IV. L'AQUACULTURE : PASSER DU MIRAGE AU MIRACLE
Face à la crise de la pêche, dernière grande ressource biologique sauvage exploitée pour l'alimentation humaine, nombreux sont ceux qui voient dans l'aquaculture une issue normale et inéluctable, comme l'homme est passé de la chasse à l'élevage et de la cueillette à la culture des végétaux.
Pourtant, si l'aquaculture est bien un enjeu crucial pour l'avenir de l'alimentation humaine, celle qui est pratiquée actuellement n'offre pas encore de garanties suffisantes en matière de durabilité et peut apparaître comme un mirage. Pour passer au miracle d'une « révolution bleue », un certain nombre de conditions devront être remplies.
A. L'AQUACULTURE, UNE NÉCESSITÉ ALIMENTAIRE AU NIVEAU MONDIAL
Au regard des statistiques mondiales de productions halieutiques, l'aquaculture apparaît non seulement comme une nécessité dès aujourd'hui mais aussi comme une obligation impérieuse dans le futur pour assurer l'alimentation d'une population humaine toujours plus nombreuse et plus désireuse de manger du poisson.
1. L'aquaculture aujourd'hui : une nécessité alimentaire
Selon les statistiques de la FAO (SOFIA 2006), l'aquaculture est le secteur de production alimentaire d'origine animale qui croit le plus vite, soit 8,8 % par an depuis 1970 contre seulement 1,2 % pour les pêches de capture et 2,8 % pour les systèmes terrestres.
En 2004, la production aquacole atteint 45,5 millions de tonnes pour une valeur de 63,3 milliards de dollars , et 59,4 millions de tonnes et 70,3 milliards de dollars avec les plantes aquatiques. La Chine en représente plus de 70 % du tonnage et plus de 50 % de la valeur . La région Asie-Pacifique totalise 91,5 % du tonnage et 80,5 % de la valeur mondiale (99,8 % des plantes, 97,5 % des cyprinidés, 87,4 % des crevettes, 93,4 % des huîtres) . La seule production pour laquelle l'Europe est dominante (55 %) est celle des salmonidés. En Afrique, c'est le bassin du Nil qui est le coeur de l'aquaculture avec le lac Victoria pour la perche et l'Égypte même pour le tilapia 2 e producteur mondial derrière la Chine, et le mulet, 1 er producteur mondial.
Dans ces chiffres globaux, il faut prendre conscience que c'est l'aquaculture d'eau douce qui reste dominante (56,6 % du volume et 50,1 % de la valeur), les seules carpes représentant 40 % du tonnage . Cette production est traditionnelle en Chine où elle est associée à la riziculture. En effet, les bovidés nécessitent 7 kg de fourrage par kilo de viande contre seulement 3 pour les carpes, et leur production ne demande pas la mobilisation de terres arables. L'élevage des carpes économise donc les céréales et la superficie agricole utile.
Il n'en reste pas moins que l'aquaculture qui ne représentait que 3,9 % de la production halieutique en 1970, en constitue 32,4 % en 2004. L'offre aquacole par habitant est passée de 0,7 kg par an en 1970 à 7,1 kg en 2004.
S'agissant de l'offre de poisson de consommation, l'aquaculture mondiale, hors Chine, a produit 15 millions de tonnes contre 54 millions pour les pêches de capture. En Chine, l'aquaculture a représenté 31 millions de tonnes contre seulement 6 M t pour les pêches de capture .
Pour l'instant, en termes d'espèces, la production aquacole reste extrêmement concentrée, 10 grands groupes correspondant à 90 % de la production, même si elle se diversifie de plus en plus. Les deux premières étant les carpes et les crevettes. Parmi cette production, les poissons de mer ne représentent que 1,4 Mt .
Au niveau mondial, l'aquaculture fournissait 43 % du volume total du poisson disponible pour la consommation en 2004 .
Elle joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire de nombreux pays en développement à commencer par la Chine et l'Inde, les deux premiers producteurs mondiaux. En Chine, l'offre par habitant est ainsi passée de 1994 à 2004 de 10,9 kg à 23,7 kg.
Si l'aquaculture est incontournable dans l'alimentation mondiale, il ne faut pas se tromper sur sa nature véritable .
Il s'agit d'une aquaculture d'eau douce et aucunement d'une mariculture. Très peu d'espèces de poissons marins sont élevées. Leur production est négligeable au regard des pêches maritimes. Elle n'offre donc aujourd'hui aucune alternative à la pêche pour l'alimentation mondiale en ressources marines .
Cette aquaculture est très concentrée géographiquement et n'est pas non plus une voie de remplacement aux pêcheries européennes.
Le petit nombre des espèces considérées et bien souvent leur médiocre qualité gustative constitueraient un important recul en termes de biodiversité et de qualité alimentaire par rapport au produit fourni par les pêches sauvages.