1ère partie - La notion d'observatoire multidisciplinaire à grande échelle est-elle pertinente ?
Les sciences de l'univers
M. Denis-Didier ROUSSEAU - INSU, École normale supérieure
Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs. Je vais donc introduire la notion d'observatoire dans les sciences de l'univers. De tels observatoires ont pour mission de contribuer au progrès de la connaissance par l'acquisition des données d'observation de différentes manières. Tout d'abord, par le développement et l'exploitation de moyens appropriés à la question qui nous a été posée, ensuite par l'élaboration d'outils nécessaires à la réponse à cette question. Enfin, il s'agit également d'assurer la surveillance et la prévision des milieux naturels, de mettre en place un fichier de données techniques et des programmes en vue de l'exploitation et de la protection du milieu volcanique, terrestre et océanique.
Un observatoire en sciences de l'univers fournit donc des services liés à leur activité de recherche, ce qui, en ce moment, est tout à fait d'actualité avec les négociations GMES et GEOS. Sa mission est aussi d'assurer la formation d'étudiants et du personnel de recherche, la diffusion des connaissances, et d'avoir des activités de coopération internationale.
Les observatoires en sciences de l'univers s'appuient sur les très grands équipements et équipements scientifiques, sur des moyens plus nationaux, et sur des services labellisés au niveau de l'Institut national des sciences de l'univers (INSU) ou de certaines divisions de l'Institut. Ils s'appuient également sur des centres d'archivage et de traitement de données. Celles-ci sont générées dans le cadre des différents programmes menés par les observatoires des sciences de l'univers.
Je vais vous présenter quatre exemples d'activités d'observation menées dans le domaine de l'Arctique au sein de l'INSU, et qui correspondent aux différentes divisions existant au sein de l'Institut.
Pour commencer, la division d'astronomie et d'astrophysique. La participation de l'INSU, via le LPCE d'Orléans, au réseau de radars SuperDARN (Super Dual Auroral Radar Network) est relativement limitée puisqu'elle se borne à l'opération d'un radar situé à Stokkseyri en Islande. C'est un programme international piloté par la NSF, avec l'appui de la John Hopkins University. Le but de ce réseau est d'étudier la dynamique de l'ionosphère, qui est la partie supérieure de l'atmosphère, dans laquelle se forment les orages magnétiques et les aurores boréales, et les relations Soleil-Terre.
Suivons maintenant la Division Océan Atmosphère, qui est certainement la division la plus active dans le domaine arctique. Les intervenants suivants parleront plus tard d'autres programmes. Pour ma part, j'ai sélectionné un projet, qui est soutenu actuellement par l'INSU, le projet MALINA, dont le maître d'oeuvre est le LOV de Villefranche sur Mer. Celui-ci va démarrer dans le Haut-Arctique canadien, dans la mer de Beaufort, qui est un lieu intéressant pour l'analyse des échanges océan-atmosphère. Le but de ce travail est de rechercher et d'étudier plusieurs phénomènes. Citons l'impact de la réduction du couvert de la glace marine, de la fonte du permafrost, de l'augmentation du rejet des micro-déchets, et des flux biogéochimiques dans l'océan Arctique. Ce sont des phénomènes que l'on connaît relativement peu, et sur lesquels des études poussées vont être menées dans des conditions nouvelles en ce qui concerne la recherche sur les océans. Les mesures réalisées vont s'appuyer sur un réseau d'observation, avec des collectes d'eau à différents niveaux, effectuées par des stations dites longues, représentées ici en noir sur la carte. Celles-ci vont procéder à des prélèvements d'eau en profondeur dans les points qui sont en vert. Ces prélèvements vont s'attacher à étudier les propriétés optiques et physiques de l'eau. Vous pouvez également voir, ici représentées sous formes d'étoiles, des zones plus côtières où des automates sous-marins vont réaliser d'autres observations. Ce travail va apporter des données nouvelles qui réactualiseront celles qui existent déjà dans cette région. Ce programme est franco-canadien.
Abordons maintenant une autre division, qui est la Division des Surfaces et interfaces continentales. Cette division soutient un projet concernant les grandes zones marécageuses et de tourbières sibériennes. Il s'agit du projet dénommé CAR WET SIB, qui est piloté par l'observatoire des Pyrénées, en collaboration avec l'Université de Toronto. CAR WET SIB étudie la biogéochimie du carbone en Sibérie depuis les régimes hydrologiques des zones humides et inondées, la production, la dégradation de la végétation et la dissolution des matériaux organiques, jusqu'à l'impact du pergélisol sur les flux de CO 2 et de méthane, ainsi que les mécanismes de migration du carbone organique et des métaux. Il s'agit d'une étude clairement fondamentale car une question importante abordée par ce programme porte sur la capacité des écosystèmes nord sibériens, zone marécageuse riche en sources d'eau potable importantes, à supporter la dégradation du carbone et la formation de puits de carbone. L'évolution de ces écosystèmes est en effet induite par le changement climatique, le retrait du pergélisol et l'utilisation des ressources naturelles par les communautés humaines.
Le quatrième exemple d'action menée en Arctique est actuellement en cours de négociation. La quatrième division de l'INSU s'intéresse à la Terre profonde et aux ressources minérales en domaine arctique. Ce secteur est en plein essor et très prometteur, et est le fruit d'un voyage récent au Québec. Nous y avons rencontré les représentants du ministère des Ressources naturelles et de la faune du Québec (MNRF) pour mettre en place un observatoire de la mine. Son but sera d'assurer à la fois un suivi de l'exploration, de l'exploitation et de la réhabilitation du site minier Raglan de la compagnie Xstrata Nickel. Sont également concernés l'implication et l'impact des recherches de ressources minérales sur les populations locales, qui peuvent être relativement importants. J'ai encadré sur la carte une zone qui est celle la fosse d'Ungawa. Il faut savoir que sur ce site est située la mine de nickel la plus grande au monde, avec des réserves parmi les plus importantes, de l'ordre de cent millions de tonnes. L'extraction va s'étendre sur une période de quinze à vingt ans. Le contrat de coopération envisagé au niveau du suivi de l'exploitation minière représente un programme planifié sur une trentaine d'années. Il faut également savoir que cette gigantesque exploitation minière a la particularité d'être réalisée par la société qui exploite également le nickel en Nouvelle-Calédonie. Vous avez donc ici deux cas d'exploitations relativement importantes qui vont faire face à des conditions climatiques complètement différentes. Dans un cas, celui du Canada, les conditions seront celles du réchauffement et de la fonte du pergélisol. Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, le contexte sera celui du relèvement du niveau marin et de son impact sur l'environnement physique et biologique.
Je n'ai pas hésité, pour parler de réhabilitation du milieu, à vous présenter une toute autre forme d'exploitation des ressources minières dans le domaine arctique. Je souhaitais en effet vous montrer que sont en jeu des intérêts économiques énormes. Dans des conditions extrêmes, les compagnies minières sont prêtes à investir énormément, comme le montre le cas du site diamantifère DIAVIK. Un important gisement d'or et de diamant a été découvert dans cette région de l'Arctique canadien. L'opérateur n'a pas hésité à exploiter le gisement directement dans le lac où il se situe, en construisant autour de cette gigantesque exploitation à ciel ouvert d'immenses digues. Celles-ci attaquent directement l'environnement. L'exploitation y est réalisée par tous les temps et dans toutes les conditions. L'exploitation est d'actualité même en période hivernale : l'enneigement des lacs permet le transit d'immenses camions transportant le minerai qui y est extrait. Si cela peut paraître anecdotique, il faut néanmoins savoir que ces zones vont être affectées durablement en termes de réchauffement climatique, touchant l'exploitation mais aussi l'acheminement du minerai extrait par camions qui profitent de l'enneigement de ces lacs, ce qui n'est pas anodin. C'est la raison pour laquelle, au niveau de cette division, le suivi de la protection et de la réhabilitation du site est quelque chose de fondamental et dans lequel l'INSU est très engagé.
Il y a bien entendu d'autres recherches menées par l'INSU qui couvrent bien d'autres domaines. Nous citerons l'étude des climats anciens et très anciens, la caractérisation des masses d'air arctiques, le transport des polluants et solvants particulaires dans l'Arctique, le suivi des gaz à effet de serre. La proposition visant à pérenniser un réseau appelé ICOS a ainsi été demandée dans le cadre du programme européen ESFRI.
En conclusion, pour répondre à votre question, M. le Sénateur, sur la pertinence d'un observatoire de l'Arctique, ma réponse sera positive. Il est en effet évident que nous faisons face à une situation totalement nouvelle. Une notion nouvelle surgit aussi : celle de la disparition progressive et presque programmée de la banquise en été. Celle-ci aura un impact évident sur les populations locales. Il faut prévoir l'ouverture potentielle de nouvelles voies navigables et l'implantation de populations dans des zones nouvellement ouvertes ou accessibles, voire éventuellement la création de ports. Ceci se fera dans des zones qui seront affectées par l'érosion et par la fonte du pergélisol. Donc, pour répondre à votre question, l'INSU est totalement favorable à un observatoire multidisciplinaire. L'INSU adopte cette démarche et en fait même une priorité clairement affichée. De nombreuses collaborations existent déjà, via différents programmes, avec le Québec, le Canada, l'Europe et la Russie. Nous collaborons également étroitement avec l'Institut Paul-Emile Victor et un certain nombre d'organisations scientifiques, et des manifestations scientifiques sont prévues en 2009. Leur but sera de penser la structuration de la communauté scientifique française via l'INSU. Quant à l'échelle internationale, des contacts ont déjà été pris et seront développés prochainement. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
M. Christian GAUDIN
Merci Monsieur Rousseau pour votre intervention. Nous reviendrons sur votre discipline lors de notre débat. Je vous propose maintenant de passer des sciences de l'univers aux sciences de la vie, et invite M. Le Maho à prendre la parole.