B. OFFRIR LE MEILLEUR SERVICE AU MEILLEUR COÛT

1. Vers des services plus performants et plus efficaces

a) Les réussites incontestables de la décentralisation

L'un des objectifs de la décentralisation est de renforcer l'efficacité de l'action publique tout en en maîtrisant le coût , afin de satisfaire au mieux l'intérêt public local et les attentes des usagers-citoyens-contribuables.

La mission tient à souligner, comme cela lui a été fréquemment signalé, que les collectivités territoriales ont très positivement répondu à cette ambition : en s'emparant de leurs prérogatives, elles ont apporté une contribution concrète, dans de nombreux domaines, à l'amélioration de la vie quotidienne de nos concitoyens ; les initiatives qu'elles ont engagées depuis plus de vingt-cinq ans ont permis d'assurer, au meilleur coût, des services publics de qualité, là où l'Etat avait parfois tardé à agir.

L'action des départements et des régions en faveur des collèges et des lycées est à cet égard significative : depuis le transfert, par les premières lois de décentralisation, du parc immobilier scolaire - souvent dans un état médiocre -, les collectivités ont investi massivement pour répondre aux besoins de rénovation, de mise aux normes de sécurité, d'équipement et de construction d'établissements d'enseignement : en vingt ans, la surface cadastrale a augmenté de près de 28 % pour les surfaces bâties au sol, permettant de répondre à l'accroissement du nombre d'élèves.

On peut aussi penser aux transports ferroviaires de voyageurs, dont le transfert aux régions a sans doute permis le maintien de lignes qui auraient pu être délaissées dans le cadre d'une gestion nationale, tout en améliorant notablement la qualité du service rendu.

D'une façon plus générale, M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales, a reconnu, lors de son audition, que la décentralisation a favorisé l'émergence d'une gestion locale performante , la remise à niveau des services publics locaux ou encore des progrès en matière de qualité de vie .

b) Une exigence renouvelée d'efficience de la dépense locale


• Reste que les surcoûts et le manque d'efficacité qui seraient liés à la complexité de notre « millefeuille » territorial sont les principales des critiques adressées à notre système d'administration territoriale.

Dans un rapport sur les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, M. Pierre Richard relevait ainsi que le « foisonnement d'instances locales (...) constitue une grande richesse démocratique et autant d'engagements individuels à saluer », mais qu' « il est toutefois légitime de s'interroger sur le coût financier de cette structure institutionnelle et sur ses conséquences en termes d'efficacité de l'action publique. » 49 ( * )

En janvier 2008, la commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali, préconisait, pour sa part, la disparition des départements à un horizon de dix ans, estimant que « la décentralisation est devenue un facteur de confusion, tant les compétences partagées sont nombreuses et paralysantes, et génératrices de coûts supplémentaires, notamment de fonctionnement. »

La mission note, toutefois, que ce « surcoût » éventuel n'a, pour l'heure, fait l'objet d'aucune évaluation précise .

Ainsi, la commission sur la dette publique, présidée par M. Michel Pébereau, déplorait en 2005 l'absence de données consolidées permettant, d'une part, « de connaître les économies de dépenses de fonctionnement que la décentralisation a permis de réaliser au niveau des services de l'Etat » et d'apprécier, d'autre part, « si les compétences transférées depuis vingt ans justifient l'accroissement constant des dépenses de fonctionnement et notamment des effectifs. » 50 ( * )

C'est pourquoi il peut sembler en grande partie illusoire d'attendre des économies substantielles d'une réforme de notre organisation territoriale, et notamment de la suppression d'un échelon .

Rappelons que l'essentiel des dépenses des collectivités territoriales porte sur l'exercice de leurs compétences propres, les charges de services généraux ne représentant qu'entre 5 et 9 % de leurs budgets.

En outre, les solutions prônant une simplification - parfois radicale - de notre paysage institutionnel local ne vont pas sans susciter de vifs débats ou soulever des appréhensions légitimes. Certaines pourraient conduire, au final, à poser plus de difficultés qu'elles n'en règleraient. Par ailleurs, les économies qu'elles permettraient de réaliser ne sont pas démontrées : selon une étude réalisée à la demande de l'Assemblée des départements de France 51 ( * ) , les gains financiers qui résulteraient d'une fusion entre départements et régions seraient peu significatifs à long terme ; une telle fusion pourrait même se traduire par des surcoûts induits à court terme (effets d'alignement structurel notamment).


• Pour autant, comme cela a pu être relevé devant la mission, la réforme de notre organisation territoriale ne pourrait faire l'impasse sur un objectif de performance , ne serait-ce que pour « faire mieux avec les moyens existants » et redonner des marges de manoeuvre aux collectivités territoriales.

Le poids des administrations locales 52 ( * ) dans la dépense publique le justifie : leur niveau global de dépenses a plus que quadruplé depuis 1982, passant de 48,6 milliards d'euros à 212,2 milliards d'euros en 2007, et leur part dans le produit intérieur brut passant ainsi de 8,5 % à 11,2 % ; en outre, la fonction publique territoriale représente près du tiers des emplois publics.

De plus, la complexité de notre gouvernance territoriale, les redondances et l'enchevêtrement des interventions et des financements qui en résultent, entre les collectivités d'une part et entre celles-ci et l'Etat, d'autre part, apparaissent clairement comme un facteur de lenteur de la prise de décision publique . Le temps et l'énergie perdus dans l'instruction successive des dossiers par les parties prenantes à un projet, y compris lorsque leur participation est résiduelle, sont, de l'avis de vos rapporteurs et de nombre d'intervenants, sources de lourdeur et d'un manque de réactivité de la puissance publique.


• Cependant, d 'importants efforts de mutualisation et de rationalisation ont été engagés par les collectivités territoriales . La réalisation d' économies d'échelle a ainsi été l'un des enjeux du développement de la coopération intercommunale , qui a montré la capacité des communes à mutualiser leurs moyens pour améliorer la qualité du service rendu aux citoyens et répondre aux nouveaux besoins .

Dans le domaine scolaire, par exemple, la mise en place de regroupements pédagogiques intercommunaux a permis de mutualiser l'offre d'enseignement et de proposer aux familles des services périscolaires qui n'auraient pas pu exister, bien souvent, dans le seul cadre communal.

Or, pour certains, cet enjeu n'a encore été que partiellement atteint , appelant une poursuite de l'intégration intercommunale.

En 2005, la Cour des comptes relevait ainsi, dans un rapport sur l'intercommunalité, que l'amélioration qualitative et quantitative du service rendu aux usagers sur les territoires concernés s'accompagne en général d' « une augmentation des coûts qui rend moins perceptibles les économies d'échelle obtenues par la mutualisation des services au plan communautaire quand celle-ci a vraiment lieu. » 53 ( * ) De même, pour notre collègue Alain Lambert : « les communes n'ont pas tiré toutes les conséquences de leur engagement. Leurs dépenses continuent d'augmenter alors que celles des EPCI explosent. Ces dernières correspondent (...) d'une part à un effet de rattrapage, dans le domaine de l'environnement surtout (déchets, assainissement) où les contraintes législatives et réglementaires ont augmenté et, d'autre part, à de nouveaux services rendus (développement économique, transports collectifs, équipements culturels et sportifs notamment). La satisfaction des demandes de services des « rurbains » est un élément nouveau qui pèse sur les communes rurales. Mais ces dépenses correspondent aussi à des recrutements de personnels opérés en lieu et place de transferts de personnels communaux, pourtant recommandés et autorisés. » 54 ( * )

D'après les données publiées par l'Observatoire des finances locales dans son rapport pour 2008, les effectifs des groupements de communes sont passés de 131 088 agents en 2000 à 215 543 en 2006, soit une hausse de 64 %, tandis que ceux des communes augmentaient de 3 % 55 ( * ) . Rappelons que les intercommunalités assurent un quart de la dépense du secteur communal ; leur part dans les dépenses totales des collectivités est passée de 5 à 15 % de 1993 à 2005, tandis que celle des communes reculait de 57 % à 45 %.


• Enfin, si, comme l'a souligné M. Jean-Bernard Auby lors de son audition, l'action commune est de l'essence de l'action publique locale, la recherche d'une plus grande articulation entre les différents niveaux de collectivités publiques et la clarification de l'exercice des compétences restent une préoccupation constante.

Certes, des outils ont été mis en place en ce sens, comme les syndicats mixtes ou les établissements publics de coopération culturelle, créés en 2002 afin d'organiser le partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales, ou seulement entre ces dernières, pour la gestion d'équipements structurants. Toutefois, le défaut de coordination territoriale a été a plusieurs reprises mentionné devant votre mission y compris par ses membres, par exemple dans le domaine de la politique des transports intérieurs : dans certains espaces suprarégionaux voire dans certaines régions, il en résulte des dysfonctionnements préjudiciables aux usagers (hétérogénéité tarifaire, problèmes d'interopérabilité...).

Ainsi, passer d'une logique de concurrence des initiatives à une logique de complémentarité reste un enjeu essentiel pour améliorer l'efficacité du service rendu aux usagers et l'efficience de la dépense publique.

2. La satisfaction de nouveaux besoins

La recherche d'une plus grande efficacité de l'action publique constitue le premier objectif de la décentralisation. La poursuite de cet objectif comporte plusieurs voies : l'action de proximité, l'adaptation des politiques publiques au contexte local ; elle se matérialise également dans la satisfaction de nouveaux besoins exprimés par les administrés.

Ainsi, l'action des collectivités territoriales dans le domaine de l'enseignement illustre parfaitement les effets bénéfiques d'une action de proximité pour la localisation, la construction et l'entretien des bâtiments scolaires.

Mais les collectivités territoriales jouent également un rôle primordial dans la prise en charge des nouveaux besoins exprimés par les usagers. La satisfaction de ces demandes est d'ailleurs prioritairement assurée par les instances locales, le législateur les considérant comme l'échelon le plus apte à exercer ces compétences, ainsi que le démontre l'examen de la politique d'action sociale . Deux exemples permettent de souligner plus particulièrement cette action : les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et la gestion du revenu de solidarité active (RSA).


• Créées depuis le 1 er janvier 2006, les MDPH constituent un pilier essentiel de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

L'évaluation de l'activité des MDPH, réalisée par la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en octobre 2008, souligne que la création de ces structures a constitué une étape décisive dans la prise en charge des besoins des personnes handicapées à trois niveaux : la constitution d'équipes pluridisciplinaires d'évaluation, le regroupement des services dans des locaux communs et le tissage de partenariats à la fois politiques et techniques.

La CNSA estime que la constitution de ces structures se traduit par « un changement de regard » sur la situation et les modalités de prise en charge des personnes handicapées et souligne que la réflexion conduite sur le rôle des MDPH s'est traduite par la recherche d'un fonctionnement optimum de ces structures à partir des attentes exprimées à l'égard d'un service public moderne.

Dès leur deuxième année de fonctionnement, ces structures ont développé des accueils secondaires afin de favoriser l'accès des personnes handicapées sur l'ensemble du département. Ce souci d'accessibilité s'est également concrétisé par des permanences en langue des signes française et l'édiction de documents en braille. Ces innovations constituent des améliorations évidentes en comparaison du service d'accueil des Cotorep, dans un domaine où les associations de personnes handicapées exprimaient les attentes les plus fortes.

En contrepoint de cette amélioration du service, il convient de souligner qu'outre les mises à disposition des personnels de l'Etat, les MDPH ont recruté un grand nombre d'agents pour faire face aux missions qui leurs sont confiées et que le nombre d'agents affectés à ces missions a globalement augmenté de 50 % dès les deux premières années d'installation. C'est au sein des équipes pluridisciplinaires chargées d'apprécier la situation des personnes handicapées que la croissance des effectifs a été la plus forte.

La structuration des MDPH a permis l'amélioration du fonctionnement des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Un sentiment d'écrasement devant les tâches à accomplir avait envahi les membres de ces commissions avant 2006, notamment en raison de l'accumulation de dossiers non traités. Les rapports d'activités remis par les départements à la CNSA font apparaître une amélioration notoire de la situation en raison d'une meilleure organisation des travaux de la CDAPH (la majorité des départements organisent des réunions tous les 15 jours) qui permet une meilleure gestion du flux d'instruction des dossiers. Cette évolution favorise une prise en charge individualisée des dossiers.

La mise en oeuvre des MDPH s'est accompagnée de la prise en charge de la prestation de compensation du handicap (PCH) par les collectivités territoriales et le développement d'une politique d'insertion spécifique aux personnes handicapées qui fait l'objet de partenariats locaux au sein des plans départementaux d'insertion des travailleurs handicapés.

Créée le 1er janvier 2006, la PCH est une aide destinée à financer les besoins liés à la perte d'autonomie des personnes handicapées. Elle peut être affectée à la prise en charge des besoins d'aides humaines et techniques, d'aménagements du logement ou du véhicule de la personne handicapée. Cette prestation est attribuée par la CDAPH et versée par les conseils généraux.

Cette compétence en matière d'insertion des personnes handicapées permet de faire le lien avec d'autres actions menées par le département pour développer des politiques solidaires de proximité.


• La loi du 18 décembre 2003, qui a transféré l'intégralité de la mise en oeuvre du revenu minimum d'insertion (RMI) aux départements, a été complétée par la loi du 18 janvier 2005 créant le revenu minimum d'activité. La loi du 1 er décembre 2008 sur le revenu de solidarité active confirme le rôle prépondérant des conseils généraux dans les politiques d'insertion en leur accordant un rôle pivot dans la gestion du RSA . Leurs présidents seront compétents pour l'ensemble des décisions individuelles (attribution, suspension, radiation) mais surtout, ils auront la charge d'orienter chaque bénéficiaire tenu aux obligations de recherche d'emploi soit vers le Pôle emploi, soit vers une prise en charge sociale préalable à la reprise d'une activité professionnelle. Enfin, le président du conseil général centralise les informations susceptibles de permettre la lutte contre les abus et les fraudes à l'égard des bénéficiaires qui ne respectent pas leur obligation de rejoindre un organisme d'insertion professionnelle.

L'octroi de la gestion du RSA à cette collectivité territoriale constitue une reconnaissance de sa capacité à gérer efficacement une prestation sociale nécessitant un suivi individualisé des dossiers, notamment le volet insertion. Cette prestation s'adresse à environ 3,5 millions de bénéficiaires, auxquels il convient d'ajouter les 1,1 million de bénéficiaires de l'APA et les 50.000 personnes bénéficiant de la PCH, soit 4,6 millions de personnes dont les dossiers font l'objet d'un suivi individuel des conseils généraux.

Ces exemples soulignent l'importance et l'intérêt que les prestations sociales nécessitant le suivi le plus fin et le plus individualisé (personnes handicapées, personnes âgées dépendantes, lutte contre la pauvreté mais aussi aide sociale à l'enfance) soient désormais gérées par les conseils généraux . Ce rôle devrait encore s'accroître dans les années à venir en raison du vieillissement de la population et de la nécessité d'assurer une prise en charge plus importante des personnes en situation de dépendance.

Mais les collectivités territoriales assurent également la prise en charge de nouveaux besoins au-delà des compétences que leur accorde la loi. C'est le cas par exemple en matière de démographie médicale, domaine dans lequel leur action vient palier la défaillance de l'Etat et des partenaires conventionnels (sécurité sociale et syndicats médicaux) chargés d'assurer une répartition homogène de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire.

En effet, sous l'effet de la crise de la démographie médicale, certaines zones du territoire souffrent d'un déficit de personnel médical et paramédical. Bien que la santé soit une compétence de l'Etat, les collectivités locales jouent d'ores et déjà un rôle majeur pour favoriser le maintien ou l'installation des médecins sur le territoire depuis que la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a mis de nombreux outils à leur disposition pour développer cette politique, notamment en leur permettant de verser des aides financières aux professionnels de santé (bourses destinées aux étudiants en médecine, aide à l'installation ou au fonctionnement d'un cabinet libéral).

* 49 « Solidarité et performance. Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales », rapport précité.

* 50 « Rompre avec la facilité de la dette publique. Pour des finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale » - Rapport de la commission présidée par M. Michel Pébereau au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Décembre 2005.

* 51 Note relative aux enjeux d'une éventuelle fusion Départements-Régions, réalisée par le cabinet KPMG -ABCD et publiée sur le site Les Echos le 6 février 2009.

* 52 Les administrations publiques locales (APUL) regroupent, au sens de l'INSEE, les collectivités territoriales et les organismes divers d'administration locale, tels que les établissements publics locaux, des associations financées par les collectivités, les organismes consulaires, les caisses des écoles ou centres communaux d'action sociale, etc.

* 53 « L'intercommunalité en France » - Rapport de la Cour des Comptes - Novembre 2005.

* 54 Rapport précité.

* 55 Les effectifs des communes s'établissent ainsi à 1 106 851 agents au 31 décembre 2006, soit près de 60 % de l'ensemble des effectifs de la fonction publique territoriale.

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