBF 120, à part celles qui sont de nationalité étrangère, ont décidé d'adhérer au code, donc de faire référence aux principes de ce code. Est-ce qu'elles vont toutes adhérer en décidant d'appliquer l'intégralité à la lettre des principes de ce code ? Ce n'est pas sûr, même si je pense que dans l'esprit, elles vont aller assez loin.

Peut-il y avoir des cas où tout ne va pas être suivi à la lettre ? C'est fort possible, mais dans ce cas - et comprenez, ce principe est très fort - les dirigeants devront s'expliquer devant leur assemblée générale probablement ou de toute façon - et c'est encore plus difficile - devant l'opinion publique. Et il faut considérer qu'il pourra y avoir de bonnes explications, mais aussi de mauvaises. A ce moment-là, nous serons peut-être amenés à réagir.

Je terminerai en vous disant simplement la chose suivante : il faut faire attention, en ce moment, et c'est l'une des raisons pour lesquelles je voulais être présente avec vous ce matin. Je crois qu'il faut éviter d'être dans les a priori de rejet, d'hostilité à l'égard de dirigeants qui, dans beaucoup de cas, font un travail extraordinairement compliqué - qui est formidable à faire, je ne suis pas en train de les plaindre, mais qui est extraordinairement compliqué. J'entends souvent un argument qui consiste à dire : « Il est faux de considérer qu'il y a un marché mondial des talents ; il est faux de considérer qu'il y a une concurrence entre les talents. » Or, je vous le dis très clairement : il y a une concurrence. Plus de 10 % des dirigeants des sociétés du CAC 40 ne sont pas Français. Cela veut bien dire qu'on n'a pas forcément trouvé sur le marché français le talent qu'il fallait pour diriger telle ou telle entreprise et que les administrateurs et actionnaires sont allés à l'étranger pour les trouver. Il y a donc bien une concurrence entre les talents. Et dans un monde tourmenté, sens dessus dessous comme celui d'aujourd'hui, il faut à chaque instant se demander si on ne met pas en péril l'attractivité de notre pays et celle des talents à rester dans notre pays.

J'ai dit l'essentiel de ce que je voulais dire en introduction et bien sûr, je répondrais ensuite à toutes les questions. Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci, Madame la présidente. Monsieur le président de l'AFEP, vous avez la parole.

M. Jean-Martin FOLZ, président de l'AFEP - Merci, Monsieur le président. Je dirai peu de mots car Laurence Parisot a brossé de façon très complète le cadre dans lequel nous nous plaçons. Je voudrais peut-être le compléter sur trois points.

Laurence Parisot vous a rappelé que cette action des entreprises s'inscrivait dans le temps, puisque, comme elle l'a dit, depuis 1995 et le premier rapport Viénot, les entreprises se sont préoccupées de leur gouvernance. Je dirais que cette action des entreprises s'inscrit aussi dans l'espace. La France n'est pas isolée dans l'ensemble des pays européens : ce sont bien des codes d'auto-gouvernance des entreprises qui régissent la pratique des conseils d'administration. L'utilité de ces codes a été reconnue par l'Union européenne et par votre assemblée, puisque dans la loi du 3 juillet 2008 portant diverses dispositions d'adaptation du droit des sociétés au droit communautaire, vous avez fait référence à ces codes de gouvernance comme le standard sur lequel les sociétés doivent s'étalonner pour régler leur fonctionnement interne. C'est donc une opération qui existe depuis longtemps, qui existe dans l'espace, et dans laquelle, je crois avoir entendu le président Jouyet le dire tout à l'heure, la France est tout à fait en ligne et en pointe. Je crois qu'il n'existe pas d'autres pays européens dans lesquels des recommandations aussi précises, aussi rigoureuses et appelant à autant de transparence, ont été établies.

Le deuxième point concerne la rémunération des dirigeants mandataires sociaux qui retient spécialement votre attention aujourd'hui - tout en rappelant que le code AFEP-MEDEF traite de bien d'autres sujets de gouvernance que celle de la rémunération des dirigeants. Si l'on s'attache à cette seule question, nos recommandations sont effectivement complètes puisqu'elles visent tous les chapitres de cette rémunération et tous les chapitres de la relation d'une entreprise avec son dirigeant. Nous avons en effet traité de la partie fixe et de la partie variable des rémunérations, des options et actions de performance, et des retraites supplémentaires. Nous avons également traité de façon explicite des conditions de départ des dirigeants et donc des indemnités de départ, ainsi que de la question du non-cumul du contrat de travail avec le mandat social, sujet qu'a évoqué explicitement Laurence Parisot tout à l'heure. Nous avons donc bien quelque chose de complètement exhaustif. C'est aussi quelque chose qui est complètement transparent : comme Laurence Parisot vous l'a dit, nous avons proposé - et l'AMF a accepté ensuite cette proposition et sans son accord nous ne l'aurions pas fait - des tableaux de publication des rémunérations qui sont extrêmement détaillés et qui permettent dorénavant à tout un chacun d'avoir directement sous les yeux l'ensemble des composantes de la rémunération instantanée et future - je pense aux options et actions de performance des dirigeants des entreprises.

Mon dernier point sera pour souligner qu'il s'agit d'un code de gouvernance, c'est-à-dire d'un ensemble de standards auquel doivent se référer les conseils d'administration dans leurs pratiques, dans leurs décisions successives. Autrement dit, il ne s'agit pas d'une décision de la part de l'AFEP-MEDEF, si vous me permettez ce raccourci, d'une décision qui serait l'application d'un « tout change tout de suite », mais plutôt d'une règle qui est appliquée au fur et à mesure des décisions des sociétés. Nous le voyons à l'occasion de l'arrivée de nouveaux dirigeants, à l'occasion de la fixation des rémunérations des dirigeants, nous le voyons à l'occasion du vote par les assemblées générales d'approbation des conventions réglementées qui peuvent lier les dirigeants à l'entreprise et au moment des arrivées et des départs des dirigeants. Je fais cette remarque pour bien vous montrer qu'il n'y a pas un instant unique d'observation. Il y a en fait des mois, des trimestres et des années pendant lesquelles, progressivement, ce code va rentrer en fonctionnement. Les entreprises auront, comme Laurence Parisot l'a dit, à appliquer ces recommandations ou à expliquer pourquoi il leur paraîtrait opportun de ne pas les appliquer. Nous allons pouvoir montrer et analyser en détail les communications des entreprises. Les plus importantes seront bien sûr les rapports annuels et ce qu'il sera dit aux assemblées générales de ce printemps. Nous devons faire un rapport public sur nos constats, comme l'AMF en fera un pour ce qui est de sa responsabilité. Nous nous sommes engagés à intervenir auprès des dirigeants d'entreprises lorsque nous aurions le sentiment que l'application du code auquel ils se réfèrent n'est pas totalement satisfaisante.

Voilà le tableau tel qu'il se présente aujourd'hui. Je voulais rajouter trois points complémentaires à la présentation de Laurence Parisot ; à présent je me range auprès d'elle pour répondre à vos questions. Merci de votre attention.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci, Monsieur le président. Pour donner un exemple concernant le cumul d'un mandat social et d'une rémunération salariée : cela s'applique dans le temps, progressivement. Ce n'est pas du jour au lendemain que l'on peut dire : « c'est fini. » Voilà la question : y a-t-il des cas aujourd'hui de cumuls de rémunérations comme mandataire social et comme salarié ou n'y en a-t-il plus ?

M. Jean-Martin FOLZ - Non, ce cas-là ne se trouve pas. Effectivement, il y a un certain nombre de cas dans lesquels le dirigeant de l'entreprise qui était auparavant un salarié de l'entreprise -c'est-à-dire qui a fait quinze ans, vingt ans ou trente ans de carrière dans l'entreprise- est devenu mandataire social. La pratique actuelle au sein d'un certain nombre de sociétés est que le contrat de travail qu'avait ce salarié avant de devenir mandataire social est suspendu. Aussi, pendant qu'il exerce le mandat social, le dirigeant n'est rémunéré qu'en tant que mandataire social. La pratique à laquelle nous avons souhaité mettre fin est qu'au terme de ce mandat social, le dirigeant retrouve son contrat de travail antérieur afin d'éviter qu'il y ait cumul d'indemnités de fin de mandat social avec des indemnités de fin de contrat de travail. Ceci est effectivement un cas sur lequel nous nous sommes penchés et sur lequel nous avons émis une recommandation claire : tout nouveau dirigeant doit renoncer à son contrat de travail. Pour les dirigeants actuels - et une fois de plus, cela ne concerne qu'une partie d'entre eux, c'est-à-dire ceux qui ont un contrat de travail suspendu et qui sont issus de l'entreprise - la recommandation prévoit l'abandon du contrat de travail à l'occasion du renouvellement du mandat social. Les renouvellements de mandats sociaux interviennent, en application de notre code du gouvernement d'entreprise, au maximum tous les quatre ans. Dès lors, dans un délai de quatre ans, progressivement, année après année, l'application de nos recommandations fera que les dirigeants d'entreprises ayant conservé un contrat de travail suspendu y renonceront.

M. Jean-Jacques HYEST - Madame Bricq, vous avez la parole.

Mme Nicole BRICQ - Madame la présidente, Monsieur le président, on a bien compris que vous aviez défendu avec pugnacité, voire acharnement, le principe de l'autocontrôle - vous l'avez dit du reste vous-même, Madame Parisot, il me semble, que dans l'une de vos déclarations, vous étiez hostile à ce que le législateur s'empare de ce sujet. Nous sommes cependant quelques-uns à penser que compte-tenu de l'expérience historique - vous avez fait référence au rapport Viénot dès 1995, puis il y a eu un rapport « Viénot 2 » - ces recommandations n'étaient pas suivies et que l'autocontrôle n'avait pas marché. C'est pour cela que nous préférons la législation. Et une législation, par définition, se discute au Parlement, permet une transparence et permet le débat. Elle n'est donc pas forcément rigide ; la loi n'est pas forcément un couperet, elle peut aussi se négocier.

En faisant référence au code de bonne conduite - qui est finalement la référence puisque le gouvernement vous a confié les clés de l'autocontrôle, sous la surveillance de l'Autorité des marchés financiers pour ce qui est des sociétés cotées - je souhaitais vous interroger sur le point 5, c'est-à-dire les recommandations en matière de transparence des rémunérations. Lorsqu'on les regarde de près, on se rend compte qu'elles sont minimales. Vous préconisez un cadre homogène de présentation, ce qui est très bien. Mais, comme vous l'avez dit dans votre exposé, les rémunérations de l'année sont comparées à celles de l'année précédente. Or, ceci limite la perception de l'évolution, surtout lorsqu'il faut l'apprécier pour la part variable et la prise en compte du risque - puisque c'est quand même cela qui justifie la part variable, qui est de plus en plus importante dans les rémunérations, notamment pour les dirigeants et les cadres très supérieurs. On ne prend donc en compte que le court terme et c'est un petit peu dommage. Quand je vois les recommandations du Haut comité de Place, qui ont été remises à Madame Christine Lagarde il y a à peine 15 jours, auxquelles Monsieur Jouyet a fait référence tout à l'heure, elles vont beaucoup plus loin que les vôtres. Elles proposent en effet une séparation entre rémunérations fixes et rémunérations variables de manière absolue, et il est demandé une prohibition de la pratique garantie des bonus. Je trouve que ces recommandations vont beaucoup plus loin que celles que vous avez formulées en octobre 2008.

Il y a également une réticence de votre part que je ne m'explique pas. Je ne parle même pas du comité d'entreprise, car dans la proposition de loi que nous avions défendue, nous souhaitions que cet organe ait non seulement un droit de regard mais également son mot à dire sur cette part variable -vous vous dites pourtant partisans du dialogue social. Je ne m'explique pas pourquoi vous ne voulez pas que les assemblées générales d'actionnaires puissent se prononcer sur les modes de rémunération et cette part variable. Vous êtes très attachés à cela, vous limitez cette compétence au conseil d'administration et au comité des rémunérations. Cela est d'autant plus compréhensible que votre recommandation se borne à prévoir que si les dirigeants ne suivent pas votre code de bonne conduite, ils doivent s'expliquer. Il faudra voir comment réagiront les assemblées qui vont avoir lieu au printemps, à partir de la fin du mois d'avril. D'autant qu'en 2008, quand on regarde les résultats des entreprises -en tout cas pour les sociétés cotées- elles ont finalement lissé leurs résultats et font apparaître quand même des bénéfices. Il sera intéressant de voir comment ces assemblées vont se comporter mais je ne comprends pas votre réticence parce que c'est quand même la meilleure transparence. Si vous voulez me répondre sur la place des salariés, qui sont quand même partie prenante, de l'entreprise, ce sera évidemment intéressant. En outre, vous avez dit que vous remettriez un rapport mais vous n'avez pas donné la date. Pourriez-vous la préciser ? Ce serait intéressant par rapport à ce que Monsieur Jouyet nous a dit tout à l'heure du rapport de l'AMF sur la question.

M. Jean-Jacques HYEST - Nous allons prendre plusieurs questions en essayant de tenir nos délais pour que puissent se tenir dans les temps toutes les auditions. Monsieur Chatillon, vous avez la parole.

M. Alain CHATILLON, sénateur de la Haute-Garonne. - Madame la présidente, depuis bien des années, on a essayé dans ce pays de faire en sorte ou d'étudier la possibilité que les salariés puissent venir au capital des entreprises. Dans les entreprises cotées, ils peuvent l'être, mais quelles mesures incitatives doivent être envisagées ? Comment pouvez-vous favoriser le fait, comme dans certains pays, que les salariés puissent être aux côtés des chefs d'entreprise, prendre le risque de l'entrepreneur et ainsi assurer un juste équilibre dans le cadre de l'entreprise ? De plus, dans la période de crise que nous traversons, ne pourrait-on pas prévoir un moratoire avec un certain nombre d'entreprises du CAC 40 qui font des profits corrects - et nous ne pouvons que saluer ces profits, parce qu'une entreprise qui ne fait pas de profits est limitée dans sa compétition ? Ne peut-on pas demander à ces entreprises au cours de cette année 2009 de faire vraiment très attention et de limiter au strict minimum les mises à pied de salariés ? Je crois qu'aujourd'hui, nous sommes face à un problème moral. Il est difficile d'accepter que des entreprises qui gagnent beaucoup d'argent ne soient pas des entreprises citoyennes. Et le MEDEF ne peut-il pas non pas imposer mais demander un moratoire pour que, au moins pendant cette période de crise, nous ayons la possibilité de garantir l'emploi au maximum d'entre nous ?

M. Jean-Jacques HYEST - Madame la présidente.

Mme Laurence PARISOT - Madame la sénatrice, je souhaite faire deux ou trois remarques sur le contexte dans lequel s'inscrivent nos recommandations. Il est inexact de dire que le gouvernement nous a confié telle ou telle mission : nous avons pris l'initiative, c'est seulement ensuite que le gouvernement a pris position par rapport à cette initiative. Deuxièmement, nous ne considérons pas que tout ceci se fasse sous le contrôle de l'AMF. Je n'ai jamais compris que l'AMF avait comme mission de contrôler les rémunérations des dirigeants. Troisièmement, vous évoquez la place des salariés. Je pense que dans la totalité des entreprises cotées au CAC 40, il y a des salariés au conseil d'administration. Ces salariés sont présents dans les conseils qui arrêtent les rémunérations des dirigeants, qui arrêtent les critères de rémunérations variables ou les attributions d'option. Les salariés sont donc présents dans les instances qui décident d'une manière formelle de ces questions.

Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris votre remarque sur les comparaisons des rémunérations d'une année sur l'autre, parce que le tableau des rémunérations a évidemment vocation à être annuel ; il sera donc possible d'établir chaque année la courbe de l'évolution. En revanche, quand vous dites qu'il faut faire attention à ne pas être « court-termiste », j'adhère totalement. Et je pense que c'est l'une des choses que la crise va certainement nous permettre d'avoir, non seulement dans ce domaine des rémunérations mais dans beaucoup d'autres domaines, - pardon pour le néologisme - la notion de « durabilité » beaucoup plus présente à l'esprit dans la gouvernance des entreprises. Par ailleurs, dans le tableau qui est encore une fois un élément décisif de notre travail, la distinction entre la part fixe et la part variable est claire. Vous avez évoqué le fait qu'elle n'était pas si claire que cela, mais il n'y a aucun doute là-dessus.

M. Jean-Martin FOLZ - Je souhaiterais ajouter deux points, si vous le permettez. Le premier pour revenir sur les parties variables et leurs plages de temps. Effectivement, deux éléments de rémunération variable sont prévus par notre code de gouvernance. Il y a, d'une part, une partie variable, établie sur une base annuelle, liée à des objectifs qualitatifs et quantitatifs explicités dans le rapport annuel. Ces parties variables sont effectivement variables. Je préside le comité de rémunérations de deux sociétés du CAC 40 et je peux vous dire que le calcul de la part variable a donné lieu, dans l'une, à 0 % et dans l'autre, à 15 % au maximum, pour l'année 2008. Ce sont donc bien de vraies formules qui donnent une application significative. Ce sont des objectifs qui sont difficiles : la preuve, c'est qu'on ne les atteint pas. Le second point concerne la partie variable sur le moyen-long terme ; je crois que c'était votre préoccupation. Cette partie variable-là est constituée par les options d'actions et les actions de performance. Notre code de gouvernance est tout à fait clair sur ce point : ces parties variables sont toutes soumises à des conditions de performance sur le moyen terme. Autrement dit, il ne s'agit pas d'options d'actions ou d'actions de performance qui sont données comme cela ; elles ne sont acquises par le dirigeant que si des critères contraignants sont effectivement satisfaits. Ces critères contraignants sont liés au fonctionnement interne de l'entreprise et, dans un certain nombre de cas, au fonctionnement externe de l'entreprise, par comparaison des résultats de l'entreprise avec ceux de ses pairs.

Je voulais également dire un mot sur la responsabilité des uns et des autres et notamment du conseil d'administration et de l'assemblée générale des actionnaires en matière de rémunération des dirigeants. Il me paraît tout à fait important qu'il y ait une claire responsabilisation des uns et des autres sur ce qui relève de leur compétence. Le conseil d'administration doit être totalement responsable de la rémunération des dirigeants avec le double garde-fou des règles que nous avons proposé et de la transparence. L'assemblée générale, elle, a la responsabilité d'élire un conseil d'administration et de ne pas le réélire si elle n'est pas satisfaite. Ce sont des principes de bon fonctionnement d'une entreprise que de ne pas mélanger les instances de décision et ce n'est pas dans une assemblée parlementaire que j'appellerai votre attention sur l'inconvénient d'introduire la démocratie directe quand on a des représentants qui sont les administrateurs élus par l'assemblée générale.

Mme Nicole BRICQ - Comparaison n'est pas raison...

M. Jean-Jacques HYEST - Monsieur Chatillon, il me semble qu'en matière de participation des salariés, les recommandations -tout comme la loi désormais- prévoient que quand il y a des options d'achat d'actions offertes aux dirigeants, il doit y en avoir également pour les salariés.

Mme Laurence PARISOT - Vous avez évoqué, Monsieur le sénateur, l'intérêt de voir les salariés participer au capital de l'entreprise. Je ne sais comment vous dire à quel point je suis d'accord avec vous et comment expliquer tous les efforts que nous faisons pour encourager d'une manière générale l'actionnariat salarié, mais plus que cela : l'actionnariat tout court. Il peut sembler un peu étrange de faire la promotion de l'actionnariat en ce moment - quoique je pense que certains diraient que c'est peut-être le moment de devenir actionnaire ; mais il est évident qu'il faut encourager l'actionnariat salarié, à tous les niveaux. J'attire votre attention sur le fait que le MEDEF, depuis un an, fait un « Tour de France de l'épargne salariale », pour en encourager toutes les formes, que ce soit la participation, l'intéressement ou l'actionnariat sous différentes modalités.

Je voudrais revenir sur la question du moratoire que vous venez d'évoquer, qui renvoie aussi à la question de Madame Bricq, qui demande pourquoi le législateur ne devrait pas intervenir. En définitive, vous estimez que ce que nous faisons n'est pas suffisant, qu'il y a trop d'abus. Je tiens à vous dire qu'il y a parfois des abus mais qu'à chaque fois qu'il y a eu un abus, je l'ai dénoncé, j'ai pris la parole, je l'ai même exprimé par des mots très durs à certains instants. Il faut bien comprendre que ces abus sont rares ; ils sont spectaculaires et choquants mais ce n'est rien à côté de l'écrasante majorité des comportements qui sont justes, qui sont bien plus souvent que vous n'avez l'air de le croire des comportements éthiques et responsables. Vous n'avez pas l'air de me croire, mais dans ce cas, pourquoi faudrait-il en ce moment se poser des questions pour aller très loin en matière de législation de rémunérations des dirigeants d'entreprises et ne pas aborder la question de la rémunération d'autres catégories de la population qui gagnent également beaucoup d'argent, et je dirai même beaucoup plus d'argent. On pourrait, par exemple, parler des footballeurs, mais je ne pense pas seulement à ceux-là. Il convient de reconnaître que nous -et cela vient de nous- avons fait un effort que ces catégories-là n'ont pas fait, un effort de transparence, un effort pour dire les choses. Et c'est pour cela aussi que nous sommes là ce matin et que nous sommes heureux d'être reçus par votre commission. Nous ne cachons rien.

Alors, les entreprises sont-elles citoyennes en ce moment, Monsieur le sénateur ? Il est possible que l'on trouve des comportements divers... Il y a au total 1,2 million d'entreprises en France ayant des salariés. Sur 1,2 million, on peut certainement trouver des cas où les comportements ne sont pas irréprochables. Mais est-ce le cas globalement ? Je crois au contraire que les chefs d'entreprise en bavent en ce moment plus que jamais et se demandent comment garder leurs savoir-faire, c'est-à-dire leurs salariés, dans leurs entreprises ; ils font tout pour tenir bon alors qu'ils connaissent des difficultés de trésorerie et de fonds propres. Nous n'avons pas à rougir du comportement des entreprises françaises.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci, Madame la présidente. Quand vous dites « vous », certains ont peut-être des a priori, mais d'autres sont là pour être éclairés...

Mme Laurence PARISOT - Pardon de m'exprimer avec passion ; excusez-moi.

M. Jean-Jacques HYEST - Non, vous avez raison, un dialogue c'est aussi pouvoir permettre à chacun de convaincre, n'est-ce pas ? Alors, j'ai inscrit Madame Didier, Monsieur Frimat, Monsieur Brun et Madame Bricq.

Mme Evelyne DIDIER, sénatrice de la Meurthe-et-Moselle. - Merci, Monsieur le président. Madame la présidente, Messieurs, chers collègues, la question que je me pose concerne l'évaluation. Le contexte est le suivant : l'attitude du président directeur général de Total -oui, il faut bien que l'on en parle ce matin, ou alors nous sommes dans une aimable conversation de salon- avec l'indignation que cela provoque ; la responsabilité sociale des entreprises. C'est dans ce contexte-là que je pose ma question. Au fond, on est en train de rapporter ces comportements à des conduites individuelles. Au contraire, je me demande si l'on n'est pas plus dans un système. La notion de comportement renvoie à l'individu, je pense au contraire que l'on est plus dans un système qui génère un certain nombre de conduites. Je veux bien admettre que certains chefs d'entreprise « en bavent » comme vous venez de l'indiquer, mais c'est également le cas des salariés. Aujourd'hui, pouvez-vous m'indiquer si la destruction d'emplois est considérée comme un critère positif ou un critère négatif dans l'évaluation des rémunérations ? Je constate souvent que les cours de bourse augmentent lorsque l'on a détruit des emplois. Pouvez-vous m'expliquer votre position sur ce sujet ?

M. Jean-Jacques HYEST - Mes chers collègues, je vous propose d'énoncer l'ensemble de vos questions, cela permettra une réponse globale. Monsieur Frimat, vous avez la parole.

M. Bernard FRIMAT, sénateur du Nord - Merci, Monsieur le président. Madame la présidente, Monsieur le président, je vous ai écoutés avec beaucoup d'intérêt, en essayant d'opposer une passion sereine à ce que vous nous disiez. Nous ne sommes pas ici dans un tribunal populaire. Nous sommes les représentants du peuple siégeant au sein d'une commission du Sénat.

On connaît tous des situations particulières de gens parfaitement estimables ou parfaitement détestables dans tous les métiers. Mais ce qui me frappe, c'est que vous vous fondez sur la connaissance ; Monsieur Jean-Pierre Jouyet, quant à lui, nous a parlé de la transparence. Or, si je vous écoute, de la connaissance publique jaillit la vertu. Voilà, en gros, votre propos, pour le résumer d'une manière que j'espère non-caricaturale : parce que l'on va savoir, tout va devenir vertueux. C'est une version « conte de fées » ! Ne pensez-vous pas qu'il faille aller plus loin que cela ? Quand vous avez des mots forts envers des dirigeants dont vous condamnez avec une très grande fermeté l'attitude, et quand la sanction est de leur demander de se regarder dans la glace, ne pensez-vous pas qu'ils peuvent quand même vivre très heureux en ayant eu l'image d'une sanction relativement légère ? Aussi, si l'on peut admettre qu'un certain nombre de choses ne se passent pas parce qu'on les a mises en lumière et que l'on n'a plus de tels comportements quand ils ont été rendus publics, c'est bien parce qu'il y a eu un certain nombre de situations tout à fait exorbitantes, qui ont soulevé une indignation populaire. Il faut regarder les choses avec la vérité de la vie quotidienne. Pour toute une série de gens, nous sommes dans un autre monde et les sommes mises en jeu ne sont même pas des sommes imaginables, qui peuvent être traduites dans la réalité. C'est peut-être plus difficile pour d'autres que pour vous, Madame, admettez-le. Ma question est donc : ne pensez-vous pas que vous n'abordez qu'une facette des problèmes et qu'une fois que vous avez prôné la transparence et la vertu, si le vice arrive à s'insinuer, vous n'en êtes plus à ce moment-là que spectateur ?

Par ailleurs, vous liez l'attribution d'une rémunération élevée au risque. Mais comment se définit une rémunération élevée ? Je sais bien que si on reprend les théories de l'optimum de Pareto, on ne peut pas faire la différence entre le sommet d'une taupinière et l'Himalaya, puisque dans les deux cas, c'est un optimum. Mais que veut dire une « rémunération élevée » ? Qu'est-ce qu'une rémunération élevée pour quelqu'un qui est au RMI ? Qu'est-ce qu'une rémunération élevée pour un parlementaire ? Qu'est-ce qu'une rémunération élevée pour un footballeur de Chelsea ? Ces termes n'ont pas de sens. Dès lors, la définition d'une rémunération maximale vous mettrait-elle dans un état de fureur tel que nous n'aurions plus qu'une solution, celle de quitter la salle rapidement ?

M. Jean-Jacques HYEST - Monsieur Brun, vous vouliez la parole ?

M. Elie BRUN - Oui. Madame la présidente, en préambule, vous avez dit à très juste titre que vous étiez la présidente du Mouvement des entreprises de France. Je crois que c'est un joli terme. Vous avez, comme Pagnol, fait d'une trilogie la règle de conduite de votre mouvement. Vous avez parlé de rémunération, de prise de risque et de performance. Ce sont ces trois thèmes qui devraient être la règle d'or du fonctionnement de votre mouvement : je crois que c'est bien. J'ai été, pendant 25 ans de ma vie, en tant qu'expert-comptable et fiscaliste, le conseil de beaucoup d'entreprises membres de votre mouvement. Or, aujourd'hui, je crois que nous confondons un peu tout, les uns et les autres, lorsque nous parlons de la rémunération des dirigeants et de ses scandales - par exemple, comme l'a dit très justement Madame Didier, le cas du président de Total. Mais il ne s'agit que de la face visible de l'iceberg et le Mouvement des entreprises de France, ce n'est pas cela. Quand on vit en province comme conseil d'entreprises, on se rend bien compte que souvent, on a affaire à des patrons qui sont les derniers à se payer à la fin du mois parce qu'ils payent d'abord leurs ouvriers, leurs employés. Aujourd'hui, nous ne parlons que de mandataires sociaux, c'est-à-dire ces « brillants patrons » -je mets des guillemets- sortis des grandes écoles -je n'ai rien contre- qui se retrouvent mandataires sociaux d'une société X puis d'une société Y, pour lesquels la vie continue comme un long fleuve tranquille. C'est à cette catégorie de patrons que profitent les parachutes dorés, véritablement honteux dans la période que nous vivons. Or, à côté de cela, vous avez des milliers et des milliers de chefs d'entreprises qui doivent souffrir autant que nous et autant que vous de ce très mauvais exemple donné par quelques-uns. Je crois que, comme chacun d'entre nous, dans les cercles dans lesquels nous vivons, comme le dit l'Evangile, quand la brebis s'est égarée, soit elle rentre au bercail, soit on l'élimine. Et je crois que vous devriez, plus que des recommandations, et au travers du code d'éthique de votre mouvement, faire en sorte que ces dirigeants -qui ne sont pas véritablement des « patrons » et qui n'engagent pas souvent leur argent dans la société- n'écornent pas l'image de votre Mouvement, car le Mouvement des entreprises de France, c'est bien autre chose. Voilà la remarque que j'ai à faire sur votre Mouvement, Madame la présidente, sans porter de jugement de valeur, bien au contraire.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci, Monsieur Brun. Si je puis me permettre, la comparaison avec la parabole du bon pasteur n'est pas très bonne... Par contre, dans l'Evangile, on sépare les brebis des boucs, c'est autre chose.

Mme Nicole BRICQ - C'est moral, ça, c'est moral...

M. Jean-Jacques HYEST - Ça fait partie de la culture, Madame Bricq.

M. Elie BRUN - Si vous alliez à l'Eglise de temps en temps, vous auriez écouté cette parabole de l'Evangile. Mais voilà, on n'est pas obligé de tous y aller.

Mme Nicole BRICQ - On peut lire.

M. Jean-Jacques HYEST - On peut lire, cela fait partie de la culture, c'est ce que j'ai dit. J'aurais pu citer le Coran aussi, si vous voulez. Madame Bricq, vous avez désormais la parole.

Mme Nicole BRICQ - Oui, merci Monsieur le président, je ne suis pas très disciplinée, je le reconnais et cela fait partie de mes charmes ! Madame la présidente, je suis d'accord avec vous quand vous dites que les dirigeants qui font de vilaines actions cachent toute une série d'autres dirigeants qui font effectivement très bien leur travail. Nous le savons, et Monsieur Brun a raison quand il parle de ceux qui ont du mal à se payer à la fin du mois, ils sont nombreux et on les connaît. Mais le problème est que les médias montent en épingle ces cas et que c'est déflagrateur vis-à-vis de l'opinion. Evidemment, ça entraîne une perte de confiance dans toutes les autorités, qu'elles soient patronales ou syndicales ou qu'il s'agisse de la représentation nationale. C'est pour cela que nous tenons à l'outil législatif. Il y a des pays qui n'ont pas attendu la crise, des pays par ailleurs très libéraux, qui ont pris des mesures concernant les rémunérations des dirigeants et des cadres supérieurs - des pays européens. Je ne pense pas uniquement aux Etats-Unis ; j'ai cité l'exemple, à l'occasion de notre proposition de loi, des Pays-Bas, qui ont légiféré avant même la déflagration de la crise financière, c'était en septembre 2007, je crois.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci, Madame Bricq. Dernier intervenant, Monsieur Fourcade.

M. Jean-Pierre FOURCADE - Merci, Monsieur le président. Après ce débat, je formulerais trois observations. Première observation : nous ne sommes pas un tribunal, par conséquent ce n'est pas la peine de se lancer des anathèmes dans tous les sens. Moi, je ne suis pas partisan d'une législation sur les rémunérations. Je crois qu'il faut que l'Etat mette de l'ordre dans les rémunérations qu'il verse à l'ensemble de ses fonctionnaires, ce qui n'est pas fait et par conséquent je crois qu'il faut commencer par ces choses : je pense aux primes, aux retraites, à beaucoup de choses - en ce moment, nous discutons de l'outre-mer avec les problèmes connus de la surrémunération des fonctionnaires. Je pense qu'il n'est pas la peine de légiférer sur les rémunérations, à condition, Madame la présidente, que les recommandations très précises établies par le comité d'éthique du MEDEF avec l'AFEP, soient suivies d'effets. Il faudra que les rapports nous disent si c'est suivi d'effets ou non, et notamment si on arrive à cette distinction essentielle entre le rôle du mandataire social et le rôle de salarié. J'ai été mandataire social d'une entreprise, donc je sais de quoi je parle ; par conséquent, je pense que l'on peut y arriver.

Deuxième observation : Monsieur Folz a dit tout à l'heure - et il avait raison- qu'il ne faut pas que l'assemblée générale des actionnaires soit juge de l'ensemble des rémunérations ; il y a un conseil d'administration qui est là pour ça, je suis d'accord avec lui. Mais je voudrais lui poser une question : est-ce que l'institution - à laquelle certain d'entre nous ont beaucoup cru il y a quelques années mais qui est un peu en train, à mon avis, de tomber en quenouille - des administrateurs indépendants a donné des résultats dans ce genre de discussion ? C'est un point de fond. Je voudrais savoir si dans un conseil d'administration, le fait d'avoir des administrateurs classiques, des administrateurs indépendants et des représentants des salariés permet d'avoir un jugement efficace sur la question des rémunérations.

Enfin, troisième point : il est clair que dans la civilisation dans laquelle nous sommes, nous ne devons pas oublier la mondialisation. Par conséquent, l'objectif que nous devons tous poursuivre, aussi bien le MEDEF que les pouvoirs publics, est d'éviter que des réglementations particulières soient un frein à l'attractivité et à la compétitivité des entreprises. J'attacherai donc beaucoup de prix, Monsieur le président du comité d'éthique, à savoir ce qu'il se passe en Allemagne, en Grande-Bretagne, et dans les autres pays européens pour éviter que nous soyons trop gênants par rapport aux règles de la compétition internationale.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci. Madame la présidente, vous avez la parole.

Mme Laurence PARISOT - Je vais essayer de faire une synthèse dans ma réponse, puis je pense que Jean-Martin Folz complétera. Je vais aller directement au but : faut-il fixer une rémunération plafond ? Mais alors, comment fixer ce plafond et qui le fixe ? Oui, on fixe déjà une rémunération à l'intérieur de l'entreprise, mais ce que proposait Monsieur le Sénateur Frimat, c'était autre chose. D'abord, on ne fixe jamais un plafond pour un salarié, au contraire, on n'espère qu'une chose : qu'il y ait une croissance régulière de sa carrière et de la rémunération générale. Mais si nous admettons ce plafond, la question est : qui le fixe, et selon quels critères on fixe ce plafond ? Troisième chose, nous ne sommes pas dans un monde fermé ; nous sommes dans un monde ouvert. Si vous considérez que telle ou telle rémunération est trop élevée en France - peut-être que parfois vous n'avez pas tort et, sur certaines choses je pourrais franchement vous rejoindre, personnellement - je tiens à vous rassurer par rapport au monde qui nous entoure : même aux Etats-Unis où l'on croit que les choses sont en train de changer, cette nuit, la rémunération annuelle du président de la Walt Disney Company a été maintenue à 30 millions de dollars par an. Nous ne sommes pas dans ces ordres de grandeur en France. Mais la question du plafond est surtout : qui, et selon quels critères ?

Je reviens aussi à ce que vous disiez, Monsieur le sénateur, sur le fait que vous aviez l'air de penser que j'étais dans un conte de fées : franchement, au bout de trois ans et quelques mois de présidence du MEDEF, je sais bien que ce n'est pas le cas. Mais par contre ce que je sais, et je le dis devant la représentation nationale, c'est le poids de la démocratie. La démocratie, c'est la transparence, c'est l'information accessible, c'est le fait que les choses soient non seulement libres mais connues. Et moi je crois que, non pas par miracle, mais que plus les choses sont connues, plus on a de chance de converger vers quelque chose qui est normal, acceptable, juste. Cela n'empêchera jamais les abus - je ne suis pas naïve, je ne suis pas angélique. Cela n'empêchera jamais d'une manière certaine les abus, mais par contre, ça les identifiera immédiatement. On dira clairement : « Ça, c'est complètement hors du champ de ce qui est normal et acceptable. » Je pense qu'il faut faire attention à ne pas considérer que ces hommes et ces femmes dirigeants sont dans le vice -on a tout à l'heure parlé de la vertu comme si eux étaient dans le vice. Il faut quand même faire attention. Il y en a certainement qui se comportent mal ; mais rencontrez-les individuellement, parlez-leur. Ce sont des gens exceptionnels. Il me semblait qu'il y avait au Sénat -je ne sais pas si cela existe encore- des stages en entreprises. Il faudrait que l'on fasse des stages en conseils d'administration. C'est quelque chose que je ne connaissais pas moi-même il y a quelques années : j'étais présidente de mon entreprise mais cela fait peu de temps que je sais ce que c'est qu'être dans un conseil d'administration d'une entreprise cotée. Je peux vous dire que ce n'est pas facile.

Les entreprises sont-elles socialement responsables aujourd'hui en France ? Il y a des degrés, certaines le sont plus que d'autres, certaines vont plus loin que d'autres. Il y a surtout des schémas très différents. Parlons de Total : je ne connais pas tout de Total, loin de là, mais je sais que Total est l'une des entreprises modèles dans l'engagement en faveur de la diversité. C'est un engagement que je trouve tout à fait important, notamment en période de crise, parce que je peux vous dire que la xénophobie est ce qui revient le plus vite dans des périodes difficiles comme celle que nous traversons. De ce point de vue, Total fait des choses exceptionnelles et remarquables. Et puisque vous parlez de ce qu'il se passe depuis hier, je ne connais pas personnellement le dossier mais j'ai simplement entendu une chose : il n'y aura aucun licenciement. Il y a une procédure de restructuration pour faire face à l'évolution du marché, mais il n'y a aucune destruction d'emploi. Et donc il y a bien, par la première des entreprises françaises, dans la situation actuelle, une vigilance et surtout le souhait de toujours préserver l'avenir et de rester dans une logique d'investissement. Il faut comprendre une chose dans la vie d'une entreprise, c'est qu'il n'y a pas de position neutre : soit l'entreprise avance et gagne, soit elle meurt. Voilà ce que je voulais dire sur les différents points que vous avez soulevés, mais peut-être que Jean-Martin Folz a des éléments à rajouter.

M. Jean-Martin FOLZ - Ce sont des points de détail pour répondre aux sénateurs qui nous ont interrogés sur des points précis.

A Madame Didier, je dirai qu'aucun objectif en matière de rémunération variable, aucun objectif en matière de critères de performance ne peut comporter des critères de suppression d'emplois. Bien entendu non, jamais ! Ces critères sont publics, ils figurent dans nos rapports annuels, ils n'ont rien à voir avec la destruction de l'emploi, je vous l'assure.

Pour répondre à Monsieur Frimat : vous disiez, Monsieur le Sénateur, que la seule transparence consistait pour les dirigeants à se regarder dans la glace, à peut-être ne pas se trouver beau mais finalement arriver à le surmonter : ce n'est pas cela, la transparence. La transparence, c'est lorsque tout le monde les regarde. Les assemblées générales ont vocation à censurer et sanctionner les dirigeants qui se comportent mal, et cela arrive. L'opinion publique est un censeur encore beaucoup plus fort. Et je dirais qu'un dirigeant d'entreprise n'a pas le souci de lui-même mais le souci de son entreprise. Il voit bien à quel point un comportement personnel erratique peut être négatif pour l'entreprise, et c'est probablement un autre des garde-fous important.

Monsieur Brun, je comprends ce que vous dites sur le fait que les dirigeants sortis de grandes écoles, devenus cadre d'une entreprise et ayant progressé n'ont pas le même engagement financier qu'un patron de PME. C'est vrai. Mais ce que nous souhaitons dans notre code, c'est précisément de contraindre les dirigeants d'entreprise à investir en actions de leur société une partie très significative et croissante dans le temps du produit des plans d'options et d'actions de performance dont ils bénéficient. Ceci est écrit noir sur blanc de manière particulièrement précise dans notre code et cela n'existe pas dans les autres pays européens.

A Madame Bricq, je dirai deux choses. Je n'ai pas répondu à votre première remarque sur le comité de Place. Le comité de Place a proposé des recommandations sur la rémunération des traders du monde financier. Cela n'a rien à voir avec les dirigeants d'entreprise, mais les recommandations, vous le savez, sont destinées à des populations de plusieurs milliers de personnes, qui sont des cadres qui ont des rémunérations variables liées au comportement quotidien et dans lesquelles le souci est d'éviter que ces rémunérations induisent des comportements à risque. Il ne s'agit pas de dirigeants d'entreprise, même si la recommandation peut s'appliquer à l'égard des personnes qui, sur la place financière, sont rémunérées par des rémunérations variables. Vous avez parlé en second lieu des pratiques législatives d'autres pays. Je ne crois pas qu'il y ait des réglementations sur les rémunérations. Il y a, et c'est le cas des Pays-Bas, des dispositions fiscales. Les Pays-Bas ont décidé que les rémunérations dépassant un certain seuil feraient l'objet d'une taxe complémentaire supportée par l'entreprise. Il ne s'agit pas d'une limitation des rémunérations, les conseils d'administration fixant les rémunérations comme ils le souhaitent. En matière de taxation des hautes rémunérations et des options d'actions, nous sommes en France vraiment des champions. Je crois que l'on n'a rien à envier à la réglementation de l'ensemble des pays européens. Je vous invite à les regarder. Les assemblées parlementaires ont su, sur ce point, faire preuve d'une énergie régulière tout à fait appréciable.

Enfin, Monsieur Fourcade, Monsieur le ministre, je vous dirais que les administrateurs indépendants sont vraiment une réussite. Nous avons maintenant des administrateurs indépendants dans tous les conseils d'administration, nous avons des critères d'indépendance dans le code AFEP-MEDEF qui sont les plus rigoureux des pays européens, car nous excluons des administrateurs avec beaucoup plus de fermeté que dans d'autres pays. Nous demandons que ces administrateurs représentent la moitié des administrateurs dans les sociétés non contrôlées et la majorité des membres des comités de rémunérations. Les comités de rémunérations que je connais sont tous présidés par un administrateur indépendant. Et ce que je peux vous dire, c'est que ces comités font effectivement leur travail. Ils le font avec le sens de l'intérêt de l'entreprise, de l'intérêt des salariés de l'entreprise. Vous verrez du reste explicitement dans nos recommandations la volonté de prendre en considération des principes de mesure et d'intérêt global de l'ensemble de l'entreprise, mais aussi des considérations de marchés et d'opportunité. Je crois que ce que vous verrez dans les trimestres et les années qui viennent en matière de fixation des rémunérations des dirigeants vous montrera que les conseils d'administration font leur travail et que les comités de rémunération, avec leurs majorités d'administrateurs indépendants, sont bien conscients de leurs responsabilités.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci Madame la présidente, Messieurs les présidents, de votre participation et de vos travaux qui, j'en suis sûr, permettront d'éclairer nos collègues et la représentation nationale, à travers nous.

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