Rapport d'information n° 178 (2008-2009) de MM. Josselin de ROHAN , Didier BOULAUD , Christian CAMBON , Jean-Louis CARRÈRE , Robert del PICCHIA , Mme Michelle DEMESSINE , MM. André TRILLARD et André VANTOMME , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 23 janvier 2009

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N° 178

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 janvier 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur les opérations extérieures sous le contrôle du Parlement ,

Par MM. Josselin de ROHAN, Didier BOULAUD, Christian CAMBON, Jean-Louis CARRÈRE, Robert del PICCHIA, Mme Michelle DEMESSINE, MM. André TRILLARD et André VANTOMME,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Hubert Haenel, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Jean-Luc Mélenchon, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article 35 de la Constitution 1 ( * ) , le Gouvernement fera une déclaration à l'Assemblée nationale et au Sénat, suivie d'un débat et d'un vote, sur la prolongation des opérations extérieures menées par la France sur quatre théâtres d'opérations, en Côte d'Ivoire, au Kosovo, au Liban, au Tchad et en République centrafricaine, le 28 janvier 2009. Un débat de même type avait déjà été organisé le 22 septembre 2008 sur l'engagement des troupes françaises en Afghanistan.

Au cours de l'année 2008, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est rendue en Côte d'Ivoire, en Afghanistan, au Liban, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine et, en 2009, au Tchad.

Ces déplacements poursuivaient un double objectif :

- le premier était d'informer la commission et le Sénat sur la pertinence politique et stratégique de nos engagements extérieurs et de contrôler l'adéquation des moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés ;

- le second était de manifester l'intérêt, l'attention et la considération de la représentation sénatoriale pour l'action menée par les soldats français au service de la paix internationale et de notre sécurité.

Ces missions, qui se sont voulues le plus opérationnel possible ont, à chaque fois, engagé deux membres sur une base paritaire majorité-opposition.

Côte d'Ivoire

Mme MichèLe Demessine (CRC)

M. Jacques Peyrat (UMP)

14-17 avril 2008

Afghanistan

M. Robert del Picchia (UMP)

M. Jean-Louis Carrère (SOC)

26 avril-2 mai 2008

Liban

M. Josselin de Rohan (UMP)

M. Gérard Roujas (SOC)

5-8 mai 2008

Bosnie-Herzégovine

M. Christian Cambon (UMP)

M. Didier Boulaud (SOC)

4-9 mai 2008

Kosovo

M. André Trillard (UMP)

M. Didier Boulaud (SOC)

12-15 octobre 2008

Tchad

M. Josselin de Rohan (UMP)

M. André Vantomme (SOC)

5-7 janvier 2009

Ces missions ont été préparées en étroite coordination avec le ministère des affaires étrangères et avec le ministère de la défense. En particulier, des briefings ont été systématiquement organisés avec le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées.

Les programmes de ces missions ont, à chaque fois, comporté un volet politique et un volet militaire. Dans chaque pays, des entretiens ont été ménagés avec les autorités de l'exécutif comme du pouvoir législatif avant de se rendre sur le terrain. Dans toute la mesure du possible, ces missions ont eu lieu à l'occasion de relèves en accompagnant les unités en VAM (Vol aérien militaire) et en partageant les conditions de vie des militaires sur le terrain.

En vue du débat du 28 janvier 2009, le présent rapport d'information a pour objet de mettre les informations et les réflexions recueillies sur le terrain à la disposition du Sénat et de disposer ainsi d'un éclairage sur la pertinence de la prolongation de nos opérations extérieures.

I. QUELS CRITÈRES POUR LES OPEX ET LEUR PROLONGATION ?

Membre fondateur de l'Union européenne, comptant parmi les premiers contributeurs en hommes et en contribution budgétaire de l'OTAN et membre permanent du Conseil de sécurité, la France a une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Cette responsabilité mondiale engage notre pays et justifie nos engagements. Pour autant, ceux-ci doivent être contrôlés et pleinement justifiés au regard des objectifs politiques et stratégiques définis et décidés par le Président de la République. Comme l'indique le Livre blanc « afin de respecter le principe de séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, les conditions et modalités opérationnelles d'engagement de nos forces resteront du seul ressort du chef de l'État et du Gouvernement ».

Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale a déterminé quatre zones critiques pour la France et l'Europe :

- « arc de crise » Mauritanie-Pakistan, où les intérêts français et européens peuvent être directement touchés par l'apparition de conflits ;

- Afrique sub-saharienne ;

- continent européen (stabilisation non achevée des Balkans et politique de puissance de la Russie vis-à-vis de l'étranger proche) ;

- Asie, avec impact possible pour l'Europe sous diverses formes (mise en jeu de la clause de défense collective en cas d'implication des Etats-Unis ; routes maritimes et approvisionnements stratégiques ; effets économiques et financiers).

Un premier élément d'appréciation se trouve donc naturellement dans la définition géographique des menaces.

Mais le Livre blanc a aussi appelé à une sélectivité dans nos engagements extérieurs , en retenant 7 principes directeurs (outre l'appréciation politique de la nécessité de l'action militaire, la nécessité d'une capacité d'engagement de niveau suffisant et une définition de l'opération dans l'espace et, si possible, dans le temps, avec une évaluation de son coût).

Engagement des forces armées à l'étranger :
sept principes directeurs

- Caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationale.

- Examen, préalable à l'usage de la force armée, des autres mesures possibles, sans préjudice de l'urgence tenant à la légitime défense ou à la responsabilité de protéger.

- Respect de la légalité internationale.

- Appréciation souveraine de l'autorité politique française, liberté d'action, et capacité d'évaluer la situation en permanence.

- Légitimité démocratique, impliquant la transparence des objectifs poursuivis et le soutien de la collectivité nationale, exprimé notamment par ses représentants au Parlement.

- Capacité d'engagement français d'un niveau suffisant, maîtrise nationale de l'emploi de nos forces et stratégie politique visant le règlement durable de la crise.

- Définition de l'engagement dans l'espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût.

Source : Livre blanc sur la défense et sécurité nationale

Ces critères ont récemment été précisés par le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, qui avait défini, le 13 juillet 2007, une « règle simple » : « chaque soldat français engagé en opération le sera de manière utile, au service d'une cause légitime, pour mettre en oeuvre une politique lisible ».

Lors de ses voeux aux armées, présentés depuis le camp du bataillon français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), le 6 janvier 2009, il a précisé cette règle en souhaitant que l'on puisse s'assurer :

- « que nos engagements correspondent bien à la défense de nos intérêts stratégiques,

- que la nature et le volume de nos contributions nous procurent bien l'effet de levier diplomatique et militaire escompté pour apporter une solution rapide à la résolution des crises dans lesquelles nous nous impliquons. »

Ces différents éléments d'analyse créent progressivement une jurisprudence de l'emploi de l'article 35 de la Constitution. Si l'application de celui-ci ne pose naturellement aucun problème pour les opérations nouvelles, la question se pose de déterminer quand et pourquoi le Gouvernement se doit de venir devant le Parlement afin de solliciter son autorisation pour prolonger l'intervention des forces françaises sur des théâtres d'opérations extérieures.

S'agissant de l'Afghanistan, de la Côte d'Ivoire, du Liban, du Kosovo ou du Tchad et de la République Centrafricaine, on peut constater que, dans ces différents exemples, des modifications du contexte sont intervenues :

- en Afghanistan, la décision prise par le Gouvernement de renforcer le contingent français de la FIAS justifie pleinement la consultation du Parlement ;

- en Côte d'Ivoire, alors même que les effectifs ont déjà été considérablement déflatés, la poursuite des négociations dans le cadre du processus de Ouagadougou et le report de l'élection présidentielle pourraient inciter à une réflexion sur le bon niveau des effectifs français dans ce pays ;

- au Liban, où notre pays est traditionnellement fortement impliqué, les récents événements à Gaza ont montré le rôle puissamment stabilisateur de la Finul ;

- s'agissant du Kosovo la stabilisation de ce pays, indépendant depuis le 17 février 2008, et le déploiement de la mission EULEX, permettent de s'interroger sur le maintien du format et de la participation française à la KFOR ;

- enfin, la fin programmée de l'opération Eufor-Tchad-RCA au 15 mars 2009 devrait naturellement entraîner un retrait de nos effectifs de la force internationale de l'ONU et pourrait se traduire, à l'inverse, par un renforcement du dispositif Epervier.

Avant d'aborder la question du coût et du surcoût des OPEX il convient de présenter un bilan global des engagements extérieurs de la France.

II. LES ENGAGEMENTS EXTÉRIEURS DE LA FRANCE

1. Les objectifs et contrats opérationnels fixés par le livre blanc et la loi de programmation militaire

Pour la fonction intervention , les armées doivent contribuer à la sécurité internationale en participant à des opérations de stabilisation et de maintien de la paix et d'être en mesure de faire face à un conflit majeur à l'extérieur du territoire dans un cadre multinational. Les armées doivent ainsi être capables de projeter (jusqu'à 7 000 à 8 000 km) :

- en six mois, une force terrestre pouvant aller jusqu'à 30 000 hommes pour une durée d'un an, suivie d'une action de stabilisation ;

- une force aérienne de combat de 70 avions ;

- une force navale ou aéronavale de combat de 2 à 3 groupes d'intervention.

Les armées doivent en outre tenir prête en permanence et sous bref préavis une capacité de réaction pouvant être engagée dans un cadre national ou multinational et constituée d'unités d'intervention terrestre (5 000 hommes), aérienne et maritime et des forces de présence et de souveraineté.

Ces interventions de maintien de la paix s'inscrivent dans un cadre multilatéral avec en particulier l'ONU, l'Union européenne et l'OTAN. Pour ce qui concerne l'Union européenne, la loi de programmation militaire souligne qu'elle doit devenir un acteur majeur de la gestion des crises et de la sécurité internationale. Elle s'est en ce sens fixé des objectifs concrets pour les prochaines années :

- Une capacité d'intervention globale de 60 000 hommes, déployables pendant un an sur un théâtre éloigné, avec les composantes aériennes et maritimes nécessaires, doit être ainsi effectivement développée.

- L'Union européenne devra être en mesure de conduire simultanément deux à trois opérations de maintien ou de rétablissement de la paix, et plusieurs opérations civiles moins importantes, sur des théâtres différents.

- Elle devra rechercher la mutualisation de certains moyens européens. Les capacités européennes de planification et de conduite d'opérations, militaires et civiles, monteront en puissance.

Une vision globale de la projection de nos forces doit également tenir compte des forces prépositionnées articulées à terme en deux points d'appui sur les façades occidentale et orientale de l'Afrique et pouvant intervenir dans la bande sahélienne, d'une présence renforcée (avec au moins une base) dans le Golfe Arabo-persique ainsi que d'une capacité de projection régionale dans certains DOM-TOM (Antilles-Guyane, la Réunion, Nouvelle Calédonie).

2. Les forces françaises déployées

L'armée française déploie aujourd'hui un total de 36 623 hommes dont 9 796 pour les OPEX multinationales, 3 503 pour les OPEX bilatérales, 6 293 pour les forces de présence et 17 031 pour les forces de souveraineté.

Cette répartition des opérations extérieures permet de constater la prédominance des opérations multinationales qui représentent plus de 60 % de l'ensemble. Toutefois, l'équilibre est rétabli si l'on ajoute aux 30 % d'opérations nationales les 6 293 hommes qui participent aux forces de présence principalement au Sénégal, au Gabon et à Djibouti.

La carte ci-après résume les engagements actuels.

3. Les opérations extérieures en cours

a) répartition des opérations par mandat

26,71 % des interventions de l'armée française à l'extérieur du territoire, soit 3 478 hommes, s'effectuent sur une base nationale. Il s'agit principalement de deux opérations : Licorne en Côte d'Ivoire avec 1 808 hommes, et Epervier au Tchad avec 1 159 hommes.

Les opérations menées sous l'égide de l'OTAN comptent pour 36,24 % et engagent 4 718 militaires français. Le théâtre d'opérations le plus important est l'Afghanistan avec l'opération Pamir qui regroupe 2 912 hommes. L'autre théâtre majeur est celui du Kosovo au sein de la KFOR avec 1 786 hommes.

Les opérations de maintien de la paix auxquelles la France participe, sous le drapeau onusien, représentent 16,41 % des opérations en cours, soit 2 136 hommes. Il s'agit principalement de l'opération FINUL/DAMAN au Liban (1 853 hommes).

L'engagement européen dans la gestion de crise conduit la France à participer à un certain nombre d'opérations qui représentent 15,09 % du total

et 1 964 hommes dont l'essentiel est déployé au sein de l'opération Eufor Tchad RCA (1 597 hommes).

Enfin, 5,55 % de nos opérations sont sous un mandat international autre que ceux de l'ONU, de l'OTAN ou de l'Union européenne. Il s'agit de l'opération HERACLES et EPIDOTE en Asie centrale.

b) répartition géographique

Plus de 80 % des opérations se situent en Afrique et en Asie, chacune de ces zones comptant approximativement pour 42 % des interventions extérieures. La répartition en hommes est également équilibrée, avec 5 400 militaires dans chacune de ces deux zones.

L'Europe compte pour 16 % (2 091 hommes) et l'Amérique pour 0,20 % avec la participation de 26 militaires français au sein de la MINUSTAH déployée à Haïti.

4. Quel financement ?

Phénomène nouveau dans l'immédiat après guerre froide, les OPEX font désormais partie intégrante de l'activité des armées et n'ont plus de caractère exceptionnel. Comme l'a souligné le chef d'état-major des armées devant votre Commission à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2009, elles se caractérisent désormais par leur durée, leur durcissement, leur dispersion géographique et leur diversité.

Depuis 1999, les effectifs moyens engagés s'élèvent à 12 000 militaires pour des périodes de quatre mois, un chiffre qui n'a connu que de faibles variations ces dernières années. Ce sont désormais des opérations de longue durée dont le coût, pour celles qui sont engagées, est relativement prévisible.

Les « surcoûts » des opérations extérieures correspondent aux dépenses supplémentaires engagées par les armées sur les théâtres d'opérations par rapport aux dépenses liées à une activité « normale ».

Ces surcoûts se répartissent entre les dépenses de personnels (indemnité de sujétions pour service à l'étranger ou ISSE), les dépenses de fonctionnement (alimentation, fonctionnement courant, transport, carburant, entretien des personnels, maintien en condition opérationnelle) et les dépenses d'investissement, en particulier les dépenses liées aux infrastructures. Ils comprennent également les contributions françaises au financement des coûts communs des opérations de l'OTAN et de l'Union européenne dont le montant était de 31 millions d'euros en 2006 et s'élève à 108 millions d'euros en 2008. Correspondant à une définition extrêmement restrictive des coûts communs, le mécanisme « Athéna » de financement des opérations de l'Union européenne laisse à la charge des principaux contributeurs en troupes la plus grande part du financement des coûts et devrait être révisé dans le sens d'un meilleur partage du fardeau.

La structure de ces surcoûts a évolué avec les années : initialement constitué quasi exclusivement de dépenses de personnel (indemnités pour sujétions de service à l'étranger), il comprend désormais une part importante de crédits de fonctionnement et de contributions aux organisations internationales pour le financement des coûts communs.

Ces surcoûts sont des surcoûts bruts et ne comptabilisent pas d'éventuels remboursements lorsque les troupes françaises sont engagées sous le drapeau européen ou sous celui des nations-unies, ils ne sont que partiels 2 ( * ) et interviennent après un certain délai. Pour l'année 2008, ces remboursements représentent 37 millions d'euros sur un montant total de 833 millions d'euros de surcoûts.

Théâtres d'opérations

2006

en €

2007

en €

2008

en €

Afghanistan

122,3

169,8

236,2

Côte d'Ivoire

164,2

151,7

116,3

Liban

42,5

64,0

78,9

Tchad (EPERVIER)

78,5

83,0

104,2

Tchad (EUFOR)

0,0

11,5

130,3

Bosnie

24,2

18,0

7,5

Kosovo

85,8

92,7

103,2

Autres

85,8

94,3

75,8

Total général

603,4

685,0

852,3

Jusqu'en 2001, les surcoûts OPEX ont été financés par des annulations de crédits à due concurrence sur les crédits consacrés aux équipements des armées.

Depuis 2005, une dotation est inscrite dans le projet de loi de finances initiale, complétée en loi de finances rectificative, le différentiel ayant contribué à la résorption des reports de crédits d'investissements de la loi de programmation 1997-2002 à hauteur d'environ 583 millions d'euros pour 2005 et 2006.

Afin d'éviter l'incertitude pesant chaque année sur les financements complémentaires apportés en loi de finances rectificative, il est souhaitable de mener à terme, c'est à dire au plus près des prévisions de dépenses, le processus de budgétisation des OPEX.

La loi de programmation militaire prévoit une budgétisation plus complète et porte la provision en loi de finances initiale de 510 millions d'euros en 2009, à 570 millions d'euros en 2010 et à 630 millions d'euros en 2011. Elle prévoit en outre que les crédits mis en réserve au titre des différents ministères pourront être mobilisés pour contribuer à résorber le différentiel : « en gestion, les surcoûts nets non couverts par la provision (hors titre 5 nets des remboursements des organisations internationales) seront financés par prélèvement sur la réserve de précaution interministérielle ».

CÔTE D'IVOIRE

Mme Michelle Demessine et M. Jacques Peyrat ont présenté, le mercredi 21 mai 2008, une communication sur le déplacement qu'ils ont effectué en Côte d'Ivoire auprès de la Force Licorne, du 14 au 17 avril 2008.

La carte ci-dessous constitue une actualisation des données recueillies par la mission au mois d'avril 2008.

Mme Michelle Demessine a précisé qu'il s'agissait du premier déplacement effectué auprès de nos forces déployées à l'étranger à l'initiative du Président Josselin de Rohan. Depuis, deux autres missions se sont rendues respectivement en Afghanistan et au Liban et une autre est prévue ultérieurement auprès de l'EUFOR-Tchad. De plus, dans le cadre des missions annuelles, une délégation de la commission s'est rendue en Bosnie Herzégovine et en Macédoine et une autre se rendra prochainement au Kosovo.

Elle a ensuite présenté un bref rappel historique de la Côte d'Ivoire depuis son indépendance, en 1960, sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, qui fut cinq fois ministre au sein des différents gouvernements français, de 1956 à 1959. Soulignant son fort attachement à la France, elle a rappelé qu'il avait décidé de conforter la stabilité intérieure et extérieure de son pays par la présence permanente d'un détachement de l'armée française, basé à Abidjan.

Elle a relevé que la vie politique ivoirienne avait été durablement marquée par l'existence du parti unique fondé par le Président, le PDCI (parti démocratique de Côte d'Ivoire). La Côte d'Ivoire, a-t-elle souligné, constituait alors le fleuron des pays francophones ouest-africains, du fait de la stature intellectuelle et politique de son Président, et de son remarquable essor économique, fondé sur l'exploitation du bois, du café et du cacao. L'abondante main d'oeuvre requise par ces cultures était recrutée au-delà des frontières ivoiriennes, notamment en Haute-Volta, devenue Burkina-Faso en 1984.

Mme Michelle Demessine a indiqué que cette situation favorable avait commencé à se dégrader au milieu des années 1980, du fait de l'érosion du pouvoir politique et de la chute des prix de ces cultures sur les marchés mondiaux. Aussi, lors de sa disparition, en décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny laissait un pays fragilisé par l'absence d'une règle claire de succession, et sans réelle cohésion nationale. Ces ferments de division allaient ensuite prospérer. Le président de l'Assemblée nationale, Henri Konan Bédié, achève le mandat présidentiel, selon une disposition introduite tardivement dans la Constitution (1990). Massivement réélu en 1995, faute de réel opposant, il est renversé, en décembre 1999, par l'ancien chef d'état-major de l'armée, Robert Gueï. Ce dernier fait alors adopter par référendum, en juillet 2000, la réforme de la Constitution préparée par son prédécesseur, texte marqué par l'exclusion de la candidature à la présidence de tout candidat « n'étant pas ivoirien, né de père et de mère ivoiriens ».

Cette précision visait à écarter de la compétition politique l'ancien Premier ministre nommé par Félix Houphouët-Boigny en 1990, Alassane Ouattara, antérieurement représentant du Burkina-Faso auprès du FMI.

En octobre 2000, Robert Gueï proclame sa victoire à l'élection présidentielle, à laquelle s'étaient également présentés Alassane Ouattara, dirigeant du rassemblement des républicains (RDR), en dépit des dispositions de la récente Constitution, et Laurent Gbagbo, président du Front populaire ivoirien (FPI), ce qui suscite des troubles importants. La commission électorale proclame élu Laurent Gbagbo et le FPI remporte les législatives du 10 décembre suivant. Ces fortes dissensions politiques conduisent le pays à une instabilité durable.

Le 19 septembre 2002, une tentative de coup d'Etat, menée par les « Forces nouvelles », originaires du nord, provoque des troubles majeurs, dont la mort de Robert Gueï. Les villes de Bouaké, au centre, et de Korhogo, au nord, passent sous contrôle rebelle, dont Guillaume Soro est la figure dominante.

Pour protéger l'importante communauté française (environ 10.000 personnes) installée en Côte d'Ivoire, les premiers éléments militaires français arrivent le 22 septembre. Ces soldats constituent la Force Licorne, qui compte 2 500 hommes dès la fin du mois de décembre 2002.

Cependant, la crise ivoirienne ne cesse de s'aggraver et de s'internationaliser à compter de 2003. Les accords de Marcoussis (24 janvier), prévoyant un gouvernement de « réconciliation nationale », conduisent à un raidissement anti-français, d'autant que la résolution 1464 du Conseil de sécurité en reprend la teneur, et autorise les forces françaises et celles de la CEDEOA (communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) à prendre pour six mois les mesures requises pour assurer la sécurité des civils, ivoiriens et expatriés. Reconduite pour six mois en août, la résolution 1464 est suivie de la résolution 1528 du 27 février 2004, créant l'ONUCI (Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire), dont les 6.200 hommes sont totalement déployés en octobre 2004.

Le 6 novembre 2004, dans le cadre de l'opération « Dignité » lancée deux jours auparavant par les forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) pour reconquérir le nord du pays, un cantonnement français est bombardé à Bouaké par un avion Sukoï de ces forces, faisant 9 morts et 31 blessés au sein de nos soldats.

Le Président Chirac décide alors de détruire l'aviation ivoirienne au sol. Des émeutes éclatent à Abidjan ; des expatriés français sont molestés, et la foule des « patriotes » est contenue par un feu continu de plusieurs heures, l'empêchant de franchir les deux seuls ponts qui mènent à l'aéroport et à la base voisine où stationne la Force Licorne.

Le 15 novembre, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte la résolution 1572 instaurant un embargo sur les armes à destination de la Côte d'Ivoire.

Les années 2005 et 2006 sont ponctuées par une succession d'accords sans lendemain et de résolutions sans effet de l'ONU.

Enfin, le 4 mars 2007, est signé entre les deux principaux acteurs de la crise, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, l'accord politique de Ouagadougou (APO), conduisant le premier à nommer le second Premier ministre, le 29 mars. Le 15 janvier 2008, le Conseil de sécurité vote la résolution 1795, prolongeant le mandat de l'ONUCI et de Licorne jusqu'au 31 juillet 2008.

Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) est en cours. Parallèlement, ces effectifs de la Force Licorne, qui avaient atteint jusqu'à 3 500 hommes au plus fort de la crise, en 2004, ont été réduits. Depuis février 2008, Licorne regroupe 1 800 soldats, avec une nouvelle mission d'accompagnement du processus de paix, conjointement avec l'ONUCI, ces deux forces étant regroupées sous la dénomination de « forces impartiales ».

M. Jacques Peyrat est intervenu pour confirmer l'opportunité de déplacements de ce type, qui permettent de manifester l'intérêt des parlementaires envers nos forces envoyées en opérations extérieures (OPEX). Il a précisé que sa collègue et lui-même avaient rejoint la Côte d'Ivoire dans un Airbus militaire transportant une centaine de soldats français affectés à l'ONUCI, dont 90 soldats du Génie et 10 commandos de l'air, et que 46 pays contribuaient à fournir les 6.500 hommes de l'ONUCI, dont 200 Français.

Il a indiqué que la majorité des 1.800 éléments de la Force Licorne sont affectés à Abidjan, au camp de Port Bouët, antérieurement occupé par le 43e BIMA (brigade d'infanterie de marine), à la demande de l'ancien président Félix Houphouët-Boigny. Le reste des Français (300 personnes) est basé à Bouaké, l'ancienne capitale de la zone rebelle, dont le site est doté d'une antenne chirurgicale prioritairement destinée à nos soldats, mais qui soigne également des malades issus de la population locale.

Il s'est félicité de la confiance retrouvée et de la coopération instaurée entre les membres de l'armée française, des Forces Nouvelles de Guilaume Soro, de l'armée régulière ivoirienne et de l'ONUCI, qui s'est notamment traduite par 300 patrouilles communes effectuées en deux mois, dont une centaine de nuit.

Puis il a rappelé que la Force Licorne était aujourd'hui investie de deux missions concomitantes. L'une vise à sensibiliser la population locale au rôle positif joué par les pacificateurs des « forces impartiales » : dans le cadre d'opérations civilo-militaires, un certain nombre d'actions sont entreprises, outre les actions en matière de santé, comme par exemple la distribution de matériel pédagogique, ou la réfection d'écoles, la réparation de la pompe à eau d'un puits par le Génie militaire.

L'autre mission de Licorne consiste à assurer une rapide « réversibilité » de sa posture en cas de troubles. La délégation a assisté à une démonstration de contrôle de foule, réalisée par des forces de gendarmerie et de l'armée de terre, au sein du camp de Port Bouët, et à la simulation, effectuée par des éléments des forces spéciales, de l'extraction de deux ressortissants français réfugiés sur le toit d'un immeuble pris d'assaut par des éléments incontrôlés. M. Jacques Peyrat a souligné la parfaite maîtrise de nos forces dans l'accomplissement de ces missions très différentes. Précisant que les éléments français composant Licorne se succédaient en Côte d'Ivoire par rotation de quatre à six mois, il a rappelé l'évolution des coûts de cette Force passés de 191 millions d'euros en 2004 à 157 millions d'euros en 2007 au sein du budget global des OPEX, qui devrait approcher le milliard en 2008. Il a déploré l'insuffisante budgétisation du coût des OPEX dans les projets de loi de finances initiaux.

M. Jacques Peyrat a rappelé que le Président Laurent Gbagbo avait fixé au 30 novembre prochain la date, très attendue, des élections présidentielles, ce qui constitue un signe supplémentaire de la normalisation politique en cours en Côte d'Ivoire. Il a salué l'importante contribution apportée à cette normalisation par les forces de l'ONUCI, sous le commandement du général béninois Fernand Amoussou, et par l'action résolue de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations-Unies et chef de mission de l'ONUCI, M. Choi Yong-Jin de nationalité sud-coréenne, en poste depuis octobre 2007. Il a conclu en espérant que tous ces facteurs se conjugueraient pour parvenir à une paix durable en Côte d'Ivoire.

Mme Michelle Demessine a salué la totale maîtrise de nos soldats dans la réalisation de leurs missions, qu'elles touchent à l'humanitaire ou à l'utilisation de la force si nécessaire. Elle a estimé que les éléments de Licorne s'efforçaient d'accompagner, dans la mesure de leurs moyens, le processus électoral, dont l'aboutissement pourrait contribuer au rapatriement progressif de nos soldats.

Elle a souligné que la décision du Président Chirac de détruire au sol l'aviation ivoirienne, après le bombardement de Bouaké, n'avait pas eu pour seul but la riposte, mais visait également à priver les forces régulières ivoiriennes de leurs moyens aériens dans leur reconquête des territoires rebelles, qui s'était préalablement traduite par des actions violentes et indiscriminées envers les populations civiles du nord, faisant craindre un risque de dérive vers des affrontements ethniques généralisés.

M. Jacques Peyrat a tenu à déplorer les lacunes des équipements attribués à nos fantassins qui par exemple, ne disposent pas de gilets porte-munitions adaptés au climat chaud. Cela conduit souvent à l'acquisition personnelle d'équipements qui, de toute évidence, devraient faire partie du paquetage du soldat.

En conclusion, M. Josselin de Rohan, président, s'est félicité de ces déplacements, qui manifestent l'intérêt porté à nos soldats par la représentation nationale. Il a souligné que le dernier point évoqué par M. Jacques Peyrat ferait l'objet des remarques adéquates auprès de l'armée de terre.

AFGHANISTAN

MM. Robert del Picchia et Jean-Louis Carrère ont présenté, le mercredi 28 mai 2008, une communication sur la mission qu'ils ont effectuée en Afghanistan du 26 avril au 2 mai 2008.

En application du nouvel article 35 de la constitution le gouvernement a demandé au Sénat et à l'Assemblée nationale d'approuver par un vote, le 22 septembre 2008, la poursuite et le renforcement de l'engagement français en Afghanistan.

Dans son intervention M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense des forces armées, avait rappelé la définition des principes qui guident la contribution française, et celle des 39 autres pays, à la reconstruction de l'Afghanistan. Ils sont les suivants :

- un engagement ferme et commun s'inscrivant dans la durée ;

- le soutien à une prise de responsabilités accrue par les Afghans, et au renforcement de leur leadership ;

- une approche globale de la communauté internationale, conjuguant efforts civils et militaires ;

- une coopération et un engagement accrus avec les voisins de l'Afghanistan, en particulier le Pakistan.

La stratégie poursuivie a été définie dans une déclaration des chefs d'État et de Gouvernement lors du sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Bucarest du 2 au 4 avril 2008 :

« Notre vision du succès est claire : que l'extrémisme et le terrorisme ne constituent plus une menace pour la stabilité, que les forces de sécurité nationales afghanes aient la direction des opérations et soient autonomes, et que le gouvernement afghan puisse faire bénéficier tous ses citoyens, dans l'ensemble du pays, de la bonne gouvernance, de la reconstruction et du développement. Notre vision s'appuie sur un plan politico-militaire interne à moyen terme - conforme au Pacte pour l'Afghanistan et à la Stratégie de développement national de l'Afghanistan. »

À la suite d'un certain nombre de remarques - dont celle de la commission des affaires étrangères, de la défense des forces armées du Sénat - et de l'embuscade qui a coûté la vie à 10 soldats français le 18 août 2008, 104 millions d'euros ont été consacrés à l'amélioration de la protection des troupes.

M. Robert del Picchia a d'abord rappelé l'histoire récente de ce pays, occupé par l'Armée rouge de l'Union soviétique de 1979 à 1989, et qui a connu, jusqu'en 2001, une guerre civile puis l'imposition d'un régime islamiste taliban, en fait dominé et piloté par l'organisation terroriste internationale Al-Qaïda. A la suite des attentats de New York du 11 septembre 2001, le régime des talibans a été renversé par une coalition internationale rassemblée par les Etats-Unis sous le couvert de l'article 51 de la charte des Nations unies au titre de l'autodéfense (Enduring Freedom).

A la suite de cette intervention initiale de l'opération « Enduring Freedom », une force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) a été déployée sous commandement de l'OTAN et sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. L'objectif de cette force est la stabilisation du pays par l'appui aux autorités légitimes. M. Robert del Picchia a rappelé qu'en avril 2008, ce sont 51 000 hommes, appartenant à 39 pays, qui se sont déployés dans les cinq régions de commandement de l'Afghanistan.

Les forces françaises mises en place sur le théâtre afghan comptent 2 200 militaires répartis en Afghanistan, au Tadjikistan, au Kirghizistan et dans l'Océan Indien. M. Robert del Picchia a rappelé qu'au sommet de l'OTAN, à Bucarest, le Président de la République a annoncé le déploiement d'effectifs supplémentaires de l'ordre d'un bataillon.

Depuis la date de la communication en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le dispositif français en Afghanistan a été modifié :

Environ 3 400 militaires français sont désormais présents en Afghanistan, au Tadjikistan, au Kirghizistan et en Océan Indien, dans le cadre des opérations de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) de l'OTAN et de l'opération Enduring Freedom (OEF). Parmi eux, 2 800 militaires français sont engagés sur le territoire afghan.

Le Président de la République Nicolas Sarkozy avait annoncé, le 3 avril 2008, au sommet de l'OTAN à Bucarest, cette évolution du dispositif militaire français en Afghanistan.

En réponse à la demande des alliés, la France renforce sa présence dans le Commandement régional (RC) Est où opèrent déjà les Operational Mentoring and Liaison Teams (OMLT) françaises. Un nouveau bataillon s'y déploie sous commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS). Cet engagement des troupes françaises au sein du RC-Est, à proximité des troupes déjà engagées dans le RC-C (Kaboul) et des OMLT, favorise la cohérence opérationnelle du dispositif français.

A l'été 2008, la France a pris la direction du Commandement régional - Capital (RC-C) à la suite de l'Italie. Cette responsabilité implique la mise en place de capacités françaises spécifiques sur Kaboul : état-major renforcé, moyens de traitement de l'information (SIC). Elle comprend l'extension de la zone d'action du bataillon français au district de Surobi.

Par ailleurs, la France déploie une OMLT (Operationnal Mentor and Liaison Team) supplémentaire en Afghanistan depuis l'été 2008. Cette nouvelle équipe sera rattachée au contingent néerlandais déployé dans la province d'Oruzgan dans le commandement régional Sud. Source : Ministère de la défense

L'essentiel des forces françaises est concentré sur la région capitale (RC-C) dont la France devrait reprendre la responsabilité du commandement en août 2008. Le bataillon français assure plusieurs missions. La première consiste dans l'aide apportée aux forces de sécurité afghane pour la sécurisation du nord-ouest de la ville de Kaboul ainsi que pour la sécurisation du nord de la zone de responsabilité autour de l'axe stratégique Kaboul-Bagram. Les actions du bataillon français se traduisent par de multiples patrouilles de jour et de nuit, y compris avec l'armée nationale afghane, permettant de sécuriser une zone où, seuls, 3 % des incidents sont recensés, mais qui est d'une importance vitale, puisqu'elle abrite le siège des pouvoirs publics afghans ainsi que les principales installations internationales.

M. Robert del Picchia a souligné l'importance particulière de l'action de l'armée française d'assistance à l'armée nationale afghane (ANA) dans sa montée en puissance et dans sa formation. Il a notamment décrit les actions menées au sein de l'opération EPIDOTE, qui a permis la formation de plus de 5 000 officiers afghans, en faisant particulièrement porter les efforts sur la formation des formateurs, de manière à rendre l'armée nationale afghane autonome dans ce domaine. Par ailleurs, une vingtaine de formateurs des forces spéciales françaises contribue, avec les Américains, à la formation des forces spéciales afghanes. Enfin, l'action menée par la France au sein des OMLT (Operational Mentor and Liaison Team) est particulièrement importante. Les équipes françaises, que la mission a eu l'occasion de rencontrer à plus de 150 km de Kaboul, sont totalement intégrées dans les unités opérationnelles de l'armée nationale afghane, qu'elles accompagnent et conseillent dans toutes leurs missions. Elles ont pour rôle de conseiller les militaires afghans dans le développement de l'instruction et de l'entraînement, dans la planification et la conduite des opérations ainsi que dans la mise en oeuvre d'actions coordonnées entre la force internationale et l'armée nationale afghane.

Une partie de la mission sénatoriale s'est également déroulée auprès du détachement Air français à Kandahar. Sur cette base militaire, la France déploie six avions de combat, trois Rafales et trois Mirage, ainsi qu'un dispositif d'appui à Douchanbé et les appareils de ravitaillement en vol et de transport. M. Robert del Picchia s'est félicité de la décision de localiser notre détachement aérien à Kandahar, ce qui lui permet d'être au plus directement au contact des autres forces alliées, de rendre plus visible la participation française, et de permettre ainsi de démontrer les extraordinaires qualités du Rafale comme avion de combat polyvalent.

M. Robert del Picchia et M. Jean-Louis Carrère ont ensuite exposé le déroulement de la mission sénatoriale sur place. Ils se sont notamment félicités de l'extrême qualité, de la tenue et de la cohérence du contingent français en Afghanistan, que ce soit au niveau du commandement, des officiers et sous-officiers ou des hommes de troupe.

Ils ont décrit leurs rencontres, tant au niveau du bataillon français dans ses missions opérationnelles que de la coopération civilo-militaire, du dispositif de soutien médico-chirurgical, d'Epidote et des OMLT.

M. Robert del Picchia a indiqué que le dernier jour de la mission avait été consacré à des entretiens politiques au Parlement afghan, en particulier avec le vice-président du Sénat (Meshrano Jirga), les commissions des affaires étrangères et de la défense ainsi qu'avec le président de l'assemblée nationale afghane (Wolesi Jirga). Il a relevé que les interlocuteurs s'étaient félicités de la coopération française militaire et civile à la reconstruction du pays. Cette coopération était distinguée de l'action d'autres intervenants aux tendances « néo-colonialistes ». L'ensemble des interlocuteurs ont souligné la priorité qu'il convenait de donner à l'aide, non seulement sur les questions de sécurité mais surtout pour lutter contre la pauvreté, accélérer le développement en faisant porter l'effort sur l'agriculture et les travaux d'infrastructure. Les interlocuteurs du Sénat afghan ont insisté sur la nécessité d'une afghanisation, tant dans le domaine militaire que dans le domaine du développement. En particulier, les membres de la commission des affaires étrangères ont souligné le besoin impérieux d'une meilleure coordination de l'aide occidentale afin de rendre l'aide plus efficace, et donc plus visible pour la population. Les deux commissions, qui se sont félicitées de la qualité technique de l'aide française, ont néanmoins regretté la faiblesse des moyens mis en oeuvre par notre pays pour réaliser ses objectifs.

En conclusion, M. Robert del Picchia a mis en évidence la fragilité des efforts occidentaux à la stabilisation et à la reconstruction de l'Afghanistan. Il a notamment indiqué que, si le travail effectué par les militaires, en matière de sécurisation, semblait porter ses fruits, il était fragilisé, et fondamentalement remis en question, par les carences et les insuffisances en matière de développement, de gouvernance et d'action diplomatique. Il a estimé que le succès ou l'échec de la communauté internationale en Afghanistan se jouait essentiellement sur la question du développement.

S'agissant de la situation sécuritaire, il a rappelé que la mission s'était ouverte, le jour des moudjahidines, le 27 avril, par l'attentat visant le président Karzai, et au cours duquel un parlementaire avait été tué. La mission s'est terminée par des affrontements très violents, à Kaboul même, qui, après plusieurs heures de combat, ont fait plus de 12 morts. La multiplication des incidents, même s'ils sont limités à une certaine portion du territoire, est porteuse de fortes inquiétudes. Les insurgés, improprement rassemblés sous le titre global de « talibans » comptent aujourd'hui à peu près 4 000 combattants permanents et entre 14 et 20 000 sympathisants. Les maladresses en matière militaire, et notamment les dommages collatéraux, heureusement limités depuis quelques mois par des instructions strictes, conduisent à l'assimilation des forces de stabilisation et de paix à des forces d'occupation. Cette tendance ne peut vraisemblablement que s'accentuer si un effort déterminant n'est pas effectué en matière de développement. De ce point de vue, la faible coordination des efforts occidentaux, le retour de l'aide dans les pays d'origine, pour une part estimée par les ONG à 40 %, ajoutés aux problèmes fondamentaux posés par la corruption, une faible gouvernance et la question récurrente de la drogue, sont particulièrement préoccupants.

M. Robert del Picchia a enfin souligné que la situation était d'autant plus complexe qu'il était évident que les objectifs des différentes puissances présentes en Afghanistan n'étaient pas les mêmes.

M. Jean-Louis Carrère est intervenu pour faire remarquer que les messages transmis par les parlementaires afghans étaient très clairs et a souligné l'extrême gravité de la décision d'envoyer des troupes supplémentaires, sans que l'accent soit mis de manière concomitante sur le développement. Il a rendu hommage à la qualité des soldats français déployés sur le terrain et a relevé l'utilité de la présence de parlementaires de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat auprès des troupes déployées sur ses théâtres d'opérations. Elle est un témoignage de l'intérêt du Sénat pour l'action des hommes et des femmes des forces armées françaises au service de la paix et la stabilité de cette région.

Il a également fait remarquer que la leçon majeure de cette expérience de terrain était la nécessité de mettre en concordance la stratégie politique et les moyens susceptibles de lui venir en appui, au-delà des considérations budgétaires qui semblaient dicter l'élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

M. Hubert Haenel s'est inquiété des remarques faites par les missionnaires sur les carences en matière de petit équipement, qui conduisaient de manière totalement anormale les militaires du rang à acquérir eux-mêmes des équipements complémentaires. Il s'est également interrogé sur les « caveats » et sur la participation des réservistes au sein des troupes déployées sur le terrain.

M. André Dulait a rappelé que la précédente mission de la commission en Afghanistan s'était principalement penchée sur les efforts en matière de formation au bénéfice de l'armée nationale afghane. Il avait été alors constaté un taux de désertion, après formation, important, dû à l'attractivité financière des seigneurs de la guerre. Il a par ailleurs relevé l'importance des actions civiles, notamment en matière de santé, mettant en évidence l'exemple de l'hôpital mère-enfant de Kaboul, complexe médical mis au service de l'ensemble de la population et qui permet de changer l'image de l'action occidentale dans ce pays.

M. André Vantomme s'est interrogé sur les limites des moyens que la France pouvait consacrer aux OPEX et sur celles des effectifs susceptibles d'être déployés. Il s'est également interrogé sur la connaissance réelle de la situation de terrain chez les décideurs politiques de l'exécutif. Il s'est inquiété de l'augmentation considérable de la production de pavot, qui est devenu la source essentielle de financement des talibans.

Mme Michelle Demessine, de retour de Berlin où elle a participé à l'assemblée parlementaire de l'OTAN, s'est interrogée sur l'efficacité de la montée en puissance de l'armée nationale afghane, sur la question de la production et du trafic de drogue et sur le rôle central du Pakistan dans la résolution de la crise.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam a rappelé le déplacement qu'elle avait effectué, à titre personnel, en 2004, dans ce pays, et a insisté sur l'importance particulière de la coopération en matière d'éducation.

LIBAN

MM. Josselin de Rohan, président, et Gérard Roujas, ont présenté, le mercredi 28 mai 2008, une communication sur la mission qu'ils ont effectuée au Liban, auprès du contingent français de la Finul, du 5 au 8 mai 2008.

La carte ci-dessous constitue une actualisation des données recueillies par la mission au mois d'avril 2008.

M. Josselin de Rohan a tout d'abord rappelé l'historique de la mise en place de la Finul à la suite de l'invasion du Sud Liban par l'armée israélienne en 1978. A la suite de ces événements, une force d'interposition de l'ONU avait été envoyée afin de confirmer le retrait des forces israéliennes, de rétablir la paix et la sécurité internationales et d'aider le gouvernement libanais à assurer la restauration de l'effectivité de son autorité dans la région.

En dépit de cette présence, l'armée israélienne est intervenue à nouveau en 1982 et a occupé une partie importante du Liban jusqu'en juin 2000. La guerre de 2006 a été d'une nature particulière puisque, pour la première fois, l'armée israélienne s'est trouvée opposée à une très forte résistance du Hezbollah, qui disposait d'infrastructures militaires et de troupes aguerries qui ont conduit à bloquer l'avancée de Tsahal et qui a abouti, in fine, à de très importantes difficultés politiques pour le gouvernement israélien et à un demi-échec militaire.

A la suite de ces événements, la Finul a reçu pour mission de l'ONU de poursuivre son action d'interposition, mais en disposant d'un mandat « robuste ». Pour la première fois, une force des Nations unies est équipée de moyens lourds et, en particulier, de chars Leclerc, et a la possibilité de réagir contre tous les actes hostiles qui s'opposeraient à la réalisation de ses missions et de ses obligations, dans le cadre du mandat qui lui a été confié par le Conseil de sécurité. Aujourd'hui, 12 500 hommes, appartenant à 25 pays, dont 15 de l'Union européenne, sont déployés au Liban sud. Le contingent le plus important a été fourni par l'Italie qui assure le commandement de la Finul et qui compte 2 815 soldats. La France est le deuxième contributeur, avec environ 1 685 soldats.

M. Josselin de Rohan, président, et M. Gérard Roujas ont pu constater la profonde implication des forces françaises sur le terrain d'opération libanais. Le Groupement tactique interarmes (GTIA) assume, en parallèle, deux missions. La première est la responsabilité de la force de réaction rapide, qui agit directement sous les ordres du commandant de la Finul, le général italien Grazziano, et peut intervenir dans l'ensemble de la zone d'opérations comprise entre, au sud et à l'est, la ligne bleue qui sépare le Liban et Israël et, au nord, le fleuve Litani. Elle assure également les missions de surveillance nécessaires à l'application de la résolution 1701 de l'ONU.

Outre ses missions de contrôle de la zone, le contingent français assure un ensemble d'actions au profit de la population libanaise, en particulier en matière de dépollution et de déminage, d'aide médicale et de projets ciblés de reconstruction. Les forces françaises sont parfaitement intégrées au sein du contingent international et se coordonnent avec les unités voisines, qu'elles soient italiennes, ghanéennes, belges, indonésiennes ou népalaises.

L'un des aspects les plus importants de cette opération consiste dans les contacts avec l'armée libanaise, représentante du gouvernement central dont l'action au sud du Litani correspond à l'affirmation de l'autorité de l'Etat libanais sur l'ensemble de son territoire. Le redéploiement de l'armée libanaise au sud du Litani est un signe particulièrement important du rétablissement du Liban en tant qu'Etat constitué. De ce point de vue, il n'est pas indifférent que ce soit le chef d'état-major de l'armée, le général Sleimane, qui, candidat de consensus à la présidence de la République, vienne d'être élu.

Lors du séjour de la délégation au Sud Liban, il a été possible de rencontrer l'ensemble des unités françaises impliquées et de visiter les sites d'implantation. Ces rencontres ont permis de constater l'excellente tenue des troupes confrontées à une mission complexe au niveau politique, économique, religieux et militaire.

M. Josselin de Rohan, président, a ensuite abordé le contexte politique et sécuritaire qu'avait connu la mission. S'agissant du rôle de la Finul, il a constaté l'efficacité du dispositif mis en place, l'excellente coopération internationale qui s'est instaurée entre les différentes forces présentes en son sein, tout en remarquant, sur le terrain, la fragilité d'une situation éminemment réversible à tout moment.

Il a souligné, qu'au-delà de ce contexte onusien de sécurisation et d'interposition entre Israël et le Hezbollah, la situation intérieure libanaise était d'une extrême fragilité. La mission sénatoriale s'est déroulée à un moment particulièrement délicat de l'évolution libanaise, qui s'est traduit par des affrontements très importants ayant conduit à de très nombreux morts.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé les origines de la crise libanaise qui a conduit, depuis 18 mois, à un blocage institutionnel. Les affrontements récents, quels que soient leurs éléments déclencheurs, ont abouti à un déblocage de la situation dont l'avenir confirmera éventuellement la pérennité. A la suite de la médiation opérée par le Qatar et la Ligue Arabe, un accord a pu être trouvé qui a mené à l'élection, le 25 mai dernier, du président de la République, le général Sleimane. L'accord conclu permet également la mise en place d'un gouvernement qui comportera 30 membres, dont 16 ministres appartenant à la majorité, 11 à l'opposition et 3 qui seront nommés directement par le président élu. Cet accord donne à l'opposition, et en particulier au Hezbollah, une capacité de blocage sur l'ensemble des décisions du gouvernement libanais, influence qui sera vraisemblablement accentuée par l'attribution à l'opposition du ministère des finances, responsable d'une co-signature de près de 90 % des décrets adoptés par le gouvernement. Il s'agit d'un succès important pour le Hezbollah, dont l'un des objectifs principaux consistait, depuis juin 2006, à faire reconnaître, dans les faits, son poids politique et militaire réel. M. Josselin de Rohan a toutefois relevé que, tout au moins au niveau du langage, les dirigeants du Hezbollah affirmaient que leur objectif n'était pas la conquête du pouvoir et qu'ils inscrivaient leur action politique dans le cadre des accords de Taëf.

L'autre aspect fondamental des accords de Doha porte sur la réaffirmation de l'engagement du Hezbollah à ne pas utiliser sa force militaire pour résoudre des conflits internes, mais de souligner que son refus du désarmement, pourtant prévu par les accords de 2006 et la résolution 1701, était dû à la nécessité de maintenir opérationnelle une force d'opposition à Israël.

M. Josselin de Rohan, président, a relevé que la clef de lecture des événements récents se trouvait en très large partie hors des frontières libanaises. En particulier, l'ouverture, rendue publique récemment, des négociations entre Israël et la Syrie, sous l'égide de la Turquie, explique, de manière importante, la présente crise. Le gouvernement israélien actuel estime que des négociations de paix avec la Syrie -dont le principal élément consisterait en une restitution du Golan- permettraient une dissociation de la Syrie et de l'Iran et, ainsi, une diminution de l'influence politique et militaire du Hezbollah, dont la puissance pèse indiscutablement sur le flanc nord d'Israël. A l'ouverture syrienne, dont l'assassinat d'un dirigeant du Hezbollah à Damas pourrait être un signe, correspondrait une reconnaissance de facto de l'influence de ce pays sur le Liban, qui reste la priorité absolue de la politique étrangère syrienne.

Pour autant, l'accord de Doha, même s'il correspond à un pas extrêmement important, unanimement salué par la communauté internationale, est encore extrêmement fragile. L'un des éléments d'incertitude majeurs consiste, du reste, dans l'avenir de l'actuel Gouvernement israélien. Comme l'a indiqué M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, « tout reste à faire ».

En conclusion, M. Josselin de Rohan a constaté que les prémices de cette résolution de crise semblaient s'accompagner d'une certaine éviction, de fait, des Etats-Unis, d'autant plus marquante qu'elle se situe juste après la visite officielle du président américain dans la zone, et un certain affaiblissement de la position européenne au profit de la Ligue Arabe dont il convient, néanmoins, de souligner la convergence totale des objectifs poursuivis avec la diplomatie française.

A la suite de cette intervention, M. Gérard Roujas est intervenu pour souligner la pertinence des missions effectuées sur les théâtres d'opération, à l'initiative du président de la commission, qui permettent de confronter les analyses et les informations dont elle dispose avec les réalités de terrain. Il a souligné le professionnalisme, la technicité, les moyens importants de l'armée française sur ce théâtre d'opération. Il a enfin rappelé les circonstances de la mission, située à un moment particulièrement tendu du conflit inter-libanais, qui l'ont conduite à quitter la région via Damas, puisque l'aéroport international de Beyrouth était bloqué et que des affrontements sérieux se déroulaient non seulement dans la ville, mais aussi au nord du pays et dans le Chouf.

Répondant à une interrogation de M. André Dulait, qui s'interrogeait sur l'état d'esprit des militaires français, M. Josselin de Rohan, président, a souligné le professionnalisme des troupes, mais a également relevé les inquiétudes qui résultent des discussions en cours sur la révision générale des politiques publiques, le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale et la future loi de programmation militaire. Il a, par ailleurs, relevé, avec M. Gérard Roujas, le vieillissement des matériels et les carences en matière de petit équipement des soldats.

BALKANS - BOSNIE-HERZÉGOVINE ET MACÉDOINE

MM. Christian Cambon et Didier Boulaud ont présenté, le mardi 3 juin 2008, une communication sur la mission qu'ils ont effectuée, du 4 au 9 mai 2008, en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine.

M. Didier Boulaud a indiqué que la déclaration d'indépendance du Kosovo, en février dernier, avait remis sous les feux de l'actualité la région des Balkans occidentaux. Encore très marqués par les conflits consécutifs à l'éclatement de la Yougoslavie, les pays de cette région ont vocation à rejoindre l'Union européenne qui porte désormais à l'égard de la région une responsabilité de premier plan à travers l'accompagnement des réformes internes, l'octroi d'une aide économique et la présence de missions civiles ou militaires.

M. Didier Boulaud a rappelé que la commission avait décidé d'effectuer prochainement une mission d'information au Kosovo et en Serbie, mais il a souligné l'attention que méritaient également la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine, deux pays où coexistent différentes communautés et dont la stabilisation reste fragile. Il a estimé que, de ce point de vue, la présence d'une

La participation française à la mission EUFOR Althea

La France est présente en Bosnie-Herzégovine depuis le début du conflit à Sarajevo, à l'été 1992. Elle n'a cessé de jouer un rôle militaire majeur, tant au sein de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU) jusqu'en 1995, que dans les forces qui lui ont succédé, sous l'égide de l'OTAN puis de l'Union européenne. Les effectifs français déployés ont culminé en 1996, avec 7 800 hommes, puis ont été ramenés à un peu plus de 3 500 hommes dans les années 1998-2000. Ils ont été fortement réduits depuis lors, avec environ 500 hommes sur la période 2005-2007 et moins de 150 hommes en 2008.

Initialement déployée en Croatie, la FORPRONU a vu son mandat élargi à la Bosnie-Herzégovine. A la suite de l'accord de paix de Dayton (14 décembre 1995), le Conseil de sécurité des Nations unies chargeait l' OTAN d'en mettre en oeuvre les aspects militaires, validant le mandat de la Force de mise en oeuvre (IFOR) en Bosnie-Herzégovine, qui comptait à l'origine 60 000 hommes. L'amélioration rapide de la situation sécuritaire a permis de passer en décembre 1996, avec la Force de stabilisation (SFOR) , à un effectif plus réduit, de l'ordre de 32 000 hommes. Destinée à consolider la transition, cette présence militaire a été progressivement réduite pour se limiter, en 2004, à une force résiduelle de dissuasion de 7 000 hommes. L'opération a depuis lors été transférée à l' Union européenne (opération Althea), la SFOR se transformant en EUFOR Althea.

Le mandat de l'EUFOR résulte de la résolution 1575 du Conseil de sécurité des Nations unies et a été renouvelé en dernier lieu le 20 novembre 2008 (résolution 1845). Sa mission principale est de contribuer à la sécurité par le maintien d'une présence militaire et de veiller au respect par les parties des volets militaires des accords de Dayton, en soutien au Haut Représentant, Représentant spécial de l'Union européenne.

La mission Althea est conduite dans le cadre des accords dits « Berlin plus » permettant à l'Union européenne de recourir aux moyens et capacités de l'OTAN. Elle est commandée par le SACEUR-adjoint, le général britannique Mc Coll.

L'évolution de la situation sécuritaire en Bosnie Herzégovine a permis de ramener les effectifs de l'EUFOR à 2 200 hommes . L'opération compte 30 nations contributrices, dont 24 pays membres de l'Union européenne. Lors du déplacement de la mission, au printemps 2008, la participation française s'élevait à environ 140 hommes et à été ramenée à moins d'une centaine d'hommes en ce début d'année 2009.

Les effectifs de la force sont concentrés sur Sarajevo (camp Butmir), à l'exception d'une quarantaine de petites équipes d'observation et de liaison ( Liaison observation team - LOT ), constituées de 8 militaires. Réparties sur l'ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine, elles jouent un rôle de contact avec la population et d'information du commandement.

Aujourd'hui, l'EUFOR n'assure plus aucune mission sécuritaire en Bosnie-Herzégovine . Elle a également achevé les activités d'assistance qui lui étaient confiées, notamment dans le domaine de la gestion de dépôts de munitions.

D'un point de vue militaire, cette opération n'a plus de justification. Les effectifs présents sur place, bien qu'en diminution constante au cours des dernières années, paraissent surdimensionnés au regard des tâches incombant à la force. Une part importante de ces effectifs est affectée au soutien du restant de la force.

Toutefois, en novembre dernier, le Conseil de l'Union européenne a repoussé la décision de mettre un terme à l'opération. Cette décision doit être réexaminée en mars 2009, au vu de l'évolution de la situation politique et des perspectives de suppression du poste de Haut-Représentant. C'est essentiellement le manque de progrès dans la situation politique qui a conduit certains pays européens à souhaiter différer une clôture qui, dans son principe, paraît nécessaire.

délégation de la commission dans ces deux pays avait été particulièrement utile.

M. Christian Cambon a ensuite retracé le déroulement du séjour de la délégation en Bosnie-Herzégovine où elle s'est entretenue, à Sarajevo, avec le Président en exercice, le Premier ministre et les deux présidents d'assemblée, et à Banja Luka, avec les principaux dirigeants de la Republika Srpska. La délégation a également rencontré le Haut représentant de la communauté internationale, M. Miroslav Lajcak, et elle s'est rendue au quartier général de la force européenne Eufor où elle a rencontré le commandant de l'opération Althea et le contingent français.

M. Christian Cambon a brièvement rappelé les principales caractéristiques de la structure territoriale et de l'organisation de la Bosnie-Herzégovine, telles qu'elles résultent de l'accord de Dayton de 1995 : un territoire divisé en deux entités, la Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska ; un système institutionnel très complexe, avec notamment une présidence collégiale, des compétences limitées de l'Etat central, la détention par les entités d'un pouvoir de blocage dans le processus législatif, l'existence d'une tutelle internationale incarnée par le Haut représentant, qui est également le représentant spécial de l'Union européenne.

M. Christian Cambon a indiqué que l'un des premiers constats de la délégation portait sur la viabilité de l'Etat de Bosnie-Herzégovine, tant en raison d'un système institutionnel propice au blocage des processus de décision, que des profondes divisions qui demeurent entre les trois communautés bosniaque, serbe et croate. Il a rappelé que le conflit des années 1992-1995 avait entraîné un remodelage de la répartition territoriale des habitants, désormais largement regroupés selon leur appartenance ethnique. M. Christian Cambon a estimé que l'un des signes les plus inquiétants du cloisonnement entre communautés était l'apparition d'une ségrégation scolaire, plus d'une cinquantaine d'établissements de la Fédération croato-musulmane s'étant rangés à la politique des « deux écoles sous un même toit », en vertu de laquelle les enfants croates et les enfants musulmans suivent leur scolarité dans des classes séparées. Il a regretté que l'Union européenne n'ait pas davantage manifesté sa préoccupation sur ce point, dans le cadre des discussions préalables à la conclusion d'un accord de stabilisation et d'association.

M. Christian Cambon a estimé que les trois communautés avaient des visions très différentes de leur destin commun, les Bosniaques souhaitant un Etat plus unitaire alors que les Bosno-Serbes sont essentiellement attachés au maintien de l'autonomie très large garantie par l'accord de Dayton à la Republika Srpska et que les Bosno-Croates, très minoritaires, souffrent de ne pas disposer d'entité propre.

M. Christian Cambon a ensuite indiqué que la situation sécuritaire était totalement normale en Bosnie-Herzégovine et que les tensions entre communautés ne paraissent pas pouvoir déboucher sur des affrontements directs.

Il a en revanche souligné que le débat sur la pérennité du pays avait été relancé après l'indépendance du Kosovo, l'Assemblée nationale de la Republika Srpska ayant notamment adopté une résolution évoquant un droit à la sécession de l'entité serbe. Il a ajouté que si certains interlocuteurs de la délégation avaient évoqué l'éventualité d'un scénario de type « Monténégro », selon lequel la Republika Srpska pourrait attendre le moment opportun pour déclarer son indépendance sans subir de rétorsions de la communauté internationale, la majorité d'entre eux envisageaient plutôt un statu quo, considérant que l'entité serbe aurait beaucoup plus à perdre qu'à gagner à la remise en cause des accords de Dayton qui constituent la seule garantie juridique de son existence.

M. Christian Cambon a précisé qu'au cours de l'entretien qu'il avait accordé à la délégation, le Premier ministre de l'entité serbe, M. Milorad Dodik, avait déclaré que la Republika Srpska ne remettrait pas en cause l'existence de la Bosnie-Herzégovine pour autant que son autonomie soit respectée. M. Dodik s'était montré avant tout soucieux du développement économique d'une entité qui a assaini sa situation budgétaire au cours des dernières années et souhaite attirer les investissements étrangers. Il partage d'ailleurs avec le Président serbe Boris Tadic la même aspiration à l'intégration européenne.

M. Christian Cambon a ensuite évoqué la mise en chantier d'une nouvelle Constitution qui pourrait être acceptée par les trois communautés. Il s'est demandé s'il était réellement possible d'envisager une démarche autre que progressive, sur le modèle de la première étape qui avait été proposée en 2006, mais repoussée à la suite de l'opposition d'une partie des dirigeants bosniaques qui la trouvaient trop timide. Il a estimé que la situation actuelle ne se prêtait pas à une remise en cause trop prononcée des prérogatives de la Republika Srpska.

S'agissant de la présence internationale, M. Christian Cambon a précisé que la suppression du poste de Haut représentant des Nations unies était admise dans son principe, mais conditionnée, dans sa mise en oeuvre, à la réalisation d'objectifs précis. Initialement fixée à juin 2008, elle a été de ce fait repoussée, le Haut représentant ayant néanmoins indiqué à la délégation que ce report devrait se compter en nombre de mois, et non en nombre d'années. La suppression de ce poste ne remettrait pas en cause la fonction de Représentant spécial de l'Union européenne, dont il est aujourd'hui également titulaire, et qui serait appelée à se développer dans la perspective d'une future intégration à l'Union européenne.

M. Christian Cambon a ajouté que la suppression du poste de Haut représentant serait sans doute accompagnée d'un retrait définitif de l'Eufor, dont la mission est aujourd'hui résiduelle et dont les effectifs se limitent à 2 500 hommes, dont 150 militaires français.

M. Christian Cambon a ensuite abordé les perspectives européennes de la Bosnie-Herzégovine, en soulignant que l'intégration à l'Union européenne était véritablement le seul objectif à réunir les responsables politiques et les différentes communautés. Il a précisé qu'au mois d'avril, le Parlement de Bosnie-Herzégovine avait définitivement approuvé le projet de réforme de la police auquel l'Union européenne conditionnait la signature de l'accord de stabilisation et d'association. Ce dernier devrait ainsi être signé le 16 juin prochain.

M. Christian Cambon a indiqué que la délégation avait constaté l'irritation provoquée, en Bosnie-Herzégovine, par ce qui avait été perçu comme des avantages très substantiels accordés à la Serbie à l'approche des élections législatives, que ce soit pour la signature d'un accord de stabilisation et d'association ou en matière de visas. L'Union européenne avait paru beaucoup moins exigeante vis-à-vis de la Serbie que d'autres pays de la région qui s'efforcent de longue date de répondre aux critères fixés par Bruxelles.

Tout en considérant que la signature de l'accord de stabilisation et d'association marquerait une étape très significative pour la Bosnie-Herzégovine, M. Christian Cambon a estimé que très vite se poserait la question de la capacité du pays à mettre en oeuvre cet accord et à dépasser les antagonismes et les blocages qui ont jusqu'à présent considérablement entravé l'adoption de réformes indispensables. Dans cette optique, il sera nécessaire de maintenir des conditions au rapprochement européen de la Bosnie-Herzégovine, sans toutefois les rendre excessivement contraignantes compte tenu de la particularité de la situation du pays et de sa fragilité.

En conclusion, M. Christian Cambon a estimé que le levier européen apparaissait aujourd'hui le seul à même de faire progresser la Bosnie-Herzégovine, ce qui donnait à l'Union européenne une responsabilité toute particulière vis-à-vis de ce pays.

M. Didier Boulaud a ensuite rendu compte des contacts établis en Macédoine, alors que débutait la campagne électorale pour les élections législatives du 1 er juin. Ils concernaient notamment le Président de la République, le Président du Parlement sortant, les ministres de la défense et des finances, le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et des personnalités de l'opposition, ainsi que le représentant spécial de l'Union européenne.

M. Didier Boulaud a tout d'abord rappelé les affrontements survenus au printemps et à l'été 2001 entre les communautés macédonienne (environ 65 % de la population) et albanaise (environ 25 % de la population), qui avaient entraîné l'intercession de la communauté internationale. Celle-ci a parrainé l'accord d'Ohrid du 13 août 2001 et a engagé une opération militaire de stabilisation dans le cadre de l'OTAN, de 2001 à 2003, puis une mission de police de l'Union européenne de 2003 à la fin 2005.

M. Didier Boulaud a souligné que la France avait pris une part importante dans la gestion de la crise, à travers l'action de MM. François Léotard puis Alain Le Roy, en qualité de représentants spéciaux de l'Union européenne, la contribution de M. Robert Badinter à l'élaboration d'une nouvelle Constitution et une participation majeure aux forces internationales présentes en Macédoine entre 2001 et 2005.

M. Didier Boulaud a estimé que depuis les évènements de 2001, la Macédoine était revenue à une relative stabilité intérieure, sans pour autant que les éléments de fragilité aient disparu. Si les principales réformes prévues par l'accord d'Ohrid ont été transposées dans la législation, par exemple en matière d'usage des langues minoritaires ou de décentralisation, la Macédoine s'oriente davantage vers une coexistence séparée des communautés qu'une véritable société multi-ethnique. Le faible nombre de mariages inter-ethniques, les tentations de ségrégation scolaire ou encore le cloisonnement de la vie politique en sont quelques exemples.

M. Didier Boulaud a précisé que le climat politique s'était tendu à la suite de la décision du parti macédonien de centre-droit, après sa victoire aux élections législatives de 2006, de s'allier avec le parti minoritaire de la communauté albanaise, le parti albanais majoritaire s'étant alors retrouvé dans l'opposition. Cette situation explique en partie les incidents violents qui ont émaillé la campagne et le scrutin législatif du 1 er juin dernier en zone albanaise.

Il a également relevé que la mise en oeuvre des réformes nécessaires au rapprochement européen de la Macédoine s'était effectuée par à-coups et trop lentement. Si la Macédoine a accédé au statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne fin 2005, la Commission européenne a jusqu'à présent estimé que les conditions n'étaient pas réunies pour fixer une date d'ouverture des négociations d'adhésion.

M. Didier Boulaud a indiqué que dans un tel contexte, le refus de l'accession de la Macédoine à l'OTAN du fait du veto opposé par la Grèce lors du sommet de Bucarest comportait des effets potentiellement très déstabilisateurs. Il a rappelé l'origine du différend qui oppose la Grèce et la Macédoine, sur la dénomination de cette dernière. Il a souligné que la décision prise à Bucarest avait provoqué une très forte onde de choc en Macédoine, dans la mesure où il était apparu que le processus d'adhésion à l'OTAN se trouvait en quelque sorte « pris en otage » par la controverse sur la dénomination du pays et qu'une telle situation pouvait probablement se reproduire dans le processus d'adhésion à l'Union européenne.

M. Didier Boulaud a rappelé que lors du débat de politique étrangère du 14 mai dernier, il s'était fait l'écho des réactions en Macédoine à l'attitude française sur cette question. En effet, si la France, favorable à toute solution recueillant l'accord des deux parties, n'a pas changé de position sur le fond et ne porte pas plus de responsabilité dans la décision de Bucarest que tout autre allié, l'expression d'une solidarité avec la Grèce a eu un impact important dans l'opinion et la classe politique.

M. Didier Boulaud s'est fortement interrogé sur les perspectives d'aboutissement des négociations qui devaient reprendre à ce sujet entre la Grèce et la Macédoine. Il a précisé que l'échec survenu à Bucarest constituait l'une des raisons de la dissolution du Parlement. Il a ajouté que le futur gouvernement devrait mettre en oeuvre rapidement un important programme de réformes s'il veut espérer recueillir avant le Conseil européen de décembre un avis favorable de la Commission pour la fixation d'une date d'ouverture des négociations d'adhésion.

M. Didier Boulaud a fait part des motifs d'inquiétude ressentis au lendemain de cette mission en Macédoine. Il a souligné que Skopje voyait ses perspectives d'adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne sérieusement mises en cause, du fait de la position de la Grèce, alors que les Macédoniens avaient le sentiment d'avoir accompli des efforts au moins aussi importants que d'autres pays mieux traités. M. Didier Boulaud a estimé que le blocage durable de la perspective européenne constituait aujourd'hui un réel risque pour la Macédoine, d'autant que ce petit pays enclavé se trouvait dans un environnement régional difficile.

M. Didier Boulaud a indiqué que le risque sécessionniste était généralement considéré comme peu probable, mais il a considéré qu'un isolement prolongé de la Macédoine pourrait raviver l'agitation dans la communauté albanaise, où l'on observe une certaine surenchère entre formations politiques et où la situation sécuritaire reste précaire.

Il a souhaité que dans cette phase délicate de son existence, la Macédoine fasse l'objet d'une attention soutenue de l'Union européenne et de la France. Il a estimé que la garantie de la stabilité de la région était un enjeu suffisamment fort pour passer avant les controverses sur la dénomination du pays. M. Didier Boulaud a souhaité que l'Union européenne adresse dans les prochains mois des signes positifs à la Macédoine, pour autant que cette dernière accomplisse les efforts nécessaires. Il a également souligné la nécessité de contacts bilatéraux plus étroits entre la France et la Macédoine.

En conclusion, M. Didier Boulaud a estimé que la mission effectuée au nom de la commission en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine démontrait la nécessité de définir une politique globale et cohérente pour l'ensemble des pays des Balkans occidentaux. Il a considéré que l'Union européenne jouait dans cette région qui lui est très proche et où elle est engagée depuis 15 ans une grande partie de sa crédibilité en matière de politique étrangère et de sécurité.

M. Josselin de Rohan, président, a estimé que tant en Bosnie-Herzégovine qu'en Macédoine, la cessation des affrontements passés constituait un acquis positif de l'engagement international et européen. Il s'est cependant montré préoccupé par les signes de fragilité relevés par la délégation, les incidents violents survenus lors de la récente campagne électorale en Macédoine en étant l'une des manifestations. S'agissant du contentieux sur la dénomination de cette dernière, il a considéré que les deux parties devaient effectuer un effort de conciliation.

M. Robert del Picchia a souhaité savoir si un sentiment d'hostilité à la Grèce s'était développé dans l'opinion macédonienne depuis le sommet de Bucarest.

M. Christian Cambon a confirmé la force des clivages entre communautés en Bosnie-Herzégovine. Il a évoqué l'accent mis sur le développement économique en Republika Srpska, en soulignant que les aspirations à l'amélioration du niveau de vie et au rapprochement des standards européens pouvaient toutefois contribuer à une plus grande ouverture vers l'extérieur.

M. Didier Boulaud a souligné la fébrilité actuelle de la communauté albanaise de Macédoine. Il s'est interrogé sur l'attitude de cette dernière si les perspectives d'adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne étaient durablement bloquées, alors que l'Albanie va pour sa part intégrer l'OTAN en 2009. Il a précisé que les relations économiques étaient étroites entre la Macédoine et la Grèce, et qu'elles ne semblaient pas remises en cause par le contentieux actuel. De même, beaucoup de Macédoniens continueront à se rendre fréquemment en Grèce, même si cette dernière leur impose une obligation de visa particulier.

KOSOVO

MM. Didier Boulaud et André Trillard ont présenté, le mercredi 28 octobre 2008, une communication sur la mission qu'ils ont effectuée du 12 au 15 octobre 2008 au Kosovo.

Cette mission avait un double objectif : tout d'abord visiter les forces, dans la continuité des délégations de la commission en Côte d'Ivoire, au Liban et en Afghanistan ; ensuite et surtout, appréhender l'évolution de la présence internationale dans ce pays, après la déclaration d'indépendance du 17 février dernier, et comprendre le positionnement de l'Union européenne avant le déploiement de sa mission civile.

Le Kosovo est peuplé de 2,1 millions d'habitants, en grande majorité albanais. La population compte environ 100.000 Serbes qui vivent pour un tiers dans le nord, autour de Mitrovica et pour les deux tiers dans les enclaves isolées en territoire de peuplement albanais.

Des événements dramatiques ont secoué ce petit territoire soumis aux vicissitudes de l'histoire européenne ; il en résulte aujourd'hui une défiance profonde et un ressentiment considérable entre les communautés, qui vivent de façon totalement cloisonnée.

M. Didier Boulaud a rappelé que le Kosovo était placé sous administration de l'ONU, représentée par la mission des Nations unies au Kosovo (MINUK), en application de la résolution 1244 du Conseil de sécurité du 10 juin 1999. Depuis la déclaration d'indépendance, se pose la question de l'évolution du rôle respectif des différentes organisations internationales présentes en nombre depuis 1999 sur ce territoire de 15.387 km², qu'il s'agisse de l'OTAN, de l'ONU, de l'Union européenne ou encore de l'organisation pour la sécurité et la coopération européenne (OSCE).

Le déplacement de la mission intervenait au lendemain de plusieurs événements notables : tout d'abord l'adoption, le 8 octobre, par l'assemblée générale des Nations unies, d'une motion, déposée par la Serbie, de saisine de la cour internationale de justice (CIJ) sur la légalité de la déclaration d'indépendance du Kosovo, ensuite, le 10 octobre, l'attribution du prix Nobel de la paix au finlandais Martti Ahtisaari, ancien envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, chargé des pourparlers sur le statut final du Kosovo et dont le plan a défini les conditions de l'indépendance. Le même jour, la Macédoine et le Monténégro reconnaissaient l'indépendance du Kosovo, quelques jours après le Portugal.

Lors de ce déplacement, grâce à une grande diversité d'interlocuteurs, la délégation a pu prendre la mesure des défis du Kosovo d'aujourd'hui : sur fond d'indécision et de division de la communauté internationale, la situation est encore loin d'être stabilisée et l'impatience des Albanais contraste avec l'inquiétude des Serbes du Kosovo. Pour autant, M. Didier Boulaud a indiqué que la délégation n'était pas rentrée pessimiste de cette mission, considérant que chacune des parties a désormais intérêt à sortir de l'impasse et que la communauté internationale, et singulièrement l'Union européenne, joue sa crédibilité.

M. Didier Boulaud a tout d'abord indiqué que le processus de reconnaissance était inachevé.

Le principal problème posé à la communauté internationale est aujourd'hui juridique. La déclaration d'indépendance du Kosovo a fait suite à l'échec des négociations sur le statut, dont le conseil de sécurité n'a pu que prendre acte en décembre 2007. Malgré quatre tentatives, aucune résolution du conseil de sécurité n'est venue se substituer à la résolution 1244 qui est, par conséquent, toujours en vigueur et reste, selon une expression très souvent entendue sur place, « neutre à l'égard du statut ».

Or l'indépendance d'un Etat ne tient qu'à une condition : sa reconnaissance par un grand nombre d'autres Etats et par conséquent la possibilité pour lui d'adhérer aux organisations internationales. Sur ce plan, la situation du Kosovo est encore fragile : il est à ce jour reconnu par 51 Etats, ce qui est encore peu. C'est le cas de 22 Etats membres de l'Union européenne et des membres du G7, mais passés les premiers jours, le rythme des reconnaissances a marqué le pas.

M. Didier Boulaud a ensuite expliqué que l'indépendance du Kosovo s'accompagnait d'une supervision internationale.

Les autorités kosovares ont proclamé l'indépendance en s'engageant à mettre en oeuvre les dispositions du plan Ahtisaari dans leur Constitution. La Constitution du Kosovo, adoptée en avril 2008 et entrée en vigueur le 15 juin 2008, renvoie donc aux dispositions de ce plan.

Celui-ci prévoit des garanties pour la minorité serbe et une décentralisation poussée. Il comprend également des dispositions relatives au système judiciaire, au patrimoine religieux et culturel, à la dette extérieure, aux biens et archives, au secteur de sécurité, à la mission PESD, à la présence militaire internationale et au programme législatif.

Le plan prévoit également la supervision du pays par un représentant civil international, auquel il est fait référence dans les articles 146 et 147 de la Constitution kosovare et qui est l'autorité finale au Kosovo en matière d'interprétation de la loi civile. Il lui appartient, en particulier, d'interpréter tous les aspects civils du règlement, de prendre les mesures qui s'imposent, le cas échéant, pour remédier aux décisions des autorités kosovares qu'il jugerait contraires au règlement, « ces mesures peuvent aller, sans s'y limiter, jusqu'à l'abrogation de lois ou de décisions adoptées par les autorités kosovares ». Il dispose également de pouvoirs de nomination, de sanction et de révocation.

M. Didier Boulaud a conclu qu'il s'agissait d'une forme très poussée de limitation de sa propre souveraineté que le Kosovo avait inscrit dans sa Constitution. Ces dispositions rappellent les pouvoirs du Haut représentant en Bosnie-Herzégovine, et ne vont pas sans poser question, d'autant que la représentation de la communauté internationale au Kosovo est complexe.

En effet, il a souligné que la communauté internationale devait concilier supervision et neutralité à l'égard du statut.

Le Kosovo se trouve dans une situation paradoxale : l'ONU, comme l'Union européenne, doivent superviser une indépendance à l'égard de laquelle elles n'ont pas arrêté de position claire et unique.

Les différentes organisations ont recherché des accommodements qu'il revient à leurs représentants sur place de mettre en oeuvre au prix d'une certaine schizophrénie ; c'est ce que l'un des interlocuteurs de la délégation a appelé « l'ambigüité constructive ».

M. Didier Boulaud a rappelé que l'Union européenne n'avait pas de position commune sur l'indépendance, puisque 5 Etats membres n'ont pour le moment pas reconnu le Kosovo, à savoir la Grèce, Chypre, la Roumanie, la Slovaquie et l'Espagne. Toutefois, les Etats membres de l'Union européenne se sont entendus le 18 février 2008 sur une déclaration commune permettant la reconnaissance du Kosovo par les Etats qui le souhaitaient, l'utilisation des instruments financiers de l'Union et le déploiement de la mission « Etat de droit » EULEX, décidée par le Conseil européen de décembre 2007.

Avec 1.830 personnels internationaux, la mission EULEX sera la mission civile la plus importante de l'Union. Elle aura trois composantes : police, justice et douanes. Elle est dirigée par Yves de Kermabon, ancien commandant de la KFOR. Dans ces trois domaines, EULEX doit prendre le relais de la MINUK, mais avec un niveau d'intervention différent : même si elle est dotée de pouvoirs exécutifs, là où la MINUK administrait directement le Kosovo, EULEX devra assurer la supervision et le soutien de l'administration kosovare.

M. Didier Boulaud a expliqué que la représentation de l'Union européenne était complexe, car si elle disposait d'un représentant spécial (RSUE) qui fournissait au chef de la mission EULEX des orientations politiques, ce représentant spécial était également, en vertu du plan Ahtisaari, le représentant civil international, chargé de superviser une indépendance "irréversible" et investi à ce titre de pouvoirs spécifiques par le texte de la Constitution kosovare. Sous sa casquette de représentant civil, il représente 20 pays membres de l'Union européenne, deux pays candidats (Croatie, Turquie), la Norvège, la Suisse et surtout les Etats-Unis, qui occupent une place très importante dans les instances du bureau civil international (chaque directeur est assisté d'un adjoint américain).

L'Union européenne devait prendre le relais sur place de la mission des Nations unies dont la position n'est pas non plus très claire.

Adoptant une démarche pragmatique, en l'absence de résolution du conseil de sécurité, le secrétaire général des Nations unies avait décidé, le 12 juin 2008, de procéder à la reconfiguration de la MINUK et au transfert à la mission européenne EULEX de l'essentiel des pouvoirs en matière de police, justice et douanes à l'issue d'une période de transition de 120 jours. La MINUK devait revenir de près de 2.500 personnes en janvier 2008 à 700 d'ici la fin du mois de novembre. La mission EULEX est donc placée sous le « parapluie » de l'ONU en application de cette décision du secrétaire général, sans que cette notion soit juridiquement très claire ni concrètement très aisée à traduire sur le terrain.

M. Didier Boulaud a indiqué que la délégation avait pu constater sur place que la transition entre la MINUK et EULEX était difficile et que le déploiement d'EULEX, qui devait s'engager à partir de l'été, avait pris du retard.

Les problèmes étaient d'ordre juridique, mais aussi politique : la MINUK craint que le dialogue qu'elle entretient avec les Serbes ne soit dégradé ou rompu en laissant EULEX se déployer dans l'ensemble du pays. La Serbie, qui s'oppose à la présence internationale dans les communes à majorité serbe du Kosovo, a ainsi demandé à ce qu'un dialogue soit noué avec la MINUK sur six domaines techniques, ce qui consisterait en fait en une réouverture des négociations.

M. Didier Boulaud a ajouté qu'il était également difficile de mettre fin à un protectorat, fût-il celui d'une organisation internationale, car la place et le rôle de cette organisation devraient être fortement réduits, de même que, de façon beaucoup plus triviale, celle des hommes et femmes qui la servent. Les positions du chef de la MINUK ne semblaient pas toujours suivies d'effet. Le chef du bureau régional de la MINUK, dans le nord, a ainsi pris clairement position contre l'indépendance.

A la date de la mission, les relations entre la MINUK et EULEX n'étaient pas encore clarifiées et semblaient évolutives. En particulier, dans le domaine sensible de la justice, la MINUK faisait état de "difficultés" à transmettre ses dossiers à EULEX.

M. Didier Boulaud a expliqué que ces différents accommodements juridiques présentaient un risque évident : chacune des parties pouvait jouer de cette ambiguïté et de la compétition entre organisations internationales. La pire des solutions serait celle d'un partage géographique des rôles, MINUK au nord et EULEX dans le reste du pays, qui apparaîtrait comme le prélude à une partition du pays. Le déploiement d'EULEX au nord de l'Ibar, qui délimite une zone de peuplement serbe à Mitrovica, concentrait toutes les attentions. Il s'y jouait d'une certaine manière, la cohérence de la communauté internationale.

S'ajoute à ce panorama des organisations internationales, l'OSCE présente avec plus de 700 personnes et qui joue un rôle dans le domaine des Droits de l'Homme et des élections. Cette organisation entretient également le dialogue avec les Serbes. Elle est « neutre par rapport au statut ».

Dans ce contexte, M. Didier Boulaud a considéré que la KFOR reste un point d'ancrage, présence militaire dont le mandat est d'assurer un environnement sûr.

Au plus fort de la crise, la KFOR, déployée sur le fondement de la résolution 1244 du conseil de sécurité, avait compté jusqu'à 50.000 hommes. Depuis 2001, elle a connu une forte décrue de ses effectifs et comprend actuellement environ 15.000 hommes répartis en cinq zones de responsabilité. Les forces françaises ont la responsabilité de la zone nord, celle de Mitrovica. Depuis deux ans, les effectifs ont atteint un effet de seuil : une diminution nécessiterait une reconfiguration de la mission. Les principaux contingents sont allemands (2.400 hommes), italiens, français (2.000 personnes) et américains (1.500 hommes).

La KFOR a également pour mission de contribuer à mettre sur pied les forces de sécurité kosovares et de transformer ainsi la milice albanaise KPC, héritière de l'UCK. L'obstacle principal, outre l'intégration des Serbes, est le manque de soutien financier à cette opération qui semble être le parent pauvre des financements internationaux.

M. Didier Boulaud a expliqué que d'un paysage international concurrentiel et discordant, la KFOR constituait manifestement un point d'ancrage. Son action est efficace mais peut-être trop : la KFOR est censée intervenir en troisième niveau derrière la police kosovare et la police de la MINUK. De fait, elle se trouve trop souvent placée en première ligne en raison de l'inefficacité supposée ou avérée des autres forces. Du sommet de l'immeuble de Mitrovica où elle est installée, la KFOR est en meilleure position pour observer que les unités de police qui patrouillaient en ville. Les autorités de la KFOR considèrent qu'il serait possible de réduire les effectifs de 30 à 40 % avec des unités plus mobiles et moins de caveat.

M. Didier Boulaud a ensuite indiqué que la situation politique et sécuritaire semblait évoluer favorablement.

Sur le plan sécuritaire, la situation est calme. La déclaration d'indépendance, puis l'entrée en vigueur de la Constitution ne se sont pas accompagnées des flambées de violence annoncées. Deux postes frontières du nord ont été brûlés et, le 17 mars dernier, suite à une occupation par les Serbes, la MINUK a repris possession du tribunal de Mitrovica avec l'appui de la KFOR de façon particulièrement déterminée. Depuis, aucun incident notable n'est à déplorer. Les problèmes semblent davantage liés à la criminalité et à l'alcool qu'à la politique.

De fait, il semble désormais que chacune des parties a intérêt à aller de l'avant. En dépit d'une impatience perceptible, les Albanais ont fait preuve de beaucoup de retenue dans la gestion de leur indépendance. Tous les interlocuteurs rencontrés sur place ont insisté sur la nécessité de faire pression sur la Serbie, mais aussi sur le caractère multiethnique du Kosovo, avec des discours parfaitement « eurocompatibles ».

M. Didier Boulaud a rappelé que les autorités du Kosovo étaient issues des élections du 17 novembre 2007, qui avaient vu la victoire du parti PDK d'Hashim Thaçi, l'actuel premier ministre. Le PDK, un des deux partis issus de l'ancienne UCK, gouverne en coalition avec le LDK, parti de l'ancien président Rugova et dont le président de la République, M. Sedjiu, est issu. Trois sièges sont réservés aux minorités au sein du Gouvernement, sans que leurs occupants ne soient réellement représentatifs : les partis serbes du Kosovo ne participent plus depuis 2004 aux institutions provisoires du Kosovo et ont largement boycotté les élections de novembre 2007. Ils ont même procédé, en mai 2008, à des élections parallèles illégales dans certaines municipalités du nord.

L'immense défi qui s'offre aux autorités kosovares est de lutter contre l'esprit de revanche, de bâtir un Etat crédible et d'offrir des perspectives à la population. D'un point de vue économique, le Kosovo n'est clairement pas viable en dehors d'une perspective régionale. Là encore, la tâche est immense pour la coopération européenne. La commission européenne, qui dispose d'un bureau de liaison à Pristina, met en oeuvre des programmes financiers conséquents, puisque 326,4 millions d'euros sont programmés pour la période 2007-2010 pour le renforcement de l'Etat de droit, mais aussi les infrastructures, l'énergie, l'éducation, ou la sécurité alimentaire au Kosovo. Le pays est dans les tous premiers au monde en termes d'aide par habitant.

M. Didier Boulaud a ajouté que les Serbes du Kosovo ont un réel sentiment d'inquiétude et d'abandon. Comme le disait l'un des interlocuteurs sur place, ils sont brutalement passés du statut de citoyen à celui de minorité et ont besoin d'accomplir une forme de deuil. Y compris dans la zone nord, les Serbes sont minoritaires (20 % de la population). Un signal de Belgrade serait nécessaire pour qu'ils cessent d'espérer la réversibilité de l'indépendance ou, à défaut, la partition du territoire. A cet égard, M. Didier Boulaud a estimé que beaucoup se jouerait en Serbie où la question du Kosovo restait un enjeu de politique intérieure et où même le président Boris Tadic, pro-européen, n'avait pas encore osé faire les pas nécessaires vers une certaine forme de normalisation. L'acceptation du déploiement d'EULEX au Kosovo devrait être, en tout état de cause, un préalable à tout rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne.

Les Serbes des enclaves sont sur une ligne un peu différente de ceux du nord : en cas de violences au nord, ils se sentent potentiellement exposés à des représailles qui ne pourraient conduire qu'à de nouveaux départs qui videraient un peu plus les enclaves. Le Gouvernement de Pristina doit aussi donner des signaux positifs, ce qui est difficile dans un contexte d'impatience : les Serbes étaient 40.000 à Pristina avant le début de la guerre, ils sont aujourd'hui moins de 200. Les faire revenir demandera des efforts et une volonté politique réelle des autorités kosovares. M. Didier Boulaud a rappelé que les Kosovars serbes sont strictement séparés de la population albanaise à l'école et dans la vie professionnelle, même dans les zones mixtes.

Enfin, les Serbes n'ont pas non plus intérêt au développement d'une zone de non-droit dans le nord et à la prolifération des trafics, au demeurant parfaitement interethniques. Comme la MINUK aujourd'hui, EULEX a pour vocation de les protéger demain en contribuant à l'établissement d'un Etat de droit respectueux des minorités. M. Didier Boulaud a estimé qu'une solution intermédiaire pourrait consister, dans un premier temps, dans un déploiement conjoint des deux missions au nord de Mitrovica.

En conclusion, il a indiqué que l'année à venir serait décisive au Kosovo. Elle permettrait au processus de reconnaissance, encore fragile, de se poursuivre. A très court terme, l'enjeu principal est le déploiement de la mission EULEX dans le nord du pays. Le mot d'ordre du général Gay, le nouveau commandant italien de la KFOR, « unité des efforts », est le vrai programme d'une communauté internationale divisée.

A plus long terme, c'est aussi la capacité des Européens à forger un Etat autonome qui assume ses responsabilités face à sa population, qu'elle soit serbe ou albanaise, et non un protectorat d'un nouveau type, géré par l'Union européenne qui serait alors sans cesse placée dans une position d'arbitrage entre communautés.

A l'exemple de ce qui s'est passé en Bosnie, M. Didier Boulaud a estimé qu'il devait être fait recours aux pouvoirs spéciaux du représentant civil international avec la plus grande parcimonie.

Il a cité M. Robert Cooper, directeur général des relations extérieures au secrétariat général du conseil de l'Union européenne, qui déclarait dans la presse du week-end : « Nous allions autrefois au loin pour bâtir des empires, nous y allons aujourd'hui pour construire des Etats ». C'était tout l'enjeu de l'action de l'Union européenne dans les Balkans : soutenir des Etats en construction qui ont un jour vocation à la rejoindre.

S'associant à ce compte rendu, M. André Trillard a souligné la difficulté pour EULEX d'établir des relations de confiance avec la MINUK et il a regretté que des responsables régionaux de la MINUK s'engagent dans des choix personnels. Il a souligné l'importance de transmettre aux procureurs désignés par EULEX les dossiers du ressort du tribunal de Mitrovica. Il a indiqué que les autorités kosovares faisaient preuve d'une grande dignité et il a souhaité que le clergé orthodoxe serbe montre aussi une certaine ouverture.

M. Robert del Picchia a demandé si l'intervention russe dans les provinces géorgiennes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie avait renforcé le point de vue des Kosovars albanais en fragilisant le thème de l'intégrité territoriale de la Serbie.

M. André Trillard a répondu que la question géorgienne n'avait pas été évoquée, mais que la situation au Kosovo restait difficile, à Mitrovica comme dans les enclaves serbes, les deux communautés étant de toute manière condamnées à vivre côte à côte.

M. Josselin de Rohan, président, a félicité les rapporteurs pour leur compte rendu de mission et il s'est interrogé sur l'architecture institutionnelle très artificielle du Kosovo. Il a demandé qui est le représentant de la MINUK et si les sénateurs avaient rencontré les militaires français.

M. Didier Boulaud a répondu que le représentant de la MINUK est M. Lamberto Zannier, de nationalité italienne, qui avait fait part de difficultés à transmettre certains documents et pouvoirs à EULEX. Il a ajouté que la délégation de la commission avait été très bien reçue par le général Michel Yakovleff commandant de la « task-force » Nord du Kosovo, qui avait parfaitement démontré l'importance de ne pas afficher trop fortement l'emploi de la force sur le terrain. Le sénateur a ajouté qu'il y avait certainement lieu de réduire sensiblement les forces de la KFOR au Kosovo dans le cadre d'une réflexion sur les opérations militaires extérieures.

M. André Trillard a indiqué que l'accueil par les militaires avait été parfait, mais que la KFOR pouvait pâtir des atermoiements des organisations internationales sur place si les conflits entre la MINUK et EULEX n'étaient pas rapidement résolus.

M. Robert del Picchia a demandé si une réduction des forces militaires de l'OTAN au Kosovo était possible compte tenu des risques de violence toujours présents.

M. Didier Boulaud a répondu que les dramatiques évènements de mars 2004 au cours desquels des Kosovars serbes avaient été tués et des maisons pillées avaient pu se produire en raison d'une défaillance des services de renseignement et de la KFOR. Il lui semblait que la KFOR avait désormais les moyens de prévenir des violences qui n'avaient rien de spontané. Par ailleurs, il a indiqué avoir perçu un certain sentiment de quiétude dans le pays, même si la zone nord de Mitrovica restait problématique.

M. Josselin de Rohan a demandé aux sénateurs s'ils avaient rencontré des Kosovars d'origine serbe.

M. Didier Boulaud a répondu qu'ils avaient rencontré Mme Rada Trajkovic, vice-présidente du conseil national serbe qui vit à Gracanica, une enclave serbe à une dizaine de kilomètres au sud de Pristina. Elle plaide contre la séparation du nord du Kosovo et pour un dialogue avec les Kosovars albanais. Malheureusement, elle est assez isolée et sa vie même est menacée par les extrémistes.

M. Josselin de Rohan a rappelé que les lieux saints de l'orthodoxie serbe étaient situés dans la partie à majorité albanaise du Kosovo et que la partition ne réglerait en rien cette question.

M. Jean-Pierre Chevènement a indiqué qu'il existait des mécanismes de protection internationale pour les lieux saints. Il a ajouté qu'il avait des doutes quant à la possibilité pour les Kosovars serbes et albanais de vivre ensemble et qu'il lui semblait donc plus cohérent de tracer une frontière qui assure une paix durable que de forcer les communautés à cohabiter.

M. Didier Boulaud a répondu que la difficulté venait de ce que les Serbes n'étaient même pas majoritaires au nord du pays, représentant seulement 20 % de la population au nord de l'Ibar. Même dans le quartier nord de Mitrovica, les communautés sont imbriquées. Il a conclu que la partition ne règlerait pas non plus la question des enclaves, où vivent les deux tiers de la population kosovare serbe.

TCHAD

La commission a ensuite entendu une communication de M. Josselin de Rohan, président, et de MM. André Vantomme et François Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances, relative à leur déplacement au Tchad du 4 au 6 janvier 2009.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que ce déplacement s'inscrivait dans un ensemble de missions entreprises par la commission sur les principaux théâtres d'opérations où des forces françaises sont déployées. L'objectif poursuivi par la mission était de procéder à une estimation du dispositif Epervier et d'établir un bilan de l'opération Eufor-Tchad-République Centrafricaine dont le mandat arrive à échéance le 15 mars 2009.

Cette mission a permis d'avoir des entretiens politiques de haut niveau, en particulier avec le Premier ministre tchadien et le Président de l'Assemblée nationale. Ces entretiens ont notamment permis de constater l'importance que les autorités tchadiennes attachent à la présence française dans leur pays.

Le président a rappelé que la France avait un intérêt stratégique à la stabilité du Tchad situé en plein coeur de l'arc de crise, défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui s'étend de la Mauritanie au Pakistan. Il se situe également au sein d'une autre zone de crise : l'Afrique subsaharienne et, en particulier, aux frontières du Niger et de la zone sahélienne où des organisations islamistes proches d'Al-Qaïda s'installent. Par ailleurs, à l'est du Tchad, la République Centrafricaine et, bien évidemment, le Darfour constituent des zones d'instabilité majeures.

Dans ce contexte d'instabilité, M. Josselin de Rohan, président, a souligné que le président Idriss Deby Itno, au pouvoir depuis 1990, avait été réélu en 1996, 2001 et 2006. L'Assemblée nationale est, quant à elle, en place depuis 2002.

Le rétablissement de la paix intérieure grâce au dialogue politique inter-tchadien a considérablement progressé depuis l'accord du 13 août 2007. Cet accord, dont le président Deby s'est porté personnellement garant, et qui a été signé par 91 partis politiques, prévoit un recensement complet, démographique et électoral, en vue d'élections générales qui devraient se tenir, sous contrôle international, au cours du premier semestre 2010. Cet accord prévoit la création d'un comité de suivi qui fixe le cadre du dialogue politique interne et qui permet, via l'accord de Syrte d'octobre 2007 sur les négociations sur le Darfour, la réintégration des diverses rébellions dans le jeu politique.

Le vote de la loi instituant la Commission nationale électorale indépendante (CENI), le 5 décembre 2008, est d'autant plus positif que sa présidence a été confiée à M. Lol Mahamat Choua, qui est l'un des principaux opposants au gouvernement. Outre la loi portant statut de l'opposition, les prochaines étapes seront la mise en place de cette commission et l'adoption du code électoral.

M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la France devait bien évidemment encourager cette évolution démocratique, qui ne pourrait néanmoins se consolider que par le développement économique. De ce point de vue, les ressources pétrolières découvertes depuis 2000 ont permis d'augmenter les ressources de l'un des pays les plus pauvres du monde d'environ un milliard de dollars par an. Une loi, unique en son genre en Afrique, prévoit d'affecter 65 % de ces ressources aux secteurs sociaux ou prioritaires en matière de développement durable.

Abordant la crise du Darfour, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'elle avait considérablement affaibli le Tchad, tant par l'existence d'une rébellion soutenue par Khartoum que par l'afflux de 300 000 réfugiés et de 200 000 déplacés dans l'est du pays auquel il faut ajouter les 45 000 déplacés et réfugiés de RCA. Trois processus de médiation sont en cours pour tenter de normaliser les relations entre les deux pays. L'accord de Dakar du 13 mars 2007 a pour but d'organiser un processus de dialogue au travers de réunions régulières d'un « groupe de contact ». Le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, favorisé par la Libye, facilite ce processus. Il est en particulier question d'organiser une « force de défense et de sécurité » régionale, comportant 1.000 soldats tchadiens et 1.000 soldats soudanais, répartis en 10 postes d'observation, qui aurait pour but de sécuriser la frontière entre les deux pays.

Un second processus dit « de Doha » est promu par le Qatar en liaison avec le médiateur burkinabé, M. Djibril Bassolé, qui est mandaté conjointement par l'ONU et par l'Union africaine. Enfin, l'Union africaine a confié un mandat de médiation à la Libye et au Congo Brazzaville. Forte de ce mandat, la Libye, qui joue un rôle stabilisateur dans la région, essaye d'organiser une réunion entre les deux présidents.

Ces différentes tentatives de médiation, dont il faut se féliciter, n'ont pas, jusqu'à présent, empêché les attaques régulières des rebelles tchadiens soutenus par le Soudan. M. Josselin de Rohan, président, s'est interrogé sur la volonté du gouvernement soudanais de continuer à financer, à armer et à fédérer les différents mouvements de rébellion qu'il héberge sur son sol. La récente unification d'une majorité des rebelles au sein d'une « Union des forces pour la résistance » est inquiétante mais ne deviendrait dangereuse que si elle parvenait à se choisir un nouveau chef pour remplacer M. Nouri, chef du mouvement UFCD, qui reste soutenu par Khartoum mais dont l'autorité est contestée depuis l'échec de l'offensive de février 2008.

De son côté, le Tchad héberge le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) installé au nord de la zone de l'opération Eufor.

Depuis l'offensive de février 2008, qui a conduit les rebelles jusqu'à N'Djamena, et celle de juin dernier dans la région d'Abéché, chaque partie au conflit réarme en vue d'un prochain affrontement. L'armée tchadienne, forte d'environ 49 000 hommes, dont 20 à 25 000 sont déployées dans l'est du pays, a acquis de nouveaux matériels : blindés, canons, chars, hélicoptères, avions de combat Sukoï, et a entrepris une indiscutable professionnalisation qui se traduit par l'utilisation de méthodes coordonnées d'action sur le champ de bataille dans la profondeur. L'objectif du gouvernement est d'arrêter les colonnes d'assaillants, dans l'Est, en sécurisant les voies d'accès peu nombreuses qui permettent de pénétrer le territoire. La coopération militaire française joue un rôle important, conformément aux accords, pour former les forces tchadiennes. Le président a souligné que cette formation était naturellement un atout fondamental pour l'armée tchadienne face à une rébellion capable d'organiser des raids dans la tradition des rezzous, mais qui ne dispose ni de l'entraînement ni de la logistique d'une armée.

Les indications disponibles sur les forces de la rébellion sont moins précises, mais on estime qu'elles disposent de 6.000 à 10.000 hommes. Leur armement pourrait être fourni par le gouvernement soudanais qui a lui aussi acquis, en 2008, des matériels comparables à ceux dont dispose l'armée régulière tchadienne.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné qu'il ne pouvait y avoir d'évolution de la situation sans que les deux gouvernements mettent fin au soutien que chacun apporte aux rébellions. Cette décision ouvrirait la voie à une normalisation des relations entre les deux pays. Il est également nécessaire que des négociations directes aient lieu entre le gouvernement soudanais et le MJE.

Dans ce contexte très fragile, il a indiqué que la mise en accusation du président Al Béchir par la cour pénale internationale introduisait de lourdes incertitudes jusqu'au verdict de la cour attendu à la mi-février. Le remplacement du président Al Béchir par M. Salva Kiir, premier vice-président, permettrait vraisemblablement d'entamer des pourparlers avec la rébellion soudanaise.

Par ailleurs, le risque de partition du Soudan en trois entités : au sud, qui se déterminera vraisemblablement dans ce sens par référendum, au Darfour et au nord, serait le premier exemple de remise en cause des frontières issues de la colonisation en Afrique. Cet éclatement possible du Soudan ne manquerait pas d'entraîner une profonde déstabilisation remettant en cause les différents efforts de paix dans la région.

Abordant ensuite le volet plus spécifiquement militaire de la mission, M. Josselin de Rohan, président, a entrepris de décrire le dispositif Epervier et celui de l'opération Eufor-Tchad-RCA.

Il a rappelé que les Eléments français au Tchad (EFT) sont présents sans interruption sur le territoire tchadien depuis le 10 février 1986, date du début de l'opération Epervier, déclenchée sur la base de l'article 51 de la charte des Nations unies dans le cadre du conflit tchado-libyen de la bande d'Aouzou.

La base juridique de la présence militaire française est constituée par l'accord de coopération militaire du 6 mars 1976 et son protocole additionnel du 7 avril 1990 modifié le 10 juin 1998 qui prévoit l'accord des deux gouvernements sur le stationnement des forces pour une durée indéterminée.

Les Eléments français au Tchad ont principalement pour vocation :

- d'assurer la sécurité des ressortissants français. Pour cette mission, les EFT ont montré leur efficacité lors de l'opération d'évacuation en février 2008 ;

- d'apporter un soutien à l'armée nationale tchadienne en contribuant à l'instruction et en apportant une aide matérielle aux différentes armées (logistique et renseignement, santé) ainsi que le maintien d'une capacité d'intervention extérieure (appui aérien et renseignement) ;

- de venir en aide à la population civile, sans se substituer aux administrations ou organisations gouvernementales compétentes, en apportant notamment une aide médicale gratuite à tous ceux qui en expriment le besoin ;

- de fournir un soutien logistique aux organisations internationales (ONU et Union européenne) impliquées dans la gestion de la crise humanitaire dans l'Est du pays et au Darfour (MINURCAT 1 et Eufor-Tchad-RCA).

L'opération Epervier met en oeuvre un détachement de 1.142 personnes dont 751 pour le groupement terre et 392 pour le groupement air. Les EFT sont articulés autour d'un état-major interarmées directement subordonné à l'état-major des armées à Paris.

Surcoût de l'opération Epervier

2008 : 104 Meuros

2007 : 93 Meuros

2006 : 77 Meuros

2005 : 74 Meuros.

L'augmentation régulière s'explique par :

- l'augmentation du coût de l'énergie (carburant avions)

- l'augmentation des missions aériennes

- la multiplication des flux logistiques.

Le surcoût comprend l'ISSE (indemnité de sujétion pour service à l'étranger), les dépenses de fonctionnement, le carburant, les flux logistiques d'entretien, la maintenance.

Les Eléments français au Tchad sont implantés sur trois sites : à N'Djamena, la base « sergent-chef Adji Kosseï », à Abéché le camp Croci et à Faya Largeau.

S'agissant de l'opération Eufor Tchad RCA, le président a rappelé que la commission avait préparé cette mission lors d'un déplacement effectué le 19 février 2008 auprès de l'état-major de la force installé au Mont Valérien sous le commandement du général irlandais Nash.

M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté, le 25 septembre 2007, la résolution 1778, qui approuve le lancement de la mission des Nations unies en République Centrafricaine et au Tchad (MINURCAT) et autorise le déploiement d'une force multidimensionnelle dans l'est du Tchad et le nord-est de la République Centrafricaine (EUFOR-Tchad-RCA). Cette résolution s'inscrit sous le chapitre VII de la charte des Nations unies qui autorise l'usage de la force.

La MINURCAT a pour mission de sélectionner et de former des policiers tchadiens afin d'assurer la protection humanitaire, la surveillance et la protection des droits de l'homme dans les zones considérées. Cette police tchadienne, le détachement intégré de sécurité, (DIS) sera en charge du maintien de l'ordre et du respect de la loi dans les camps de réfugiés.

Par ailleurs, le Conseil du 28 janvier 2008 a approuvé le plan d'opération et les règles d'engagement de l'opération Eufor-Tchad-RCA qui s'inscrit dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Les objectifs qui lui sont assignés consistent à faciliter la fourniture de l'assistance humanitaire, à améliorer la sécurité des populations réfugiées et déplacées et à créer les conditions d'un retour volontaire dans leur région d'origine de ces populations. Ces différentes actions doivent s'accompagner d'un effort de reconstruction et de développement dans l'est du Tchad et le nord-est de la République Centrafricaine.

Cette opération a été autorisée pour une durée d'une année à compter de la déclaration de capacité opérationnelle initiale, le 15 mars 2008. Elle doit donc s'achever le 15 mars prochain et être relevée par une force de l'ONU, la MINURCAT 2. La résolution 1834, adoptée par le Conseil de sécurité le 24 septembre 2008, demande au département des opérations de maintien de la paix de l'ONU (DOMP) d'initier la génération de force de la « Follow on force » (FoF) onusienne.

L'opération Eufor-Tchad-RCA est le cinquième déploiement militaire de l'Union européenne en cinq ans, après Artémis au Congo (2003), Concordia en Macédoine (2003), Althea en Bosnie-Herzégovine (2004) et Eufor RD Congo (2006). M. Josselin de Rohan, présiden, a toutefois précisé que cette opération était sans doute la plus complexe que l'Union européenne ait entreprise et qu'elle constituait indiscutablement un test de crédibilité réussi pour la PESD.

Ce résultat positif a été obtenu en dépit de difficultés extrêmes :

- l'opération a, en premier lieu, été confrontée aux problèmes habituels de génération de forces, tant au niveau des contributions nationales en hommes qu'en matériels. C'est en effet en mai 2007 que le COPS a pris sa décision initiale et ce n'est qu'en novembre suivant qu'a eu lieu la première réunion de génération de forces. Cette situation a conduit notre pays à prendre une part prépondérante dans l'opération alors qu'il ne le souhaitait pas compte tenu de notre engagement bilatéral. Du fait de ces difficultés, le contingent français de l'Eufor représente 51 % des effectifs totaux. Par ailleurs, le dispositif Epervier intervient en soutien. S'agissant des matériels, le manque le plus flagrant se situe, comme pour d'autres opérations, au niveau de la mobilité et des moyens aéroportés, notamment des hélicoptères. Ce qui explique que la pleine capacité opérationnelle n'ait été déclarée que le 15 septembre 2008 ;

- par ailleurs, l'activation de l'état-major d'opération au Mont Valérien a connu un certain nombre de vicissitudes et une trop lente montée en puissance avant la nomination du général Nash en octobre 2007. De plus, lors de l'entretien avec le Premier ministre tchadien, des interrogations sur les difficultés de commandement du fait de son absence d'unification sont apparues ;

- sur place, le déploiement des troupes s'est ressenti de ces différents retards, aggravés par l'interruption rendue nécessaire par l'offensive rebelle de février, alors même que la décision de déploiement avait été prise le 28 janvier 2008.

Ces différents éléments soulignent la difficulté, en matière de défense, des prises de décision à l'unanimité :

- en matière de logistique, l'UEO a constaté qu'il y avait eu « un grand vide logistique avant la prise en charge française sur le terrain » ;

- enfin, le président a souligné les limites du mécanisme Athéna qui limite la contribution de l'Union européenne aux coûts communs et qui renvoie sur les différents Etats nationaux le soin de financer la participation de leur contingent. La contribution européenne a été de 119 millions d'euros pour un an. Sur ce total, la France prend en charge 15,57 %, soit 18,5 millions, auxquels s'ajoutent, pour l'année 2008, 130 millions d'Euros imputés sur le budget national. Ces coûts s'alourdiront encore jusqu'à la fin de l'opération, en 2009. M. Josselin de Rohan, président, a relevé que, les décisions concernant la PESD étant prises à l'unanimité, l'on pouvait légitimement s'interroger sur le fait de faire porter sur les seuls Etats participants la majeure partie des coûts. Une mutualisation à 27, selon une clé de répartition à déterminer qui tienne compte de l'importance relative de chaque pays mais aussi de l'importance de l'effort consenti en matière militaire, devrait être envisagée.

Certes, cette opération a également été exceptionnelle en raison des difficultés qu'elle a rencontrées. Il s'agissait de déployer 3.403 hommes appartenant à 26 nations différentes. La France fournissait 1.758 soldats, l'Irlande 447, la Pologne 421, l'Autriche 169, l'Espagne 112 et l'Italie 104. Le reste des contingents était de nature plus anecdotique. Il convient toutefois de remarquer qu'à ses forces vient de se joindre un contingent russe composé de 120 personnes et surtout de quatre hélicoptères MI8.

Mais c'est surtout la géographie qui explique la complexité de l'opération. Le Tchad est un pays enclavé en plein coeur de l'Afrique. Quelques éléments permettent d'illustrer les difficultés logistiques auxquelles cette opération a été confrontée :

- le transport de containers par bateau entre Le Havre et le port de Douala au Cameroun prend deux semaines ;

- la liaison ferroviaire n'existe qu'au Cameroun. Le transport en camion du port de Douala à N'Djamena prend environ 15 jours pour parcourir les 1.900 km. Il faut compter quatre jours supplémentaires pour parcourir les 770 km jusqu'à Abéché, sur des pistes, et trois jours de plus pour acheminer les matériels jusqu'à Iriba, au nord de la zone de responsabilité de l'Eufor ;

- à partir d'Abéché, la desserte de Birao, en République Centrafricaine ne peut se faire qu'en avion ;

- au total, le temps de transport d'un container d'Europe à Abéché est égal ou supérieur à un mois et demi et un camion met trois à quatre semaines, en fonction des conditions climatiques, de Douala à Iriba.

- par ailleurs, les différents camps (« Europa » à N'Djamena, « Les étoiles » à Abéché, et les implantations d'Iriba, de Forchana, de Goz-Beida et de Birao) ont dû être érigés en un temps très court.

Enfin, la zone de contrôle confiée à l'Eufor correspond à une surface de 1.000 km² sur 450 km. Dans ces conditions, les 25 sections dont dispose l'Eufor ont chacune un terrain d'action de plus de 18 000 km².

Le président a ensuite souligné qu'en dépit de ces obstacles l'opération menée par l'Union européenne au Tchad et en République Centrafricaine avait atteint les objectifs qui lui avaient été fixés. L'insécurité a nettement diminué et cette amélioration a, du reste, été saluée par des O.N.G. comme Oxfam. Le récent rapport du Secrétaire général des Nations unies indique que l'Eufor a « facilité les conditions dans lesquelles l'aide humanitaire est distribuée ». S'agissant de la formation et du déploiement du détachement intégré de sécurité, le DIS, 418 policiers tchadiens ont été formés et déployés dans quatre villes de l'est du pays et l'objectif de 850 policiers formés devrait être atteint prochainement. De plus, l'Eufor a su respecter le principe de neutralité qui s'imposait à une opération de ce type.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné que les difficultés rencontrées sur la génération de forces et sur la mise en place des structures de planification et de commandement justifiaient pleinement que l'Europe se dote d'une structure de commandement intégrée permanente, aujourd'hui bloquée par le Royaume-Uni.

Toutefois, il est évident que cette opération n'aurait pu connaître le succès sans la pleine implication française, tant au niveau européen qu'à celui du support apporté par Epervier. Si l'on doit saluer la performance technique et humaine qu'a constitué l'organisation logistique de l'opération, il est vraisemblable que les objectifs fixés n'auraient pas été atteints en cas d'incidents sérieux.

La délégation de la commission a pu également constater un niveau de MCO (maintien en condition opérationnelle) des matériels extrêmement préoccupant, qui ne s'explique qu'en partie par la dureté des conditions de terrain.

Enfin, le président a abordé la question de la relève de l'opération Eufor-Tchad-RCA par la MINURCAT. Cette relève devrait avoir juridiquement lieu le 15 mars prochain, mais il est évident qu'un calendrier glissant sera adopté pour permettre à la force de l'ONU de se substituer progressivement aux troupes européennes. La pleine capacité opérationnelle de l'opération sous pavillon ONU ne sera pas atteinte avant octobre 2009 et certains des 16 Etats qui envisagent d'y participer ont subordonné leur offre à la disponibilité de certaines capacités critiques, notamment en matière de mobilité.

La résolution 1834 du 24 septembre 2008 prévoit une force de 4.900 hommes et un contingent en République Centrafricaine dont le nombre est encore soumis à discussion. M. Josselin de Rohan, président, a souligné l'importance de maintenir une présence permanente et significative en République Centrafricaine, c'est-à-dire entre 300 et 500 hommes. Faute de quoi cette zone redeviendra, dans des délais très brefs, une zone d'insécurité, laquelle se répercutera à la fois sur le Tchad mais aussi en Centrafrique elle-même.

L'augmentation des effectifs devrait permettre un déploiement sur six sites au lieu de trois actuellement et de disposer d'une réserve de théâtre du volume d'un bataillon.

Il est prévu une absence de caveats des pays contributeurs en troupes, mais un « engagement de soutien in extremis » devrait être pris par un Etat membre sur une base bilatérale, en vue d'assurer la sécurité du personnel et des biens des Nations unies en cas de débordement de la force onusienne. C'est bien évidemment la France à laquelle tout le monde pense pour cet engagement.

En l'état actuel des choses et compte tenu de l'importance des engagements de la France en matière d'opérations extérieures et de son implication au Tchad au travers de l'opération Epervier, les réticences initiales à participer à une opération internationale de grande ampleur en parallèle à une opération bilatérale demeurent toujours valables.

M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la solution la plus convenable pourrait être un maintien temporaire de la fonction logistique pour une durée la plus courte possible au-delà du 15 mars 2009. Par ailleurs, les engagements en matière de renseignement et d'observation à l'aide de nos moyens aériens pourraient également perdurer. Il s'est interrogé par ailleurs sur le point de savoir s'il était souhaitable d'envisager une participation importante de troupes françaises à cette opération de l'ONU. Il s'est plutôt prononcé pour un renforcement en hommes et en matériels de la force Epervier, qui joue un rôle majeur dans la stabilisation de la région et de l'arc de crise dans son ensemble.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 14 janvier 2009, la résolution 1861, présentée par la France. Cette résolution décide de proroger, pour une période de 12 mois, « la présence multidimensionnelle au Tchad et la présence militaire en République Centrafricaine destinées à aider à créer les conditions favorables au retour volontaire, sécurisé et durable des réfugiés et des personnes déplacées, y compris en contribuant à la protection des réfugiés, des personnes déplacées et des populations civiles en danger, en facilitant la fourniture de l'assistance humanitaire dans l'est du Tchad et le nord-est de la République Centrafricaine, et en créant les conditions en faveur d'un effort de reconstruction et de développement économique et social de ces zones ».

Cette décision signifie que le mandat de la MINURCAT est prolongé jusqu'au 15 mars 2010. Elle autorise le déploiement d'une composante militaire qui succédera à l'Eufor.

La MINURCAT comprendra au maximum 300 policiers, 25 officiers de liaison, 5.200 militaires, ainsi qu'un effectif approprié de personnel civil. Cette décision donne satisfaction à la France puisqu'elle prévoit le déploiement de 4.900 militaires au Tchad et 300 en République Centrafricaine.

La résolution 1861 rappelle les objectifs relatifs à la montée en puissance du détachement intégré de sécurité (DIS). Le mandat de la MINURCAT 2 reprend celui qui avait été confié à l'Eufor. Il concerne la sécurité et la protection des civils, les droits de l'homme et l'État de droit et le soutien de la paix au niveau régional. Il réitère le fait que la MINURCAT est placée sous l'autorité du chapitre VII de la charte des Nations unies qui autorise l'emploi de la force.

À la suite de cette présentation, M. André Vantomme est intervenu pour remarquer que la brièveté du séjour de la délégation de la commission n'avait pas permis de prendre des contacts politiques en dehors des autorités officielles. Il a par ailleurs souligné l'intérêt de suivre attentivement l'évolution du Soudan, pays dont l'unité est menacée, mais aussi pour le rôle qu'il joue en soutien du mouvement d'unification de la rébellion tchadienne. Aux facteurs de fragilité propres au Soudan s'ajoute l'extrême déliquescence de l'Etat en République centrafricaine. Il s'est également inquiété de la persistance des atteintes aux droits de l'homme au Tchad, comme en témoigne un récent rapport d'Amnesty international.

M. André Vantomme a souligné que le rapatriement en France des matériels, suite à l'arrêt de l'opération Eufor, allait poser d'énormes problèmes de logistique et de coûts. Il s'est interrogé sur le point de savoir s'il ne serait pas plus efficace de laisser ces matériels au Tchad dans le cadre d'un renforcement de la force Epervier.

En conclusion, il a salué la qualité et la disponibilité de l'ensemble des responsables militaires et diplomatiques qui ont accueilli la délégation de la commission au Tchad.

M. François Trucy a fait remarquer que l'opération Eufor-Tchad-RCA était indispensable d'un point de vue humanitaire, mais qu'elle n'aurait sans doute pas connu le succès sans l'engagement considérable de la France. Toutefois, la question du retour des réfugiés dans leur village pose de nombreux problèmes. Ainsi que le faisait remarquer le premier ministre tchadien, les services qu'ils reçoivent dans les camps, en matière de santé et d'éducation notamment, sont très supérieurs à ceux qu'ils pourront connaître dans leur environnement initial.

Comme M. Josselin de Rohan, président, il a constaté que l'ensemble des autorités tchadiennes souhaitaient le maintien de la France dans toutes ses dimensions d'aide au développement, de défense ou de culture. Il a enfin fait remarquer que les Tchadiens sont un peuple de guerriers pour lesquels la rébellion est un fait culturel et que si la manne pétrolière permettait un meilleur partage des richesses au profit du développement, elle était également une incitation supplémentaire à la prise du pouvoir. Il a souligné le rôle extrêmement important des antennes médicales très largement mises au service de la santé de la population locale.

M. Robert del Picchia a souligné l'importance, pour les Français établis dans ce pays, de la présence des forces françaises rassemblées au sein des Eléments français au Tchad (EFT), sans la protection desquelles ils ne resteraient sans doute pas au Tchad.

M. Daniel Reiner s'est interrogé sur la nature des rapports que l'opération Eufor avait eus avec les O.N.G.

M. Josselin de Rohan, président, a souligné le caractère ambigu de ce rapport qui conduit les O.N.G., en particulier les plus petites d'entre elles, à dénoncer les risques de confusion d'image entre les militaires et les humanitaires mais qui se satisfont très bien de la protection des troupes quand les dangers se rapprochent.

Mme Michèle Demessine a rappelé que le Sénat allait prochainement débattre, le 28 janvier prochain, des opérations extérieures françaises et de leur prolongation, notamment au Tchad. Elle a fait remarquer que la question de la rébellion était au coeur de beaucoup de ces opérations de maintien de la paix. Elle s'est interrogée sur les circuits qui permettaient l'acquisition d'armes.

A M. André Trillard qui s'interrogeait sur les séquelles de l'affaire de l'arche de Zoé, M. François Trucy a indiqué que ce scandale, initialement très médiatisé, avait complètement disparu de l'actualité tchadienne.

A M. Jacques Berthou, le président a indiqué qu'il n'y avait pas, à sa connaissance, d'opérations de coopération décentralisée au Tchad, mais qu'il avait proposé à M. Robert Hue de travailler sur cette question au nom de la commission.

A M. Jean-Pierre Chevènement, qui s'interrogeait sur le bilan politique de l'opération Eufor, M. Josselin de Rohan, président, a fait remarquer que les objectifs fixés étaient de sécuriser l'est du Tchad, dans un but humanitaire, en protégeant les O.N.G. afin qu'elles puissent secourir les populations réfugiées et déplacées. Par rapport à ces objectifs, l'Union européenne a atteint ses buts. Cette opération permet de constater l'intérêt qu'il y a à multinationaliser les opérations de maintien de la paix. Cela étant, la présence française reste fondamentale car, sans elle, le Tchad, qui présente un intérêt stratégique pour notre pays, serait soit dépecé, soit satellisé.

M. André Vantomme a abondé dans le même sens en faisant remarquer que la sécurisation apportée par les opérations Epervier et Eufor permettait au Tchad de maîtriser sa sécurité au nord, vers le Sahel, où s'installent des milices djihadistes qui se réclament d'Al-Qaïda.

Les forces françaises en République Centrafricaine

Afin d'assurer le maintien de la sécurité intérieure de la République Centrafricaine, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) et la France participent aux côtés des Forces armées centrafricaines (FACA), souveraines sur leur territoire national, au rétablissement et à la conservation de la paix intérieure, en fournissant des effectifs, des moyens logistiques et en dispensant des actions de formation.

L'opération Boali

Mission

Après avoir soutenu la mise en place de la force multinationale de la CEMAC (FOMUC) en octobre 2002, la France a mis sur pied un dispositif durable de soutien à cette force africaine au lendemain de l'arrivée au pouvoir du Président Bozizé.

Sa mission est de soutenir, sur le plan technique et si besoin opérationnel, la force de stabilisation de la CEMAC, de sécuriser la partie française du camp de M'Poko et d'effectuer des patrouilles dans la ville de Bangui ; de réaliser des tournées en province dans un rayon de 100 à 200 kilomètres ; enfin de participer aux détachements d'instruction opérationnels au bénéfice des FACA.

Soutien dans le domaine opérationnel

En vertu des accords de défense et de sécurité liant la France à la RCA et à la demande des autorités légitimes de celle-ci, les militaires français ont apporté à plusieurs reprises aux forces armées centrafricaines et à la FOMUC un soutien renseignement et logistique, un appui feu aérien, une aide à la planification et à la conduite des opérations visant à reprendre le contrôle du Nord-Est du pays occupé par des éléments armés rebelles.

Le dispositif

Le détachement Boali compte en permanence 220 militaires. Il comprend un état-major, une compagnie d'infanterie et un détachement de soutien (maintenance, administration, santé, prévôts).

Dans le cadre d'actions ponctuelles, des avions de transport tactique ou stratégique, des hélicoptères, projetés depuis la France ou les bases prépositionnées en Afrique, peuvent apporter un soutien dans les domaines de la mobilité, du renseignement, de l'appui aérien.

Le détachement Boali peut être ponctuellement renforcé lorsque la situation sécuritaire l'exige. C'est ainsi qu'après l'attaque des rebelles à Birao le 4 mars 2007, le contingent Boali a été à nouveau renforcé pour atteindre 420 militaires.

Source Ministère de la Défense

* 1 Art. 35. - La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.

Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote.

Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement. Il peut demander à l'Assemblée nationale de décider en dernier ressort.

Si le Parlement n'est pas en session à l'expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l'ouverture de la session suivante.

* 2 900 euros par homme et par jour ce qui représente environ un quart du coût.

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